Introduction
1Le régime d’assurance invalidité néerlandais actuel (WAO) va être supprimé en 2006. Institué en 1967 comme approche unique pour compenser les pertes de revenus dues à l’invalidité de longue durée, il n’avait à l’époque pas d’équivalent, non seulement en termes de générosité et de facilité d’accès aux droits, mais aussi parce qu’il retenait une définition large du risque. Le WAO a regroupé deux régimes existant avant sa création : le premier couvrait le risque accident du travail et maladie professionnelle et le second l’invalidité d’origine non professionnelle. Comme dans tous les autres pays, le régime accident du travail était plus généreux, définissait précisément différentes catégories de pertes et offrait une couverture immédiate et intégrale. En outre, les risques couverts étaient définis clairement, sans aucune ambiguïté.
2En 1967, les Pays-Bas ont élargi le régime d’assurance accident du travail pour qu’il couvre l’invalidité en général, d’origine professionnelle ou non. Cette spécificité a finalement constitué la faiblesse du régime, parce qu’il offrait la générosité d’un régime d’assurance accident du travail tout en retenant une définition large du risque, couvrant même un éventail de maladies subjectives et mal définies.
3Dans le développement qui suit, nous décrirons la stratégie adoptée par les Pays-Bas pour réformer un régime d’assurance invalidité devenu ingérable et présenterons une synthèse des principales réformes adoptées (cf. Annexe).
4Nous commencerons par resituer le régime dans son contexte en décrivant la population inapte au travail. Près de 16 % de la population active néerlandaise indiquent souffrir d’un handicap qui limite son aptitude au travail, en termes de durée ou de nature du travail. Environ la moitié des 1,6 million de personnes inaptes au travail perçoit des prestations d’invalidité. Nous nous intéresserons à la fois à l’ensemble de la population en donnant des précisions concernant les prestations en espèces et en nature. Nous présenterons ensuite un panorama des régimes servant actuellement des prestations de maladie et d’invalidité. Puis, nous décrirons l’évolution des dépenses et des bénéficiaires de prestations d’invalidité et analyserons les interactions entre les réformes adoptées et les attributions de prestations. Ensuite, nous brosserons un tableau des changements intervenus ces dix dernières années et de leur efficacité, en insistant sur l’une de ces réformes, à savoir la création d’un système de réadaptation professionnelle. Nous décrirons les différentes réformes proposées pour remplacer le régime actuel par un dispositif moins généreux mais aussi moins controversé et plus pérenne. En conclusion, nous évoquerons les enseignements qui peuvent être tirés de l’expérience néerlandaise.
Une photographie de la population bénéficiaire de pensions d’invalidité aux Pays-Bas
5D’après une étude réalisée en 2003, 15,8 %des 10,9 millions de Néerlandais en âge de travailler (âgés de 15 à 64 ans) déclarent souffrir d’un handicap chronique, qui a une incidence sur leur aptitude au travail. Cette catégorie de la population constitue les « Arbeidsgehandicapten » (personnes inaptes au travail) [1]. La prévalence du handicap est relativement élevée chez les femmes (17,3 %) et parmi les personnes âgées de 55 à 64 ans (28,3 %).
6En outre, alors qu’elle est de 20 % parmi les personnes ayant un faible niveau d’études, elle n’est que de 10 % parmi celles qui ont le niveau d’études le plus élevé. Le handicap est plus fréquent au sein de la population immigrée originaire de pays non occidentaux (20 %), en particulier d’origine turque et marocaine (25 %).
7Le taux d’emploi des personnes handicapées est de 48 %, soit un taux inférieur de 21 points à la moyenne nationale (69 %). En outre, en 2003, 8,2 % des personnes handicapées étaient au chômage, contre un taux de chômage national de 5,3 %.
8Les travailleurs handicapés représentent 10,7 % de la population salariée. Aux Pays-Bas, il n’existe pas de quotas d’emploi de travailleurs handicapés, mais dans les pays qui ont institué un tel système, ce quota est généralement inférieur à 10 %. Toutefois, 44 % des travailleurs handicapés sont employés à temps partiel, alors que la moyenne nationale, déjà particulièrement élevée, est de 36 %. Outre le fait que leur durée de travail est généralement moins élevée, ils sont 38 % à occuper des postes peu qualifiés, contre une moyenne de 30 %.
9Ces données confirment que les personnes handicapées sont moins nombreuses à travailler que les autres et que lorsqu’elles travaillent, elles perçoivent un salaire inférieur. En d’autres termes, nombre de travailleurs handicapés sont également pénalisés sur le plan financier.
Les régimes actuels d’assurance maladie et invalidité
Prestations de maladie
10Le Code civil néerlandais fait obligation aux employeurs de verser 70 % de leur salaire brut à leurs salariés lorsqu’ils sont inaptes au travail en raison d’une maladie ou d’un accident, quelle qu’en soit la cause. Les conventions collectives conclues entre employeurs et salariés prévoient le versement d’un complément, qui permet aux salariés de percevoir l’intégralité de leur salaire net. Auparavant limitée à douze mois, la durée d’indemnisation a été portée à vingt-quatre mois avec effet à compter de 2004.
11Depuis 1996, l’indemnisation du risque maladie incombe intégralement aux employeurs. Ils ont la possibilité – mais non l’obligation – de réassurer ce risque auprès d’une compagnie privée. Avant 1996, l’indemnisation du risque maladie était assurée par des caisses sectorielles alimentées par des cotisations dont le taux variait en fonction du secteur d’activité. C’est pour remplacer ce système d’assurance collectif qu’il a été fait obligation aux employeurs de verser les indemnités de maladie.
12Les employeurs sont également tenus de gérer l’absentéisme de leurs salariés en passant un contrat avec un organisme de médecine du travail privé. Les médecins employés par ces organismes s’assurent que l’absence est justifiée et font un pronostic concernant la reprise du travail.
13Les petites entreprises ne sont pas toujours en mesure d’offrir un emploi adapté aux salariés qui ne peuvent plus occuper leur poste habituel en raison d’un handicap. Dans une telle situation, un prestataire de services de réinsertion professionnelle effectue des démarches pour reclasser le salarié dans une autre entreprise. Depuis 2003, les employeurs sont tenus de passer un accord avec un tel organisme pour aider les employés handicapés dont le reclassement au sein de l’entreprise n’est pas possible, à trouver un emploi chez un autre employeur.
14La privatisation du système d’indemnisation du risque maladie est donc allée de pair avec la privatisation de la gestion de l’absentéisme pour cause de maladie.
Prestations d’invalidité
15Aux termes de la législation néerlandaise, tout assuré atteint d’une maladie ou victime d’un accident a droit à des prestations d’invalidité s’il a déjà été indemnisé vingt-quatre mois en maladie (période d’attente). Contrairement aux autres pays de l’OCDE, qui ont des règles spécifiques selon que l’invalidité est d’origine professionnelle ou non, les Pays-Bas ne prennent en compte que les conséquences du handicap.
16Deux régimes distincts, ciblant des publics différents, servent des indemnités pour compenser la perte de revenu liée à une invalidité définitive ou de longue durée. Le premier, qui est de loin le plus important, couvre les salariés et sert des prestations proportionnelles au salaire. Le second couvre les personnes devenues handicapées avant d’être en âge de travailler. Financé par l’impôt, il sert des prestations forfaitaires dont le montant est égal au minimum social. Les droits sont ouverts à compter du 18e anniversaire. Ce régime est par ailleurs administré de la même manière que le régime contributif [2].
17Le taux d’invalidité est apprécié sur la base de la capacité de gain résiduelle du travailleur handicapé. Cette capacité est, elle-même, calculée en fonction de la rémunération que pourrait percevoir l’intéressé compte tenu de ses capacités résiduelles, exprimée en pourcentage du salaire normal, indépendamment de son niveau de formation et de ses antécédents professionnels. Le taux d’invalidité est calculé en fonction de la perte de gains et détermine le montant des prestations. Le régime d’assurance invalidité définit sept catégories d’invalidité. Pour que des droits puissent être ouverts, la diminution de la capacité de gain doit être d’au moins 15 %. Le taux de remplacement varie de 14 % des revenus de référence (pour les personnes présentant un taux d’invalidité compris entre 15 et 25 %) à 70 % (pour celles dont le taux d’invalidité est compris entre 80 et 100 %).
18Le régime destiné aux personnes devenues invalides avant d’avoir l’âge de travailler comporte six catégories d’invalidité ; la première catégorie n’existe pas, si bien que les droits peuvent être ouverts à partir d’un taux d’invalidité de 25 %. Les prestations sont égales, en cas d’invalidité totale, à 70 % du salaire minimum [3].
19En cas d’invalidité partielle, les prestations sont cumulables avec un revenu d’activité, étant entendu que le montant cumulé ne peut excéder la rémunération perçue par l’intéressé avant son invalidité. Si elles ne parviennent pas à trouver d’emploi, les personnes en invalidité partielle ont droit à des indemnités de chômage à taux réduit. Au total, les prestations d’invalidité et les indemnités de chômage [4] ne peuvent pas excéder 70 % du revenu antérieur.
20Les prestations contributives dépendent de l’âge et du revenu. La période pendant laquelle elles sont servies est divisée en deux phases distinctes et consécutives. Pendant la première phase, les prestations servies sont des prestations provisoires, égales à 70 % du salaire avant impôt. La durée de cette première période dépend de l’âge de l’intéressé à la date de début de l’invalidité et est comprise entre zéro (pour les personnes invalides avant leur trente-troisième anniversaire) et six ans (pour les personnes qui deviennent invalides à 58 ans ou au-delà). En d’autres termes, les travailleurs qui deviennent invalides à 58 ans ou au-delà perçoivent 70 % de leur salaire jusqu’à 65 ans, âge légal de la retraite. Les travailleurs les plus âgés continuent d’acquérir des droits à la retraite au titre de leur activité professionnelle bien qu’ils perçoivent des prestations d’invalidité. En outre, la plupart des plans de pension dispensent les bénéficiaires de prestations d’invalidité du paiement de cotisations. En rendant le travail moins avantageux en termes d’acquisition de droits à pension, ces dispositions contractuelles découragent toute tentative de reprise d’activité et transforment le régime d’invalidité en un système de préretraite [5].
Pendant la seconde phase, le salaire qui sert de base au calcul des droits est moins élevé. Le taux de remplacement du salaire perçu avant l’invalidité est donc, lui aussi, plus faible. Pendant cette seconde période, le salaire de référence est le salaire minimum majoré d’un supplément dont le montant varie en fonction de l’âge lors du début de l’invalidité. Ce supplément est calculé selon la formule suivante : 2 % x [âge au début de l’invalidité -15] x [salaire – salaire minimum]. L’âge servant de référence à l’appréciation de la carrière professionnelle ou de la carrière d’assurance, les prestations d’invalidité sont calculées selon un principe quasi identique à celui appliqué pour les pensions de retraite. La plupart des conventions collectives permettent de couvrir l’écart entre le taux de remplacement assuré pendant la seconde phase et celui de 70 % de la première période. Par conséquent, en cas d’invalidité totale, le taux de remplacement est maintenu à 70 % dans la majorité des cas.
Le salaire de référence qui sert de base au calcul des droits est plafonné à 43 770 euros par an, ce qui correspond au plafond du revenu imposable entrant dans l’assiette des cotisations d’invalidité (et de chômage).
Grandes tendances et évolutions
21En mai 2002, l’hebdomadaire britannique The Economist a publié, sous le titre « Going Dutch » un article d’opinion consacré à l’économie néerlandaise. On pouvait notamment y lire : « […] c’est précisément la recherche du consensus qui a empêché de réformer davantage un régime d’assurance invalidité excessivement généreux, qui donne lieu à de nombreux abus et sert des prestations à près d’un Néerlandais en âge de travailler sur sept. » Aux yeux de l’auteur de cet article, l’expérience des Pays-Bas en matière d’invalidité illustre parfaitement les inconvénients de la culture néerlandaise du consensus et de la tolérance.
Ce qu’il en est réellement
22Les données recueillies dans le cadre d’une étude de l’OCDE sur les politiques menées en matière d’invalidité [6] confirment et infirment à la fois la description stéréotypée que cet article fait du régime néerlandais. D’après le tableau 2.1 du rapport de l’OCDE, si les Pays-Bas font toujours partie des pays qui consacrent le budget le plus élevé aux prestations d’invalidité, ils ont cessé d’être les plus dépensiers comme c’était le cas en 1990. En 1999, le montant total des dépenses de prestations d’invalidité représentait 4,14 % du PIB, soit 28 % de moins qu’en 1991 [7].
Bénéficiaires de prestations d’invalidité en pourcentage de la population active et dépenses de prestations d’invalidité en pourcentage du PIB (1971-2003)

Bénéficiaires de prestations d’invalidité en pourcentage de la population active et dépenses de prestations d’invalidité en pourcentage du PIB (1971-2003)
23La figure 1 présente l’évolution du nombre de bénéficiaires de prestations d’invalidité en pourcentage de la population active (comprenant les bénéficiaires de prestations d’invalidité) [8] et des dépenses de prestations d’invalidité en pourcentage du PIB. Les prestations d’invalidité englobent à la fois les prestations servies par les régimes contributif et non contributif. Après avoir culminé à 4,2 % du PIB en 1985, les dépenses ne représentaient plus que 2,6 % du PIB en 2003.
24Cependant, dans le même temps, le nombre de bénéficiaires par rapport à la population active est resté stable, à 10 % – niveau atteint en 1981 après l’explosion du nombre de bénéficiaires observée dans les années soixante-dix. En valeur absolue, le nombre de bénéficiaires a connu une croissance constante, passant de 475 000 en 1976 à 921 000 en 1993 [9]. Les changements introduits dans la définition de l’invalidité et dans le mode de calcul des droits se sont traduits par une diminution radicale du nombre d’attributions.
En outre, la situation d’une partie des personnes déjà bénéficiaires de prestations a été réexaminée sur la base de cette nouvelle définition, plus restrictive, de l’invalidité. Cela s’est soldé par une augmentation du nombre de suppressions des droits et a contribué à réduire de 7 % le nombre de bénéficiaires, ramené à 855 000 en 1996. Par la suite, ce nombre a recommencé à augmenter pour atteindre 979 000 en novembre 2002, un niveau proche de la barre – politiquement fatidique – du million de personnes invalides.
Une diminution des prestations
25La figure 1 montre que la baisse des dépenses ne s’explique pas par un recul du nombre de bénéficiaires, ce qui, logiquement, signifie que le montant moyen des prestations a diminué. Au cours des trente années sur lesquelles porte la figure 1, la baisse du montant des prestations est apparue comme la seule mesure susceptible de réduire le fardeau financier représenté par un régime en passe de devenir ingérable. Au début des années quatre-vingt, le pouvoir d’achat des prestations a reculé de 25 %. Ce recul est le résultat d’une série de baisses substantielles. Premièrement, l’élargissement de l’assiette des cotisations sociales aux prestations a eu un impact sur le
26montant net des prestations. Puis, en 1982 et 83, la suppression de certaines exonérations fiscales accordées aux handicapés s’est soldée par un recul du montant net des prestations d’invalidité et, en 1984, le salaire de référence servant de base au calcul des droits a été diminué.
En outre, tous les revenus sur lesquels le gouvernement exerce un contrôle – transferts sociaux, salaires des fonctionnaires et salaire minimum légal – ont subi une baisse de 3 % en termes nominaux. Enfin, en 1985, les taux de remplacement (avant impôt) sont passés de 80 à 70 % du salaire final pour les personnes totalement handicapées. Ces baisses directes se sont accompagnées d’une désindexation des revenus sur lesquels le gouvernement exerce un contrôle. Les prestations ont subi une nouvelle baisse en août 1993, les taux de remplacement ayant été réduits en fonction de l’âge du bénéficiaire à la date de début de l’invalidité. En termes réels, les prestations ont perdu 20 % entre 1985 et 1995, une évolution en nette opposition avec celle du PIB par habitant, qui a progressé de 33 % au cours de lamême période. Schématiquement, pour un travailleur handicapé à 100 %, le taux de remplacement est passé de 90 % (1967-1980), à 85 % (1980-1994) pour s’établir à 75 % depuis 1994.
Une hausse des prestations à taux partiel
27Les changements introduits en 1993 se sont soldés par une forte hausse de la proportion de bénéficiaires percevant des prestations à taux partiel. Depuis 1993, la notion de « travail adéquat » n’entre plus en ligne de compte dans la définition de l’invalidité. La capacité de gain est définie en fonction de la rémunération que pourrait percevoir le travailleur handicapé en contrepartie de toute activité professionnelle compatible avec ses capacités résiduelles, exprimée en pourcentage de celle qu’il percevrait s’il n’était pas handicapé. Le taux d’invalidité est calculé en fonction de la perte de gains et détermine le montant des prestations. Avant 1994, seules les activités compatibles avec la formation et les antécédents professionnels de l’intéressé étaient prises en compte pour évaluer sa capacité résiduelle. Suite à cette réforme, la part des prestations attribuées à taux partiel est passée de 19 % des nouvelles attributions en 1990 à 45 % en 2001.
28Deux tiers des bénéficiaires de prestations à taux partiel exercent une activité professionnelle. Pour eux et pour leur employeur, la prestation joue le rôle d’une aide au salaire., La recherche montre que les bénéficiaires de prestations à taux partiel se distinguent des autres à bien des égards : ils sont plus âgés, ont un niveau d’études plus élevé ; ce sont plus souvent des hommes, mariés et chefs de famille. Ils ont également plus d’ancienneté chez leur employeur actuel et travaillent plutôt dans de grandes entreprises, en bonne santé financière [11]. En d’autres termes, ils sont généralement plus favorisés sur le plan social et économique. Selon les études, les prestations à taux partiel sont souvent considérées comme un moyen d’améliorer les conditions de travail des travailleurs d’un certain âge et jouent le rôle d’un régime de préretraite partiel.
Un profil différent du bénéficiaire type
29Ces trente dernières années ont été marquées par une évolution du profil des bénéficiaires. Alors qu’autrefois le bénéficiaire type était un ouvrier relativement âgé, ayant accompli une carrière longue dans un métier pénible physiquement, aujourd’hui, c’est une femme plutôt jeune, employée dans le secteur des services et ayant accompli une carrière relativement courte. Du fait qu’au Pays-Bas 57 % des femmes travaillent à temps partiel, leurs salaires et leurs prestations d’invalidité sont moins élevés [12]. Par conséquent, l’augmentation de la proportion de femmes parmi les nouveaux bénéficiaires se traduit par une baisse des prestations versées, toutes choses égales par ailleurs.
30La figure 2 présente la répartition par sexe des taux d’incidence de l’invalidité ouvrant droit à prestations. Alors que la population féminine présentait un taux d’incidence inférieur à la population masculine jusqu’en 1985, elle affiche depuis lors un taux supérieur. Il est en outre particulièrement remarquable d’observer que l’écart entre les deux sexes s’est creusé régulièrement, de 1983 – les femmes présentaient alors un taux d’incidence inférieur de 15 % à celui des hommes – à 1998 – les femmes avaient un taux d’incidence supérieur de 80 % à celui des hommes. Depuis 1998, cet écart est constant.
Nouveaux bénéficiaires en pourcentage de la population active, par sexe (1971-2003)

Nouveaux bénéficiaires en pourcentage de la population active, par sexe (1971-2003)
31En valeur absolue, le nombre total de bénéficiaires de prestations d’invalidité a progressé de 6 % entre 1991 et 2001. Le nombre de bénéficiaires de sexe masculin a décru de 13 %, tandis que le nombre de bénéficiaires de sexe féminin a augmenté de 43 %.
32La forte augmentation du nombre de femmes bénéficiaires de prestations d’invalidité a correspondu à la progression, tout aussi marquée, du taux d’activité des mères de famille. Aux Pays-Bas, ce taux était traditionnellement bas. Dans les années soixante-dix, trois femmes sur quatre arrêtaient de travailler après la naissance de leur premier enfant. Vingt ans plus tard, elles n’étaient plus qu’un tiers à arrêter leur activité. En d’autres termes, le schéma traditionnel, dans lequel la famille ne disposait que d’un seul revenu a été remplacé par un modèle dans lequel l’homme travaille à temps plein et la femme à temps partiel. Du fait du manque de structures d’accueil pour les enfants, cette mutation a été facilitée par un recours au régime d’assurance invalidité. Les prestations ont en effet permis de remplacer la production marchande par la production domestique, sans que cela n’entraîne une forte baisse des revenus. La féminisation du public bénéficiaire de prestations d’invalidité démontre que lorsqu’elle privilégie l’amélioration des revenus, la politique menée en matière d’invalidité incite à invoquer des raisons médicales pour assurer deux revenus à la famille.
Les réformes adoptées après 1990 : privatisation, réinsertion et nouveaux projets de loi
Davantage d’incitations au retour à l’emploi…
33Au début des années quatre-vingt-dix, les décideurs ont choisi de définir le problème posé par le régime invalidité en termes d’« aléa moral ». Ils ont constaté que le régime d’assurance invalidité ne comportait pas suffisamment de mesures incitatives pour les trois acteurs directement concernés : les salariés, les employeurs et les gestionnaires du régime.
pour les salariés
34En 1993, l’introduction d’un dispositif comportant deux phases – avec réduction du taux de remplacement en fonction de l’âge au cours de la deuxième phase) – s’est traduite par une baisse du montant des prestations. Les conventions collectives prévoyaient certes de combler la différence entre les deux taux de remplacement par le versement d’un supplément, mais pour la majorité des salariés, ce supplément a remplacé celui qui était versé pour assurer un taux de remplacement de 100 % du salaire net. Globalement, le taux de remplacement a donc diminué pour la majorité des bénéficiaires.
35Les réformes adoptées en 1993 ont également abouti à une définition plus restrictive de l’invalidité dans la loi sur l’assurance invalidité. Jusqu’alors, la réduction de la capacité de gain était appréciée en référence à une activité professionnelle considérée comme adaptée à l’intéressé, compte tenu de sa formation et de ses capacités fonctionnelles et toute personne présentant un handicap incompatible avec l’exercice d’une telle activité était considérée comme totalement invalide. Depuis 1993, le degré d’invalidité n’est plus apprécié en référence aux seules activités susceptibles de convenir au demandeur, mais en tenant compte de toutes celles qui sont proposées sur le marché du travail. C’est notamment ce qui explique la forte progression du nombre de personnes en invalidité partielle. De plus, le taux d’invalidité des bénéficiaires âgés de moins de 45 ans a été révisé en fonction de cette nouvelle définition, ce qui s’est soldé par un bond des décisions de suppression ou de diminution des droits.
36Les réformes adoptées en 1993 ont également eu une incidence sur les nouvelles attributions (cf. figure 2). La diminution du nombre de nouvelles attributions pourrait être le résultat d’un double phénomène : le renforcement du filtrage à l’entrée du régime d’une part et la baisse du nombre de demandes d’autre part, les prestations d’invalidité étant moins attrayantes financièrement du fait de la diminution de leur montant et du durcissement des conditions d’ouverture des droits. Mais la physionomie du régime s’est également transformée sous l’effet de réductions des prestations, du dynamisme de l’économie et de l’augmentation des tensions sur le marché de l’emploi ces six dernières années. Les salariés les mieux payés et justifiant d’une carrière professionnelle longue ont cherché à éviter de dépendre totalement des prestations d’invalidité, le marché de l’emploi leur offrant des débouchés plus intéressants. Au contraire, les chefs de famille et les travailleurs à bas salaire, qui subissent une perte de revenu moins élevée que les salariés bien payés lorsqu’ils sont reconnus invalides, sont fortement surreprésentés, à la fois parmi les personnes handicapées et parmi les bénéficiaires de prestations d’invalidité.
De 1994 à 1996, le nombre de bénéficiaires a reculé de 7 % sous l’effet de la diminution du nombre d’attributions nouvelles et de la forte augmentation du nombre de suppressions des droits. Depuis la création du régime, en 1967, et jusqu’en 2003, ce sont les seules années au cours desquelles le nombre de bénéficiaires a baissé.
… et pour les employeurs
Une privatisation des prestations maladie
37La loi sur les prestations maladie, en vertu de laquelle les prestations maladie étaient financées collectivement par un régime d’assurance, spécifique a été abrogée en mars 1996. Comme nous l’avons déjà évoqué ci-dessus, après l’abrogation de cette loi il a été fait obligation aux employeurs d’indemniser leurs salariés pendant les douze premiers mois de maladie. En 2004, cette durée d’indemnisation est passée à vingt-quatre mois.
38Les entreprises sont tenues de passer un contrat avec un organisme de médecine du travail privé pour la fourniture de services spécifiques, notamment en matière de prévention et de gestion des arrêts de travail [13]. Cette obligation légale visait à réduire l’absentéisme et l’entrée de nouveaux bénéficiaires dans le régime invalidité en faisant prendre conscience aux entreprises du coût de l’absentéisme. Elle permettait de rentabiliser les investissements dans la prévention, puisqu’ils réduisaient le coût de l’absentéisme.
39Le taux d’absence pour cause de maladie est passé de 8 % en 1990 à 6 % en 2000, soit une baisse de 25 % [14]. Ces deux années correspondent à un pic conjoncturel, ce qui permet de les comparer en éliminant toute influence du cycle économique sur l’absentéisme. Ce bon résultat est en partie imputable à la privatisation et aux mesures incitatives qui l’ont accompagnée. Il a été obtenu, malgré le fait qu’environ 80 % des entreprises aient souscrit une forme d’assurance privée pour couvrir leurs engagements en matière de maladie.
40Il existe une forte corrélation négative entre la taille de l’entreprise et la souscription d’une assurance maladie : alors que les entreprises de moins de 20 salariés affichent un taux de couverture d’environ 83 %, 25 %seulement des entreprises de 100 salariés ou plus souscrivent une assurance. Les grandes entreprises optent également pour une période de coassurance plus longue ou souscrivent une assurance qui excédent leurs pertes (stop-loss) [15]. Pour éviter l’antisélection, les compagnies d’assurance exigent qu’aucun salarié ne soit exclu de la police d’assurance maladie souscrite par l’employeur. Elles demandent également aux entreprises de recourir à des organismes de médecine du travail privés en leur précisant la liste des services dont elles doivent bénéficier. D’après les analyses économétriques, le fait qu’une entreprise souscrive ou non une assurance n’a pas d’incidence sur ses résultats en matière d’absentéisme [16]. Ce qui laisse penser que les compagnies se dotent, en plus de la modulation des primes en fonction des risques de l’entreprise (experience rating), d’autres instruments de contrôle.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, la privatisation du système d’indemnisation n’a pas entraîné de conflits entre des salariés malades et des employeurs refusant de continuer de leur verser leur salaire. Cela s’explique peut-être par le fait que la réforme est entrée en vigueur dans un contexte de croissance économique. Reste que la récession qui a touché le pays, de 2000 à 2004, n’a pas provoqué de conflit majeur.
Une modulation des primes d’assurances en fonction des risques propres à l’entreprise
41Depuis 1998, le principe de modulation des cotisations dues par les entreprises en fonction de leurs risques en matière d’invalidité, a été progressivement introduit dans le régime d’assurance invalidité : alors que les prestations attribuées avant 1998 continuent d’être financées par des cotisations dont le taux est identique pour toutes les entreprises, celles attribuées depuis 1998 sont, pendant les cinq premières années, financées par des primes dont le montant est fixé en fonction de leur risque selon un principe comparable à celui du « pollueur-payeur ». De plus, les entreprises peuvent également choisir de ne plus dépendre du régime public, pour financer les cinq premières années de paiement des prestations invalidité.
42Le régime est donc financé par deux catégories de cotisations différentes, payées par l’employeur. La première catégorie correspond à des cotisations dont le taux est identique pour tous les employeurs, finançant, par répartition, les prestations attribuées avant 1998. Depuis 2003 (cinq ans après la mise en place de ce dispositif), ces cotisations financent également les prestations attribuées après 1997 au-delà de la cinquième année de paiement. Ces cinq dernières années, le taux de cotisation a baissé, passant de 7,55 % à 5,05 % des revenus imposables (plafonné à 43 770 euros par an).
43Les cotisations appartenant à la seconde catégorie financent les cinq premières années de paiement des prestations. Leur taux est modulé en fonction d’un indice de risque spécifique à chaque entreprise. Pour l’année t, cet indice de risque est calculé sur la base du montant des prestations d’invalidité servies aux salariés de l’entreprise au cours de l’année t-2, exprimé en pourcentage de la moyenne des salaires versés au cours des cinq années précédentes. Le résultat obtenu correspond au taux de cotisation appliqué à l’entreprise. L’indice de risque moyen est passé de 0,30 % en 1998 à 2,38 % en 2003. Depuis 2003, seules les entreprises dont la masse salariale est supérieure à 600 000 euros sont redevables de ces cotisations modulées.
44Le taux est limité par un plancher et un plafond, qui est passé de 1,12 % en 1998 à 8,52 % en 2003.
45La modulation des cotisations étant en place depuis cinq ans, le nouveau système peut être considéré comme mature. Le taux des cotisations du système par répartition ne devrait guère évoluer par rapport à son niveau actuel (5 % du salaire imposable). Quant à l’évolution de l’indice de risque moyen, elle dépend fortement de celle du nombre d’attributions de pensions d’invalidité.
Koning a étudié les effets de la modulation des cotisations à partir de données longitudinales contenues dans les fichiers du régime d’assurance invalidité néerlandais [17]. Ces données concernaient environ 370 000 entreprises, employant quelque six millions de salariés assurés. Koning a suivi ces entreprises sur trois ans, de 2000 à 2002. Globalement, cette analyse empirique montre que la modulation des cotisations a eu un impact substantiel. Les employeurs ont réagi à la hausse du taux de cotisations par un renforcement de la prévention.
… mais pas pour les gestionnaires du régime
46Le débat sur la politique néerlandaise en matière d’invalidité s’est progressivement réorienté, ne portant plus tant sur le dispositif lui-même que sur ses gestionnaires. En 1993, un comité parlementaire pluripolitique a mené une enquête sur les caisses d’assurance qui existaient à l’époque. Organisées par secteurs d’activité, elles jouissaient, de par la loi, d’une situation de monopole en matière de gestion des prestations d’assurance maladie, invalidité et chômage. Le comité a attaché une attention toute particulière à la gestion du régime d’assurance invalidité et interrogé publiquement un grand nombre d’administrateurs, de fonctionnaires et de responsables politiques, encore en exercice ou non. La diffusion télévisée, en soirée, d’un résumé des entretiens a été catastrophique pour l’image des caisses d’assurance, confirmant publiquement ce que la recherche avait déjà mis en évidence et ce qu’une majorité de personnes soupçonnait. Le rapport du comité a permis de rallier une forte majorité des acteurs politiques à l’idée selon laquelle une réforme en profondeur s’imposait, en particulier concernant le pouvoir et l’indépendance des partenaires sociaux dans la gestion de l’assurance sociale.
47En 1995, suite aux recommandations du comité, un organe de contrôle indépendant a été mis en place. Il publie chaque année un rapport sur l’efficacité et la légalité de la gestion des régimes d’assurance sociale. En 1997, les caisses d’assurance, gérées par les partenaires sociaux, ont été privatisées et regroupées en cinq organisations. Outre leurs missions traditionnelles de gestion de l’assurance publique (chômage et invalidité), ces organisations ont commencé à proposer des services privés, par exemple de réadaptation médicale et professionnelle, de médecine du travail et d’aide à la recherche d’emploi.
48À l’origine, l’objectif était de créer un marché concurrentiel au sein duquel ces cinq organisations ainsi que les nouveaux arrivants sur ce marché seraient en concurrence pour passer des contrats avec des entreprises ou groupes d’entreprises en matière de gestion de l’assurance invalidité et chômage. Bien souvent les entreprises se sont vu offrir des formules « tous services » couvrant toutes leurs obligations légales en matière d’assurance sociale et leur proposant également diverses prestations en matière de retraite, d’assurance maladie et de reclassement des employés licenciés.
49Cette privatisation de l’assurance sociale a donné lieu à un débat public, qui a mis au jour plusieurs problèmes. Premièrement, l’ouverture de la gestion de l’assurance invalidité obligatoire au marché concurrentiel peut être viable et efficace à condition que les compagnies d’assurance privées soient autorisées à gérer toute la « chaîne de l’assurance », de l’élaboration des polices au calcul des primes en passant par la gestion des prestations, le contrôle des risques et des demandes d’indemnisation. Les assureurs pourraient ainsi proposer aux entreprises des services sur mesure, en jouant sur des éléments comme la durée de la période de coassurance ou sur les résultats obtenus en matière de maîtrise des risques grâce à des actions de prévention, de réadaptation et de suivi. L’évaluation du taux d’invalidité est un maillon essentiel dans ce type de dispositif. Dans leur majorité, les partis politiques ont refusé de confier cette évaluation au marché de l’assurance privée. C’est la raison pour laquelle le système mis en place est un modèle hybride, dans lequel l’ensemble de la chaîne était privatisé à l’exception de l’évaluation de l’invalidité, confiée à un organisme (médical) public spécifique.
50Deuxièmement, si le risque invalidité peut être couvert par le secteur privé, tel n’est pas le cas du risque chômage. La privatisation de l’assurance chômage ne permettrait pas de créer un marché (socialement) efficace. Outre l’insurmontable problème de la dépendance du risque, les employeurs seraient inévitablement attirés par les contrats de gestion de l’assurance chômage les moins chers dans la mesure où ils ne retireraient aucun bénéfice des investissements réalisés pour garantir un reclassement rapide des salariés qu’ils licencient. En conséquence, mettre sur le même plan les risques chômage et invalidité ne permettait pas d’obtenir des résultats satisfaisants sur le plan social.
51Troisièmement, les compagnies privées qui proposent des polices d’assurance au titre de l’assurance invalidité (publique) obligatoire sont susceptibles de proposer des garanties complémentaires (assurance maladie, plans de pension, etc.). Ces avantages accessoires au salaire étant difficile à exporter, les salariés risquent alors d’avoir des difficultés à changer d’entreprise. Quant aux entreprises, il pourrait leur être difficile de changer de prestataire pour les avantages accessoires au salaire qu’elles offrent à leur personnel.
Enfin, les compagnies d’assurances privées pourraient être tentées d’utiliser, pour leurs activités commerciales (par exemple à des fins d’antisélection en matière d’assurance maladie) les informations qu’elles recueillent concernant les salariés dans le cadre de l’assurance invalidité publique. Elles pourraient également être tentées d’affecter au volet commercial de leur activité les fonds collectés dans le cadre du régime public obligatoire. En outre, le contrôle d’organismes hybrides est une tâche complexe, coûteuse et sujette à controverses.
C’est, entre autres, pour ces raisons qu’une majorité politique s’est prononcée en faveur de l’abandon de ce système au cours de l’été 1999. En 2002, l’Institut d’assurance sociale a été mis en place pour gérer les régimes invalidité et chômage. Il s’agit d’un organisme non gouvernemental, doté d’une quasi-autonomie, remplissant une mission de service public dans le cadre d’un contrat avec le ministère des Affaires sociales et de l’Emploi. Seule la réadaptation professionnelle (réinsertion sur le marché du travail) a été confiée au secteur privé, ce qui pourrait offrir la possibilité aux organismes de médecine du travail qui gèrent actuellement les demandes de prestation maladie d’élargir leur domaine d’activité.
La réinsertion
Dispositions de la loi sur la réinsertion des personnes handicapées (REA)
52Contrairement aux autres pays qui disposent d’un système de protection sociale généreux, les Pays-Bas n’avaient pas de dispositions efficaces en matière de réadaptation professionnelle et n’étaient pas dotés de l’infrastructure nécessaire. Au fil du temps, cela est de plus en plus apparu comme une carence. En juillet 1998, la loi sur la réinsertion professionnelle des personnes handicapées (REA) a défini une nouvelle catégorie de bénéficiaires. En outre, les prestations en nature et en espèces, qui étaient jusqu’alors réparties entre différents dispositifs, ont été regroupées et harmonisées.
53Les personnes handicapées professionnellement sont les personnes qui :
- présentent une invalidité qui réduit leur capacité de travail et
- ont droit à des prestations d’invalidité, ou ont cessé d’y avoir droit depuis moins de cinq ans ;
- ont droit à des services ou à des subventions destinés à leur permettre de préserver ou de restaurer leur capacité de travail ou ont cessé d’avoir droit à ce type de services ou subventions depuis moins de cinq ans ;
- font partie du public visé par la loi sur le travail protégé ;
- n’appartiennent à aucune des catégories précitées mais ont été reconnues handicapées dans le cadre d’un examen médical pratiqué par un organisme d’assurance sociale ou de médecine du travail. Ces personnes sont reconnues handicapées pour cinq ans et doivent ensuite être réexaminées.
54Les principales mesures proposées dans le cadre de la loi REA sont les suivantes :
- les salariés handicapés peuvent prétendre à une formation scolaire ou professionnelle, à des services d’aide à la mobilité, à des emplois à l’essai, à des aides personnelles et à certaines thérapies (actions de prévention du stress ou des TMS par exemple) pour entretenir ou restaurer leur capacité de travail ;
- les employeurs paient des cotisations d’invalidité moins élevées et sont exonérés des cotisations modulées pour leurs salariés handicapés. Les prestations de maladie servies aux travailleurs handicapés relèvent d’un financement collectif, si bien que les employeurs ne risquent pas d’avoir à continuer de leur verser leur salaire en cas de maladie ;
- les entreprises peuvent prétendre à des subventions pour couvrir les frais d’adaptation du poste de travail.
55De plus les données recueillies dans le cadre d’une étude portant sur des cohortes d’individus parvenus à la fin de la période d’attente de douze mois indemnisée en maladie en 2001 montrent que les outils offerts par la loi sont utilisés de manière sélective. Le public le plus aidé dans le cadre de la loi REA présente en effet des caractéristiques très proches du public bénéficiaire de prestations d’invalidité à taux partiel : il s’agit d’individus ayant un niveau scolaire relativement élevé et une expérience professionnelle relativement longue ; ce sont souvent des chefs de famille qui travaillent dans des entreprises en bonne santé financière [19]. Le rapport de cette étude conclut que l’adoption de la loi REA n’a pas permis de progrès notables en matière de réinsertion.
Des plans personnalisés de réinsertion
56Cette conclusion se fonde sur une étude portant sur des salariés qui, tout en étant en arrêt de maladie depuis longtemps, sont toujours liés par un contrat de travail avec leur employeur. Dans un tel cas, l’employeur et l’organisme de médecine du travail qu’il a choisi, sont tenus de déposer une demande pour que le salarié bénéficie des dispositifs prévus par la loi REA. En ce qui concerne les bénéficiaires de prestations d’invalidité, ces mesures s’inscrivent généralement dans le cadre d’un plan de réinsertion élaboré par les spécialistes du reclassement de l’Institut d’assurance sociale. Ces plans sont comparables aux « individual participation packages » (plans de réinsertion personnalisés) préconisés par l’OCDE. Les bénéficiaires peuvent influer sur le contenu du plan en faisant connaître leur préférence pour tel ou tel dispositif de mesures prévu par la loi REA ou pour tel ou tel domaine d’activité. Toutefois, la loi leur fait obligation d’entreprendre toutes les démarches nécessaires pour retrouver leur capacité de travail. Par conséquent, ceux à qui un plan est proposé ne peuvent pas refuser de coopérer, sauf s’ils peuvent prouver qu’ils sont déjà en voie de réinsertion.
57Les plans de réinsertion sont mis en œuvre par des organismes privés dans le cadre de contrats passés avec l’Institut d’assurance sociale. De petits groupes de bénéficiaires sont définis et orientés vers les organismes qui présentent la meilleure offre en termes de prix, de professionnalisme et de nombre de personnes réinsérées. Le coût de ces programmes – outils de réinsertion et prestations de l’organisme de réinsertion – est pris en charge par le budget REA. En 2001, les organismes de réinsertion ont géré quelque 50 000 plans, dont 50 % environ concernaient des bénéficiaires de prestations d’invalidité et 50 % des personnes handicapées sans emploi (bénéficiaires de prestations de chômage ou non). En d’autres termes, 2,5 % des bénéficiaires de prestations d’invalidité ont bénéficié d’un plan de réinsertion. D’après les contrats passés, 35 % des (17 500 plans individualisés sur 50 000) devraient déboucher sur une réinsertion réussie (un emploi pendant au moins six mois).
Rapports de réinsertion
58Depuis avril 2002, les responsabilités des salariés malades, de leurs employeurs et des organismes de médecine du travail sont définies par la loi, qui prescrit une intervention précoce en cas de maladie. Après six semaines d’absence au plus tard, le médecin de l’organisme de médecine du travail est tenu de faire une première évaluation du problème médical, des limitations fonctionnelles qu’il induit et d’établir un pronostic concernant la reprise du travail. Ces données servent de base au projet de réadaptation professionnelle qu’élaborent ensemble le salarié et son employeur. Ils doivent notamment désigner un référent, indiquer un objectif (reprise du travail actuel ou d’un autre poste adapté ou non) et préciser les démarches nécessaires pour atteindre cet objectif. Ce projet doit être élaboré dans les huit semaines qui suivent le début de la période de maladie. Il s’impose aux deux parties, chacune d’elles pouvant mettre l’autre en demeure si elle estime qu’elle manque à ses obligations.
59Après 35 semaines d’arrêt de maladie, l’Institut d’assurance sociale envoie un imprimé de demande de prestations d’invalidité au salarié malade. Les demandes doivent être déposées avant la 40e semaine d’arrêt et ne sont recevables que si elles sont accompagnées d’un rapport de réinsertion. Ce rapport contient le projet de réadaptation et une évaluation précisant la raison pour laquelle il n’a pas (encore) débouché sur une reprise d’activité. Si le rapport est transmis en retard, s’il est incomplet ou s’il révèle une insuffisance des efforts de réinsertion, la demande n’est pas instruite et l’employeur est tenu d’indemniser le salarié en maladie, même après expiration de la période d’attente.
60Ceci représente un grand pas vers une affirmation de la réciprocité des droits et obligations entre les employeurs et les salariés et entre ces deux parties et l’État (représenté par l’Institut d’assurance sociale). Ainsi, les salariés qui refusent systématiquement de coopérer avec leur employeur en vue de la mise en œuvre d’un plan de réinsertion courent le risque d’être licenciés. Cette mesure a nécessité une réforme du droit du travail, puisque jusqu’alors, il était interdit de licencier un salarié pendant les deux années suivant le début de son invalidité [20]. En cas de manquement avéré à leurs obligations, les employeurs s’exposent à une prolongation d’un an de la période pendant laquelle ils doivent verser des prestations de maladie. Quant aux salariés, ils risquent une suspension de leurs prestations d’invalidité et, finalement, un licenciement.
61En 2003, la première cohorte de salariés en arrêt maladie dans le cadre de ce nouveau dispositif est parvenue au terme du délai d’attente à respecter avant de déposer une demande de prestations d’invalidité. Au cours de cette année, 0,9 % de la population active a déposé une demande, soit le chiffre le plus faible depuis 1967, en baisse de 30 % par rapport à 2002. Comme le montre la figure 2, cette baisse a été plus marquée chez les femmes que chez les hommes.
Outre l’introduction de ce suivi personnalisé des salariés en maladie de longue durée, deux autres facteurs ont peut-être contribué à cette forte baisse. Premièrement, comme indiqué précédemment, c’est en 2003 que, pour la première fois, les cotisations d’assurance à taux modulé sont devenues pleinement effectives. Deuxièmement, le ralentissement de l’économie s’est peut-être traduit par une baisse de l’absentéisme et du nombre de personnes en longue maladie.
Projets de réforme
62Se fondant sur les recommandations publiées en mai 2001 par un Comité consultatif national sur l’invalidité, le gouvernement a déposé une série de projets de loi, actuellement en discussion au Parlement. Ils prévoient une réforme radicale du régime d’assurance invalidité, près de quarante ans après sa création :
- les prestations seraient réservées aux personnes reconnues définitivement et sévèrement handicapées ;
- l’invalidité partielle relèverait d’un dispositif de subvention des salaires distinct, qui couvrirait les personnes ayant perdu plus de 35 % de leur capacité de gain mais ne pouvant être considérées comme définitivement et sévèrement handicapées. Le gouvernement propose de compenser 70 % de la perte de revenu des personnes qui reprennent une activité mais perçoivent une rémunération inférieure à leur ancien salaire. La loi ferait obligation aux entreprises de souscrire une assurance pour financer cette compensation ;
- les personnes qui ne peuvent pas recommencer à travailler pour leur ancien employeur et ne peuvent pas trouver d’emploi dans une autre entreprise pourraient percevoir des prestations d’assurance chômage. Après épuisement de leurs droits, qui représentent 70 % de leur salaire, les chômeurs en invalidité partielle auraient droit à une allocation égale à leur taux d’invalidité multiplié par 70 % du salaire minimum. Si, après octroi de cette allocation, le revenu du foyer est inférieur au « minimum social », ils pourraient prétendre à une allocation complémentaire en fonction des revenus de leur conjoint ;
- les personnes appartenant au deuxième groupe (subissant une perte de leur capacité de gain inférieure à 35 %) pourraient être aidées par leur employeur pour conserver leur emploi. En cas de chômage, elles seraient considérées comme tous les autres chômeurs et finiraient, le cas échéant, par percevoir des prestations d’aide sociale sous condition de ressources ;
- le gouvernement espère que ces deux dispositifs permettront à eux deux de réduire de deux tiers le nombre d’attributions de prestations d’invalidité. Le taux de remplacement des prestations versées aux personnes souffrant d’un handicap sévère et définitif ne passerait à 75 % du salaire avant impôt que si le nombre d’attributions baisse de manière significative ;
- comme indiqué précédemment, la période d’attente à respecter avant de déposer une demande de prestations d’invalidité est passée d’un à deux ans depuis 2004. Les employeurs doivent donc indemniser leurs salariés malades pendant plus longtemps, mais, parallèlement, cela réduit la charge des cotisations à taux modulé.
Les enseignements à tirer de l’expérience néerlandaise
63Tout d’abord : l’assurance invalidité est souvent utilisée comme dispositif pour accompagner l’évolution de la société. L’augmentation du nombre de femmes bénéficiant de prestations d’invalidité en est une bonne illustration : le régime invalidité a permis à la famille néerlandaise de passer du schéma traditionnel, reposant sur une source de revenu unique, au schéma moderne, dans lequel les deux membres du couple perçoivent un revenu. Ce constat vaut également pour les pays d’Europe orientale, où les prestations d’invalidité facilitent le passage à l’économie de marché. Le recours au régime d’assurance invalidité comme dispositif « déguisé » d’accueil des enfants ou d’indemnisation du chômage présente cependant un inconvénient : il dissimule le manque de mesures ciblées, présentant un bon rapport coût-efficacité et retarde leur introduction, alors que dans le même temps, naissent d’énormes engagements financiers non provisionnés du fait que la durée moyenne de service des prestations d’invalidité est longue. Les Pays-Bas offrent un bon exemple de l’ampleur de ces engagements et des problèmes politiques que pose toute réforme d’un régime d’invalidité accordant la priorité à l’amélioration du revenu.
64Toutefois, depuis 1993, le vieillissement de la population a contraint le gouvernement néerlandais à adopter une série de réformes radicales et, nombre de ces réformes se sont révélées efficaces. La stratégie consistant à faire assumer les risques invalidité et maladie à la partie la mieux placée pour influer sur ces risques – l’entreprise –, en particulier, a porté ses fruits. Reste que la gestion de l’assurance sociale par le secteur privé doit être réglementée afin de garantir un équilibre entre rentabilité économique et objectifs sociaux d’un régime d’assurance invalidité. Le fait que la récente loi destinée à favoriser la réinsertion professionnelle et la prévention de l’invalidité de longue durée ait fortement contribué à limiter l’absentéisme en apporte la preuve.
65Enfin, les spécificités du régime d’assurance invalidité néerlandais constituent également ses faiblesses. En 1967, les Pays-Bas ont choisi de regrouper le régime d’assurance invalidité et le régime d’assurance accident du travail, en se basant sur le plus généreux des deux (l’assurance accident du travail) pour élaborer un dispositif couvrant l’invalidité en général, quelle qu’en soit la cause. À l’instar de l’assurance accident du travail, l’assurance invalidité a défini sept catégories d’invalidité mais de plus en plus de pathologies mal définies ont été invoquées, ce qui a contribué à affaiblir le dispositif et à le rendre ingérable. À cet égard, le projet actuel, qui consiste à ne couvrir que les personnes ayant perdu la quasi-totalité de leurs capacités de travail semble être une étape logique dans le cadre de la réforme néerlandaise.
Panorama de la législation adoptée en matière d’assurance invalidité et maladie, résultats et faits marquants

Notes
-
[*]
Philip R. de Jong : membre associé d’APE (La Haye), titulaire d’une chaire en économie des assurances sociales à l’université d’Amsterdam (Pays-Bas).
Edwin L. deVos : consultant et chercheur au département travail et emploi de TNO(Pays-Bas). -
[1]
Cette définition statistique est celle retenue par l’Institut national néerlandais de la statistique (CBS, CBS-Arbeidsgehandicaptenmonitor 2003, qui doit être publié en 2005). Dans le paragraphe 5.5, nous retenons une autre définition des « Arbeidsgehandicapten », à savoir la population visée par la loi de 1998 sur la réinsertion des personnes handicapées (REA). Si l’on retient cette définition, la population handicapée professionnellement comprend 250 000 personnes de moins que la population se déclarant elle-même inapte au travail, décrite dans ce chapitre.
-
[2]
Il existait un autre régime, couvrant les travailleurs non salariés mais il a été supprimé à compter de juillet 2004.
-
[3]
En 2005, le montant annuel avant impôt du salaire minimum est de 16 442,24 euros.
-
[4]
La durée d’ouverture des droits aux indemnités de chômage contributives versées à taux réduit est limitée en fonction de la durée pendant laquelle l’intéressé a travaillé et est plafonnée à cinq ans. Après épuisement des droits, une allocation d’aide sociale peut être servie en sus des prestations d’invalidité à taux partiel, à concurrence du minimum social auquel la famille peut prétendre. Cette allocation est soumise à conditions de ressources.
-
[5]
Aux Pays-Bas, les régimes de préretraite n’ont pas de base légale. Ils ont été créés par les conventions collectives conclues entre les partenaires sociaux en 1975. Du fait de leur montée en puissance spectaculaire et du vieillissement de la population, qui s’accompagne d’une baisse des rentrées fiscales et d’une hausse des dépenses des régimes par répartition, il a fallu réformer ces régimes dont l’équilibre actuariel n’était pas assuré. La plupart d’entre eux (issus de négociations collectives) sont actuellement transformés en régimes provisionnés, offrant une certaine souplesse et liant plus étroitement cotisations et droits à pension. Ces réformes risquent fort d’inciter les salariés à se tourner vers une indemnisation au titre de l’invalidité de préférence à la préretraite.
-
[6]
Transforming Disability into Ability, Paris, OCDE, 2003.
-
[7]
Le montant « total » recouvre les prestations d’invalidité, les indemnités de maladie et d’accident du travail.
-
[8]
Le nombre de bénéficiaires est exprimé en « équivalents taux plein » (c’est-à-dire après correction pour tenir compte des bénéficiaires en invalidité partielle).
-
[9]
En 1976, le régime a été étendu, pour couvrir les personnes devenues invalides avant d’être en âge de travailler et les non-salariés. Les chiffres cités en valeur absolue ne sont pas corrigés pour tenir compte des personnes percevant des prestations à taux partiel.
-
[10]
La figure 1 a été élaborée sur la base de données de l’Institut d’assurance sociale (Kroniek der sociale verzekeringen, UWV) et de l’Institut national de la statistique (CBS, Statline).
-
[11]
Philip de Jong et Vincent Thio, « Donner versus Veldkamp », APE report 53, octobre 2002 (en néerlandais).
-
[12]
Perspectives de l’emploi de l’OCDE, Paris, 2002, p. 69.
-
[13]
Cette obligation de recours à un organisme de médecine du travail privé a été supprimée avec effet à compter de juillet 2005. À compter de cette date, il appartiendra à l’entreprise ou à sa compagnie d’assurance maladie de déterminer quels services sont nécessaires pour prévenir et gérer l’absentéisme.
-
[14]
T.J. Veerman en J.J.M. Besseling, Prikkels en privatisering, La Haye, EBI, 2001, p. 60.
-
[15]
T.J. Veerman, E.I.L. M. Schellekens, J.F.L.M.M. Dagevos, J.A. Duvekot, F. Marcelissen. P.G.M. Molenaar-Cox, Werkgevers over ziekteverzuim, Arbo en reïntegratie, La Haye, EBI, 2001, p. 22-27.
-
[16]
Ph. R. de Jong et M. Lindeboom, « Privatisation of Sickness Insurance : Evidence from the Netherlands », Swedish Economic Policy Review, 11 (2004), p. 11-33.
-
[17]
Pierre Koning, « Estimating the impact of experience rating on the inflow into disability insurance in the Netherlands », CPB Discussion Paper n° 37, La Haye, CPB, Netherlands Bureau for Economic Policy Analysis, août 2004.
-
[18]
Le public décrit ci-dessus dans « Les régimes actuels d’assurance maladie et invalidité », regroupant des personnes qui se sont déclarées handicapées dans le cadre d’une enquête nationale, est sans aucun doute plus nombreux. La différence s’explique par le fait que les données collectées dans le cadre de cette enquête et citées dans cette même partie tiennent compte de l’ensemble de la population active, y compris les personnes sans emploi et sans expérience professionnelle, celles qui travaillent en atelier protégé, les travailleurs non salariés handicapés depuis peu, les anciens bénéficiaires de prestations d’invalidité dont les droits ont été supprimés depuis plus de cinq ans (E. L. de Vos et C. Smitkam, Routekaart naar subsidies en sancties bij reïntegratie, deel 3, Stecr Platform Reíntegratie, 2005).
-
[19]
G.J.M. Jehœl-Gijsbers et C.G.L. van Deursen, Reïntegratie bij arbeidsongeschiktheid, Amsterdam : UWV, 2003.
-
[20]
Une comparaison entre dix pays européens, les États-Unis et le Japon montre que la législation concernant la protection de l’emploi pendant une période de maladie reste (encore) beaucoup plus protectrice aux Pays-Bas que dans les douze autres pays (H. Bakkum et S. Desczka, De Nederlandse WAO in internationaal perspectief, La Haye, ministère des Affaires sociales et de l’Emploi, Werkdocument n° 241, 2002, p. 15-16).