Introduction
1L’existence de services et dispositifs d’aide à l’emploi ciblant spécifiquement les personnes handicapées est fortement ancrée dans la tradition des politiques de l’emploi des pays européens. Cet article avance quelques éléments d’explication. Reste qu’aujourd’hui, la question de savoir si ces dispositifs spécialisés facilitent réellement l’accès à l’emploi et le maintien dans l’emploi des personnes handicapées est de plus en plus controversée.
2Le terme « mainstreaming » est entré dans le vocabulaire des différentes politiques depuis que la Commission européenne a affirmé son engagement en faveur de cette approche, fondée sur l’idée que les questions relatives au handicap doivent être prises en compte dans toutes les politiques. Le principe de mainstreaming s’oppose à la création de structures spécifiques pour les personnes handicapées et préconise l’élimination de la discrimination sur le marché du travail (Commission des Communautés européennes, 1996, 1998). À l’origine, l’objectif était de faire en sorte que les personnes handicapées disposent « du même accès aux services que l’ensemble de la population [tout en garantissant] que ces services soient fournis de telle sorte que les besoins spécifiques des personnes handicapées sont reconnus et pris en compte » (Commission des Communautés européennes, 1998). Toutefois, du fait des compromis consentis lors de la négociation de la directive européenne portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, qui vise à appliquer le principe d’égalité de traitement aux domaines de l’emploi et de la formation professionnelle et proscrit toute discrimination fondée, entre autres, sur le handicap, l’existence de dispositifs réservés aux personnes handicapées demeure légitime.
3Le concept de mainstreaming est étroitement lié au modèle social du handicap, auquel le Conseil de l’Union européenne et les États membres ont affirmé leur attachement dans une résolution sur l’égalité des chances pour les personnes handicapées. L’engagement de la Commission en faveur du modèle social apparaît très clairement dans une communication de 2003 dans laquelle elle déclare que les difficultés des personnes handicapées et la discrimination dont elles font l’objet sont des « phénomènes créés par la société, qui ne sont pas directement liés au handicap en soi » et « résultent de structures, pratiques et comportements qui empêchent la personne d’exercer ses capacités ». Elle ajoute que la rupture avec le modèle médical du handicap constitue une « réorientation décisive de la perspective » (Commission européenne, 2003). À travers cette communication, la Commission marque une certaine distance par rapport à la notion de « besoins spécifiques » des handicapés, à laquelle elle faisait référence en 1998.
Dans cet article, nous essaierons d’abord de comprendre pourquoi il existe des dispositifs pour l’emploi ciblant spécifiquement les personnes handicapées. Nous présenterons ensuite un panorama des dispositifs, spécialisés ou non, en place en Europe. Nous évoquerons également l’importance croissante de nouveaux programmes réservés aux bénéficiaires de prestations d’invalidité, en nous intéressant plus particulièrement au Royaume-Uni.
Raisons du maintien de dispositifs spécialisés
4Le maintien de dispositifs s’adressant spécifiquement aux personnes handicapées s’explique par plusieurs facteurs.
5Le premier est historique. Nombre de dispositifs de réadaptation professionnelle réservés aux personnes handicapées ont été créés pendant les périodes d’après-guerre. Beaucoup de pays européens ont institué ces programmes pour les victimes de guerre, d’une part pour qu’elles puissent rapidement retravailler et pallier la pénurie de main-d’œuvre de l’après-guerre et, d’autre part, à titre de réparation du préjudice que la société leur avait fait subir. Des établissements spéciaux ont vu le jour pour accueillir les victimes de guerre affluant en grand nombre, et des institutions spécifiques – par exemple les ministères chargés des anciens combattants – ont été mises en place.
6L’adoption de législations destinées à promouvoir et à protéger l’emploi des personnes handicapées (par exemple les quotas d’emploi) est également une conséquence de la guerre et remonte bien souvent aux périodes d’après-guerre. Les systèmes qui associent quotas et taxes, dans lesquels les fonds collectés sont exclusivement affectés à la réinsertion des personnes handicapées introduisent un élément de ségrégation supplémentaire.
7Deuxième élément d’explication : la montée en puissance des associations. Des associations se sont créées pour défendre les intérêts des personnes présentant tel ou tel handicap (non-voyants, sourds, personnes souffrant de lésions de la colonne vertébrale ou de déficits intellectuels). Dans de nombreux pays, elles sont devenues à la fois d’importants prestataires de services pour l’emploi et des lobbies. Parallèlement, les associations professionnelles représentant les acteurs économiques du marché du handicap se sont mises à défendre leur pré carré.
8Bien que le modèle social du handicap ait fait son chemin, le modèle médical continue de prévaloir. L’idée selon laquelle l’insertion professionnelle des personnes handicapées passe obligatoirement par une approche et des actions spécifiques reste très prégnante. Il est très rare que les politiques nationales définissent les besoins en tenant compte d’autres caractéristiques ou éléments de la situation de la personne handicapée et de leur incidence sur l’emploi (femmes voulant retravailler après une interruption pour élever un enfant, jeunes sans expérience cherchant à s’insérer sur le marché du travail, chômeurs de longue durée ayant besoin d’une remise à niveau…). Dans la plupart des pays, le handicap est considéré comme un besoin en lui-même, indépendamment de toute autre considération. À noter cependant que le programme européen EQUAL repose sur une mixité des publics, alors que ceux dont il prend le relais ciblaient des catégories spécifiques, par exemple les personnes handicapées (HORIZON), les femmes ou les jeunes.
9Reste qu’aujourd’hui encore, de nouveaux dispositifs s’adressant spécifiquement aux handicapés continuent d’être mis en place. À cet égard, l’exemple du Royaume-Uni, où il existe désormais des dispositifs d’aide au retour à l’emploi réservés aux bénéficiaires de prestations d’invalidité, est édifiant. L’établissement d’une ségrégation sur la base de la nature des prestations servies renforce encore la spécialisation des dispositifs. Au Royaume-Uni – nous l’évoquerons plus longuement dans la dernière partie de cet article – les besoins des professionnels chargés de la mise en œuvre de ces services semblent prévaloir sur la question de savoir si ces dispositifs spécialisés servent ou non les intérêts du public qu’ils visent. Dans un contexte de montée en puissance de l’approche individualisée, les référents (« case managers ») chargés de conseiller, soutenir et guider le public dans le labyrinthe des dispositifs d’aide à l’emploi éprouvent des difficultés à faire face à la diversité et à la complexité des situations individuelles qu’ils ont en charge. C’est pourquoi la mise en place d’un dispositif spécifique – de préférence à une prise en charge dans le cadre des dispositifs destinés à l’ensemble des demandeurs d’emploi – a été perçue comme une solution possible.
10Le principal argument contre l’instauration de programmes spécifiques se fonde sur la notion de droits : les personnes handicapées ont les mêmes capacités que les autres, pour peu que l’on abolisse les barrières sociales qui font obstacle à leur participation à la vie économique. Autres arguments avancés : le fait qu’il pourrait être dévalorisant pour les personnes handicapées d’être associées à des dispositifs spécifiques ou encore que leur participation à ces programmes les conduirait – ainsi que leurs employeurs potentiels – à ne plus évaluer leurs capacités réelles (van Lin et al., 2002). En l’état actuel de la recherche, rien ne permet de confirmer ou d’infirmer ces hypothèses. En réalité, on sait très peu de chose sur l’option – dispositif spécialisé ou non – qui remporte la faveur des personnes handicapées.
Abstraction faite des arguments idéologiques et des préférences personnelles, il n’existe actuellement pas d’éléments scientifiques permettant de démontrer la supériorité, en termes d’efficacité, d’une option par rapport à l’autre. Dans les pays où les deux approches coexistent, rien ne permet de déterminer laquelle est la plus efficace des deux ; il n’existe parfois même pas d’outils fiables pour évaluer l’efficacité de tel ou tel dispositif. Bien souvent, les conditions de participation diffèrent d’un dispositif à l’autre, de sorte que le public n’est pas comparable. De plus, dans certains pays – par exemple au Royaume-Uni – les participants sont parfois sélectionnés et orientés selon des critères discrétionnaires, ce qui rend les comparaisons difficiles.
Panorama européen des dispositifs, spécialisés ou non
11Quels dispositifs d’aide à l’emploi réservés aux handicapés existe-t-il et quel taux de participation affichent-ils ? Comment se situent-ils, en termes de prévalence et de taux de participation, par rapport aux dispositifs non spécialisés ? Peut-on identifier des tendances et, dans l’affirmative, lesquelles ? Autant de questions auxquelles nous essaierons d’apporter des éléments de réponse dans cette partie, en nous appuyant sur des études comparatives et en attachant une importance particulière aux approches adoptées au Royaume-Uni.
Dispositifs spécialisés
12Le nombre de dispositifs, leur distribution et leur importance en termes de taux de participation par rapport à la population active diffèrent considérablement d’un pays à l’autre.
13Une étude portant sur les quinze États membres de l’Union européenne et réalisée à partir de données relatives à l’année 1998 ou 1999 (Lin et al., 2002), démontre que tous les pays avaient mis en œuvre au minimum cinq de leurs six catégories de dispositifs spécifiques financés par des fonds publics. Sept pays dont la France avaient même mis en œuvre les six. L’interprétation des données variant en fonction de leur catégorisation, l’étude suédoise de Bergeskog (2001) a débouché sur des conclusions assez différentes. Bergeskog a comparé la participation aux différents programmes publics nationaux en vigueur dans onze pays de l’OCDE (France non comprise) [1]. Son étude porte sur l’emploi aidé, accompagné et protégé, sur les systèmes de quotas d’emploi et d’accès préférentiel à l’emploi ainsi que sur les stages, la formation professionnelle, la réadaptation professionnelle et la création d’emplois publics. L’analyse des résultats démontre que le Royaume-Uni a peu de dispositifs spécifiques mais se distingue des autres pays par la forte priorité qu’il accorde à l’emploi protégé/accompagné. Au Royaume-Uni, sur dix personnes participant à un dispositif d’aide à l’emploi spécialisé, neuf occupent un emploi protégé ou accompagné ; 7 % du public bénéficiant d’un dispositif suit une réadaptation professionnelle (Work Preparation) et 2 % bénéficie d’une mesure d’emploi aidé.
14Dans le cadre d’une étude sur les relations entre prestations d’invalidité et politiques de l’emploi (OCDE, 2003), l’OCDE a comparé les données recueillies dans vingt pays [2] concernant trois dispositifs destinés aux personnes handicapées : l’emploi aidé, l’emploi accompagné et l’emploi protégé. L’analyse des taux de participation est particulièrement révélatrice : pour 1999, le taux de participation à l’ensemble de ces programmes par rapport à la population active va de 16,2 pour mille en Suède à seulement 0,2 pour mille au Portugal, le taux moyen s’établissant à 5,2. La France arrive en troisième position, avec 9,5 pour mille. Le Royaume-Uni est parmi les pays où le taux de participation est le plus faible (1,2 pour mille), même s’il manque certaines données et si les chiffres ne tiennent pas compte des très nombreux emplois protégés et aidés qui ne bénéficient pas d’un financement public (voir Arksey et al., 2002).
15D’après l’OCDE, c’est la Suède, puis la France qui enregistrent le plus fort taux de participation en ce qui concerne l’emploi aidé. Bien que la logique qui sous-tend le versement aux employeurs de subventions aux salaires ne soit pas toujours explicitée, il y a tout lieu de penser que ces subventions sont censées inciter les employeurs à recruter une personne handicapée de préférence à une personne non handicapée, contribuer aux frais d’aménagements et d’adaptation à l’emploi ou encore compenser la moindre productivité des personnes handicapées (Thornton et Lunt, 1995, 1997). Dans certains pays, ces subventions ne peuvent être versées qu’aux employeurs de personnes reconnues inaptes au travail alors que dans d’autres – en France par exemple – elles peuvent être octroyées au titre de personnes dont le handicap est reconnu mais n’affecte pas nécessairement l’aptitude au travail. Ces subventions peuvent être temporaires, variables ou définitives. L’étude de l’OCDE distingue trois approches différentes : subventions dégressives dans le temps, subventions variant en fonction de l’évolution du taux de handicap ou (dans quatre pays dont la France et la Belgique) subventions définitives ou régulièrement renouvelables. Il est difficile de comprendre ce qui justifie le paiement de subventions définitives, sauf dans les cas où le salarié handicapé a besoin d’un soutien constant sur son lieu de travail ou si l’écart entre ce qu’il est en mesure de faire et les exigences de son poste entraîne des coûts salariaux supplémentaires pour l’employeur. Il est également possible que les subventions définitives contribuent à protéger un emploi lorsque la législation du travail est peu protectrice pour les personnes handicapées.
16Comparativement aux autres pays, le Royaume-Uni est un cas atypique, dans la mesure où la régulation du marché de l’emploi ne passe pas par un recours massif à des mécanismes d’incitation financière en direction des employeurs. La Disabled Person’s Employment Act de 1944, première loi relative à l’emploi des personnes handicapées en Angleterre, qui instituait un système de quotas d’emploi abandonné depuis lors, était sous-tendue par le principe selon lequel les personnes handicapées doivent être recrutées en fonction de leur mérite, sur la base d’une égalité de concurrence. Une réforme opérée en 1956 a rejeté le principe de versement de subventions aux employeurs, qui aurait sous-entendu que les personnes handicapées sont moins compétentes que les autres et favorisé l’emploi sous-payé. Les opposants les plus virulents aux subventions avancent qu’elles pourraient être interprétées par les employeurs comme le signe d’une moindre compétence des personnes handicapées, remettant en cause le principe d’égalité du droit au travail (Lonsdale, 1985). Introduites dans les politiques de l’emploi, pour les personnes les plus désavantagées en termes d’accès à l’emploi et de maintien dans l’emploi, les subventions aux salaires sont actuellement progressivement supprimées au bénéfice de mesures de tutorat ou d’accompagnement sur le lieu de travail. Il existe cependant un dispositif d’importance très marginale qui subventionne les salaires pendant les six semaines suivant l’embauche ; son existence est justifiée par le fait qu’il constitue un moyen de mettre en valeur les compétences des personnes handicapées et leurs capacités à faire face à n’importe quel problème pratique. Cette philosophie rappelle le message politique, qui date de 1950, selon lequel employer des personnes handicapées est une bonne stratégie du point de vue économique.
17D’après l’OCDE, en Pologne et aux Pays-Bas, pas moins de 1 % de la population active travaille dans le secteur protégé, contre à peine moitié moins en Suède et en Suisse. En France, cette proportion est d’un peu plus de trois pour mille. C’est au Portugal qu’elle est la plus faible, à 0,1 pour mille. Toutefois, une autre étude, portant sur les quinze États membres de l’Union européenne, dresse un tableau tout à fait différent (van Lin, 2002), ce qui montre à quel point il est difficile de recueillir et catégoriser des données de manière fiable. D’après cette étude, 4 % de la population active française travaille dans des ateliers protégés ; les Pays-Bas détiennent le record, à 11,5 %.
D’après une étude de 1996 portant sur les politiques de dix-huit pays (Thornton et Lunt, 1996), près de la moitié des quinze États membres de l’Union européenne se sont orientés vers un renforcement du secteur protégé, en particulier la France, le Portugal et l’Espagne. Le rapport de l’OCDE, plus récent, souligne qu’il n’y a pas de signes de recul du secteur protégé, même si la majorité des pays sont en faveur de son remplacement par des mesures d’accompagnement de l’emploi, en d’autres termes en faveur de l’emploi des personnes handicapées en milieu ouvert (OCDE, 2003, p. 114). L’OCDE ne fait pas mention des systèmes qui soutiennent les établissements du secteur protégé. En France, par exemple, les employeurs peuvent en partie remplir leur quota d’emploi en concluant des contrats d’achat ou de services avec des ateliers protégés ou des centres d’aide par le travail (CAT).
Parmi les pays pour lesquels l’OCDE disposait d’informations, seule l’Australie affiche un taux de participation plus élevé aux dispositifs d’accompagnement de l’emploi qu’aux dispositifs de travail en milieu protégé. Cela vaut également pour le Royaume-Uni [3] : dans la deuxième moitié des années quatre-vingt-dix, l’emploi accompagné a devancé l’emploi protégé en termes de taux de participation. Ce changement de cap du Royaume-Uni a principalement été motivé par un problème de coût, les emplois accompagnés coûtant beaucoup moins cher que les ateliers protégés, comme l’a confirmé une étude coût-bénéfice réalisée en 2001 (Beyer et al., 2003). Au contraire, aux États-Unis, le soutien de l’emploi accompagné se fait, très clairement, au nom d’une philosophie de promotion des droits et de l’intégration. Cette démarche peut être assimilée à un mouvement national de défense des droits civils, mené par des personnes lourdement handicapées qui ont été exclues, dévalorisées et privées de leurs droits sur la base de leur manque de compétences professionnelles (Wehman, 1988, p. 357).
Dispositifs ordinaires
18Observant l’évolution des politiques appliquées par les États membres de l’Union européenne depuis 1998, van Lin et al. (2001) notent que certains pays se détournent de politiques ciblant des groupes spécifiques en faveur d’une approche reposant sur l’intégration des personnes handicapées à des dispositifs ordinaires. À cet égard, la Belgique, la Grèce et les Pays-Bas sont cités en exemple. En revanche, la tendance inverse est observée en Autriche et en Irlande, pays qui maintiennent ou instituent des mesures spécifiquement destinées aux personnes handicapées.
19Bergeskog (2001) fournit des données sur la participation des personnes handicapées aux dispositifs visant tous les demandeurs d’emploi et démontre que seuls trois pays – dont le Royaume-Uni – n’ont pas de systèmes de formation professionnelle réservés aux personnes handicapées. Au Royaume-Uni, le système de formation professionnelle est le dispositif ordinaire auquel les personnes handicapées ont le plus recours, suivi de près par les programmes du New Deal en faveur des chômeurs de longue durée âgés de 18 à 24 ans et de plus de 25 ans. Sur trois personnes bénéficiant du New Deal en faveur des plus de 25 ans, une se définit elle-même comme handicapée ; cette proportion est de 12 % pour les bénéficiaires du New Deal en faveur des 18-24 ans.
Bergeskog (2001) souligne fort utilement que certains pays sont incapables de fournir des statistiques sur le nombre de personnes handicapées qui participent aux dispositifs ordinaires du fait qu’elles ne font pas l’objet d’une identification spécifique dans les dossiers administratifs. Van Lin et al. (2002) font le même constat en ce qui concerne l’évaluation de l’efficacité des mesures pour les personnes handicapées. Ces observations amènent à poser une question de principe, en l’occurrence celle de savoir s’il est bon d’isoler, parmi les participants à des dispositifs d’aide à l’emploi, ceux qui sont handicapés. Il est en effet permis de se demander s’il serait cohérent de distinguer les personnes handicapées des autres participants à ces dispositifs, alors que l’objectif de leur participation est justement de permettre leur intégration, de réduire les différences et la stigmatisation. D’un autre côté, cette distinction pourrait se justifier par un principe d’équité : il s’agirait alors de s’assurer du respect d’une parité entre les personnes handicapées et les autres. Le Royaume-Uni identifie les personnes handicapées qui participent aux programmes ordinaires parce qu’un accord triennal, renouvelé récemment, fixe un objectif de réduction substantielle de la différence entre le taux d’emploi de la population handicapée et celui de la population générale, compte tenu de facteurs conjoncturels (Secretary of State for Work and Pension, 2005).
L’exemple du Royaume-Uni
20Comme indiqué précédemment, par rapport aux autres pays européens, le Royaume-Uni compte peu de dispositifs d’aide à l’emploi spécifiquement destinés aux personnes handicapées. Parmi ces dispositifs, l’emploi accompagné et le travail en milieu protégé occupent une place prépondérante, même s’ils restent marginaux comparativement aux autres pays d’Europe. La création de ces mécanismes et du programme de réadaptation professionnelle de courte durée baptisé Work Preparation, remonte à la fin de la deuxième guerre mondiale. Ils ont été réformés au fil du temps, les réformes les plus marquantes étant la mise en concurrence des prestataires de services de réadaptation professionnelle et l’évolution vers l’emploi accompagné en milieu ordinaire dans le cadre de WORKSTEP, un programme qui panache emploi accompagné et emploi protégé. Il existe également un dispositif, qui n’a pas été évoqué jusqu’à présent, s’adressant essentiellement aux personnes handicapées occupant déjà un emploi pour les aider à faire face à leurs frais de transport, d’assistance et d’aménagement de leur environnement.
21Les demandeurs d’emploi handicapés sont principalement pris en charge via des programmes de formation tous publics et les programmes du New Deal visant la réinsertion professionnelle avec accompagnement par un référent. Normalement destinés aux chômeurs de longue durée, ces programmes sont ouverts aux personnes handicapées sans obligation de durée de chômage. Les programmes du New Deal ayant apporté la preuve de leur efficacité en termes de réduction du chômage et d’amélioration des taux d’emploi, le Gouvernement a récemment annoncé un nouveau plan quinquennal qui fixe un objectif de taux d’emploi de 80 % (soit une progression de 5 points), un taux jamais atteint (Secretary of State for Work and Pensions, 2005). Les groupes ciblés par ce plan sont les demandeurs de prestations de parent isolé et les bénéficiaires de prestations d’invalidité.
Avant l’accession au pouvoir du Gouvernement du New Labour, en 1997, il n’existait pas de dispositif de retour à l’emploi spécifiquement destiné aux personnes handicapées. La politique de l’emploi reposait sur l’opposition apte/inapte et, comme l’ont noté les porte-parole du Gouvernement, les personnes inaptes sortaient du marché du travail pour bénéficier de prestations à vie. Le New Labour prône l’intégration sociale et défend l’idée selon laquelle le travail est la meilleure voie pour sortir de la pauvreté. Il convient également de signaler deux autres dispositifs, qui ne sont évoqués ni par l’OCDE (2003), ni par Bergeskog (2001) : les entretiens axés sur l’emploi (« workfocused interviews ») menés par le Service public de l’emploi lors du dépôt d’une demande de prestations d’invalidité et le New Deal for Disabled People. Le New Deal for Disabled People permet aux bénéficiaires de prestations d’invalidité qui le souhaitent de bénéficier, en vue d’un retour à l’emploi, des services d’un prospecteur placier (« job broker ») travaillant sur la base d’une relation contractuelle avec l’État et avec lequel elles entrent en contact directement ou sur les conseils du Service public de l’emploi.
Les entretiens axés sur l’emploi
22La genèse de ces entretiens est révélatrice de l’incapacité du Service public de l’emploi à intégrer les personnes handicapées à des dispositifs d’aide tous publics.
23Un entretien obligatoire existait déjà pour les demandeurs d’emploi – handicapés ou non – déposant une demande d’indemnités de chômage. Une expérience pilote a alors été tentée : un conseiller devait recevoir des demandeurs de prestations d’invalidité ainsi que d’autres demandeurs d’emploi et personnes sans activité professionnelle pour faire le point sur leurs perspectives professionnelles. Or, le bilan de cette expérience (aussi bien sur les sites pilotes que sur ceux qui ont suivi), qui associait accompagnement du retour à l’emploi et conseils en matière de prestations, a révélé que les conseillers ne parvenaient pas à établir une relation avec les demandeurs de prestations d’invalidité.
24Habitués à intervenir auprès de personnes sollicitant divers types de prestations, ils craignaient de choquer les bénéficiaires de prestations d’invalidité en évoquant la question du travail, manquaient d’assurance vis-à-vis d’eux et se plaignaient d’une insuffisance de moyens. Ils étaient particulièrement mal à l’aise à l’idée de devoir parler de travail avec des personnes souffrant de troubles mentaux et de devoir leur poser des questions sur leur état de santé. Ils manquaient d’information et de soutien extérieur face à cette catégorie d’usagers.
25Le Gouvernement a réagi par la mise en place d’une formation destinée à former des conseillers spécialistes de l’accueil des demandeurs de prestations d’invalidité. L’approche généraliste, voulant qu’un conseiller intervienne auprès de toutes les catégories de demandeurs de prestations, a donc progressivement perdu du terrain. Depuis, d’autres expériences pilotes, dans lesquelles l’entretien est réservé aux personnes qui sollicitent des prestations d’invalidité ont été lancées. L’expérience couvre maintenant un tiers du territoire et un programme d’orientation politique publié récemment propose de l’étendre à l’ensemble du pays (Secretary of State for Work and Pensions, 2005). À noter que ce programme propose un renforcement de la conditionnalité : les personnes qui participeraient aux entretiens percevraient des prestations majorées, tandis que celles qui refuseraient d’y participer (alors qu’elles en sont jugées capables) percevraient des prestations ramenées au minimum versé aux chômeurs inscrits comme demandeurs d’emploi.
Jusqu’à présent, les études menées auprès des bénéficiaires de prestations d’invalidité ayant participé aux entretiens ne permettent pas de déterminer clairement auquel des deux systèmes – spécialisé ou ordinaire – ils sont le plus favorables. Il apparaît simplement qu’ils apprécient les conseillers autant que les conseillers spécialistes du handicap, dès lors qu’ils font preuve d’empathie à leur endroit. À noter toutefois que les études financées par le Gouvernement ne demandent pas directement aux personnes interrogées de s’exprimer par rapport au type de système – spécialisé ou ordinaire – qu’elles préfèrent.
New Deal for Disabled People
26Le New Deal for Disabled People a été mis en place sur douze sites pilotes avant d’être généralisé à l’ensemble du pays (toujours en tant que projet pilote). À l’instar des autres programmes du New Deal, il s’adresse aux bénéficiaires d’une prestation spécifique [4]. Réservés aux bénéficiaires de prestations d’invalidité, les services sont fournis par des organisations du secteur public, privé et associatif. Quelques organisations interviennent également auprès d’autres catégories de demandeurs d’emploi, mais il y a ségrégation entre les services qu’elles leur proposent et ceux qu’elles offrent dans le cadre du New Deal for Disabled People. Cette ségrégation est liée au système de financement, le Gouvernement passant des contrats distincts en fonction du type de public visé. De ce fait, les bénéficiaires de prestations d’invalidité participant au New Deal for Disabled People ne sont pas mélangés à d’autres catégories de personnes défavorisées sur le marché du travail et ne peuvent donc pas tirer parti d’une expérience commune. Les autres programmes du New Deal sont organisés selon le même schéma : les services sont fournis sur la base de contrats distincts selon les publics visés. Toutefois, certains signes permettent d’espérer que le Gouvernement prévoit de regrouper les différents programmes du New Deal en un seul.
Conclusion
27Malgré la volonté affichée par l’Union européenne, l’intégration des mesures d’aide à l’emploi s’adressant aux personnes handicapées à des dispositifs ordinaires est bien loin d’être une réalité. Si l’on en croit les tendances internationales, il est fort probable que l’orientation prise par le Royaume-Uni, à savoir l’aide au retour à l’emploi des bénéficiaires de pension d’invalidité, sera suivie par d’autres pays européens. De même, les mesures d’activation des politiques de l’emploi adoptées dans d’autres pays d’Europe risquent également d’être imitées par leurs voisins (voir Corden et Thornton, 2002). Ces mesures ciblant des publics différents en fonction du type de prestations perçues, il s’ensuivra probablement une augmentation du nombre de programmes spécialisés en faveur des personnes handicapées. La supériorité des dispositifs spécialisés par rapport aux programmes ordinaires n’est pas établie et il est fort probable – du moins au Royaume-Uni – que l’obligation d’efficacité en termes de gestion des programmes finisse par l’emporter sur la volonté d’intégration des mesures spécialisées dans des programmes ordinaires. La nécessité de disposer de professionnels dotés de compétences généralistes, capables d’identifier les nombreux facteurs qui défavorisent les personnes handicapées sur le marché du travail est peu reconnue.
Notes
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[*]
Chercheure à l’unité de recherche en politique sociale de l’université de York (Royaume-Uni).
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[1]
Australie, Autriche, Finlande, Irlande, Norvège, Nouvelle-Zélande, Pologne, Portugal, République tchèque, Royaume-Uni et Suède.
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[2]
Pays européens : Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, France, Italie, Norvège, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Royaume-Uni, Suède et Suisse. Autres pays : Australie, Canada, Corée, États-Unis, Mexique, Turquie.
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[3]
Pour le Royaume-Uni, l’OCDE indique le taux de participation pour le secteur accompagné mais signale ne pas disposer de ces données en ce qui concerne le secteur protégé, ce qui est très surprenant puisque les secteurs accompagné et protégé font partie du même programme public et que le détail des chiffres est disponible au Royaume-Uni.
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[4]
Il existe aussi des programmes à destination des parents isolés et des personnes de plus de 50 ans, que les intéressés bénéficient ou non de prestations.