CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Contrairement aux numéros précédents, celui-ci n’est pas organisé autour d’un dossier thématique. C’est donc la diversité des champs et des approches qui sera mise en lumière, avec six thèmes essentiels.

L’exclusion bancaire

2Georges Gloukoviezoff aborde un sujet auquel jusqu’à présent la recherche s’est peu intéressée : l’exclusion bancaire. Dans l’article « De la bancarisation de masse à l’exclusion bancaire puis sociale » il s’agit pour lui de montrer en quoi l’exclusion bancaire n’est pas simplement un résultat de la pauvreté et/ou de l’exclusion sociale et comment elle engendre ces deux phénomènes autant qu’elle en résulte. Pour l’auteur, l’exclusion bancaire trouve son origine dans les difficultés que rencontrent les banques et une partie de leur clientèle confrontée à la précarité ou ayant des besoins spécifiques, pour établir une relation permettant la coproduction d’un service adéquat. L’une des hypothèses centrales de cet article est que l’accès aux services bancaires est indispensable pour mener une vie sociale normale. Les sociétés modernes connaissent, en effet, un phénomène d’intensification de la financiarisation des rapports sociaux qui résulte d’un double mouvement de monétarisation de ces rapports et de bancarisation massive de la population. Cette évolution qui donne un rôle social prépondérant aux services bancaires provoque paradoxalement l’appauvrissement de ceux qui éprouvent des difficultés à y accéder ou à les utiliser à bon escient. L’exclusion bancaire participe ainsi au processus plus large d’exclusion sociale.

L’insertion professionnelle et sociale

3L’attention des auteurs s’est portée sur deux groupes qui connaissent des difficultés particulières d’insertion professionnelle : les jeunes et les personnes handicapées. Ils se placent à des moments différents de la vie de ces personnes, alors qu’un premier article évalue un système d’aide destiné à des jeunes encore en formation, un second se penche sur les modalités d’une bonne insertion de salariés handicapés dans l’entreprise.

4Ainsi Katia Julienne et de Murielle Monrose s’interrogent sur « Le rôle des fonds d’aides aux jeunes dans l’insertion sociale et professionnelle des jeunes en difficulté ». Ce dispositif s’adresse à des jeunes de 18 à 25 ans en difficulté et fournit essentiellement des aides financières ponctuelles. Les entretiens sur lesquels est basé cet article, montrent que le FAJ constitue une aide indispensable, même si son montant est généralement modeste, pour permettre au jeune qui en bénéficie, de continuer à suivre son cursus universitaire s’il est étudiant, de payer ses transports pour se rendre à un stage ou acheter le matériel nécessaire s’il est en formation professionnelle… Les auteurs soulignent que ce type d’aide permet de pallier les carences d’autres dispositifs (bourses pour les étudiants par exemple, absence de revenu minimum pour les jeunes lorsque ceux-ci ne peuvent pas recourir à la solidarité familiale). L’enquête met aussi en évidence que ces jeunes disposent d’une faible connaissance du dispositif du FAJ en particulier et des autres aides en général, notamment en raison de l’insuffisante lisibilité de ces dispositifs, ce qui peut réduire sensiblement leurs possibilités d’accéder à la formation et au monde du travail.
Dans leur article « L’insertion professionnelle des travailleurs aveugles et sourds : les paradoxes du changement technico-organisationnel », Jean-Luc Metzger et Claudia Barril proposent, quant à eux, à partir d’une étude menée dans une grande entreprise, une analyse des pratiques professionnelles de salariés non-voyants d’une part et de salariés sourds d’autre part, face notamment aux changements techniques et organisationnels dont les effets sont ambigus. Les auteurs décrivent les processus par lesquels les travailleurs déficients visuels et auditifs parviennent à s’extraire de la dépendance ou au contraire y sont replongés : leur observation montre que l’insertion professionnelle des travailleurs handicapés correspond, en fait, à la sortie progressive de la dépendance par l’acquisition d’un large éventail de savoirs et savoir-faire, au long d’une trajectoire qui mobilise de nombreux acteurs, lesquels acceptent, en se confrontant à la déficience, d’apprendre à en connaître la spécificité et ainsi de modifier sensiblement leurs représentations du handicap. L’insertion apparaît comme le résultat d’un effort collectif, incluant les personnes handicapées et non handicapées. Les auteurs sont amenés à conclure que c’est la qualité de la régulation au sein de ce collectif et son degré d’indépendance relative vis-à-vis des changements imposés par l’organisation (stabilité des membres, capitalisation des expériences, capacité à adapter localement les injonctions, etc.) qui sont véritablement structurant pour l’insertion.

La protection sociale

5La protection sociale offre, on le sait, un vaste domaine de recherche et donne lieu à de nombreuses études. Mais l’article de Katia Julienne et Michèle Lelièvre « L’évolution du financement de la protection sociale ? Enjeux et perspectives à l’aune des expériences britannique, française et danoise » et celui d’Isabelle Sayn « Accès au juge et accès au droit dans le contentieux de la protection sociale » abordent cette question selon des angles jusqu’à présent peu explorés.

6Pour questionner les enjeux et les perspectives du financement de la protection sociale, Katia Julienne et Michèle Lelièvre procèdent à une analyse comparée de l’évolution qu’ont connue à partir des années quatre-vingt ces trois pays représentatifs des différents modèles [1] d’État providence : le Royaume-Uni pour le régime « libéral », la France pour le régime « conservateur-corporatiste » et le Danemark pour le régime « social-démocrate ». Cette approche comparative permet de mettre en évidence que ces pays, qui avaient, avant réforme, des structures de financement permettant de les caractériser, lorsqu’ils ont été confrontés à des défis similaires (croissance tendancielle des dépenses, ralentissement de l’évolution de la masse salariale) ont eu des réponses convergentes qui se sont traduites par la diversification du financement de la protection sociale. Est-ce la solution ? Seule l’évaluation des résultats de ces choix permettra de répondre à cette question que se posent la plupart des pays.
Isabelle Sayn examine un autre aspect de la protection sociale mais tout aussi important : celui du contentieux. Son étude concerne la France. L’auteure analyse les procédures et les pratiques du contentieux de la sécurité sociale notamment celles des caisses d’allocations familiales et les compare avec les règles applicables en matière d’aide et d’action sociale. Elle souligne, d’une part, la difficulté de s’engager dans un processus contentieux pour les demandeurs ou bénéficiaires de prestations et, d’autre part, l’inégalité structurelle qui existe entre les moyens juridiques et économiques à la disposition de l’organisme débiteur de la prestation et la personne privée. À partir de cette problématique, elle s’interroge sur les règles procédurales et propose des évolutions qui permettraient un meilleur accès des assurés au juge et donc un meilleur accès au droit, en s’inspirant des expériences d’autres pays européens. Elle plaide pour une réforme des juridictions que préconisait déjà Pierre Laroque en 1954. Mais sa conclusion est pessimiste puisque cinquante ans plus tard, les juridictions sociales n’ont pas été réformées et le contentieux des prestations sociales est toujours le parent pauvre du droit social. L’auteur qui regrette que la matière souffre d’un réel manque d’espaces collectifs de débats et d’élaboration juridique, contribue avec cet article à cette réflexion si souhaitable.

Les services de soins aux personnes âgées

7Dans « La dynamique de l’innovation et du changement dans les services de soins aux personnes âgées », Faridah Djellal, Faïz et Karim Gallouj partent du constat que le marché des services de soins aux personnes âgées a connu de profonds bouleversements en raison de l’importance de cette composante dans nos sociétés et que la problématique de l’innovation prend une place croissante dans ces services, comme dans toute activité économique créatrice de richesses et porteuse d’avenir. Les auteurs s’appuient dans leur étude en particulier sur une définition des services de soins aux personnes âgées inspirée de l’économie des services. Ils proposent ainsi une grille d’analyse de l’innovation en termes de « cibles » ce qui leur permet de contourner les catégories économiques habituelles (innovation de produit, innovation de process). Les cibles que les auteurs examinent tour à tour sont : les formules d’accueil, les technologies (matérielles et immatérielles), les services offerts, l’environnement humain (soignants et parents), l’environnement institutionnel. Cet examen leur permet d’identifier les lieux et les potentiels d’innovation et de changement dans les services de soins aux personnes âgées.

Les solidarités familiales

8Ce numéro présente une revue de littérature à propos de « La recherche sur les solidarités familiales au Québec ». La sociologue Johanne Charbonneau, considérant que les nombreux travaux de recherche sur les solidarités familiales au Québec sont relativement peu connus en France et que les bilans de ces travaux sont plutôt rares, est guidée par l’objectif de les faire connaître, en croisant les regards disciplinaires. Cette synthèse des recherches s’amorce avec un rappel des dynamiques familiales qui se sont déployées à partir du milieu du XIXe siècle. Les solidarités familiales dont les chercheurs des différentes disciplines des sciences sociales ont rappelé la vigueur et la persistance au fil des décennies, sont maintenant mises à l’épreuve par les mutations plus récentes des formes familiales et, entre autres, par le défi du vieillissement de la population québécoise. Ces changements doivent aussi être pris en compte dans l’élaboration des politiques publiques en direction de la famille. Dans ce domaine, l’enjeu de la conciliation entre le respect des limites des solidarités familiales et la reconnaissance de l’apport de ces dernières dans la vie quotidienne des individus ne semble, à l’auteure, pas très différent des deux côtés de l’Atlantique.

Le travail social

9Deux articles proposent des approches différentes du travail social. On trouvera en effet un questionnement des dynamiques professionnelles d’un côté, un examen de pratiques de l’autre.

10Pourquoi un groupe professionnel se développe-t-il quand un autre végète ? C’est à cette question que cherche à répondre François Aballéa dans son article « Surintendante d’usines-conseiller du travail et conseiller en économie sociale familiale ; deux dynamiques professionnelles divergentes » en s’appuyant sur l’étude de deux métiers du social : les surintendantes d’usines, profession créée à la fin de la première guerre mondiale, et les conseillers en économie sociale familiale, reconnus dans les années soixante-dix. Les surintendantes ne réussiront pas à s’imposer dans les services sociaux des entreprises qui emploient désormais très majoritairement des assistantes sociales. Les conseillers en économie sociale familiale, au contraire, constituent une des branches les plus dynamiques des métiers composant le champ du travail social, celles dont les effectifs en formation croissent le plus vite. Elles ont réussi une transformation (celle de l’enseignement ménager) qu’ont ratée les surintendantes dans la gestion des ressources humaines et les questions d’organisation du travail. Parmi les différentes hypothèses examinées pour rendre compte de ces destins divergents, l’auteur retient notamment la capacité des groupes professionnels à effectuer un constant travail sur eux-mêmes pour maintenir leur cohésion interne et leurs alliances externes et se doter d’une structure adaptée de représentation et de promotion des intérêts moraux de la profession.

11Fathi Ben Mrad, quant à lui, construit dans « La médiation sociale : entre résolution des conflits et sécurisation urbaine » une typologie des différentes formes de médiation en milieu urbain, telles qu’elles se développent en France notamment celle mise en œuvre dans le cadre d’emplois aidés. À partir de l’analyse des pratiques réalisée sur la base d’enquêtes et d’entretiens, il dégage deux grandes figures idéal-typiques de la médiation sociale : d’une part, les expériences de régulation sociale orientées vers la résolution des conflits, d’autre part, les expériences visant à lutter principalement contre les conduites inciviles et le sentiment d’insécurité. Ces deux figures renvoient à la fois à des modalités d’intervention et à des types de différends spécifiques. Sa typologie s’appuie aussi sur les profils de certains acteurs de la médiation très marqués par leur appartenance et par leur proximité socioculturelles du quartier dans lesquels ils interviennent. Elle permet enfin d’interroger les principes plus ou moins implicites sur lesquels se fondent ces pratiques de médiation et de relever les problématiques que ces fonctions soulèvent en termes de compétence et d’ethnicité.

Notes

  • [1]
    Selon la typologie de G. Esping-Andersen.
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/03/2010
https://doi.org/10.3917/rfas.043.0003
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour La Documentation française © La Documentation française. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...