1La société interroge de multiples façons les statistiques sur les migrations. La première question, la plus immédiate, est celle du nombre d’entrées d’étrangers sur le territoire ; elle renvoie bien évidemment à la politique d’immigration, à la problématique de la maîtrise des flux. Tout de suite après, l’interrogation se porte sur la nature des étrangers qui viennent en France : de quelle origine sont-ils ? Quel est leur niveau de qualification ? Quelles raisons les ont amenés à s’installer sur le territoire français ?
2À la question du nombre d’entrées, le démographe associe immédiatement celle du solde migratoire, c’est-à-dire la différence entre le nombre d’entrées et de sorties sur le territoire, des étrangers mais aussi des Français. La connaissance du solde migratoire est importante à plus d’un titre. Elle permet d’apprécier le poids des entrées sur la société française : 200 000 entrées d’étrangers par an ne sont pas synonymes d’un accroissement de la population étrangère de la même ampleur. Elle permet aussi de prévoir, de projeter, le nombre de personnes résidant en France à un horizon de vingt, quarante ans, calculs qui peuvent servir à fonder des politiques publiques comme on l’a vu sur la question des retraites. La connaissance des sorties du territoire, qui devrait permettre d’étayer les estimations du solde migratoire, donnerait, quant à elle, des informations sur un autre débat présent actuellement : qu’en est-il de l’émigration des Français attirés par un pays étranger pour diverses raisons, études, emploi… fiscalité ?
3On se propose de passer en revue les différents éléments constituant le système statistique français de connaissance sur l’immigration, de voir comment ils permettent de répondre à ces différentes questions, quelles sont leurs limites et quelles améliorations sont à venir. On verra que le système d’information statistique étant assez fruste, le démographe doit utiliser, mettre au point des estimations pour répondre à certaines questions.
Migrations de court terme, migrations de long terme
4Plusieurs dizaines de millions d’étrangers franchissent la frontière française chaque année. Tous ne sont pas des immigrants. Il faut donc définir un critère permettant de les repérer. Les migrations de court terme commencent à partir de trois mois, durée de séjour à partir de laquelle un étranger est tenu d’avoir un titre de séjour, et s’étendent jusqu’à un an. Au-delà de cette limite, il s’agit de migrations de long terme au sens des conventions internationales.
5La définition d’un immigrant de longue durée selon l’ONU est une « personne physique établissant sa résidence habituelle pour une période atteignant ou supposée atteindre au moins un an sur le territoire d’un État autre que celui de sa dernière résidence habituelle ». La résidence habituelle est définie comme l’endroit où une personne passe habituellement sa période de repos quotidien.
6Cette définition étant centrée sur le lieu de résidence habituel, elle exclut de facto les travailleurs frontaliers. Autrement dit, un apport de main-d’œuvre composé de travailleurs frontaliers étrangers n’est pas compté dans les flux migratoires.
7La limite temporelle d’un an est claire en apparence mais ambiguë dans son application : doit-on mesurer une entrée dès qu’un séjour d’un an est annoncé, envisagé ou doit-on attendre un an pour comptabiliser un séjour accompli ? Dans le premier cas, on comptabilisera en partie des personnes qui en réalité auront quitté la France au bout de quelques mois, dans le deuxième, il faudra attendre au moins un an pour pouvoir établir une statistique [1].
Le cas particulier des étudiants
8Formellement, les étudiants étrangers venant en France sont habilités à bénéficier d’un titre de séjour d’une durée égale à un an, ce qui les range dans la catégorie « immigrants de long terme » au sens de la définition internationale. Toutefois, le groupe permanent chargé des statistiques pour le Haut Conseil à l’intégration (HCI) a choisi de ne pas les classer dans la catégorie des séjours à vocation permanente, considérant que ce type de migration a un caractère temporaire par nature.
Les entrées sur le territoire : un dispositif en cours d’amélioration
9À la différence d’autres pays européens, comme l’Allemagne, la France ne dispose pas de registre de population (cf. encadré 1). Aussi pour mesurer les entrées d’étrangers sur le territoire, les données administratives constituent la principale source.
10Ces données ont trois origines :
- l’Office des migrations internationales (OMI) qui a la charge, entre autres, du contrôle sanitaire ;
- le ministère de l’Intérieur chargé de la délivrance des titres de séjour et encore maintenant de la gestion de l’asile territorial ;
- et l’Office français pour la protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) qui gère les dossiers relatifs aux demandes d’asile conventionnel. (cf. encadré 2).
Encadré 1 : Les registres de population permettent-ils une bonne mesure des migrations ?
Une partie des écarts constatés vient probablement de l’inégale fiabilité de l’appareil statistique, mais ces écarts sont sans doute révélateurs de la difficulté de mesure du phénomène migratoire. L’existence de registres de population n’est pas une garantie d’exhaustivité et de fiabilité. La migration est un phénomène complexe, difficile à définir même pour les individus concernés : ils peuvent négliger de la déclarer parce qu’ils pensent qu’elle sera de courte durée, parce que les inconvénients liés à une déclaration sont supérieurs aux avantages qu’ils peuvent en retirer…
Les statistiques fournies par l’Office des migrations internationales
11L’Office des migrations internationales (OMI) est chargé de faire passer une visite médicale à certaines catégories d’étrangers venus dans le cadre du recrutement de main-d’œuvre ou du regroupement familial.
À ce titre, cette administration publie des statistiques sur les flux d’entrées mais qui demeurent incomplètes puisque les étrangers ressortissants d’un pays de l’Espace économique européen [3] ne sont pas astreints à une visite médicale. En revanche, les mineurs sont compris dans les statistiques de l’OMI.
Les statistiques du ministère de l’Intérieur
12Les statistiques du ministère de l’Intérieur sont construites à partir des données portant sur les titres de séjour, établies par les préfectures.
13Depuis 1994, l’Application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en france (AGDREF) permet la centralisation des dossiers gérés par chacune des cent préfectures avec un numéro unique évitant les doubles comptes. La fonction principale de cette application est la gestion des dossiers administratifs des étrangers depuis l’ouverture du dossier (demande de titre, demande d’asile, interpellation) jusqu’à la fin de ce dossier (départ volontaire, mesure d’éloignement, acquisition de la nationalité française, décès).
14Il faut souligner que les mineurs de moins de 16 ans ne sont pas pris en compte puisqu’ils ne sont pas tenus de posséder un titre de séjour. Les mineurs de 16 à 18 ans ne sont comptabilisés, quant à eux, que s’ils travaillent.
15Les migrations en provenance des pays de l’Espace économique européen sont très imparfaitement enregistrées. En effet, ces ressortissants communautaires, même s’ils sont théoriquement astreints à faire une demande de titre de séjour, toujours accordé, ne sont pas passibles de sanction s’ils ne font pas cette démarche. Dès 2004, cette obligation sera levée, ce qui interdira d’utiliser les données du ministère de l’Intérieur pour connaître les flux migratoires en provenance de l’Union européenne [4].
16Pendant longtemps les données de l’OMI ont été considérées comme plus fiables que celles du ministère de l’Intérieur, puisque la comptabilisation correspondant à une visite médicale unique est sans risque de double compte. Mais la mise en place de l’application centralisée AGDREF donne accès à une information beaucoup plus riche : durée précise du titre, historique des décisions des changements de statut…
Pour s’approcher au mieux de la définition internationale, on se limite aux premiers titres d’une durée au moins égale à un an. On fait ainsi l’hypothèse que le nombre de premiers titres délivrés est une bonne approximation du nombre d’étrangers entrés légalement cette même année. Pourtant, avant d’accéder à un titre d’un an, un étranger a pu bénéficier de titres d’une durée plus courte renouvelés une ou deux fois. Les fichiers gérés par le ministère de l’Intérieur permettraient de connaître le nombre d’étrangers ayant, de cette manière, séjourné un an en France, mais cette analyse qui nécessite une exploitation particulière des fichiers informatiques ne peut être réalisée qu’a posteriori. Une autre limite à l’utilisation de cette source est sa sensibilité aux évolutions de la réglementation. Ainsi, les opérations de régularisation entraînent un gonflement du nombre de titres délivrés les années qui suivent cette mesure alors que les étrangers qui viennent d’être régularisés sont en France depuis plusieurs années.
Les statistiques de l’Office français pour la protection des réfugiés et apatrides
17L’Office français pour la protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) gère les demandes d’asile conventionnel (cf. encadré 2). Il publie des données sur les demandes, le nombre de décisions rendues, le nombre d’accords du statut de réfugié, et le nombre de refus. L’OFPRA enregistre aussi les recours et la nature des décisions rendues à la fin de ceux-ci.
18Jusqu’en 2002, l’OFPRA comptabilisait les dossiers des personnes majeures ayant sollicité l’asile et non les entrées physiques qui comprennent aussi les adultes ou mineurs accompagnant les demandeurs. Ceci entraînait un autre biais : quand un mineur dont les parents avaient obtenu le statut de réfugié, arrivait à l’âge adulte, il était automatiquement considéré comme réfugié et figurait dans les décisions d’attribution du droit d’asile.
19Jusqu’en 2004, les demandes d’asile territorial (cf. encadré 2) étaient suivies par le ministère de l’Intérieur. Mais la loi du 23 novembre 2003 relative à la maîtrise de l’immigration et au séjour des étrangers en France prévoit de confier la gestion de l’ensemble des demandes d’asile à l’OFPRA. Dorénavant, le demandeur formulera une requête unique à l’Office et c’est seulement en cas d’accord qu’il lui sera signifié si le statut de réfugié est attribué au titre de l’asile conventionnel ou territorial [5]. Cette gestion unique permettra de disposer d’une statistique globale de demandeurs d’asile évitant les doubles comptes.
Encadré 2 : Les différentes catégories d’asile
Cette catégorie d’asile a été définie par la convention de Genève du 28 juillet 1951. Aux termes de l’article 1er de la Convention, peut être admise au statut de réfugié toute personne qui, « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».
• Asile territorial
Il est défini par l’article 13 de la loi du 11 mai 1998, modifiant la loi du 25 juillet 1952. Cette catégorie d’asile est entendue comme un droit au séjour « accordé par le ministre de l’Intérieur après consultation du ministre des Affaires étrangères à un étranger si celui-ci établit que sa vie ou sa liberté est menacée dans son pays ou qu‘il y est exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ». Une personne peut dans ces conditions relever de l’asile territorial sans que sa qualité de réfugié ait été par ailleurs reconnue en application des dispositions de l’article 2 de la loi du 11 mai 1998. L’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, adoptée par les membres du Conseil de l’Europe en 1954, stipule que « nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ». L’asile territorial concerne les personnes demandant l’asile non en raison d’une mise en danger par leur gouvernement (asile conventionnel), mais en raison de l’existence d’un autre danger. Les personnes concernées sont essentiellement des Algériens.
20Conventionnellement, on retient, pour les ajouter aux entrées comptabilisées par l’OMI ou le ministère de l’Intérieur, le nombre de décisions favorables d’attribution du statut de réfugié [6]. Cette Convention conduit donc à enregistrer les réfugiés l’année où ils ont obtenu leur statut alors que leur démarche peut avoir duré des mois, voire des années en cas de recours. De plus, elle conduit à écarter du champ les demandeurs d’asile dont le sort n’a pas été réglé mais qui sont physiquement présents sur le territoire et les déboutés dont on sait bien qu’une partie, impossible à déterminer, reste en France.
Les chiffres
21Au total, 170 000 étrangers non ressortissants de l’Espace économique européen auront été admis au séjour pour la première fois en 2002. 55 500, soit près du tiers d’entre eux, sont des étudiants. En 1999, 110 000 ressortissants des pays tiers recevaient un premier titre (cf. tableau ci-dessous). À ces effectifs, s’ajoutent chaque année 30 000 à 40 000 Européens.
Admissions au séjour des ressortissants des pays tiers

Admissions au séjour des ressortissants des pays tiers
22Pour mémoire, le ministère des Affaires étrangères publie des statistiques sur les visas accordés. Cette source n’est pas utilisée pour comptabiliser les entrées. En effet, des comparaisons effectuées sur le cas des étudiants montrent une assez forte discordance entre le nombre de visas et le nombre de titres de séjour délivrés à des étudiants.
L’apport du recensement de 1999 et de l’enquête « Emploi »
23Le recensement de la population et l’enquête « Emploi » de l’Insee sont surtout utilisés pour connaître les caractéristiques de la population étrangère résidente, les « stocks ».
24Cependant, une question sur l’année d’arrivée en France figurait dans le recensement de 1999 [7]. Le nombre de ceux qui ont, en 1999, répondu être entrés en 1998 est une bonne approximation des entrées de l’année. Plusieurs questions sur les migrations figurent dans l’enquête « Emploi » : outre celles sur l’année d’arrivée en France et sur le pays de naissance, une information existe sur le pays de résidence un an avant l’enquête. Si la taille de l’échantillon limite l’utilisation de ces données [8], la richesse de l’enquête vient des nombreuses informations enregistrées sur l’emploi et de la comparabilité des données au niveau européen puisque l’enquête « Emploi » est la version française des « Labour Force Surveys » (LFS) [9] présentes dans tous les pays européens.
25Les informations qualitatives sur les étrangers arrivant chaque année sont assez sommaires. Leur sexe, leur âge, leur nationalité et leur statut matrimonial sont connus. Le motif de la migration n’est pas connu, mais il peut être approché par le motif de délivrance du titre : autorisation de travail, regroupement familial, conjoint de Français… Des données existent sur la catégorie socioprofessionnelle, mais le ministère de l’Intérieur les juge trop imprécises pour être publiées : 45 % des étrangers nouvellement arrivés seraient des employés.
Les autres mouvements migratoires
Les sorties d’étrangers
26Les étrangers établis en France peuvent quitter à tout moment le territoire français. Le départ est parfois contraint (interdictions du territoire, reconduites aux frontières, expulsions) ou aidé par le dispositif d’aide à la réinsertion d’étrangers « invités à quitter le territoire » notamment. Ces départs font l’objet d’une comptabilisation, mais ils ne concernent qu’un nombre très limité de personnes. Le départ peut être volontaire, par exemple en cas de retraite, mais dans ce cas les outils de gestion et de production statistique ne permettent pas d’en effectuer le décompte. Tout au plus peut-on avoir une indication sommaire du nombre de retraités ayant travaillé en France et partis dans un autre pays par la variation du nombre de pensions versées à l’étranger. Le Centre de liaisons européennes et internationales de sécurité sociale (CLEISS) produit régulièrement des statistiques sur les pensions versées à l’étranger.
27L’étude des titres de séjour accordés successivement aux étrangers offre des pistes dans la mesure où le non-renouvellement d’un titre peut servir d’indicateur pour évaluer la fréquence des départs hors de France des personnes récemment admises au séjour. En effet, les étrangers dont le premier titre est venu à expiration et qui ont ensuite déposé une demande de renouvellement ont, au cours des années récentes, rarement fait l’objet d’un refus, de sorte que l’absence de prolongation en situation régulière laisse présumer un départ. Sur cette base, Xavier Thierry estime la fréquence des départs à environ 35 % des migrants (étudiants compris) au cours de la première année de séjour [10].
Les mouvements de Français
28Les installations de Français à l’étranger sont en partie connues par les immatriculations enregistrées par les consulats de France. Plus exactement, la procédure d’immatriculation constitue une source statistique sur la communauté française à l’étranger. L’immatriculation n’est pas obligatoire, aussi des Français résident-ils dans un pays sans s’immatriculer ou quittent-ils le pays sans le signaler au consulat… Une forte progression du nombre de Français immatriculés dans les consulats, comme celle qui a été constatée de 1991 à 2002, peut toutefois être très probablement interprétée comme un accroissement des départs [11].
29Dans l’autre sens, les retours de Français sont très mal appréhendés. Le recensement de 1999 permet de repérer les Français qui vivaient dans un autre pays au 1er janvier 1990, mais l’intervalle de temps considéré est long et ne permet pas d’identifier les séjours courts à l’étranger comme celui de Français partis entre 1994 et 1997. Dans l’enquête « Emploi » on demande aux personnes interrogées quelle était leur résidence un an auparavant, mais la taille de l’échantillon limite les analyses qui pourraient être faites.
Étrangers, immigrés
30Quand on cherche à mesurer les entrées sur le territoire français, il est logique de s’intéresser aux arrivées d’étrangers, les seuls concernés par les politiques de maîtrise des flux. En revanche, si l’objectif est de cerner l’ensemble les mouvements migratoires, dont les sorties de France, le critère de nationalité est moins approprié. En 1991, le Haut Conseil à l’intégration a adopté une définition de la personne immigrée [12]. Un immigré, au sens statistique, est une personne née hors de France et qui était de nationalité étrangère à la naissance. Ce sont deux caractéristiques acquises à la naissance et donc invariables contrairement à la nationalité.
31Après son arrivée en France, un immigré peut garder sa nationalité (immigré étranger) ou acquérir la nationalité française. En 1999, 1,5 million d’immigrés sont de nationalité française, soit 36 % des 4,3 millions d’immigrés résident en France métropolitaine. Les personnes nées françaises à l’étranger ne sont pas des immigrés. Il en est de même pour les 510 000 étrangers nés en France, ces derniers, essentiellement des mineurs, n’ont pas franchi de frontière… (cf. graphique).

32La mesure du nombre d’immigrés n’étant pas affectée par les acquisitions de nationalité, il est possible de constituer des pseudo-cohortes et de les suivre entre deux recensements. Par exemple, 10 772 immigrés âgés de 50 ans nés au Portugal ont été recensés en 1990, neuf ans plus tard, compte tenu des décès, on aurait dû en retrouver 10 225. Le recensement de 1999 dénombre 9 152 immigrés du Portugal âgés de 59 ans. 973 immigrés, près de 10 % de cet âge, auraient donc quitté le territoire entre les deux recensements. Cette approche comporte toutefois des limites méthodologiques [13].
33Parallèlement, on peut alors tenter de mesurer les mouvements des Français expatriés en observant, dans les pays étrangers, les arrivées d’immigrés ou la présence de personnes nées françaises en France.
34Un projet de ce type est en cours d’élaboration à l’initiative de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). L’OCDE organise une collecte de données dans l’ensemble des pays adhérents à l’organisation. Chaque pays est invité à transmettre des données sur les personnes immigrées au sens du Haut Conseil à l’intégration à partir des recensements ou des registres de population. Ce projet permettra à terme de dénombrer et de qualifier en termes d’âge, de profession… les Français à l’étranger, mais une telle mesure ne peut être effectuée que tous les dix ans environ.
35La Commission pour le développement économique de l’ONU a également entrepris des travaux de collecte se fondant sur le pays de naissance.
Ces travaux, comme les échanges bilatéraux d’informations, se fondent sur l’idée que des données émanant d’un système statistique national ont besoin d’être enrichies par des informations venant d’autres pays. Pour connaître le nombre d’immigrés nés au Portugal venus s’établir en France et qui sont retournés au Portugal à l’âge de la retraite, la meilleure source d’information se trouve à l’Instituto nacional de estastitica de Porto. Mais on voit bien qu’il ne peut s’agir que de travaux ponctuels, relativement lourds à mettre en œuvre, qui ne peuvent servir à alimenter un système régulier d’information statistique.
Le solde migratoire
36Il est mentionné ici pour mémoire, car l’estimation du solde migratoire n’est pas un produit direct du système statistique en ce sens qu’il n’est pas obtenu par la soustraction du nombre des sorties, inconnu, du nombre des entrées. Le solde migratoire est estimé à partir du nombre d’entrées d’étrangers non communautaires et d’hypothèses sur le taux de sorties du territoire français.
Nouvelles perspectives
Solde migratoire : l’apport du recensement rénové
37L’Insee réalise dorénavant un recensement tournant : chaque année, le recensement sera effectué auprès d’une partie représentative de la population (14 %). Il est demandé à toutes les personnes nées à l’étranger de déclarer leur année d’entrée en France. On disposera ainsi d’une estimation statistique annuelle du nombre d’entrées d’étrangers sur le territoire français. Ce sera, en outre, la seule source portant sur les ressortissants des pays de l’Union européenne. Une information annuelle permettra aussi, moyennant des hypothèses sur les sorties du territoire français, une meilleure estimation du solde migratoire.
Les nouvelles formes de migration
38L’ouverture des frontières, notamment après 1990, et l’accessibilité croissante des moyens de transports ont changé le phénomène des migrations et de nouvelles formes de migrations sont apparues : situation de corésidence, migrations pendulaires.
39L’ONU utilise la notion de résidence habituelle pour apprécier la qualité de migrants, ce qui suppose l’existence d’une résidence habituelle unique. Or, tout laisse à penser, que de plus en plus de personnes ont une double résidence ou se donnent les moyens de pouvoir à leur guise résider dans un pays ou un autre. Le ministère de l’Intérieur comptabilise 105 000 Algériens de 64 ans ou plus ayant un titre de séjour en cours de validité quand l’Insee en recense 63 000. Ces personnes n’étaient pas physiquement en France au moment du recensement, mais elles ont gardé la possibilité d’y revenir. Dans le même ordre d’idée, les Britanniques qui ont choisi la France pour leur retraite n’y passent pas tous l’année entière.
À cette situation de corésidence, s’ajoute ce qu’on appelle les migrations pendulaires, faites d’allers et retours entre le pays d’origine et le pays d’accueil. Au bout de combien de temps, un étranger revenant en France sera-t-il considéré comme un nouvel immigrant ? Difficulté statistique, car les préfectures n’ont pas forcément les moyens de remonter dans le temps, mais surtout difficulté conceptuelle : comment considérer un enfant accompagnant ses parents immigrants en France pendant ses premières années, reparti s’établir dans son pays d’origine, et revenant en France dix ou vingt ans plus tard ?
Notes
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[*]
Responsable de la cellule « statistiques et études sur l’immigration » du département de la démographie à l’Insee.
-
[1]
Concrètement, il faudra s’assurer de la présence effective de l’étranger, par enquête, par la constatation d’un non-renouvellement du titre de séjour, opération qui demande du temps pour l’observation et l’analyse.
-
[2]
Michel Poulain, Anne Herm, « Les flux migratoires internationaux en Europe », Futuribles, n° 279, octobre 2002.
-
[3]
Union européenne plus l’Islande, le Liechtenstein et la Norvège.
-
[4]
Les ressortissants des dix pays adhérant à l’Union européenne, en mai 2004, sont assujettis au régime commun et dispensés de l’obligation d’avoir un titre.
-
[5]
L’asile constitutionnel représente une troisième forme d’asile, mais il ne concerne qu’un nombre très réduit de personnes.
-
[6]
L’obtention du statut de réfugié au titre de la convention de Genève donne droit à une carte de résident permanent.
-
[7]
Les réponses à la question sur l’année d’arrivée ne peuvent être utilisées pour connaître rétrospectivement les flux d’entrées pour des années plus anciennes. L’interrogation, en 1999, de personnes séjournant en France qui déclarent être arrivées en 1995, 1996… ne nous donne aucune information, par construction, sur les individus arrivés les mêmes années et qui ont quitté la France avant 1999.
-
[8]
Un autre inconvénient de l’enquête « Emploi » est sa couverture : en effet, les collectivités ne figurent pas dans le champ de l’enquête. Cet inconvénient est en partie levé dans la nouvelle enquête « Emploi » en continu.
-
[9]
Cf. sur l’exploitation de cette enquête l’article de Bailly, Mouhoud et Oudinet dans le présent numéro : « Les pays de l’Union européenne face aux nouvelles dynamiques des migrations internationales. Ampleur des migrations et caractéristiques des migrants » (N.D.L.R.).
-
[10]
Xavier Thierry, « La fréquence de renouvellement des premiers titres de séjour », Population, 56 (3), 2001. En ligne
-
[11]
Bernard Gentil, « La population française immatriculée à l’étranger est en forte hausse », Insee Première, n° 919, août 2003.
-
[12]
La connaissance de l’immigration et de l’intégration, rapport du Haut Conseil à l’intégration, novembre 1991.
-
[13]
S. Thave, « Les vagues d’entrée et de départ des immigrés », in Rapport du groupe « statistiques » du HCI pour 1998, 2000.