CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Depuis dix ans, la Revue française des Affaires sociales a consacré deux numéros aux questions de migrations :

  • en 1992, « L’immigration en France : données et perspectives » [1] ;
  • en 1997, « Insertion, intégration : concepts et pratiques » [2].
La lecture de ces deux volumes fait clairement ressortir que les termes d’immigration et d’intégration sont alors étroitement associés, comme si les migrations internationales étaient principalement envisagées du point de vue de l’État d’accueil, et la politique de l’intégration, à l’égard des seuls immigrés.

2Or, comme le souligne Jacky Fayolle dans le présent numéro [3], « Aujourd’hui, le schéma classique de l’immigration (d’un pays de départ vers un pays d’accueil bien déterminé) n’a pas disparu mais évolue pour faire progressivement place à des circulations migratoires plus complexes dont les origines se diversifient et dont la destination finale peut être plus lointaine et plus incertaine ».

3Ce numéro de la Revue française des Affaires sociales s’inscrit donc dans ce contexte nouveau qui sera encore, sans doute, bouleversé par l’élargissement de l’Union européenne. Il souhaite rendre compte des mouvements migratoires qui s’observent aujourd’hui et qui se caractérisent par une série d’éléments contrastés : persistance des flux migratoires, y compris illégaux, diversité de la nature et des formes des migrations, élargissement des origines des migrants, évolution du marché du travail, facilité accrue des moyens de circulations des personnes, explosion des techniques d’information, mais aussi transformation de l’image du migrant…

4Confrontée à ces changements, apparemment profonds et rapides des migrations internationales, la réflexion des scientifiques a exploré des voies nouvelles notamment à la fin des années quatre-vingt-dix à l’initiative de la Direction de la populations et des migrations, d’une part, et de la Mission Recherche (MiRe) de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, d’autre part. Les articles rassemblés dans le présent numéro sont en grande partie, issus du programme de recherche lancé par la MiRe en 1999. D’autres initiatives et d’autres travaux ont émergé en France à peu près au même moment, comme le rappellent ici Jacqueline Costa-Lascoux et Patrick du Cheyron [4].

5Diversité croissante des origines, disparité des trajectoires, apparition de nouveaux flux traversant des pays d’émigration devenus pays de transit et, parfois, d’immigration, changements considérables de rythmes des flux, brouillage des catégories juridiques des exilés, « désormais, la mondialisation est entrée dans l’analyse » soulignent ces mêmes auteurs après avoir repéré les recherches françaises menées ces dix dernières années et souligné leurs apports.
Ce numéro s’articule autour de deux axes : l’observation des mouvements migratoires récents et la diversité des expériences des pays et des migrants eux-mêmes

Importance et caractéristiques des migrations actuelles

6La première partie de ce numéro s’interroge : peut-on vraiment parler d’une intensification et d’une diversification des flux migratoires ? Des données permettent de répondre à cette question au moins partiellement mais il faut avoir à l’esprit que les écueils et les risques du comptage sont nombreux. On peut aussi se demander, lorsque l’on tente de définir les flux des migrants, si toute mobilité est circulation migratoire.

7Les articles qui constituent ce premier axe de réflexion s’intéressent à trois zones géographiques :

  • l’espace OCDE ;
  • l’espace de l’Union européenne ;
  • l’espace français.
Jean-Pierre Garson et Jean-Christophe Dumont dressent, tout d’abord, un panorama fortement contrasté des tendances récentes des migrations dans la zone OCDE et soulignent deux enjeux importants auxquels ces pays, qui n’ont cependant pas tous la même histoire migratoire, sont confrontés : le premier concerne la mobilité internationale des travailleurs hautement qualifiés et le second la question de l’intégration des migrants sur le marché du travail… Ils notent un accroissement récent et généralisé des recrutements de travailleurs immigrés.

8Franck Bailly, El Mouhoub Mouhoud et Joël Oudinet se sont intéressés, quant à eux, aux circulations migratoires dans l’espace européen. Ils se sont proposés d’en mesurer l’ampleur et d’en définir les caractéristiques à partir de l’exploitation, pour la première fois, de l’enquête sur les forces de travail (LFS) d’Eurostat. Ils mettent notamment en valeur le phénomène nouveau des migrations répétées. Jacky Fayolle, à partir de la lecture de cet article, repère les nouveaux modes de migration vers et au travers de l’Europe : notamment tous les pays de l’Union européenne à quinze sont désormais des pays d’accueil, ce qui est une situation nouvelle pour plusieurs d’entre eux. Il appelle l’attention sur les changements qui affectent les mouvements migratoires et qui représentent un défi pour les politiques d’immigration et d’intégration, ainsi que pour les acteurs sociaux des pays hôtes.

9Quelles informations le système statistique français peut-il donner sur les circulations migratoires vers la France et à partir de ce pays ? Pour Catherine Borrel qui les décrit, il s’agit d’une question d’importance ; en effet, les prévisions de population à vingt ou trente ans demandent des données statistiques pour asseoir les décisions politiques (par exemple en matière de retraites mais aussi de main-d’œuvre). Face à ces besoins, le système statistique apparaît encore rudimentaire et insuffisant. Les démographes et les statisticiens doivent ainsi faire appel à des enquêtes et à des estimations ponctuelles. On peut penser que les nouvelles modalités du recensement permettront un enrichissement de la connaissance statistique des migrations et notamment du solde migratoire.

10Mais les difficultés de « la construction d’un outil statistique fiable, adapté à l’évolution des circulations migratoires et aux modalités d’installation des migrants sont multiples » comme le soulignent Jacqueline Costa-Lascoux et Patrick du Cheyron : « disparités des sources internes, selon les administrations concernées et les lectures institutionnelles qu’elles en font » ; absence « de référents comparatifs entre des modes de recensement, de repérage, de traitement, qui diffèrent d’un État à l’autre » ; et de critères « en adéquation avec des réalités migratoires encore peu étudiées et les projets des organisations internationales cherchant à élaborer des politiques migratoires harmonisées ».
Enfin, cette partie du dossier se termine par l’analyse à laquelle se sont livrés El Mouhoub Mouhoud et Joël Oudinet, des déterminants des migrations de main-d’œuvre sur les marchés du travail des pays de l’Union européenne selon les pays d’origine des migrants, le degré de qualification de la main-d’œuvre, les caractéristiques des migrants sur les marchés du travail et l’origine intra ou extracommunautaire. Mais, comme le souligne Jacky Fayolle, « L’Europe, reste dans une situation de transition, où les problèmes d’inégalités et de rattrapage entre pays et régions demeurent fortement posés, a fortiori après l’élargissement de l’Union. La prospective des migrations vers et au sein de l’Europe doit être contextualisée par cette situation spécifique ».

La diversité des expériences

11La deuxième partie du dossier présente trois exemples de migrations. Ces exemples ne sont pas de même nature.

12Le premier article s’attache à la situation d’un pays : le Portugal. C’est sa situation très particulière qui est analysée par Maria Pereira Ramos : traditionnellement pays d’émigration, il est devenu un pays d’accueil de migrants. L’auteure s’intéresse aux changements majeurs intervenus dans les politiques migratoires et aux enjeux d’intégration qu’ils posent. Elle souligne les enjeux multiples pour le Portugal de ces migrations au niveau des politiques et des dynamiques économiques et démographiques, les migrants créant des liens d’interdépendance entre pays d’origine et pays d’accueil, comme en témoignent les mouvements de personnes et les flux financiers et économiques qui les accompagnent. L’étude des modalités d’intégration des populations migrantes pose aussi la question de la conciliation entre immigration et citoyenneté et du défi que cela représente pour l’Europe sociale.

13Les deux articles suivants s’attachent à des catégories particulières de migrants.

14Le premier présente un exemple de mobilité induite directement par des changements politiques : celle des Tamouls du Sri Lanka, installés dans la région parisienne à partir des années quatre-vingt, alors que le conflit se durcissait au Sri Lanka entre le gouvernement cinghalais et les indépendantistes tamouls. Pour Angélina Etiemble, l’analyse des relations avec le Sri Lanka et entre les exilés installés dans différents pays laisse entrevoir une configuration de diaspora mais une diaspora freinée par l’emprise des nationalistes sur les Sri-Lankais expatriés.

15Quant à Marie-Antoinette Hily et Christian Rinaudo, ils s’attachent à de tout autres expériences : celles des vendeurs sénégalais, marocains et équatoriens sur le marché frontalier de Vintimille, en rendant compte de cinq récits d’expérience de migrants qui circulent entre continents et pays, de même que la marchandise dont ils font commerce « Les liens qui se tissent à la faveur des activités menées par ces migrants, qu’ils soient d’ordre marchand ou social, se nouent dans la mobilité et au service de la mobilité » soulignent-ils.

La recherche dans le domaine des circulations migratoires

16Le dossier se conclut par l’article que Jacqueline Costa-Lascoux et Patrick du Cheyron consacrent à la recherche, soulignant « Ce qui s’est passé récemment avec la refondation de l’intégration, c’est-à-dire l’abandon du regard paternaliste au bénéfice d’une prise en compte de l’ensemble des phénomènes d’inégalité et la valorisation des parcours de réussite, quelles que soient les origines ou les appartenances des personnes, s’est également traduit dans l’étude des flux migratoires : simultanément, les approches des migrations internationales se sont diversifiées, renouvelant les sources et les outils de la recherche ». Les auteurs étudient les transformations de la recherche française sur les problématiques migratoires depuis les années quatre-vingt-dix, repèrent les travaux récents sur les mouvements migratoires et analysent les apports et les limites de ces recherches avant d’émettre quatre vœux pour l’avenir : l’articulation des connaissances au niveau européen, le développement des recherches sur les facteurs qui déclenchent ou orientent la migration, une plus grande prise en compte de la diversité des composantes et des effets des mouvements migratoires, la construction d’outils statistiques fiables.

17Enfin, ils soulignent la nécessaire collaboration « entre administrations et chercheurs pour une réflexion critique qui favorise la mise à distance des données » et appellent « le droit et la sociologie du droit à apporter leur éclairage pour poser les limites des outils au regard de la fiabilité des données enregistrées et pour la nécessaire protection des libertés fondamentales des personnes. Repenser les instruments d’analyse, c’est avant tout repenser un défi majeur pour les sociétés démocratiques ».

Notes

  • [*]
    Patrick du Cheyron, juriste et politiste, chargé de mission à la Mission Recherche de la DREES, responsable du programme de recherche « circulations migratoires ».
    Françoise Leclerc, chargée de mission à la Mission Recherche de la DREES, rédactrice en chef.
  • [1]
    Revue française des Affaires sociales, numéro hors série, décembre 1992, 254 p.
  • [2]
    Revue française des Affaires sociales, n° 2, avril-juin 1997, 291 p.
  • [3]
    « Deux ou trois idées non reçues sur les migrations ».
  • [4]
    « Quand la recherche française investit les circulations migratoires ».
Patrick du Cheyron
Juriste et politiste (département de sciences politiques de l’université de Paris 1), chargé de mission à la Mission Recherche de la Direction de la recherche des études, de l’évaluation et des statistiques, ministère de l’Emploi, du Travail et de la Cohésion sociale, ministère de la Santé et de la Protection sociale.
Françoise Leclerc [*]
  • [*]
    Patrick du Cheyron, juriste et politiste, chargé de mission à la Mission Recherche de la DREES, responsable du programme de recherche « circulations migratoires ».
    Françoise Leclerc, chargée de mission à la Mission Recherche de la DREES, rédactrice en chef.
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
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Mis en ligne sur Cairn.info le 01/03/2010
https://doi.org/10.3917/rfas.042.0005
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