CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Introduction

1Les notions connexes de mobilité et de circulation sont essentielles pour décrire les situations et les lieux particuliers où s’observent des activités économiques et sociales portées par des migrants inscrits dans des pratiques commerciales – licites ou illicites – et dont le « métier » nécessite et utilise les ressources du déplacement. Les façons de circuler « en migration » affectent les territoires traversés, les imaginaires et les organisations sociales dont la vocation est de maintenir un ordre local. Elles ne se limitent pas au fait de parcourir des espaces (physiques, sociaux, symboliques) ou d’en produire de nouveaux, elles inventent des manières originales de participer à la production des richesses, de contourner les dispositifs de contrôle, de travailler les frontières identitaires existantes tout en en créant de nouvelles.

2En ce sens, les migrants, dont on tentera ici de retracer les expériences, ne sont pas les immigrés au sens classique du terme (ce qu’ils peuvent devenir évidemment en s’installant (Hily et Ma Mung, 2003)). Leur distance aux normes locales et leur étrangeté vis-à-vis des sens communs locaux leur confèrent une position particulière dans les sociétés qu’ils traversent : ils sont à la fois très contrôlés [1] et incontrôlables. En différenciant les migrants des populations sédentaires, la problématique que nous avons mobilisée se déplace d’un questionnement centré sur la capacité d’intégration des immigrés – problématique de la citoyenneté – vers une interrogation reliant expérience de la mobilité, constitution de territoires circulatoires[2] et production de l’identité/altérité. Raisonner ainsi implique d’envisager l’étranger comme un acteur porteur d’initiatives, conjuguant savoir-faire et « pouvoir-faire » dans son entreprise migratoire.
Dans la recherche [3] sur laquelle s’appuie cet article, nous avons cherché à saisir ces expériences dans un espace particulier plutôt que de suivre en temps réel les trajectoires de certains migrants, comme cela a pu se faire ailleurs [4]. Nous avons choisi une localité parmi d’autres à partir de laquelle nous pouvions saisir ces expériences, depuis les conditions de leur mise en œuvre dans les pays de départ jusqu’aux projets à venir qu’elles permettent d’échafauder. Cette localité, Vintimille, à la fois « ville-frontière » et « ville-marché » [5] située aux confins de l’Italie du Nord-Ouest, n’a toutefois pas été choisie au hasard, même si d’autres lieux plus importants de la circulation des migrants, auraient pu être privilégiés (ces « carrefours » mythiques des expériences migratoires que sont certaines grandes villes d’Europe ou d’ailleurs étudiées par de nombreux chercheurs [6]). L’intérêt de cet espace résidait en effet dans le fait qu’il permettait de rendre compte d’une forme particulière d’échanges marchands qui s’y développe et dans laquelle des vendeurs d’origines diverses ont pris une part active ces quinze dernières années : le marché frontalier.

Encadré : Méthodologie de l’enquête

Notre démarche a consisté à fréquenter régulièrement ce lieu de la circulation migratoire qu’est le marché de Vintimille.
Dans un premier temps, c’est à une observation de l’organisation du marché de Vintimille et des mouvements de populations, ainsi qu’au repérage des marchands que nous nous sommes livrés.
Parallèlement, nous nous sommes entretenus avec des représentants des autorités locales ainsi qu’avec des militants du milieu associatif.
Le parti pris méthodologique a été de ne pas sélectionner, au début de notre enquête, des populations migrantes en fonction de leur origine nationale, mais d’entrer en relation avec tous ceux qui fréquentaient le marché à titre de vendeur ou d’acheteur.
Nous avons également suivi une quinzaine de vendeurs qui ont accepté de collaborer à l’enquête réalisée entre 1999 et 2001. Cela nous a permis de les suivre dans les villes où ils résident ainsi que sur les différents petits marchés de la région et dans les nombreuses petites stations balnéaires qui se succèdent sur toute la côte ligure où beaucoup d’entre eux travaillent en dehors des jours de marché.

Vintimille et son marché

3La ville de Vintimille est connue pour son marché du vendredi où convergent chaque semaine plusieurs centaines de vendeurs migrants [7] originaires de nombreuses régions du monde (Sénégal, Chine, Équateur, Inde, Pakistan, Bangladesh, pays du Maghreb, Europe de l’Est). Certains sont spécialisés dans la vente à la sauvette de bijoux de pacotille, de babioles fabriquées en Asie, etc., on rencontre aussi sur cette place marchande des tatoueurs indiens ou marocains, des calligraphes chinois, des Équatoriens spécialisés dans le folklore amérindien, mais surtout des vendeurs de contrefaçons de produits de marques (sacs, montres, lunettes, polos, etc.). Attirés par la forte demande de la clientèle française et des touristes séjournant sur la côte d’Azur – le marché a acquis une réputation internationale –, les vendeurs font le déplacement en train ou en bus depuis Gènes, Milan, Turin ou quelquefois d’encore plus loin pour écouler leurs marchandises.

4Toutefois, cette place marchande n’a pas toujours eu cette allure cosmopolite. Avant-guerre, elle s’organisait autour de quelques rares ambulants italiens spécialisés dans la vente de tissus et de linge de maison, ainsi que d’agriculteurs de la région qui proposaient leur production de fruits et légumes. Ce n’est qu’au début des années cinquante qu’elle a commencé à être fréquentée par une population frontalière. À la fin des années soixante, elle comptait environ 250 bancs [8] tenus par des camelots patentés que l’on retrouvait les autres jours de la semaine sur les différents marchés des petites villes de la côte ligure (San Remo, Bordighiera, etc.).

5Au fil des ans, le marché s’est agrandi pour occuper un territoire de plus en plus important situé sur la rive gauche du fleuve La Roya. Dans les années quatre-vingt, des immigrés calabrais et napolitains se sont imposés sur le marché en introduisant de façon discrète, sacs, foulards et parfums contrefaits qui ont séduit une clientèle française et frontalière. Les autorités délivraient alors quelque 310 patentes et enregistraient, chaque vendredi, entre 20 000 et 30 000 passages à la frontière franco-italienne.

6Dans les années quatre-vingt-dix, un nouveau changement va s’opérer avec l’arrivée d’immigrés africains qui trouveront comme débouché le commerce de contrefaçons à grande échelle. Et plus récemment encore, ce sont des commerçants chinois (une dizaine environ sur le marché) qui se sont installés comme vendeurs de produits de maroquinerie. En relation avec des fabricants chinois de Naples, ils participent discrètement à l’approvisionnement en contrefaçons des vendeurs à la sauvette.

7Aujourd’hui, les autorités recensent plus de 600 emplacements. Hormis les restaurateurs, les commerçants du centre-ville, notamment ceux spécialisés dans des produits de luxe ou de « semi-luxe », sont peu fréquentés le vendredi et ne tirent qu’un faible bénéfice de l’importante popularité du marché. Aussi, ils sont les plus virulents à dénoncer les « désordres » qu’engendrent la vente de produits de contrefaçons et l’inflation d’autorisations de commercer délivrées par les services de la municipalité favorisant ainsi un type de marchands, certes patentés, mais qui, selon eux, ne participent pas au développement de Vintimille.

8C’est donc dans ce contexte qu’au fil de ses transformations, le marché de Vintimille est devenu de plus en plus attractif pour des populations migrantes qui veulent se lancer dans l’aventure du commerce avant d’explorer les opportunités de partir ailleurs (en Allemagne, aux Pays-Bas ou en Angleterre), de se faire embaucher dans les entreprises du nord de l’Italie ou encore de retourner dans leur pays d’origine.

9L’organisation de la place marchande différencie clairement les camelots patentés des vendeurs à la sauvette qui sillonnent les rues ou s’approprient les espaces interstitiels laissés vacants par les premiers. Certains vendeurs à la sauvette exposent les marchandises sur de petits présentoirs portatifs, prévus pour être rapidement déménagés, d’autres conservent leurs marchandises sur eux. Si les hommes qui sillonnent les rues, affublés de plusieurs sacs ne peuvent passer pour de simples promeneurs, les vendeurs de montres peuvent, lorsque les circonstances l’imposent, passer du rôle affiché de vendeur à celui de passant ordinaire.

10La place des vendeurs migrants sur le marché n’est jamais acquise. Elle est toujours à renégocier ; le matin en arrivant, mais aussi tout au long de la journée. Les relations avec les commerçants italiens sont loin d’être harmonieuses. Certains versent régulièrement de l’eau sur les trottoirs où les ambulants s’installent, pour les empêcher de disposer leurs étals à même le sol, d’autres ne sont pas hostiles à la présence des ambulants, mais les uns et les autres tentent de préserver leur espace de vente.

11Dans ce contexte de tension permanente, les forces de l’ordre sont omniprésentes. Leur présence, sollicitée par les commerçants patentés, rappelle que certaines activités qui prennent place dans ces lieux sont illicites (les vendeurs de contrefaçons risquent de se voir confisquer leurs marchandises) bien que largement tolérées. Mais elle a surtout pour but de ne pas laisser les vendeurs à la sauvette « s’installer » et s’approprier les espaces publics. En les délogeant périodiquement, la police les oblige à changer constamment de lieu et de stratégie.
Vintimille, le jour du marché, ne ressemble en rien aux autres jours de la semaine : ville aux allures cosmopolites le vendredi (Hily et Rinaudo, 2003), carrefour de trajectoires migrantes, lieu de rencontre entre une demande d’exotisme et une offre hétéroclite et multiculturelle. Mais après 17 heures, elle redevient et jusqu’au vendredi suivant, une petite ville paisible, comparable à tant d’autres. Cette métamorphose est d’autant plus spectaculaire qu’elle se réalise en seulement une heure ou deux : aux alentours de 16 heures, des flots de véhicules immatriculés en France reprennent le chemin de la côte d’Azur, les camelots patentés s’empressent de ranger leurs marchandises dans les camionnettes et de quitter la ville ; les vendeurs migrants convergent vers la station ferroviaire et la gare d’autobus pour retourner vers leur lieu d’habitation : sur les quais, plus encore que sur le marché, on se rend compte de l’importance de cette population, mais aussi de sa composition sociale particulièrement homogène, jeune pour une grande partie et masculine dans sa quasi-totalité.

Récits d’expériences migratoires

12Nous rendrons compte ici de cinq récits d’expérience de migrants qu’il nous est apparu intéressant d’analyser, tant pour les caractères singuliers de chacun d’entre eux pris séparément, que pour les traits plus généraux qu’ils permettent de dégager de ces populations présentes sur les marchés. Ces récits ont été choisis parce qu’ils nous sont apparus significatifs d’autres parcours semblables et qu’ils constituent de ce fait, dans leur singularité propre, autant de trajectoires collectives qui ressortent de notre travail. Sur le plan méthodologique, nous défendons donc ici le point de vue bien défini par Stéphane Beaud selon lequel « la force heuristique de l’entretien sociologique tient – à condition qu’il s’inscrive dans une enquête ethnographique – à sa singularité que le sociologue peut faire fonctionner comme cas limite d’analyse, qui lui confère un pouvoir de généralité ». Car, comme il l’écrit encore, « restreindre le travail intensif sur un nombre somme toute limité d’entretiens, c’est d’une certaine manière faire confiance aux possibilités de cet instrument d’enquête, notamment celle de faire apparaître la cohérence d’attitudes et de conduites sociales, en inscrivant celles-ci dans une histoire ou une trajectoire à la fois personnelle et collective » (Beaud, 1996, p. 233-234).

13Les entretiens ont consisté à demander aux personnes interrogées de faire le récit de leur histoire migratoire, de leur pratique professionnelle, de leur connaissance du marché et des lieux d’approvisionnement des marchandises, des relations qu’elles ont nouées avec les autres vendeurs migrants et avec les membres de la société locale, de leur capacité à s’adapter aux situations sociales et économiques malgré la fragilité de leur position, de leurs projets d’avenir. Nous appellerons les cinq personnes dont nous avons choisi de retracer les récits A., B., C., D. et E. Les trois premiers sont Sénégalais, le quatrième Marocain, le dernier Équatorien.

A, le précaire installé

14A., 30 ans, vit en Italie depuis dix ans. Il vend des montres sur les marchés de Vintimille et de San Remo mais habite Bordighiera. L’hiver, « la saison terminée », il rentre au Sénégal où il retrouve sa femme et sa fille.

15Il se ravitaille à Gènes chez des « grossistes » italiens et quelques Sénégalais faisant aussi du « commerce de gros ». Il va chercher la marchandise au domicile des « fournisseurs » et achète souvent à crédit du fait de sa notoriété (« je suis connu »), ce qui n’est pas le cas de tous, surtout des nouveaux arrivés. Tout au long du récit, il répète à propos de son activité que c’est un « métier où il faut être malin et travailler avec sa tête », « qu’il faut être rapide pour éviter de se faire prendre » car la police saisit la marchandise.

16A. loue une petite maison individuelle en plein centre-ville qu’il partage avec deux compatriotes. L’endroit est assez grand et bien aménagé, les signes du mouridisme y sont nombreux. (grandes affiches annonçant la célébration du Grand Magal [9] à Pise ou vantant la gloire du chef spirituel et fondateur de la confrérie mouride, casettes vidéos consacrés au mouridisme). Il a d’abord passé huit années à San Remo avant de s’installer depuis plus de deux ans à Bordighiera, dans cette maison.

17Sa femme poursuit des études de gestion à Dakar où elle espère bien trouver du travail dans la comptabilité d’entreprise lorsqu’elle aura terminé. En ce qui concerne les va-et-vient entre le Sénégal et l’Italie, il explique qu’il n’a pas vraiment le choix, qu’il ne sait rien faire d’autre que ce type de négoce et qu’il n’y a pas de travail pour lui au Sénégal. En même temps, ce mode de vie ne lui déplaît pas, même s’il reconnaît volontiers qu’il est parfois très dur. En Italie, il est loin du contrôle social de la famille et il organise sa vie comme il l’entend. Il est assez heureux de cette vie et ne semble pas vouloir changer dans l’immédiat, bien qu’il sache qu’un jour « ça s’arrêtera ».

18Contrairement à ce que l’on peut lire sur l’organisation contraignante des « communautés » mourides (Salem, 1981 ; Diop, 1985), A. donne plutôt l’impression de bénéficier d’une grande liberté de mouvement et de stratégie dans son travail. Il préfère la vente des montres aux sacs à main parce que c’est moins risqué tout en rapportant autant : « On peut courir plus facilement avec des montres et ça nous coûte moins cher lorsqu’on se les fait saisir par la police. » Quant à son itinéraire, il l’élabore au jour le jour. Il lui arrive, de temps en temps, d’aider dans son commerce, son compagnon de chambre qui vend des djembés qu’il importe de Dakar. Il se rend également périodiquement à Nice où il propose des « objets d’art ». Dans ce cas, il a toujours quelques montres en poche qu’il propose à « des clients fiables ». Il dit rentrer facilement dans le rôle du « goulou-goulou » [10] quand il est sur la côte d’Azur parce qu’il se met dans le rôle que leur attribuent les gens avec qui il commerce, ce qui ne l’empêche pas par ailleurs de parler un français sans accent – même s’il cherche quelque fois ses mots – et de s’habiller, selon les critères de la mode occidentale, de manière élégante et très en vogue.
En dehors de ses activités de commerce, A. joue dans un groupe de percussions africaines avec ses « copains italiens ». Ils se produisent de temps en temps dans les bars de la ville en solo ou pour accompagner des musiciens de salsa. Ainsi, à 30 ans, A. a déjà vécu une bonne partie de sa vie de migrant dans cette région. Il entretient de bonnes relations avec la population locale et notamment avec « ses amis italiens » qui l’ont introduit dans leur réseau.

B, l’installé à l’étape

19B., 40 ans, est arrivé en Italie, il y a quinze ans. À Dakar, il travaillait à l’hôtel Méridien et faisait commerce avec les équipages d’une compagnie aérienne dont les avions atterrissaient dans la capitale avant de repartir pour l’Amérique du Sud. Il vendait des paréos, des tissus et de l’ivoire aux équipages et les hôtesses, au retour, lui apportaient des sacs en cuir qu’il revendait aux clients. À cette époque, il ne voulait pas émigrer alors qu’il avait un frère en France qui exerçait le métier d’infirmier dans une clinique privée de la région parisienne.

20Sa rencontre avec une hôtesse italienne l’a incité à partir pour Florence, puis en France. Quand il est arrivé à Paris, il a vite compris qu’il ne pourrait faire ni un travail salarié ni vendre des « bricoles » comme ses compatriotes. Il est retourné alors en Italie où vivait un de ses cousins, et s’est mis à vendre sur les plages des sacs et des montres de contrefaçons alors qu’à cette époque, c’était à la fin des années quatre-vingt, très peu de Sénégalais « osaient ce commerce ». Il a ensuite vendu des bijoux sur la riviera française avant de décider de s’installer en Italie : ayant eu connaissance lors d’un voyage à Dakar, des accords de réciprocité entre le Sénégal et l’Italie, il a obtenu une autorisation pour créer un commerce.

21C’est comme cela que, depuis 1985, B. tient un stand sur le marché qu’il sous-loue à un Italien dont l’activité périclite. Il achète à Naples, Parme, Rome et Gènes pour près de 15 000 euros de marchandises en début de saison et complète son stock quand la marchandise vient à manquer.

22Pour B., les affaires ne consistent pas uniquement à faire un bénéfice à court terme, il faut aussi « se comporter bien » et « savoir faire des coups » : « Quand je suis dans le commerce, j’ai droit à tout, je n’ai pas de limites… ici, ils ne te l’interdisent pas, mais la concurrence est forte alors il faut savoir agir. Tant que tu restes à ta place ça va, alors du moment où je réfléchis beaucoup avant de faire quelque chose, alors je me lance pas comme ça… quand ils ont un stock de beaux costumes et qu’ils ont des difficultés à le vendre, alors on va voir B.,moi si je le veux, je fais mon prix et je paye en trois mois. J’emmène ça à Paris, chez la femme de mon frère qui les vend aux Sénégalais ou aux Français en banlieue. »

23B. est aujourd’hui bien installé dans cette vie de commerçant et tant que ses enfants ne seront pas installés à leur tour – actuellement l’aîné fait des études d’économie à Dakar –, il n’abandonnera pas son commerce ni les autres activités parallèles qu’il exerce en Italie et au Sénégal où il a acheté une ferme qu’il projette d’exploiter un jour avec sa femme. En attendant, il vit dans un petit village situé sur les hauteurs de San Remo, où il participe activement à l’organisation des festivités locales. Mais comme il dit « si ça ne marche pas, je suis prêt à partir ».

C, le futur entrepreneur

24C. 23 ans est venu en Italie « parce qu’en France, c’est plus sévère, à chaque fois il y a des contrôles et si on se fait prendre là-bas on est fichu… ». Il se présente comme un vendeur de contrefaçons. Il fait ce commerce depuis cinq ans ; il est devenu grossiste et ravitaille à Gènes une vingtaine de petits vendeurs. Il pratique la tontine [11] avec trois compatriotes et met de l’argent de côté pour monter une boutique internet à Dakar.

25Bien introduit dans le circuit, C. est « protégé » par un restaurateur italien qui lui garde sa marchandise. À son arrivée en Italie, il a travaillé six mois dans un supermarché pour se procurer des papiers puis il s’est lancé dans le commerce. Il a maintenant investi une station balnéaire de la côte ligure où la concurrence est faible. Pour lui, ce type de commerce constitue un tremplin qui lui permettra de retourner au pays et d’investir dans l’économie locale. Son projet, c’est de se constituer un pécule lui permettant de s’installer au Sénégal et de créer sa propre entreprise. Sa première idée était de monter une petite entreprise de taxis à Dakar. Il a déjà acheté un véhicule à Bruxelles qu’il a confié à un de ses frères à Dakar.

26Le récit de son parcours personnel en dit long sur ses ambitions et sur sa capacité à saisir les opportunités qui se présentent à lui : « Je suis d’abord allé à Brescia, j’ai retrouvé un cousin, j’ai été avec lui, une semaine après, il m’a introduit dans le même circuit que lui… Je vendais les ceintures, les lunettes, les briquets, les cassettes devant un supermarché. Je l’ai fait pendant huit mois. Après, il y a une loi qui est sortie qui disait que si les immigrés irréguliers parviennent à trouver un contrat de travail quelque part et que le patron peut payer des contributions, on lui donne la carte de séjour. Alors j’ai eu un entretien avec le directeur du supermarché et il m’a fait le contrat. J’ai fait six mois avec un contrat à l’essai. Au bout de six mois, le contrat était fini et je suis parti au Sénégal et ensuite je suis retourné en Italie… ». C’est ainsi qu’il est revenu en Italie pour faire la saison d’été avec l’idée d’acheter un second taxi. Il vit alors dans le centre historique de Gènes, quartier très dégradé où sont regroupés beaucoup d’immigrés, dans un appartement qu’il partage avec trois compatriotes.

27En décembre 2000, il est reparti cinq mois au Sénégal, il a acheté des tissus en Gambie qu’il a revendus à Dakar, ce qui lui a permis de donner de l’argent à sa famille et de revenir en Italie où il devait renouveler son permis de séjour.
Depuis janvier 2001, il approvisionne en C.D. achetés à Naples, de jeunes vendeurs qui les revendent dans des bars de Gènes. C. dispose maintenant d’un petit capital qu’il compte investir à Dakar, mais n’abandonne pas l’idée de revenir « en Europe » si des opportunités commerciales se présentent.

D, des études au « business »

28Pour D., 20 ans, résidant en Italie depuis six mois tout en étant étudiant en deuxième année de droit dans une petite université marocaine, l’« Europe était un rêve » : « je ne pensais pas que c’était ça. J’étais un étudiant et je ne supportais pas la situation au Maroc ». Son départ, tel qu’il le raconte, résulte de la conjonction de plusieurs éléments : le peu d’espoir de trouver du travail à la fin de ses études, le désir d’obtenir un diplôme français pour améliorer ses chances et, enfin, la volonté de gagner de l’argent et de se sentir plus indépendant.

29Sa famille a joué un rôle important dans son départ. Son père est boucher dans une ville proche de Casablanca mais plusieurs de ses cousins vivent en Italie dont certains depuis près de vingt ans. C’est l’un d’entre eux qui lui a offert la possibilité d’avoir des papiers en règle : « Mon cousin a fait un contrat de travail pour moi, pour travailler dans une entreprise de fleurs et il me l’a amené au Maroc… c’est ce qui m’a permis d’obtenir mes papiers ». En fait, sa famille contrôle une partie de la distribution et de la vente de contrefaçons. Certains de ses oncles tiennent aussi des commerces de vêtements à bas prix sur le marché de Vintimille et de San Remo. En liaison avec des fabricants italiens et corses, ils organisent les échanges marchands entre l’Italie et le Maroc.

30La première expérience de vente a été comme il le dit « un choc » : « La première fois, j’ai observé comment la police se comportait et j’ai aidé mon cousin. Il m’a dit de faire attention, il m’a expliqué comment se passait le contrôle, enfin toutes les informations, les mouvements des responsables de la police, des douaniers, les avocats que l’on pouvait contacter… j’ai aussi d’autres cousins qui sont des commerçants, trois mois, deux mois ils vont là-bas (au Maroc), ils reviennent… ». Cet environnement familial a été très important : « Moi je suis devenu commerçant en deux semaines… on apprend au fur et à mesure… ». Il est conscient du changement important que représente le passage du statut d’étudiant au Maroc à celui de vendeur en Italie : « Quand je suis parti du Maroc, je suis devenu responsable. Quand j’étais étudiant c’était mon père ».

31Dans ce contexte, D. a vite compris comment fonctionnait l’économie clandestine. Il a aussi appris à s’endurcir et à profiter de son capital scolaire pour « monter dans la hiérarchie ». Au moment de l’entretien, il ne vendait plus directement sa marchandise qu’occasionnellement mais travaillait avec une dizaine de vendeurs marocains qu’il approvisionnait régulièrement. En même temps que se développait son activité économique en Italie, il ne perdait pas espoir de rentrer au Maroc, mais « en attendant », il prenait des cours d’italien pour devenir traducteur de documents administratifs, ressource qui pouvait faire de lui une personne incontournable dans les réseaux migratoires entre le Maroc et l’Italie.
D. décrit le marché de Vintimille comme une place célèbre sur laquelle les informations circulent vite d’un pays à l’autre. C’est ce qui explique pour lui, qu’il y ait beaucoup de gens qui veulent venir y vendre des marchandises, notamment des Marocains. Les relations qu’ils entretiennent entre eux sont apparemment contradictoires : « Avec les Marocains, il y a peu de liens. Si quelqu’un est dans l’embarras, on l’aide. Mais il y a quand même de la concurrence entre nous… » car, comme il le dit, dans le monde complexe des acteurs du marché informel il faut à la fois s’entraider et « jouer sa propre carte ».

E et ses copains, commerçants nomades

32E., 22 ans, Équatorien, ne voyage pas seul. Il « fait la route » avec deux copains âgés de 19 et 21 ans. Tous trois viennent de Guayaquil, une ville située sur la côte pacifique à deux heures de route de Quito. Ils sont partis pour jouer de la musique avec comme point de chute prévu la région de Ligurie. E. nous explique qu’il s’agit là d’une pratique courante en Équateur de partir à l’âge de 18-20 ans et de vivre de la musique andine et de ses produits dérivés. En ce sens, ces trois compagnons de route n’ont fait que « perpétuer cette tradition ». Ils ont d’abord fait un périple en Amérique du Sud (Chili, Argentine), puis ils ont pris l’avion pour Amsterdam où ils ont acheté une camionnette. Ils ont ensuite traversé l’Allemagne et l’Autriche et sont arrivés en Italie pour sillonner la Ligurie. Au moment où nous les avons rencontrés sur le marché de Vintimille, au printemps 2000, ils comptaient partir pour la France et se rendre en Espagne à la fin de l’été. Ensuite, ils pensaient revenir dans la région et faire de la musique dans les petites villes de la côte ligure jusqu’à l’hiver avant de rentrer chez eux pour retrouver leur famille et leurs amis, jusqu’au mois d’avril suivant où ils comptaient repartir à nouveau. En Italie, ils avaient un point de chute à Turin, une maison gérée par une association catholique qu’ils partagent avec d’autres familles.

33Les produits qu’ils proposent sur les marchés proviennent de trois sources distinctes. Il y a d’abord les productions artisanales qu’ils fabriquent eux-mêmes et qu’ils échangent avec d’autres vendeurs pour proposer aux chalands une gamme plus variée. Il s’agit essentiellement de bracelets tissés. Il y a ensuite les cassettes de musique italo-andine (de la variété italienne jouée avec des sonorités andines) : ils enregistrent avec leur groupe une maquette à Milan qu’ils font reproduire en de nombreux exemplaires, ce qui leur permet de procéder à des échanges lorsqu’ils croisent sur la route d’autres musiciens équatoriens ou péruviens. Ils se constituent ainsi à moindres frais une gamme assez variée de cassettes ou de C.D. de musiques franco-andines, hispano-andines, anglo-andines… qu’ils vendent sur les marchés. Enfin, les autres produits qu’ils proposent proviennent des réserves indiennes d’Amérique du Nord. Celles-ci ont depuis longtemps développé le commerce de l’artisanat ethnique qui est exporté jusqu’en Europe pour approvisionner des boutiques spécialisées et tout un réseau de petits vendeurs itinérants qui parcourent les côtes et les grandes villes européennes. D’après E., l’approvisionnement de ces produits est extrêmement simple. Il suffit de contacter une réserve, de passer commande par téléphone et de réceptionner la marchandise qui arrive par colis à l’adresse indiquée. Quant aux photos, poèmes et toute la propagande exposée autour de l’Indian Spirit, ils constituent un élément de marketing livré avec la marchandise. Eux-mêmes semblent assez éloignés de cet « esprit ». Ils veulent avant tout parcourir le monde et gagner de l’argent avec leur musique. Le marché de l’Indian Spirit n’est qu’un moyen, parmi d’autres, de réaliser ou d’aspirer à de nouveaux projets, même s’il contribue fortement à donner une couleur particulière à leur commerce.

Se maintenir dans l’activité

34Tous les vendeurs rencontrés sur le marché de Vintimille n’ont pas atteint le petit niveau de réussite des quelques personnes présentées ici. Nombreux sont ceux qui tentent de s’en sortir, largement dépendants à la fois de la production, aux mains de groupes italiens organisés, et des initiatives de la police [12]. En nous intéressant à ceux qui s’en sortent le mieux, nous avançons cependant que les « vendeurs-circulants » ne sont pas sans initiatives et que leur savoir-faire leur permet de contourner et de déjouer certaines contraintes institutionnelles, juridiques et policières. Une interprétation purement instrumentale qui consisterait à faire de cette population les victimes de groupes mafieux, ou une approche culturaliste qui renverrait à un habitus ethnique de commercer, ne suffisent pas à rendre compte du fait que cette catégorie de non salariés se maintient dans ce type d’activité, en dehors de toutes protections sociales et juridiques.

35Les récits d’expériences présentés ici, fournissent quelques matériaux pour comprendre comment leurs initiatives sont rendues possibles grâce, d’une part, aux ressources que constitue l’appartenance à une communauté (familiale, ethnique, religieuse) et, d’autre part, à la capacité de nouer des alliances. Ils montrent comment ces personnes organisent leur vie sociale dans un « milieu étendu » [13] qui repose à la fois sur les liens familiaux et de voisinage (les compatriotes) et sur ceux établis avec d’autres personnes ressources rencontrées au cours de leur périple. C’est ce double lien, interne et externe, qui permet de répondre à la question : « qu’est-ce qu’il faut faire pour être un commerçant ? ». La « carrière » [14] d’un circulant dépend ainsi de l’activité déployée, de l’importance du travail et de son maintien dans le commerce.

36C’est en étant attentif à la vision des acteurs eux-mêmes que nous avons pu voir comment les commerçants s’engagent en pratique dans l’activité commerçante. On peut distinguer trois étapes dans la « carrière » : l’engagement dans le travail, le maintien dans le commerce et enfin la préparation de l’avenir. Les conditions sociales rendant possible ce type d’activité, dépendent autant des soutiens dans le pays et du capital scolaire que de la capacité à s’inscrire dans des réseaux. Pour parler de leurs expériences personnelles, B. et C. introduisent dans leurs discours des termes comme « compatriotes », « collègues », « copains », « relations », qui définissent des positions sociales et des hiérarchies de liens. Les rencontres singulières ainsi nommées constituent, à terme, un espace social ressource plus ou moins stable, mais dont les « membres » sont mobilisables dans certaines circonstances et selon des objectifs à atteindre. L’activité commerçante est aussi une pratique sociale qui engage les personnes impliquées dans des pratiques d’échanges : bons procédés, « donnant donnant », mais aussi objets, argent et expériences.

37Cet apprentissage de la relation sociale fait partie intégrante de l’objectif poursuivi. Dans ce domaine, on a vu comment les migrants interrogés composaient en permanence avec les normes et les identités imposées, et les règles de l’« activité ». Dans des styles différents et dans le cadre d’activités variées, ils ont constitué puis maintenu des liens avec des personnes ressources qui, autant dans leur pays d’origine que sur leur lieu d’activité commerciale, concourent à une organisation relativement stable de leur mode de vie : envisager les allers-retours, faire face aux aléas, investir dans une affaire, changer de résidence, etc. Ils inscrivent leurs activités dans une continuité dont l’issue est de sortir de cette expérience avec un acquis, en général financier. Tous n’y réussissent pas, mais chacun s’engage dans la carrière avec cet objectif.
Le milieu étendu dans lequel évoluent les migrants en question, constitue à la fois un espace social de solidarité et de concurrence. Il articule de « l’entre soi » (la confrérie mouride, le système de tontine entre compatriotes) et du « avec les autres » (commerçants italiens, grossistes, policiers, « protecteurs ») où conflits, réserves, compétition et méfiance ne sont pas absents. Le monde des vendeurs n’est pas un monde tendre, mais ce n’est pas non plus un monde où toutes les actions sont motivées par un calcul rationnel. Il y circule aussi de l’entraide, de l’entente et de la confiance. Faire carrière dans l’illicite est rendu possible parce qu’il existe un marché, une production adéquate (« les Italiens ont besoin de nous pour écouler les marchandises contrefaites », explique C.), des clients, mais aussi parce que c’est un moyen de gagner de l’argent et, sur cette base, de mettre en œuvre d’autres projets.
On a vu dans nos entretiens que chaque entrée dans la carrière est différente et que les ressources du réseau sont mobilisées selon la position qu’occupe l’individu et selon la densité de son capital social. Pour reprendre l’exemple de D., le réseau familial, entre le Maroc et l’Italie, constitué de longue date, lui a permis, presque comme si cela allait de soi, de prendre rapidement des responsabilités, une fois passée la phase d’adaptation à un environnement étranger ; son bagage scolaire représentant un atout supplémentaire. La situation est cependant beaucoup plus difficile pour ceux, attirés par l’apparente facilité de ce type de carrière, qui se retrouvent sans ressources (sociales, culturelles et économiques). C’est le cas par exemple de F., un jeune sénégalais de 22 ans que nous avons rencontré de nombreuses fois durant les trois ans de l’enquête sur les différents marchés de la côte. En août 2000, il vendait des colliers plaqués or qu’il tentait de « faire passer pour des vrais ». Il aurait alors souhaité rentrer à Dakar mais il n’en avait pas les moyens. L’année suivante, nous l’avons retrouvé sur les marchés de la région avec seulement deux montres en poche qu’un compatriote lui avait confiées « à crédit ». Il souhaitait encore rentrer, mais sans illusion, ne sachant que faire là-bas. Depuis, il vend des marchandises pour un Marocain qui le considère comme « paumé » et qui le « dépanne ». Pour B. qui le connaît bien et qui lui donne un peu d’argent, « il ne peut pas s’en sortir et risque de devenir un délinquant ».

Conclusion

38Le choix d’une approche ethnographique nous a permis de saisir l’expérience migrante et les pratiques commerciales licites ou illicites qu’elle développe dans l’épaisseur des situations concrètes. L’observation directe de la place marchande de Vintimille ainsi que le recueil des discours des acteurs engagés dans les activités qu’elle suscite, permettent une connaissance approfondie des différents parcours, de l’apprentissage de la mobilité et des rapports entretenus avec la population locale. Ainsi, les entretiens réalisés à l’occasion de cette recherche ont ceci de commun qu’ils nous racontent, selon l’expression de Samuel Bordreuil, « la force liante de l’expérience migrante » tout en en déclinant, dans les différents portraits que nous avons choisi de présenter, la multiplicité des formes et des usages (Bordreuil, 2002). Cette force liante, nous l’avons constaté, se transforme et se recompose au fil des parcours et des opportunités et permet de réduire l’incertitude, notamment quand il s’agit de s’approvisionner chez les grossistes ou de trouver un logement, même si elle ne met jamais complètement les vendeurs à l’abri des risques. De plus, entretenue à la faveur des échanges et des rencontres, elle constitue une ressource non négligeable et quasiment indispensable à la réalisation de nouveaux projets de mobilité. Ceci conforte d’une certaine manière l’analyse que faisait Giovana Campani à propos des réseaux d’immigrés en France dans les années quatre-vingt, à savoir qu’il serait vain d’y chercher « des codes ou des normes rigides, même s’il est sûr que certaines obligations morales sont très contraignantes ». Car, comme elle ajoute, ce qui permet le maintien du réseau, « c’est surtout son efficacité sociale et sa fonctionnalité par rapport à la réussite du projet migratoire » (Campani, 1988, p. 382). Or, le passage du statut d’immigré s’installant dans un pays d’accueil à celui de migrant construisant son parcours au fil des étapes amène à reconsidérer la question du lien non plus sur le mode de l’alternative entre une intégration dans une communauté locale ou une inscription dans la communauté ethnique constituée sur le territoire d’accueil, mais comme une construction sociale qui se réalise de proche en proche, dans le mouvement et au service de la mobilité. Si, comme n’hésite pas à le dire Dana Diminescu, on peut voir là une forme particulière d’intégration, il s’agit alors, comme les parcours des migrants roumains qu’elle étudie permettent de le documenter, d’une intégration qui se réalise dans les sillages des mouvements, dans les contextes spécifiques des déplacements temporaires (Diminescu, 2002). C’est ainsi que prennent sens les logiques d’installation dans la précarité ou d’alliances ponctuelles que montrent bien les portraits que nous avons présentés. Ici, les « amis italiens », là les « copains du village » avec qui on prépare la fête communale, le « patron » de plage, le « banquier suisse », « l’architecte allemand », etc. Mais, comme le souligne encore Bordreuil, « la condition du lien ne procède pas de l’inscription dans un ensemble englobant qui fabriquerait de la position (et de l’attitude) similaire, mais de la contraction d’appariements, nouant des individus, de proche en proche et sans guère d’affiliation englobante » (Bordreuil, 2002, p. 456). Les liens qui se tissent à la faveur des activités menées par ces migrants, qu’ils soient d’ordre marchand ou social, se nouent dans la mobilité et au service de la mobilité. Si c’est bien la figure du commerçant que l’on retrouve là, on peut se demander si ces formes d’intégration à l’étape sont suffisantes à une intégration à la société globale, laquelle ne reconnaît pas dans ses dispositifs le statut de ces migrants mobiles.

Notes

  • [*]
    Marie Antoinette Hily : chargée de recherche au CNRS, membre du laboratoire Migrinter à Poitiers.
    Christian Rinaudo : maître de conférences en sociologie à l’université de Nice-Sophia Antipolis et chercheur à l’URMIS-SOLIIS (CNRS).
  • [1]
    Voir par exemple les analyses de Fassin et al., 1997 ; de Chemillier-Gendreau, 1998 ; ou de Brion et al., 2001.
  • [2]
    Pour Alain Tarrius, la notion de territoire circulatoire renvoie à des espaces supports à des pratiques de mobilité. Elle introduit une double rupture dans les acceptions communes du territoire et de la circulation : « en premier lieu, elle nous suggère que l’ordre né des sédentarités n’est pas essentiel à la manifestation du territoire, ensuite elle exige une rupture avec les conceptions logistiques des circulations, des flux, pour investir de sens social le mouvement spatial » (Tarrius, 2001, p. 118).
  • [3]
    Cf. Hily et Rinaudo, 2002. Cette étude a été effectuée dans le cadre de l’appel d’offres de la MiRe-Drees « Circulations migratoires ». Elle est disponible sur simple demande à la MiRe : philippe.bertin@sante.gouv.fr (Tél. : 01 40 56 82 34).
  • [4]
    Voir par exemple les excellents travaux d’Ali Bensaad sur les flux migratoires transsahariens (Bensaad, 2002) et de Sophie Bava sur les routes migratoires des mourides (Bava, 2000).
  • [5]
    Distante de moins de dix kilomètres de Menton qui s’est forgé une image de station balnéaire paisible visant une clientèle aisée et internationale, mais située de l’autre côté de la frontière, Vintimille est une agglomération italienne de moyenne importance (environ 50 000 habitants). L’activité frontalière y est très intense et nombre de résidents des Alpes-Maritimes viennent régulièrement y faire leur marché.
  • [6]
    Voir par exemple les nombreux travaux réalisés sur Marseille (Péraldi, 1999 ; Tarrius, 1995 ; Bredeloup, 2000 ; Kone, 1996), Londres (Houssein Merane Mahmoud, 2002), Istanbul (Pérouse, 2002) ou New York (Ebin et Lake, 1992) pour ne citer que ces quelques cas.
  • [7]
    À titre d’exemple, nous en avons comptabilisé plus de 800 un vendredi du mois d’août 2000.
  • [8]
    Ceux-ci sont généralement constitués à partir de camionnettes spécialement aménagées et qui permettent de confectionner rapidement un espace de vente agrémenté de présentoirs.
  • [9]
    Principale fête religieuse mouride qui se tient normalement à Touba au Sénégal.
  • [10]
    Ce terme à valeur péjorative porte avec lui un stéréotype où entrent à la fois l’histoire coloniale de la France et le comportement actuel des colporteurs d’art africain.
  • [11]
    La tontine est une association entre plusieurs membres qui versent régulièrement une cotisation d’un montant identique. Les mises sont reversées successivement aux différents participants. Il s’agit d’un système d’épargne efficace, mais il demande de la régularité et il arrive fréquemment que dès les premiers tours la tontine soit interrompue, faute d’argent dans la caisse.
  • [12]
    Pour une présentation des carrières plus chaotiques de certains vendeurs, voir Hily et Rinaudo, 2002, précité.
  • [13]
    Nous empruntons cette notion à Jorg Dürrschmidt pour qui le champ d’action et d’expérience routinière des migrants dans un contexte de mondialisation ne renvoie pas seulement à l’idée d’une extension géographique des relations sociales, mais aussi aux dimensions symboliques et sociales de cette extension (Dürrschmidt, 2001).
  • [14]
    La notion de « carrière » a été introduite par les chercheurs de l’École de Chicago. E.C. Hughes, comme H.S. Becker, ne limitent pas l’usage de la notion de carrière au domaine du travail. Ils l’élargissent et lui donnent le sens suivant : « parcours ou progression d’une personne au cours de la vie (ou d’une partie donnée de celle-ci) » (Hughes, 1996, p. 175 ; Becker, 1985). Pour E. Goffman « l’intérêt du concept de carrière réside dans son ambiguïté. D’un côté, il s’applique à des significations intimes, que chacun entretient précieusement et secrètement, image de soi et sentiment de sa propre identité ; de l’autre, il se réfère à la situation officielle de l’individu, à ses relations de droit, à son geste de vie et entre ainsi dans le cadre des relations sociales » (Goffman, 1968, p. 179).
Français

Résumé

L’article traite de l’expérience de vendeurs migrants sur le marché de Vintimille situé à la frontière italo-française, en bord de mer, lieu particulier où s’observent des activités économiques et sociales portées par des migrants inscrits dans des pratiques commerciales licites ou illicites et dont le « métier » nécessite et utilise les ressources du déplacement. En rendant compte de cinq récits d’expérience de migrants dont l’intérêt porte tant pour les caractères singuliers de chacun d’entre eux pris séparément que pour les traits plus généraux qu’ils permettent de dégager de ces populations présentes sur les marchés, les auteurs montrent que l’activité commerçante est aussi une pratique sociale. Ils montrent que « la force liante de l’expérience migrante » se transforme et se recompose au fil des parcours et des opportunités et permet de réduire l’incertitude et la précarité auxquelles doivent faire face les migrants. De plus, entretenue à la faveur des échanges et des rencontres, elle constitue une ressource non négligeable et quasiment indispensable à la réalisation de nouveaux projets de mobilité. Elle se présente comme une construction sociale qui se réalise de proche en proche, dans le mouvement et au service de la mobilité.

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Marie-Antoinette Hily
Chargée de recherche au CNRS, membre du laboratoire Migrinter à Poitiers. Ses domaines de recherche portent sur les espaces publics marchands et les circulations migratoires, les réseaux transnationaux et la construction des identités collectives en situation migratoire.
Christian Rinaudo [*]
Maître de conférences en sociologie à l’université de Nice-Sophia Antipolis et chercheur à l’URMIS-SOLIIS (CNRS). Ses domaines de recherche portent sur l’ethnicité en milieu urbain, le racisme et les discriminations dans le monde du travail, les usages sociaux et politiques des identités urbaines, les espaces publics marchands et les circulations migratoires.
  • [*]
    Marie Antoinette Hily : chargée de recherche au CNRS, membre du laboratoire Migrinter à Poitiers.
    Christian Rinaudo : maître de conférences en sociologie à l’université de Nice-Sophia Antipolis et chercheur à l’URMIS-SOLIIS (CNRS).
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Mis en ligne sur Cairn.info le 01/03/2010
https://doi.org/10.3917/rfas.042.0165
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