CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1L’émigration des Tamouls du Sri Lanka vers l’étranger remonte au XIXe siècle sous la colonisation britannique. Aujourd’hui, installés dans différents pays dont la France, ils présentent toutes les caractéristiques d’une formation diasporique. La « multipolarité » de la dispersion et « l’interpolarité » des relations avec le pays d’origine et entre les différents pôles de la migration sont réelles [1]. Les contacts sont réguliers et divers (visites, correspondances, appels téléphoniques, messages électroniques…) avec le Sri Lanka [2] et entre les « Tamouls du monde »[3]. La vie associative est essentiellement orientée vers la culture et le pays d’origine. Les médias communautaires sont transnationaux. Les temples et les fêtes alimentent les rites et les sentiments religieux de la « communauté ». Les commerces, les produits proposés, l’agencement et le nom des magasins rappellent le Tamil Eelam, le pays Tamoul. L’interpolarité peut également se traduire par des migrations à travers l’espace diasporique, motivées par des raisons socioéconomiques [4]. Précisément, les Sri-Lankais présents en France envisagent fréquemment de quitter la France pour l’Angleterre aspirant à un « mieux-vivre ». Toutefois, ces intentions se concrétisent plus rarement dans la mesure où elles sont ancrées dans une expérience migratoire discréditée par les nationalistes tamouls, eux-mêmes très présents dans l’espace diasporique. Ainsi, la diaspora tamoule du Sri Lanka est traversée par deux lectures de la migration, s’appuyant chacune à leur façon sur une définition de la société tamoule « authentique » et appelant à sa sauvegarde. Elles ont été forgées par les expériences migratoires liées à l’histoire sociale et politique de l’île.

2La première lecture, « traditionnelle », est liée à la période coloniale. Elle fait de la migration vers l’étranger un facteur d’ascension sociale et, pour la caste dominante des Vellalar, le moyen d’assurer la continuité d’un statut social et la pérennisation de valeurs culturelles. Dès la seconde moitié du XIXe siècle, des Tamouls partent travailler en Malaisie. Les mines, la construction des chemins de fer, des routes, des télégraphes nécessitent une importation de main-d’œuvre et les Tamouls de Ceylan saisissent cette opportunité. Comparativement à d’autres groupes migrants en Malaisie, ils parviennent à entrer dans l’administration évitant le travail non qualifié, voire à occuper des postes de direction, notamment dans le chemin de fer. En fait, les officiers britanniques en Malaisie avaient auparavant séjourné à Ceylan et ramené avec eux le personnel technique tamoul (clercs, comptables, contremaîtres) dont ils appréciaient l’assiduité au travail et leur maîtrise de l’anglais. Longtemps favorisée par le système colonial britannique, l’élite tamoule conservatrice va en partie se définir par l’adoption d’un style de vie européen tout en affirmant sa richesse et sa position sociale à travers le mariage et la dot. L’émigration s’intensifie dans la seconde moitié du XXe siècle avec les opportunités d’emploi offertes par la manne pétrolière du Moyen-Orient, puis avec la guerre opposant l’armée cinghalaise et les rebelles tamouls [5] qui revendiquent l’indépendance du nord-est de l’île [6]. Cette nouvelle expérience détermine une lecture « politique » de la migration, appropriée et diffusée par les militants nationalistes. L’exil est alors une condition de survie du peuple tamoul et s’achèvera avec son retour triomphant au Tamil Eelam.
Dans les années quatre-vingt, des milliers de Tamouls vont donc prendre le chemin de l’exil et demander le statut de réfugié dans les pays occidentaux. L’importance du phénomène migratoire affecte en profondeur les structures sociales, économiques et démographiques du pays. En 2000, selon une estimation gouvernementale, un million de Sri-Lankais au moins, de toutes les catégories sociales, avaient émigré dans le monde. Ils seraient 60 000 en France au début du XXIe siècle, principalement des Tamouls [7]. Au cours de la décennie 1990, 145 000 Sri-Lankais ont demandé l’asile dans plusieurs pays de l’Europe de l’Ouest : Allemagne, Autriche, Danemark, Finlande, France, Grèce, Italie, Pays-Bas, Norvège, Espagne, Suisse, Royaume-Uni [8].

Encadré 1 : Méthodologie de l’enquête

Nous avons réalisé des entretiens et des observations, de 1999 à 2001, dans la région parisienne où la population tamoule du Sri Lanka est le plus fortement implantée. Après avoir analysé le poids du « communautaire » dans l’accueil et l’installation des Tamouls réfugiés en France lors d’une recherche précédente menée pour le FAS, nous avons approfondi la question de la politisation de la population tamoule en exil. Les associations et les médias ont particulièrement retenu notre attention. Nous nous sommes également intéressée au projet d’une nouvelle émigration souvent évoqué par les Sri-Lankais et les obstacles à sa réalisation. Militants associatifs, acteurs médiatiques et réfugiés « ordinaires » ont été rencontrés. Une trentaine d’entretiens ont été menés, enrichis par des observations dans le secteur de la Chapelle (temples, locaux de traducteurs, écoles tamoules, « annexes » du Comité de coordination des Tamouls, etc.). Nous avons choisi de rendre compte de nos résultats en exposant, sur les différents thèmes abordés, d’une part, le point de vue des militants nationalistes affiliés au Mouvement des LTTE, d’autre part, le point de vue de réfugiés non militants et, parfois, opposés aux actions du Mouvement. Nous avons ainsi voulu éviter l’écueil d’une approche qui paraîtrait trop partisane d’une population, pour laquelle la neutralité scientifique semble être une gageure tant les enquêtés, qu’ils soient militants ou non des LTTE, tendent à vouloir vous faire prendre parti pour leur cause. La suspicion, la peur de parler chez certains Tamouls ont aussi marqué le déroulement de notre enquête et révélé la crainte, non dénuée d’ambivalence, des Tamouls à l’égard d’un Mouvement qui semble se faire de plus en plus présent dans leur vie quotidienne, tout au moins à Paris.

De l’asile à l’installation en France

3Quitter le Sri Lanka nécessite un réseau de contacts, passeurs et « agents », qui connaissent parfaitement les routes à emprunter et les personnes sur qui compter, douaniers et policiers corrompus par des bakchichs au Sri Lanka et dans les pays traversés. Au début des années quatre-vingt, les candidats au départ cherchent à rejoindre les pays où était déjà expatriée la génération précédente, en particulier la Grande-Bretagne et le Canada. Mais ces pays sont désormais moins accessibles en raison, d’une part, de la fermeture de leurs frontières aux citoyens du Commonwealth n’appartenant pas à des catégories spécifiées (chercheurs, étudiants, personnel médical, etc.), d’autre part, du coût élevé des transports. Les Tamouls empruntent alors d’autres voies, passant par les pays de l’Est européen, où les tarifs des compagnies aériennes sont peu élevés et les autorités peu regardantes, pour arriver dans les pays d’Europe de l’Ouest. Les parcours de passage ont donc évolué et se sont diversifiés : via l’Iran et la Turquie, puis l’Espagne ou l’Italie, ensuite, la Yougoslavie, la Roumanie et la Russie. Selon le pays de destination, les prix du voyage oscillent entre 7 600 et 15 200 euros à la fin des années quatre-vingt-dix. Ces sommes importantes contraignent à vendre des biens et à réaliser des emprunts qui impliquent souvent la famille élargie, endettant lourdement les candidats au départ. Les Tamouls restent discrets sur leurs itinéraires, leurs peurs et souffrances, comme si les aléas du parcours faisaient partie du prix à payer pour fuir un pays déchiré par la guerre.

4Manik, parti du Sri Lanka en 1989, est arrivé en France en novembre 1990 à la suite de « deux ans de voyage ». Il n’avait aucune famille en France à l’époque. Depuis, Dévi, son épouse, est venue le rejoindre, ainsi que l’un de ses frères. Manik a obtenu le statut de réfugié en 1992. Il s’est marié en 1995 à Bangkok avec Dévi qu’il connaissait depuis l’école. Elle est arrivée quelques mois plus tard : « Il me connaissait déjà avant. J’avais 13 ans, il avait 16 ans. Après il est venu ici. Après on s’est marié à Bangkok en 95. Après, je suis retournée au Sri Lanka, je suis restée cinq mois là-bas à Colombo. Après je suis venue par l’agence de voyages. J’ai payé beaucoup, beaucoup. C‘est lui qui a payé ! 60 000 francs en 95. Au noir, j’ai payé au noir. » Là-bas, il faut se renseigner auprès des agences de voyage « non officielles » quand on veut quitter le pays : on le fait savoir, cela transite par plusieurs personnes, puis un passeur, homme ou femme, le contacte.

5Au début des années quatre-vingt, première période de leur exil, les Tamouls en partance pour l’Angleterre, se retrouvent « bloqués » en France et, en quelque sorte par défaut, y sollicitent l’asile. Cependant, l’accueil plutôt favorable à leur demande de statut de réfugié, tout au moins jusqu’au début des années quatre-vingt-dix, et la création d’une « communauté » tamoule les conduisent à séjourner en France de façon plus volontaire [9]. La France devient progressivement un territoire d’asile pour les Sri-Lankais. D’ailleurs, à la fin de la décennie 1990, la demande d’asile sri-lankaise en France [10] représente 18 % de l’ensemble des demandes sri-lankaises dans les pays européens. Le nombre de réfugiés statutaires sri-lankais en France se situe au deuxième rang après l’Inde (soit respectivement près de 13 % et 55 % de l’ensemble d’entre eux dans le monde) [11]. Les ressortissants du Sri Lanka demeurent l’une des premières nationalités à solliciter l’asile en France et à se voir reconnaître le statut de réfugié. En 1999, 14 % des 4 659 nouveaux réfugiés sont de nationalité sri-lankaise. Le taux de reconnaissance, toutes nationalités confondues, avoisine les 19 % ; le taux d’accord pour les Sri-Lankais est environ de 43 % en 1999. En 2002, l’OFPRA a délivré 8 495 certificats de réfugiés, le taux d’admission global est de 17 %, un peu plus de 33 % pour les Sri-Lankais. Environ 2 000 Sri-Lankais demandent l’asile chaque année depuis 1999. L’insécurité dans l’île reste importante. D’ailleurs, l’OFPRA observe dans son rapport d’activité de 2002 que, « malgré la modification du paysage politique au deuxième semestre 2002 (négociations de paix, levée de l’interdiction sur le LTTE), la demande d’asile reflète toujours, dans son ensemble, la précarité de la situation générale et l’insécurité, et se réfère à des craintes de persécutions tant de la part du LTTE que des autorités, ainsi qu’à des arrestations et des rafles dans la capitale »[12].
Au nombre de 15 938 en 2002, les réfugiés du Sri Lanka, encore à dominante masculine (63 % d’hommes contre 37 % de femmes) constituent la première population réfugiée en France. Identifiés essentiellement comme des « réfugiés politiques », les Sri-Lankais n’ont cependant pas tous été engagés politiquement. Certains ont combattu auprès des Tigres et ont fui le pays après une arrestation par le gouvernement cinghalais. D’autres appartenaient à des groupes rivaux et ont voulu échapper tant aux exactions cinghalaises qu’à l’hostilité des LTTE. D’aucuns, les plus jeunes notamment, ont voulu se soustraire à l’enrôlement forcé dans les troupes rebelles. La plupart ont parmi leurs proches des morts ou des disparus et ont craint de connaître le même sort. Tous racontent la dégradation de la vie quotidienne et le climat perpétuel de peur. Tous sont marqués par les années de guerre, les répressions plus ou moins vives selon leur région d’origine.
Si, dans leur ensemble, les Tamouls réfugiés en France sont loin d’avoir été politisés dans leur pays d’origine, la politisation des instances associatives et médiatiques peut éclairer leurs attitudes actuelles vis-à-vis du Mouvement des LTTE, dans lesquelles se mêlent crainte et fascination.

Une présence communautaire

6La politisation se développe parallèlement à une implantation spatiale très localisée des Sri-Lankais à Paris et sa banlieue, qui confère à leur arrivée et à leur installation un caractère communautaire. Ce caractère est particulièrement visible dans le quartier de laChapelle à Paris, à la frontière des 10e et 18e arrondissements, d’ailleurs désigné « Little Jaffna » par les Tamouls eux-mêmes, en référence à la capitale du nord de l’île [13]. Des commerces srilankais de toutes sortes s’y sont établis en l’espace de quelques années seulement. Les restaurants, les épiceries-bazars, les salons de coiffure, les boutiques de vêtements, les bijoutiers, les magasins de cassettes vidéos et de musique se côtoient tout au long de la rue du Faubourg Saint-Denis, à proximité de la gare du Nord et dans les rues avoisinantes. Deux temples hindouistes (d’autres existent à Pantin, Chelles…) accueillent les Tamouls parisiens pour leurs rites et cérémonies. L’un d’eux prend en charge l’organisation de la fête de Ganesh et la procession en son honneur qui a lieu, chaque année, au début du mois de septembre. Les Sri-Lankais de confession catholique disposent également de leur aumônerie et de leur église dans le 10e arrondissement. Le prêtre tamoulophone se rend régulièrement dans les églises des villes de banlieue où les Tamouls résident afin de célébrer des messes en langue tamoule devant une assistance catholique et hindouiste. Des spectacles de danse et musique traditionnelle, des films indiens projetés dans les cinémas de quartiers agrémentent le quotidien des Sri-Lankais. Les journaux, radios et télévisions tamouls, diffusés en France et dans le monde, complètent cet ensemble. La dimension communautaire se matérialise également dans la circulation monétaire à l’occasion des prêts, tontines, dons aux temples et aux militants nationalistes ou encore en échange de services (aide au logement, démarches administratives, etc.). Plus généralement, elle est sollicitée, et proposée, pour accéder rapidement à un logement et, surtout, à un emploi. Dès leur arrivée, en effet, les Tamouls, quelle que soit leur situation légale [14], souhaitent travailler afin de rembourser les dettes contractées pour le « voyage » vers l’Occident et aider les membres de la famille restés au pays. Les frères ont aussi l’obligation morale de financer la dot matrimoniale de leurs sœurs, dont le montant n’a cessé de croître depuis l’émigration massive. En France, il s’échelonne de 8 000 à 32 000 euros d’après des Tamouls qui constatent une inflation de la dot en fonction des « papiers » du fiancé. Les plus cotés sont, dans l’ordre croissant, l’attestation provisoire de séjour, la carte de réfugié, puis le passeport français. L’homme pourra demander une dot plus importante à la famille de la fille si son statut administratif se révèle plus stable. Le processus de la migration internationale interagit avec les coutumes locales de la dot. Bien que les maris potentiels de leurs filles soient eux-mêmes en Occident, les parents demandent un capital plus élevé pour les dots des fiancées de leurs fils. En fait, la dot sert, non plus à en financer une autre, mais à payer le prix croissant du voyage vers l’Occident. À Jaffna, frères et parents préfèrent marier les filles en dehors du pays et les éloigner de la guerre. Mais trouver des conjoints peut s’avérer difficile car cela suppose d’avoir des informations sur la caste, la famille, les caractéristiques personnelles, le statut économique et légal dans le pays d’accueil des candidats potentiels au mariage, or la population de Jaffna est répartie sur cinq continents et il n’est pas aisé d’obtenir de telles informations. Les moyens de communication (par exemple, les vidéos de prétendantes au mariage, les annonces matrimoniales via internet et les journaux) et les réseaux de parenté dans la diaspora sont utilisés, sans être nécessairement couronnées de succès. Enfin, la présence communautaire se cristallise dans le déploiement associatif qui s’opère à la fin des années quatre-vingt-dix, à l’instigation du Comité de coordination des Tamouls (CCT), sympathisant des LTTE.

L’encadrement associatif de la jeunesse

7Présent en Allemagne, Australie, Grande-Bretagne, Italie, Norvège, Suède, Suisse ainsi qu’aux Canada, Danemark, États-Unis et Pays-Bas, le Comité de coordination des Tamouls a été créé à Paris, en 1980, sous un statut associatif. Ses membres, se désignant eux-mêmes « militants (ou amis) des Tigres », ont, au cours des années quatre-vingt-dix, réorienté leur activité en substituant à l’aide administrative et sociale aux arrivants, une approche culturelle et communicationnelle auprès des familles tamoules anciennement installées. Cette réorientation s’est concrétisée par la mise en place de tout un ensemble d’associations, qui n’affichent pas nécessairement leurs liens au CCT. Toutefois, les actifs de ces associations sont également membres du CCT. Ils expliquent leur polyvalence associative par le manque de bénévoles.

8« De toute façon, on se balade un peu partout et parce qu’on a une espèce de solidarité, on a une espèce de soutien. […] Ça s’emboîte les uns dans les autres », « Est-ce une stratégie ? », « Non, je pense que ça s’est trouvé… enfin stratégie, je ne sais pas, peut-être. Je ne peux pas vous dire ça, mais je pense que c’est surtout par manque de personnel. […] On est obligé d’être lié à toutes les associations, même si on n’est pas lié avec tout le monde, car malheureusement elles manquent de personnes, donc on est obligé de faire ceci cela. […] Ça fait un peu comme la toile d’araignée qui s’éparpille », présidente d’association.

9Le schéma associatif suit le modèle des poupées gigognes avec en élément central, le Comité. Cet emboîtement permet sans doute de ne pas être étiqueté trop ouvertement « Tigres » tant par les Tamouls que par les institutions françaises. L’appellation « franco-tamoule », assez commune aux associations, témoigne de cette volonté de discrétion. Une trentaine d’associations établies dans la région parisienne, Toulouse, Bordeaux, Strasbourg, Lyon ou encore Tours, sont ainsi réunies au sein d’une fédération, elle-même affiliée au CCT.

10À la fin des années quatre-vingt-dix, le secteur associatif se spécialise. Une trentaine d’écoles Tamoulcholaï, regroupées dans l’association Tamoulcholaï (créée en 1998), sont destinées à l’apprentissage de la langue tamoule, de la danse et musique traditionnelle, et au soutien scolaire. Elles accueillent environ 1 600 enfants en 2001, âgés de 5 à 18 ans [15]. La dénomination Tamoulcholaï signifie, selon le président de l’association, le « jardin vert ». Les écoles affichent leur devise : « notre langue maternelle est la racine de notre bien-être ». Les enseignants y valorisent la réussite, le travail, la discipline. L’année scolaire s’achève par un spectacle dans lequel les enfants, revêtus de treillis militaires, chantent, dansent et jouent des scènes à la gloire des « martyrs » de la lutte de libération.

11Des clubs sportifs proposent des activités diverses telles que le football, l’athlétisme, le badminton, le volley-ball, etc. Chaque été, le CCT organise des tournois entre les différents clubs « à la mémoire des combattants ». Le même esprit de compétition animerait toutes les activités associatives donnant aux jeunes l’occasion de se valoriser, de se dépasser et de « représenter » fièrement la « nation tamoule ».

12Un versant associatif est plus directement orienté vers les événements au Sri Lanka et les actions de soutien. Les associations « humanitaires », notamment l’Organisation pour la réinsertion des Tamouls (ORT), organisent ainsi la collecte de fonds auprès des réfugiés afin d’aider les déplacés des régions tamoules en leur fournissant des médicaments, des vivres et des abris. L’Association des droits des Tamouls rédige une gazette à destination des personnalités politiques des différents États pour les informer, disent les militants, des « atrocités » commises par les Cinghalais envers les Tamouls. Quelques bénévoles se chargent de préparer le voyage à Genève afin de représenter les Tamouls lors de la Conférence annuelle sur les droits de l’homme organisée par l’Organisation des Nations unies. La section féminine du Comité, le Comité des femmes tamoules, gère l’intendance des spectacles organisés par le Comité.

13Le rôle dévolu au secteur associatif est bien d’encadrer la jeunesse tamoule en s’assurant de sa socialisation à « la culture tamoule » et, dans le même temps, de son soutien à la « cause tamoule ». Les militants estiment que les jeunes doivent être informés de l’histoire du conflit car les parents feraient souvent défaut à ce sujet, ayant « peur qu’ils deviennent carrément des Tigres et qu’ils s’en aillent là-bas ». Leur méfiance à l’égard des parents, des adultes en général, s’éclaire par l’idéologie du Mouvement, qui récuse une hiérarchie fondée sur le principe de l’ancienneté et valorise la jeunesse [16]. L’Association des étudiants tamouls est censée répondre à cet objectif d’information en diffusant des publications en langue française adressées aux jeunes tamouls ayant grandi en France, plus enclins à lire en langue française qu’en langue tamoule, ainsi qu’aux médias et institutions françaises. L’Association, constituée d’une cinquantaine de bénévoles, est encore balbutiante au début des années 2000 faute d’adhérents. Si les militants se disent soutenus par l’ensemble de la population tamoule, ils reconnaissent néanmoins la difficulté à mobiliser les « étudiants » afin qu’ils s’engagent directement dans le CCT. La diversité associative leur paraît être un moyen d’attirer la jeunesse tamoule.
« Peu importe quelle association, c’est le contact que l’on a entre nous qui fait qu’on est lié les uns aux autres, c’est vraiment une toile d’araignée. […] C’est pour cela que dès maintenant on commence à leur en parler pour qu’ils puissent continuer à travailler avec nous, même quand ils seront plus grands ».
De l’avis du CCT, les jeunes doivent devenir des « militants » et, ainsi, la figure jumelle des « soldats » du pays. Les « militants » lui sont nécessaires pour assurer ses diverses activités : les magasins, le journal, la collecte d’argent, l’information, etc. Le bénévolat fait écho au « sacrifice suprême » des « militants », les « Tigres Noirs », qui se battent au Sri Lanka jusqu’à la mort pour libérer l’Eelam tamoul. Le « militant », confondu alors avec toute la jeunesse tamoule, doit être un « ascète » entièrement dévoué à la cause [17]. La difficulté à recruter de nouveaux bénévoles montre que cet idéal est loin d’être unanime. Le déploiement massif et encore récent des associations peut néanmoins faire la preuve de son efficacité dans les années à venir. Au regard du CCT, la vie associative doit favoriser l’émergence de la perfection tamoule en basant ses activités sur les valeurs de performance, intellectuelle et physique, de discipline et le respect des « racines » tamoules. L’ambiguïté du terme « militant » permet de passer du registre politique au registre culturel.

La politisation du culturel

14Les Sri-Lankais, malgré leurs éventuelles réticences à l’égard des Tigres, tendent à envoyer leurs enfants dans les associations du CCT car ses perspectives sur « l’intégration » sont proches des leurs. En effet, elle paraît positive quand elle est socio-économique, mais négative quand elle signifie acculturation, voire assimilation, à l’Occident. En fait, les éléments culturels (langue, religion, « mentalité ») sont les enjeux du conflit Cinghalais/Tamouls dans lequel les parties adverses tentent de légitimer leurs prétentions politiques par l’antériorité de leur présence sur l’île. Les nationalistes tamouls accusent les Cinghalais de « génocide », cherchant par tous les moyens à détruire la culture et le peuple tamouls. Or la culture tamoule serait tout autant menacée par le contact avec la culture occidentale, aussi sa protection est-elle érigée en devoir national par les partisans des LTTE. Le CCT a donc mis en place un large tissu associatif censé empêcher la dislocation de la culture tamoule en exil. Cette action fait écho à l’inquiétude des parents tamouls concernant le devenir culturel de leurs enfants au contact d’une société dont les valeurs, notamment celles relatives aux conduites sexuelles et matrimoniales, leur paraissent très éloignées de la culture et de l’identité tamoules. Ils s’étonnent souvent, de manière négative, du nombre important de divorces en France, de l’union libre et des naissances hors mariages. Ils sont scandalisés par l’idée que les jeunes gens puissent changer plusieurs fois de partenaires amoureux et redoutent de telles conduites chez leurs enfants. Les discussions sur les enfants, à travers l’école et le mariage, amènent les Tamouls à parler plus ouvertement de la caste et à reconnaître qu’ils n’y sont pas indifférents, surtout s’ils sont d’une caste élevée. Ils souhaitent ainsi que leurs enfants ne fassent pas ce qu’ils appellent un « mariage mixte », c’est-à-dire un mariage dans une caste inférieure [18]. Les jeunes peuvent être néanmoins d’un avis différent et, dans ce cas, leur mariage suscite des conflits familiaux. Il arrive que les protagonistes demandent un arbitrage du CCT, les parents mettant en avant le respect de la culture tamoule et des traditions, les enfants évoquant leur socialisation en France et la caducité du système des castes. Les mariages avec des non Tamouls sont rares.

15Par le biais du secteur associatif, les militants nationalistes sont devenus, en quelques années, ceux qui authentifient la culture tamoule et permettent aux exilés de se « ressourcer », de retrouver leurs « racines ». Certes, des associations existent en dehors du CCT. Certaines sont d’ordre confessionnel (catholiques surtout), attachées à la paroisse d’origine, et paraissent assez minoritaires. Des associations de femmes tamoules, souvent catholiques, ont été plus actives dans les années quatre-vingt, aidant et accompagnant les femmes tamoules dans leurs démarches administratives ou de santé, c’est moins fréquent aujourd’hui, faute de bénévoles. Des « associations littéraires » publient des revues et organisent des rencontres littéraires d’un pays européen à l’autre. Toutefois, leur caractère volontairement élitiste touche peu la population tamoule en général. Par ailleurs, leur critique politique est très mesurée quant à l’action des Tigres bien que leurs membres soient en général opposés au Mouvement. Les militants sont vigilants et les membres de ces associations constatent qu’ils ne peuvent dire « leur vraie opinion, même en vivant en France » (Dinesh). Le message nationaliste est, de fait, très présent dans les différents médias. Deux hebdomadaires en langue tamoule sont édités à Paris. L’un d’eux, Eelamurasu (« Tambours de l’Eelam »), émane directement du CCT, le second, Eelanadu (« Pays d’Eelam ») reste sous sa surveillance. Eelamurasu, né en 1995, est distribué « dans toute l’Europe » en 15 000 exemplaires dont un tiers en France. Il traite des événements au Sri Lanka ainsi que de l’actualité française et internationale. L’un de ses fondateurs a été assassiné en 1996 à Paris, assassinat attribué aux Tigres selon les uns, aux Cinghalais selon les autres. Le coupable n’a pas été trouvé.
Les militants du Mouvement ne nient pas leur activité de propagande et, au contraire, la légitiment face au mauvais accueil réservé à l’action des Tigres par les médias internationaux et cinghalais. Ainsi, la presse française leur paraît trop silencieuse sur la situation des Tamouls au Sri Lanka, voire sur leur vie en France, et les rares articles toujours consacrés aux « attentats », figeant les Tigres dans leur image de « terroristes » et les Cinghalais dans celle de « victimes ». Une des formes de la lutte, en réaction à l’hostilité ou à l’indifférence médiatique et politique à l’égard de la cause tamoule, est de produire une information « vraie » sur ce qui se passe dans l’île, de dévoiler les exactions du pouvoir cinghalais et d’exalter les victoires tamoules ; c’est là la tâche principale des « militants », en particulier des « étudiants ».
Les programmes transnationaux des radios et télévisions, diffusées dans la région parisienne (Bobigny et La Courneuve), sont captés par des milliers d’abonnés. Ils sont fondés sur les actualités du Sri Lanka, la mise en contact des Tamouls disséminés dans le monde, les questions des auditeurs, les jeux et les hits parades. Les relations houleuses entre les dirigeants mêlent les histoires d’argent, de caste et de proximité aux Tigres. Du reste, si une télévision paraît être plus directement sous leur contrôle, tous font preuve de prudence dans leurs propos et respectent la version nationaliste de l’Histoire.

La rhétorique nationaliste de l’exil

16Les partisans des LTTE ont leur propre interprétation de l’histoire [19]. Ils décrivent les Tamouls comme des « victimes » de la répression due au « chauvinisme raciste cinghalais », selon l’expression consacrée du Mouvement [20]. Ils récusent les accusations à l’encontre des Tigres et dénoncent les manœuvres de la Présidente pour les discréditer. Aux accusations de terrorisme dont ils sont l’objet, ils opposent le « terrorisme d’État » pratiqué par les Cinghalais à l’égard des Tamouls et se qualifient eux-mêmes de « résistants ». Ils mettent en avant le soutien de la population tamoule à leur action et dénient l’élimination des groupes rivaux, la pression exercée sur les exilés ou leur implication dans des trafics (arme, drogue et filières d’émigration). Ils stigmatisent le silence complice des « grands de ce monde » à l’égard du gouvernement cinghalais. Les États-Unis et la Grande-Bretagne sont en tête des pays qui attirent leurs foudres. Leurs propos sont, ainsi, très durs à l’égard de la Grande-Bretagne lorsqu’elle interdit l’organisation des LTTE sur son territoire au début de l’année 2001 : les Britanniques voudraient préserver leurs intérêts économiques au Sri Lanka et se seraient soumis aux pressions de leur « maître américain ». Notre interlocuteur affirme que les Tamouls veilleront à effacer toute trace de leur présence dans le prochain « Eelam indépendant ». En revanche, leur « chef a une bonne opinion de la France, parce que la France, qui n’avait pas de contacts, de responsabilités historiques comme l’Angleterre, a reçu chez elle plus de 40 000 réfugiés ». De plus, les Tamouls y « sont bien traités et en sont conscients ». L’acquisition de la nationalité française est d’ailleurs présentée comme une bonne chose car, en ouvrant l’accès au droit de vote et à l’éligibilité, elle permettra d’avoir plus tard des représentants tamouls élus et de faire entendre davantage la cause des Tamouls.
L’historiographie nationaliste est massivement diffusée par les canaux associatifs et médiatiques du globe. Ainsi se répand l’expression d’une destinée commune aux Tamouls de l’Eelam disséminés dans le monde entier, confortée par les ramifications multiformes des LTTE à l’intérieur des pays d’exil [21]. Les militants nationalistes lient la migration aux tragédies du Tamil Eelam : les Tamouls ont quitté leur terre natale pour fuir la répression cinghalaise, aspirant à y revenir une fois l’indépendance acquise. Le temps de l’exil ne peut être qu’un temps de souffrance et de sacrifice, hommage en miroir au « sacrifice suprême » des « martyrs » de la guerre.

Encadré 2 : Le conflit au Sri Lanka

Après l’indépendance (1948), la majorité cinghalaise prend une série de mesures à l’encontre des Tamouls [22]. La langue cinghalaise est promue seule langue officielle de l’île (1956). La politique de « colonisation » se traduit par l’envoi de paysans cinghalais sans terres dans les zones tamoules. Au début des années soixante-dix, la politique de « standardisation » impose des quotas pour restreindre l’accès des Tamouls à l’université et la jeunesse tamoule se sent brimée dans ses aspirations à l’éducation, à la réussite sociale. Dans les années quatre-vingt surviennent des événements marquants pour les Tamouls : l’incendie criminel de la Grande bibliothèque de Jaffna (1981), les émeutes sanglantes anti-Tamouls à Colombo (1983), l’occupation du nord-est de l’île par l’armée indienne (1987-1990).
Tout au long de ces années, l’opposition tamoule est représentée par de multiples groupes – le Tamil United Liberation Front(TULF), le People’s Liberation of Tamil Eelam (PLOTE), le Tamil Eelam Liberation Organisation (TELO), l’ Eelam Peoples Revolutionnary Liberation Front (EPRLF) et les LTTE, interdits en 1978. Ces groupes se réclament du socialisme et veulent l’indépendance de l’Eelam, mais ils ne vont pas s’entendre sur les actions, violentes et non violentes, à entreprendre. Les groupes sont aussi traversés par les conflits intercastes et intracastes. Au début des années soixante-dix, les membres du PLOTE venaient assez largement des Velalar (caste dominante des « agriculteurs »), les leaders des Tigres des Karaiyar (caste des « pêcheurs ») et les EPRLF étaient surtout soutenus par la province Est. Enfin, les appartenances villageoises et régionales ont aussi eu leur importance. Progressivement, les LTTE vont s’ériger en seuls représentants légitimes de la défense de la « cause tamoule » jusqu’à détenir, au début les années quatre-vingt-dix, le « quasi-monopole de la lutte armée » [23]. Ils vont mener leur action de guérilla, emportant des victoires et multipliant les attentats contre des personnalités importantes (la Présidente Chandrika, en 1999) et des symboles (le temple de la Dent de Bouddha à Kandy, en janvier 1998).
L’oppression cinghalaise à l’encontre des Tamouls a donc contribué à créer la fiction d’une unité tamoule tant sur le plan territorial que sur le plan symbolique. Les démonstrations de force des LTTE à caractère délibérément théâtral, vont concourir à imposer leur réalité et leur omnipotence. Tant au Sri Lanka qu’à l’étranger, ils vont éliminer les militants tamouls rivaux, ainsi que les membres dissidents du Mouvement. Leurs soldats sont recrutés de plus en plus jeunes. Par leur sacrifice, associé à deux symboles, la capsule de cyanure avalée en cas de capture et les commandos suicides des Tigres Noirs, ils attirent l’attention du monde entier. Les Tamouls en exil, même s’ils sont critiques à l’égard des LTTE, sont impressionnés par l’esprit de sacrifice de leurs soldats.

Le devoir patriotique en exil

17Au regard des militants nationalistes, l’exil est par essence politique et tout Tamoul, « Tigre dans l’âme », doit accomplir son devoir patriotique en soutenant financièrement ceux qui sont restés lutter pour la libération de l’Eelam tamoul. Les réfugiés qui s’y refusent sont considérés comme « traîtres » à la cause, tout comme ceux qui, devenus des Européens, renient leur identité tamoule pour laquelle les combattants des LTTE se sacrifient. D’aucuns constatent avec amertume qu’une fois « bien installés », des réfugiés se montrent « moins solidaires » et ne veulent plus donner d’argent aux émissaires du CCT.

18Ces derniers ont établi que la somme de 2,30 euros par jour était nécessaire pour subvenir aux besoins d’une personne au pays, autrement dit une cotisation minimale de 839 euros environ par an. Les versements se font plus souvent en espèces et selon des périodicités hebdomadaires, mensuelles ou annuelles. Les Tamouls travaillant pendant la semaine, la collecte a en général lieu le week-end. Elle exige un travail de comptabilité et de gestion, facilité depuis que le Comité enregistre « le nom de toutes les personnes » sur fichier informatique. Des équipes, composées de deux ou trois jeunes gens du Comité, se déplacent chez leurs compatriotes en se partageant les secteurs de la ville, les rues, les immeubles. Dans un premier temps, munis d’une carte officielle du Comité, les « garçons » laissent de « la publicité » (tracts) en précisant la période de leur prochain passage pour la collecte. Lors de leur seconde visite, ils inscrivent dans un cahier le nom de ceux qui acceptent de faire un don, la somme et les modalités de versement. Aux plus réticents, ils décrivent avec force détail la situation des Tamouls au pays. Malgré tout, faute d’argent ou par distance à l’égard des LTTE, certains hésitent à donner. D’autres collecteurs, plus âgés, passeront alors les voir une troisième fois, en argumentant davantage afin qu’ils versent une somme « minimale » (le montant reste vague).

19Selon ses activités, chaque groupe organise des collectes spécifiques. L’Organisation pour la réinsertion des Tamouls (ORT) quête pour « l’intégration au niveau économique » : nourriture, médicaments, abris. Le comité, « C’est pour la lutte » avec des subdivisions de la collecte selon les corps d’armée : « Tigres Noirs », « Armée de l’air », « Armée de terre ». En fonction des périodes de l’année et des événements au pays, les destinations de la collecte peuvent varier et les Tamouls en sont informés. Les militants assurent que les Tamouls, traumatisés par les violences cinghalaises, donnent de l’argent pour « le Mouvement » de leur plein gré.

20« Parce que les gens qui nous aident financièrement ne peuvent pas venir tous au bureau. Ce sont des milliers de personnes. Donc, nous avons des responsables, des jeunes garçons, qui sont membres du Mouvement, qui partent vers telle ou telle région ; ils rencontrent des gens. Il y a des gens qui nous versent une certaine somme chaque mois. Pour nous, c’est la Suisse qui donne chaque mois la part la plus importante. Certains gens ne comprennent pas. Chandrika ne comprend pas. Nous n’avons pas besoin de forcer. Ils ont des yeux, ils savent réfléchir, ils ont vu des choses. Ce sont des gens instruits, ils savent réfléchir. Ils ont vu la terrible injustice subie par les Tamouls. Ils ont vu comment les Cinghalais ont violé les femmes, ont tué, ont massacré, ont enterré. Tout cela, ils ont vu. Et bien, ils ont une volonté naturelle de se défendre ! Nous ne devons pas perdre notre territoire, nous avons un passé brillant. Nous allons revivre, reconstruire ce passé. »

21En fait, lors de notre enquête, les réfugiés affichent plutôt leur sympathie à l’égard des LTTE. Seuls quelques-uns critiquent leurs actions, les comparant alors aux « Khmers Rouges » ou, plus souvent, à une « mafia ». Ils n’osent le dire à haute voix, redoutant des représailles ici et au pays. Selon eux, les Tigres, par l’intermédiaire des comités présents dans les pays occidentaux, dirigent divers commerces, contrôlent les prix et demandent une commission aux autres commerçants. L’un d’eux, excédé par une « visite » récente, dénonce plus volontiers leur pouvoir financier (« à Paris, en Allemagne, partout »), multiforme – médias, magasins, écoles, temples – dont la source, de gré ou de force, est l’argent des réfugiés. Lui-même se dit régulièrement sollicité par « le Mouvement » et si les « particuliers » doivent donner de 536 à 839 euros, la somme, pour les commerçants, s’élève entre 1 678 et 2 287 euros.

22La plupart des personnes rencontrées ont donc confirmé leur don d’argent aux membres du CCT. Quelques-unes le disaient fièrement, reprenant à leur compte le discours militant. Certaines le reconnaissaient avec quelque embarras et inquiétude. D’autres affirment ne rien donner sans être pour autant menacées. Toutes ont souligné l’efficacité du réseau d’information du CCT, ses militants apprenant très rapidement les coordonnées des Tamouls dès leur arrivée dans un nouveau logement. Du reste, s’ils sont effectivement redoutés, les partisans des LTTE suscitent en même temps des sentiments d’admiration et de respect.

23L’influence des militants nationalistes sur les migrants tamouls s’est non seulement acquise dans la violence, tout au moins symbolique, mais aussi par la puissance de leur rhétorique de l’exil. Cette influence éclaire l’ambivalence des réfugiés à l’égard des LTTE.

Le pouvoir des militants

24La quasi-absence d’une parole critique envers les LTTE paraît être moins l’effet d’une censure directe des LTTE que d’une autocensure de toute opposition. C’est le résultat du tour de force réussi d’un mouvement ethnico-nationaliste qui a su s’approprier la représentation d’un « peuple » et se faire le seul défenseur de son intégrité à la fois physique, culturelle, territoriale et nationale. Autrement dit, quiconque critique les Tigres, rejette leur lutte (ou les moyens de la faire), dénie, dans le même temps, les souffrances du peuple tamoul et la justesse de ses revendications.

25L’historiographie nationaliste produit ses effets chez les exilés qui n’ont, pour la plupart, pas été des membres politiquement actifs dans leur pays [24]. Leur conscience nationale paraît s’être développée avec les conditions de l’exil et les activités des LTTE à l’étranger. Nous avons été frappés de la similitude des propos tenus par les réfugiés et les militants au sujet du conflit et, par conséquent, des raisons qui les ont amenés à quitter le Sri-Lanka. En effet, les interrogeant sur les circonstances de leur venue en France, les réfugiés demeurent en général assez vagues sur leur itinéraire personnel, évoquant davantage, de façon dramatique, l’histoire douloureuse des Tamouls telle qu’elle est mise en scène par les militants.

26Pourtant, les remises en question par les révolutionnaires de certains éléments de la tradition tamoule (le système des castes et des dots, la suprématie des aînés sur les plus jeunes, la place de la femme) pourraient déplaire aux réfugiés attachés à ces principes. En effet, les membres de la caste dominante des Vellalar privilégient toujours les mariages arrangés, respectueux d’une endogamie de caste. Seule occasion dans l’exil de légitimer l’appartenance de caste, les parents tamouls justifient leurs prétentions matrimoniales par la plus grande stabilité matrimoniale assurée par l’homogamie culturelle et l’étude au temple des horoscopes des fiancés, plaçant le mariage sous les meilleurs auspices. Ils veillent à ce que leurs filles préservent leur « karpu », symbole de leur virginité avant le mariage et de leur chasteté conjugale. En fait, les ambiguïtés des LTTE concernant les femmes (égalité des hommes et des femmes dans le combat, mais aussi valorisation de la vertu féminine, séparation des sexes, symbolisme maternel dans l’éloge de la mère patrie) et les castes (attachement à l’hindouisme et solidarité de castes chez eux malgré leur dénonciation du système) laissent la place à un aménagement avec l’attachement de certains réfugiés à ces traditions.
La défense d’une nation ethnicisée (une langue, un peuple, un territoire), unitaire et homogène, rejoint également les aspirations des Tamouls (les jeunes, les femmes ou les castes moins élevées) à plus d’égalité entre eux. Les associations et les médias diffusent l’idéologie du Mouvement auprès des « exilés tamouls ». Les militants nationalistes, occupant tout l’espace de la diaspora, ont une fonction d’« écran » entre le pays d’accueil et les réfugiés, d’une part, entre les « communautés diasporées » et le pays d’origine, d’autre part. La présence des partisans des LTTE est, en effet, manifeste dans tous les pays où vivent les réfugiés Tamouls. À leur arrivée, les militants nationalistes étaient déjà là, revendiquant la défense de leurs intérêts. Ainsi, en France, par le biais des associations, ils se font les représentants et les intermédiaires des Tamouls auprès des institutions (éducation nationale, mairies, etc.). Grâce à leurs moyens de communication au pays (téléphone, vidéos), ils constituent une source d’information importante pour avoir des nouvelles des régions de l’Eelam où vivent toujours les familles des exilés. Ils tiennent des conférences dans les différents pays de la diaspora montrant aux « expatriés » que les difficultés rencontrées (emploi, logement, éducation des enfants, etc.) dans l’exil ne sont pas propres au pays de leur installation, mais un destin douloureux semblable à tous les réfugiés et se justifiant par la lutte pour la libération de l’Eelam.

Un espace diasporique sous contrôle

27Cette rhétorique de l’exil rapproche les « Tamouls du monde » d’une diaspora « politique » [25]. Elle contrarie le projet d’une nouvelle migration, notamment vers l’Angleterre, formulé par des Sri-Lankais après plusieurs années de vie en France. Les aspirants à une nouvelle migration sont le plus souvent anglophones. Ils pensent que leur connaissance de la langue anglaise leur facilitera l’accès à un emploi proche de leur formation initiale et de l’expérience professionnelle qu’ils avaient au pays. Ils évoquent les possibilités d’acquérir rapidement un « bon travail », une « grande maison » et de bénéficier du « respect », autant d’éléments culturellement valorisés par les Tamouls. Ils citent l’exemple de leurs proches installés en Angleterre, parfois depuis les années soixante, qui sont « avocats », « médecins ». Les parents affirment que leur familiarité avec le système éducatif anglais est un critère de plus grande réussite pour leurs enfants puisqu’ils pourront mieux suivre leur scolarité. De plus, ils estiment que la langue anglaise et les diplômes obtenus en Angleterre peuvent être bien plus utiles aux enfants que la langue française et les diplômes français lorsqu’ils rentreront au Sri Lanka. Dans ce projet de mobilité, la société tamoule d’avant la guerre reste le principal référent. La langue anglaise était la langue usuelle de l’élite tamoule de Jaffna. Langue de prestige, elle est l’apanage des personnes « éduquées » – euphémisme pour désigner les membres de la caste dominante des Vellalar. Par ricochet, elle donne du prestige aux membres anglophones de basses castes. Ils deviennent à leur tour, grâce à leur instruction, des personnes « éduquées », s’émancipant ainsi de la hiérarchie des castes. Le projet d’installation en Angleterre est donc motivé, dans les castes dominantes, par le désir de retrouver une position sociale antérieure à la migration et, dans les basses castes, par celui d’une ascension sociale [26].

28Ces motivations vont à l’encontre de l’interprétation nationaliste de l’exil, même si elles participent d’un projet de retour au Sri Lanka. Pour les militants, le retour au pays ne peut être un retour dans la société d’avant la guerre mais dans une société égalitaire et unitaire, rejetant leurs différences sociales et culturelles internes – de même que sont niées les ressemblances entre Tamouls et Cinghalais. Envisager une nouvelle migration afin d’acquérir des biens, favoriser l’éducation de ses enfants, éléments valorisés et valorisables au regard de la société tamoule traditionnelle, se heurte à l’interprétation nationaliste de l’exil. Le seul pays d’installation, toujours provisoire, ne peut être que celui du premier asile. La seule mobilité est celle du retour au pays dans une temporalité qui se conjugue au futur proche, en référence à un passé « anté-colonial ». En effet, tandis que le sens traditionnel de la migration est étroitement lié à la période coloniale, les LTTE associent la lutte pour la libération nationale à un passé impérial glorieux, fondé sur des idéaux et des normes morales d’avant la colonisation.

29Les réfugiés qui cherchent à améliorer leur sort en explorant l’espace de la diaspora trahissent la « cause tamoule ». Ils affirment, du reste, rarement le désir de quitter la France afin de s’éloigner des Tigres, de leurs menaces et de leurs collectes de fonds. Néanmoins, quelques-uns partent sans avoir informé personne de leur départ et sans laisser d’adresse où les joindre. Leur départ, qui ressemble à une fuite, est expliqué par les Sri-Lankais comme une tentative d’échapper à l’emprise du Mouvement. Elle leur paraît souvent vaine face à l’omniprésence des LTTE.

30En fait, les départs ne sont pas aussi fréquents que le laissent entendre les souhaits. En l’espace de quatre ans, nous avons eu connaissance d’une dizaine de ménages ayant effectivement quitté la France pour l’Angleterre. Ce faible chiffre contraste avec les discours qui signalent leur importance (« il y en a beaucoup », assurent les Tamouls). Il montre les limites de la « conscience diasporique » chez les Tamouls du Sri Lanka. La conscience de la dispersion se traduit, en effet, selon des auteurs, par une « perception d’exterritorialité », « une conscience de soi dans un non-lieu » [27]. La multipolarité et l’interpolarité de la diaspora produisent une forme d’équivalence des lieux et, par conséquent, « l’impossibilité de la territorialisation ». L’identification à un « non-lieu » se substitue à l’identification à un territoire-nation. L’appartenance à une formation diasporique prime sur l’appartenance à un territoire-nation. Les liens de solidarité au sein de la communauté diasporique sont privilégiés à ceux avec le pays d’origine [28]. L’expérience diasporique élabore et valorise la « culture de la diaspora », fondée sur les valeurs et les signes (notamment, l’information) de la transnationalité. Cette formation sociale d’une nouvelle espèce, qui signifierait la fin des territoires et des États, est cependant contraire à la diaspora « politique » pour laquelle la référence à la terre-nation est essentielle.
La « conscience diasporique », lisible dans les aspirations des Sri-Lankais à la mobilité, physique et sociale, dans l’espace de la diaspora, ne peut s’exprimer pleinement dans la mesure où elle signifierait un détachement à l’égard de la patrie d’origine. D’ailleurs, la reconnaissance même de l’existence d’une « diaspora » est problématique comme le montre la réticence des militants nationalistes à user de ce terme. Ils préfèrent parler de « nation », de « peuple en exil » comme si nommer la « diaspora » entérinait une installation de fait, voire définitive, dans l’exil. Ils ne semblent donc pas succomber au « lyrisme » actuel du vocable diaspora [29]. Parmi nos interlocuteurs, peu ont d’ailleurs évoqué une « diaspora tamoule » sinon ceux qui, d’une part, tiennent un discours désenchanté sur le Mouvement des Tigres et leurs militants, et d’autre part, ceux qui veulent faire valoir leur activité (religieuse et/ou commerciale, notamment) tant sur le plan local qu’international. Dans une lecture strictement nationaliste de l’exil, il paraît donc difficile de mener à son terme le « pari d’ubiquité » [30], oublieux de la mère patrie, et d’adopter pleinement la « culture de la diaspora ». Seuls les partisans des LTTE présents aux deux extrémités du territoire de la diaspora, dans l’Eelam et dans les pays d’exil, peuvent légitimement se mouvoir dans l’espace diasporique car ils détiennent le monopole du sens de l’exil.
La tension entre les deux lectures tamoules de la migration, l’une encourageant les migrations d’un pôle à l’autre de la diaspora, l’autre les désavouant, représente de manière exemplaire les forces centrifuge (dispersion dans la communauté diasporique) et centripète (réunification à la mère patrie) d’une dynamique de diaspora. La diaspora tamoule est relativement récente pour qu’il n’y ait pas encore de « cristallisation diasporique » [31]. Les événements en cours au Sri-Lanka (négociations bipartites depuis 2002 sur l’autonomie de la région tamoule) et les générations montantes dans les territoires de la diaspora peuvent lui donner une configuration moins « politique ». Sa dynamique peut se modifier et donner l’occasion d’observer le passage d’un type de configuration à l’autre (« entrepreneuriale », « religieuse », « politique »).

Notes

  • [*]
    Sociologue, chercheur au Centre d’études sur les relations inter-ethniques et les minorités (CERIEM), université de Haute-Bretagne, Rennes.
  • [1]
    Cf. Emmanuel Ma Mung, « Non-lieu et utopie : la diaspora chinoise et le territoire », in M. Bruneau (sous la coordination de), Les diasporas, Paris, Reclus, 1995, p. 163-173.
  • [2]
    L’île de Sri Lanka compte, en 2000, près de 20 millions d’habitants, sur une surface de 66 milliers de kilomètres carrés. La population se compose d’un groupe ethnique majoritaire, les Cinghalais (bouddhistes, en général), un groupe ethnique minoritaire, les Tamouls (hindouistes, surtout), habitant principalement le nord du pays, l’est et la capitale Colombo.
  • [3]
    Nous mettons entre guillemets et en italiques les propos des enquêtés.
  • [4]
    Pour la diaspora chinoise, E. Ma Mung évoque des migrations à caractère « entrepreunarial », même si elles sont souvent à leurs débuts des migrations de travail.
  • [5]
    Notamment le Mouvement des Tigres de la Libération de l’Eelam tamoul et leur leader Vellupilaï Prabhakaran. Ils sont plus communément appelés les « Tigres » ou LTTE, selon le sigle de leur dénomination anglaise « The Liberation Tigers of Tamil Eelam ».
  • [6]
    Il existe quatre principaux groupes tamoulophones au Sri Lanka. Au centre du pays, les Tamouls de l’Inde (« Tea Tamils ») sont les descendants des travailleurs de plantation amenés par les Britanniques au XIXe siècle. Ils ne sont pas directement impliqués dans la guerre civile, bien que, depuis les années soixante-dix, ils forment une partie importante de la « question nationale » au Sri Lanka. Sur la côte Est, les Musulmans tamoulophones sont les descendants des commerçants musulmans des siècles passés qui se sont installés dans l’île. Ils étaient encore 75 000 à vivre dans la région Nord, mais en 1990, ils ont été chassés de la région par les LTTE. La région Est représente par ailleurs une partie du Sri Lanka tamoul. La composition des castes est différente et l’attachement plus fort à l’idéologie de caste que dans la région Nord. L’hindouisme y est également plus traditionnel et plus populaire. La majorité de la population tamoule vit dans la région Nord. Jusqu’à une période récente, ils s’autodésignaient les « Tamouls du Sri Lanka » ou plus souvent les « Tamouls de Ceylan » à la fois pour se distinguer des Tamouls indiens et pour souligner leur origine locale, leur donnant un droit de regard irrévocable sur les affaires du pays. Aujourd’hui, ils utilisent davantage le label « Tamouls de l’Eelam » (« Eelam-Tamil »), ancien terme tamoul désignant Ceylan.
  • [7]
    Cf. Eric Meyer, Sri Lanka. Entre particularismes et mondialisation, Paris, La Documentation française, 2001, p. 162.
  • [8]
    Cf. Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, Les réfugiés dans le monde. Cinquante ans d’action humanitaire, Paris, Éditions Autrement, 2000.
  • [9]
    Cf. A. Etiemble, Les Sri-Lankais dans la région Ile-de-France. De l’accueil à l’installation : le rôle du communautaire, Paris, FAS/ADERIEM, 2000.
  • [10]
    Les données chiffrées ne distinguent pas les demandes d’asile « tamoules » des « cinghalaises », mais la proportion des premières, au regard des rapports d’activité de l’OFPRA, semble bien plus importante.
  • [11]
    Cf. HCR, Les réfugiés dans le monde, op. cit., p. 316.
  • [12]
    Cf. OFPRA, Rapport d’activité 2002, p. 5.
  • [13]
    Cette enquête demanderait à être reproduite ailleurs en France, là où les Sri-Lankais sont présents, afin de voir si leur mode d’installation procède de la même façon et d’observer le rayonnement d’action des militants nationalistes, notamment sous l’angle associatif.
  • [14]
    En France, depuis une circulaire de septembre 1991, le demandeur d’asile titulaire d’une autorisation provisoire de séjour (APS) n’est plus autorisé à travailler.
  • [15]
    Source : Tamoulcholaï.
  • [16]
    Rappelons que le surnom des militants du LTTE est « the boys » et que Prabhakaran a fondé le groupe des Tigres à 18 ans et, âgé d’à peine 20 ans, a assassiné le maire de Jaffna. Ø. Fuglerud observe que la négation du privilège de l’ancienneté est particulièrement visible dans les régions sous le contrôle militaire et administratif des LTTE, où le pouvoir est aux mains de « vétérans » âgés de moins de 40 ans et beaucoup ont une vingtaine d’années. Les mémoriaux aux jeunes soldats sont nombreux, célébrant leur mort pour la liberté et la nation tamoule.
  • [17]
    « Le militant idéal est un renonçant au monde, un ascète dans la tradition indienne qui, grâce à son contrôle de soi et son abstinence, acquiert une force invisible », Eric Meyer, op. cit., p. 150.
  • [18]
    Le mariage avec un « Français » n’est même pas envisagé.
  • [19]
    Cette historiographie est l’objet de plusieurs ouvrages consacrés par les LTTE. Ils sont rédigés et/ou traduits dans les langues tamoule, anglaise et française. Quelques exemples de ces publications sont en vente dans les locaux du CCT (Comité de coordination des Tamouls, rue des Pyrénées à Paris), accessibles aussi, par exemple, à la bibliothèque de l’INALCO. Cf. S. J. Emmanuel (vicaire général de Jaffna de 1992 à 1997, actuellement établi en Allemagne), Libérez le peuple tamoul !, publié par l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT) et l’Association tamoule du canton de Fribourg, Suisse, 1997 ; S. Irassattiname (président de l’Association culturelle tamoule du Canada), Un regard sur l’histoire de l’Eelam. Eelam tamoul, le pays et le gouvernement jusqu’à 1977, publié par la Fédération des associations tamoules, Paris, 1998 (1re édition 1995) ; Jean-Marie Julia (président de la Fédération tamoule en France), Le génocide des Tamouls à Sri-lanka, Lyon, CIMADE (service œcuménique d’entraide), 2000.
  • [20]
    Notre interlocuteur principal a été un militant jouant le rôle de porte-parole et de conseiller des membres du Comité de coordination des Tamouls en France. Les militants rencontrés ont tenu des propos similaires. Les propos sont suffisamment stéréotypés pour être retrouvés tels quels dans les écrits (tracts, presse, ouvrages) des sympathisants des LTTE en France et ailleurs. L’emploi systématique du « Nous » collectif témoigne de leur adhésion aux LTTE.
  • [21]
    « Parmi les groupes militants, les LTTE sont certainement ceux qui ont su le mieux tirer parti de la reconfiguration stratégique liée à la mondialisation et à la révolution des communications, et de la nouvelle donne politique introduite par l’importance de la diaspora. Son système de propagande très efficace s’appuie sur une maîtrise remarquable des réseaux médiatiques. Enfin, elle dispose du nerf de la guerre, ayant à sa disposition des moyens financiers considé rables et des réseaux rodés d’approvisionnement en armes et en munitions. En d’autres termes, on peut qualifier les LTTE d’organisation terroriste globale », E.Meyer, op. cit., p. 146.
  • [22]
    Nous nous inspirons principalement de deux auteurs pour retracer cette histoire : Øivind Fuglerud, op. cit. ; Eric Meyer, op. cit.
  • [23]
    E. Meyer, op. cit., p. 143.
  • [24]
    Cf. Stéphane Dufoix, « Fausses évidences. Statut des réfugiés et politisation », Revue européenne des migrations internationales, 2006, 16 (3), p. 147-164.
  • [25]
    Cf. Michel Bruneau, « Espaces et territoires de diasporas », in Diaspora, Paris, Éditions Reclus, 1995, p. 5-23. Les diasporas peuvent être fondées sur un pôle « entrepreneurial » (les Libanais), « religieux » (les Juifs, les Grecs pontiques) ou « politique » (les Palestiniens, les Tamouls).
  • [26]
    Ils disent plus rarement le souhait de s’éloigner des Tigres, de leurs menaces et de leurs collectes de fonds.
  • [27]
    Cf. E. Ma Mung, « Non-lieu et utopie : la diaspora chinoise et le territoire », in M. Bruneau (sous la direction de), Les diasporas, Paris, Reclus, 1995, p. 165.
  • [28]
    « Ce glissement de l’identification à l’entité “nation-territoire” vers l’identification à l’entité “communauté-ethnie” explique la puissance des liens de solidarités, fondés sur le sentiment d’interdépendance. L’empathie envers les proches remplace l’attachement au territoire », id., p. 168.
  • [29]
    Cf. Dominique Schnapper, « De l’État-Nation au monde transnational. Du sens et de l’utilité du concept de diaspora », Revue européenne des migrations internationales, 2001, (17), 2, p. 9-36.
  • [30]
    E. Ma Mung, op. cit., p. 170.
  • [31]
    Cf., D. Cuche, « Diaspora », Pluriel-Recherches, Cahier n° 8, 2001, p. 15-23.
Français

Résumé

Les Sri-Lankais sont arrivés en France à partir des années quatre-vingt alors que le conflit se durcissait au Sri Lanka entre le gouvernement cinghalais et les indépendantistes tamouls. Les relations avec le Sri Lanka et entre les exilés installés dans différents pays laissent entrevoir une configuration de diaspora. La structuration associative et la teneur des médias montrent également une diaspora sous l’emprise des nationalistes tamouls, sympathisants des Tigres de la Libération de l’Eelam tamoul (LTTE). Leurs actions confèrent à l’exil un seul sens, celui du retour dans la « nation » tamoule après des années d’attente dans la souffrance et la solidarité avec les combattants. Cette interprétation heurte les aspirations de ceux qui souhaitent quitter la France pour un autre pays, notamment l’Angleterre, où ils pensent mieux réussir socialement et économiquement. La « dynamique diasporique », qui entraîne une forme d’ubiquité et d’indépendance à l’égard du territoire d’origine, est ainsi freinée par l’emprise des nationalistes sur les Sri-Lankais expatriés.

Bibliographie

  • BRUNEAU M. (sous la coordination de), Les diasporas, Paris, Éditions Reclus, 1995.
  • CUCHE C., « Diaspora », Pluriel-Recherches, Cahier n° 8, 2001, p. 15-23.
  • En ligneDUFOIX S., « Fausses évidences. Statut des réfugiés et politisation », Revue européenne des migrations internationales, 2006, 16 (3), p. 147-164.
  • ETIEMBLE A., Les Sri-lankais dans la région Ile-de-France. De l’accueil à l’installation : le rôle du communautaire, Paris, ADERIEM/FAS, 2001.
  • ETIEMBLE A., Les ressorts de la diaspora tamoule. Associations, médias et politique, Paris, ADERIEM/MiRe, 2001.
  • FUGLERUD Ø., Life on the Outside. The Tamil Diaspora and Long Distance Nationalism, London, Pluto Press, 1999.
  • HCR, Les réfugiés dans le monde. Cinquante ans d’action humanitaire, Paris, Éditions Autrement, 2000.
  • En ligneMA MUNG E, « Non-lieu et utopie : la diaspora chinoise et le territoire », in Bruneau M. (sous la direction de), Les diasporas, Paris, Reclus, 1995.
  • ROBUCHON G., Tamouls sri-lankais en France, Paris, DPM, 1995.
Angélina Etiemble [*]
Sociologue, chercheur au Centre d’études sur les relations inter-ethniques et les minorités (CERIEM), université de Haute-Bretagne, Rennes.
  • [*]
    Sociologue, chercheur au Centre d’études sur les relations inter-ethniques et les minorités (CERIEM), université de Haute-Bretagne, Rennes.
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/03/2010
https://doi.org/10.3917/rfas.042.0145
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