Introduction
1Les pays de l’OCDE partagent un certain nombre de préoccupations communes dans le domaine des migrations internationales, comme par exemple la volonté de mieux maîtriser les flux migratoires, de continuer à accepter chaque année de nouveaux travailleurs immigrés en fonction des besoins du marché du travail, voire pour certains pays d’accroître ces flux annuels, d’accorder l’asile politique aux migrants qui remplissent vraiment les conditions énumérées par la convention de Genève, et enfin de coopérer activement entre eux et avec les pays d’origine pour tenter d’atteindre ces objectifs.
2Cette convergence dans les préoccupations explique en grande partie le contenu des politiques migratoires visant à renforcer le contrôle aux frontières et sur le territoire, et à signer des accords de réadmission avec les pays d’origine, tout en négociant parallèlement des accords bilatéraux de main-d’œuvre ou d’autres formes de recrutement, comme en témoigne le regain d’intérêt pour les migrations à des fins d’emploi. Mais les politiques migratoires restent aussi fortement marquées par la volonté de faciliter l’intégration des migrants sur le marché du travail et dans la société. Cet objectif important des politiques migratoires joue et jouera un rôle déterminant en raison de la prépondérance de l’immigration dans la dynamique démographique de plusieurs pays européens de l’OCDE.
3Cette convergence dans les préoccupations ne doit pas cependant cacher la diversité des situations et le fait que le « paysage migratoire » de l’OCDE est fortement contrasté. Les pays de l’OCDE sont en effet à des stades différents de leur histoire migratoire qui reste principalement déterminée par le contexte institutionnel, historique et géopolitique.
4Plusieurs pays membres de l’OCDE s’interrogent actuellement sur le rôle que pourrait jouer l’immigration afin de pallier les pénuries de main d’œuvre et d’atténuer les effets du vieillissement démographique. Par ailleurs l’accroissement des migrations à des fins d’emploi, notamment qualifié, relance le débat sur les risques de fuite des cerveaux et oblige les pays d’accueil, comme les pays d’origine, à accroître leur coopération pour mieux partager les bénéfices tirés de cette mobilité.
Cet article [1] passe en revue les principales évolutions récentes dans le domaine des migrations internationales pour les pays de l’OCDE et identifie quelques-uns des enjeux à venir, notamment en ce qui concerne la mobilité internationale de la main-d’œuvre hautement qualifiée et l’intégration des travailleurs étrangers ou immigrés sur le marché du travail.
Un panorama migratoire contrasté et historiquement marqué
5L’ampleur et l’état des phénomènes migratoires diffèrent fortement entre les pays de l’OCDE. Les différences reflètent pour partie des situations spécifiques à l’Europe, l’Amérique du Nord et l’Asie, mais au sein même de ces entités régionales les enjeux et les perspectives peuvent varier fortement d’un pays à l’autre. Pour autant, dans le courant des années quatre-vingt-dix et au début du troisième millénaire, les flux d’immigration s’accroissent dans la plupart des pays membres de l’OCDE (voir graphique 1) et ce en dépit de l’instabilité relative de la conjoncture économique (OCDE, 2003a).
Flux d’immigration dans quelques pays de l’OCDE, 1985-2001

Flux d’immigration dans quelques pays de l’OCDE, 1985-2001
6En Europe, les anciens pays d’immigration comme la France, la Belgique, les Pays-Bas, l’Allemagne et, dans une moindre mesure, le Royaume-Uni, ont enregistré des vagues migratoires importantes de travailleurs étrangers, parfois accompagnés des membres de leur famille, dans les années cinquante et soixante et jusqu’au milieu des années soixante-dix [2]. Le premier choc pétrolier a mis un coup d’arrêt aux politiques actives de recrutement de travailleurs étrangers mais l’immigration n’a pas pour autant cessé, notamment sous l’effet du droit au regroupement familial et de l’afflux de réfugiés. Plus récemment, la plupart de ces pays ont recommencé à ouvrir progressivement leurs frontières aux travailleurs étrangers, notamment qualifiés. En 2002, les entrées d’étrangers ont atteint des niveaux records en France (155 000) et au Royaume-Uni (418 000), alors que près de 660 000 entrées étaient comptabilisées en Allemagne. Ces flux migratoires restent fortement marqués par les liens coloniaux ou historiques [3] même si des éléments de diversification émergent progressivement. Les anciens pays européens d’immigration gèrent actuellement des secondes générations d’immigrés et sont fortement préoccupés par l’intégration des migrants et de leurs enfants sur le marché du travail.
7Les pays nordiques, qui avaient, dès le début des années cinquante, créé entre eux leMarché nordique permettant la libre circulation des hommes, des marchandises et des capitaux dans l’espace géographique formé par ses pays membres, ne se sont pas orientés vers une politique de recrutement de travailleurs étrangers mais ont donné la priorité dans les flux annuels d’entrées aux réfugiés et autres migrants acceptés avant tout pour des raisons humanitaires. Compte tenu des difficultés linguistiques et de la distance socioculturelle entre les différentes communautés, plusieurs pays nordiques sont aujourd’hui confrontés à des difficultés en terme d’intégration des immigrants sur le marché du travail et dans la société dans son ensemble.
8Les pays de l’Europe du Sud [4] et l’Irlande, classés du milieu du XIXe au milieu du XXe siècle d’abord parmi les grands pays d’émigration transocéanique et, plus tard, comme les grands pourvoyeurs de migrants en Europe, sont, quant à eux, devenus récemment des pays d’immigration, confrontés pour l’essentiel à des migrations, principalement de travailleurs en situation régulière ou irrégulière. La Turquie, le Mexique ainsi que les pays d’Europe centrale et orientale, membres de l’OCDE, qui doivent rejoindre l’Union européenne en mai 2004, (Pologne, République tchèque, République slovaque et Hongrie) pourraient se trouver dans une situation comparable à plus ou moins brève échéance. Un des principaux défis consiste dans ce cas à développer et mettre en œuvre rapidement des politiques migratoires, de gestion des flux d’immigration et d’intégration, adaptées aux nouveaux besoins et aux réalités des pays d’accueil.
9Aux États-Unis, où le principe de la préférence familiale constitue le pilier fondateur de la politique migratoire, on enregistre plus d’un million d’entrées permanentes en 2001 et en 2002. Ce pays est toutefois préoccupé par les aspects liés à la sécurité intérieure et a donc considérablement renforcé les contrôles aux frontières depuis le 11 septembre 2001. Les migrations entre le Mexique et les États-Unis constituent également un enjeu pour les deux pays. L’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), entré en vigueur en 1994, n’a en effet pas suffi à réduire les incitations à émigrer et les États-Unis accueillent aujourd’hui près de 21 millions de ressortissants mexicains, dont 4 à 5 millions en situation irrégulière.
Dans les autres pays d’installation (Australie, Canada, Nouvelle-Zélande), l’immigration permanente est soumise à un test à points dans lequel les caractéristiques du candidat à l’immigration (âge, niveau d’éducation et de qualifications, expérience professionnelle) jouent un rôle prépondérant. L’objectif consiste à identifier les migrants susceptibles de contribuer au développement économique, à moyen et long terme, du pays d’accueil. En 2002, on comptabilise environ 230 000 entrées au Canada et 90 000 en Australie, dont environ 60 % de personnes sélectionnées (y compris les membres des familles accompagnantes). Parallèlement, de nombreux programmes ont été développés dans ces pays pour permettre aux travailleurs étrangers d’accéder temporairement au marché du travail. Près de trois millions d’entrées sont enregistrées dans ce cadre chaque année aux États-Unis (par exemple : visas H1B pour les travailleurs qualifiés, visas L1 pour personnels des multinationales, visas O pour les personnes exceptionnelles, etc.) et 340 000 en Australie.
Enfin, les pays asiatiques de l’OCDE restent relativement fermés à l’immigration et n’ouvrent leurs frontières qu’aux travailleurs étrangers qualifiés et généralement sur une base temporaire. Ces pays octroient cependant un nombre important de visas de travail temporaires à des stagiaires généralement employés dans l’industrie. Cette catégorie d’entrée concerne 100 000 personnes en Corée et 59 100 au Japon. Les pays asiatiques de l’OCDE font face à un double défi lié, d’une part, au vieillissement rapide et programmé de leur population et, d’autre part, à une situation géopolitique spécifique qui les place à proximité des plus grands ensembles démographiques de la planète (principalement la Chine et l’Indonésie). Au-delà des considérations culturelles, ce double constat les contraint à considérer l’ouverture aux migrations avec prudence.
Une géographie des flux migratoires en mutation entre anciens courants et nouveaux itinéraires
10Si les phénomènes migratoires paraissent plus contrastés qu’au cours des deux siècles précédents, c’est principalement en raison de l’élargissement de l’espace migratoire de référence, de la multiplicité des pôles d’attraction économique ainsi que d’une tendance à la restriction des flux d’entrée dans plusieurs pays de l’OCDE. La géographie des flux migratoires internationaux a en effet été bouleversée par les grands événements géopolitiques qui ont marqué le début du troisième millénaire et la fin du précédent, à savoir :
- la chute du mur de Berlin et l’ouverture à l’Est ;
- l’émergence des pays d’Asie du Sud-Est et de la Chine ;
- les changements économiques et politiques en Amérique latine ;
- ainsi que la multiplication des conflits régionaux notamment dans les Balkans, en Afrique et au Moyen-Orient.
Évolution des flux d’immigration par pays d’origine dans quelques pays de l’OCDE, 1990-2000 et 2001

Évolution des flux d’immigration par pays d’origine dans quelques pays de l’OCDE, 1990-2000 et 2001
11On constate en effet la prédominance de quelques nationalités dans l’ensemble des flux pour la majorité des pays membres de l’OCDE (e.g. les Néo-Zélandais en Australie, les Marocains et les Algériens en France, les Irakiens en Suède, les Chinois au Canada et au Japon, les Roumains en Hongrie ou les Mexicains aux États-Unis). Différents arguments permettent d’expliquer cette concentration des mouvements migratoires sur quelques nationalités qui ont trait à la proximité géographique, à la portée des liens historiques et culturels, ou à l’importance des entrées de réfugiés et de demandeurs d’asile. Dans la plupart des cas, il s’agit en réalité de courants d’immigration relativement anciens. Ces derniers, loin de perdre de leur intensité, tendent à se renforcer. C’est le cas, par exemple, en France avec un accroissement notable de la part des ressortissants d’Afrique subsaharienne dans l’immigration familiale en 2001 (plus de 60 %).
12Parallèlement à la persistance des migrations traditionnelles, on observe l’émergence de « nouveaux » courants migratoires. Depuis plusieurs années, on constate ainsi un accroissement des arrivées de ressortissants asiatiques, notamment de Chinois et de Philippins. Les ressortissants philippins sont très présents dans les services domestiques et les soins aux personnes âgées, y compris en Italie. Sous l’effet de la dislocation de l’ex-Union soviétique, les migrations de « l’Est de l’Est », principalement originaires de Russie et d’Ukraine, se sont accrues dans plusieurs pays de l’OCDE. C’est le cas par exemple en Irlande et en Espagne et au Portugal [5]. La prochaine vague d’élargissement de l’Union européenne, en mai 2004, dont les effets sur les migrations internationales seront probablement limités, du moins à court moyen terme, pourrait cependant contribuer à accroître la part des flux en provenance des pays frontaliers des nouveaux pays membres (par exemple : Ukraine, Biélorussie, Moldavie…).
13Par ailleurs, le renforcement des contrôles aux frontières, notamment dans les ports et les aéroports, qui résultent de la lutte internationale contre le terrorisme et de la volonté des pays de l’OCDE d’accentuer la lutte contre l’immigration irrégulière, a pour conséquence indirecte de renforcer certains déterminants purement géographiques des flux migratoires.
Ainsi, les migrations maghrébines se concentrent pour partie sur les pays d’Europe du Sud (l’Italie a reçu officiellement plus de ressortissants marocains, en 2000, que la France et la Belgique réunies), les Indiens et les Indonésiens visent l’Australie et les ressortissants chinois immigrent principalement au Japon où ils représentent maintenant près du quart des entrées en 2001, soit deux fois plus qu’en 1990. De même, un nombre croissant de ressortissants des pays de l’ancienne Union soviétique et des pays d’Europe centrale et orientale exclus de la prochaine vague d’adhésion à l’Union européenne (Roumanie, Bulgarie, Albanie ou ex-Yougoslavie) se tournent vers des pays frontaliers tels que la Pologne, la Hongrie et la République tchèque, mais également l’Italie et la Grèce, à la recherche d’opportunités d’émigration, légales ou illégales. Enfin les Méso-Américains, notamment en provenance du Guatemala, du Honduras et du Salvador, sont de plus en plus nombreux à émigrer au Mexique, peut-être avec la volonté de rejoindre ultérieurement les États-Unis.
Des canaux diversifiés
14Dans la plupart des pays de l’OCDE, la période récente est caractérisée par une augmentation importante des migrations à des fins d’emploi, temporaires et permanentes, et ce dans toutes les catégories (travailleurs qualifiés, saisonniers, stagiaires et « vacanciers actifs », personnels mutés au sein des entreprises multinationales, travailleurs transfrontaliers). Parallèlement, les autres catégories d’entrées (famille et réfugiés) ne diminuent pas nécessairement et continuent même, dans bien des cas, de progresser (voir graphique 3).
Flux d’immigration permanente ou à long terme dans quelques pays de l’OCDE par principales catégories en 2001

Flux d’immigration permanente ou à long terme dans quelques pays de l’OCDE par principales catégories en 2001
(pourcentage du total des entrées)15Après avoir atteint des sommets, au début des années quatre-vingt-dix, en raison de la crise de l’ex-Yougoslavie, les flux de demandeurs d’asile ont progressivement diminué dans la plupart des pays de l’OCDE. Les principaux pays d’accueil ont en effet réagi en accélérant les procédures d’examen des demandes et en introduisant des mesures restrictives telles que l’extension du nombre des pays soumis à visa ou la limitation des recours. En 2000 et en 2001, toutefois, face à la multiplication des conflits régionaux, notamment au Moyen-Orient, en Asie mineure et en Afrique subsaharienne, le nombre de demandeurs d’asile s’est accru de nouveau dans l’ensemble de la zone OCDE en dépit de la faiblesse des taux d’approbation du statut de réfugié qui calculés sur la base des dossiers examinés en première instance en 2001, sont généralement inférieurs à 30 % et très variables en fonction des pays d’accueil. L’augmentation des demandes d’asile est particulièrement spectaculaire dans les pays nordiques et au Royaume-Uni qui accueille à lui seul près d’un cinquième des demandeurs dans les pays de l’OCDE en 2002.
16La composante familiale prédomine toutefois encore dans plusieurs pays de l’OCDE en 2001, c’est le cas en particulier en France, aux États-Unis, au Canada, mais également dans plusieurs pays nordiques (e.g. Suède, Norvège et Danemark). Dans chacun de ces pays, la part de l’immigration familiale est supérieure à 50 %. Elle est en revanche beaucoup plus faible en Australie (32 %) ou au Royaume-Uni (34 %). Dans certains pays européens de l’OCDE (e.g. Italie, Pays-Bas et Danemark), des mesures ont été introduites récemment qui visent à limiter les entrées des membres des familles.
Un autre trait saillant dans l’évolution récente des flux migratoires internationaux concerne l’accroissement du nombre des étudiants étrangers. Ces derniers sont en effet de plus en plus nombreux à saisir les opportunités qui leur sont offertes de réaliser, tout ou partie, de leur cursus à l’étranger (voir tableau 1). Les compétences linguistiques constituent dorénavant un atout indispensable pour accéder aux postes de responsabilités et l’expérience culturelle acquise à l’étranger est souvent considérée comme un avantage supplémentaire par les employeurs. Les étudiants sont également motivés par la possibilité qui leur est offerte par de nombreux pays membres de l’OCDE d’accéder au marché du travail à la fin de leur scolarité. Les pays d’accueil entrent en compétition pour développer les échanges de services éducatifs et pour attirer des étudiants étrangers qui constitueront une réserve potentielle de main-d’œuvre hautement qualifiée et familiarisée avec les règles et usages en vigueur sur leur marché du travail.
Effectifs d’étudiants étrangers dans quelques pays de l’OCDE, 2001

Effectifs d’étudiants étrangers dans quelques pays de l’OCDE, 2001
17Même si compte tenu de la nature du phénomène, de nombreuses incertitudes pèsent sur les mesures, les immigrés en situation irrégulière dans les pays de l’OCDE se comptent par millions. Selon le BIT, les personnes en situation irrégulière pourraient représenter 10 à 15 % du total des migrants. Les programmes de régularisation, récemment mis en œuvre en Europe du Sud, fournissent une indication de l’ampleur du phénomène dans ces pays. En Grèce, plus de 300 000 personnes ont ainsi été régularisées en 1998 et 2001, en Espagne deux programmes de régularisation en 2000 et 2001 ont concerné au total près de 400 000 personnes, alors que l’Italie a, quant à elle, enregistré plus de 700 000 demandes de régularisation en 2002. Aux Etats-Unis, on estime à partir des données du recensement qu’au moins 8,5 millions d’étrangers seraient en situation irrégulière (dont environ la moitié de Mexicains). En 2001, on recense par ailleurs environ 255 000 personnes en situation de dépassement de séjour en Corée, 225 000 au Japon et environ 60 000 en Australie. L’extrême hétérogénéité qui caractérise la migration clandestine, rend impossibles les jugements tranchés et trop rapides sur la dimension exclusivement humanitaire ou, à l’inverse, exclusivement criminelle du phénomène. Elle complique également considérablement l’estimation fiable du nombre d’immigrants illégaux (Delaunay et Tapinos, 1998).
Les pays de l’OCDE rivalisent pour attirer une main-d’œuvre étrangère qualifiée…
18La récente phase de croissance économique conjuguée à la montée des préoccupations quant au vieillissement des populations, a conduit de nombreux pays de l’OCDE à envisager de recourir plus largement à l’immigration, afin d’atténuer les pénuries de main-d’œuvre, notamment qualifiée (OCDE, 2002 ; Doudeijns et Dumont, 2003). Des réserves de main-d’œuvre existent mais elles ne revêtent pas la même ampleur selon les pays et il n’est pas toujours facile de les mobiliser rapidement.
19Les besoins en main-d’œuvre concernent principalement les compétences et qualifications liées aux nouvelles technologies, mais ces dernières ne sont pas les seules à être recherchées. Les évolutions démographiques et l’importance croissante prise par les soins de santé liés au vieillissement des populations affectent les besoins en personnel médical dans les pays de l’OCDE. C’est également le cas pour les enseignants, les traducteurs ou les ressources humaines en sciences et technologies dans le domaine biomédical ou agroalimentaire. En outre, certains pays de l’OCDE ont également identifié des difficultés de recrutement dans les emplois peu qualifiés, notamment saisonniers (agriculture, hôtellerie-restauration, BTP) mais aussi dans les emplois de services rendus aux entreprises ou aux ménages qui révèlent des besoins plus structurels.
Les difficultés d’ajustement sur le marché du travail vont toutefois au-delà des effets de la conjoncture. À moyen terme, dans plusieurs pays de l’OCDE, le départ à la retraite de la génération du baby boom suscitera dans certains métiers une demande de main-d’œuvre de remplacement relativement importante. C’est le cas, par exemple, pour les assistantes maternelles en France, ou pour les employés du secteur bancaire et de l’assurance en Allemagne. Dans plusieurs pays de l’OCDE, un nombre significatif d’agents de la fonction publique partiront à la retraite dans les cinq prochaines années.
Plusieurs pays membres de l’OCDE ont adopté des mesures visant à faciliter le recrutement de travailleurs étrangers, notamment qualifiés…
20On observe actuellement une compétition accrue entre les pays membres de l’OCDE pour attirer les ressources humaines qui font défaut et retenir celles qui risqueraient d’émigrer. De nombreux pays ont adapté leur législation, à la fin des années quatre-vingt-dix, afin de faciliter l’entrée de travailleurs étrangers qualifiés et de permettre aux étudiants étrangers ayant terminé leurs études d’accéder au marché du travail (OCDE, 2001, 2002b). Dans la plupart des cas, il s’agit simplement d’assouplissements des politiques migratoires en vigueur, mais quelques pays ont également mis en œuvre des programmes plus spécifiques. Ces développements n’ont pas été remis en question par le renversement récent de la conjoncture économique.
21Dans le cas de la France, de l’Irlande, des Pays-Bas et du Royaume-Uni, le système de recrutement de main-d’œuvre étrangère repose sur des décisions prises principalement à l’échelon national ou régional en fonction des besoins du marché du travail. L’opposabilité de la situation de l’emploi reste la règle de droit commun. Certaines professions actuellement recherchées sur le marché du travail de ces pays font cependant l’objet de procédures simplifiées. Il s’agit notamment des informaticiens, des travailleurs hautement qualifiés et, dans certains cas, des spécialistes dans le domaine de la biotechnologie, des soins médicaux et de l’enseignement.
22L’Allemagne a, pour sa part, développé depuis août 2000 un programme spécial pour recruter des informaticiens. En janvier 2003, 60 000 demandes avaient été enregistrées et environ 14 000 visas octroyés. Aux États-Unis, le quota de visas H1B pour les travailleurs étrangers temporaires qualifiés a été augmenté et est passé à 195 000 entre 2001 et 2003 et de nombreuses exemptions ont été introduites. Ce quota a toutefois été ramené à 65 000 en 2004. Au Japon, 142 000 travailleurs hautement qualifiés ont obtenu un permis de travail temporaire en 2001 (soit 39 % de plus qu’en 1998) alors qu’ils étaient 28 200 dans ce cas en Corée (60 % de plus qu’en 2000). En Suisse, le quota de travailleurs qualifiés qui était inchangé depuis plus de dix ans, a dû être augmenté temporairement, en 2001, de près de 30 % pour faire face aux besoins du marché du travail.
… mais il y a des limites aux politiques migratoires sélectives à des fins d’emploi
23Les programmes mis en œuvre pour répondre par le biais de l’immigration aux pénuries de main-d’œuvre diffèrent selon le type de main-d’œuvre recherchée mais dans tous les cas le recours à une politique sélective rencontre des limites qui tiennent notamment à l’identification et à la sélection des travailleurs.
24La possibilité d’identifier et de sélectionner entre tous les candidats à l’immigration ceux qui répondront le mieux aux objectifs fixés par la politique migratoire implique de développer des critères mesurables pour repérer les « bons candidats » et d’évaluer leurs compétences. Cette tâche n’est pas toujours aisée, notamment lorsque l’objectif de la politique migratoire vise à soutenir le développement à long terme du marché du travail. Cette sélection suppose la mise en œuvre d’un partenariat actif entre les employeurs, les pouvoirs publics et les représentants syndicaux. Enfin, plus les critères de sélection sont précis et détaillés, plus la procédure est rendue coûteuse en termes de ressources humaines et financières et de délai de recrutement.
25Dans le cas où la politique migratoire de recrutement de main-d’œuvre a pour principal objectif de faciliter les ajustements à court terme du marché du travail, la rapidité des procédures de sélection et l’adaptabilité des critères en fonction de l’évolution des besoins constituent des conditions sine qua non à l’efficacité des politiques mises en œuvre. Toutefois, la validation des diplômes et de l’expérience professionnelle, de même que l’évaluation des compétences linguistiques imposent un certain délai. Dès lors, il peut être tentant de restreindre les contrôles et d’assouplir les critères de sélection. Pour ce faire, plusieurs pays délèguent à l’employeur la responsabilité d’une partie du processus de sélection (généralement la validation des compétences) tout en conservant un rôle dans la définition de critères minima.
26Au-delà des problèmes liés à la sélection des candidats à proprement parler, d’autres contraintes pèsent sur l’élaboration et la mise en œuvre des politiques migratoires sélectives à des fins d’emploi. L’expérience montre que les politiques migratoires ont un impact certain sur le nombre et les caractéristiques des entrées de travailleurs immigrés, mais qu’elles ont peu d’effets sur les sorties (y compris celles des nationaux). Il est donc difficile de maîtriser l’ampleur et les caractéristiques du solde migratoire, de même que la différence entre la durée de séjour anticipée et la durée réelle du séjour. En outre, la politique migratoire n’a pas pour seule vocation de satisfaire les besoins du marché du travail mais doit également répondre à des engagements multilatéraux (zones de libre circulation, mobilité des employés des firmes multinationales, etc.) et humanitaires. Ces contraintes tendent à limiter la portée des processus sélectifs liés à l’immigration de travail dans la mesure où les personnes entrant au travers de ces canaux parallèles représentent une part importante du total des flux.
27Finalement, la plupart des pays de l’OCDE se situent dans des configurations démographiques et économiques comparables, ce qui implique que l’immigration nette ne puisse provenir pour l’essentiel que des pays extérieurs à la zone OCDE. Cela pose des problèmes en matière de cohérence entre les politiques de développement et les politiques migratoires dans la mesure où la « fuite des cerveaux » peut peser sur la croissance des pays en développement et rendant ainsi les flux migratoires plus difficiles à maîtriser (OCDE, 2000).
En conséquence, les flux de nouveaux travailleurs immigrés ne peuvent jouer qu’un rôle limité dans l’atténuation des pénuries de main-d’œuvre, y compris dans le cas où des politiques sélectives à des fins d’emploi sont mises en œuvre. À elle seule, l’immigration ne permettra ni de résoudre les dysfonctionnements du marché du travail ni de régler les problèmes posés par le vieillissement des populations. C’est pourquoi les efforts déployés actuellement par plusieurs pays membres de l’OCDE visent à mobiliser les réserves de main-d’œuvre existantes et à mieux préparer et former les générations présentes et futures afin de répondre aux besoins du marché du travail.
… Mais restent confrontés à des difficultés persistantes dans l’intégration des immigrés sur le marché du travail
28Les étrangers et les immigrés constituent, dans plusieurs pays de l’OCDE, une part importante et croissante de la population (voir graphique 4) et de la force de travail. C’est le cas notamment dans les pays d’installation (Australie, Canada, États-Unis et Nouvelle-Zélande) où ils représentent entre 15 % et 20 % de la population active, mais également dans plusieurs pays européens tels que le Luxembourg (43,2 % d’étrangers parmi les actifs), la Suisse (21,8 %) et, dans une moindre mesure, l’Autriche (9,9 %), l’Allemagne (8,9 %), la Belgique (8,2 %) et la France (6,2 %). Dans certains pays, ces pourcentages sont en train de progresser rapidement, en raison d’une accélération des flux au cours des cinq dernières années. C’est le cas par exemple en Espagne, en Italie, au Portugal, en Grèce ou en Irlande.
Effectifs d’étrangers dans plusieurs pays européens de l’OCDE, et au Japon et en Corée. Pourcentage de la population totale, 1990 et 2001

Effectifs d’étrangers dans plusieurs pays européens de l’OCDE, et au Japon et en Corée. Pourcentage de la population totale, 1990 et 2001
29Entre 1995 et 2002, sous l’effet d’un afflux croissant de travailleurs étrangers, la population active étrangère ou immigrée s’est accrue dans la plupart des pays de l’OCDE. L’augmentation est particulièrement spectaculaire dans les pays d’Europe du Sud ainsi qu’en Irlande et en Finlande. Elle est également extrêmement forte au Japon et en Corée. Dans tous ces pays, la population active étrangère a au moins doublé en l’espace de sept ans (elle a quintuplé au Portugal), mais les effectifs restent cependant limités dans la mesure où le phénomène migratoire est récent ou essentiellement temporaire. Aux États-Unis et au Royaume-Uni, les effectifs de travailleurs étrangers se sont également fortement accrus sur la période considérée (respectivement +51 % et +39 %), illustrant, par là même, l’importance croissante des migrations internationales à des fins d’emploi dans ces pays.
30La décennie quatre-vingt-dix, surtout dans sa seconde moitié en ce qui concerne les pays européens, a été caractérisée par une croissance importante de l’emploi des nationaux et des étrangers dans la plupart des pays de l’OCDE. Dans les anciens pays d’immigration européens, l’emploi étranger a progressé moins vite que l’emploi des nationaux au début de la période de reprise mais nettement plus rapidement vers la fin de la décennie alors que les tensions sur le marché du travail s’accentuaient. Cette dynamique est particulièrement visible dans le cas du Royaume-Uni. Dans les pays d’Europe du Sud, mais également en Irlande et aux États-Unis, la phase d’expansion économique des années quatre-vingt-dix a été accompagnée d’une très forte augmentation de l’emploi étranger qui a été multiplié par un facteur cinq en Espagne, entre 1994 et 2002, et par un facteur trois en Irlande sur la même période.
Pour autant les étrangers et les immigrés ont généralement un taux d’activité plus faible que celui des nationaux [6]. Ce résultat est particulièrement accentué pour les femmes étrangères ou immigrées pour lesquelles l’écart avec le taux d’activité des autochtones peut atteindre ou dépasser dix points de pourcentage (France, Allemagne, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suède, Australie et États-Unis). Ces écarts sont liés à un ensemble de facteurs qui ont trait à des différences en termes de structure familiale (statut marital ou nombre d’enfants en bas âge) et de niveau d’éducation (voir OCDE, 2001).
En outre, dans la plupart des pays de l’OCDE, les étrangers ou les immigrés sont plus touchés que les nationaux par le chômage. À l’exception du Canada, des États-Unis et de l’Irlande, ce constat est valable tant pour les hommes que pour les femmes. Ces dernières sont toutefois généralement plus nombreuses à rechercher un emploi que leurs homologues masculins. Dans presque tous les pays européens de l’OCDE, la part des étrangers et des immigrés dans le total des chômeurs est plus importante que leur part dans la population active (voir graphique 5).
Proportion d’étrangers ou de personnes nées à l’étranger dans le chômage total, rapportée à leur part dans la population active, moyenne 2001-2002

Proportion d’étrangers ou de personnes nées à l’étranger dans le chômage total, rapportée à leur part dans la population active, moyenne 2001-2002
31Les actifs étrangers forment en réalité un groupe hétérogène du point de vue de leurs caractéristiques individuelles et de leur employabilité. En dépit de l’amélioration récente des conditions d’emploi, plusieurs sous-groupes de travailleurs étrangers ou immigrés restent marginalisés sur le marché du travail. C’est le cas des femmes mais également des jeunes, des travailleurs âgés et des actifs moins qualifiés.
32Exception faite des États-Unis et du Luxembourg, les travailleurs étrangers moins qualifiés sont systématiquement plus vulnérables au chômage que les nationaux de même niveau d’instruction. Les écarts en terme de taux de chômage sont parfois extrêmement importants, notamment en Belgique et en Finlande, et reflètent probablement des problèmes liés à la demande de travail (discrimination, capital social, etc.). Le constat est à peu près similaire en ce qui concerne les jeunes étrangers. Les déficits d’employabilité des jeunes étrangers sont particulièrement préoccupants dans les pays européens de l’OCDE. En France, près de 30 % des actifs étrangers âgés de 15 à 24 ans sont à la recherche d’un emploi.
Le rapport des Perspectives de l’emploi de l’OCDE (OCDE, 2003b) rappelle que « si rien n’est fait pour lever les obstacles à l’emploi, du côté de l’offre comme de la demande, le vieillissement démographique se traduira au cours des trois prochaines décennies, par un fort ralentissement de la population active ». La mobilisation de toutes les ressources humaines disponibles est donc nécessaire pour faire face aux défis démographiques, économiques et technologiques auxquels seront confrontés la plupart des pays de l’OCDE dans les années à venir. Dans cette perspective, compte tenu de l’offre potentielle de main d’œuvre qu’ils représentent, mais également pour des raisons d’équité et des objectifs d’intégration sociale, l’amélioration des conditions d’insertion sur le marché du travail de toutes les catégories de travailleurs étrangers constitue un impératif pour de nombreux pays.
Conclusion
33Les migrations jouent un rôle prépondérant dans la dynamique démographique de plusieurs pays européens de l’OCDE, notamment en Italie et en Espagne, et en freinent le déclin en Allemagne par exemple. Les tendances récentes indiquent un vieillissement des populations de l’OCDE et le débat sur les migrations à des fins de peuplement a connu un regain d’intérêt au début du XXIe siècle. Même si les migrations familiales continuent de prédominer dans l’ensemble des flux et que les demandes d’asile progressent dans plusieurs pays, le débat porte aussi sur la possibilité d’accroître l’immigration de travail afin d’aider au rééquilibre des systèmes de pension, à l’atténuation des déficits des systèmes de sécurité sociale et aux pénuries de main-d’œuvre. Plusieurs travaux ont montré cependant, qu’à elle seule, l’immigration ne permettra pas de modifier les structures démographiques des pays européens ou asiatiques de l’OCDE les plus marqués par le déclin démographique. Elle ne permettra pas, non plus, de pallier les déséquilibres sur le marché du travail des pays d’accueil.
34Parallèlement, le coût social de l’immigration s’accroît avec l’allongement de la durée de séjour des migrants, les flux de regroupement familial et l’afflux de réfugiés et de demandeurs d’asile. Par ailleurs, dans certains pays européens le chômage des étrangers se situe à un niveau beaucoup plus élevé que leur part dans la population active et les secondes générations d’immigrants connaissent des difficultés d’insertion sur le marché du travail. L’objectif d’améliorer les conditions d’insertion des travailleurs étrangers, parfois installés depuis plusieurs générations dans les pays d’accueil, ne constitue pas seulement un impératif en terme d’équité sociale, mais s’impose également pour des motifs d’efficacité économique de court et de long terme. Dans un contexte de faible croissance de la population active, la mobilisation de toutes les ressources humaines disponibles, notamment au sein de la population étrangère, est nécessaire.
En l’absence d’une accélération de la convergence entre les pays développés, vieillissants, et les pays les moins avancés, plus densément peuplés, on peut s’attendre, dans les décennies à venir, à observer un accroissement des flux migratoires. Les enjeux liés aux migrations internationales n’en seront alors que plus marqués. Dans ce cadre, on note que de nombreux pays ont récemment mis en place des mesures pour améliorer les conditions d’intégration des nouveaux immigrants. On doit également souligner la nécessité de renforcer la coopération internationale, y compris avec les pays d’origine, afin d’assurer une gestion efficace des flux migratoires, d’une part, et un partage équitable des bénéfices attendus de cette mobilité (entre les pays d’origine, les pays d’accueil et les migrants), d’autre part. De ce point de vue, le renforcement de la cohérence entre les politiques migratoires et les politiques d’aide au développement est pour le moins souhaitable.
Notes
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Jean-Pierre Garson : économiste, chef de la division des économies non membres et des migrations internationales à l’OCDE. Jean-Christophe Dumont : économiste à la même division.
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[1]
Cet article est largement inspiré de la publication Tendances des migrations internationales (OCDE, édition 2003). Les opinions exprimées dans ce document sont celles des auteurs et ne représentent pas nécessairement celles de l’OCDE ou de ses pays membres. Les auteurs remercient Cécile Thoreau (OCDE) pour la réalisation des tableaux et graphiques.
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[2]
Pour une approche historique des migrations européennes voir Garson et Loizillon, (2003).
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[3]
Plus de 4 millions de personnes d’origine ethnique allemande (Aussiedler), non inclus dans les statistiques migratoires, sont par exemple entrés en Allemagne entre 1950 et 1999, dont la moitié environ après la chute du mur de Berlin.
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[4]
Voir à ce propos l’article dans ce numéro de Maria Peirera Ramos (N.D.L.R.).
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[5]
D’aucuns parlent même d’une « ukrainisation » des migrations en Europe.
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[6]
Ce constat est toutefois invalidé pour les nouveaux pays d’immigration d’Europe du Sud ainsi que pour le Luxembourg et, dans une moindre mesure, pour l’Autriche.