1Le système hospitalier français, comme celui de ses voisins européens, fait l’objet depuis plus de vingt ans de tentatives de rationalisation impulsées par les gouvernements. Cette rationalisation ainsi que la recherche d’une allocation optimale des ressources se traduisent par une variété de décisions de réorganisation prises par l’autorité administrative : fermetures ou conversions de services, voire d’établissements, fusions ou groupements d’hôpitaux [1], création de réseaux d’hôpitaux aux formes diverses… Ces réorganisations locales s’inscrivent dans une politique nationale de mutation de l’offre de soins que la Direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins [2] (DHOS) baptise elle-même recomposition de l’offre hospitalière et définit comme « un mouvement inéluctable que les pouvoirs publics accompagnent pour répondre de manière optimale aux besoins de la population […] préserver la qualité dans l’intérêt du malade au meilleur coût, par un redéploiement de services, d’activités ou d’équipements hospitaliers » [3].
2Si les objectifs poursuivis par les opérations de recompositions sont clairement affichés, la définition administrative des projets qui y concourent reste floue. Ainsi, ceux qui méritent l’octroi de subventions d’accompagnement, comme celles du Fonds d’investissement pour la modernisation des hôpitaux (FIHMO) sont les projets « contribuant de manière indiscutable à l’adaptation de l’offre de soins hospitaliers » [4], sans qu’aucun critère ne vienne définir ce caractère indiscutable. Il n’existe pas non plus de typologie officielle des formes de recomposition [5]. Le terme même employé par la DHOS pour les désigner n’est pas stabilisé puisque l’on trouve alternativement utilisé celui de restructuration ou de recomposition, avec une prédominance de ce dernier. Les autres acteurs, responsables syndicaux, personnels, cadres hospitaliers, parlent plus communément de restructurations. Comme souvent dans le domaine social, le flou qui entoure le sens et les objectifs de l’action publique permet la négociation, la recherche de compromis avec les acteurs sociaux tout en ne mettant pas à jour les contradictions potentielles. La polysémie du terme joue ainsi un rôle positif dans la construction de compromis partiels.
3L’article qui suit présente les résultats d’une recherche dont l’objet était d’analyser comment les organisations syndicales, à l’occasion de restructurations hospitalières, gèrent la tension entre efficacité gestionnaire et défense de l’emploi à l’hôpital ainsi que les stratégies et les modes d’action qu’elles déploient, tant au niveau local que national. Cette analyse du rôle de l’acteur syndical a été menée sur la base d’enquêtes de terrain en France (cf. encadré) [6].
Contrairement à ce que l’on constate dans le secteur privé, la nature et la réalité des restructurations à l’hôpital résistent à l’analyse immédiate et à la présentation qu’en font les acteurs. Plus particulièrement, les conséquences en terme d’emploi, à savoir la lente substitution de personnels soignants aux personnels techniques et ouvriers, sont largement oblitérées. Dans ces évolutions, les syndicats ne sont qu’un acteur parmi d’autres dont la légitimité institutionnelle est limitée. L’action syndicale face aux restructurations s’appuie sur l’analyse que font les différentes forces syndicales de ces restructurations. Cette action doit en particulier articuler la défense des personnels et une défense plus générale de l’hôpital. Les choix syndicaux apparaissent surdéterminés par l’appartenance confédérale. Il y a une certaine cohérence des discours et des pratiques aux différents niveaux organisationnels des syndicats, ce qui est loin d’être le cas dans le secteur privé (Dufour, Hege, 2002). Même si elle se définit au niveau national, l’action syndicale reste une action dont les dimensions locales sont importantes.
Encadré : Méthodologie
Nous avons choisi les organisations syndicales dont les résultats sont les plus significatifs aux élections professionnelles : la CFDT, la CGT et la CGT-FO. Nous avons ajouté SUD-CRC parce qu’il s’agit d’une organisation très active localement sur les questions de restructuration. Nous avons interrogé successivement des responsables interprofessionnels et des responsables de fédérations professionnelles.
• Dans une première étape, nous avons enquêté auprès des organisations syndicales au niveau national. Nous avons rencontré des responsables confédéraux ayant en charge les questions d’assurance maladie à la CGT, la CFDT et à la CGT-FO. Nous avons également rencontré des responsables nationaux des fédérations : Fédération CGT Santé et Action sociale, Fédération des syndicats CFDT santé-sociaux, Fédération CGT-FO des personnels des services publics et des services de santé, Fédération SUD-CRC santé-sociaux. Nous avons également pu travailler à partir de la presse syndicale nationale, qu’il s’agisse de la presse fédérale ou confédérale. Pour la presse fédérale nous avons en particulier dépouillé Perspectives et le Bulletin fédéral pour la fédération CGT, Cahiers de la Fédé, Multiple et Regards pour la fédération CFDT, Tribune FO santé pour la fédération CGT-FO, en accordant une attention particulière aux éditions de ces publications qui rendaient compte des congrès fédéraux. Les entretiens avec les fédérations et les confédérations ont eu lieu au début de l’année 2000, complétés d’une nouvelle rencontre avec les fédérations au début de 2002. Dans cette étape nous avons eu des échanges avec la DHOS.
• Dans une deuxième étape, au niveau régional, nous avons rencontré les responsables régionaux des syndicats de santé, les responsables des structures interprofessionnelles ainsi que des administrateurs syndicaux de caisses d’assurance maladie. Ici aussi nous avons utilisé la presse syndicale disponible. De longs échanges ont également eu lieu avec les directions des ARH.
Nous avons fait le choix de nous centrer sur deux régions. Nous aurions pu, à l’inverse, sélectionner des établissements connus pour les restructurations qui s’y étaient déroulées, soit qu’elles aient réussi, soit qu’elles aient connu des gros problèmes de mise en place. Notre choix a, au contraire, été de ne pas nous centrer sur les recompositions elles-mêmes, mais de partir des données qui pouvaient permettre de voir comment un contexte sociosanitaire agissait sur les recompositions et surtout sur les positionnements syndicaux. Dès lors, il était intéressant d’avoir deux régions les plus dissemblables possible :
- une région sous-dotée, dans laquelle l’hospitalisation privée à but lucratif n’a qu’une faible place, petite donc soumise à l’attraction de régions limitrophes plus importantes, avec une population jeune et des résultats sanitaires (espérance de vie) médiocres ;
- une région mieux dotée, dans laquelle l’hospitalisation privée à but lucratif occupe une place importante, vaste, dont la population est dans la périphérie vieillissante et dont les résultats sanitaires (espérance de vie) sont au-dessus des moyennes nationales.
Les restructurations hospitalières : mythes et réalités
4Le terme restructuration est de toute évidence emprunté au secteur industriel, ou plus largement au secteur privé. Son emploi sous-entend-il un parallèle implicite entre les mutations à l’hôpital et les restructurations industrielles ? Quels points communs entre un établissement hospitalier public et une entreprise privée ? Un détour par les analyses menées sur les mutations industrielles éclaire la nature des processus de décision dans le champ de la santé et surtout l’ampleur de leurs conséquences en terme d’emploi.
Restructurations industrielles et restructurations hospitalières : des processus de décision de nature différente
5Dans le privé, comme à l’hôpital, la décision de restructuration peut être appréhendée à trois niveaux : les objectifs poursuivis, le processus de prise de décision et la traduction de cette décision. Les objectifs poursuivis dans les restructurations industrielles peuvent être mis en parallèle à ceux affichés dans le domaine de l’hôpital. La recherche d’une rentabilité financière dans le secteur privé peut être, à certains égards, rapprochée de la volonté de rationaliser l’offre de soins sur la base de la réduction des capacités et d’une maîtrise des coûts. De la même manière, l’adaptation aux évolutions technologiques se traduit à l’hôpital par la création de nouveaux plateaux techniques ou la réduction des durées moyennes de séjour. De même, la mise en œuvre d’une stratégie concurrentielle de long terme (recherche d’un pouvoir de marché ou d’une taille critique) dans l’industrie et le recentrage des activités hospitalières sur les soins spécialisés, par l’externalisation de fonctions logistiques ou le recours à la sous-traitance, relèvent d’objectifs que l’on peut mettre en parallèle. Ce type de rapprochement doit bien sûr rester prudent et ne jamais perdre de vue la spécificité du système hospitalier dont l’objectif premier est de concourir à la réalisation d’un droit constitutionnel, celui de la protection de la santé.
6Si l’on laisse de côté la dimension financière, dans une acception large, les restructurations industrielles ne se distinguent pas des restructurations hospitalières. Toutes deux se définissent comme un mouvement de redéploiement d’activité qui englobe des modalités très diversifiées. Cependant, la comparaison s’arrête au niveau des objectifs poursuivis par les restructurations car, aussi bien l’analyse du processus de prise de décision de la restructuration, sa traduction et son évaluation ultérieure que celle de ses conséquences, notamment en termes d’emplois, soulignent la différence de nature entre l’hôpital et l’entreprise. Dans cette dernière, la décision résulte d’un processus interne à la direction. Cette négociation [7] intra-organisationnelle est bien sûr discrète, mais elle n’en est pas moins réelle. Elle se caractérise pourtant par son caractère informel. Une fois la décision prise au sein d’une équipe de direction plus ou moins large, son application est mise en route et peuvent alors s’ouvrir des négociations sur les conséquences en termes de personnel. « […] l’observation des interactions locales participant à la construction même de la négociation témoigne de l’importance des compromis internes aux directions d’entreprises » (Mériaux, Trompette, 1997).
7Il en va autrement de la décision de restructuration hospitalière qui fait l’objet d’une négociation instituée à chaque niveau : national, régional, local, entre de nombreux acteurs institutionnels représentant le monde politique, administratif, médical et qui associe les partenaires sociaux. Si les fédérations syndicales hospitalières posent tout autant la question de leur intervention sur ces décisions que leurs homologues du secteur privé, leurs revendications portent plus sur une amélioration du caractère démocratique des procédures institutionnelles de décision. D’une part, elles participent déjà, bien que de manière insatisfaisante, à l’élaboration des politiques de santé. Mais surtout, elles ne contestent pas la légitimité de la décision étatique. Que ce soit en tant qu’organisations de fonctionnaires ou même de confédérations, elles ne revendiquent pas une cogestion des décisions avec la puissance publique.
8Plus que dans les travaux sur les restructurations industrielles, c’est dans les analyses menées en sciences politiques sur la construction des politiques publiques que l’on trouve les outils d’une compréhension des politiques de recompositions dans le domaine de la santé. Deux conceptions des démarches de restructurations hospitalières cohabitent et sont mises en œuvre parallèlement (Mossé, 2001). Une démarche descendante, qui se moule dans les procédures budgétaires mises en place depuis le plan Juppé, a pour objectif la maîtrise et la réduction des coûts hospitaliers : le Parlement fixe un Objectif national de dépenses de l’assurance maladie (ONDAM) sur la base duquel, le gouvernement détermine l’enveloppe nationale des dépenses hospitalières et sa répartition en dotations régionales ; les Agences régionales de l’hospitalisation (ARH) décident ensuite des ressources allouées à chaque établissement de santé. Les instruments de cette démarche gestionnaire sont d’ordres physique et financier et fondés sur un système d’indicateurs quantitatifs comme le Programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI) dont l’objet est d’homogénéiser des données de nature médicale afin de les intégrer aux informations comptables.
9À l’opposé, la seconde conception, qui poursuit l’allocation optimale des ressources en fonction des besoins de santé, privilégie une démarche ascendante, articulée autour de la négociation avec les acteurs aux différents niveaux et des indicateurs qualitatifs. La mise en œuvre de cette démarche se retrouve dans les procédures de planification sanitaire mises en place depuis les années soixante-dix : Schéma régional d’organisation sanitaire (SROS) et carte sanitaire établis au travers d’une large concertation, notamment des Conférences régionales de santé (CRS) et des Comités régionaux de l’organisation sanitaire et sociale (CROSS).
Au niveau régional, la confrontation des deux démarches, relayée par l’ARH, permet la transformation du système hospitalier, malgré les résistances au changement constatées sur le terrain. L’affichage d’une politique nationale de maîtrise des dépenses de la DHOS permet localement aux directeurs d’ARH de ne pas avoir à justifier plus avant leurs projets de restructurations et d’utiliser cette contrainte objective pour faire pression sur les directeurs d’hôpitaux et les personnels. À l’inverse, l’absence de doctrine nationale claire rend possible le développement de négociations et la construction d’arrangements locaux.
Si l’on revient aux restructurations industrielles, leurs effets immédiats en terme d’emploi ne prêtent pas à contestation. Les opérations menées dans les industries lourdes au cours des décennies soixante-dix et quatre-vingt se sont traduites par des suppressions massives d’emplois, voire la suppression d’activités entières. Les réactions à ces fermetures ont été fortes, voire violentes. Les syndicats hospitaliers ont pu être tentés de se référer à la mythologie de luttes emblématiques comme celles menées dans la sidérurgie mais ce positionnement n’a pas tenu face à la réalité des évolutions quantitatives.
L’emploi à l’hôpital : un bilan contrasté selon les catégories de personnel
10Si le nombre de lits et les durées moyennes de séjour diminuent sur la dernière décennie, traduisant bien l’évolution technique et organisationnelle de l’hôpital, les effectifs hospitaliers, eux, augmentent. La restructuration à l’hôpital offre ainsi une différence importante avec celle que connaît l’industrie : on y crée des emplois. De 1987 à 1999, le nombre d’emplois dans le secteur hospitalier a augmenté de plus de 70 000.
11Cependant, ce chiffre est un solde qui résulte de la création de près de 90 000 emplois liés plus ou moins directement aux soins (infirmières et aides-soignantes mais aussi personnels médico-techniques), de la création de plus de 10 000 emplois dans l’administration [8], mais également de la suppression de plus de 30 000 emplois dans les services techniques ce qui représente 20 % des emplois de cette catégorie.
Évolution des effectifs des personnels non-médicaux (1987-1999)

Évolution des effectifs des personnels non-médicaux (1987-1999)
12Cette régression des emplois techniques est le résultat de deux évolutions concomitantes :
- pour faire face aux changements des techniques à l’hôpital, les directions d’établissements ont recruté des personnels aux qualifications pointues et élevées, le plus souvent avec un statut de contractuel. Des négociations sont d’ailleurs nécessaires sur l’adaptation du statut des personnels des filières techniques afin de permettre l’intégration de ces nouvelles qualifications et des accords sont déjà intervenus localement ;
- parallèlement, des mouvements d’externalisation (cuisines, buanderies) ou de sous-traitance (entretien, maintenance…) se sont développés. Les personnels concernés se retrouvent dans le secteur privé et la question de leur changement de statut n’est pas évidente à prendre en charge.
13Lors des opérations de restructurations hospitalières, les suppressions d’emplois, quand elles existent, ne se traduisent pas pour les personnels titulaires [9] par des licenciements, comme dans le privé. Dans ce cas, des reclassements acceptables sont le plus souvent proposés, avec le recours possible à des aides à la mobilité. Les pénuries de personnels qualifiés, assez générales dans le secteur hospitalier, facilitent bien sûr le reclassement. Il n’en va pas de même pour les salariés précaires (vacataires, contractuels, contrats à durée déterminée…) mais aucune évaluation n’est faite, à ce jour, des conséquences pour ces personnels des restructurations hospitalières.
14La revendication syndicale de sauvegarde de l’emploi ne prend, de ce fait, pas la même dimension dans l’entreprise et à l’hôpital. La demande des organisations syndicales du privé de participer au processus de restructuration et notamment à la reconversion des salariés licenciés, n’a pas la même acuité à l’hôpital public du fait de ces moindres conséquences en termes d’emplois. Ne s’y construisent pas les mécanismes d’échanges constatés dans le privé autour de la question de l’emploi : « Avantage pour le salarié, qui même s’il sacrifie une partie de son “confort” et de ses modes habituels de travail, réduit ses chances de se retrouver au chômage. Avantage pour l’entreprise enfin, qui peut jouer sur le long terme pour améliorer ses ressources humaines », (Mériaux, Trompette, 1997). L’intervention syndicale va alors plus porter sur des questions d’aménagement du territoire, de réponse aux besoins de la population, de qualité des soins, sur des questions moins directement liées aux conditions de travail des salariés de l’hôpital.
Plus qu’une évolution quantitative, réelle mais au bilan ambigu, ce sont les modifications de la structure et des types de services offerts par l’hôpital, de son organisation du travail qui donnent une réalité à la recomposition hospitalière. Cette réalité rencontre finalement, tout en ne l’expliquant pas totalement, celle exprimée par les personnels et leurs représentants syndicaux qui se plaignent et souffrent d’un univers de travail en perpétuelle mutation.
Les syndicats acteurs des réformes de l’hôpital ?
15Entamée en 1991 avec la loi « Evin », renforcée en 1996 avec les ordonnances adoptées dans le cadre du plan Juppé, la modernisation du système hospitalier touche à la fois les modalités de construction de l’offre de soins et les circuits de financement de l’hôpital.
16La principale réforme institutionnelle de 1996 est la création des Agences régionales d’hospitalisation (ARH) placées sous la tutelle des ministères en charge de la Santé et de la Sécurité sociale. Le directeur, nommé par décret, est assisté d’une commission exécutive dont la moitié des membres sont des représentants des structures déconcentrées de l’État (directeurs de Directions départementales des affaires sanitaires et sociales (DDASS) et médecins inspecteurs) et l’autre moitié des représentants de l’assurance maladie (directeurs de caisses et médecins-conseils). Elles sont chargées de définir et mettre en œuvre la politique régionale d’offre de soins hospitaliers, de coordonner l’activité des établissements publics et privés et de déterminer leurs ressources. Les ARH jouent, en fait, un double rôle qui renvoie aux deux conceptions coexistantes de la gestion de l’offre de soins hospitaliers : celui de financeur où elles sont en position de tutelle – leurs marges de manœuvres en matière de régulation financière sont cependant limitées – et celui de conseilleur où elles sont en position de contractants avec les établissements. Plus que des agences se sont avant tout des services administratifs déconcentrés. Le but poursuivi lors de leur création en 1996 était d’ailleurs de centraliser dans une structure étatique les pouvoirs préalablement dispersés entre l’État et l’assurance maladie. Dans la pratique, l’agence joue également le rôle de médiateur entre les établissements et la DHOS.
Politiques de santé : une place institutionnelle minorée pour les syndicats
17Depuis 1996, les procédures d’élaboration des politiques de santé ont connu de profondes modifications, mais les organisations syndicales n’y ont pas gagné un rôle accru. Elles ne semblent légitimes pour participer aux structures chargées d’élaborer la politique de santé qu’à deux titres : en tant que représentantes « des organismes financeurs des dépenses de santé » [10] ou comme représentantes des personnels hospitaliers, jamais comme représentantes de l’ensemble des salariés qui sont pourtant les premiers usagers du système de santé. Ce rôle leur est pourtant reconnu dans d’autres domaines de la protection sociale où l’État, garant de l’intérêt général dans la conception française, associe les organisations porteuses des intérêts professionnels à l’élaboration des politiques (Daniel, Rehfeldt, Vincent, 2000). La demande d’une implication plus grande est partagée par toutes les organisations syndicales confédérales.
18De même, les dernières réformes ont fortement minimisé le droit de regard des partenaires sociaux, au travers des caisses d’assurance maladie, sur le système hospitalier. L’État exerce un contrôle étroit sur les dépenses hospitalières : le gouvernement fixe, depuis 1978, le taux directeur national d’augmentation des dépenses hospitalières et décide des effectifs de l’hospitalisation publique dont les personnels sont fonctionnaires [11]. L’autonomie d’action des acteurs paritaires ne reste importante que dans le domaine de la médecine ambulatoire. Dans le secteur hospitalier même si, depuis 1983, l’assurance maladie donne son avis sur le budget prévisionnel de l’hôpital, « les acteurs paritaires ont un rôle marginal face à l’autonomie de l’élite hospitalière et à la tutelle de l’État » (Hassenteufel, 1997).
Au bout du compte, le mode de régulation du système de santé laisse encore la place à une multiplicité d’acteurs à même d’influer sur la planification sanitaire régionale : directeurs d’hôpitaux et d’ARH, médecins, personnels hospitaliers, organisations syndicales, élus locaux… La prise de décision en matière hospitalière apparaît multifactorielle et les différents motifs concrets invoqués ne sont pas hiérarchisés : compétences médicales disponibles, vétusté ou exiguïté des locaux, maintien de soins de proximité, valeur du point ISA (Indice synthétique d’activité) [12], taille insuffisante de l’établissement…
Les syndicats dans l’hôpital
19Les organisations syndicales de salariés sont aussi un acteur secondaire des recompositions des établissements hospitaliers comme le montrent les résultats de notre recherche. Cette place ne tient pas tant à leur implantation sur le terrain – bien qu’elles soient moins présentes que dans d’autres secteurs de la fonction publique, leur force se situe dans la moyenne du secteur public – qu’à la place marginale qui leur est donnée dans les processus de décisions.
20La présence syndicale dans le secteur hospitalier est difficile à évaluer. Les résultats des élections, principalement des Commissions administratives paritaires (CAP), permettent de mesurer l’audience nationale, régionale ou départementale des organisations syndicales ainsi que par catégorie de fonctionnaires (A, B, C et D) [13]. Au-delà, leur implantation locale et surtout par filières professionnelles (soignants, administratifs, ouvriers…) n’est pas connue. Par ailleurs, aucune étude quantitative ou même qualitative approfondie n’a été menée à ce jour sur ce thème.
21L’idée simple selon laquelle les trois grandes organisations syndicales s’appuieraient chacune sur un groupe professionnel : les soignants pour la CFDT, les administratifs pour FO, le personnel technique pour la CGT, si elle a pu correspondre à une réalité dans le passé, n’est plus confirmée. Plus que l’appartenance catégorielle, la localisation géographique (région industrielle, histoire locale du syndicalisme ouvrier…), le secteur d’activité (hôpital, centre de réadaptation…) et la taille et la nature de l’établissement (centre hospitalo-universitaire (CHU), hôpital général…) jouent sur la présence syndicale. Ainsi, la CGT fait de bons scores dans les grosses unités (CHU, centres hospitaliers régionaux (CHR)). FO est meilleure dans les petites structures, les hôpitaux locaux, les maisons de retraite. La CFDT est plus implantée dans le secteur psychiatrique, dans le médico-social et le social.
22La représentation du personnel à l’hôpital présente deux spécificités par rapport au reste de la fonction publique. Tout d’abord, l’hôpital est dirigé par un pouvoir bicéphale : le pouvoir administratif (le directeur d’hôpital) dont dépendent les personnels, hormis les médecins, pour ce qui concerne leurs conditions d’emplois (recrutement, avancement, mobilité, primes… [14]) et le pouvoir médical pour ce qui concerne l’organisation du travail concret des soignants. À ce double pouvoir, correspondent deux structures de gestion de l’hôpital : la Commission médicale d’établissement (CME) où ne siègent que les médecins et qui détermine le projet médical, c’est-à-dire l’activité même de l’hôpital ; le conseil d’administration qui détermine le projet d’établissement, à savoir l’application du projet médical.
Dans les structures de gestion de l’hôpital, les organisations syndicales sont présentes, en petit nombre, dans les conseils d’administration. Cependant, le rôle de cette instance dans les processus de décision est limité par le poids de la CME et des médecins. Le vrai dialogue, quand il existe, s’instaure avec la direction du personnel de l’hôpital. Pour l’instant, les lieux institutionnels prévus pour cette rencontre restent consultatifs comme le Comité technique d’établissement (CTE). Des conseils de services ont été créés pour permettre au personnel de s’exprimer sur leur travail. Les organisations syndicales les voient comme une tentative de les contourner. Les personnels restent sceptiques sur cette instance. Peu de conseils fonctionnent réellement.
Positions syndicales face aux restructurations
23Si l’on regarde les positions défendues par les organisations syndicales au niveau national, on voit se dessiner un certain consensus sur la nécessité d’une recomposition de l’offre hospitalière. Les raisons invoquées pour la justifier rejoignent une partie de celles de l’administration : évolution des besoins de santé, en particulier impact du vieillissement et de la démographie, objectifs de qualité et de sécurité sanitaires, complémentarité entre le public et le privé, entre la ville et l’hôpital… La légitimité d’un contrôle budgétaire afin de s’assurer de la bonne utilisation de l’argent public n’est d’ailleurs contestée par aucune d’entre elles. Toutes sont favorables à l’optimisation des dépenses qui conduit à ne pas maintenir des structures obsolètes.
Tenir compte des besoins, refuser une logique comptable
24En revanche, si aucun responsable syndical national n’est contre le principe d’une recomposition de l’offre, tous dénoncent le fait que les restructurations actuelles n’aient pas pour objectif d’adapter le système hospitalier aux besoins mais soient dominées par une logique de maîtrise comptable des dépenses. Les divergences avec la politique de santé portent à la fois sur la primauté donnée aux objectifs financiers et sur les outils utilisés pour décider de ces restructurations.
25Les trois principales organisations syndicales du secteur hospitalier critiquent les impératifs de rentabilité imposés par le gouvernement au travers de la recomposition de l’offre. La CGT et Force ouvrière contestent l’objectif de limitation des dépenses de santé alors qu’il faudrait privilégier l’évaluation des besoins pour cadrer l’offre de soins. De son côté, la CFDT reconnaît une légitimité à une politique de rationalisation. Des nuances apparaissent cependant entre les positions confédérales et fédérales sur le poids à donner aux contraintes économiques et à la maîtrise des dépenses de santé [15]. L’organisation SUD-CRC tient une place à part principalement parce qu’elle lie plus fortement les opérations de restructurations à une politique libérale de réduction des dépenses de l’État.
26L’autre grande divergence avec la DHOS concerne les outils et indicateurs de construction de l’offre de soins. Les fédérations CFDT et CGT en particulier constatent que la politique menée n’est pas réellement définie dans le cadre d’une politique de santé dans laquelle s’inscrirait la politique hospitalière. Ces deux fédérations insistent également sur le fait que cette politique de santé ne saurait se limiter aux dimensions purement sanitaires et devrait intégrer des dimensions médico-sociales. Quant aux outils utilisés par l’administration, ils relèvent d’une logique budgétaire et non pas d’une volonté d’évaluer les besoins de santé. Très contesté par les trois fédérations hospitalières, CFDT, CGT, CGT-FO, et par SUD-CRC, le PMSI se voit cependant reconnaître des qualités de connaissance de l’activité hospitalière.
27Un accord large se manifeste également, pour critiquer un fonctionnement des ARH, et plus généralement des instances qui définissent les politiques en matière d’hospitalisation, considéré comme peu démocratique. L’absence de démocratisation des structures qui planifient les réponses aux besoins de santé rend d’autant plus fort le poids de la logique financière. L’autre point fort du positionnement de la CGT, de Force ouvrière et de SUD-CRC, la CFDT se singularisant en la matière, est la crainte qu’une restructuration à la fois dominée par des objectifs financiers et menée avec des procédures opaques ne conduise à des décisions qui favorisent l’hospitalisation privée [16].
Plus que sur l’analyse, c’est en fait sur leur positionnement concret que les organisations syndicales se différencient le plus. Peut-on refuser purement et simplement la restructuration ou faut-il accepter sa réalité et tenter de peser sur son déroulement ? Dans les opérations concrètes de restructurations, les intérêts des professionnels, de la population, des différents établissements se révèlent, au moins en partie, contradictoires. Et si les intérêts des uns et des autres sont divergents, quel doit être alors le rôle du syndicat : privilégier la défense des personnels hospitaliers ou réaliser les arbitrages nécessaires à la satisfaction de l’intérêt général ?
Entre défense des personnels et défense de l’hôpital
28Malgré un certain nombre de points communs, on constate de réelles différenciations des discours syndicaux. Celles-ci ne tiennent pas, comme nous l’avons déjà vu, à une représentativité sociale différenciée au sein des différentes catégories de personnel. Il faut certainement en chercher la cause dans l’histoire des organisations syndicales. Il en va de même quand on analyse comment elles combinent la défense de l’hôpital et celle des salariés de cet hôpital.
29L’action des syndicats face aux restructurations hospitalières peut faire apparaître un certain nombre de contradictions : entre intérêts de l’usager et intérêts des personnels, intérêts divergents entre catégories professionnelles elles-mêmes, mais aussi, concurrence entre sections syndicales d’établissements dans un cadre de pénurie. C’est un des mérites des organisations syndicales hospitalières de ne pas nier ce problème et de l’affronter ouvertement. C’est le propre de l’action syndicale de gérer ce type de contradiction. Très tôt, les organisations syndicales françaises se sont constituées en confédération. Elles pensaient ainsi se prémunir contre les corporatismes de métiers et d’entreprises, contre une « double tendance égoïste : l’égoïsme de l’entreprise (vouloir privilégier les intérêts d’une entreprise aux dépens des intérêts de la collectivité nationale) ; l’égoïsme des ouvriers professionnels (vouloir privilégier les intérêts catégoriels aux dépens des intérêts de l’ensemble de la classe ouvrière) » (Rehfeldt, 1990). La gestion de ces contradictions reste totalement d’actualité pour les organisations syndicales hospitalières.
30Au plan national, la CFDT se positionne clairement sur cette fonction d’arbitrage que doit jouer le syndicat. La Fédération santé-sociaux CFDT a clairement affirmé dans ses congrès, sa volonté de prendre une place dans la détermination de l’offre de soins. Dès lors que les intérêts des personnels et des établissements peuvent intégrer des éléments contradictoires, le syndicat a une fonction d’arbitrage, de définition des priorités afin de dépasser les intérêts catégoriels et faire prévaloir l’intérêt général. Observée au niveau local, la volonté de ne pas s’enfermer dans un discours de simple opposition pour peser sur les transformations peut prendre une coloration plus pragmatique et quelque peu contrainte par les restrictions budgétaires.
31Pour la CGT-FO, l’axe principal de l’intervention syndicale demeure la défense du statut des personnels. FO ne hiérarchise pas ses actions entre défense de l’hôpital public et défense des personnels. Quant aux orientations en matière de réforme de l’hôpital, il appartient aux politiques d’en décider. Avec une telle orientation, les positionnements adoptés par les syndicats locaux se révèlent très différenciés même si la défense du statut et des acquis du personnel reste un axe central de l’action syndicale. Si tel responsable régional reconnaît qu’il peut y avoir un « dilemme » entre la défense des conditions de travail du personnel et la réponse aux besoins de la population, il affirme aussitôt que, comme syndicaliste, il est là « pour défendre les intérêts particuliers des personnels, leurs conditions de travail ».
La CGT cherche à sortir d’une image protestataire pour peser sur les transformations. La constitution d’un rapport de force favorable se heurte entre autres à l’existence de contradictions : contradictions, dans le cadre d’enveloppes financières qui conduisent à un manque de personnel, entre la nécessité de maintenir un service de santé aux usagers et l’allégement de la charge de travail consécutive, pour les salariés, à une réduction d’activité (fermeture de lits, par exemple) ; concurrence entre établissements ; contradictions, enfin, entre les revendications et les aspirations des différentes catégories de salariés. Pour la CGT, c’est en avançant des exigences fortes en matière de démocratisation des procédures de décisions que l’on peut avancer. La démocratie devient le moyen de surmonter les contradictions.
L’action syndicale dans un hôpital restructuré
32La politique de recomposition de l’offre est une politique nationale, qui s’inscrit dans les faits au niveau d’un établissement comme une décision spécifique. Les organisations syndicales font une analyse globale des recompositions, mais l’action syndicale est une action locale face à une recomposition qui prend des formes variées. Si les fusions d’établissements sont fréquentes, on trouve également des transferts d’activités d’un établissement à l’autre, des communautés d’établissements, des groupements de coopération… La DHOS privilégie plutôt les transformations qui affectent la structure juridique des établissements. Il est important de noter que les équipes syndicales locales mettent plus fréquemment en avant des transformations internes aux établissements qui sont éventuellement transparentes pour la tutelle.
Plusieurs éléments complexifient l’intervention des syndicats au plan local :
- un difficile accès à l’information : le circuit de décision qui conduit à la recomposition est complexe. Localement, les sections syndicales ont souvent le sentiment de n’être informées qu’après que les décisions sont prises ;
- la multiplicité des acteurs (médecins, élus…) qui tiennent une place importante ;
- la durée longue des opérations de recomposition qui ne correspond pas au rythme, souvent plus rapide, de l’action syndicale.
Les organisations syndicales : un acteur parmi d’autres
34Lors de la transformation des structures hospitalières, les organisations syndicales ne sont qu’un des acteurs. Si l’acteur local principal avec lequel elles vont devoir négocier est la direction de l’établissement, au moins trois autres acteurs jouent un rôle important : l’ARH, les médecins, les élus…
35L’équipe de direction d’un hôpital joue un rôle important dans la décision de restructuration. « Le directeur oriente la politique de l’établissement à moyen et long terme plus qu’il n’y paraît en décidant des travaux, en choisissant les mises en réseau préférentielles et en déterminant une politique générale de développement » (Schweyer, 2000). Bien que le directeur d’hôpital n’ait pas de pouvoir hiérarchique sur le corps médical, il a souvent, mais pas toujours, une prédominance sur le président de CME : « la relation avec le président de la CME constitue le centre opérationnel de l’action de la direction dans le domaine médical et consacre généralement la prédominance du chef d’établissement » (Schweyer, 2000). Le poids du directeur d’hôpital est aussi renforcé par le fait qu’il entretient des relations privilégiées avec le directeur de l’ARH.
36La nature des rapports entre la direction de l’établissement et les organisations syndicales est évidemment centrale. Si la décision est explicitée en amont, négociée dans ses modalités et ses conséquences, ou si, au contraire, elle est annoncée sans préparation et mise en place sans négociation, la réaction du personnel et celle des organisations syndicales seront très différentes. Pour les organisations syndicales, l’existence d’une négociation en amont de la décision apparaît comme un élément déterminant de la conduite de la restructuration. La direction ne se réduit pas au seul directeur et à une équipe restreinte. Plusieurs de nos interlocuteurs ont insisté sur le rôle de la hiérarchie intermédiaire. Est-elle ou non partie prenante de l’opération ? A-t-elle les moyens, la compétence, de résoudre les problèmes d’organisation du travail que la restructuration va inévitablement poser ?
37Pour l’ARH, les organisations syndicales ne sont pas des interlocuteurs directs, ce sont les chefs d’établissements. Pourtant, chacun sait que tout problème aigu dans un établissement donnera lieu à une manifestation du personnel, et éventuellement de la population, devant l’ARH qui, le plus souvent, recevra une délégation de l’établissement. Le jeu triangulaire ARH, direction, organisations syndicales peut devenir complexe. L’ARH, parce qu’elle a la maîtrise des budgets, apparaît comme le « maître du jeu ». Cette maîtrise de la situation doit cependant être relativisée. La faiblesse des marges de manœuvre budgétaires dont disposent les ARH diminue leur capacité à peser sur les décisions des directeurs.
38Les médecins ont un rôle central dans les opérations de restructurations tant du fait de la place qu’ils occupent dans les structures de planification au plan régional (SROS) que de leur place dans l’établissement (CME). Ce rôle n’est évidemment pas également partagé entre tous les médecins. Le poids d’un praticien hospitalier n’a évidemment rien à voir avec celui d’un vacataire. Leur influence ne se limite pas aux murs de l’hôpital. Les médecins de ville, en orientant leurs patients vers telle ou telle structure de soins, pèsent également sur les restructurations. L’adhésion minimale de la CME au projet de restructuration, ou au moins sa non-opposition, apparaît indispensable à sa réussite.
La transformation d’un hôpital, à plus forte raison sa fermeture, ne peut laisser indifférent un élu, en particulier s’il s’agit d’un hôpital local, dans une ville de taille moyenne. Se pose donc pour les organisations syndicales la question de la place des élus. La défense du principe de la gestion paritaire de l’assurance maladie (CGT-FO) ou celle de l’autonomie de la Caisse nationale d’assurance maladie (CFDT) pousse à maintenir une certaine distance avec eux. La recherche de leur soutien dans la construction d’un rapport de force pousse en revanche à rechercher une alliance que l’on sait provisoire. C’est à l’intérieur de cette configuration dans laquelle les acteurs sont nombreux et les possibilités d’alliance multiples que les syndicats vont devoir définir une pratique locale.
Temporalité des restructurations et agenda syndical
39La temporalité des restructurations s’étale sur une durée qui ne s’articule pas bien avec les revendications syndicales. Entre les premiers projets et la mise en place effective de la modification des structures de l’hôpital et du service, il peut se passer plusieurs années. L’action syndicale a du mal à s’inscrire dans cette durée. Pour le personnel, il s’agit d’un horizon lointain dont les impacts seront de toute manière intégrés à d’autres évolutions : mobilité interne et externe du personnel, évolutions techniques qui modifient en permanence les conditions de travail, évolution de l’organisation du travail… Au moment de notre enquête, la question des restructurations s’articulait avec une préoccupation plus immédiate : la réduction du temps de travail.
40L’action syndicale sur les restructurations s’organise en deux moments :
- le premier de ces moments correspond à la prise de connaissance du projet de restructuration et, suivant la situation, sa contestation ;
- le second est celui de la négociation sur les effets concrets de la restructuration pour le personnel.
La contestation du projet : le « comité de défense »
41Le « comité de défense » est un mode de contestation assez fréquemment utilisé par les acteurs syndicaux, surtout CGT et SUD, et le personnel. Pourquoi un tel recours ? L’action en défense des intérêts du personnel n’est-elle plus, à elle seule, suffisamment légitime ?
42Ces comités, souvent créés à l’initiative des organisations syndicales, regroupent, à côté des représentants des salariés, des médecins, des associations d’usagers et/ou de malades, quelquefois des personnalités locales, rarement des élus. La presse locale, fortement sollicitée, joue évidemment ici un rôle central. Le moteur de ce moyen d’action est le paradigme de « l’intérêt du malade ». La figure du malade est utilisée à leur profit par les catégories professionnelles soignantes afin de légitimer leur propre rôle. Les valeurs qu’elle véhicule s’opposent particulièrement efficacement à celles de la rationalisation. Dans le comité de défense ce ne sont pas les problèmes du personnel qui sont mis en avant, mais les besoins de la population, les questions d’aménagement du territoire.
43Cet élargissement du champ de l’action hors du champ proprement syndical pose deux questions aux syndicalistes. Les acteurs du système hospitalier appelés à participer aux comités peuvent se révéler des alliés encombrants. La recherche d’un consensus pour constituer le comité limite également les revendications dont il est porteur. Ainsi, l’association toujours recherchée des médecins à la mobilisation ne limite-t-elle pas la remise en cause du fonctionnement de l’hôpital que porte le mouvement et notamment celle du pouvoir médical ? L’autre question est celle du rapport avec l’hôpital même. Comment éviter que l’investissement dans le comité de défense ne se fasse au détriment de la présence dans l’établissement ? Comment faire pour que la publicité faite à des informations internes à l’hôpital n’apparaisse pas comme une remise en cause de la communauté hospitalière ?
Négocier sur les effets concrets de la restructuration
44Les négociations sur les effets concrets de la restructuration pour le personnel embrassent une grande diversité de questions. Quelle harmonisation des règles sociales internes à l’hôpital ? Quelle nouvelle organisation du travail ? Comment accompagner le changement professionnel ? Comment harmoniser des « cultures » d’établissement différentes ? Certes, les personnels appartiennent à la fonction publique hospitalière mais les établissements sont autonomes. En cas de fusion, il faut harmoniser les règles relatives à la notation et l’avancement, aux congés annuels et post-formation, aux temps de repas, aux astreintes et amplitudes horaires, aux primes de services et indemnités, aux temps partiels, aux autorisations d’absence et jours d’ancienneté…
45Les syndicats mènent alors des négociations avec la direction. Classiquement, l’objectif syndical est d’harmoniser les situations « vers le haut ». La direction mettra en avant les contraintes budgétaires pour s’y opposer. L’harmonisation des règles sociales peut être l’occasion de « moderniser » la gestion du personnel. Chaque restructuration va donc s’accompagner d’une intense négociation autour de la question de l’harmonisation des règles sociales internes. La conduite et les résultats de ces négociations sont l’affaire des équipes locales à qui incombe la responsabilité du choix des contreparties acceptables à la fusion.
Conclusion
46Dans la pratique, les syndicats se révèlent être un acteur secondaire des restructurations : il n’y a ni lieu, ni temps prévus pour négocier les mutations de l’hôpital. Ce rôle secondaire peut aussi être rapporté à la place tenue par leur interlocuteur principal : la direction de l’hôpital. Cette dernière n’a pas la légitimité des médecins pour orienter l’activité médicale (Visier, 1991). Les syndicats sont légitimes pour porter les revendications statutaires et salariales des personnels ainsi que pour les défendre individuellement mais pas comme force de proposition dans le domaine des activités médicales ni de celui de l’organisation des soins. La construction de leur stratégie d’action part d’ailleurs peu de l’expérience concrète du travail hospitalier. Les discours et les pratiques des syndicats se fondent sur l’intérêt général pour justifier la défense de l’hôpital.
La restructuration n’est jamais une opération qui se limite à la modification d’un organigramme. Elle touche à l’organisation même du travail, aux contenus des métiers de chacun, à son identité professionnelle [17]. Les organisations syndicales ont conscience du fait que les restructurations se déroulent dans un contexte d’intensification du travail, dans le cadre plus global d’une situation d’insatisfaction, voire de souffrance professionnelle. Les constatations portent tout à la fois sur les pénuries de personnel, sur les rotations plus rapides des patients du fait de la réduction des durées de séjour, sur la polyvalence plus grande demandée au personnel, sur l’impact sur le travail des évolutions des technologies de soins… Ces dimensions sont pourtant difficilement prises en charge et apparaissent souvent comme des conséquences non maîtrisées de la restructuration.
Notes
-
[*]
Catherine Vincent, sociologue, chercheur à l’Ires.
Pierre Volovitch, économiste, chercheur à l’Ires. -
[1]
Une large palette de formes juridiques est offerte pour ces opérations : Syndicat inter-hospitalier (SIH), Groupe de coopération sanitaire (GCS), Fédération médicale inter-hospitalière (FMIH), cliniques ouvertes, GIE…
-
[2]
Ministère de la Santé, de la Famille et des Personnes handicapées.
-
[3]
DHOS, « Note sur les restructurations hospitalières », juin 1998, ministère de l’Emploi et de la Solidarité, secrétariat d’État à la Santé et à l’Action sociale.
-
[4]
DHOS, circulaire DH/AF n° 134, 3 mars 1999, ministère de l’Emploi et de la Solidarité, secrétariat d’État à la Santé et à l’Action sociale.
-
[5]
L’unique document de la DHOS, présentant une recension des recompositions par région, est établi à partir du signalement par les directeurs d’ARH (Agence régionale de l’hospitalisation) des opérations qu’ils jugent significatives (DHOS, « Cartes régionales sur la recomposition hospitalière de l’offre de soins », 1999, ministère de l’Emploi et de la Solidarité, secrétariat d’État à la Santé et à l’Action sociale, mises à jour disponibles sur l’intranet du ministère).
-
[6]
Le rapport final de recherche pour la Drees-MiRe, Les syndicats face aux restructurations hospitalières : entre défense et gestion du système de santé, (juillet 2002), présente également deux expériences étrangères de mutation du système hospitalier : celle de la Belgique, étudiée par Marianne De Troyer et Estelle Krzeslo (ULB, Bruxelles), et celle de l’Italie, étudiée par Jean-Olivier Mallet (UPS, Toulouse III).
-
[7]
Dans ce cas, mais plus généralement dans l’article, le terme de négociation ne doit pas être pris dans son acception juridique mais sociologique où les règles « pour les parties prenantes, […] correspondent à un compromis qui met en forme une obligation réciproque. Qu’il soit implicite ou explicite, ce compromis est un échange entre des intérêts, une capacité et une obligation mutuelle contractée » (Friedberg, 1993).
-
[8]
Cette progression des effectifs doit être relativisée par la forte progression des emplois à temps partiel qui augmentent plus rapidement que l’emploi total. La progression des temps partiels est différente suivant les catégories. Elle est ainsi spécialement forte chez les sages-femmes, les infirmières et les aides-soignantes.
-
[9]
Le statut de la fonction publique hospitalière n’interdit pas de licencier les fonctionnaires. Les textes prévoient même, qu’en cas de perte de l’emploi, trois postes doivent être proposés aux titulaires avant de les licencier.
-
[10]
La fonction de représentation est en général exercée par le président de la caisse qui peut être un administrateur patronal.
-
[11]
Ainsi, les décisions relatives aux rémunérations des personnels prises par les pouvoirs publics ont une répercussion immédiate sur les dépenses hospitalières sans que les caisses d’assurance maladie soient le moins du monde consultées.
-
[12]
Données permettant d’apprécier la productivité économique globale d’un établissement ou d’un groupe d’établissements (chaque séjour hospitalier est coté en un certain nombre de points dits ISA). La valeur du point ISA d’un établissement est obtenue en divisant le budget de l’établissement par le nombre de points ISA, (ndlr).
-
[13]
Aux élections de CAP, trois organisations syndicales obtiennent plus de 85 % des voix, dans l’ordre de classement : CGT (34 %), CFDT (29 %) et FO (24 %). Leur implantation est relativement stable d’un scrutin à l’autre même si les dernières élections de 1999 font apparaître une légère progression en suffrages de la CFDT et une stagnation des deux autres. Ce sont aussi les seules organisations à même de présenter des listes dans la quasi-totalité des départements.
-
[14]
Du fait de l’autonomie des établissements hospitaliers, les personnels sont recrutés directement par un hôpital et on trouve entre établissements des différences notables en matière de primes, de congés payés, d’astreintes, de promotions… et cela malgré l’existence depuis 1986 d’un statut de la fonction publique hospitalière.
-
[15]
La situation de la CFDT est particulière. Depuis 1996, elle participe à la majorité de gestion de la CNAM et en préside le conseil d’administration. Autour d’un socle commun, cette prise de responsabilité conduit la confédération à des formulations qui ne sont pas exactement les mêmes que celles de la fédération. Ainsi, quand la CNAM a adopté un « plan stratégique » qui prévoyait plus de 30 milliards d’économies sur les dépenses de l’hôpital public, la Fédération Santé CFDT a fait connaître publiquement ces divergences d’appréciation.
-
[16]
Pour les syndicalistes, la distinction ne se fait pas entre public et privé mais entre public et établissements privés PSPH, d’une part, et établissements privés à but lucratif, d’autre part.
-
[17]
Voir dans ce même numéro l’article de Marie Raveyre et Pascal Ughetto : « Le travail, part oubliée des restructurations hospitalières ».