1Ce dossier de la Revue française des Affaires sociales est issu d’un colloque organisé autour de l’enquête « Handicaps, incapacités, dépendance » (HID) de l’Insee, première enquête nationale concernant le handicap et la dépendance. Ce colloque, organisé par la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) en partenariat avec l’Insee et l’Inserm en octobre 2002, visait à restituer les premiers résultats issus des diverses exploitations de cette enquête. Fruit d’un travail collectif et moment de rapprochement entre milieux de la recherche et monde de l’action sociale, il s’adressait à un large public d’acteurs du domaine : militants associatifs, professionnels du champ médico-social, agents de l’administration, etc. La publication de ces résultats dans la revue a une double justification : c’est l’occasion de donner une visibilité d’ensemble à des connaissances produites à partir d’une même enquête, mais restées dispersées jusque-là ; c’est aussi l’occasion d’élargir leur diffusion auprès d’un lectorat important et particulièrement concerné par les questions sociales [1].
2Le mandat confié aux intervenants du colloque était de présenter, sur un thème prédéfini, une synthèse des divers résultats produits à partir de la base de données HID. Les présentations s’appuyaient donc sur tous les travaux repérés comme abordant la thématique à traiter, c’est-à-dire sur un matériau foncièrement hétérogène et parfois rare. Parce qu’elles reprennent les présentations orales du colloque, les contributions qui constituent ce dossier n’ont pas, pour la plupart d’entre elles, les caractéristiques des articles que la revue publie habituellement : les auteurs n’y exposent pas les résultats d’un travail qu’ils ont eux-mêmes conduit. Il faut d’ailleurs adresser ici un remerciement appuyé aux chercheurs pour avoir accepté de se plier à cet exercice, inhabituel pour eux, de présenter des résultats produits par d’autres. Mais cette information sur la particularité de ces contributions en fournit en outre une grille de lecture : ces synthèses ne peuvent, par définition, entrer dans le détail de chacun des divers travaux pris en compte. Au lecteur donc de s’y reporter, s’il le souhaite, grâce à la bibliographie qui figure à la fin de chacun des articles de synthèse qui composent ce dossier.
3Le sommaire de ce dossier reprend l’architecture du colloque, pour laquelle deux approches étaient possibles : la première consistait à présenter, conformément à la conception de l’enquête, une vision d’ensemble des problèmes liés aux incapacités et aux pertes d’autonomie quel que soit l’âge des populations concernées ; la seconde consistait à distinguer personnes handicapées et personnes âgées dépendantes dans la présentation des résultats, dans la mesure où s’expriment en leur faveur des demandes spécifiques qui font l’objet de politiques distinctes. L’organisation du colloque a tenté de concilier ces deux approches, relativement contradictoires, en proposant deux sessions transversales mais aussi deux sessions spécifiques, l’une dédiée aux personnes âgées dépendantes et l’autre aux adultes et enfants handicapés.
4Les trois premiers articles qu’on trouvera dans ce numéro correspondent à la session inaugurale, consacrée aux principaux éléments de cadrage statistique. Le dossier débute par une présentation générale de l’enquête « Handicaps, incapacités, dépendance » par Pierre Mormiche, responsable de l’enquête à l’Insee. Il en précise les différents objectifs – à savoir fournir des données de cadrage sur le handicap –, rappelle les différentes dimensions du handicap (les déficiences, les incapacités, les désavantages) ; il décrit le dispositif de recueil d’information – qui comprend deux passages à deux ans d’intervalle –, sans oublier de souligner les limites inhérentes à ce type d’enquête. L’article d’Isabelle Ville, Jean-François Ravaud et Alain Letourmy démontre la réalité multiforme que prend le handicap en fonction des différents critères que l’on retient pour l’appréhender (indicateurs d’incapacités, indicateurs de restriction d’activités ou encore invalidité administrativement reconnue) ; et elle propose une typologie des différentes « populations handicapées » qu’elle a ainsi repérées. Les résultats rapportés par Pierre Ralle illustrent ce que l’on peut attendre de l’enquête HID en termes de prévalence des différents types de déficience (visuelle, auditive, motrice, etc.), en même temps qu’ils mettent en lumière la précision relative de ces mesures. Si ces contributions permettent de mieux cerner qui sont les personnes handicapées, elles rendent aussi compte de la complexité sous-jacente à la notion de handicap et du peu de pertinence qu’aurait toute tentative de fournir une mesure « unique » du nombre de personnes handicapées.
5Les trois articles suivants sont consacrés aux personnes âgées. La notion même de « personnes âgées » est interrogée par le travail de Christel Colin, qui confronte plusieurs indicateurs de dépendance et propose différents scénarios de projection pour estimer les évolutions possibles du poids de la dépendance aux âges élevés. Marie-Eve Joël s’est intéressée aux conditions de vie des personnes âgées vivant à domicile, très majoritaires, alors que Sandrine Dufour-Kippelen et Annie Mesrine se sont penchées, quant à elles, sur celles hébergées en institution. La mise en regard de leurs descriptions respectives – à domicile et en institution – des incapacités, des relations familiales et sociales ainsi que de l’environnement physique des personnes, suggère certains facteurs, tels que par exemple l’isolement social, qui pourraient être liés au processus d’institutionnalisation.
6Ce sont les enfants et les adultes handicapés qui sont concernés par les quatre contributions suivantes. L’enquête HID a permis à Michel Amar et Selma Amira d’aborder la question de l’accès à l’emploi des personnes handicapées de façon originale, car indépendamment des procédures administratives de reconnaissance du handicap. Grâce à des indicateurs d’incapacité reflétant une plus ou moins grande proximité vis-à-vis de l’emploi, ils montrent que la population déclarant des incapacités fortes est beaucoup plus large que celle des travailleurs handicapés s’inscrivant dans la loi de juillet 1987 et que ces incapacités pénalisent l’accès au marché du travail. L’article de Annie Triomphe traite des modalités de prise en charge, avec une attention particulière portée aux aides octroyées par les proches : isolement relationnel et catégorie sociale peu élevée apparaissent comme des facteurs favorisant une entrée en institution. François Chapireau, qui s’est intéressé aux personnes recevant des soins en santé mentale (tant en établissements spécialisés qu’en ambulatoire), aborde un domaine peu exploré et est en outre le seul à avoir exploité les deux passages de l’enquête. La description détaillée qu’il fournit sur les caractéristiques de cette population spécifique devrait contribuer à en améliorer la prise en charge. Le domaine abordé par Pascale Roussel et Jésus Sanchez est beaucoup plus vaste puisqu’il s’agit des différents aspects de la vie dans la cité. Les auteurs, bien qu’ils soulignent le caractère encore lacunaire des résultats présentés, apportent des éclairages sur les conditions de logement, les difficultés rencontrées lors des transports, les loisirs et la pratique sportive, etc.
La dernière séance revenait sur quelques questions plus transversales. Jean-François Ravaud et Isabelle Ville se sont intéressés aux écarts que l’on observe entre sexes masculin et féminin. Ils observent d’importantes disparités, qui de plus ont des logiques différentes, aux trois niveaux qu’ils ont explorés : celui de la distribution des déficiences et des incapacités ; celui de la participation sociale ; enfin, celui de la reconnaissance du handicap et de ses modes de prise en charge. La manière dont l’âge est traité pour construire des catégories statistiques est abordée par Alain Colvez et Dominique Villebrun, qui s’appuient sur différentes enquêtes pour souligner en quoi l’enquête HID permet d’interroger les seuils d’âge sur lesquels reposent les dispositifs administratifs de prise en charge. L’article de Pierre Mormiche et Vincent Boissonnat traite la question du handicap à travers celle des inégalités sociales : ils montrent comment celles-ci se retrouvent tant au niveau des déficiences et des incapacités, que des modes de prise en charge et de la participation sociale. Enfin, en mettant en rapport environnement, vie sociale et citoyenneté, Alain Letourmy développe une approche transversale à partir de laquelle il interroge les fondements des politiques du handicap et ébauche quelques perspectives de recherche. Ce dossier se termine par une courte synthèse des questions débattues lors du colloque dont Vincent Boissonnat s’attache à tirer quelques enseignements en termes de poursuite des recherches à partir de cette riche base de données.
Ce colloque visait à dresser un bilan provisoire des connaissances issues de l’enquête HID, et non pas à clore les travaux auxquels elle a donné lieu. Il est donc facile d’identifier des lacunes dans cet état des lieux. Mais ces premiers résultats fournissent d’ores et déjà un ensemble d’informations qui n’existait pas jusque-là, ce qui constitue un progrès considérable. Leur regroupement dans ce dossier est ainsi l’occasion d’élargir leur audience, et de relancer les réflexions sur les politiques vis-à-vis des personnes handicapées dans notre société.
Notes
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[*]
Médecin épidémiologiste et sociologue, chargé de mission à la MiRe-DREES.
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[1]
Les lecteurs de la Revue française des Affaires sociales ont été avertis de la mise en œuvre de l’enquête HID dans un précédent dossier consacré à « L’intégration des personnes handicapées. Quelques éléments de bilan » (numéro 1 de mars 1998).