Les travailleurs handicapés, quelle définition ?
1L’observateur, chercheur ou acteur de l’insertion professionnelle, quand il s’intéresse à l’accès à l’emploi des handicapés, se concentre le plus souvent sur une population bien précise, relativement restreinte, celle des personnes handicapées au sens de la loi de juillet 1987, c’est-à-dire des personnes qui, pour trouver un emploi ou le conserver, s’inscrivent dans le cadre de cette loi en demandant et obtenant, auprès d’une Commission technique d’orientation et de reclassement professionnel (COTOREP) ou par d’autres voies, la reconnaissance administrative de leur handicap. La polarisation sur cette population s’explique par deux types de raisons :
- d’une part, on cherche souvent à évaluer l’impact de la loi de juillet 1987 et de tous les dispositifs qui en découlent ;
- d’autre part, les principales sources statistiques disponibles sont d’origine administrative et visent donc justement cette population.
2Il y a une population plus large, rarement observée et donc mal connue, celle de toutes les personnes en âge de travailler qui pour accéder à l’emploi sont plus ou moins handicapées par un problème de santé – une déficience physique ou mentale – induisant des incapacités. Au sein de cette population, selon la gravité du problème de santé et des incapacités induites, selon le niveau de qualification et en fonction de l’état du marché du travail, une personne peut rechercher, ou pas, une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé. Prendre en compte simultanément ces deux niveaux, permet de mieux comprendre le fonctionnement du marché du travail des personnes handicapées par des problèmes de santé. L’enquête « Handicaps, incapacités, dépendance » (HID) qui couvre toute la population en âge de travailler, handicapée ou pas, avec ou sans reconnaissance administrative de ce handicap, permet, d’une part, d’avoir une vision globale des travailleurs handicapés au sens de la loi de 1987 et, d’autre part, pour la première fois de resituer cette population dans un ensemble plus large, celui des personnes ayant des déficiences ou des incapacités qu’elles aient ou pas obtenu une reconnaissance administrative de leur handicap. On a ainsi une vision plus globale du problème, on peut notamment mieux comprendre comment se caractérise, se construit et s’alimente la catégorie des personnes handicapées qui s’inscrivent dans le cadre de la loi de juillet 1987.
La population des personnes s’inscrivant dans la loi de juillet 1987
3La population des travailleurs handicapés au sens de la loi de juillet 1987 regroupe toutes les personnes dont le handicap a été reconnu administrativement et relevant des quatre catégories suivantes : celles qui ont obtenu une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH) auprès d’une COTOREP, les accidentés du travail avec un taux d’incapacité permanente de plus de 10 %, les invalides pensionnés et les mutilés de guerre et assimilés. Cette population est relativement bien connue statistiquement quand il s’agit des salariés des entreprises privées de plus de vingt salariés ou des demandeurs d’emploi prioritaires, grâce aux données de la DARES et à celles de l’ANPE. Mais il subsiste des lacunes statistiques importantes pour les salariés des petites entreprises, ceux du milieu protégé et ceux de la fonction publique. Le premier apport de l’enquête HID est de pouvoir combler ces manques et de dresser le tableau de l’ensemble de cette population. Grâce à cette enquête, on peut maintenant comparer les caractéristiques socio-économiques de cette population, des sous-populations [1] qui la composent avec celles de l’ensemble des salariés.
4Sur les 31 millions de personnes âgées de 20 à 59 ans, on dénombre 1,4 million de personnes qui ont « la qualité de travailleur handicapé » et, parmi les 25,5 millions d’actifs, 701 000 relèvent de cette catégorie, soit un peu moins de 2,8 % [2] du total des actifs (cf. tableau 1).
La population des personnes en âge de travailler (20 à 59 ans) selon leur situation vis-à-vis de l’emploi et selon qu’elles aient ou pas la qualité de travailleur handicapé (au sens de la loi de juillet 1987) (en milliers)

La population des personnes en âge de travailler (20 à 59 ans) selon leur situation vis-à-vis de l’emploi et selon qu’elles aient ou pas la qualité de travailleur handicapé (au sens de la loi de juillet 1987) (en milliers)
5Sur ces actifs, seulement 547 000 d’entre eux sont occupés. Le taux d’emploi de cette population n’est donc que de 39,1 % contre 73,5 % pour l’ensemble des personnes âgées de 20 à 59 ans, et son taux de chômage s’élève à 24 % contre seulement 10,6 % [3] pour l’ensemble des actifs et 18 % pour les moins qualifiés d’entre eux. On constate ici qu’une majorité de travailleurs handicapés s’est retirée du marché du travail et qu’ensuite, pour ceux qui s’y sont maintenus, il reste un risque fort d’exposition au chômage malgré le dispositif législatif. Ceci est aussi attesté par les données de l’ANPE. Alors que, dès 1997, le nombre total de chômeurs a décru, alors que ce mouvement s’est étendu ensuite aux moins qualifiés d’entre eux, les chômeurs dits « prioritaires », c’est-à-dire les demandeurs d’emploi ayant obtenu une reconnaissance de handicap, n’ont bénéficié d’aucune amélioration de leur situation sur la période 1997-2001. Et depuis un an, leur nombre recommence à croître parallèlement à celui de l’ensemble des demandeurs d’emploi.
6Décrire les caractéristiques sociodémographiques de cette population des travailleurs ayant une reconnaissance administrative de leur handicap, permet de mieux comprendre cette situation. Elle se différencie de la population active totale par sa très faible qualification, une proportion élevée d’ouvriers et un âge élevé, soit un ensemble de facteurs qui, ajoutés au handicap, expliquent leur fragilité sur le marché du travail. Il s’agit par ailleurs d’une population très majoritairement masculine [4].
7La faible qualification de cette population s’explique par plusieurs facteurs : prévalence plus forte des incapacités chez les moins qualifiés aggravée par l’état du marché du travail des moins qualifiés qui incite plus les actifs handicapés peu qualifiés à s’inscrire dans le cadre de la loi de 1987.
8L’importance du nombre d’ouvriers résulte pour une part de l’exposition élevée de cette catégorie de salariés au risque d’accident du travail.
La vieillesse relative de cette population s’explique par le poids de l’âge sur la santé, poids aggravé dans certains cas par la longueur d’une carrière professionnelle caractérisée par l’exposition à des conditions de travail difficiles.
Une population relativement hétérogène
9Cette population n’est pas homogène, selon qu’elle est en emploi ou au chômage, salariée de la fonction publique ou du secteur privé (graphiques 1, 2 et 3 et tableau 2).
Répartition des diverses sous-populations de travailleurs handicapés au sens de la loi 1987 selon le nombre d’incapacités fortes [5]

Répartition des diverses sous-populations de travailleurs handicapés au sens de la loi 1987 selon le nombre d’incapacités fortes [5]
Répartition des diverses sous-populations de travailleurs handicapés au sens de la loi de 1987 selon le niveau de qualification

Répartition des diverses sous-populations de travailleurs handicapés au sens de la loi de 1987 selon le niveau de qualification
Répartition des diverses sous-populations de travailleurs handicapés au sens de la loi de 1987 selon l’âge

Répartition des diverses sous-populations de travailleurs handicapés au sens de la loi de 1987 selon l’âge
Les caractéristiques (incapacités, âges, genre, etc.) des travailleurs handicapés (au sens de la loi de 1987) par sous-populations

Les caractéristiques (incapacités, âges, genre, etc.) des travailleurs handicapés (au sens de la loi de 1987) par sous-populations
10Dans la fonction publique, le partage par genre est équilibré (alors que la fonction publique, dans son ensemble est aux deux tiers féminine), et le niveau de formation des fonctionnaires handicapés est plus élevé que celui des autres handicapés (40 % ont au moins le bac). Par contre, en termes d’âge, cette population ne se distingue pas des autres.
11L’accès à l’emploi public se faisant hors du marché du travail stricto sensu et pour une grande part via des concours administratifs, il est logique de constater que les travailleurs handicapés de la fonction publique se différencient ainsi en termes de qualification et de niveau de formation.
12Une autre population se situe hors marché du travail, c’est celle du milieu protégé, elle est masculine, beaucoup plus jeune que les autres et surtout très peu diplômée et qualifiée. Elle se caractérise aussi par un nombre particulièrement élevé d’incapacités. Est orientée ainsi vers le milieu protégé, une population très fragile et encore relativement jeune.
Les chômeurs handicapés qui aspirent à un emploi en milieu ordinaire se distinguent des salariés handicapés du milieu ordinaire par un niveau moyen de formation nettement plus faible et un nombre d’incapacités fortes plus élevé. Ceci illustre comment faible qualification et fortes incapacités se combinent pour fragiliser ces demandeurs d’emploi. Par ailleurs, la proportion de femmes y est plus élevée.
Enfin les inactifs ayant la qualité de « travailleurs handicapés » se caractérisent par leur âge élevé (la moitié a entre 50 et 59 ans) et un nombre d’incapacités fortes supérieur à celui des chômeurs. Cette population se partage à parité entre les deux sexes. On peut penser qu’il s’agit pour une part de personnes exclues précocement de l’emploi du fait de l’âge et d’incapacités fortes.
Cette première analyse descriptive permet d’illustrer comment incapacités, âges et niveau de qualification se combinent pour peser sur la position d’une personne handicapée : dans l’inactivité, le chômage, l’emploi dans le milieu ordinaire ou le milieu protégé. Les personnes les plus affectées par des incapacités, les plus âgées et les femmes sont plus précocement exclues du marché du travail. Parmi les actifs, les moins qualifiés et les femmes se retrouvent plus souvent au chômage. Elle montre aussi comment des modes différents de gestion de la main-d’œuvre et des cadres réglementaires distincts pèsent sur les caractéristiques des handicapés du secteur privé et ceux de la fonction publique et rendent difficile toute comparaison de la part des travailleurs handicapés dans l’emploi total de chacun de ces deux grands secteurs.
Encadré 1
On a donc théoriquement toute l’information disponible pour identifier parfaitement notre population. Or, en utilisant ces seules variables, on arrive à une sous-estimation sensible des sous-populations connues par ailleurs (notamment celles des chômeurs et des salariés du milieu ordinaire). Cette sous-estimation est due à la sous-déclaration, bien connue des statisticiens, dans toutes les questions portant, dans des enquêtes, sur des situations administratives. On a corrigé ce phénomène en utilisant une question de l’enquête « Vie quotidienne et santé » (VQS) réalisée en amont de l’enquête HID portant sur l’existence d’une demande de reconnaissance administrative de handicap. Malgré tout, cette sous-déclaration fragilise les estimations chiffrées présentées ici.
Les incapacités
13Un autre apport de l’enquête HID est de pouvoir cerner une population plus large que celle qui s’inscrit dans le cadre de la loi de 1987, l’ensemble des personnes qui déclarent des problèmes de santé, des déficiences physiques ou mentales. Pour apprécier l’impact de ces problèmes sur l’accès à l’emploi, on peut analyser directement comment le type de déficience se conjugue avec d’autres variables sociodémographiques dont la situation par rapport à l’emploi. On montre ainsi (D. Velche) que tels types de déficience (les déficiences sensorielles, visuelles ou auditives) sont moins pénalisants en termes d’accès à l’emploi que d’autres (les déficiences mentales ou motrices).
14Mais un problème de santé, une déficience physique ou mentale n’obère pas automatiquement les capacités d’une personne à mener à bien tous les actes de la vie sociale. C’est pourquoi il est pertinent d’aborder les problèmes du handicap dans le monde du travail à partir du concept d’incapacités. Introduire cette notion d’incapacité vise, autant que faire se peut, à objectiver, à caractériser l’impact des problèmes de santé des personnes concernées sur leur autonomie dans un certain nombre de domaines (se déplacer, faire des efforts physiques, faire certains gestes, avoir toutes ses capacités, notamment sensorielles, pour communiquer, comprendre, déchiffrer des documents, etc.).
Encadré 2 : L’employabilité
15Pour ce faire, les experts du handicap ont construit depuis longtemps des indicateurs et des échelles d’incapacités. Nous ne les avons pas utilisés ici car l’échelle de gravité proposée et les types d’incapacités pris en compte nous semblaient peu adaptés à la problématique de l’accès au travail et de « l’employabilité » de la personne (encadré 2). Nous avons donc cherché à construire des indicateurs d’incapacité adaptés à notre problématique. Travailler implique de se déplacer, réaliser des efforts physiques (porter des charges lourdes, faire rapidement et de manière répétée certains gestes), manifester des compétences intellectuelles, comportementales ou relationnelles. Aussi, à partir du questionnement original de HID, on a construit ici, à titre exploratoire, six indicateurs correspondants à six types d’incapacités, indicateurs d’incapacité qui peuvent prendre les modalités, nulle, faible ou lourde.
16Certains types d’incapacités ont trait aux exigences « physiques » d’un emploi standard, les incapacités d’effort physique, les incapacités de déplacement, les incapacités gestuelles, d’autres touchent aux exigences intellectuelles, relationnelles ou comportementales, incapacités de communication, incapacités de compréhension, incapacités comportementales (encadré 3).
17On a complété cette batterie d’indicateurs avec un indicateur de cumul d’incapacités de différents types (un individu pouvant avoir une incapacité faible, deux lourdes, etc.).
In fine, on vérifie que les indicateurs d’incapacités ainsi élaborés sont bien liés aux déficiences et aux problèmes de santé. 95 % des personnes déclarant au moins une telle incapacité forte souffrent d’au moins une déficience ou problème de santé. La réciproque n’est pas vraie puisque 80 % des personnes ayant une seule déficience ne déclarent aucune incapacité forte, ce ratio tombant à 48 % pour celles qui ont plus d’une déficience [7].
L’indicateur d’existence d’incapacité de communication est construit à partir des réponses aux questions suivantes :
– Vous servez-vous seul du téléphone ?
– En dehors de problèmes liés à la surdité, communiquez-vous avec votre entourage sans l’aide de quelqu’un ?
– Voyez-vous bien de près avec vos lunettes si vous en avez ?
– Reconnaissez-vous le visage d’une personne à 4 mètres ?
– Êtes-vous malvoyant, partiellement aveugle, totalement aveugle ?
– Entendez-vous ce qui se dit dans une conversation (éventuellement avec l’aide d’un appareil) ?
– Avez-vous des difficultés à parler ?
L’indicateur d’existence d’incapacité de compréhension est construit à partir des réponses aux questions suivantes :
– Actuellement, remplissez-vous sans aide les formulaires simples ?
– Prenez-vous sans aide les médicaments prescrits par votre médecin ?
– Savez-vous lire, écrire, compter ?
L’indicateur d’existence d’incapacité d’effort physique est construit à partir des réponses aux questions suivantes :
– Pouvez-vous porter un objet de 5 kg sur une distance de 10 m ?
– Actuellement, faites-vous sans aide les tâches ménagères courantes dans votre domicile ?
– Vous coupez-vous les ongles des orteils sans l’aide de quelqu’un ?
L’indicateur d’existence d’incapacité de déplacement est construit à partir des réponses aux questions suivantes :
– Habituellement, êtes-vous obligé de rester en permanence au lit, dans la chambre ?
– Vous asseyez-vous et vous levez-vous sans aide ?
– Vous déplacez-vous sans aide dans toutes les pièces de l’étage ?
– Pouvez-vous monter ou descendre un étage sans l’aide d’une autre personne ?
– Utilisez-vous l’ascenseur sans l’aide d’une autre personne ?
– Sortez-vous de votre domicile sans aide ?
– Est-ce vous qui faites tous vos achats ?
– Vous débrouillez-vous seul pour vous déplacer en taxi ou en transport en commun ?
– Avez-vous des difficultés à trouver votre chemin quand vous sortez ?
L’indicateur d’existence d’incapacité gestuelle est construit à partir des réponses aux questions suivantes :
– Faites-vous votre toilette sans l’aide de quelqu’un ?
– Vous servez-vous à boire sans aide ?
– Une fois la nourriture prête, mangez-vous et buvez-vous sans aide ?
– Allez-vous aux toilettes sans l’aide de quelqu’un ?
– Vous habillez-vous et déshabillez-vous entièrement sans aide ?
– Coupez-vous votre nourriture sans aide ?
– Vous couchez-vous et vous levez-vous du lit sans aide ?
– Vous servez-vous de vos doigts sans difficulté ?
– Debout, pouvez-vous vous pencher et ramasser un objet sur le plancher ?
– Actuellement, préparez-vous vos repas sans aide ?
L’indicateur d’existence d’incapacité comportementale est construit à partir des réponses aux questions suivantes :
– Vous arrive-t-il par votre comportement, de vous mettre en danger ?
– Vous reproche-t-on parfois d’être trop agressif ?
– Arrive-t-il qu’on critique votre comportement pour d’autres raisons (que l’agressivité ou l’impulsivité) ?
– Vous arrive-t-il de ne plus vous souvenir à quel moment de la journée on est ?
– Avez-vous consulté, au cours des 3 derniers mois, pour des troubles psychiques ou mentaux, si oui bénéficiez-vous d’un suivi régulier dans ce domaine ?
Les modalités de réponses à ces questions déterminent l’intensité de l’incapacité (nulle, faible ou lourde).
2 – Construction d’un indicateur synthétique du nombre d’incapacités
On a ensuite construit un indicateur synthétique du nombre d’incapacités qui prend les modalités suivantes :
- aucune incapacité ;
- une seule incapacité faible ;
- plusieurs incapacités faibles ;
- une seule incapacité forte ;
- deux incapacités, une forte et une faible ;
- au moins deux incapacités fortes.
La population des personnes déclarant des incapacités fortes
18La population des personnes déclarant des incapacités est beaucoup plus large que celles des travailleurs handicapés s’inscrivant dans la loi de 1987. Sur les 31 millions de personnes en âge de travailler (de 20 à 59 ans), 13,9 millions, soit 45 % du total, déclarent au moins une incapacité, forte ou faible. En se limitant aux seules incapacités fortes, les plus pénalisantes en termes d’accès à l’emploi, on trouve encore 3,4 millions d’individus, soit 11 % de la population concernée et beaucoup plus que celle qui bénéficie d’une reconnaissance administrative de la qualité de travailleur handicapé [8] (tableau 3).
Répartition de la population des 20-59 ans selon le nombre d’incapacités

Répartition de la population des 20-59 ans selon le nombre d’incapacités
19Comme l’avaient montré les premiers travaux menés à partir de l’enquête HID, deux facteurs pèsent fortement sur la prévalence de ces incapacités, l’âge et la catégorie socioprofessionnelle (tableaux 4 et 5).
Prévalence d’incapacités lourdes selon la catégorie socioprofessionnelle

Prévalence d’incapacités lourdes selon la catégorie socioprofessionnelle
Prévalence d’incapacités lourdes selon l’âge

Prévalence d’incapacités lourdes selon l’âge
20Si on prend comme indicateur synthétique de prévalence d’incapacités l’existence d’au moins une incapacité forte, cette prévalence est de 6 % pour les moins de 40 ans, passe à 15 % pour les 40-54 ans pour atteindre environ 22 % pour les 55-59 ans.
21Cet impact de l’âge sur l’existence d’incapacités est particulièrement élevé cour ce qui concerne les efforts physiques, les déplacements et la gestuelle. À l’opposé cet impact est nettement atténué pour les incapacités comportementales.
22La prévalence d’incapacités est aussi fortement liée à la catégorie socioprofessionnelle. Chez les cadres et les professions intermédiaires, l’existence d’incapacités fortes est rare (7 % de cette population). À l’opposé, chez les ouvriers, elle est nettement plus fréquente (14 % pour les ouvriers qualifiés et 20 % pour les non qualifiés).
23Par contre la répartition par genre est moins contrastée (avec une prévalence de 10 % chez les hommes contre 11,7 % pour les femmes).
Nombre et gravité des incapacités pesant sur l’accès à l’emploi
24C’est l’existence d’une incapacité lourde aggravée éventuellement par une autre incapacité faible qui réduit 1’employabilité, fait chuter le taux d’emploi et monter le taux de chômage (cf. tableau 6). Le taux d’emploi passe, dans ce cas, d’environ 76 % à 66 %. Si la personne cumule plusieurs incapacités lourdes alors la probabilité d’être employée devient très faible (taux d’emploi de 29 %).
Taux de chômage et taux d’emploi selon le nombre et la gravité des incapacités

Taux de chômage et taux d’emploi selon le nombre et la gravité des incapacités
25L’accès à l’emploi varie avec la nature de l’incapacité. L’incapacité forte à faire des efforts physiques qui affecte 1,4 million de personnes, celle qui limite fortement les déplacements (1,2 million) et les incapacités fortes de compréhension (0,5 million) sont les plus pénalisantes en termes d’accès à l’emploi. Les populations des personnes déclarant des incapacités fortes de ce type ont des taux d’emploi variant entre 26 % et 32 %.
26À l’opposé, les incapacités comportementales et de communication semblent moins handicapantes avec des taux d’emploi d’environ 50 % [9].
27Il est aussi intéressant de voir, si la prévalence des incapacités varie selon le type d’employeur (fonction publique ou secteur privé). Si on se limite aux personnes déclarant plusieurs incapacités dont au moins une lourde, c’est-à-dire les situations les plus pénalisantes en termes d’accès à l’emploi, leur poids est de 5,5 % parmi les 5,4 millions de fonctionnaires et assimilés, il est légèrement plus faible dans le secteur privé (4,3 % pour les 13,1 millions de salariés du secteur privé). Cette situation doit résulter des structures de qualifications (niveau plus élevé dans la fonction publique) et des différences des modes de gestion de la main-d’œuvre.
Incapacités, reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé et accès à l’emploi
28Le dispositif législatif et administratif vise à identifier, à orienter les travailleurs handicapés et à encourager leur insertion professionnelle. Il est donc logique d’analyser comment ce public se positionne parmi l’ensemble des personnes déclarant des incapacités. Fort logiquement, plus notre indicateur synthétique des incapacités est élevé, plus la proportion de personnes ayant la qualité de travailleur handicapé est élevée (cf. tableau 7). Parmi les personnes ne déclarant aucune incapacité, cette proportion est très faible (0,7 %), elle est de près de la moitié pour les personnes déclarant au moins deux incapacités graves. Ce ratio varie peu selon le type d’incapacités fortes, exception faite de l’incapacité comportementale où seulement 27 % des personnes déclarant ce type d’incapacité forte ont la qualité de travailleur handicapé.
Importance du nombre de personnes ayant une reconnaissance administrative de la qualité de travailleurs handicapés selon la gravité des incapacités

Importance du nombre de personnes ayant une reconnaissance administrative de la qualité de travailleurs handicapés selon la gravité des incapacités
29Ce ratio varie aussi peu avec l’âge mais par contre il dépend fortement du niveau de qualification [10] : seulement 19 % des cadres et professions intermédiaires déclarant au moins une incapacité forte ont demandé et obtenu la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, soit la moitié de la proportion observée pour les ouvriers non qualifiés. Plus son niveau de qualification est faible et la fragilise sur le marché du travail plus une personne ayant des incapacités fortes sera conduite pour accéder à l’emploi à s’inscrire dans le cadre des dispositifs publics d’aide à l’emploi des travailleurs handicapés.
30Enfin, on peut comparer l’accès à l’emploi des personnes déclarant des incapacités fortes selon qu’elles aient ou non la qualité de travailleur handicapé. Et là, quel que soit le critère retenu, le cumul d’incapacité, l’âge, le niveau de qualification, le sexe, le taux d’emploi des personnes ayant au moins une incapacité forte et la qualité de travailleur handicapé est toujours nettement plus faible que celui des personnes qui ont au moins une incapacité forte mais pas de reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé. Les personnes qui passent par le cadre de la loi de 1987 se caractérisent donc par une fragilité spécifique en termes d’accès à l’emploi.
On voit cette fragilité quand on compare l’évolution du chômage de cette population à celle du chômage total. Tout au long de la première moitié des années quatre-vingt-dix, la croissance du chômage des travailleurs handicapés a été beaucoup plus forte que celle de l’ensemble des actifs et même que celle des travailleurs les moins qualifiés. Et, sur la fin de la décennie, quand à partir du milieu de l’année 1997 le chômage global s’est réduit, cette population n’en a quasiment pas bénéficié.
Des pistes à poursuivre
31On a montré ici en quoi l’enquête HID était une source précieuse pour mieux appréhender l’accès à l’emploi des personnes handicapées que l’on se limite à ceux qui s’inscrivent dans les dispositifs d’aide où que l’on vise un public plus large. On a vu comment les incapacités se combinent à la qualification et à l’âge pour limiter cet accès et amener des personnes à s’inscrire dans ces dispositifs administratifs.
32Mais au-delà de l’accès à l’emploi, on peut vouloir poser la question de la qualité de cet emploi (stabilité, rémunération), celle de la nature de l’employeur (grande entreprise se situant dans le cadre de la loi de 1987, toute petite entreprise, secteur privé, tiers secteur, milieu protégé). Or, sur ces thèmes HID n’apporte que peu d’informations. On ne peut donc que se féliciter que sur l’initiative d’Eurostat, une enquête coordonnée au niveau européen ait été lancée en 2002 en complément à l’enquête emploi de l’Insee.
Notes
-
[*]
Michel Amar, chef du département métiers et qualifications et Selma Amira, chargée d’études à la DARES, Direction de l’animation et de la recherche, des études et des statistiques (DARES), ministère des Affaires sociales, du Travail et de la Solidarité.
-
[1]
Avec la réserve que dans HID, comme dans toute enquête, il est difficile reconstituer parfaitement une population à partir de critères administratifs. Dans ce type de source, il y a toujours une sous-déclaration aux questions touchant à l’appartenance à une catégorie administrative, sous-déclaration qu’on a ici prise en compte (cf. encadré 1).
-
[2]
Ce taux n’est en rien comparable aux 6 % affichés dans la loi de juillet 1987 car dans ce dernier cas il s’agit « d’unités bénéficiaires » un concept qui prend en compte la durée du contrat (CDI, CDD), la durée de travail (temps plein ou temps partiel) ainsi que d’autres paramètres (importance du handicap, année d’embauche, existence d’une formation, etc.). Un travailleur handicapé d’une entreprise assujettie « vaut », en moyenne, 1,38 unité bénéficiaire. De plus, l’assiette de l’obligation (c’est-à-dire le dénominateur du taux) ne prend pas en compte les emplois exigeant des aptitudes particulières, soit 6 % de l’emploi des entreprises assujetties.
-
[3]
Situation de décembre 1999.
-
[4]
Ce tableau tiré de HID, en termes d’âge, de genre et de qualification est totalement corroboré par les données de l’ANPE et de la DARES.
-
[5]
Voir encadré 3 pour la définition des indicateurs d’incapacité.
-
[6]
C’est ce qu’on a pu observer dans de nombreuses branches au cours de la période 1999-2000.
-
[7]
Le taux d’emploi des personnes déclarant une seule déficience ou problème de santé et aucune incapacité forte est très proche de celui des personnes ne souffrant d’aucune déficience (74 % contre 78 %). Par contre, ce taux chute de 20 points quand cette déficience s’ajoute à une incapacité forte.
-
[8]
Il n’y a pas inclusion stricte de la deuxième population dans la première car parmi les personnes ayant la qualité de travailleur handicapé, quelques-unes ne déclarent que des incapacités faibles.
-
[9]
Il s’agit de résultats bruts pouvant résulter d’autres facteurs qui pèsent sur l’accès à l’emploi de cette population, l’âge ou le niveau de qualification, l’existence d’autres incapacités.
-
[10]
On trouve des résultats du même ordre avec le niveau de formation.