Présentation d’ensemble de l’enquête « Handicaps, incapacités, dépendance »
1L’enquête « Handicaps, incapacités, dépendance » (HID) [1] s’intéresse aux conséquences des problèmes de santé sur l’intégrité physique, la vie quotidienne et la vie sociale des personnes. Il s’agit d’une approche sociale plus que médicale, touchant aux besoins d’assistance technique ou humaine, et aux aides effectivement dispensées. Bien qu’élargissant le point de vue traditionnel des enquêtes sur la santé et les soins médicaux de l’Insee, elle demeure dans le champ de la santé.
Objectifs généraux, place dans le système d’information sur le handicap
2Au moment de la décision du lancement de cette opération, l’information sur le handicap et la dépendance en France était dans une situation assez paradoxale comme l’avait montré le rapport du groupe de travail ad hoc du Conseil national de l’information statistique (CNIS, 1997).
3Bien que l’importance des enjeux financiers pour l’équilibre des comptes sociaux fût (et demeure aujourd’hui) considérable [2], que les acteurs capables de définir les besoins d’information et d’en financer la satisfaction, aient été nombreux et souvent puissants, force était de constater l’absence de toute évaluation globale fiable de la population concernée.
4Non que l’information fît défaut. Elle était au contraire multiple et diverse : enquêtes locales et statistiques sectorielles fournies ou financées par l’un ou l’autre des nombreux systèmes gérant l’aide ou la reconnaissance officielle du handicap. Mais autant de sources, autant de méthodes de collecte, de grilles d’évaluation, et autant de résultats partiels le plus souvent non comparables (et non sommables). Sans compter la liaison de la plupart d’entre elles avec l’un ou l’autre des éléments du système d’aide, qui entraînait qu’on élaborait une information sur la population repérée et aidée – rien ne garantissant qu’elle ne représente l’ensemble de la population et des besoins.
5D’où l’objectif central du projet confié à l’Insee (Mormiche, 1998) : fournir des données de cadrage, couvrant l’ensemble de la population [3]. Il ne s’agissait ni de remplacer les sources préexistantes, ni d’en égaler toutes les qualités, mais d’en combler le manque principal : une vision d’ensemble. L’État comme les collectivités locales avaient et ont besoin de données complètes afin de pouvoir évaluer le volume des besoins d’aides. Chacun des autres acteurs, en général spécialisés dans la prise en charge d’une sous-population particulière, attend tout à la fois des données pour son domaine propre et la possibilité de se situer vis-à-vis de l’ensemble.
Cette opération visait donc à mesurer le nombre des personnes handicapées ou dépendantes, évaluer les flux d’entrée et de sortie en incapacité, relever la nature, la quantité et l’origine des aides existantes ainsi que les besoins non satisfaits.
Organisation d’ensemble
6La conséquence pratique la plus évidente des objectifs assignés au projet HID était la nécessité d’enquêter auprès de la population des ménages c’est-à-dire des personnes vivant en domicile ordinaire et auprès de la population vivant en institutions.
7La chose était claire pour les institutions, dans la mesure où les plus importantes d’entre elles sont précisément des établissements sanitaires et sociaux, hébergeant des personnes handicapées ou des personnes âgées souffrant de limitations fonctionnelles.
8On citera en premier les établissements pour personnes âgées, les foyers pour handicapés adultes, les foyers pour enfants ou adolescents handicapés.
9On y a adjoint les établissements psychiatriques, bien qu’ils remplissent une fonction de soins plus que d’hébergement : d’abord parce que les malades en établissement psychiatrique sont souvent affectés par des déficiences ou incapacités, ensuite parce que les séjours y sont souvent de longue durée, si bien qu’on pourrait ne pas retrouver les malades en question dans la partie de l’enquête consacrée aux personnes vivant en domicile ordinaire.
10Il existait bien des enquêtes nationales représentatives ou même exhaustives auprès de ces diverses institutions. Mais elles étaient pour l’essentiel consacrées au fonctionnement des établissements, et les questionnements relatifs à leur clientèle, à ses caractéristiques et besoins étaient jusqu’à présent le plus souvent très limités et différents selon les types d’institutions.
11La nécessité d’une enquête auprès des personnes vivant en domicile ordinaire était peut-être encore plus pressante, d’abord parce que toutes les informations disponibles indiquaient que la grande majorité des personnes handicapées ou dépendantes vivent en domicile ordinaire, ensuite parce que l’information y provient de sources particulièrement dispersées, partielles et hétérogènes quant à leurs méthodes, enfin en raison du développement de la politique de maintien à domicile, qui renforce la prépondérance de ce secteur parmi la population visée.
12L’opération comporte, tant pour les pensionnaires d’institutions que pour les personnes vivant en domicile ordinaire, deux passages éloignés de deux ans. Ce dispositif permet l’analyse de l’évolution, positive ou négative, des situations individuelles dans l’échelle de sévérité des incapacités. On est là dans un domaine où l’information était particulièrement rare : qui pourrait par exemple évaluer avec quelque précision les flux de « rémission », c’est-à-dire de retour à une situation d’autonomie ou de non-incapacité ? Or on sait avec certitude qu’ils ne sont pas ou plus négligeables. Il suffit de prendre l’exemple de la cataracte, qui hier transformait les très nombreuses personnes atteintes en semi-aveugles confinés à leur domicile, et qui aujourd’hui s’opère de façon remarquable.
L’organisation de l’enquête comprend trois phases :
- une phase de « filtrage » des personnes en incapacité dans la population vivant à domicile (400 000 personnes interrogées à l’occasion du recensement de mars 1999, 359 000 réponses exploitables) [4] ;
- une phase de description approfondie de l’incapacité, de ses origines et de ses conséquences, des aides et des besoins (échantillons de 21 700 personnes en domicile ordinaire et 16 000 en institutions) ;
- un second passage, deux ans plus tard, destiné à mesurer certains flux et l’évolution des situations (auprès des individus interrogés dans la deuxième phase).
Les moyens consacrés à l’opération ont été considérables. Elle a mobilisé, d’une part, 800 agents recenseurs pour l’enquête « Vie quotidienne et santé » (VQS) et, d’autre part, à quatre reprises plus de 400 enquêteurs de l’Insee (phase HID). Elle a donné lieu à plus de 50 000 interviews de près de cinquante minutes en moyenne, relevant les réponses relatives au handicap, mais aussi les caractéristiques sociodémographiques des personnes. Cet élément de l’enquête est évidemment central pour l’analyse des disparités sociales (Cambois, 2001 ; Haus, Chastaing, Leclerc, 2001 ; Mormiche, 2002), mais aussi de genre (Ravaud, 2002). On comprendra aisément que, pour des raisons de coût et de disponibilité, il n’eut pas été envisageable de réaliser une telle opération avec un personnel médical spécialisé, formé aux classifications internationales de handicap et aux techniques d’évaluation de celui-ci.
Schéma général de l’enquête HID

Schéma général de l’enquête HID
14Par-delà les simples décomptes, l’indépendance de la source HID vis-à-vis de la reconnaissance sociale du handicap permet d’en interroger et confronter des points de vue et des approches distinctes. Par exemple : la déclaration de limitations fonctionnelles, celle de limitations d’activité, le recours à des aides humaines ou techniques et la revendication d’un handicap ; la comparaison des réponses selon qu’elles proviennent de personnes elles-mêmes concernées ou de tiers répondants ; le diagnostic des limitations ou besoins d’aides supporté par l’analyse des réponses versus la reconnaissance administrative ou sociale obtenue (Ravaud, Letourmy, Ville, 2002). L’enquête offre donc aux études un champ d’analyse quant à l’adéquation des réponses sociales aux demandes ou besoins des personnes.
15Une enquête spécifique a par ailleurs été organisée pour les pensionnaires d’établissements pénitentiaires.
Thèmes traités par les questionnaires
16Le développement des études et statistiques dans le domaine des handicaps est encore récent. Ainsi, alors que la Classification internationale des maladies (CIM), a vu le jour il y a un siècle et en est à sa dixième révision, ce n’est qu’en 1980 que le Britannique Philipp Wood a construit pour l’Organisation mondiale de la santé (OMS) une nomenclature des « déficiences, incapacités, désavantages » (en abrégé CIH : classification internationale des handicaps), adoptée officiellement en mai 1988 par le ministère français chargé des Affaires sociales.
17L’ONU a adopté officiellement au début 2001 une seconde version de la classification des handicaps, désormais baptisée « Classification internationale du fonctionnement » (CIF). L’enquête HID, conçue et développée de 1996 à 1998, a naturellement utilisé les concepts de la première classification. Les modalités concrètes d’utilisation de la nouvelle version, notamment dans les opérations statistiques, sont encore en cours de discussion au plan international. Ces discussions comprennent en particulier un travail permettant de vérifier la capacité des sources (administratives ou enquêtes ad hoc) antérieures à renseigner les tableaux et statistiques conformes aux nouveaux concepts.
18• Les déficiences sont les pertes ou les dysfonctionnements des diverses parties du corps. Elles résultent en général d’une maladie ou d’un traumatisme.
19• Les incapacités sont les difficultés ou impossibilités de réaliser des actes élémentaires (physiques comme se tenir debout, se lever, monter un escalier ; psychiques comme mémoriser…), ou plus complexes (s’habiller, se servir d’un téléphone, parler avec plusieurs personnes…). Elles résultent en général d’une ou plusieurs déficiences.
• Les désavantages désignent les difficultés ou impossibilités que rencontre une personne à remplir les rôles sociaux auxquels elle peut aspirer ou que la société attend d’elle : suivre les cours scolaires, accomplir un travail, communiquer avec ses semblables, remplir un rôle parental… Ils se situent à la croisée de l’environnement naturel ou social et des caractéristiques propres de l’individu.
Mode de traitement
20Le questionnement HID couvre les trois dimensions du handicap – déficience, incapacité et désavantage – dont les définitions viennent d’être présentées.
Les déficiences
21Leur relevé a été réalisé en trois étapes :
- un questionnement direct (« Rencontrez-vous dans la vie de tous les jours des difficultés, qu’elles soient physiques, sensorielles, intellectuelles ou mentales – dues aux conséquences d’un accident, d’une maladie chronique, d’un problème de naissance, d’une infirmité, du vieillissement… ») ouvrant un relevé en clair de la nature et de l’origine de ces éventuelles « difficultés », qui constituent le plus souvent des déficiences ;
- par la suite, dans le chapitre sur les incapacités, chaque incapacité relevée donne lieu à un questionnement sur ses causes ;
- enfin, les fichiers ont été ensuite repris par une équipe médicale constituée à cet effet, qui a contrôlé, recodé et complété la liste des déficiences.
Les incapacités
22Elles ont été délibérément placées au centre de la procédure d’enquête. C’est, en effet, la dimension du handicap la plus commodément accessible à un questionnaire par interview : la plupart des questions classiquement posées dans ce domaine font référence à des actes concrets et précis de la vie quotidienne, parfois à de simples gestes, et les réponses en paraissent mieux assurées. Pour la même raison sans doute, la plupart des instruments d’évaluation de la sévérité du handicap sont fondés sur une synthèse de questions relatives aux incapacités.
23Le principe de base adopté dès le début de la définition du projet HID a été d’éviter de s’engager dans la création d’une nouvelle grille d’évaluation des incapacités ou du handicap, supposée meilleure que toutes celles existantes. On a choisi… de ne pas choisir l’une plutôt que l’autre.
24D’où le double travail réalisé par le groupe de projet :
- déterminer les grilles à prendre en compte, en disséquer les divers items pour en établir le « plus petit commun multiple », de façon à permettre à chacun des principaux acteurs nationaux ou internationaux de comparer ses résultats avec ceux de HID ;
- réaliser un équivalent par questionnaire d’enquête de la procédure AGGIR, qui est actuellement l’outil servant à l’attribution de la prestation spécifique dépendance puis l’allocation personnalisée à l’autonomie.
Le désavantage
25Il pose un problème différent. Il relève en effet d’un point de vue comparatif : dans le domaine de l’emploi par exemple, il ne suffit pas d’établir que x % des hommes aveugles de 30 à 35 ans ne trouvent pas d’emploi pour avoir repéré ou mesuré un quelconque désavantage. Il est nécessaire de comparer ce taux à celui affectant la moyenne des hommes du même âge (tel qu’il ressort des enquêtes sur l’emploi).
26Il faut disposer pour cela d’une population de référence, suffisamment nombreuse pour que les résultats la concernant constituent une base de comparaison.
27Pour chacun des domaines abordés, logement, transports, scolarité, emploi, revenus, loisirs et contacts, le questionnement sur les désavantages inclut un noyau de questions – reproduites aussi fidèlement que possible – tiré de l’enquête spécialisée correspondante de l’Insee. Ainsi la population de référence est-elle constituée, pour chacun de ces domaines, par l’échantillon de l’enquête spécialisée concernée.
28Le questionnaire débute par un tableau de composition du ménage (TCM) et se poursuit par les onze modules ci-après :
- module A : déficiences et leurs origines ;
- module B : description des incapacités ;
- module C : environnement sociofamilial et recensement des aidants ;
- module D : aménagement et accessibilité du logement et aides techniques ;
- module L : logement ;
- module T : déplacements et transports ;
- module S : scolarité et diplômes ;
- module E : emploi, origine sociale ;
- module R : revenus, allocations, situation juridique, reconnaissances officielles ;
- module G : questionnement général sur les vacances, loisirs, culture… ;
- module W : interview de l’aidant principal.
Les particularités de l’organisation de l’enquête en domiciles ordinaires
30L’échantillon de l’enquête de fin 1999 en « ménage » a été tiré en deux temps et l’enquête menée en deux phases, suivant en cela les recommandations de l’ONU-Stat. La première étape ne sert qu’à compter les personnes concernées et à les sélectionner pour l’interrogation ultérieure : c’est l’étape dite de filtrage. La seconde sert à décrire les incapacités des personnes concernées, les origines ou les causes de ces incapacités et leurs conséquences handicapantes éventuelles dans les principaux domaines de l’activité sociale.
L’enquête de filtrage, dite « Vie quotidienne et santé » (VQS)
31Elle a été adjointe au recensement de la population de mars 1999, selon la technique classique des enquêtes sur « l’étude de l’histoire familiale ». Elle a concerné une population de plus de 400 000 personnes, dont 359 000 réponses exploitables (soit un taux d’échec – refus et bulletins inexploitables – de 14 %).
32Le tirage comporte huit extensions départementales ou régionales répondant aux demandes et aux financements de collectivités locales. L’échantillon national initialement prévu pour une taille de près de 300 000 personnes a ainsi légèrement dépassé les 400 000 au total.
L’enquête détaillée « Handicaps, incapacités, dépendance » (HID)
33Elle a été réalisée auprès d’un échantillon des répondants à VQS. Ceux-ci ont été classés en six groupes synthétisant leurs réponses. Puis on a réalisé un tirage à probabilités fortement inégales.
34Les personnes appartenant au groupe le plus certainement et sévèrement handicapé ont été tirées selon un taux de sondage élevé, celles appartenant au groupe n’ayant fourni aucune réponse pointant une gêne ou difficulté dans la vie quotidienne (les plus nombreuses dans l’ensemble de la population), ont eu au contraire un taux de sondage minimal.
35L’échantillon obtenu surreprésente fortement les personnes atteintes par un handicap, permettant ainsi d’en décrire les situations avec suffisamment de précision. Ensuite, les différents niveaux de handicap sont représentés, ce qui permettra de fournir des données indépendantes des divers seuils de reconnaissance administrative. Enfin l’appui sur une pré-enquête au sein de la population générale permet de fournir des résultats représentatifs de celle-ci.
L’enquête réalisée en France n’est naturellement pas sans rapport avec les travaux analogues mis en place par les instituts statistiques nationaux étrangers et les recommandations ou souhaits des organismes internationaux tels que l’ONU, l’OMS ou Eurostat. Les collègues étrangers travaillant sur ce domaine ont été tenus au courant et leurs conseils sollicités à maintes reprises dès le démarrage de la conception de l’enquête HID. Pour s’en tenir à la période la plus récente, un colloque international organisé par l’Inserm et l’Ined s’est tenu en décembre 2001 à Paris, sur le thème « Les enquêtes HID, choix méthodologiques et mise en perspective internationale ». Parmi les contributeurs, des représentants de l’Office national des statistiques (ONS) britannique, de Statistique Canada, du National Institute of Ageing américain et d’Eurostat. On pourra consulter le programme détaillé sur le site internet référencé en fin d’article.
Premier apport : des statistiques de cadrage
36Trois exemples emblématiques nous permettent de penser que le premier objectif de l’opération HID – « fournir des données de cadrage couvrant l’ensemble de la population » – a pu être atteint.
Les « personnes âgées dépendantes »
37Lors des études préparatoires à la mise sur pieds de l’allocation personnalisée à l’autonomie, les statisticiens de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) [5] ont pu, en coopération avec l’équipe « démographie et santé » – partie prenante du groupe de projet ayant suivi la définition et la mise au point de l’opération HID – évaluer les effectifs de personnes âgées de plus de 60 ans relevant des divers groupes AGGIR (Colin, Coutton, 2000).
38Progrès notable, quand on se souvient que la mise en place de la PSD avait dû se faire dans une incertitude assez forte quant aux nombres de personnes qui en bénéficieraient.
39Progrès d’autant plus sensible que ces estimations ont ensuite été reprises toujours par la DREES pour construire des projections sur les quarante années à venir (Bontout, Colin, Kerjosse, 2002).
Bien évidemment, ces données de base n’épuisent pas les interrogations sur l’avenir de l’APA : quelle va être la proportion de personnes remplissant les conditions à demander le bénéfice de la prestation ; quelle va être l’évolution des réponses départementales à ces demandes – encore très diverses ? Mais sans elles, aucune prévision ne peut sérieusement être envisagée.
Les personnes aveugles
40Un autre exemple caractéristique est celui des aveugles. Dans la période de préparation de l’enquête, nous avions été informés par l’Inserm que leur nombre était tout simplement inconnu, au niveau national, pour l’ensemble de la France.
41L’enquête a permis, d’une part, d’établir pour la première fois une estimation assez précise : 217 000 personnes seraient partiellement ou totalement aveugles, dont 33 000 résidant en institutions et 183 000 en domicile ordinaire. En outre, elle apporte des compléments très importants, comme leur répartition par âge : plus de la moitié des aveugles (115 000 dont 23 000 en institution) ont au moins 80 ans et près des deux tiers au moins 70 ans.
Les personnes utilisant un fauteuil roulant
42Enfin pour traiter d’un autre chiffre emblématique, HID permet d’évaluer le nombre de personnes utilisant un fauteuil roulant : environ 370 000, dont 215 000 vivant en domicile ordinaire et 157 000 en institution. Moins d’un tiers au total (et un peu moins de la moitié en domicile ordinaire) sont âgées de moins de 70 ans. Ajoutons que moins d’un dixième d’entre elles disposent d’un fauteuil électrique – la plupart âgées de moins de 70 ans.
43Cet exemple, comme le précédent, est caractéristique de plusieurs des principales faiblesses des informations produites par notre système d’aide : d’abord son éclatement (une partie de l’information vient des Commissions Départementales de l’Éducation Spéciale (CDES), une partie des Commissions Techniques d’Orientation et de Reclassement Professionnel (COTOREP), une partie de la Sécurité sociale, sans parler des assurances ou mutuelles) ; ensuite son manque de pertinence (les COTOREP ont pendant longtemps fourni des estimations de flux annuels, sans pouvoir donner de chiffres sur les stocks ; les données provenant du décompte des fauteuils roulants sont d’un usage très délicat, car une forte partie d’entre eux est en réalité un équipement des établissements et maisons de retraite, et ne donnent qu’une idée très approximative du nombre de personnes concernées par leur usage – et aucune idée de leurs caractéristiques).
Décrire la situation dans les différentes dimensions du handicap
44Le deuxième objectif de l’enquête en réponse à l’évolution de la demande sociale était de couvrir toutes les dimensions du handicap, depuis ses aspects les plus directement liés à la santé (les déficiences) jusqu’à l’insertion sociale (dite aujourd’hui « participation » dans la dernière version de la Classification internationale des handicaps).
45En traitant simultanément les déficiences, les incapacités et les désavantages (les trois dimensions de la première CIH) HID permet de dépasser une approche trop exclusivement « médicale », quelque peu obsolète et il est clair que les associations de personnes handicapées n’auraient pas compris une telle approche.
46Mais l’apport principal est sans doute qu’elle permet également leur croisement. Ainsi par exemple, les résultats de l’enquête fournissent des points d’appui aux débats sur la scolarisation des enfants handicapés, ou sur l’accès à l’emploi des adultes handicapés, comme sur le maintien à domicile des personnes âgées dépendantes.
La scolarisation des enfants handicapés
47La scolarisation des enfants handicapés peut être précisée par les résultats de HID. Moins sans doute au sens d’un comptage exhaustif et irréfutable – les données de l’Éducation nationale sont certainement plus complètes et exactes – que grâce au croisement des données de l’enquête sur les déficiences et incapacités avec la nature du suivi scolaire.
48Ainsi, l’enquête dénombre 425 000 enfants, adolescents et jeunes adultes de 5 à 24 ans scolarisés dans des écoles ou classes spécialisées (fin 1998 et 1999) dont 375 000 résident en domicile ordinaire. Parmi eux, à peine plus de 50 000 sont déclarés au sens de l’indicateur EHPA [6] présenter une « dépendance psychique », et 360 000 ne souffrent ni d’une limitation de mobilité, ni d’une dépendance psychique (Goillot, 2001 et Goillot, 2002) [7]. Au niveau des déficiences déclarées à l’enquête, la moitié d’entre eux n’en rapportent aucune et un autre quart n’en déclarent qu’une (le plus souvent de nature intellectuelle ou mentale) (cf. aussi Ancel, à venir et Dellatolas, à venir).
L’accès à l’emploi des jeunes adultes handicapés
49Indépendamment de sa difficulté proprement dite, l’accès à l’emploi pour les jeunes adultes handicapés est d’un abord complexe. Les dispositifs d’aide prévoient en effet trois voies parfois concurrentes : l’incitation à l’embauche de personnes handicapées dans des emplois ordinaires ; l’accueil en emplois protégés ; enfin la reconnaissance – et la compensation financière – d’une incapacité à travailler.
50L’enquête permet effectivement de suivre l’entrée dans la vie active :
- jusqu’à 20 ans, la plupart ou la majorité des adolescents sont déclarés scolarisés. Ce résultat doit être modulé par deux observations : environ un dixième des jeunes sans dépendance psychique ont un emploi (aucun parmi les « dépendants psychiques ») ; les adolescents ayant une limitation de mobilité sont classés en « autres inactifs » (ce qui correspond à des barrières de santé ou de handicap) dans un cas sur deux ou sur trois ;
- de 20 à 24 ans, la proportion de jeunes scolarisés diminue fortement, passant de 85 à 33 % sur l’ensemble de la population ; elle s’effondre même parmi les dépendants psycho-intellectuels (moins de 5 %). C’est l’âge de l’entrée en activité pour les jeunes sans limitation ni besoin d’aide ; mais alors que ceux sans dépendance « psychique » trouvent majoritairement un emploi (10 % sont au chômage et plus de 50 % ont un emploi), ceux avec dépendance psychique semblent rester majoritairement à la recherche d’un emploi (62 % de chômeurs et moins de 25 % d’actifs occupés) ;
- enfin, de 25 à 29 ans, il n’y a pratiquement plus de scolaires. Les jeunes adultes sans limitation ni besoin d’aide sont actifs à 90 ou 95 % ; ceux ayant un besoin d’aide (pour sortir du domicile ou pour les activités basiques) sont très majoritairement classés en « autres inactifs », une minorité ayant un emploi.
Deux limites indépassables
51L’enquête en population, avec sa pré-enquête pour les personnes en domiciles ordinaires est la méthode correspondant strictement aux recommandations des organismes internationaux (ONU, 1996). Elle était nécessaire pour obtenir des estimations représentatives de l’ensemble de la population métropolitaine dans le domaine du handicap et une description assez complète de la situation et des conditions de vie des personnes concernées.
52Il convient de bien situer ses limites. Ce sont celles inhérentes à toute enquête par interview, avec des accents particuliers.
53• La première pourrait être qualifiée de biais. Que relève-t-on lors d’une interview ? La réponse des personnes interrogées aux questions posées – et non pas une mesure physique directe de telle ou telle grandeur (la surface habitable du logement, la tension artérielle, la capacité à suivre une conversation,…).
54Ce qu’on mesure est donc ce dont ont conscience et mémoire les personnes interrogées et non pas une photographie exacte de leur situation.
55• La deuxième limite est plus claire et elle aussi classique. Il s’agit de l’imprécision des estimations, inévitable dans les enquêtes par sondage. La particularité de HID est que cette incertitude touche de façon différente les diverses estimations. Pour résumer, les estimations concernant les populations les plus lourdement ou les plus évidemment handicapées ont une bonne précision. C’est notamment le cas d’exemples cités plus haut comme la population utilisant des fauteuils roulants. Au contraire, les populations affectées de handicaps faibles, modérés ou peu évidents ne peuvent être comptées ou décrites qu’avec une marge d’erreur importante.
Améliorer les prévisions, mesurer les flux
56L’enquête HID accorde une place importante à l’évaluation des flux, flux d’entrée en incapacité ou dépendance, flux de sortie par décès ou récupération. L’objectif est de fournir des données reflétant la situation la plus récente possible pour mieux éclairer l’évolution à venir.
57Un des exemples les plus clairs concerne les personnes utilisant des fauteuils roulants. La méthode de prévision la plus simple de leur effectif consisterait à utiliser les prévisions démographiques, qui annoncent les compositions de la population par tranche d’âge dans les décennies qui viennent ; on multiplie ensuite l’effectif de chaque tranche d’âge par la proportion mesurée aujourd’hui de personnes en fauteuil roulant à chaque âge… et le tour est joué.
58Le seul problème est que ces proportions vont changer. Ainsi l’éradication de la poliomyélite fait qu’il n’y a plus aujourd’hui de handicaps associés pour les moins de 40 ans, et que dans vingt ans il n’y en aura plus pour les moins de 60 ans. Il est donc nécessaire de s’appuyer non pas sur la proportion de personnes handicapées à chaque âge (handicaps parfois d’origine ancienne, aujourd’hui inopérante), mais autant que possible sur les flux d’entrée actuels dans une situation de handicap.
59Trois dispositions concourantes ont donc été mises en place pour évaluer ces flux.
60• Un questionnement rétrospectif. Celui-ci concerne les incapacités : dès qu’une réponse à une question sur les gestes de la vie quotidienne dénote une difficulté ou limitation fonctionnelle, on demande depuis quel âge la personne rencontre ce problème.
Naturellement, on connaît les problèmes liés aux questions rétrospectives. En fait, les tests nous ont confortés dans l’appréciation suivante :
- pour des personnes relativement jeunes, les incapacités sont en général liées à une cause précise, connue et datable – en outre, la mémoire de la personne, ou du proche qui répond pour elle, est encore relativement sûre. Donc pour elles, le questionnement rétrospectif semble fournir une base fiable pour l’évaluation de l’incidence ;
- pour des personnes relativement âgées, l’apparition des incapacités est plus souvent progressive, fréquemment liée à des pathologies ou à des causes méconnues regroupées en « conséquences de l’âge », donc difficilement datable. D’autant que la mémoire risque plus souvent d’être floue. Il nous a donc semblé que le questionnement rétrospectif était insuffisant dans ce cas.
62Ce second passage vise aussi à analyser l’évolution des incapacités de personnes déjà en situation de handicap, en comparant pour chaque personne les réponses de 2000-2001 avec celles de 1998-1999. Il s’agit de dresser des trajectoires d’évolution types en utilisant l’enregistrement des segments d’évolution sur deux ans que permet le second passage.
63• Enfin une évaluation spécifique de la mortalité permettra d’en assurer la précision. Même si la mortalité est très fortement liée à l’incapacité initiale (considérée de longue date comme un de ses meilleurs prédicteurs), le nombre des décès en deux ans sera – heureusement – assez faible, au moins pour la population vivant en domicile ordinaire. À titre d’exemple, les résultats du deuxième passage en institutions établissent un quotient de mortalité sur deux ans près de cinq fois plus élevé que sur l’ensemble de la population (cf. Mormiche, 2001).
64On aura donc quelques difficultés à établir des comparaisons détaillées entre les quotients de mortalité sur deux ans des populations handicapées et non handicapées de même âge. Aussi a-t-on demandé (et obtenu) l’autorisation de conserver les données quinze ans après la fin de l’enquête, de façon à pouvoir rechercher les décès de la population, échantillon par rapprochement avec l’état civil. Ces recherches comporteront un recueil des causes de décès, ce qui permettra de les confronter avec la nature des handicaps initiaux.
On devrait ainsi pouvoir établir pour les personnes âgées, de bonnes estimations d’espérances de vie avec incapacité, qui sont l’un des deux éléments nécessaires à l’établissement d’assurances « dépendance ». En outre, l’estimation des taux de mortalité pour les personnes handicapées constitue en soi une première, et pourrait enrichir les critères d’évaluation de la politique du handicap. Nul doute qu’elle ne soit également utile aux préoccupations que soulève depuis quelques années la situation des handicapés vieillissants.
Intérêts et limites des estimations sur petits domaines
65La proximité du recensement de la population de mars 1999, d’une part, et la réalisation d’extensions locales de la pré-enquête VQS, d’autre part, ont permis le développement d’un travail d’estimations sur petits domaines pour l’enquête en ménages. Il a produit des fichiers d’estimations sur huit zones – sept départements et une région – d’une taille comprise entre un cinquantième et un centième de la population métropolitaine (Couet, 2002).
Pourquoi ces estimations ?
66L’objectif est de répondre à la demande croissante de statistiques locales du fait de la décentralisation des décisions vers les collectivités locales, en particulier dans le domaine du handicap.
67Or, il est admis que les enquêtes nationales ne fournissent pas de réponses adaptées et que la régionalisation de ces enquêtes (sans parler de la départementalisation !) est un procédé coûteux et lourd à mettre en œuvre.
68On s’est donc tourné vers une méthode d’estimation indirecte basée, d’une part, sur les données des enquêtes nationales et, d’autre part, sur des informations localisées provenant d’autres sources (recensement, sources administratives…), dont le rôle est de traduire les particularités locales.
L’hypothèse de base
69C’est une hypothèse d’homogénéité spatiale de comportement. Elle consiste à admettre que les individus peuvent être rangés dans des groupes ayant, du point de vue du thème de l’enquête (ici le handicap), un comportement moyen identique quelle que soit la zone géographique étudiée. Il devient alors possible d’appliquer à chacun des groupes définis sur une zone d’étude les comportements observés sur une zone plus vaste (la France par exemple) ayant un échantillon suffisant pour fournir une estimation fiable de ceux-ci.
70Définir ces groupes aux niveaux national comme local, revient à rechercher les critères les plus discriminants en matière de handicap disponibles à ces niveaux.
On voit bien l’intérêt de la méthode et son tendon d’Achille :
- le fait d’évaluer le comportement moyen de chaque groupe sur un échantillon plus fourni (l’échantillon national global est en moyenne 20 fois plus grand que ses parts régionales et 100 fois plus grands que ses parts départementales) réduit considérablement l’aléa de l’estimation, c’est-à-dire accroît sa précision ;
- par contre, l’élimination de tout autre facteur de différenciation local que les critères pris en compte pour le calcul de l’estimateur est une hypothèse forte, qui introduit un biais. Le choix des « bons critères » vise à en réduire l’ampleur.
L’application pour les estimations départementales HID
71Un des premiers travaux a donc consisté à étudier quels critères avaient une influence sur le comportement en matière de handicap au niveau national, à sélectionner les plus influents et à vérifier si leur effet était sensiblement analogue sur les différentes parties du territoire. Les deux critères les plus influents sont l’âge et le « groupe VQS » [8]. Deux critères supplémentaires ont été retenus : le sexe et la tranche d’unité urbaine.
72Naturellement il fallait que les critères retenus soient disponibles :
- d’une part dans les données de l’enquête (pour pouvoir calculer des comportements moyens dans les strates qu’ils définissent) ;
- d’autre part dans les données de calage (pour disposer des populations – nationales et locales – pour ces mêmes strates).
73Dernière observation : les caractéristiques sociales de chaque zone ont été prises en compte par un calage de l’échantillon HID (l’interview HID relevant évidemment diverses caractéristiques sociales) sur les « marges » sociales du recensement.
Notes
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[*]
Responsable d’enquêtes à l’Insee.
-
[1]
L’appellation retenue pour l’enquête n’a pas de caractère conceptuel. Elle vise à faire comprendre au public et aux personnes interrogées que sont couverts les handicaps des jeunes et adultes et les handicaps liés à l’âge (la « dépendance »), et à rappeler aux spécialistes que le cœur du questionnaire se situe dans le champ des incapacités. Au niveau conceptuel, comme il est exposé au chapitre « Mode de traitement », c’est la Classification internationale des handicaps qui a fourni ses outils à l’enquête et sa structure au questionnaire.
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[2]
Le rapport du CNIS en évaluait le coût pour l’année 1995 à 180 milliards de francs.
-
[3]
Les DOM, pour lesquels devront être mis au point des questionnaires adaptés, n’ont pu être inclus dans les collectes en cours.
-
[4]
Sur la nécessité et l’organisation de cette pré-enquête, on se reportera au paragraphe « Les particularités de l’organisation de l’enquête en domiciles ordinaires » ci-après.
-
[5]
Ministère des Affaires sociales, du Travail et de la Solidarité et ministère de la Santé, de la Famille et des Personnes handicapées.
-
[6]
L’indicateur dit « EHPA » a été mis au point pour l’exploitation d’enquêtes de la DREES auprès des établissements hébergeant des personnes âgées. Il croise deux notions classiques en épidémiologie du handicap et de la dépendance : la présence et la sévérité d’une limitation de mobilité (confinement au lit, besoin d’aide pour s’habiller et faire sa toilette, confinement au domicile) et la « dépendance psychique » (qu’on peut résumer au fait d’avoir une déficience intellectuelle ou mentale à l’origine d’incapacités). Ces deux notions ont pu être codifiées à l’aide des réponses relevées dans le questionnaire HID.
-
[7]
Les données de l’enquête en domiciles ordinaires ont dû être corrigées (y compris dans le volume HID 1999 actuellement sous presse) suite à un mauvais enregistrement pour certains individus de la variable indiquant le type de classe suivie, et sont donc différentes de celles fournies par les fichiers sur le CD-Rom de janvier 2001.
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[8]
Le groupe VQS est une variable en six modalités qui résume les réponses fournies par chaque personne au questionnaire de la pré-enquête VQS.