1La politique sociale en direction des personnes âgées, après avoir assuré des revenus à celles-ci, en revalorisant les retraites et en instaurant le minimum vieillesse, s’est orientée depuis plus de quinze ans vers le maintien à domicile. Cet objectif, affirmé et réaffirmé dans l’ensemble des rapports et textes de lois traitant de la politique vieillesse, a souvent été associé à d’autres objectifs : prise en charge globale de la personne âgée, coordination des différentes aides et soins, intervention au cas par cas, modulée en fonction des besoins de la personne. Les convergences de vues autour de ces objectifs et des critiques des dispositifs actuels de prise en charge sont confrontées aujourd’hui à la croissance de la demande de soins de long terme. Ces soins de long terme doivent être compris au sens le plus large du terme : soigner le corps s’il est malade ou a besoin d’aide pour les activités de la vie courante, s’occuper du logement, des affaires économiques… et pas exclusivement du point de vue médical. Cette demande est destinée à croître en raison du vieillissement de la population, de la croissance du nombre de personnes dépendantes et de l’amélioration des techniques et des modes d’intervention à domicile. Cette croissance de la demande s’effectue sous une double incertitude. Premièrement : combien y aura-t-il demain de personnes dépendantes et deuxièmement : est-ce que les aidantes traditionnelles vont continuer à aider et à soigner leurs parents âgés dépendants ?
2La question politique qui se pose inévitablement est de savoir quelle est la part de cette demande de soins à laquelle sera donnée une réponse socialisée ? Comment mettre en place concrètement des politiques efficaces de maintien à domicile donnant satisfaction aux usagers et à leurs familles ?
3Beaucoup d’interrogations demeurent :
- sur le niveau, la nature et la combinaison des aides à développer (aides techniques ou aides humaines, aides à la personne et/ou à ses aidants, aides en espèces ou en nature…) ;
- sur l’évaluation des incapacités et des besoins et sur leur articulation (utilisation de grilles ou évaluation professionnelle directe) ;
- sur le degré d’engagement (en temps et financier) qui est attendu des proches de la personne âgée dépendante.
4L’intégration européenne n’a pas simplifié la discussion, bien au contraire. Les pouvoirs publics des différents pays européens sont tous confrontés à la transformation du secteur d’activité producteur de services d’aide et de soins à long terme aux personnes âgées. Cette transformation est fonction de la rapidité du vieillissement de la population, du degré de développement de la protection sociale et du modèle de protection sociale retenu pour couvrir le risque dépendance.
5Le modèle « béveridgien » dont les pays scandinaves sont représentatifs intègre bien le risque dépendance, au même titre que les autres « gros risques » (handicaps, accidents…). En effet, à partir du moment où la protection sociale est pensée et organisée à partir de l’individu et non pas de sa famille, il est logique de couvrir en premier lieu et de façon suffisante les risques majeurs de l’individu, et en particulier la dépendance. Dans ce type de système, le financement de l’aide à la dépendance se fait par l’impôt. La prestation dépendance est généralement une prestation en nature et la tradition de décentralisation est importante (Danemark, Suède, Pays-Bas, par exemple).
6Dans la philosophie du modèle « bismarkien », les risques sociaux les mieux couverts sont ceux qui découlent directement de l’activité du chef de famille. La mise en place d’une couverture du risque dépendance est généralement plus laborieuse parce que les liens du risque dépendance avec les risques liés à l’activité professionnelle sont distendus. Le risque dépendance donne lieu à une extension du système d’assurance sociale et le financement de la dépendance se fait dans le cadre soit de l’assurance maladie, soit d’une caisse et d’une cotisation nouvelles comme en Allemagne, soit de l’aide sociale comme en France.
7Le modèle de l’Europe du Sud, hormis quelques dispositifs expérimentaux, reporte la charge de la dépendance sur la famille. La nécessité d’une aide à long terme de la collectivité aux personnes dépendantes semble moins urgente en raison du manque de ressources financières des systèmes de protection sociale et des traditions culturelles d’aide à l’intérieur de la famille. La prise en charge des personnes âgées dépendantes s’effectue dans le cadre de la famille, à titre principal, avec peu d’appuis professionnels extérieurs.
8Ces modèles donnent naissance à des formes de maintien à domicile très variées, même si la gamme des prestations est assez identique d’un pays à l’autre. Mais il existe peu de comparaisons entre pays suffisamment solides pour y rapporter les choix de politiques sociales en matière de maintien à domicile.
9L’organisation d’une production de soins de long terme de qualité apparaît ainsi comme une question très ouverte et la réflexion sur le cas français a longtemps été gênée par l’absence d’une enquête étoffée sur les conditions de vie des personnes âgées à leur domicile. L’enquête HID a comblé ce déficit et la disponibilité des données a suscité, dans ce contexte, des exploitations statistiques nombreuses et d’une grande richesse.
Cet article a pour objet de synthétiser les résultats obtenus, à ce jour, dans le cadre de l’enquête HID auprès des personnes vivant en domicile ordinaire, en se focalisant sur le groupe des personnes âgées notamment dépendantes et en opérant des regroupements thématiques.
Encadré : Le questionnaire HID « Domicile »
- il débute par un tableau de composition du ménage ;
- le module A énumère les causes et origines des incapacités, c’est un tableau comprenant la liste des déficiences dont souffre la personne interrogée et leurs origines (maladie, accident…) ;
- le module B détaille les incapacités de la personne interrogée : passage en revue des actes de la vie courante, afin de relever les éventuelles difficultés dans l’accomplissement de ces actes, ancienneté et origine de ces difficultés ;
- le module C décrit l’environnement sociofamilial de la personne et recense ses aidants ;
- le module D concerne l’accessibilité du logement, son aménagement pour raisons de santé et les aides techniques dont dispose ou dont souhaiterait disposer la personne interrogée ;
- le module L étudie les conditions de logement ;
- le module T évoque le problème des déplacements et des transports ;
- le module E considère les questions liées à l’emploi (emploi présent ou passé, recherche d’emploi, origine sociale) ;
- le module R précise le montant des revenus et des allocations de la personne interrogée, sa situation juridique et les reconnaissances officielles ;
- le module G consiste en un questionnement général sur les loisirs, les vacances, le sport, les activités culturelles ;
- le module W est une interview de l’aidant principal.
10Seront examinées successivement des recherches portant sur :
- les contours du groupe cible de la population âgée dépendante ;
- les revenus des personnes âgées ;
- le réseau familial ;
- les aides reçues, aides informelles et aides professionnelles ;
- les aménagements du logement et les aides techniques.
La population âgée au domicile
Le nombre de personnes âgées à domicile et leur dépendance
1111 586 000 personnes de plus de 60 ans et plus vivent à domicile, soit 95,9 %. Le domicile reste le lieu privilégié de vie des personnes âgées, l’hébergement en institution le mode de vie minoritaire avec 4 % de la population concernée. 58 % des personnes âgées de 60 ans et plus vivant à domicile sont des femmes, 63 % sont mariées.
Dépendance physique
12Parmi les plus de 60 ans, 8 592 742 personnes (soit 74,2 % de la tranche d’âge) déclarent au moins une déficience ou une difficulté dans la vie quotidienne en raison d’un problème de santé.
13Si on se réfère à la grille de Colvez, 1 053 000 personnes de plus de 60 ans, au total sont dépendantes (Colin 2). Cela représente 9 % de la population de plus de 60 ans vivant à domicile. 405 000 personnes lourdement dépendantes, toujours au regard de la grille de Colvez, soit 3,5 % de la population âgée vivant à domicile. 105 000 personnes (soit 0,9 % de la population de plus de 60 ans vivent à domicile) sont confinées au lit ou au fauteuil, ce qui est le degré le plus lourd de la dépendance. Ainsi, deux tiers des personnes dépendantes de plus de 60 ans vivent à domicile. Il s’agit majoritairement de femmes.
14La discussion méthodologique relative au calcul du nombre de personnes dépendantes à domicile à partir des données d’HID figure dans les travaux de C. Colin (2) qui nous servent de référence. L’estimation produite permet la comparaison de différents outils AGGIR, Katz, grille de Colvez. [1]
Le nombre de personnes âgées dépendantes selon la grille Colvez

Le nombre de personnes âgées dépendantes selon la grille Colvez
Dépendance psychique
15Parmi les personnes confinées au lit ou au fauteuil, la moitié souffrent aussi de dépendance psychique, soit 50 000 personnes. Par contre, seulement 30 % des personnes du groupe 2 de Colvez souffrent d’une dépendance d’origine psychique. La dépendance psychique est saisie dans l’enquête HID à partir d’incapacités qui révèlent des troubles du comportement ou des problèmes d’orientation. Elle ne repose pas sur une approche clinique à partir d’un diagnostic. Le recoupement des résultats avec les sources épidémiologiques n’est pas complètement évident et les estimations peuvent diverger.
Dépendance physique lourde et dépendance psychique

Dépendance physique lourde et dépendance psychique
16L’enquête HID confirme que le scénario optimiste des projections qui avaient été effectuées en 1995-1996 par la DREES correspond aux évolutions observées. La prévalence de la dépendance baisse au cours du temps, à chaque âge.
17HID permet l’estimation des effectifs par groupe iso-ressources pour les personnes vivant à leur domicile. Jusqu’ici, à domicile, il n’existait pas de statistiques permettant de disposer d’une estimation globale des personnes âgées par groupe iso-ressources, ce qui du point de vue de la politique sociale est un élément d’information majeure, surtout au moment de la mise en place de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA). Les calculs effectués en 2000 ont montré la sensibilité de ces estimations : 157 000 personnes classées en GIR 5 ou 6 peuvent être comptabilisées en GIR 4, selon l’interprétation que l’on fait des variables initiales, soit deux tiers de plus que dans l’estimation initiale. Ces écarts s’expliquent en partie parce que l’enquête HID s’appuie sur les déclarations des personnes âgées ou de leurs aidants et non pas sur les évaluations des équipes médico-sociales, base des groupes iso-ressources. Mais les acteurs de la politique sociale doivent nécessairement composer avec ces écarts de perception de la dépendance.
La nature des déficiences
18À domicile comme en institution, les associations de plusieurs déficiences physiques sont nombreuses car elles concernent 30 % des personnes. À domicile, les associations de déficiences physiques et mentales sont moins fréquentes qu’en institution (12 % contre 47 %). En revanche, on y trouve plus de monodéficients, surtout moteurs (17 %) et auditifs (11 %) (voir tableau 3). Or, les associations de déficiences s’accompagnent de niveaux d’incapacités beaucoup plus élevés que les monodéficiences.
Répartition par grandes tranches d’âge de la population avec déficience(s)

Répartition par grandes tranches d’âge de la population avec déficience(s)
Le grand âge
19La caractérisation du grand âge et du groupe des plus de 80 ans est l’un des résultats intéressants de l’enquête HID (Colin, 1). Parmi les 2 339 000 personnes âgées de plus de 80 ans en 1999, 81 % vivent à domicile, dont 30 % sont dépendantes et parmi les 502 000 qui ont plus de 90 ans, 64 % vivent à domicile et 53 % sont dépendantes.
Confinement et dépendance
20Un travail récent d’Ankri, toujours à partir des données d’HID, porte sur la population âgée de plus de 65 ans confinée à domicile, c’est-à-dire la population qui déclare être obligée de rester en permanence à l’intérieur de son logement. Cette population comprend 421 000 personnes, plutôt des femmes (75 %) âgées (82 ans). 14,4 % de ces personnes sont confinées au lit et 26 % ont besoin d’aide pour la toilette et l’habillage.
21L’auteur observe que 40 % des personnes confinées n’ont besoin d’aucune aide pour la réalisation des six activités de la vie quotidienne telles qu’elles sont décrites par l’index de Katz. En d’autres termes, on ne peut pas assimiler confinement, dépendance et besoin d’aide. L’hypothèse explorée est que certaines personnes âgées – pour des raisons qui restent à analyser – sont conduites à limiter le périmètre de leur existence au domicile, alors même qu’elles ne sont pas dépendantes.
Deux sous-groupes sont identifiés : une population confinée et dépendante pour les actes élémentaires de la vie quotidienne et qui a besoin d’une aide très régulière et une population confinée qui ne présente pas d’incapacité au niveau des actes de la vie quotidienne mais qui connaît un certain nombre de difficultés dans les activités instrumentales. Le groupe des personnes confinées mais non dépendantes présente plus de déficiences motrices et sensorielles (vision et audition) et probablement moins de troubles psycho-intellectuels et des déficiences psychiques à des stades précoces. L’exploitation des résultats n’est pas achevée et la seconde vague de l’enquête à domicile devrait donner des résultats intéressants.
Revenus et emploi passé
22L’enquête HID permet de connaître l’origine sociale et le revenu des personnes interrogées.
Origine sociale des personnes âgées à domicile
Catégorie socioprofessionnelle (antérieure pour les personnes retraitées) des personnes de plus de 60 ans vivant à domicile

Catégorie socioprofessionnelle (antérieure pour les personnes retraitées) des personnes de plus de 60 ans vivant à domicile
Revenus et allocations des personnes âgées à domicile
23L’analyse des revenus des personnes âgées à domicile n’a pas donné lieu à des travaux particulièrement marquants. Pourtant cette connaissance n’est pas indifférente, dans une période où les personnes âgées sont tenues de payer une grande partie des coûts liés à leur dépendance, sur leurs propres ressources, parfois en ponctionnant sur leur capital. Il faudra probablement développer des enquêtes complémentaires portant sur des sous-populations.
Revenu total mensuel des personnes interrogées de 60 ans et plus vivant à domicile

Revenu total mensuel des personnes interrogées de 60 ans et plus vivant à domicile
Relations familiales et sociales, aides formelles et informelles
Le réseau familial
Taille des ménages des personnes âgées de 60 ans et plus vivant à domicile

Taille des ménages des personnes âgées de 60 ans et plus vivant à domicile
24L’enquête HID permet de décrire précisément le réseau familial des personnes âgées de plus de 60 ans en fonction de leur mode d’hébergement, comme le montrent les travaux de Désesquelles et Brouard. Le réseau familial qu’il est possible d’appréhender à partir de l’enquête HID, est limité au conjoint de l’enquêté, à ses enfants, petits-enfants, frères et sœurs, parents et grands-parents. Les beaux-enfants, belles-sœurs, beaux-frères sont exclus, ce qui pose question dans une période où les recompositions familiales se banalisent.
25L’entourage familial des personnes de plus de 60 ans qui vivent à domicile est plus large que celui des personnes qui vivent en institutions. Les données HID permettent de décrire le statut matrimonial des personnes vivant à domicile, dont 63 % sont mariées contre 9 % seulement en institutions. Les données HID permettent également de décrire la descendance et la fratrie des plus de 60 ans vivant à domicile. Toutes choses égales par ailleurs, les personnes de plus de 60 ans à domicile ont un frère ou une sœur de plus, un enfant de plus et trois petits-enfants en vie de plus que celles qui résident en institution. La taille moyenne du réseau familial est deux fois plus élevée à domicile (8,7 personnes en moyenne) qu’en institution (4,6 personnes en moyenne).
26Le risque d’être en institution peut ainsi être mieux circonscrit : l’âge, la dépendance physique, un réseau familial peu actif et l’appartenance à une catégorie sociale peu aisée favorisent l’entrée en institution. Au contraire, le fait d’être une femme et de vivre couple réduit ce risque, en raison de l’effet protecteur du mariage et de l’importance des soins dispensés à la personne âgée dépendante par son conjoint, au domicile.
L’enquête HID donne également des indications sur l’activité du réseau familial, en utilisant les questions portant sur la nature et le nombre des contacts de la personne interrogée. Mais les résultats sont moins probants.
Situation des personnes de 60 ans et plus

Situation des personnes de 60 ans et plus
Les liens familiaux
27Les personnes âgées de 60 ans et plus, vivant à domicile ont des liens familiaux avec trois personnes en moyenne, principalement avec leurs enfants ; ce phénomène s’accroît avec l’âge et la dépendance (Michel).
Répartition des liens familiaux des personnes âgées de 60 ans et plus à domicile

Répartition des liens familiaux des personnes âgées de 60 ans et plus à domicile
28La structure de ces relations est tout à fait différente en maison de retraite où les conjoints et les parents s’effacent (2,46 % et 0,24 %) au bénéfice des enfants et petits-enfants (40 % et 21,8 % respectivement).
29La périodicité des visites des enfants à leurs parents à domicile est essentiellement hebdomadaire (50 % des enfants font des visites quotidiennes ou hebdomadaires). La proximité géographique explique le rythme élevé des visites des enfants. La fréquence des visites aux parents mariés et âgés est plus élevée. La dépendance ne modifie pas le rythme des visites à domicile mais le favorise en institutions.
Aides formelles et informelles
30HID donne des indications sur les personnes aidées, les aidants et leur stress, le contenu de l’aide. L’enquête permet de faire la différence entre les aides apportées en raison de l’état de santé et celles qui sont fournies pour des motifs différents, mais le volume d’aide n’est pas quantifié.
Qui est aidé ?
3128 % des personnes de 60 ans ou plus (3 230 000) bénéficient d’une aide régulière en raison d’un problème de santé contre 50 % des plus de 75 ans (Dutheil, 2001).
32Les personnes âgées dépendantes, des groupes GIR 1 à GIR 4, à domicile bénéficient toutes d’une aide familiale ou professionnelle régulière. Dans plus de la moitié des cas, l’aide est à la fois familiale et professionnelle. Dans quatre cas sur dix, l’aide est seulement familiale.
Type d’aide selon le niveau de dépendance

Type d’aide selon le niveau de dépendance
Qui aide ?
33Une première approche consiste simplement à recenser les aidants (Dutheil, 2001 ; Legendre, 2001). 5,9 millions d’aidants apportent des soins et de l’aide à 3,2 millions de personnes de plus de 60 ans, soit deux aidants par personne. Il s’agit de femmes dans deux cas sur trois.
34Les aides à domicile (femmes de ménage et auxiliaires de vie) correspondent à 70 % des intervenants professionnels du maintien à domicile, les professionnels paramédicaux à 27 %. Les intervenants sociaux (assistantes sociales, éducateurs, membres d’associations intervenant au domicile à titre social) ne représentent que 3 % des aidants professionnels.
35Avec l’âge et la solitude, l’aide professionnelle se renforce ; avec l’augmentation de la dépendance, la prise en charge se médicalise.
3690 % des aidants informels appartiennent à la famille de la personne âgée. Dans la moitié des cas, l’aidant principal est le conjoint, dans un tiers des cas un enfant. L’aidant principal est âgé en moyenne de 71 ans quand il est le conjoint et de 55 ans quand il est l’un des enfants.
37L’enquête HID donne une première mesure de la charge de l’aidant, c’est-à-dire des conséquences physiques, psychologiques, affectives, sociales, économiques supportées par l’aidant. 40 % des aidants informels ne peuvent plus partir en vacances, 11 % ont dû réaménager leurs activités professionnelles, 75 % ressentent une fatigue morale et du stress et 50 % une fatigue physique.
Qui fait quoi ?
38La nature des tâches concernées varie peu avec l’âge après 60 ans. Par ordre croissant, l’aide concerne le ménage, les achats, la présence, puis la gestion du budget, l’accompagnement aux visites médicales.
39Peut-on expliquer pourquoi tel type de tâche est effectué par tel ou tel type d’aidants, y a-t-il spécialisation des tâches ? Qu’est-ce qui est délégué par la personne âgée ou sa famille et à quel type d’intervenants ? À ce stade les résultats obtenus sont classiques : les femmes s’occupent davantage des soins personnels et du ménage que les hommes ; les conjoints s’occupent également davantage des soins personnels et du ménage que les enfants.
Pourcentage des personnes âgées, aidées à domicile, concernées par chacune des activités (en %)

Pourcentage des personnes âgées, aidées à domicile, concernées par chacune des activités (en %)
Typologie d’aidants
40Les aidants informels peuvent se regrouper en famille ou entourage selon la typologie proposée par Legendre (2001). Le groupe famille inclut les membres de la famille de la personne âgée qui peuvent être soumis à l’obligation alimentaire et qui contribuent à l’aide à domicile. L’entourage comprend tous les autres aidants informels, y compris les membres de la famille qui ne sont pas tributaires de l’obligation alimentaire, comme par exemple les frères et sœurs. Le résultat le plus immédiat est que la famille fournit une aide quatre fois supérieure à celle de l’entourage. On peut discuter pour savoir si c’est la proximité qui joue ou l’obligation alimentaire. L’obligation alimentaire sert de critère discriminant pour faire une typologie des aidants informels mais les mécanismes d’action de celle-ci doivent être précisés.
41Parmi toutes les combinaisons possibles d’aidants intervenant auprès des personnes âgées, quelles sont celles qui sont réellement mises en pratique ? Dutheil (2001) distingue cinq configurations représentatives :
- un aidant non professionnel unique ;
- plusieurs aidants non professionnels ;
- un aidant non professionnel et plusieurs aidants professionnels ;
- plusieurs aidants non professionnels et professionnels ;
- plusieurs aidants professionnels uniquement.
Répartition des personnes âgées aidées à domicile selon la configuration d’aide à laquelle elles appartiennent (en %)

Répartition des personnes âgées aidées à domicile selon la configuration d’aide à laquelle elles appartiennent (en %)
42La richesse de l’enquête est indéniable dans la caractérisation qu’elle permet des aidants.
Adaptations du logement et aides techniques
4371 % des personnes de 60 ans et plus vivant en domicile ordinaire habitent dans une maison individuelle, 28 % dans un appartement, le reste dans des logements précaires ou dans une habitation mobile.
Logement des personnes de 60 ans et plus vivant à domicile

Logement des personnes de 60 ans et plus vivant à domicile
Conditions de logement des personnes âgées dépendantes à domicile
44L’étude de C. Razaki (2002) donne des indications précieuses sur les conditions de logement, parfois bien difficiles, des plus de 60 ans et analyse des besoins non satisfaits de cette population, en matière d’accessibilité et d’aménagements du logement.
45Sur les 8,59 millions de personnes de plus de 60 ans vivant à domicile qui déclarent au moins une déficience ou une incapacité dans la vie quotidienne, 491 000 déclarent avoir des difficultés pour accéder seules à leur immeuble ou à leur maison. Le problème principal concerne le fait que l’escalier est impraticable. 336 000 personnes de plus de 60 ans ont des difficultés pour accéder seules à leur logement depuis l’entrée de l’immeuble ou de la maison, ce qui est inévitablement une source de confinement. Elles sont dans l’obligation de solliciter une aide humaine pour effectuer ce trajet. 2,3 millions de personnes de plus de 60 ans vivent dans des logements de plain-pied. Pour les autres, les ascenseurs, monte-charge, plates-formes élévatrices ou élévateurs d’escalier sont peu développés et touchent moins de 2 % de la population.
46L’accès aux différentes pièces du logement n’est pas évident pour 545 000 personnes de plus de 60 ans. 49 % d’entre elles expriment une difficulté pour accéder à leur chambre, 27 % pour accéder à la salle de bain, 17 % pour accéder au W.-C., sans parler de la cave et du grenier.
47Ces difficultés d’accès à l’immeuble, au logement et aux différentes pièces sont générales, quel que soit le type de logement et quelle que soit la catégorie socioprofessionnelle des personnes âgées.
48Ces difficultés d’accès au quotidien sont attribuées par les personnes âgées à leur santé. Mais la méconnaissance des possibilités d’aménagement du logement est fréquente chez les personnes âgées.
Conditions de logement des plus de 60 ans

Conditions de logement des plus de 60 ans
Aides techniques et utilisation des nouvelles technologies pour le logement et pour le transport
49Roussel (2002) propose, à partir de HID, un tableau détaillé des déficiences physiques et mentales, aussi bien que des compensations existantes.
502 160 000 personnes âgées, soit 22 % de la population de 60 ans et plus, bénéficient d’une aide technique au moins ou ont aménagé leur logement.
51Dans les domiciles individuels, contrairement aux institutions, l’aménagement des locaux et le mobilier adapté sont rares alors que les besoins non satisfaits sont élevés. L’usage par les personnes déficientes du mobilier adapté augmente en fonction de l’âge : c’est essentiellement au-delà de 80 ans qu’il devient répandu au sein de la population à domicile (31,6 % des 80 ans et plus avec déficiences).
52Les aides techniques utilisées à domicile sont principalement les aides à la mobilité, avec une part prépondérante des aides basiques telles que les cannes et béquilles. La réponse aux besoins semble satisfaisante, à l’exception des demandes en fauteuils électriques et véhicules adaptés. En revanche, les besoins en aides de transferts (lève-personne, sangles, harnais, etc.) sont très importants et mal satisfaits à domicile : 108 500 personnes en utilisent, 140 000 n’y ont pas recours mais en auraient besoin.
53Les besoins en aides destinées à compenser les problèmes de continence et celles destinées à faciliter la communication écrite et orale concernent beaucoup de personnes, notamment âgées. Toutefois, dans la population des déficients, ces besoins sont inégalement satisfaits : des insuffisances sont importantes dans les domaines de la communication.
54L’usage des aides humaines et techniques est fortement lié aux configurations de déficiences. Ce sont les personnes présentant des associations de déficiences physiques et mentales qui ont le plus grand recours aux mécanismes de compensation.
55L’usage de moyens de compensation s’accélère au fur et à mesure du vieillissement. Au-delà de 80 ans, il concerne environ les deux tiers de la population tant en matière d’aide technique qu’en matière d’aide humaine. Le cumul d’aides augmente lui aussi avec l’âge.
56Selon Razaki, 490 000 personnes expriment un besoin en matière de meubles et d’équipements adaptés (principalement des W.-C. adaptés et des dispositifs de soutien). Ceci donne une première évaluation du manque d’intégration de ces populations mais également de la taille des marchés potentiels de meubles et équipement pour adapter le logement, et faciliter l’accessibilité. La demande est hiérarchisée de la façon suivante : en premier lieu les baignoires, douches et lavabos, puis les équipements de soutien et les W.-C.
57Weber (2002) modélise le comportement des personnes de 60 ans et plus à l’égard des aides techniques et des aménagements du logement.
58Le recours à une aide technique ou à un aménagement du logement augmente avec l’âge et le niveau de dépendance. Les personnes des groupes GIR 1 à 4 utilisent toutes une aide technique ou ont adapté leur logement. L’isolement social et le genre expliquent le recours à ces aides. Notons toutefois quelques particularités. 9 % des personnes de 60 ans et plus utilisent une aide à la mobilité alors qu’elles n’ont pas de dépendance physique ou psychique. Les personnes lourdement déficientes sur le plan auditif ne représentent qu’un tiers des personnes équipées en aides auditives et cet équipement n’augmente pas de façon régulière avec l’âge, contrairement à toutes les autres aides. Les personnes équipées en aides techniques s’adressent plus souvent à des aides professionnelles.
Aides techniques et aménagement du logement chez les personnes âgées de 60 ans et plus vivant à domicile

Aides techniques et aménagement du logement chez les personnes âgées de 60 ans et plus vivant à domicile
Téléalarme
59L’analyse de l’usage des produits et services à caractère technologique par les personnes âgées, en particulier d’aides techniques, a des enjeux importants sur le plan scientifique et en termes de marché. Quel est le rapport des personnes âgées aux technologies ? Leur adaptation relève-t-elle d’un effet de génération (elles ont connu de tels bouleversements dans leur vie qu’elles peuvent s’adapter à tout) ou d’un effet âge (elles sont trop âgées pour pouvoir s’adapter aux nouvelles technologies) ? Les personnes âgées sont-elles véritablement demandeuses de technologie et si oui de quel type de technologie, en particulier en cas de dépendance. C’est dans cette perspective que s’inscrit le travail d’E. Cozette. Il a pour objet de modéliser l’équipement et l’usage de technologies nouvelles par les personnes âgées et d’en expliquer les déterminants individuels à partir des enquêtes les plus récentes sur ce sujet. Il s’appuie sur des modèles de régression logistique de type PROBIT. L’exploitation des données HID « Domicile » porte sur la téléalarme.
60Très peu de personnes âgées de 60 ans possèdent une téléalarme (3,7 %) et 4,7 % déclarent ne pas en posséder alors qu’elles en auraient besoin. Cela confirme l’hypothèse faite par S. Clément selon laquelle les téléalarmes (entre autres produits spécifiques pour personnes âgées) constituent un tel marqueur de vieillesse que les personnes âgées répugnent à les utiliser.
61L’équipement en téléalarme des personnes de plus de 60 ans vivant à domicile est plus élevé chez les femmes âgées qui vivent dans un studio. La présence d’un aidant informel renforce la probabilité de posséder une téléalarme. Les membres de l’entourage d’une personne âgée jouent un rôle de médiateur dans l’accès aux nouvelles technologies et ont tendance, pour se rassurer, à suréquiper leur parent âgé. Ceci ne signifie pas que ces équipements soient utilisés.
En termes de politique publique, ces résultats incitent à agir par l’intermédiaire des aidants si l’on souhaite développer cette technique.
Conclusion
62L’enquête HID « Domicile » permet une meilleure perception de la complexité du phénomène et l’adaptation des réponses sociales. Elle peut contribuer à l’élaboration de politiques de prévention et de réhabilitation des personnes âgées dépendantes. Les populations cibles et leurs besoins étant mieux connus, une analyse économique devient possible dans ce champ, en particulier la mise au point de scénarios économiques prospectifs. Enfin, la fonction de soignant des aidants peut être appréhendée de façon plus concrète ainsi que ses conséquences sur l’aidant.
63• Perception de la complexité des situations de handicaps, d’incapacité et de déficience et du degré d’adaptation des réponses sociales
64Cette enquête contribue à donner une vision beaucoup plus concrète, plus réaliste des populations âgées de plus de 60 ans à domicile, dont celles qui sont dépendantes. HID permet une segmentation par âge, par degré de dépendance, en fonction de l’ancienne catégorie socioprofessionnelle des retraités, du réseau familial et social. L’inégalité et l’hétérogénéité des situations sont mises en évidence. Une première quantification des besoins est ébauchée.
65• Connaître les causes de la dépendance
66Le débat français sur la dépendance a longtemps été marqué par la méconnaissance, le déni des causes de la dépendance et des polypathologies associées, s’opposant par là à la position de nombreux pays européens (y compris le Conseil de l’Europe) qui insistent sur ces causes.
67Connaître les causes de la dépendance, connaître l’évolution de la dépendance, c’est permettre de mettre en place des stratégies de prévention, c’est ouvrir la discussion sur la réversibilité. Savoir expliquer la réversibilité, c’est se donner les moyens d’une politique de réhabilitation. En cela, HID ouvre la porte à une politique de santé publique plus ferme.
68• L’analyse économique est possible
69HID permet de caractériser les demandeurs de services médico-sociaux, leurs besoins, leurs incapacités, leurs revenus et leurs possibilités financières. Des analyses économiques confrontant l’offre et la demande dans le champ médico-social deviennent possibles, en termes macroéconomiques et microéconomiques. Bref, le profil du consommateur de soins de longue durée va pouvoir être confronté à celui du producteur de soins. La réalité économique de l’offre et de la demande de soins de long terme peut être décrite.
70Un deuxième point économique est tout aussi important. Tout le débat sur la prestation spécifique dépendance puis l’allocation personnalisée d’autonomie a tenté de définir la frontière entre la solidarité collective et la solidarité familiale et de préciser qui devait payer les coûts liés à l’allongement de la vie. Ce débat a été difficile, parce que les ressources (au sens le plus large du terme, en temps et en argent) que les personnes âgées et leurs familles étaient en mesure de consacrer à la prise en charge de la dépendance étaient mal connues. Les politiques sociales d’aide et de soins aux personnes âgées dépendantes ont été mises en place sur la base d’une connaissance économique des populations bénéficiaires particulièrement ténue. Ceci explique en partie les difficultés rencontrées par les politiques. Avec HID, le fondement économique de ces politiques sociales peut se renforcer.
71• Les aidants
72Sur ce thème (qu’il s’agisse de la production de données, de l’analyse des comportements des aidants informels ou de la relation d’aide), les travaux français peuvent espérer rattraper leur retard.
73La position dominante en France qui fait de la famille le lien de soutien principal de l’individu avec des incapacités, et qui considère que la collectivité intervient en complémentarité en cas de défaillance de la famille, explique cette carence d’études sur l’aidant.
74Or la connaissance du couple aidant informel-aidé, sa caractérisation, son mode de fonctionnement représentent un élément incontournable pour comprendre l’efficacité de la politique sociale. Les acteurs administratifs et professionnels sont confrontés, non pas à une personne avec des incapacités, mais à une configuration familiale complexe qu’il va falloir prendre en charge globalement. Ceci est particulièrement vrai du cas de la démence sénile.
L’interaction aidant informel-aidé joue à différents niveaux :
- l’existence d’une aide informelle conditionne en quantité (via, par exemple, le plan d’aide) l’aide professionnelle requise ;
- l’existence de l’aide informelle conditionne la qualité de l’aide professionnelle. Quand l’aidant informel est positif et coopératif, l’aidant professionnel est d’autant plus efficace ;
- le service rendu par l’aidant professionnel à domicile bénéficie aussi à l’aidant informel qui peut se sentir mieux, moins fatigué ;
- la situation économique (revenus, capital) des personnes handicapées est liée à celle des aidants via les mécanismes d’obligation alimentaire et de revenus sur succession.
76Les questions qui figurent dans HID peuvent permettre de mieux comprendre qui aide les personnes en incapacités, quelle est la nature de l’aide, quelle est la charge qui reste à la famille (puisque l’on connaît les revenus de la personne âgée et la prise en charge) et de fonder des travaux microéconomiques plus fiables.
Toutefois, cette richesse potentielle des premières recherches appelle des techniques d’analyse plus élaborées (analyses de données, modélisations…). Les typologies produites par tous les travaux présentés ci-dessus font état de l’hétérogénéité des conditions de vie des personnes de plus de 60 ans. L’analyse théorique de cette hétérogénéité reste à faire : que déduit-on des groupes des personnes âgées et des groupes d’aidants qui ont été construits ? De nombreuses perspectives d’exploitation sont ouvertes pour croiser une approche par populations et une approche par institutions, pour approfondir l’analyse par genre et la compréhension de ce qu’est la demande des différents groupes observés, pour construire des indicateurs plus synthétiques, utilisables pour définir les politiques sociales à partir des statistiques disponibles…
Notes
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Professeur à l’université Paris IX-Dauphine et directrice du LEGOS.
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Les références figurant au bas des tableaux correspondent aux articles d’où sont extraites les données HID. Certains tableaux ont été importés directement des articles cités, d’autres résultent de regroupements de différents résultats.