1Le projet de loi relatif à la bioéthique, déposé au Parlement en juin 2001, a été débattu et adopté en première lecture à l’Assemblée nationale en janvier 2002. Son cheminement au Parlement doit se poursuivre par la première lecture au Sénat, pour laquelle le calendrier n’est pas fixé.
Pourquoi un projet de loi sur la bioéthique ?
2En 1994 trois lois, couramment appelées lois de « bioéthique », ont été adoptées : la loi n? 94-548 du 1er juillet 1994 relative au traitement de données nominatives ayant pour fin la recherche dans le domaine de la santé, qui modifiait la loi « informatique et libertés » de 1978 ; la loi n? 94-653 du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain et la loi n? 94-654 de la même date, relative au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain, à l’assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal. C’est à cette dernière loi, la troisième de la série, que l’on fait référence lorsqu’on parle, au ministère chargé de la Santé de « la » loi bioéthique, bien que la « deuxième loi bioéthique » de la même date traite en grande partie des mêmes sujets, mais sous l’angle de principes plus généraux, introduits dans le Code civil. On peut y adjoindre, sur une thématique très proche, la loi du 20 décembre 1988 relative à la protection des personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales, dite « loi Huriet », qui les avait précédées.
3Les lois de 1994 ont été adoptées après une réflexion et des débats mûris pendant de longues années, portant notamment sur la question de savoir s’il fallait ou non légiférer en de telles matières. Leur élaboration a été nourrie par de nombreux travaux, notamment le rapport du Conseil d’État de 1988 Sciences de la vie, de l’éthique au droit et par les avis rendus par le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et la santé (CCNE) depuis sa création en 1983.
4Lors de leur adoption, le législateur avait anticipé les évolutions scientifiques, et peut-être aussi les évolutions sociales, qui pourraient rendre nécessaire un réexamen rapide ; prenant aussi en compte le caractère novateur de cette législation, il avait également considéré que l’expérience des premières années d’application pourrait conduire à souhaiter des modifications. C’est pourquoi la loi n° 94-654 (la loi bioéthique « santé ») a prévu qu’elle ferait l’objet, au bout de cinq ans, d’un « nouvel examen » par le Parlement, après évaluation de son application par l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques. Ce nouvel examen s’est traduit en fait par le dépôt par le gouvernement d’un projet de loi.
5Ce projet de loi a lui-même été précédé de nombreux travaux et a été soumis à de nombreux avis : on ne saurait les énumérer tous ici, on se contentera de citer le rapport de l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques et le rapport demandé par le gouvernement au Conseil d’État publié sous le titre Les lois de bioéthique : cinq ans après.
6Comme s’y attendait le législateur de 1994, les évolutions scientifiques et techniques ont révélé de nouvelles questions, suscité de nouveaux débats, voire avivé des inquiétudes : ainsi le développement des techniques de clonage qui ont abouti à la naissance de la brebis « Dolly », qui a provoqué, comme l’indique le Conseil d’État, une « poussée d’inquiétude collective » obscurcissant la perception de l’intérêt thérapeutique de l’application de cette technique aux cellules embryonnaires, le débat se concentrant sur le clonage reproductif.
On peut constater en tout cas que la question de savoir s’il fallait ou non légiférer n’est plus guère posée. La demande d’encadrement législatif et réglementaire du développement des techniques nouvelles a plutôt tendance à croître, tant de la part des professionnels que de l’opinion publique. Par ailleurs des textes internationaux ont été adoptés, notamment la convention du Conseil de l’Europe sur les droits de l’homme et la biomédecine du 4 avril 1997, dite Convention d’Oviedo, et plusieurs pays se sont dotés de lois traitant de ce domaine.
Les grandes thématiques et les principales options du projet de loi
7Les grandes thématiques traitées par le projet de loi restent pour l’essentiel les mêmes qu’en 1994 : la génétique humaine, le don et l’utilisation des éléments et produits du corps humain, la médecine de la reproduction et notamment l’assistance médicale à la procréation et le diagnostic prénatal. Cependant la question de la recherche sur l’embryon, traitée marginalement en 1994, et pratiquement interdite à l’époque, est devenue une thématique en soi, celle peut-être qui a le plus attiré l’attention et donné lieu aux plus nombreux débats, d’autant que des débats analogues et tout aussi vifs agitaient au même moment d’autres pays, comme la Grande-Bretagne et les États-Unis. C’est sur ce point que le projet de loi a paru apporter le plus d’innovation.
8Le titre de ce projet de loi : « projet de loi relatif à la bioéthique » consacre pour la première fois le terme de bioéthique au niveau législatif. Il s’agit, selon l’exposé des motifs, d’en reconnaître l’acception la plus courante de ce terme, qui regroupe : le don et l’utilisation d’éléments et produits du corps humain, l’assistance médicale à la procréation et toutes les questions éthiques liées à l’amont de la naissance, la manipulation du génome ou des connaissances sur le génome, auxquelles on pourrait ajouter l’utilisation des données de santé à caractère personnel dans la recherche (loi du 1er juillet 1994) et l’expérimentation sur l’homme (loi « Huriet »), qui ne sont pas traitées dans le projet de loi.
9Pour essayer d’aller au-delà d’une définition sous forme d’une simple énumération, l’exposé des motifs du projet de loi tente la proposition suivante : la bioéthique s’entendrait des questions éthiques et sociétales liées aux innovations médicales qui impliquent une manipulation du vivant : expérimentations sur l’homme, greffes d’organes et utilisation des parties du corps humain, « procréatique », interventions sur le patrimoine génétique, etc. Ces innovations font appel à des techniques qui mettent enjeu de façon nouvelle la dignité de la personne, la protection de l’intégrité de son corps, le respect de la vie dès son commencement, le respect des morts. Elles posent des questions d’identité de la personne. Ce sont (toujours selon l’exposé des motifs) des sujets sur lesquels la société éprouve le besoin de débattre et de légiférer en se plaçant sur un terrain plus large que celui de la seule organisation du système de santé ou de la déontologie professionnelle et qui nécessitent souvent de formuler ou reformuler des principes de droit civil en étroite imbrication avec le droit à la santé.
Deux grandes options inspirent la plupart des dispositions du projet, à travers les différents sujets traités :
- un renforcement des garanties en matière d’information des personnes, de respect de leur volonté, de rigueur quant aux procédures de recueil de leur consentement, de transparence en ce qui concerne le fonctionnement du système de santé ; ce souci est cohérent avec le contexte de promotion des droits des personnes malades et des usagers du système de santé ;
- en second lieu, la prise en compte des évolutions scientifiques, particulièrement au regard des possibilités éventuelles de mise au point de nouveaux traitements destinés à des maladies incurables, ce que l’exposé des motifs traduit en évoquant la « valeur éthique » qui s’attache à l’amélioration de la qualité et de l’efficacité des soins ; c’est notamment le cas en ce qui concerne les ouvertures proposées par le projet dans le domaine de la recherche sur l’embryon in vitro, l’un des principaux sujets de débat éthique et sociétal de ce projet.
La génétique
11Le projet déposé par le gouvernement en juin 2001 comportait d’abord un chapitre relatif à la prohibition des discriminations, qui a finalement pris place dans la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé : de ce fait, ce chapitre désormais redondant a été supprimé par amendement.
12Pour le reste le projet ne comporte pas de bouleversement important concernant la génétique, mais il améliore les dispositions existantes en les clarifiant et renforce les droits des personnes.
L’examen des caractéristiques génétiques
13Le projet procède d’abord à des réaménagements techniques et terminologiques entre le Code civil et le Code de la santé publique notamment en harmonisant les expressions employées par les différents codes pour désigner les mêmes activités. Il renforce également les droits des personnes.
14En ce qui concerne la terminologie, d’une part, la notion d’« examen des caractéristiques génétiques », qui figure d’ores et déjà dans le Code de la santé publique et qui paraît plus appropriée et plus exacte, est substituée à l’expression « étude génétique », utilisée par le Code civil et le Code pénal. D’autre part, dans l’intitulé du titre III du livre Ier de la première partie du Code de la santé publique, l’expression « médecine prédictive » est remplacée par celle d’« examen des caractéristiques génétiques », qui correspond mieux à l’objet de ce titre. En effet, la médecine prédictive recouvre un secteur d’activité bien plus large que celui des seuls examens des caractéristiques génétiques. Inversement, un examen des caractéristiques génétiques peut être réalisé pour d’autres raisons que des raisons prédictives, par exemple pour établir le diagnostic d’une maladie déjà déclarée.
15S’il y a eu peu de contestation à l’Assemblée nationale pour éliminer l’expression « médecine prédictive », il y a eu en revanche discussion sur la question de savoir s’il vaut mieux parler d’« examen des caractéristiques génétiques » ou d’« examen génétique des caractéristiques », ou « étude génétique des caractéristiques ». Il y a là, au-delà des questions de terminologie, un vrai débat de fond sur le champ de ce qu’on veut encadrer de façon renforcée : des caractéristiques génétiques peuvent en effet être détectées à l’occasion d’un simple examen morphologique ou d’examen biologique très courants, alors que la loi vise à encadrer essentiellement l’examen comportant l’analyse du génome. Ce débat avait déjà eu lieu à propos de la loi de 1994 et suscité des difficultés de mise au point du décret d’application, la première formulation apparaissant trop large si on la prend dans toute son extension, la deuxième au contraire trop étroite.
16Les députés ont par, ailleurs, amendé le projet pour renforcer dans le Code civil les conditions de consentement et d’information préalable de la personne concernée, par des dispositions inspirées de la Convention d’Oviedo.
Le texte modifie sur un point important les dispositions du Code de la santé, en restreignant les conditions dans lesquelles il peut être dérogé à l’obligation de recueillir le consentement de la personne concernée aux seuls cas d’impossibilité matérielle de recueil de ce consentement. Le texte de 1994 se contentait de prévoir cette possibilité « à titre exceptionnel » et « dans le respect de (la) confiance » de la personne. Cette modification est dans la ligne du renforcement des droits des personnes malades et du respect de leur volonté. Elle est en cohérence avec les dispositions de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades, cohérence qui a encore été renforcée par les députés en ajoutant la mention de la consultation, en de tels cas, de la « personne de confiance » définie par cette loi, ou de la famille, ou d’un des proches du malade.
L’identification par empreintes génétiques post mortem
17Un sujet important traité par ce chapitre concerne l’identification par empreintes génétiques dans le cadre d’une procédure judiciaire. Le texte vise à combler une lacune de l’article 16-11 du Code civil. Cet article, qui dispose qu’en matière civile, le consentement de l’intéressé doit être préalablement et expressément recueilli, n’indique pas la règle à suivre pour la réalisation d’un tel examen chez une personne décédée qui n’aurait pas de son vivant fait connaître sa volonté. Ces dispositions ont donné lieu à des interprétations divergentes, qui ont eu un certain retentissement à propos de l’affaire Montand. La reconnaissance de la possibilité pour la personne de refuser de son vivant une telle expertise n’apparaît pas compatible avec la possibilité de l’imposer après le décès sans aucune prise en compte de la volonté du défunt. S’il y avait un accord général pour préciser cette question, le texte a évolué au fil de son cheminement sur la réponse à donner. Le projet de loi précisait, conformément aux recommandations du Conseil d’État, que la mise en œuvre de cet examen chez une personne décédée n’est pas possible si celle-ci a expressément manifesté son opposition de son vivant, optant pour un régime de consentement présumé analogue à celui qui est adopté en matière de prélèvement d’organes sur une personne décédée. La « petite loi » (issue de la première lecture à l’Assemblée nationale) opte pour une solution très différente, puisqu’elle exige l’accord exprès de la personne concernée, manifesté de son vivant, pour pouvoir réaliser cette identification après le décès.
Enfin (article 4) le texte modifie l’article L. 1131-4 du Code de la santé publique, relatif aux collections d’échantillons biologiques constituées ou utilisées à des fins de recherche génétique. Le régime d’encadrement devient le même que celui concernant la conservation et la transformation d’éléments et produits du corps humain à des fins de recherche scientifique (encadrement qui est élargi à tout échantillon biologique recueilli à des fins de recherche et n’est plus limité aux collections d’échantillons prélevés sur des groupes de personnes identifiées en fonction de caractéristiques précises).
Don et utilisation d’éléments et produits du corps humain
Les principes généraux
18S’agissant du don et de l’utilisation des éléments et produits du corps humain, objet du titre II, le projet de loi commence par modifier (article 5) les dispositions du Code de la santé publique relatives aux principes généraux en la matière.
19Les principes fondamentaux ne sont pas modifiés : les modifications apportées visent essentiellement à les renforcer et sur certains points à les préciser.
20Le nouveau texte interdit ainsi toute activité afférente aux éléments et produits du corps humain qui serait dépourvue de finalités médicales, scientifiques ou judiciaires, notamment s’agissant d’importation et d’exportation. En effet la rédaction actuelle de la loi, qui n’impose de telles finalités qu’aux prélèvements, est incomplète.
21Il comporte, aussi, à propos du consentement du donneur d’un élément du corps humain, des dispositions qui tendant à préciser des questions difficiles et importantes pour la recherche, concernant d’une part ce qu’on appelle le « changement de finalité », d’autre part les autopsies. Enfin, il introduit dans la loi la notion, désormais classique, de balance bénéfice-risque.
22S’agissant du changement de finalité, il s’agit de clarifier deux types de situations :
- l’utilisation à des fins scientifiques d’un prélèvement fait à des fins médicales pour autrui (don du sang en vue de transfusion) ou pour soi-même, par exemple à des fins diagnostiques (prélèvement de sang pour des analyses de biologie médicale) : dans la mesure où le consentement explicite du donneur ou implicite du patient n’a porté que sur la finalité du prélèvement prévue au départ, un tel changement d’utilisation peut être considéré comme interdit. Elle ne respecte pas, en effet, la volonté explicite ou implicite de la personne. Cette stricte lecture de la loi pose, cependant, problème au regard de la nécessité de disposer d’échantillons biologiques à des Uns de recherche ou de contrôle de qualité, et des pratiques existant en fait (utilisation de « fonds de tubes » à des fins de recherche, demande aux établissements de transfusion sanguine de poches de sang pour des évaluations de réactifs…) ; de telles pratiques ne sont pas illégitimes au regard du fait qu’elles évitent de procéder inutilement à de nouveaux prélèvements spécifiquement pour la recherche ;
- l’utilisation d’un prélèvement fait dans le cadre d’une recherche scientifique pour une autre recherche : on peut certes considérer que le consentement n’a été donné que pour la première recherche et que l’on ne peut réutiliser le prélèvement dans le cadre d’une autre recherche. Poussée à l’extrême, l’application de ce principe reviendrait à imposer la destruction des collections d’échantillons biologiques dès lors que la recherche initiale pour laquelle elles ont été constituées aurait abouti.
23L’autre nouveauté du texte sur ce type de questions concerne les autopsies médicales. Ce terme ne figurait pas explicitement dans la loi de 1994, mais celle-ci comportait des dispositions complexes, peu claires et néanmoins contraignantes sur les prélèvements à des fins scientifiques effectués sur les personnes décédées. Cette complexité est préjudiciable au respect des principes éthiques, car elle a pour corollaire leur méconnaissance et par voie de conséquence leur non respect, même involontaire. La loi de 1994 a parfois été rendue responsable de la baisse du nombre d’autopsies médicales réalisées. Or, l’autopsie reste dans certains cas indispensable pour comprendre les causes de la mort et améliorer la connaissance médicale, voire comme instrument de contrôle de qualité interne de la médecine. Ce sujet, apparemment technique, comporte des enjeux importants pour les médecins et pour la santé publique.
24Les termes d’« autopsie médicale » sont désormais inscrits dans la loi qui les définit comme ayant pour but de rechercher les causes – directes et indirectes – du décès.
25S’agissant des conditions de leur réalisation, le texte renvoie au droit commun relatif aux prélèvements sur personne décédée, c’est-à-dire à un régime de consentement présumé (non opposition) instauré par l’article 7 du texte pour tous ces prélèvements.
26Le projet de loi introduit cependant une exception à la règle du consentement présumé pour procéder à une autopsie, et par conséquent autorise sa réalisation même malgré une opposition, en cas de nécessité impérieuse pour la santé publique. Il s’agit essentiellement de permettre aujourd’hui le suivi épidémiologique des encéphalopathies spongiformes subaiguës transmissibles (ESST) dont le diagnostic ne peut pour l’heure être établi en toute certitude que par des examens anatomopathologiques pratiqués post mortem, ou demain le suivi d’une autre pathologie dont la gravité serait susceptible de mettre en danger la santé publique et dont le contrôle nécessiterait que des autopsies puissent être effectuées. La mise en œuvre de cette dérogation au principe du consentement doit demeurer exceptionnelle : dans cet esprit, les députés ont ajouté une disposition prévoyant la précision par arrêté ministériel des pathologies et des situations justifiant la réalisation des autopsies dans ces conditions.
Le projet complète enfin les principes généraux en posant le principe de l’appréciation du rapport entre le risque et le bénéfice escompté de l’utilisation d’un élément ou d’un produit d’origine humaine. Le principe de l’appréciation de la balance « bénéfice-risque » existait déjà au niveau législatif pour les personnes se prêtant à des recherches biomédicales (article L. 1121-2). Il a également été posé, sur un plan plus général, par la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades. Pour les greffes, il est inscrit au niveau réglementaire (article R. 665-80-8). Il est apparu souhaitable que l’affirmation d’un tel principe soit rehaussée au niveau législatif, comme l’a recommandé le Conseil d’État.
Prélèvement d’organes
27Les principaux changements apportés par le projet de loi ont trait à l’élargissement des possibilités de greffe avec donneur vivant et aux modalités de consentement au prélèvement d’organes chez une personne décédée.
La greffe avec donneur vivant : élargissement du cercle des donneurs
28La loi de 1994 a restreint le « cercle » des donneurs potentiels d’organes autour de la personne malade à la proche famille biologique (père, mère, enfants, frères et sœurs) et, exceptionnellement au conjoint «en cas d’urgence ». L’objectif était principalement d’éviter des dérives de type commercial au sens large, c’est-à-dire tout type de contrat, d’échange, de promesse d’avantage. La greffe avec donneur vivant est en tout état de cause peu développée en France, contrairement aux pays du nord de l’Europe.
29Les travaux menés dans le cadre de l’évaluation de la loi de 1994 et préparatoires à sa révision ont fait apparaître un consensus des instances consultées en faveur d’un certain élargissement du cercle des donneurs vivants. Cette mesure a, généralement, été proposée dans le but d’atténuer la pénurie structurelle d’organes accessibles au prélèvement, et ce d’autant plus que les résultats obtenus depuis 1994 ont confirmé l’intérêt qualitatif des prélèvements sur donneur vivant.
30Le projet de loi propose d’élargir ce cercle, non seulement en raison de la pénurie d’organes, mais aussi pour prendre acte de la réalité de la société, dans laquelle des liens affectifs étroits et solides existent en dehors des liens familiaux ou entre parents plus éloignés. D’autres arguments plaident pour cette mesure : les meilleurs résultats obtenus en termes de survie fonctionnelle ; la possibilité d’une moindre pression morale sur un donneur potentiel du fait que plusieurs autres recours existeraient.
31Le texte supprime tout d’abord la condition d’urgence pour permettre le don d’organe par le conjoint, condition qui est apparue assez généralement peu pertinente.
32Il tend ensuite à permettre, par dérogation, le don par toute autre personne ayant avec le receveur « un lien étroit et stable de nature à garantir le respect des principes généraux » mentionnés plus haut.
33Cette extension est très strictement encadrée : d’abord par la définition même du lien exigé, qui suppose une proximité affective durable, d’une nature telle que puisse être exclu tout risque de commerce ou d’échange et être assuré que le consentement du donneur est bien libre et éclairé. Ensuite par un régime d’autorisation du don par un comité d’experts, autorisation qui se superpose – car elle a un autre objet – à l’expression du consentement devant un magistrat du tribunal de grande instance, qui est obligatoire de toute façon en cas de don d’organe par une personne vivante.
Enfin l’Établissement français des greffes doit être informé de tout prélèvement d’organes à des fins thérapeutiques sur une personne vivante, disposition nouvelle qui pourrait permettre notamment la tenue d’un registre des greffes avec donneurs vivants, afin d’assurer un suivi à long terme de cette activité. Un tel registre est souhaité par la communauté médicale. L’Assemblée nationale a explicité cela en adoptant un amendement prévoyant un rapport d’évaluation sur la pratique de ces prélèvements, transmis au Parlement tous les quatre ans.
Le prélèvement d’organes sur une personne décédée : unification et simplification
34Le principal changement par rapport à 1994 est l’unification des modes de consentement selon les différentes situations. C’est désormais, conformément à la proposition du Conseil d’État, l’unique régime du consentement présumé qui s’applique quelle qu’en soit la finalité, qu’il s’agisse d’un prélèvement à visée thérapeutique ou scientifique. Il s’agit à la fois de simplifier la loi, pour mieux en garantir le respect, et de stabiliser le nombre des prélèvements aux fins de recherche médicale, qui a considérablement diminué, en raison notamment de l’opacité du dispositif et de la complexité des règles d’expression du consentement.
35Le régime du consentement présumé consiste en ce que le prélèvement ne peut être effectué que s’il n’y a pas d’opposition, exprimée de son vivant, par la personne décédée. Ce refus peut avoir été exprimé par tout moyen, notamment par l’inscription sur un registre national automatisé. Si le défunt n’a pas exprimé directement son refus, on a recours à des témoignages pour connaître sa volonté.
36Il va de soi que la généralisation du principe du consentement présumé doit s’accompagner de la garantie du respect de la volonté des personnes lorsqu’elles sont opposées au prélèvement. Sur ce point, il faut signaler que l’outil nécessaire est déjà fonctionnel. En effet, le Registre national des refus de prélèvements, tenu par l’Établissement français des greffes (EFG), permet déjà aujourd’hui de signifier son opposition à l’autopsie ou à des prélèvements à fins scientifiques. À ce jour, avant tout prélèvement et toute autopsie, ce registre, qui mentionne les types de prélèvements auxquels sont opposées les personnes inscrites, est consulté.
37Le texte modifié conduit à ce que la volonté du défunt soit recherchée auprès de ses « proches » et non plus seulement de la « famille » comme le disait le texte de 1994. La notion de famille est aujourd’hui trop restrictive au regard de l’évolution sociale et n’offre plus une garantie suffisante dans les cas fréquents où la personne majeure décédée n’a pas d’entourage familial. Par ailleurs, la rédaction tente de lever l’ambiguïté fréquemment perçue sur le rôle des proches qui est de faire connaître la volonté du défunt, s’ils la connaissent, mais non la leur. Enfin, concernant les proches, il est prévu qu’ils soient informés de la finalité des prélèvements envisagés et de leur droit à connaître, s’ils le souhaitent, les prélèvements effectués. Il s’agit là de répondre à un souhait d’information et de transparence.
En contrepartie à l’assouplissement des conditions imposées aux prélèvements à des fins scientifiques, le texte subordonne la réalisation de prélèvements à fins scientifiques à l’existence d’un protocole de recherche afin de garantir le sérieux de la recherche et la nécessité du prélèvement, et exige la communication à l’EFG de tout protocole de recherche préalablement à tout prélèvement scientifique autre que dans le cadre d’une autopsie. L’appréciation de l’EFG porte sur le cadre général de cette recherche et non sur une expertise technique de la recherche elle-même ; l’EFG signale les cas posant problème au ministre chargé de la Recherche ; le ministre invite le responsable de la recherche à en justifier le bien-fondé ; à défaut de justification, le ministre chargé de la Santé peut interdire la poursuite du protocole.
Tissus, cellules, produits du corps humain
38Le texte (articles 8 à 13, à l’exception de dispositions concernant le don de gamètes, traitées ci-dessous) procède sur ce sujet à des modifications plus techniques, notamment à une redéfinition et à une reclassification des différents régimes juridiques applicables aux cellules.
39La classification existante, résultant de la loi de 1994 et de modifications ultérieures, est très complexe et n’est plus adaptée aux évolutions médicales et technologiques récentes. Ainsi, les cellules de la moelle hématopoïétique (« moelle osseuse ») sont classées parmi les organes ; les cellules non destinées à des thérapies génique et cellulaire obéissent à un régime juridique différent de celles qui sont destinées à de telles thérapies. Enfin, les produits de thérapie cellulaire xénogénique et les produits de thérapie génique ne comportant pas de cellules d’origine humaine sont régis par les dispositions relatives aux éléments du corps humain. L’impossibilité de trouver une frontière scientifiquement fondée entre les produits de thérapie cellulaire et les cellules non destinées à ces thérapies ainsi qu’un souci de cohérence juridique et de clarté, conduisent à proposer une nouvelle classification plus simple et plus cohérente de ces produits et à harmoniser dans la mesure du possible les dispositions qui leur sont applicables.
40Le texte introduit donc un titre V dans le livre Ier de la cinquième partie du Code de la santé publique relative aux produits de santé, intitulé : « Produits de thérapie génique et produits cellulaires d’origine animale à finalité thérapeutique ». Ces produits, auparavant inclus dans le livre relatif aux éléments et produits du corps humain, en ont été extraits parce qu’ils ne comportent ni n’utilisent de cellules d’origine humaine. Les produits qui ne comportent pas des cellules d’origine humaine, à savoir les produits cellulaires d’origine animale et les produits de thérapie génique qui n’utilisent pas des cellules pour transférer du matériel génétique, sont traités dans ce nouveau titre inséré dans la cinquième partie du Code de la santé publique. Le transfert des dispositions relatives aux produits de thérapie génique dans ce nouveau titre, tient compte du fait que la plupart de ces produits n’incorporent pas des cellules d’origine humaine. Ils sont, dans leur très grande majorité, des vecteurs viraux (adénovirus, rétrovirus, etc.) ou des vecteurs dits « inertes », tel l’ADN plasmidique dont la fabrication fait appel à des procédés de biotechnologies ou de synthèse chimique.
41Le texte comporte également des dispositions en matière de consentement au prélèvement, en alignant pour une part les garanties fondamentales en matière de prélèvement de tissus et de cellules sur celles qui s’appliquent aux prélèvements d’organes. Il modifie le régime des résidus opératoires (tissus prélevés à l’occasion d’une intervention thérapeutique au bénéfice de la personne chez qui ils sont prélevés) en subordonnant leur utilisation ultérieure à l’absence d’opposition de la personne, préalablement informée des finalités de cette utilisation, alors que la loi de 1994 n’appliquait pas, dans ce cas, le principe du consentement. Cette modification importante permet à la législation française d’être en conformité avec la Convention d’Oviedo. Il précise enfin le statut des d’échantillons biologiques conservés à des fins scientifiques, notamment des collections d’échantillons biologiques.
Procréation et embryologie
42Il s’agit évidemment des sujets sur lesquels se sont focalisés l’intérêt et le débat : clonage, recherche sur l’embryon, à un moindre degré l’assistance médicale à la procréation.
Le clonage reproductif: exploitation de l’interdiction
43Le projet de loi (article 15) insère dans l’article 16-4 du Code civil un alinéa qui interdit « toute pratique ayant pour but de faire naître un enfant, ou se développer un embryon humain, qui ne seraient pas directement issus des gamètes d’un homme et d’une femme » (le mot « humain » ayant été ajouté par l’Assemblée nationale). Se trouve ainsi posée de manière explicite l’interdiction de tout procédé susceptible de conduire à un clonage reproductif, même si beaucoup estimaient que le Code civil contenait déjà de façon implicite cette interdiction. Le Conseil d’État, tout en validant cette interprétation sur un plan strictement juridique, a cependant estimé opportune cette explicitation.
44Il y a eu débat cependant, au cours de l’élaboration du projet de loi, sur la formulation qu’il convenait de donner à ce principe : le Conseil d’État proposait d’interdire « toute intervention ayant pour but de faire naître un enfant ou de faire se développer un embryon humain dont le génome serait identique à celui d’un autre être humain vivant ou décédé ». La question en débat est de savoir si le fondement de l’interdiction est avant tout la similitude génétique résultant du clonage ou plutôt le contournement de la reproduction sexuée.
45Les deux approches sont en fait liées. Comme l’explique l’exposé des motifs, « dans l’acte de procréation, un homme et une femme contribuent à la création d’un être aux caractéristiques imprévisibles et échappant à un quelconque déterminisme, contribuant ainsi à la reconnaissance de sa singularité et de son autonomie, deux éléments essentiels de la condition humaine. Aucune motivation basée sur un fantasme récurrent d’immortalité ou sur un acharnement procréatif, aucune finalité prétendue médicale ne pourrait légitimer un modèle de reproduction qui constituerait une atteinte dégradante aux droits et à la dignité de la personne humaine. Des êtres humains ne sauraient être créés comme purs moyens au service d’objectifs qui leur seraient extérieurs ». Ces considérations plaideraient pour la formulation du Conseil d’État. Cependant interdire cette visée de reproduction à l’identique revient dans une certaine mesure à donner crédit à un fantasme qui met en doute l’identité personnelle et la singularité d’un être humain qui serait mis au monde dans ces conditions. Même si cette visée est inacceptable, il est important de souligner qu’elle est, en outre, fantasmatique. En revanche, elle suppose une transgression bien réelle, à savoir le refus de cette réalité humaine fondamentale qu’est la reproduction sexuée, dans une volonté sans frein de manipuler la vie. C’est ainsi que conclut finalement l’exposé des motifs : « Un tel contournement de la reproduction sexuée constituerait une inadmissible instrumentalisation de la personne ».
Organisation de l’encadrement : l’Agence de la procréation, de l’embryologie et de la génétique humaine
46Une nouvelle agence est créée, dénommée « Agence de la procréation, de l’embryologie et de la génétique humaines » (APEGH), dotée d’un Haut Conseil multidisciplinaire, dont les membres seront désignés de façon à lui conférer l’autorité, la compétence et l’indépendance nécessaires à ses missions.
47La création de cette structure, qui était recommandée par le Conseil d’État, répond à plusieurs objectifs.
48Il s’agit d’abord de renforcer l’encadrement des activités de soins relatives à l’assistance médicale à la procréation, au diagnostic prénatal et au diagnostic préimplantatoire. L’évaluation de la loi n° 94-654 du 29 juillet 1994 avait mis en évidence cette nécessité, au vu des insuffisances actuelles, notamment liées au manque de moyens mis à la disposition de la Commission nationale de la médecine et de la biologie de la reproduction et du diagnostic prénatal (CNMBRDP). Les domaines à renforcer sont en particulier l’évaluation et le suivi des activités.
49Le second objectif est lié à la nécessité d’encadrer les nouveaux champs de la recherche sur l’embryon in vitro, ouverts par cette révision législative, ce qui nécessite une instance dotée à la fois de l’expertise et de l’indépendance nécessaires pour avoir un avis éclairé et libre sur ces questions.
50Le troisième objectif vise à se doter d’un organe de conseil et de veille, compétent non seulement dans le champ de l’assistance médicale à la procréation et de l’embryologie, mais aussi dans celui d’autres sujets couverts par la loi bioéthique, comme notamment celui de la génétique.
51La création de l’Agence de la procréation, de l’embryologie et de la génétique humaines vise à la fois à renforcer l’encadrement et donc la qualité des pratiques de soins et des activités de recherche relatives aux divers champs qui relèveront de sa compétence, mais aussi à servir d’interface entre les professionnels, médecins ou chercheurs, les pouvoirs publics et la société sur ces sujets à la fois sensibles sur le plan éthique et sociétal et en permanente et rapide évolution.
52L’Agence de la procréation, de l’embryologie et de la génétique humaines est un établissement public administratif de l’État, placé sous la double tutelle des ministres chargés de la Santé et de la Recherche, mais disposant en son sein d’un Haut Conseil, organe pluridisciplinaire dont la composition et le mode de fonctionnement garantiront la haute qualité et l’indépendance.
53Il y a constamment eu débat sur la portée du rôle de l’Agence, et notamment sur ses pouvoirs de décision : le rapport du Conseil d’Etat recommandait la création d’une agence ayant pouvoir de décision tant en matière d’activité de soins (AMP) qu’en matière de recherche.
54Le projet de loi présenté au Parlement prenait l’option inverse. D’une part en matière d’activité de soins, il avait pris en considération le fait que ces activités sont insérées dans le système de santé, puisqu’elles sont réalisées dans des établissements de soins et des laboratoires d’analyses, et qu’il importait de laisser les décisions concernant ces activités insérées dans le pilotage général du système de santé. L’intention était du reste de déconcentrer désormais les décisions d’autorisation, qui reviendraient aux agences régionales de l’hospitalisation (ARH). L’Agence devait avoir un rôle d’expert dans l’élaboration des règles, et en cas de besoin de soutien et de conseil aux ARH et aux corps d’inspection dans les décisions et les opérations de contrôle, sans que sa consultation soit systématique. S’agissant des activités de recherche, le projet considérait que la décision finale dans des questions qui relèvent d’un débat de société revient au pouvoir politique, qui ne peut se défausser de cette responsabilité : l’Agence devait ainsi évaluer les projets et donner un avis aux ministres, qui décidaient.
55L’Assemblée nationale a adopté des amendements qui tracent une voie moyenne : dans le texte adopté en première lecture, l’Agence est systématiquement consultée sur les décisions d’autorisation ou de renouvellement d’autorisation de centres d’AMP ou de diagnostic prénatal ; s’agissant des protocoles de recherche, c’est elle qui les autorise, les ministres chargés de la Santé et de la Recherche conservant cependant le pouvoir de les interdire ou de les suspendre.
Les missions de l’APEGH ainsi reconfigurées, sont, telles qu’elles figurent dans la « petite loi », les suivantes :
- d’évaluer et de suivre les activités médicales et biologiques qui relèvent de sa compétence, c’est-à-dire en matière d’assistance médicale à la procréation, de diagnostic prénatal, de diagnostic préimplantatoire, de génétique humaine ;
- de donner un avis sur les décisions d’autorisation et de retrait d’autorisation concernant ces activités ;
- de contribuer à l’élaboration des règles de bonnes pratiques ;
- d’autoriser les protocoles de recherche sur l’embryon in vitro et les cellules embryonnaires ou fœtales ainsi que sur les protocoles d’évaluation des nouvelles techniques d’AMP ;
- d’assurer une information permanente du Gouvernement et du Parlement (ce que le projet de loi initial appelait « assurer une veille ») sur le développement des connaissances et des techniques relevant de son domaine de compétence et de proposer des orientations.
Don de gamètes
57Les dispositions concernant le don de gamètes sont contenues, pour des raisons tenant à la structure du Code de la santé publique, dans le titre du projet de loi relatif aux tissus et cellules ; elles sont présentées ici avec les questions relatives à la procréation pour plus de clarté. Les principales dispositions en la matière visent à des assouplissements des conditions, parfois excessivement strictes, prévues par la loi de 1994.
58C’est ainsi que sont élargies les conditions actuelles, qui exigent que le donneur fasse partie d’un couple et qu’il ait au moins un enfant à l’intérieur de ce couple. Le maintien d’une référence à la seule notion de parentalité paraît suffisant pour garantir le caractère désintéressé du don de gamètes. Cet élargissement permet aux personnes veuves, divorcées ou célibataires, ayant déjà procréé, d’être donneurs.
59De même le projet de loi porte de cinq à dix le nombre d’enfants nés à partir des gamètes d’un même donneur. L’objectif est d’essayer de répondre, par cet assouplissement, à la situation de pénurie que connaissent actuellement les centres gérant le don de gamètes. Le nombre proposé (dix) est celui qui est retenu par le Royaume-Uni et par les Pays-Bas. Le risque de consanguinité n’est statistiquement accru que pour un nombre beaucoup plus élevé d’enfants.
Diagnostic prénatal et assistance médicale à la procréation
60Le projet de loi apporte peu de changement à l’encadrement législatif du diagnostic prénatal, en dehors de celles qui découlent de la création de l’APEGH : celle-ci est systématiquement consultée pour avis sur les autorisations de centres de DPN. Le texte élargit, par ailleurs, le champ des règles de bonnes pratiques à toutes les activités de diagnostic prénatal, et non seulement à celles qui sont soumises à autorisation.
61S’agissant de l’AMP, les dispositions les plus notables concernent l’évaluation des nouvelles techniques d’AMP, l’assouplissement des conditions d’accès à l’AMP, la question très controversée du transfert d’embryons post mortem, enfin des modifications dans l’encadrement de la conservation des embryons in vitro.
62À la suite d’un amendement adopté par l’Assemblée nationale, le projet adopté en première lecture rend obligatoire l’évaluation préalable de toute nouvelle technique d’AMP avant sa mise en œuvre. Cette évaluation fait l’objet d’un protocole qui doit être autorisé par l’APEGH.
63Deux modifications importantes élargissent les conditions de recours à l’AMP. D’une part, l’AMP est possible pour les couples au sein desquels existe un risque de transmission entre les deux partenaires d’une maladie d’une particulière gravité (infection par le VIH par exemple). D’autre part l’AMP avec tiers donneur, auparavant considérée comme « ultime indication », possible seulement lorsque l’AMP au sein du couple était impossible, est ouverte aux couples qui renoncent à celle-ci, après avoir été informés des possibilités d’échec ou de réussite des différentes techniques. Cette nouvelle liberté permet d’éviter certaines formes d’« acharnement thérapeutique » et de réduire la longueur et la pénibilité du parcours du couple, lorsque l’AMP intraconjugale a peu de chances d’aboutir. Le texte, tout en maintenant une gradation dans les techniques d’AMP proposées aux couples infertiles, leur laisse la possibilité de choisir, après information, le recours au tiers donneur plutôt qu’à une technique d’AMP intraconjugale, si tel est leur souhait.
64La loi de 1994 ne permettait pas que la femme, engagée avec son conjoint dans une procédure d’AMP, puisse obtenir le transfert d’un embryon conservé in vitro si le conjoint venait à décéder avant que ce transfert ait pu avoir lieu. La demande, au demeurant fort rare, de transfert post mortem, a donné lieu à de vifs débats. Le gouvernement avait renoncé à lever cette interdiction, à la suite de l’examen du projet par le Conseil d’État. L’Assemblée nationale a introduit dans le texte la possibilité d’un tel transfert, ce qui entraîne des dispositions très complexes, qu’on ne détaillera pas ici, pour tirer les conséquences de telles situations en matière de droit de la filiation et de droit des successions.
65Le projet de loi modifie les dispositions concernant la conservation des embryons in vitro, notamment pour régler des problèmes laissés en suspens en 1994.
66Le délai de cinq ans concernant la durée de conservation maximale des embryons est supprimé. Il s’agit là de suivre une proposition du Conseil d’État qui estime que la limitation de ce délai de conservation est arbitraire et ne se justifie pas, dès lors que le couple a encore un projet parental et continue d’être en âge de procréer.
67Le texte d’autre part précise qu’un couple qui a des embryons congelés ne peut bénéficier d’une nouvelle tentative de fécondation in vitro avant le transfert de ses embryons congelés. Cette disposition figure déjà dans le guide de bonnes pratiques en assistance médicale à la procréation, qui a fait l’objet d’un arrêté ministériel en date du 12 janvier 1999. Le fait de l’inscrire dans la loi donne du poids à la décision des couples d’accepter la production d’embryons surnuméraires et concrétise le fait qu’un embryon ne peut être conservé que s’il est porteur d’un projet parental.
68Le projet explicite l’ensemble des choix qui sont proposés aux couples qui ne souhaitent pas poursuivre leur projet parental : accueil de l’embryon par un autre couple, don de l’embryon pour la recherche, arrêt de la conservation. En effet, la loi de 1994 n’a prévu l’arrêt de conservation que pour les embryons conçus avant la promulgation de la loi, celui-ci n’étant possible que pour les embryons ne faisant plus l’objet d’une demande parentale, après une durée de conservation d’au moins cinq ans et après qu’il a été vérifié que l’accueil par un autre couple n’est pas possible. Il s’agissait d’un dispositif transitoire, ne réglant pas le sort d’embryons conçus depuis l’entrée en vigueur de la loi et ne faisant plus l’objet d’un projet parental. Actuellement, aucun arrêt de conservation ne peut être pratiqué, pour quelque motif que ce soit, et même si cet arrêt est souhaité par le couple ayant conçu l’embryon.
Les nouvelles dispositions prévoient donc que les membres du couple, dont les embryons sont conservés, sont consultés chaque année sur le point de savoir s’ils maintiennent leur projet parental. Elles précisent la procédure d’arrêt de conservation : consentement écrit des deux membres du couple, confirmé après un délai de réflexion. Cette formalisation est cohérente avec l’esprit de la loi qui met l’accent sur le respect de la volonté des couples et leur responsabilisation face au devenir de leurs embryons.
Le texte prévoit ensuite de mettre fin à la conservation d’embryons conservés depuis plus de cinq ans, en l’absence de réponse d’un des membres du couple quant au maintien du projet parental ou en cas de désaccord entre les deux membres du couple. Enfin, il fixe une durée maximale de conservation pour les embryons en attente d’accueil. Il s’agit d’embryons pour lesquels les géniteurs ont consenti à ce qu’ils soient accueillis par un autre couple mais pour lesquels l’accueil n’a pu être effectif. Il est apparu raisonnable de fixer un délai de conservation maximale de cinq ans à compter du moment où le couple a consenti à l’accueil.
Recherche sur l’embryon et les cellules embryonnaires
69L’une des principales innovations du projet de loi est d’autoriser la recherche sur l’embryon, interdite par la loi de 1994. L’ouverture proposée par le texte est très encadrée : les recherches ne seront possibles que sur des embryons surnuméraires ne faisant plus l’objet d’un projet parental, si les protocoles qui les sous-tendent ont été dûment autorisés par l’APEGH, et sous la condition expresse du consentement des deux membres du couple à l’origine de l’embryon.
70L’ouverture proposée est surtout motivée par le souci de permettre les progrès pour le traitement des maladies incurables qui pourraient résulter de recherches menées à partir de cellules souches embryonnaires. Les cellules d’un embryon à ses premiers stades de développement sont totipotentes, c’est-à-dire capables de se différencier en autant de types cellulaires qu’il en existe dans l’individu. Elles ont de plus un grand pouvoir de multiplication. Les expériences de différenciation in vitro et d’application thérapeutique à partir de ces cellules chez l’animal ouvrent de grands espoirs d’application chez l’homme dans diverses pathologies (maladies neurodégénératives, hépatites, diabète, traitement des grands brûlés). Ces perspectives nouvelles nécessitent, pour pouvoir être concrétisées, que soient menées, après celles qui sont menées sur l’animal, des recherches à partir de cellules totipotentes humaines. Cette phase est indispensable pour étudier les mécanismes spécifiques de la différenciation cellulaire humaine. Outre leur utilisation en thérapeutique, ces recherches pourraient également apporter des éléments essentiels pour la compréhension de la formation des cancers. Or, les cellules totipotentes humaines n’existent, avec leurs caractéristiques ci-dessus mentionnées, qu’aux stades embryonnaires initiaux. Les experts débattent sur les autres possibilités qu’offrirait la recherche sur les cellules souches adultes.
71Cette ouverture très strictement encadrée, tant dans ses finalités qui ne peuvent être que thérapeutiques et à condition qu’il n’y ait pas d’autre piste possible, que dans les garanties données quant à l’information et au consentement des couples et enfin par le pouvoir d’autorisation donné à l’APEGH, a donné lieu à des débats très importants. De nombreuses objections ont été faites : les progrès de la biologie et notamment de la thérapie génique faisant de l’embryon un « patient potentiel », la recherche sur l’embryon ne pourrait être autorisée que si elle peut bénéficier directement ou indirectement aux embryons. Des craintes se sont également exprimées que les besoins de la recherche ne conduisent à une pression pour obtenir la création d’embryons à des fins de recherche, le recours à des embryons surnuméraires sans projet parental n’étant plus suffisant. Enfin il conviendrait d’encourager plutôt la recherche sur les cellules souches adultes. Ce débat n’est certainement pas clos et ne manquera pas de se poursuivre dans la suite du parcours législatif du projet.
72Le projet comporte enfin des dispositions sur l’utilisation des cellules embryonnaires ou fœtales issues d’interruptions de grossesse (volontaires ou spontanées). Il vise à combler le vide juridique existant en ce qui concerne le prélèvement, la conservation et l’utilisation de ces cellules.
73Les cellules dont il s’agit sont des cellules déjà différenciées, provenant des différents organes de l’embryon ou du fœtus. Il semble que leur utilisation puisse permettre des avancées thérapeutiques significatives. Des essais récents de greffes de neurones fœtaux chez des patients atteints de la maladie de Parkinson ou de la chorée Huntington ont abouti à des résultats intéressants. Des recherches sont en cours dans d’autres pathologies. Si ces recherches méritent d’être poursuivies, elles nécessitent néanmoins d’être aussi précisément encadrées que les autres activités de recherche menées à partir d’éléments du corps humain. C’est pourquoi il est prévu que l’utilisation pour la recherche de prélèvements obtenus à l’issue d’interruptions de grossesse soit systématiquement précédée d’une information de la femme concernée lui permettant de s’y opposer. Ces prélèvements ne peuvent être effectués que dans le cadre de protocoles de recherche, préalablement transmis à l’Agence de la procréation, de l’embryologie et de la génétique humaines. Le ministre chargé de la Recherche peut suspendre un protocole qu’il ne jugerait pas pertinent au plan scientifique.
L’esprit du texte est de permettre le développement des recherches conduisant à la mise au point de nouvelles thérapies cellulaires, tout en y apportant un encadrement adapté et cohérent avec le reste de la loi.