CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Dès son arrivée au pouvoir, en 1997 le gouvernement travailliste a lancé une vaste réforme du système des retraites au Royaume-Uni avec pour corollaire la poursuite du désengagement de l’État dans le financement des pensions et un objectif de consolidation du système par répartition – qui offre aujourd’hui les prestations les plus faibles des pays de l’Union européenne – grâce à l’encouragement et au développement de la responsabilité individuelle. Bien qu’il n’y ait pas à craindre ce que l’on appelle communément de « bombe démographique » dans ce pays, le risque social demeure à terme. Sans réforme, les projections du ministère de l’Emploi et des Affaires sociales (DWP) sont inquiétantes : en 2025, près de la moitié des retraités pourrait relever des régimes de solidarité et les inégalités entre retraités continueraient à s’accentuer.

2L’initiative gouvernementale vise à réorganiser le deuxième pilier en réservant le régime complémentaire public aux plus démunis et en proposant notamment un nouveau plan de retraite individuel bon marché aux revenus modestes et intermédiaires, le « Stakeholder Pension ». Sur ce point, le DWP – le maître d’œuvre de ce dispositif cherche à étendre le « modèle » des régimes de retraites d’entreprise, « qui ont fait leur preuve », aux catégories de personnes qui n’y ont pas accès aujourd’hui, principalement les travailleurs indépendants, les salariés des PME et les personnes sans emplois.

3Le DWP a donc travaillé sur le concept d’une épargne ouverte également aux non salariés, facile d’accès, peu coûteuse, portable et transférable sans pénalités, et présentant toutes les garanties de sécurité des régimes d’entreprise. Afin d’éviter la concurrence fiscale au sein du deuxième étage, le gouvernement a choisi d’aligner l’ensemble de la fiscalité des couvertures supplémentaires privées sur le schéma le plus généreux, et a introduit une innovation fiscale : un impôt négatif pour les personnes non imposables.
Le « Stakeholder Pension » a surtout été conçu pour ne pas reproduire les défauts majeurs des plans de retraites individuels introduits en 1986 sous législature conservatrice, jugés ex post trop chers et peu attractifs pour les revenus modérés et irréguliers. À cela s’ajoute le fait qu’une part encore importante de la population n’a pas accès aux retraites complémentaires alors même que la pension de base reste très faible. Les propositions de ce dispositif prennent place dans un climat particulièrement alourdi par la succession de scandales et d’incidents intervenus au cours des décennies 1980 et 1990 qui ont fragilisé de nombreux pans du système des retraites et durablement entaché la confiance des Britanniques à leur propos. Le « Stakeholder Pension » présenté par le DWP en décembre 1998 [1], puis annoncé dans la loi de finances 1999, est entré en vigueur en avril 2001.

Les raisons d’une réforme profonde du système de retraite britannique

4Les travaillistes ont engagé une réforme de grande envergure du système des retraites pour trois raisons essentielles.

La volonté de poursuivre le désengagement de l’État dans le financement des retraites

5S’inscrivant dans le prolongement des initiatives conservatrices initiées au début des années quatre-vingt la réforme du gouvernement Blair est fondée sur le retrait progressif de la participation de l’État au financement des retraites en renforçant toutefois l’effort budgétaire sur les plus démunis (cf. encadré). Il est projeté que la dépense publique dans ce secteur – aujourd’hui proche de 5,5 % du PIB – s’établisse autour de 4,4 % du PIB d’ici à 2050, selon des estimations récentes réalisées pour le rapport du groupe technique du Comité de la politique économique de l’Union européenne (CPE, 2001). Ces orientations traduisent un certain volontarisme politique et une prudence budgétaire en réponse à l’impact du vieillissement, tels qu’ils figuraient dans le programme budgétaire des conservateurs sortants (3,4 % du PIB en 2050, cf. tableau n° 1). La projection d’une baisse des dépenses publiques (en proportion du PIB) consacrées aux pensions reste, en effet, volontaire sachant que la population des retraités est appelée à s’accroître, à un rythme toutefois moins rapide que dans certains pays voisins européens. Si aujourd’hui on compte plus de trois actifs pour un retraité, il est estimé à l’horizon 2040 moins de deux actifs pour un pensionné. Le gouvernement travailliste prévoit bien dans ce scénario d’inverser la structure moyenne des revenus des retraités qui aujourd’hui proviennent à 60 % des régimes publics et à 40 % des retraites d’entreprise, des plans de retraite individuels et de l’épargne privée.
Dès leur arrivée au pouvoir en mai 1997, les travaillistes avaient demandé aux actuaires du ministère des Affaires sociales un « état des lieux » en matière de perspectives démographiques et de finances publiques pour alimenter leur Livre blanc (DSS [2], 1998). Les principales tendances aux échéances 2025-2050 sont résumées dans le tableau n° 1. Les projections montrent que sans réforme – c’est-à-dire à législation constante et compte tenu des modifications paramétriques engagées par les gouvernements conservateurs depuis vingt ans – en 2025, le risque budgétaire serait écarté mais en contrepartie d’une paupérisation accrue des personnes âgées : environ la moitié de la population retraitée relèverait des autres transferts sociaux et de la solidarité et l’écart de revenus entre les pensionnés riches et pauvres se creuserait considérablement. De surcroît, les propositions de schémas de pensions intégrées (lorsque la retraite d’État de base rentre dans le calcul d’une retraite professionnelle) pourraient renforcer ce fossé. Comme le constate l’OCDE (2000), si le Royaume-Uni est donc moins confronté à un problème de soutenabilité de ses finances publiques à long terme, c’est au prix d’une baisse significative du taux de remplacement des régimes publics de base et complémentaires (SERPS) déjà très faible aujourd’hui comparativement à d’autres pays : proche de 36 % en 1996, il tomberait à 21 % d’après les données officielles du gouvernement Major. La question posée ici est de savoir « si la sortie opérée de l’État assurantiel ne se traduira pas à plus brève échéance par un retour en force de l’État assistanciel » (Reynaud, 1997).

Tableau n° 1 : Projections gouvernementales des pensions publiques britanniques à l’horizon 2050 sans réforme du gouvernement Blair

tableau im1
2000 2025 2050 Inégalités de revenus (en f: parsemaine) - ler quintile Couples 127 180 Célibataires 71 100 - 5e quintile Couples 438 680 Célibataires 218 400 Dépenses budgétaires consacrées aux retraites Dépenses (% du Pib) 4,4 % 4,4 % 3,4 % Nombres deretraités (en millions) 10,5 % 12,7 14,3 Dépense publique par retraité dans le Pib (2000=100) 100 90 58 Sources : DSS (1998), ONS, et « Government Acbary Deparhent », 1996 – based populations projections UK.

Tableau n° 1 : Projections gouvernementales des pensions publiques britanniques à l’horizon 2050 sans réforme du gouvernement Blair

Réduire la pauvreté et les inégalités élevées chez les personnes âgées au Royaume-Uni

6Les systèmes actuels assurent d’ores et déjà une couverture très insatisfaisante, et cette situation est donc appelée à se dégrader encore davantage. Quelques chiffres illustrent le propos. Les ménages britanniques perçoivent des retraites qui sont encore inférieures de 5 % (23 % par rapport à celles des Français et des Allemands) à la moyenne communautaire en 1995 (derniers chiffres Eurostat connus), et qui représentent en moyenne un taux de remplacement proche de 55 %. Cela tient à la faiblesse de la pension de base – guère plus élevée que 16 % du salaire moyen masculin calculé sur l’ensemble de la vie active – (10 % environ des rémunérations moyennes) et aux fortes inégalités existant entre les bénéficiaires de régimes complémentaires. Sept millions d’affiliés au régime complémentaire public (SERPS), soit 20 % de la population active, reçoivent actuellement des retraites d’un faible montant ; entré en vigueur en 1978, et ne donnant pas lieu à reconstitution de carrière, le SERPS versait en 1995 environ 25 % du salaire moyen (cf. Annexe, pour une présentation du système des retraites). Par ailleurs, quatre millions de personnes outre-Manche, dont les trois quarts sont des travailleurs indépendants, n’ont pas de couverture complémentaire et plus de 64 % des Britanniques qui gagnaient moins de 9 000 livres par an (soit environ 8 000 francs par mois) n’adhéraient en 1995 à aucun régime complémentaire privé (tableau n° 3).

7Ce n’est qu’en cumulant les revenus d’activité et les transferts sociaux (hors pension) – plus élevés qu’ailleurs – et dans une moindre mesure le patrimoine détenu, que les ménages de retraités britanniques parviennent à disposer de ressources comparables à celles des autres États membres de l’Union européenne. Cette observation n’est pas valable pour les femmes âgées qui ont beaucoup moins travaillé que leurs homologues masculins, en sorte que leurs revenus cumulés restent encore très nettement inférieurs à la moyenne européenne.

8Les inégalités entre retraités se sont considérablement creusées en vingt ans. Là encore le Royaume-Uni se démarque de ses voisins européens. Depuis 1979, le revenu net de la catégorie des 20 % des couples de retraités les plus pauvres n’a crû que de +34 % pendant que celui des pensionnés les plus aisés a progressé de +80 %. En 1999, le revenu net moyen des couples de retraités du premier quintile représentait seulement 29 % de celui des pensionnés les plus riches, contre 39 % en 1979. La forte croissance des revenus figurant en haut de l’échelle a été stimulée par la hausse rapide des rendements des retraites professionnelles (+164 % en moyenne depuis 1979) et de l’épargne retraite placée (+110 %). Par contraste, les bénéficiaires isolés les plus démunis, qui perçoivent encore essentiellement des prestations des régimes publics, ont pâti des réformes conduites sous les législatures conservatrices et qui ont considérablement réduit la retraite de base et du complémentaire public. En conséquence, le taux de pauvreté des retraités britanniques (après transferts sociaux) est l’un des plus élevé de la Communauté quel que soit le seuil de pauvreté envisagé (50 % ou 60 %) (20 % pour l’ensemble des ménages percevant une pension, soit 4 points au-dessus de la moyenne européenne). La pauvreté est aussi plus importante pour les femmes seules (47 % du total des retraitées britanniques au seuil de 60 % contre 28 % en moyenne au sein de l’Union).

Revenir sur les orientations des législatures conservatrices des années quatre-vingt qui ont fragilisé l’ensemble du système

9Vingt ans après leur mise en œuvre, les réformes des gouvernements Thatcher (1986) et Major (1995) ne sont pas parvenues à améliorer la situation des retraités. Depuis l’arrivée au pouvoir des conservateurs, en 1979, les législatures qui se sont succédées depuis lors s’efforceront de réactiver le programme conservateur entrepris dès 1954 et interrompu par le court épisode travailliste de 1974-1979 aux orientations « généreuses », en réduisant la portée des régimes d’État. La doctrine libérale appliquée au secteur des pensions consistera en contrepartie à réaménager l’étage du complémentaire en faveur de l’épargne et de la prévoyance privées et individuelles, en dehors du cadre collectif même, et ce par le biais d’une fiscalité incitative. Ces mesures, qui « se réclament toujours à la fois de la maîtrise des dépenses publiques et de la critique morale et politique de l’assistance » (Crowley, 2001), seront adoptées très tôt dans un climat consensuel et marqué par « l’impasse socialiste » après le plan de rigueur de 1976. Elles seront justifiées au nom de la diversification institutionnelle, seule garante d’une plus grande liberté de choix pour le consommateur et contrastant avec « l’uniformité » de plus en plus contestée et restrictive des régimes publics. Un consensus se dégage aujourd’hui pour constater que ce projet n’a donc pas abouti aux résultats escomptés ; pas plus qu’il n’a été en mesure de relever le défi majeur de l’adaptation des systèmes de retraites à l’intensification de la flexibilité du travail outre-Manche, problématique posée à la fois aux régimes publics, aux fonds de pensions et aux plans de retraite individuels.

La réforme Thatcher de 1986 : désengager l’État dans le secteur des retraites et promouvoir des plans de retraite individuels

10La réforme libérale des retraites de 1986 contenait un train de mesures destinées à réduire massivement le financement public des pensions : indexation de la retraite de base sur les prix (et non plus sur les salaires) dès 1980, diminution à deux reprises (en 1988 et en 1995) de la prestation complémentaire publique (SERPS), augmentation progressive jusqu’en 200 de l’âge de la retraite pour les femmes de 60 à 65 ans, réduction de moitié de la pension de réversion dès avril 2000, extension de l’option de « contracting out »[3] aux plans de retraite individuels visant à encourager les sorties du SERPS grâce à l’incitation fiscale. La pension de base qui représentait 20 % du salaire moyen masculin en 1979, n’en représentait plus que 16 % en 1996, tandis que les modifications paramétriques devaient réduire en effet sensiblement les prestations du SERPS et permettre à l’État de réaliser une économie de 25 % en 2030 : le régime ne devant plus garantir à partir d’avril 1999 qu’une prestation à hauteur de 20 % du salaire moyen calculé sur l’ensemble de la vie active alors qu’à l’origine, lorsqu’elle avait été introduite par les travaillistes en 1978, elle correspondait à 25 % du salaire moyen revalorisée des vingt meilleures années, et était actualisée en fonction de l’évolution des salaires.

11À l’époque, ce programme a pu surprendre les pays voisins européens par ses orientations radicales car il n’était pas « contextualisé » comme aujourd’hui par le discours désormais familier de prudence budgétaire dans la perspective de l’impact du vieillissement sur les finances publiques.

12En posant comme postulat le retrait de l’État du deuxième pilier mais sans autre alternative, le gouvernement Thatcher aurait réduit implicitement l’étage complémentaire aux seuls fonds d’entreprise, considérés outre-Manche comme « the great welfare story » (ministère des Affaires sociales 1998). Or, cette stratégie « minimaliste » n’aurait pas été tenable car deux difficultés majeures posées par les fonds de pension devaient être surmontées : la question de l’accessibilité à ces dispositifs pour certaines catégories de population, et surtout celle de la portabilité des fonds d’entreprise souvent jugée trop chère.

13L’accès aux régimes professionnels est en effet généralement limité aux cadres travaillant dans les grandes entreprises et dans certains secteurs (industrie, banque, communication). Ils restent en revanche « fermés » aux autres actifs, comme les travailleurs indépendants, une catégorie socioprofessionnelle importante au Royaume-Uni, ainsi que les salariés des petites et moyennes entreprises ou employés dans les secteurs des commerces, de l’agriculture et du bâtiment, qui proposent rarement ces dispositifs (Bonet et alii, 2001). Les travailleurs à temps partiel ou embauchés sur des périodes courtes sont également pénalisés : la plupart des entreprises britanniques octroient des droits à pension professionnelle après deux années de cotisations, sachant que le départ d’un régime avant cette période d’acquisition minimale des droits ne donne lieu qu’à une prestation forfaitaire égale à la somme des cotisations versées au titre de ce régime (Blake et Orszag, 1997).

14Plus généralement, la montée en régime des formes atypiques d’emploi et de la flexibilité du travail commençait à affecter une population croissante de Britanniques ayant souscrit à des plans de retraites d’entreprise en raison des coûts prohibitifs associés à la portabilité et aux transferts de droits.
Le gouvernement Thatcher a donc choisi de promouvoir une formule de plan de retraite individuel en cotisations définies (« Personal Pension Plan ») qui apparaissait comme la réponse libérale adéquate pour régler, entre autres, le délicat problème de portabilité des régimes d’entreprise et offrir une couverture complémentaire aux travailleurs indépendants – qui n’ont pas droit au SERPS – et aux autres statuts plus précaires. La stratégie conservatrice ne visait toutefois pas seulement l’adaptation des systèmes en recherchant leur complémentarité, mais bien la concurrence au sein du deuxième étage. Une concurrence à la fois entre les régimes complémentaires et entre les promoteurs de ces dispositifs qui ne sont pas les mêmes : l’installation de plans de retraite individuels effective en 1988 annonce l’ouverture du secteur des retraites à l’industrie de l’assurance jusqu’ici marginalisée, les régimes d’entreprise étant gérés par les fonds de pension. Les compagnies d’assurance ont aujourd’hui un quasi monopole du marché des plans individuels. De nombreuses mesures étaient en effet destinées à favoriser les transferts de droits du régime public mais aussi des retraites d’entreprise (en prestations définies et en cotisations définies indistinctement) vers les plans de retraite individuels : suppression de l’affiliation obligatoire à un régime professionnel à l’embauche en 1988, réduction (de cinq ans à deux ans) de la période de cotisations nécessaire à la préservation des droits acquis au sein d’un régime d’entreprise pour l’affilié désirant transférer ses droits à un autre régime complémentaire, concurrence fiscale en faveur des plans de retraite individuels, et surtout l’introduction de l’innovation majeure du principe du « contracting out » aux régimes en cotisations définies (auparavant seuls les plans d’entreprise à prestations définies étaient admis comme alternative au SERPS). Cette énumération ne prend pas en compte toute une série de dispositifs plus contraignants qui ont été imposés aux régimes d’entreprise, dont le plafonnement de l’épargne-retraite professionnelle drainée par une formule à cotisations définies appliquée en 1992.

L’échec de la réforme de 1986

15Beaucoup d’experts (dont la synthèse la plus achevée est Blake, 2000) sont aujourd’hui critiques sur les résultats obtenus par les réformes. Ce constat est d’ailleurs partagé par les instances de contrôle dès le milieu des années quatre-vingt-dix d’après les conclusions de plusieurs audits (OFT, 19197) et par le principal groupe de défense des consommateurs (Which, 1997). Le directeur de l’« Office of Fair Trading » s’engagera même personnellement déclarant, à l’occasion de la publication en 1997 des résultats issus d’une enquête sur les retraites : « Dans le contexte des élections générales – et quelle que soit l’issue du scrutin – il est clair que le gouvernement nouvellement élu devra accorder la priorité à la résolution des nombreux dysfonctionnements signalés dans le système de retraite… ». Certaines critiques sont récurrentes et traduisent la fragilité des fondations du système de retraite britannique, dont les manifestations sont principalement la cherté des plans de retraite individuels, le coût de la portabilité des régimes d’entreprise facultatifs toujours non entièrement résolu et plus généralement l’accroissement de la complexité du système.

Cherté des plans de retraite

16Les coûts de transaction des retraites individuelles privées se sont avérés jusqu’à présent prohibitifs, en particulier pour les populations à faibles revenus. Comme le rappelle, en effet, Blake (mai 2000 et octobre 2000) un premier bilan de la commercialisation des plans de retraite individuels de 1988 à 1997 révèlent gue « les charges pratiquées par la plupart des émetteurs de plans de retraites individuels sont élevées, complexes, déguisées et prélevées très tôt après la date de souscription ». Les experts [4] estiment que le taux de chargement annuel pratiqué sur la durée du contrat diminue le rendement du plan individuel de 1,4 % en moyenne et peut le réduire jusqu’à 2,2 % pour les plans les plus chers, ce qui représente une perte comprise entre 19 % en moyenne et 30 % du fonds d’un adhérent sur une durée moyenne d’adhésion de vingt-cinq ans (Walford, 2000). Celui-ci est, toutefois, généralement beaucoup plus élevé les premières années en raison surtout des frais de gestion et de commercialisation (destinés à rémunérer les vendeurs et les conseillers) prélevés dès la première ou deuxième année de souscription. Ces charges « extraites en amont » (« up front charges »), particulièrement élevées lorsque la durée d’épargne est courte et les pénalités appliquées aux interruptions de cotisations et aux transferts de droits, posent la question de l’amortissement du coût de ces retraites individuelles privées pour les catégories de personnes aux revenus modestes et exposées à la mobilité professionnelle. À titre indicatif, en effet, la diminution annuelle du rendement d’un plan de retraite individuel alimenté seulement sur cinq ans peut varier cette fois-ci entre 5 % en moyenne et 8,5 %, voire plus dans certains cas (Walford 2000). Or, en moyenne plus de 35 % d’adhérents à des plans individuels cessent de cotiser au bout de quatre ans et ils seraient selon les estimations des régulateurs [5] seulement 15 % à continuer à le faire au bout de vingt-cinq ans. Le tableau n° 4 révèle, à cet égard, que dans le cadre des contrats les plus chers, les charges cumulées (en proportion du fonds) imputées à un détenteur de plan de retraite individuel ayant arrêté de cotiser au bout de cinq ans – et dont le montant des versements mensuels est modeste – seront le double de ce qu’elles auraient été si l’épargnant n’avait pas interrompu ses cotisations. Plus le montant des cotisations est faible et l’arrêt des versements précoce, plus la valorisation du capital accumulé risque d’être médiocre.

17Par ailleurs, parmi les détenteurs d’une police de « Personal Pension » ayant arrêté de cotiser prématurément et désirant cotiser dans une autre compagnie, une large majorité (85 % selon Money Marketing, 14 janvier 1999) a opté pour la conservation de leur fonds chez le même émetteur au sein d’une police libérée (« Paid-Up Policies », PUP) qui ne prévoit naturellement la liquidation des actifs détenus qu’au moment de l’âge de la retraite. Or, la faiblesse des rendements observés sur ces actifs immobilisés laisse à penser qu’ils sont probablement « frappés » – en plus des charges amont et des pénalités d’interruption de cotisations – de « coûts cachés » (Blake, 2000) et ce pour plusieurs raisons. D’une part, depuis peu une proportion croissante de compagnies d’assurance fait reposer la concurrence sur les coûts de transferts pour attirer une nouvelle clientèle sachant que le recours à cette procédure est peu fréquent. D’autre part, contrairement à ce que prévoit la régulation s’appliquant aux transferts de droits, la procédure de « disclosure » (la formalisation par écrit, obligatoire lors de la signature du contrat par l’organisme émetteur des perspectives de rendement brut et net de charges des fonds selon un calendrier fixé par la loi) n’est pas une obligation légale pour les polices libérées, et peu d’institutions financières sont prêtes à la proposer.
Plus généralement, l’absence de benchmark dans ce domaine et de publication détaillée systématique de l’ensemble des charges perçues renforcent naturellement « l’opacité » des pratiques commerciales et concurrentielles du marché de l’épargne-retraite privée. Il devient ainsi difficile pour un Britannique de comparer in fine l’offre entre établissements financiers et ce d’autant plus que les émetteurs ont tendance à changer fréquemment la structure du chargement (Walford, 2000).

Coût de la portabilité

18Ces pratiques commerciales onéreuses ont également augmenté le coût de la portabilité des retraites d’entreprise déjà pénalisante, en particulier pour une majorité d’adhérents qui avait fait le choix de transférer leurs droits à retraite dans des plans individuels. Le transfert des droits au sein des régimes professionnels est devenu une pratique courante au Royaume-Uni car ils sont spécifiques à certaines entreprises : le salarié mobile est ainsi bien souvent enclin à souscrire au régime proposé par son nouvel employeur et de plus, jusqu’à la révision de la législation, en 1988, l’affiliation à un régime professionnel en prestations définies était obligatoire à l’embauche. Ce procédé s’est répandu aussi avec la flexibilité du travail qui s’est considérablement développée outre-Manche depuis les années quatre-vingt : à titre indicatif, les Britanniques changent en moyenne six fois d’emplois durant leur carrière professionnelle et ils ne sont que 5 % à rester au sein de la même entreprise jusqu’à la retraite [6]. Le problème est que cette mobilité peut engendrer une dévalorisation significative de la retraite lorsque le turn over est élevé : les régulateurs de l’« Office of Fair Trading » (1997) ainsi que (Blake, 2000) estiment que le coût de la portabilité des droits à retraite d’un régime d’entreprise à un autre a débouché jusqu’ici à une perte de valeur de la pension servie à un individu ayant eu une mobilité typique au Royaume-Uni (soit six emplois avant l’âge de la retraite) comprise entre 25 % et 30 % en moyenne par rapport à la pension auquel il aurait pu prétendre s’il était resté au sein de la même entreprise durant toute sa carrière professionnelle (tableau n° 2). Il a perdu 16 % en valeur de transfert en ayant changé seulement une seule fois d’employeur à mi-parcours professionnel, et jusqu’à 63 % de la retraite qu’il aurait pu percevoir en restant dans le même régime s’il a transféré ses droits dans un plan de retraite individuel qui n’est pas abondé par l’employeur. Ce dernier cas type illustre en partie pour certaines affaires le phénomène de « mis-selling of Personal Pensions » s’agissant d’un individu naturellement mal informé. Cette perte de valeur (« cash equivalent loss ») est en partie imputable au mode de calcul d’un contrat souscrit en prestations définies : les années de service acquises (que les droits soient transférés ou différés) sont valorisées en fonction de l’ancienneté et du montant du dernier salaire, c’est-à-dire du salaire de référence [7] au moment où l’adhérent quitte l’entreprise, et celui-ci est généralement plus faible qu’un salaire de fin de carrière si son départ est précoce et anticipé bien avant l’âge de la retraite. Ces droits à pension sont généralement réévalués au taux de l’inflation, à concurrence de 5 % au maximum. À cela s’ajoutent, pour les salariés qui ont préféré transférer leurs droits au sein d’un plan individuel, les charges traditionnellement plus élevées prélevées en début de contrat, et plus difficiles à amortir pour le cotisant qui a plus de 45 ans. On estime qu’entre 1988 et 1993, sur les 500 000 adhérents ayant décidé le transfert de leurs droits dans ces plans de retraite individuels, 90 % d’entre eux ont été motivés sur la base de conseils inappropriés.
Le problème plus général de portabilité pour ces régimes est loin d’être un épiphénomène dans un pays comme le Royaume-Uni qui compte environ 10,5 millions d’adhérents à des régimes d’entreprise, soit 30 % de la population active, dont 77 % d’entre eux avaient souscrit en prestations définies.

Tableau n° 2 : Pertes de valeur de la pension servie associées à la portabilité des régimes d’entreprise en prestations définies (en % de la prestation versée au même adhérent sans mobilité de carrière)

tableau im2
Retraites professionnelles Plans de retraite individuels Hypothèses* de flexibilité du travail Valeur de transfert Pension différée Contributions définies* avec contributions employeurs*** sans contributions employeurs**** A 75% 75% Travailleurs salariés (en moyenne) B 71% 71% C 84% 84% 71% 61 % 37% A 75% 88% Travailleurs manuels (en moyenne) B 71% 86% C 84% 96% 78% 66% 45% Travailleurs non manuels (en moyenne) A 75% 86% B 71% 83% C 84% 94% 79% 68% 44% * Trois parcours professionnels (A, B, C) aux hypothèses de turn over suivantes : A : changement de travail à 28 ans, 29 ans, 30 ans, 40 ans et 57 ans ; B : changement de travail à 26 ans, 27 ans, 30 ans, 31 ans et 38 ans, 44 ans et 55 ans ; C : changement de travail à 45 ans seulement ** Transferts de droits au sein d’un régime à contribution définie. *** Transferts de droits au sein d’un plan de retraite individuel (avec contributions employeur). **** Transferts de droits au sein d’un plan de retraite individuel (sans contributions employeur). Source: Blake et Orszag (2000) et« Office of Fair Trading » (1997).

Tableau n° 2 : Pertes de valeur de la pension servie associées à la portabilité des régimes d’entreprise en prestations définies (en % de la prestation versée au même adhérent sans mobilité de carrière)

Complexité du système

19Enfin, en accroissant la complexité et la concurrence fiscale au sein des régimes complémentaires, la législature conservatrice a pu renforcer le manque de lisibilité du système et les risques d’asymétrie et d’imperfections d’informations qui peuvent en découler. Toutes les enquêtes suggèrent que la recherche d’une pension est source de confusions pour une large majorité de Britanniques qui reste toutefois étonnement « optimiste » mais mal préparée à provisionner efficacement pour leur retraite. En 1997, 25 % des personnes interrogées encore actives espéraient que la pension de base leur procure l’essentiel de leurs ressources à la retraite… (OFT, 1997 et 1999).

20Cette complexité se manifeste d’abord par la densité du cadre légal et réglementaire qui traduit à la fois l’empilement des réformes, la dispersion des textes de référence et l’arrivée à maturité d’un système de retraite dont l’offre de produits apparaît désormais diversifiée. À titre indicatif, la législation et la réglementation des retraites au Royaume-Uni relèvent principalement des textes suivants (Russel, 2001) : « Social Security Law », « Trus tLaw » (la loi applicable aux fiducies), « Tax Law », « Contract Law », « Ernployment Law », « Financial Services Act 1986 », « Financial Services and Markets Act 2000 », « Pension Schemes Act 1993 », « Pension Act 1995 », « Contributions and Benefits Act 1992 », « Welfare Reform and Pension Act 1999 », la « Child Support, Pensions and Social Security Bill, 1999 », « The Finance (n° 2) Act, 1987 » complété par « Income and Corporation Taxes Act, 1988 » et les normes européennes… Le Royaume-Uni a la particularité de soumettre les administrateurs juridiques (trustees) à une loi coutumière (Trust Law) autrefois conçue au XIIIe siècle pour les œuvres de bienfaisance. Cette énumération, qui ne prétend pas être exhaustive ne comprend pas les règlements d’application, et mélange des textes législatifs spécifiques et des textes et décisions relevant de plusieurs branches du droit (qui n’est pas à proprement parlé codifié au Royaume-Uni), mais elle en fournit à cet égard une certaine illustration. Certains textes, en particulier encadrant la régulation, jugés trop volumineux sont également critiqués du fait de leur complexité et leur excès de détails.

21Les régulateurs reconnaissaient, par ailleurs, dans une étude (FSA, 2000, p. 8) que « le traitement fiscal des retraites est tellement complexe qu’il a pu développer jusqu’à présent un courant d’affaires lucratives pour les fiscalistes et juristes dans ce domaine » ainsi que pour l’activité du conseil financier. Tous les organismes de contrôle s’accordaient sur ce point (SIB, 1997 ; PIA, 1997). Le jugement est partagé par le « Simplifying Pensions Group » – un lobby d’émetteurs –, quatre ans plus tôt, qui l’accusait d’être un frein à l’effort contributif des épargnants. En 1996, 75 % des souscripteurs à un plan de retraite individuel sondés par l’OFT (1997) ne connaissaient pas le plafond global de déductibilité de l’assiette de l’IR s’appliquant sur les contributions et variant avec l’âge de l’assuré.
La complexité du recours à la médiation en cas de litiges, du fait de la pléthore d’acteurs institutionnels (aux moyens bien souvent insuffisants et à l’indépendance douteuse) et du droit applicable, a été souvent dénoncée. Un autre élément vient compliquer les arbitrages des épargnants : une trop grande dispersion des prix alors qu’il n’existe pas de benchmark comme on l’a constaté, sur le marché de l’épargne – retraite individuelle. Cette complexité peut être dommageable aux épargnants, et en particulier aux souscripteurs à des plans de retraites individuels qui, par nature, « transfèrent le risque de l’employeur vers l’individu » (Association des assureurs britanniques, ABI). Or, le pouvoir de décision et de négociation est d’autant plus limité à l’échelle individuelle – et a contrario le pouvoir de marché d’autant plus renforcé – que l’environnement fiscal et juridique est dense et compliqué.

La multiplication d’affaires délictueuses a porté atteinte à la crédibilité du système

22À ces défauts de structure s’ajoute la succession de scandales et d’accidents dans le secteur financier, qui a débouché sur des préjudices importants, altérant la confiance du public, y compris dans le système traditionnel de contrôle et de régulation. Plus de 50 % de personnes interrogées par l’Institut Mori, en février 2000, se déclaraient méfiantes à l’égard du système de retraites britannique et 68 % d’entre elles s’estimaient incapables d’évaluer le montant des pensions qui leur sera servi au moment de se retirer.

23L’affaire de la fraude Maxwell, en 1991, dans laquelle quatre milliards de francs d’actifs placés par les salariés en vue de leur retraite avaient été détournés (Daykin, 1995), sera suivie par celle des « mis-selling », aujourd’hui largement relatée dans la presse, et la littérature spécialisée internationale (OCDE, 2001).
Le préjudice associé à l’affaire des « ventes de contrats pourris » de plans individuels (« mis-selling ») porte sur 2,5 millions de souscripteurs et est évalué entre 8 et 12 milliards de livres (FSA, 1999). Certains cabinets d’actuaires indépendants l’ont évalué plus proche des 22 milliards de livres en 1999. L’ampleur du sinistre est à la mesure du succès commercial de ces plans individuels dès leur mise sur le marché en 1988, qui s’est déroulé dans un climat concurrentiel exacerbé et enflammé par des campagnes de promotion, en particulier engagées par les pouvoirs publics. Par « mis-selling » on désigne un défaut de valorisation de la prestation qui ne s’est pas avérée conforme aux prévisions faites lors de la signature du contrat, soit parce que les adhérents ont reçu un mauvais conseil par des vendeurs inexpérimentés et incompétents, soit parce qu’ils ont été traités avec négligence et victimes d’une vente abusive. Les litiges les plus sérieux, dont l’indemnisation a été jugée prioritaire, portent sur des transferts de droits d’affiliés aux régimes d’entreprise à des plans de retraite individuels. Dans ces cas-là, la prestation servie a été nettement plus faible que celle qu’ils auraient pu obtenir s’ils étaient restés dans le même fonds d’entreprise. Les dossiers les plus graves concernent les plus de 50 ans au moment de leur souscription : en plus des pénalités associées aux transferts de droits – l’adhésion à un plan de retraite individuel occasionne un coût en conseil financier important et des frais de commercialisation et de gestion substantiels prélevés massivement en amont – qu’il est difficile d’amortir sur une durée d’adhésion courte.

La législature Major obligée d’instaurer une « re-régulation » dont les orientations sont aujourd’hui critiquées

24Succédant à des incidents répétés dans les secteurs de l’assurance et de la banque touchant notamment des établissements prestigieux, le retentissement médiatique de l’affaire Maxwell, puis l’ampleur du phénomène des « mis-selling » ont conduit très vite à une politisation du débat.

25Le gouvernement conservateur de John Major mettra un frein à la dérégulation du secteur avec l’adoption d’un train de nouvelles mesures présentées dans la réforme du « Pension Act » en 1995 suite aux recommandations d’un Comité d’experts (« Pension Law Review Committee ») mis en place après « la fraude Maxwell ». Il s’agira bien d’une « re-régulation », notamment des régimes d’entreprise gérés en prestations définies, puisqu’elle conduira à resserrer leur surveillance prudentielle en introduisant des paramètres quantitatifs contraignants (limite de 5 % à l’auto-investissement dans l’entreprise à l’origine du fonds, obligation de solvabilité minimale) destinés à sécuriser les politiques d’investissement, et surtout à renforcer le pouvoir des Trustees, alors que dans le même temps celui dévolu aux entreprises sera, lui, plus encadré. La formalisation par écrit d’une « Déclaration des principes et des stratégies » (« Statement of Investment Principles ») en matière d’investissement sera rendue obligatoire. À l’occasion, sera créée une autorité de contrôle indépendante et spécialisée dans les régimes d’entreprise (l’OPRA). Les pouvoirs de contrôle seront ainsi assurés par plusieurs entités professionnelles et spécialisées : les régulateurs, Les Trustees et les actuaires chargés dorénavant d’examiner le passif du fonds de pension selon une couverture actuarielle définie par la loi (Russel, 2001). Le renforcement des conditions de participation des représentants des adhérents aux organes de gestion des fonds de pension sera introduit.

26Parallèlement, sera diligentée une enquête sur les « mis-selling » au début des années quatre-vingt-dix, date à partir de laquelle ont été décelées les irrégularités. L’instruction du dossier par les régulateurs révélera l’ampleur du sinistre et la fragilité du contrôle du démarchage et de la protection des épargnants. En 1992, les organismes autonomes de régulation et de contrôle exigeront des promoteurs de plans individuels (principalement les assurances et les « Independant Financial Advisers », IFA) qu’ils forment mieux leurs vendeurs et qu’ils acquièrent au plus vite des systèmes plus performants de vérification de données. L’expertise ordonnée sur 1,5 million de contrats de plans individuels révélera que moins de 10 % des souscriptions avaient bien satisfait aux obligations légales et réglementaires, et amènera ainsi les régulateurs à dévoiler publiquement le phénomène. De leur commercialisation en 1988 à la reconnaissance du litige, il se sera écoulé six ans et près de douze ans jusqu’à la résolution de la phase 1 de l’indemnisation des cas jugés prioritaires, aboutie sous législature travailliste.

27Plus généralement, les enquêtes menées par les régulateurs sur ces différents sinistres ont révélé à chaque fois de sérieux dysfonctionnements du contrôle et une gestion publique contestable des dossiers : manque de compétences, réactions tardives, représentation des consommateurs limitée, insuffisante attention portée aux intérêts des consommateurs, inefficacité d’une architecture de contrôle complexe et spécialisée par métiers dans le contexte d’une transformation de la profession…

28Le président de l’ancienne autorité de contrôle des services financiers, la SIB (« Securities Investment Board »), proposera dans son rapport Making The two Tier System Work en 1996, un durcissement de la régulation des ventes des produits d’épargne et une révision des standards définis dans la législation des services financiers de 1986.
Outre le fait que le gouvernement de John Major n’aura pas le temps de répondre aux défaillances soulevées par les « mis-selling », un premier bilan de la réforme conservatrice du contrôle des régimes d’entreprise montre que les problèmes sont loin d’avoir été résolus. L’entrée en vigueur, en avril 1997, de paramètres prudentiels restrictifs pour les régimes en prestations définies après la réforme de 1995, et en particulier d’une couverture actuarielle minimale des engagements futurs, imposée selon une nonne comptable légale contenant des restrictions de placements en actions, va être vivement critiquée par l’industrie des fonds de pension. Elle sera accusée vivement de compliquer la gestion financière des investisseurs dans un contexte où se raréfient la dette publique et, par conséquence, les émissions d’emprunts d’État britanniques. La formule actuarielle retenait, en effet, dans le principe une proportion d’obligations britanniques s’accroissant avec l’âge des assurés tout en excluant les obligations étrangères. Il en a résulté principalement une baisse des marges des gestionnaires de fonds que ceux-ci ont en partie répercuté sur le rendement des fonds de pension en prestations définies. Sachant que les plans d’entreprise sont généralement intégrés avec les régimes de base (cf. glossaire), cette situation a pu également mettre en difficultés les entreprises engagées. Ceci est d’autant plus inquiétant que l’efficacité des gestionnaires de fonds fera également l’objet d’une contestation croissante.

La réforme travailliste du système des retraites : le « Stakeholder Pension » présenté comme le fonds de pension « troisième voie » du gouvernement Blair

Éléments de contexte et contours généraux de la réforme

29Le gouvernement Blair va tirer les leçons des écueils de l’expérience conservatrice en prenant appui sur les fondations de l’héritage « thatchérien » – le désengagement de l’État du complémentaire et la promotion des plans individuels sont reconduits – tout en consacrant le retour de la régulation initiée sous l’administration Major. Ces orientations générales sont confirmées par les travaillistes dès leur arrivée au pouvoir le 1er mai 1997 mais redéfinies pour ne pas reproduire les erreurs passées. La priorité donnée à la résolution de l’indemnisation des personnes lésées dans le cadre des « mis-selling », ainsi qu’à la mise en place des réformes que la succession d’accidents avait rendues inévitables, sera mise en œuvre selon un calendrier, un rythme et une communication soutenus.

Encadré : Brève présentation de la réforme des retraites au Royaume-Uni

La réforme du gouvernement Blair comprend essentiellement trois volets :
• L’introduction d’un minimum vieillesse (« Minimum Income Guarantee » MIG) en avril 1999, qui est fixé en 2000-2001 à 78,45 livres par semaine pour une personne et de 121,95 pour un couple. Il est prévu que cette prestation, servie sous conditions de ressources (< 2 500 livres par an), suive en moyenne l’évolution des revenus.
• Un réaménagement du « deuxième pilier » du système de retraite britannique fondé sur un nouveau ciblage du financement public sur les plus démunis et sur la création d’un nouveau plan de retraite individuel par capitalisation bon marché et « sécurisé » pour les revenus modestes. Le ministère des Affaires sociales avait publié dans un livre blanc (« A new contract for welfare : Partnership in Pensions », Cm 4179) le 15 décembre 1998, les principales propositions dans ce domaine qui, après discussions au Parlement, sont entrées en vigueur en avril 2001 :
  • le maintien de la retraite d’Etat de base sans condition de ressources ;
  • le remplacement du régime complémentaire public, le SERPS (« State Earnings-Related Pension Scheme »,) – prévu en avril 2002 – par une nouvelle pension d’État complémentaire obligatoire « State Second Pension » beaucoup plus généreuse et destinée à ceux qui ont un revenu compris entre 2 500 livres et 9 000 livres par an, qui sont handicapés ou qui doivent s’occuper d’enfants ou de personnes handicapées ;
  • l’introduction d’une nouvelle pension par capitalisation (« Stakeholder Pension Scheme »), ciblée sur ceux qui perçoivent un revenu annuel compris entre 9 000 livres et 18 500 livres ;
  • une simplification de la fiscalité du complémentaire privé.
• Une réforme de la surveillance prudentielle des retraites et une consultation sur la gestion des actifs des fonds qui a pris fin en janvier 2001. La révision du contrôle de l’industrie des retraites complémentaires professionnelles en prestations définies et, en particulier, du ratio prudentiel (« Minimum Funding Requirement », MFR) qui leur avait été imposé en 1995 après l’affaire Maxwell sont au cœur des préoccupations du gouvernement. La loi imposait au fonds de pension (à la date de l’évaluation du passif du fonds par les actuaires, soit tous les trois ans) des provisions techniques selon une couverture actuarielle imposée, déterminant ainsi une limite légale d’actions, dont la proportion de détention décroît avec l’âge des adhérents. Sur la base des recommandations de l’Institut des actuaires et de l’audit conduit par Paul Myners, directeur du fonds Gartmore Investment Management et après avis du ministère des Affaires sociales et du ministère des Finances, le gouvernement a récemment décidé de suspendre cette norme comptable obligatoire.

30La stratégie travailliste du désengagement de l’État dans le financement des retraites s’accompagne cette fois-ci d’arbitrages budgétaires plus explicites que cette qui avaient été formulés sous les législatures conservatrices. Si la philosophie sous-jacente reste la même, elle véhicule deux idées fortes nouvelles. D’abord, l’administration Blair constate que les plans de retraite individuels ne s’adressent pas aux bas revenus : ils sont trop chers et inadaptés – à ce stade – aux formes de travail atypiques et flexibles plus répandues dans le bas de l’échelle de la distribution. En conséquence, elle leur réservera le complémentaire public, qui était jusqu’ici lié aux revenus de l’assuré et ouvert à tous ceux qui ne disposaient pas de régime d’entreprise, en utilisant la méthode du ciblage et la conditionnalité, techniques très largement reprises dans le secteur de la protection sociale par l’administration Major (Crowley, 2000). La contrepartie est une prestation plus généreuse.

31Pour apprécier la valeur politique de ces arbitrages, il convient cependant de les restituer dans leur contexte. Avant de revenir sur ses ambitions budgétaires initiales, le parti travailliste souhaitait rétablir des règles d’accès à la prestation vieillesse plus avantageuses dont la très symbolique indexation de la retraite de base sur l’évolution des salaires. Jugées trop coûteuses (cela supposait de cautionner un effort contributif en portant le taux de cotisation de 18,2 % à 26 % en 2040), elles seront abandonnées en 1996, soit la veille des élections générales, aux termes de vifs débats et d’un compromis trouvé au sein du parti synthétisant l’essentiel de la réforme portée par Tony Blair. Le gouvernement travailliste promeut ainsi une revalorisation de la retraite de base, une nouvelle retraite complémentaire publique (« Second State Pension ») à taux fixe ciblée et plus généreuse en remplacement du SERPS dont la mise en œuvre est prévue en 2002 pour les revenus mensuels compris entre 2 200 et 8 000 francs environ. À cela s’ajoute la pièce maîtresse de la réforme : l’introduction d’un nouveau plan de retraite individuel (« Stakeholder Pension ») ciblé pour les revenus dits intermédiaires (cf. encadré). La retraite de base restera liée à l’inflation.

32Ce programme se devait d’être cohérent avec l’affichage visible de prudence budgétaire défendue par le gouvernement dans d’autres enceintes, notamment financières. Il n’est pas inutile de rappeler à cet égard que la réforme avait été annoncé après que le Chancelier de l’Échiquier – Gordon Brown – se soit engagé lors de son discours de politique économique (« Mansion House »), soit un mois après les élections générales, à respecter les enveloppes budgétaires déjà définies par les conservateurs pour les deux années à venir et plus généralement un « code de stabilité budgétaire » encadrant l’action publique dans ce domaine afin d’installer une « culture de stabilité économique » à l’instar des voisins européens et aussi d’acquérir très vite une réputation de « gestionnaire prudent ».
Pour les revenus modestes jusqu’aux classes moyennes désormais « exclues » politiquement de la couverture complémentaire publique le gouvernement ne cherchera pas à en rester aux formules de retraite d’entreprise, en raison du coût de la portabilité engendré par des carrières fluctuantes et surtout de la progressive érosion de ce type de souscriptions, une tendance qui n’a cessé de s’affirmer au cours des vingt dernières années comme d’ailleurs aux États-Unis, et dans certains pays européens (Italie, Espague, Suède). Ce déclin est en partie dû à trois facteurs :

33

  • à la diminution du nombre d’embauches dans les grandes entreprises et le secteur public qui ont une forte tradition de fonds de pension ;
  • au changement de la législation en 1988 ne faisant plus de l’adhésion au plan de retraite de l’entreprise une condition à l’embauche ;
  • ainsi qu’à la proportion croissante de ces contrats conclus en cotisations définies avec bien souvent à la clef une révision à la baisse de l’abondement de l’employeur. Depuis la réforme de 1986, en effet, les retraites d’entreprise sont autorisées à être délivrées en cotisations définies. Or, l’entreprise, qui a au Royaume-Uni un pouvoir décisionnaire unilatéral pour ce qui concerne la décision d’installer un plan de retraite et de son profil, est sans doute moins motivée aujourd’hui à utiliser le fonds de pension pour fidéliser la main-d’œuvre comme autrefois. Certaines firmes ont également accusé l’examen actuariel du passif des fonds tous les trois ans selon une nonne comptable imposée (MFR) d’occasionner des coûts supplémentaires au maintien d’un projet en prestations définies, poussant ainsi à un glissement vers les régimes à cotisations définies. Dans ce cas-là, l’épargnant peut être incité à sortir du cadre collectif pour rechercher d’autres formules en cotisations définies plus avantageuses fiscalement.
Pour toutes ces raisons, il leur sera proposé des retraites par « aide mutuelle » (« Stakeholder Pension ») un nouveau plan individuel, conçu pour être moins cher, plus sécurisé et accessible à tous. Ces trois principes vont être garantis grâce au renouvellement de l’intervention publique et du contrôle, en vue de renforcer la protection des épargnants, et qui va s’exercer de manière quelque peu inattendue dans le secteur des retraites.

34La refonte du système des retraites s’inscrit, en effet, dans le cadre d’une vaste réforme de la supervision des services financiers qui avait été initialement annoncée dans le programme des travaillistes, pour les élections législatives de mai 1997, et qui était restée inachevée par les conservateurs depuis 1995. L’annonce faite cinq jours après l’arrivée de l’administration Blair au pouvoir, traduit l’urgence de la réforme et de cette « reprise en main » inévitable par les pouvoirs publics. L’engagement très ferme du gouvernement travailliste et de sa majorité imposera sans difficultés l’installation d’une structure de contrôle unifiée (« Financial Services Authority », FSA) capable de garantir une régulation et une supervision pluri-sectorielles et non plus fragmentées, et d’avoir une approche globale et « consolidée » des risques. Elle prendra le contrôle de l’ensemble des régimes complémentaires facultatifs (fonds d’entreprise, plan de retraites individuel et « Stakeholder Pension ») qui relevait auparavant de plusieurs entités spécialisées.

35Conjointement à ces initiatives, la recherche d’une meilleure protection du consommateur et de l’épargnant, et d’une amélioration de la productivité britannique, vont également amener le gouvernement à promouvoir un consumérisme actif jusqu’ici inexistant ouffe-Manche. Du côté de l’offre, afin de s’attaquer aux barrières à l’entrée dans certains secteurs, de nouvelles structures sont créées comme la « Competition Commission ». La réforme du « Competition Act 1998 », la plus importante depuis 1948, a fixé des accords d’interdiction de pratiques anticoncurrentielles. Le Conseil de la concurrence sera saisi par le gouvernement pour enquêter dans de nombreux domaines (principalement la grande distribution et le secteur automobile). Côté consommaterus, la réforme de l’assistance juridique, le renforcement de la représentation des consommateurs, l’engagement réel de la « Consumer’s Association » (qui a été investie d’un pouvoir d’ester en justice), la loi sur la libre information, l’enquête menée sur le prix des services financiers aux ménages sont les principales mesures qui ont été prises durant la première législature du gouvernement Blair. L’installation d’un droit du consommateur au Royaume-Uni constituait un objectif affiché du secrétaire d’État au Commerce et à l’Industrie dans son livre blanc sur le consumérisme en 1999, « les consommnteurs [apparaissant] au cœur de la stratégie gouvernementale ».
S’agissant de la gestion « technico-administrative » de la réforme, les orientations choisies reflètent aussi une forme de rééquilibrage entre le ministère des Affaires sociales – plus sensible au modèle des fonds d’entreprise régulés –, et qui réussira à imposer le « Stakeholder Pension », et le ministère des Finances qui aurait souhaité promouvoir au premier plan une formule flexible, individuelle et transparente de « fonds de placements » très proches du « 401 (k) américain » [8]. Il ne lui sera accordé qu’un rôle secondaire dans l’ensemble du dispositif.

Le « Stakeholder Pension » est présenté comma une formule peu coûteuse, « sécurisée » et portable destinée aux classes moyennes

36Le « Stakeholder Pension » est un nouveau plan de retraite individuel complémentaire, donc à cotisations définies, et fonctionnant en capitalisation. L’adhésion au « Stakeholder Pension » n’est pas obligatoire, à ce stade, mais sera facilitée et encouragée fiscalement. Depuis avril 2001, les couvertures complémentaires sont au nombre de quatre et comprennent : une retraite publique « Stakeholder Pension » en remplacement du « SERPS »), les fonds d’entreprise (« Occupational Pension Scheme ») qui existent depuis le début du siècle, les plans de retraite individuels mis en place sous législature conservatrice (« Personal Pension Plans ») et le « Stakeholder Pension » – à coloration travailliste « New Labour » – nouvellement installé par le gouvernement Blair.

37Bien qu’il n’y ait pas de conditions d’éligibilité pour adhérer à un « Stakeholder Pension », ce plan individuel s’adresse à une population cible dont les revenus sont compris entre 9 000 et 18 500 livres par an (soit entre 99 000 et 203 500 francs) et qui, de préférence, n’avait pas souscrit à une retraite privée complémentaire auparavant. Le gouvernement n’entend pas encourager, en effet" le transfert des droits des épargnants déjà couverts par une retraite d’entreprise ou un plan de retraite individuel vers un « Stakeholder Pension » : avec l’affaire des « mis-selling », les transferts sont pour longtemps, « maudits » au Royaume-Uni.
Ainsi, il est plutôt conseillé aux personnes dont les rémunérations annuelles sont inférieures à 9 000 livres d’épargner au sein du nouveau régime complémentaire public (« Second State Pension »), sachant que 84 % de ceux qui gagnent plus souscrivent déjà à une retraite complémentaire privée (tableau n° 3).

Tableau n° 3 : Taux de couverture des revenus salariés à temps complet cotisant dans le deuxième pilier : remise en perspective du groupe ciblé pour le « Stakeholder Pension »

tableau im3
Retraites < £9000* par an sur l’ensemble de la période Groupe ciblé £9000-£18500 par an sur l’ensemble de la période > £185000* par an sur l’ensemble de la période Autres % de l’échantillon 20 % 42 % 19 % 18 % Pas de pensions privées complémentaires 64 % 16 % 3 % 40 % Retraite professionnelle 17 % 41 % 55 % 20 % Plan de retraite individuel et pas de contributions additionnelles 6 % 7 % 4 % 12 % Plan de retraite individuel avec des contributions additionnelles 8 % 14 % 6 % 13 % Retraite professionnelle + plan de retraite individuel 6 % 22 % 32 % 16 % Total 100 % 100 % 100 % 100 % Source : repris de IFS (1999) d’après les données du British Household Panel Survey (1992-1995).

Tableau n° 3 : Taux de couverture des revenus salariés à temps complet cotisant dans le deuxième pilier : remise en perspective du groupe ciblé pour le « Stakeholder Pension »

38Fondamentalement, un « Stakeholder Pension » doit satisfaire deux obligations légales : des standards minimums fixés par la loi et une gestion encadrée par une structure agréée. Ce nouvel instrument a été conçu pour être peu onéreux et garantissant une réelle sécurité et flexibilité (« a low-cost portable individual pension »). Il répond ainsi à plusieurs objectifs dont les cinq nouveautés sont :

  • un taux de chargement plafonné à 1 % par an de la valeur du fonds ;
  • la portabilité sans coût induit ;
  • l’accessibilité ;
  • une fiscalité redéfinie dans le cadre du « Stakeholder Pension » mais qui s’appliquera à l’ensemble du régime par capitalisation, avec en particulier la mise en place d’un impôt négatif pour les personnes non imposables ;
  • une régulation duale resserrée et chargée de l’éducation du consommateur.

Les standards obligatoires sont construits sur la base des standards « CAT » (« Cost, access and terms »)

39Ces standards minimums, qui servaient déjà de références à d’autres produits d’épargne, concernent en particulier :

  • une structure simplifiée de l’ensemble des charges imputées, destinée à mieux contrôler les charges pratiquées par les compagnies. Il est décidé que l’évaluation des charges doit être proportionnelle aux fonds accumulés par les membres ou équivalente à un pourcentage des contributions payées ;
  • un plafond du niveau des charges prélevées – censées couvrir tous les coûts engendrés par un plan d’épargne retraite - qui a été, fixé à 1 % par an de la valeur du fonds : cette limitation ne sera pas révisée durant les cinq premières années après le lancement du « Stakeholder Pension ». Toutefois, un dépassement de ce plafond est possible sous réserve que les frais supplémentaires soient détaillés. Ce surcroît de coûts relatifs à du conseil bien spécifique (transferts de droits d’un régime à l’autre, informations ne concernant pas directement les régimes de retraites…) prend la forme d’honoraires (« upfront levy/fee »). Enfin, tout service additionnel (prestations associées à une couverture d’assurance vie) est payé séparément et libre. Il n’y a pas de droit d’entrée ou de sortie supplémentaire ;
  • un minimum de contributions, qui ne peut pas être supérieur à l0 livres (comme mise initiale), mais pas de contrainte sur la régularité des versements ;
  • une absence de pénalités pour les interruptions momentanées de cotisations, ainsi que pour les transferts de droits d’un régime à l’autre ;
  • les droits émanant d’autres plans d’épargne retraite complémentaires peuvent être transférés dans un « Stakeholder Pension » ;
  • l’obligation légale d’informer les souscripteurs au moins une fois dans l’année sur la valeur de leur retraite, sur le montant des contributions payées et sur les charges déduites.

Définition de la structure agréée

40La structure administrative habilitée (Structure governance) à délivrer ces nouveaux produis est chargée de la supervision des opérations et des procédures du nouveau dispositif, c’est-à-dire classiquement de veiller à ce que les gérants des fonds agissent bien dans l’intérêt des souscripteurs conformément aux standards « CAT ». Formellement, il pourra s’agir :

  • d’un conseil d’administration (Trust-based schemes) régi par la réglementation applicable aux administrateurs juridiques (Trast law), à l’instar de celle encadrant le système des retraites complémentaires professionnelles ;
  • ou d’un « Secure Stakholder Management », une organisation alternative au conseil d’administration précité (lorsqu’il sera difficile de mettre en place une telle structure), qui devra être agréée, par la FSA (Financial Services Authority).

Faciliter l’accès à cette épargne

41Le « Stakeholder Pension » est ouvert à toutes les catégories professionnelles (travailleurs indépendants compris). Comme tout plan de retraite individuel, cette nouvelle couverture privée complémentaire rompt le lien pouvant exister dans les schémas à prestations définies entre les contributions versées et les revenus. Si les institutions financières et diverses organisations, voire des associations, peuvent le délivrer, le gouvernement entend surtout faciliter l’accès du « Stakeholder Pension » au sein de l’entreprise. Une entreprise qui ne délivre pas de retraites complémentaires professionnelles (« Occupational Pension Schemes ») devra, en concertation avec les instances représentatives des salariés, informer tous les employés éligibles, et choisir un émetteur de « Stakeholder Pension », le cas échéant. Les cotisations, à la demande des employés, pourront être prélevées à la source (dans la limite autorisée) durant une période déterminée.

42Est toutefois dispensé de proposer ce produit, tout employeur qui a :

  • des employés dont les revenus sont inférieurs à 66 livres par semaine (imite basse servant de référence à la « National Insurance ») ;
  • moins de cinq employés (soit 15 % de la population cible, selon le gouvernement) ;
  • proposé à ses salariés, une retraite professionnelle admissible au bout d’un an de travail ;
  • conseillé à ses salariés d’adhérer à un plan de retraite individuel qui satisfait les standards définis pour un « Stakeholder Pension » (à l’exception de la structure administrative, et de la limite sur le taux de chargement) et qu’il soit capable de démontrer que la retraite individuelle n’est pas moins avantageuse que le « Stakeholder ».

Mise en place d’un schéma de régulation professionnelle et indépendante duale (FSA, OPRA) encadrant le « Stakeholder Pension »

43Cette nouvelle épargne retraite est encadrée par un régime mixte de régulation : la FSA (« Financial Services Authority ») pour le suivi des ventes et l’OPRA (« Occupational Pensions Regulatory Authority ») pour certains aspects de la gestion des fonds (FSA, 2000).

44La FSA supervise surtout le marketing et la communication (information, consultation, audit de la situation financière de l’épargnant) de la vente du produit en vertu du « Financial Services and Markets Act 2000 ». Outre, la délivrance de l’agrément à une structure administrative, la FSA supervise également en partie la gestion des fonds investis. Elle se voit confier également une mission « d’éducation des consommateurs ». Cette fonction revêt un enjeu stratégique et conditionne ainsi le succès de la réforme car elle vise à baisser le coût de la consultation financière et à renforcer le consumérisme. Cette mission éducative s’appuie sur une logistique d’informations diversifiée (notices pédagogiques finalisées auprès d’un panel de consommateurs, « arbre de choix » détaillé (FSA, 2001) ; assistance téléphonique, internet, réseau centralisé d’information (OPAS).

45L’OPRA (« Occupational Pensions Regulatory Authority ») qui a déjà une expérience dans ce domaine, contrôle l’administration et certaines fonctions de la gestion du fonds (paiement des cotisations…). Il est également de son ressort de vérifier que les administrateurs respectent les obligations légales du « Pension Act » de 1995 et agissent bien dans l’intérêt des souscripteurs : publication d’un rapport annuel, nomination d’experts (consultants), formalisation des engagements et des principes d’investissement, installation de procédures en cas de litiges internes.

46Les adhérents à un « Stakeholder Pension » pourront saisir en recours deux médiateurs choisis selon la nature des litiges : un médiateur (« Pensions Ombudsman ») pour toutes réclamations inhérentes à une mauvaise gestion administrative, et une autre médiation (« Financial Services Ombudsman ») pour les plaintes associées aux défauts de conseils (inappropriés, erronés, abusifs…).
Si la FSA et l’OPRA représentent des entités de contrôle indépendantes et professionnelles, le ministère de l’Emploi et des Affaires sociales britannique et les autorités fiscales restent responsables de la politique des retraites au Royaume-Uni ainsi que de la législation qui l’encadre.

Les implications de l’encadrement des coûts du « Stakeholder Pension » au-delà des économies de charges pour l’adhérent

47L’ensemble de ces contraintes devrait permettre en théorie aux revenus modestes et irréguliers dans le temps d’amortir cette fois-ci plus vite le coût de cette nouvelle épargne-retraite privée comme l’illustre l’étude conduite par l’autorité de contrôle des services financiers (FSA, 2000). Le tableau n° 4 montre, en effet, qu’un Britannique dont les charges prélevées sont dans la médiane et qui cesse de cotiser au bout de cinq ans à un plan de retraite individuel n’obtiendra que 62 % d’un fonds estimé sans charge (hypothèse forte) et 79 % s’il n’avait pas interrompu ses cotisations, tandis qu’il récupérera pratiquement 80 % de ce fonds fictif s’il adhère à un « Stakeholder Pension » même en ayant interrompu ses versements.

Tableau n° 4 : Comparaison de l’impact des charges pratiquées sur une distribution de plans de retraite individuels et sur le « Stakeholder Pension »

tableau im4
Simulations des fonds au bout de 25 ans pour 60 £ de cotisations par mois (avec l’hypothèse d’un taux de retour brut sur investissement de 7 %) Charges moyennes pratiquées sans interruption de cotisations cessation de cotisations après 5 ans Fond Charges totales Charges annuelles Fond Charges totales Charges annuelles 1er décile des « Personal Pensions » £35 900 24,0% 1,88 % £9 196 44,7% 2,76 % Médiane des « Personal Pensions » £37 200 21,3 % 1,63 % £10 302 38,0 % 2,24% 9e décile des « Personal Pensions » £40 300 14,7 % 1,08% £13 010 21,7 % 1,15 % Pas de charges sur « Personal Pensions » £47 248 0 0% £16 626 0% 0% « Stakeholder Pension » £40 392 14,5 % 1,06% £13 254 20,3 % 1,06% Sources : d’après FSA (2000) et PIA (2000).

Tableau n° 4 : Comparaison de l’impact des charges pratiquées sur une distribution de plans de retraite individuels et sur le « Stakeholder Pension »

Conclusion

48Le succès ou l’infortune du « Stakeholder Pension » seront sans aucun doute un élément de validité important de la « troisième voie » empruntée par le « Blairisme » en matière de protection sociale. Beaucoup attendent, et naturellement l’opposition, de l’engagement visible du Premier ministre sur ce nouveau plan de retraite individuel, dans un pays qui a une longue tradition de fonds de pension. S’il est devenu presque axiomatique de faire référence aux sources d’inspiration libérale qui ont nourri les programmes économiques et sociaux du gouvernement, la réforme du système des retraites britannique donne ici l’occasion à Tony Blair, dans le cadre de l’exercice du pouvoir, de préciser les valeurs du « Nouveau travaillisme » dans ce secteur.

49Le gouvernement Blair devait réformer le secteur des retraites au plus vite. L’échec des réformes conservatrices engagées il y a quinze ans, laissait les travaillistes dès leur arrivée au pouvoir dans une alternative délicate : soit d’accepter, à long terme, le risque d’une paupérisation accrue d’une partie importante de la population, soit agir dès à présent en incitant les futurs « nécessiteux » à prendre soin de leur propre avenir, et consentir pour ce faire des dépenses fiscales. Il devait ainsi décider sans s’aliéner à la fois la classe moyenne et les milieux d’affaires comme la finance et l’industrie, qui ont porté sa victoire électorale, et en cherchant de manière quasi obsessionnelle à ancrer la réputation de la nouvelle équipe travailliste en matière de prudence budgétaire afin de rompre avec l’image d’un « Old Labour » dépensier.

50Les orientations ainsi définies à ce stade dessinent une ligne d’action déjà lisible.

51En étendant un quasi principe de « filet de sécurité » au régime complémentaire, il consomme sa rupture avec le « Old Labour », qui avait installé le SERPS en 1978 pour ceux qui ne disposaient pas de retraite d’entreprise, et confirme ainsi l’inscription du « Nouveau travaillisme » dans l’option libérale tracée par M. Thatcher. Et ce même si le ciblage introduit un « sas de sécurité » – pour les plus démunis – différenciant en cela nettement l’approche travailliste de celle des conservateurs dans ce domaine.

52Toutefois, en cherchant à encadrer légalement le commissionnement de l’industrie des retraites, le projet travailliste renforcera – tout en la redéfinissant – la « re-régulation » installée sous la législature Major. Cette mesure visible est politiquement volontaire si l’on garde à l’esprit que ce type de mesure est rarement appliqué en dehors de la Suède, de certains pays d’Amérique latine et de la Pologne (Whitehouse, 2000). Les conséquences de l’affaire Maxwell et des « mis-selling » vont le conduire à engager très vite une révision radicale de l’organisation du contrôle de l’intermédiation financière et la fin du dogme britannique du « benign neglect »[9] pour ce qui concerne la protection du consommateur de services financiers. Le développement d’un consumérisme, garanti non pas seulement par l’État mais surtout par des instances professionnelles indépendantes de régulation renouvelées, constitue une caractéristique strategique de la conception « New Labour » de l’intervention publique. Au cœur de leurs préceptes sociaux-libéraux de gouvernance, il s’agit également de revenir sur un postulat de base du libéralisme qui avait été oublié outre-Manche : celui d’un pouvoir de marché confronté à des individus rationnels et informés…

53L’analyse de la réforme lève ainsi certaines ambiguïtés souvent relevées dans les discours de Tony Blair sur la « troisième voie », considérés séduisants car par nature consensuels « puisqu’elle est la voie du modernisme avant tout qui transcende les vieux antagonismes entre le néolibéralisme et la sociale-démocratie ». Le schéma de réforme, qui est ici proposé, renoue finalement avec une forme de capitalisme plus régulée qui consacre le paradigme de la modernité fondé sur les « corporations modernes éclairées » (Marquand, 2000). Il affirme ici sa tendance gestionnaire et centralisatrice.
Cela dit, s’il est trop tôt pour présager du succès de cette approche, la tendance observée à la baisse des charges sur le marché des pensions individuelles est déjà une première victoire du gouvernement, ainsi que la concentration du marché du « Stakeholder Pension » entre les trois plus grandes compagnies d’assurance. C’est sans doute là la face cachée de la réforme qui chercherait par cette limitation légale des coûts, outre la modération des prix, à « forcer les économies d’échelle et les restructurations au sein du marché des plans en contributions définies » (Blake, 2000c) et ce afin d’en assurer un meilleur contrôle : la surveillance est infiniment plus difficile à assurer lorsque le marché est dense et fragmenté comme c’est encore le cas au Royaume-Uni. Il reste, toutefois, que le lent démarrage du « Stakeholder Pension » près de dix mois après son lancement et la nature des adhésions – rarement le fait de la population cible – relancent le débat sur la pertinence d’une stratégie basée sur le volontariat dans une perspective de solidarité. Au-delà des critiques d’une profession et de cercles très influents, naturellement rebutés par la limitation légale des coûts de gestion, ces résultats encore provisoires posent, en effet, la question de la fixation d’un minimum obligatoire contributif et de la nécessité d’installer des mesures incitatives pour encourager les employeurs à abonder. Beaucoup d’experts, y compris l’administration concernée, sont d’ores et déjà persuadés que ce dernier point pourrait jouer un rôle majeur dans le « dénouement heureux » de cette expérience.

Glossaire

54Benchmark : système de référence, technique d’étalonnage comparatif – utilisé en gestion – visant à aligner les caractéristiques d’une structure sur celle considérée, la plus performante (Pearsall, 1999).

55Plans à cotisations définies ou à prestations définies : les régimes en prestations définies calculent leurs prestations sur la base d’une formule, qui correspond à une promesse de versement défini à l’avance et évaluée en fonction des revenus antérieurs et des années de service acquises. Si le plan est « intégré » (ou appelé de type « chapeau ») au régime public de sécurité sociale, le niveau de retraite global est garanti : le plan ne versant dans ce cas-là que la différence par rapport à la retraite de base. Dans un plan en cotisations définies, seules les cotisations et l’abondement le cas échéant sont fixés, et la prestation dépend uniquement du niveau des cotisations versées et surtout des rendements des actifs du fonds. La sortie est le plus souvent en capital.

56Régime de retraite d’entreprise, encore appelé régime d’employeur, professionnel ou fonds de pension : un régime de retraite d’entreprise doit recevoir l’agrément auprès de l’« Occupational Pension Board » pour pouvoir se constituer. Il obéit au principe des prestations définies comme des cotisations définies. Il est géré en capitalisation. Ces fonds sont anciens, ils existaient avant la seconde guerre mondiale. Au Royaume-Uni, l’employeur conserve la latitude d’instaurer ou non un régime, mais le choix en matière d’affiliation revient au salarié. Comme dans la plupart des pays ayant des fonds de pension, la gestion est « externalisée », c’est-à-dire déléguée à une personne morale juridiquement et financièrement distincte de l’entreprise. Dans le secteur privé, la plupart des régimes de retraite conventionnés sont constitués sous la forme juridique d’un Trust. Un Trust est une convention entre le fondateur et les Trustees nommés pour administrer ces fonds, en ayant la responsabilité de les gérer dans le respect de la « Trust Law », c’est-à-dire dans l’intérêt exclusif des bénéficiaires. Les administrateurs n’ont de compte à rendre qu’aux membres du Trust et ne sont pas responsables vis-à-vis de l’employeur. Depuis la réforme de 1995, les membres ont la possibilité de nommer au moins le tiers des Trustees. La surveillance de ces régimes est assurée par l’OPRA.

57Plans de retraite individuels ou plans d’épargne-retraite personnels : ces retraites sont délivrées exclusivement en cotisations définies. Ces régimes sont gérés en capitalisation. Ils peuvent être souscrits par l’intermédiaire de l’entreprise mais il s’agit le plus souvent d’une adhésion individuelle souscrite directement auprès d’une compagnie d’assurance. C’est la FSA qui assure le contrôle des plans de retraite individuels.

58Schémas hybrides : ils sont proposés par les entreprises qui combinent à la fois des dispositifs pour partie à prestations définies et à cotisations définies. Taux de chargement : il correspond aux charges occasionnées par les frais de gestion et de commercialisation de l’épargne-retraite privée. Il est exprimé en pourcentage des cotisations versées ou du fonds cumulé sur un an, rendement de l’épargne compris.

59« Pilier » : ce terme fait référence au « modèle » de la Banque mondiale qui retient rois piliers : le premier étant constitué de la pension de base, le deuxième regroupe les régimes d’entreprise et le troisième fait référence à toutes les formes d’épargne-retraite volontaires individuelles, comme les plans de retraite individuels. Ce vocabulaire qui est repris par beaucoup d’auteurs n’a pas de portée universelle puisqu’il n’est pas partagé par d’autres instances internationales comme le BIT ou l’OCDE qui en reconnaissent quatre, ni même par un pays comme le Royaume-Uni qui retient bien trois piliers mais avec des dispositifs différents : la pension de base au premier pilier, tous les régimes complémentaires public et privé au deuxième et les formules AVC et FSAVC au troisième. Certains experts emploient indifféremment mais abusivement les termes d’étage ou encore niveau.
Portabilité : ce terme désigne les conditions de transférabilité (souvent résumées à la valeur de transfert) des droits à retraite d’un adhérent d’un régime à un autre. On entend parfois portage.

Annexe

Présentation succincte du système de retraite au Royaume-Uni

60Le système de retraite britannique est constitué de trois types de dispositifs : la retraite d’État de base, les régimes complémentaires collectifs public et privé et les plans de retraites individuels.

61Le régime public de base de la sécurité sociale est obligatoire et géré en répartition. Cotisent à ce dispositif à la fois les salariés et les non-salariés dont le revenu dépasse un certain seuil (« Lower Earnings Limit », LEL, 3 744 livres par an en 2000-2001). Il s’est édifié outre-Manche selon une conception beveridgienne. Dans cette logique, c’est l’État qui finance, l’affiliation est obtenue sous condition de résidence, et la pension de base (« Basic Pension ») est une prestation contributive universelle à taux uniforme fonction uniquement de la durée d’affiliation, donc sans rattachement au salaire. Elle est généralement modeste soit de 2 630 francs pour les isolés et de 4 200 francs pour les couples mariés. L’âge de la retraite est de 65 ans pour les hommes et de 60 ans pour les femmes. Il sera progressivement relevé pour ces dernières pour atteindre 65 ans entre 2010 et 2020. Pour percevoir une pension de base à taux plein, les années validées doivent représenter au moins 90 % de la durée théorique de la vie professionnelle qui est de 44 ans pour les femmes et de 49 ans pour les hommes. Le taux de la pension est réduit lorsque les années validées sont moindres.

62• Tout salarié, dont le salaire dépasse le LEL, doit obligatoirement souscrire à l’une des quatre formules de retraite complémentaires suivantes, sachant qu’il existe une convention d’exemption à la retraite complémentaire publique : le « contracting-out ». La réglementation du « contracting-out » s’applique seulement sur minimum de contributions pour les salaires compris entre le LEL et le UEL (« Upper Earnings Limit », fixé à 4 535 livres par an en 2000-2001). Il peut donc adhérer à :

  • une retraite complémentaire publique (SERPS, « State Earnings related scheme ») contributive pour les salaires compris entre LEL et le UEL. Le régime est géré en répartition par l’État et offre une prestation depuis 1999 assise sur 20 % du salaire moyen perçu durant toute la vie active. Les périodes de travail indépendant et d’inactivité ne permettent pas de cumuler des droits dans le cadre du SERPS. Celui-ci sera remplacé en avril 2002 par la « Second State Pension » introduite par les travaillistes ;
  • un régime d’entreprise ou professionnel institué par les administrations ou les entreprises (si l’employeur en propose), géré par les employeurs en capitalisation, selon une formule en prestations définies, à cotisations définies ou mixtes (cf. glossaire). Les droits à pension sont acquis au bout de deux ans d’adhésion. L’exemption d’affiliation au SERPS est obtenue pour les employeurs qui peuvent démontrer une couverture au moins équivalente par le biais du plan de retraite d’entreprise en prestations définies. Selon les dispositions fiscales applicables à ces régimes, l’employeur doit supporter 10 % au moins du total des cotisations. Il est fréquent toutefois que l’abondement couvre la totalité des cotisations. Les règles fiscales limitent les cotisations des salariés à 15 % du salaire annuel dans la limite d’un plafond annuel. La réglementation fiscale limite le montant des pensions professionnelles à un maximum de deux tiers du dernier salaire plafonné ;
  • un plan de retraite individuel (« Personal Pension Plan ») ;
  • et, depuis avril 2001, le « Stakeholder Pension » une autre épargne-retraite individuelle plus sécurisée et moins chère, selon le gouvernement, car les frais administratifs et commerciaux sont strictement encadrés par la législation. Les plans de retraite individuels sont tous souscrits en cotisations définies et l’adhésion peut se faire dans un cadre collectif ou non, c’est-à-dire directement auprès des établissements financiers émetteurs (essentiellement les compagnies d’assurance). La dimension obligatoire des (« Personal Pension Plan » est représentée par les plans individuels agréés (« Appropriate Personal Pension ») qui autorisent l’exemption d’affiliation au SERPS. Ils représentent environ la moitié de l’ensemble de ces plans. La cotisation maximale exigible dépend de l’âge de la personne, soit 17,5 % du salaire annuel à l’âge de 35 ans jusqu’à 40 % pour la tranche des 61-74 ans, dans la limite d’un plafond de déductibilité.
Les affiliés à un régime d’entreprise peuvent aussi, à titre individuel, effectuer des versements complémentaires au-delà du taux minimum imposé par le « contracting-out », soit dans le cadre de leur régime d’entreprise (AVC) ou dans le cadre d’autres formes d’investissement (FSAVC) auprès d’une institution appropriée.

63Aujourd’hui en Grande-Bretagne, sur 35 millions d’actifs, 10,5 millions sont adhérents d’une retraite d’entreprise, 10 millions sont titulaires d’un plan de retraite individuel, 7 millions souscrivent au SERPS (DSS, 1998), et 570 000 se sont déjà portés acquéreurs d’un « Stakeholder Pension ».

Notes

  • [*]
    Économiste, chargée de mission à la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) ministère de l’Emploi et de la Solidarité. Au moment où l’auteur a engagé ses travaux sur la réforme du système de retraite britannique, elle était attaché financier adjoint près l’ambassade de France au Royaume-Uni à l’agence financière de la direction du Trésor du ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie. Elle remercie l’agence financière pour les conseils utiles et les échanges de vue fructueux. Les développements ici présentés n’engagent naturellement que l’auteur.
    L’auteur a bénéficié des précieux conseils de John Crowley, chargé de recherche CERI/FNSP, chargé de mission à la Mire DREES, ministère de l’Emploi et de la Solidarité, et l’en remercie vivement.
  • [1]
    Department of Social Security, 1998, A new contract for welfare : partnership for pensions, Cm 4179, décembre.
  • [2]
    Devenu DWP (ministère chargé de l’Emploi et des Affaires sociales).
  • [3]
    Qui autorise les personnes éligibles au SERPS et aux régimes d’entreprise d’adhérer à un plan de retraite individuel.
  • [4]
    Cf. Blake (mai 2000) ; Government Achrary (1996) ; FSA (2000) ; Walford (1998) ;White-house (2000).
  • [5]
    PIA (1998, 1999) et FSA (2000, p. 14).
  • [6]
    À titre indicatif pour 11 % de l’ensemble des adhérents à des retraites d’entreprise, le salaire de référence est celui perçu au moment de se retirer ; pour 23 % d’entre eux il s’agit d’une moyenne sur les douze derniers mois, pour 25 % c’est l’année la plus profitable sur une période variant selon les cas de rois à dix ans, et il correspond à une moyenne des trois années les plus profitables sur une période plus longue comprise entre dix et treize ans.
  • [7]
    À titre indicatif, pour 11 % de l’ensemble des adhérents à des retraites d’entreprise le salaire de référence est celui perçu au moment de se retirer, pour 23 % d’entre eux il s’agit d’une moyenne sur les douze derniers mois, pour 25 % c’est l’année, la plus profitable sur une période variant selon les cas de trois à dix ans, et il correspond à une moyenne des trois années les plus profitables sur une période plus longue comprise entre dix et treize ans.
  • [8]
    Les plans 401 (k) correspondent à plusieurs formules d’épargne salariale offertes aux salariales d’une entreprise. Ils jouissent d’une très grande popularité aux Étas-Unis en raison de leurs modalités qui leur confèrent une grande flexibilité.
  • [9]
    Expression familière de la profession faisant référence à des décennies « d’indifférence officielle » concernant la protection des consommateurs dans le secteur des services financiers dans la mesure où a priori le principe de confiance repose sur le jeu classique des forces de marché dans lequel les acteurs sont supposés informés et rationnels.
Français

Résumé

Dès son accession au gouvernement en 1997, les travaillistes ont engagé une vaste réforme du système des retraites au Royaume-Uni dans la lignée des orientations des législatures conservatrices. Le désengagement de l’État du financement dei pensions est confirmé ainsi que l’encouragement à la responsabilité individuelle. Si la soutenabilité des finances publiques britanniques à long terme n’est pas entamée du fait de contraintes démographiques moins fortes qu’ailleurs et des modifications paramétriques entreprises vingt ans plus tôt, sans réforme le Royaume-Uni est cependant exposé en 2025 à un risque de paupérisation accrue des retraités.
Face à l’échec des grandes réformes conservatrices lancées en 1996 et en 1995, le projet de Tony Blair doit convaincre qu’il pourra redonner du pouvoir d’achat à une population croissante de futurs bénéficiaires qui ont aujourd’hui des carrières de plus en plus fluctuantes et donc des revenus irréguliers et souvent modestes. À cet égard, la promotion du « Stakeholder Pension » – un nouveau plan de retraite individuel du « New Labour » présenté comme étant flexible, sécurisé et bon marché en raison de la limitation légale de ses coûts de gestion, tient dans l’ensemble du dispositif un rôle stratégique. Le gouvernement travailliste cherche ici à adapter le système de retraites, à la fois dans ses composantes publiques et privées, aux nouveaux enjeux économiques et sociaux qui ont émergé avec la généralisation de la flexibilité du marché du travail outre-Manche. Le papier présente les enjeux du « Stakeholder Pension » dont le succès ne peut être assuré que grâce à celui de la réforme du contrôle engagé en même temps et du développement d’un consumérisme actif outre-Manche.

  1. Les raisons d’une réforme profonde du système de retraite britannique
    1. La volonté de poursuivre le désengagement de l’État dans le financement des retraites
    2. Réduire la pauvreté et les inégalités élevées chez les personnes âgées au Royaume-Uni
    3. Revenir sur les orientations des législatures conservatrices des années quatre-vingt qui ont fragilisé l’ensemble du système
      1. La réforme Thatcher de 1986 : désengager l’État dans le secteur des retraites et promouvoir des plans de retraite individuels
      2. L’échec de la réforme de 1986
        1. Cherté des plans de retraite
        2. Coût de la portabilité
        3. Complexité du système
      3. La multiplication d’affaires délictueuses a porté atteinte à la crédibilité du système
      4. La législature Major obligée d’instaurer une « re-régulation » dont les orientations sont aujourd’hui critiquées
  2. La réforme travailliste du système des retraites : le « Stakeholder Pension » présenté comme le fonds de pension « troisième voie » du gouvernement Blair
    1. Éléments de contexte et contours généraux de la réforme
    2. Le « Stakeholder Pension » est présenté comma une formule peu coûteuse, « sécurisée » et portable destinée aux classes moyennes
      1. Les standards obligatoires sont construits sur la base des standards « CAT » (« Cost, access and terms »)
      2. Définition de la structure agréée
      3. Faciliter l’accès à cette épargne
    3. Mise en place d’un schéma de régulation professionnelle et indépendante duale (FSA, OPRA) encadrant le « Stakeholder Pension »
    4. Les implications de l’encadrement des coûts du « Stakeholder Pension » au-delà des économies de charges pour l’adhérent
  3. Conclusion

Bibliographie

  • V. Andrietti, 2001, La transférabilité des droits à pension de retraite complémentaire dans l’Union européenne, Vol. 54, 1.
  • D. Blake, 2000a, « Does it Matter What Kind of Pension Scheme you Have ? », The Economic Journal, Vol. 110, n° 461, February.
  • D. Blake, 2000b, The United Kingdom : Examining the Switch from low Public pensions to high-cost private pensions, Pensions Institut Birbeck College, May.
  • D. Blake, J. Board 2000, « Measuring Value Added in the Pensions industry », The Geneva Papers on Risk and Insurance, Vol. 25 n° 4, October.
  • En ligneD. Blake, 2000c, « Two decade of pension reform in the UK – What are the implications for occupational pension schemes ? », Employee Relations, Vol. 22, n° 3.
  • D. Blake, J. M. Orszag, 1997, Portability and Preservation of Pension Rights in the UK, Report of the Director-General’s Inquiry into Pensions, Vol. 3, OFT, July.
  • M. Bone, J. Gregory, B. Gill et D. Lader, 1992, Retirement and retirement plans, HMSO for the office of Population Census and surveys, London.
  • Bonnet, Burdillat, Colin, Lelièvre et Salzmann, 2001, « Les régimes complémentaires facultatifs dans sept pays », Études et Résultats de la DREES, n° 131, août.
  • British Houshold Panel Survey, DSS, London (1992-1995).
  • Carhart. M., 1997, « On Perssitence in Mutual Fund Performance », Journal of Finance, March.
  • Comité de politique économique, 2001, Budgetary challenges posed by ageing populations : the impact on public spending on pensions, health and long-term care for the ederly and possible indicators of the long-term sustainabiliry of public finances, EPC/ECFIN/655/01-EN final.
  • J. Crowley, 2000, Les mutations de la protection sociale britannique, Centre d’études international de recherche de la Fondation nationale des Sciences politiques.
  • C. Daykin, 1995, « Occupational Pension Provision in the United Kingdom », in eds Z. Bodie, O.S. Mitchell and J. Turner, Securing employer-basedpensions an International Perspective, University of Pensylvania Press.
  • P. Davis, 2001, « La régulation des fonds de pension : le cas du Royaume-Uni », Revue d’économie financière.
  • D. Don Ezra, 1999, Excellence in UK Pension Fund Management : a perspective on current practices, Franck Russel/London Monograph, octobre.
  • Department of Social Security, 1998, A new contract for welfare : Partnership in Pensions, (Cm 4179), 15 décembre.
  • FSA, 2001, Stakcholder Pensions and decision trees, FSA Factsheet, March.
  • FS A, 2000, « The regulation of stakeholder pensions » (Incorporating a consultation on behalf of the Personal Investment Authority, the Investment Management Regulatory Organisation and the Securities and Futures Authority), Consultation Paper n° 61, August.
  • FSA, 2000, « Saving for Retirement – How taxes and charges affect choice », Occasional Paper Series, n° 8, May.
  • FSA, 1999, Guide to Pension.
  • James K. R, 2000, « The Price of Retail Investing in the UK », FSA Occasional Papers.
  • D. King et S. Wood « The Political Economy of Neoliberalism : Britain and the United states in the 1980s », in H. Kitschelt, P. Lange, G. Marks et J. Stephen (dir), Continuity and Change in Contemporary Capitalism, Cambridge, Cambridge University Press, 1999.
  • P. Meadows, 1999, The flexible labour market : implications for pension provision, NAPF, London.
  • D. Marquand, 2000, « Le nouveau travaillisme ou les ambiguïtés de la modernité », Pouvoirs, n° 93.
  • Michas Béguerie S., 1998, Régimes privés de retraites complémentaires – Perspectives comparatives et européennes, Coll. Bibliothèque de droit privé, tome 295.
  • National Statistics, 2000, Retirement Pension – Summary of Statistics, DSS, Iondon, 31 mars.
  • OCDE, 2000, Comparative Study of retirement Income Policies – Retirement income systems in the United Kingdom, September.
  • OCDE, 2001, Les politiques sociales face au vieillissement démographique – Revenus au moment de la retraite : examen des systèmes dans neuf pays, Paris,
  • Office of Fair Trading, 1997, D. Blake et Orszag, « Portability and Preservation of Pension Rights in the UK », in Report of the Director-General’s Inquiry into Pensions, Vol. 3, London, July.
  • Office of Fair Trading, 1997, The Director General’s Inquiry into Pensions, Vol. 1 et 2, July.
  • Office of Fair Trading, 1999, Vulnerable Consumers and Financial Services, OFT 255, janvier.
  • J. Pearsall, 1999, (ed) the Concise Oxford English Dictionary, 10th adr. Oxford : Oxford University Press.
  • Personal Investment Authority, 2000, 1999 Disclosure Report : Life Insurance, Personal Pensions, Unit Trusts, Open-Ended Investment Companies, Investment Trust Savings Schemes & Individual Savings Accounts.
  • Personal Investment Authority, 1999, Fifth Survey of the Persistency of Life and Pensions Policies.
  • E. Reynaud, 1997, « Le New Labour face aux retraites après dix-huit ans de libéralisme », Chronique internationale de l’IRES n° 48, Noisy-le-Grand, repris dans Pierre-Alain Grecciano « Retraites : réformes et débats – France, Italie, RFA, Royaume-Uni », Problèmes politiques et sociaux, n° 817-818, 12 mars 1999.
  • G. Russell, 2001, « Pension Funds and Prudential Rules – Responsibility – Transparency – Efficiency – The UK system – split controls supported by professional actuaries », APFEN Forum, Paris, June 28.
  • J. Walford 2000, « Money Management : Personal Pensions », Financial Times Business Publications, London.
  • Which, 1997, Is your Pension As good as Gold, January, pp. 44-49, London.
  • E. Whitehouse, 2000, « Paying for Pensions – An international comparison of administrative charges in funded retirement-income systems », Occasional Paper Series, FSA, n° 13.
Michèle Lelièvre [*]
Après avoir été économiste au centre d’observation économique de la CCIP, puis successivement chargée de mission à la Direction de la prévision et attachée financier adjoint près l’ambassade de France au Royaume-Uni ; elle est actuellement chargée de mission sur les questions internationales de protection sociale auprès du sous-directeur « Synthèses des études économiques et de l’évaluation » à la DREES, ministère de l’Emploi et de la Solidarité.
  • [*]
    Économiste, chargée de mission à la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) ministère de l’Emploi et de la Solidarité. Au moment où l’auteur a engagé ses travaux sur la réforme du système de retraite britannique, elle était attaché financier adjoint près l’ambassade de France au Royaume-Uni à l’agence financière de la direction du Trésor du ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie. Elle remercie l’agence financière pour les conseils utiles et les échanges de vue fructueux. Les développements ici présentés n’engagent naturellement que l’auteur.
    L’auteur a bénéficié des précieux conseils de John Crowley, chargé de recherche CERI/FNSP, chargé de mission à la Mire DREES, ministère de l’Emploi et de la Solidarité, et l’en remercie vivement.
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/04/2011
https://doi.org/10.3917/rfas.022.0177
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour La Documentation française © La Documentation française. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...