1La France s’est dotée, en 1999, d’une loi instaurant un filet de sécurité de l’assurance maladie : les plus pauvres (10 % des ménages environ) [2] reçoivent gratuitement une couverture complémentaire qui assure le tiers payant, couvre le ticket modérateur et le forfait hospitalier et offre une couverture élevée des prix des prothèses dentaires et optiques (Bocognano et alii, 2000). On peut considérer que, dans les textes, les obstacles financiers à l’accès aux soins sont levés par cette loi, dite Couverture maladie universelle (CMU) [3]. Cette couverture maladie complémentaire est gérée par les CPAM ou les mutuelles et assurances qui se sont portées volontaires.
2Ce dispositif a soulevé de nombreuses questions juridiques [4] et politiques et constitue un terrain d’observation privilégié des jeux d’acteurs concernés par l’assurance maladie (sécurité sociale, assureurs, mutuelles, associations bénévoles, administration centrale). L’essentiel de son évaluation économique reposera cependant sur la capacité de la CMU à modifier les consommations de soins des ménages les plus pauvres, comme l’a souligné Martine Aubry, alors ministre de l’Emploi et de la Solidarité : « À tavers la Couverture maladie universelle [le gouvernement veut] mettre fin à une des pires exclusions : l’exclusion des soins […] L’objectif ce n’est donc pas seulement d’assurer le droit à l’assurance maladie, mais bien de garantir un réel accès aux soins » (rencontre avec les associations, 9 décembre 1999).
3Le filet de sécurité vise donc à garantir aux pauvres un accès « réel » aux soins, qui se manifesterait par une réduction des disparités de recours entre eux et le reste de la population. Dans la CMU, le moindre recours éventuel des plus pauvres au produit de couverture proposé d’une part, au système de soins d’autre part, n’est plus considéré comme l’exercice légitime, de leur part, de leur liberté de ne pas se soigner, mais plutôt comme un défaut du système d’assurance ou de délivrance, qu’il convient de traiter, au même titre que le manque d’appareils d’IRM dans les hôpitaux français [5].
4La loi de 1999 comprenait explicitement un volet « évaluation », dont l’objet premier sera de modéliser, sur la base d’enquêtes en population générale et de fichiers administratifs, l’impact de la CMU sur les consommations de soins des plus pauvres. Cette évaluation permettra donc de comparer les consommations de soins avec la CMU aux consommations dites du statu quo, c’est-à-dire si l’on avait rien fait. L’objet du présent article est d’imaginer un mode complémentaire d’évaluation, comparant la CMU à des dispositifs alternatifs, qu’on aurait pu mettre en place pour répondre à la même question de l’accès aux soins des pauvres. Il n’est pas question ici de réaliser une telle évaluation, en menant des comparaisons quantitatives précises, mais plutôt de proposer des pistes et des éléments conjecturaux et qualitatifs concernant la capacité de tel ou tel dispositif à améliorer effectivement l’accès aux soins des plus pauvres. On tentera d’appuyer ces conjectures sur les conclusions issues d’expériences déjà réalisées, soit dans le domaine de la santé à l’étranger (autour de Medicare/Medicaid [6] aux USA notamment), soit en France dans le domaine du logement.
5Le plan suit naturellement la présentation de ces alternatives, qu’on a regroupées sous trois grandes rubriques : l’intégration de la complémentaire dans l’obligatoire pour tous, la solvabilisation ex ante des bénéficiaires sur le marché des produits complémentaires, enfin un système de Managed care [7] réservé aux pauvres. Auparavant, une première partie présente les attendus du problème.
Le problème de la complémentaire en France
6La couverture complémentaire est une spécificité du système de soins français. Le seul système comparable au système français de ce point de vue, est l’assurance médicale des personnes âgées américaines, Medicare, assortie de nombreuses polices volontaires (Medigap). Dans les autres pays d’Europe, il existe des systèmes de couverture privés, mais ils jouent plutôt un rôle alternatif, substitutif ou supplémentaire.
7Alternatif signifie que tout citoyen peut fort bien décider de confier ses dépenses de maladie à un opérateur privé, en abandonnant ses droits à la couverture obligatoire. Ainsi, en Espagne, certains fonctionnaires optent pour une couverture spécifique, tout en continuant à financer la couverture obligatoire dont ils ne se servent pas. Leur couverture leur ouvre l’accès à un réseau de prestataires spécifiques, dans des conditions plus confortables que celles du système public.
8Substitutif signifie que l’assuré peut opter pour un système privé en lieu et place du système public, qui doit alors faire sans sa contribution financière. Aux Pays-Bas et en Allemagne, les plus riches ont ce droit d’option, mais, dans ces deux pays, c’est un choix sans retour.
9Supplémentaire signifie que la couverture privée offre des services jugés non réellement médicaux, auxiliaires des traitements fournis par le système obligatoire. On peut par exemple acheter une garantie de séjour en chambre individuelle à l’hôpital.
10La couverture complémentaire doit son existence aux « copaiements » du système obligatoire : ces copaiements prennent la forme de franchises, de ticket modérateur (le consommateur paye une proportion fixée du prix), ou de plafond pris en charge par l’assureur. Ces plafonds concernent les dépassements d’honoraires de certains médecins, notamment du secteur II, qui peuvent facturer au-delà du tarif pris en charge par le régime obligatoire, mais aussi les prothèses dentaires ou optiques, dont les prix pratiqués sont nettement supérieurs aux tarifs reconnus par l’assurance maladie obligatoire.
11Les copaiements sont justifiés par des raisons assurantielles : pour limiter les recours intempestifs et coûteux socialement, on responsabilise partiellement le patient en le faisant contribuer au coût.
12Les individus qui le souhaitent peuvent racheter ces copaiements en souscrivant une police « complémentaire ». Le système français tente donc de ménager une couverture obligatoire pour l’essentiel du risque (qui devrait correspondre à la part jugée nécessaire des soins médicaux) et une couverture volontaire pour la partie non essentielle. La partie obligatoire assure la solidarité des riches envers les pauvres (le fait d’être couvert est indépendant du revenu) ; la partie facultative permet à chacun d’exprimer sa disposition à payer pour la couverture maladie (ceux qui ne veulent pas s’assurer peuvent utiliser leur revenu à d’autres dépenses), et organise une concurrence entre les offreurs (dits organismes complémentaires d’assurance maladie, ou OCAM). En théorie, un tel système concilie un impératif de solidarité entre bien portants et malades, et riches et pauvres d’une part, et un impératif d’efficacité économique d’autre part.
13Dans la pratique, cependant, l’empilage obligatoire-complémentaire semble ne pas garantir une équité suffisante, ni mettre en place les conditions d’une réelle concurrence. Le système est d’autant moins équitable que la part de l’obligatoire diminue et que le niveau de couverture complémentaire dépend plus de caractéristiques sociales (capacité à payer, position sur le marché du travail) que de la préférence individuelle pour les soins médicaux ou de l’aversion personnelle pour le risque. L’analyse du contenu des contrats de complémentaires maladie montre effectivement que la situation d’activité détermine le niveau de couverture (Bocognano, Couffinhal, Dumesnil et alii, 2000) et les enquêtes « Santé – Protection sociale » du CREDES montrent que la proportion d’individus estimant avoir renoncé à des soins au cours des douze derniers mois augmente à mesure qu’on descend l’échelle des revenus (de près de 25 % dans les ménages disposant de moins de 3 500 francs par mois et par unité de consommation à moins de 15 % dans les ménages disposant de plus de 8 500 francs par mois et par unité de consommation, Auvray, Dumesnil et Le Fur, 2001).
14L’absence de concurrence est liée à l’opacité du marché et à la difficulté pour un assuré moyen de faire des choix éclairés dans un domaine complexe. Elle est liée sans doute aussi au fait que les OCAM ne se font pas concurrence sur leur capacité à gérer le risque, c’est-à-dire à sélectionner des professionnels de santé et/ou à organiser leur travail collectif. Cette absence de concurrence génère une inefficience productive et la possibilité pour les OCAM d’extraire une rente.
15L’inefficience et l’opacité aggravent le problème d’équité du financement, en rendant plus cher et plus difficile d’accès aux plus vulnérables, le produit « couverture complémentaire ». Pourtant les solutions envisageables semblent devoir arbitrer entre les objectifs d’équité et d’efficience. En effet une solution visant à améliorer l’efficience en rendant le marché plus clair et en augmentant le degré de concurrence entraîne un risque de traitement inégal des individus, selon leur état de santé ou leur situation sociale (position par rapport au marché du travail), les offreurs tentant de préserver leur revenu en sélectionnant les risques. Inversement, une solution garantissant un accès parfaitement égal à tous, risque fort d’entériner des gestions déficientes ou des rentes des offreurs et de les faire financer par la collectivité.
16Avant la CMU, la solution consistait à supprimer le ticket modérateur pour les soins liés aux maladies chroniques ainsi que pour les soins consommés par les pauvres et à dispenser ces derniers d’avance de frais. Le dispositif public, dit Aide médicale générale (ou gratuite, devenu ensuite Aide médicale départementale), offrait aux conseils généraux une certaine latitude dans la définition de la population « pauvre » concernée, mais, en général, la population bénéficiaire était beaucoup moins nombreuse que la population sans couverture complémentaire ou mal couverte (Bocognano, Couffinhal, Dumesnil et alii, 2000). En outre, rares furent les expérimentations de prise en charge des soins dont les prix réels dépassaient les tarifs de convention du régime obligatoire (prothèses dentaires, optique). L’AMG ne résolvait donc pas complètement les difficultés d’accès aux soins des pauvres, notamment l’accès aux prothèses dentaires et optiques, et aux soins de spécialistes (Boulard, 1998).
La CMU est née de ce constat de semi-échec et a tenté d’améliorer équité et efficience, tout en respectant l’équilibre entre régime obligatoire et régimes complémentaires : l’équité est garantie par le fait que tous les assurés reçoivent la même couverture ; une certaine forme d’efficience doit émerger du libre choix laissé à l’assuré de son organisme de gestion et de l’intéressement des OCAM au fait de traiter un assuré (paiement à la capitation). Des alternatives ont été proposées de trois horizons différents, et pour des raisons opposées :
- pour certains, le libre choix est un leurre pour l’assuré, et introduit au contraire le risque de sélection de la part des offreurs, qui mettrait l’égalité de traitement en péril ; ils préconisaient une augmentation du périmètre de l’assurance obligatoire ;
- pour d’autres, le problème tient au produit unique qui limite arbitrairement la gamme des choix de couverture pour les pauvres, augmente aussi paradoxalement les risques de sélection par les offreurs et met, donc, en danger l’équité (effet pervers) ; ils préconisaient l’instauration d’un vrai marché, l’intervention de la puissance publique se bornant à solvabiliser les demandeurs ;
- enfin, un dernier groupe regrette que la CMU n’ait pas favorisé l’émergence d’une nouvelle fonction sur le marché de la couverture maladie, la fonction de gestionnaire du risque ; dans cette ligne d’idées, on aurait pu concilier équité et efficience en organisant la fonction de production des soins.
Dispenser les pauvres de tout copaiement
17Une première idée était de développer l’AMG, en étendant son bénéfice et en imposant aux spécialistes, dentistes et opticiens, des tarifs opposables pour les patients pauvres. On aurait obtenu un mécanisme identique en tout point au dispositif CMU, sauf que l’assuré gratuit n’aurait pas eu de choix quant à l’identité de son assureur pour la complémentaire. Cette solution, qui avait la faveur des associations, revenait en fait à faire servir la CMU par un opérateur unique obligatoire, par exemple la caisse de régime obligatoire et conduisait à l’exclusion des OCAM du champ de la population pauvre au « profit » des caisses primaires de l’assurance maladie obligatoire.
18Les associations mettaient en avant cette solution de l’intégration de la complémentaire dans le service public car elle avait à leurs yeux l’avantage de faire prendre en charge les non actifs pauvres par une procédure « normale » et d’en finir avec la problématique des exclus et de l’exclusion (Friot, 1998).
A contrario, les associations voient dans le dispositif actuel de la CMU une possibilité offerte aux OCAM de sélectionner les candidats et de rejeter les « mauvais risques » dans le régime général. L’essentiel de la différence entre CMU et ce projet alternatif reposant sur le risque d’écrémage par les OCAM, on passe en revue successivement le problème normatif éventuel posé par une sélection de la part des OCAM, puis une estimation conjecturale du risque effectif de sélection dans le contexte français.
Conséquences normatives d’un écrémage par las offreurs
19Dans le dispositif actuel de la CMU, chaque assuré génère une capitation de 1 500 francs par an, qu’il est libre d’allouer au gestionnaire de son choix, CPAM, mutuelle ou assurance privée [8]. Comme dans tout système pré-payé, le risque existe que l’opérateur recevant la capitation préfère gagner son argent en sélectionnant les assurés plutôt qu’en produisant son service de manière efficiente (on parle d’écrémage : Newhouse, 1996 ; Couffinhal, 2000). Le risque est ici principalement supporté par les assurés eux-mêmes, et parmi eux par les assurés en mauvaise santé, susceptibles d’occasionner une dépense supérieure à la capitation. Techniquement, le dispositif actuel de la CMU présente deux défauts majeurs.
20• La capitation est uniforme, sans aucune modulation par le risque prévisible : une famille avec deux enfants apporte avec elle une capitation totale de 6 000 francs annuels, couvrant largement la dépense moyenne car les enfants occasionnent une dépense médicale faible, alors qu’un chômeur de longue durée de 55 ans n’apporte que ses 1 500 francs annuels, qui peuvent être insuffisants pour couvrir sa dépense médicale. Il y a donc un intérêt évident pour les organismes complémentaires à attirer les « bons risques » et à dissuader les « mauvais ». Il y aurait quelque ironie à ce qu’une loi de lutte contre l’exclusion incite les assureurs santé français à adopter des comportements de sélection ex ante des risques.
21Pour se prémunir contre une telle dérive, tout en préservant la pluralité d’opérateurs sur le marché de la CMU, deux solutions techniques seraient envisageables : la solution néerlandaise consisterait à moduler la capitation selon le risque (Couffinhal et Rochaix, 1998 ; Bocognano, Couffinhal, Grignon et alii, 1998), ce qui conduirait rapidement à un système complexe et un coût de gestion sans commune mesure avec le budget à gérer (inférieur à 10 milliards de francs annuels). La solution « à la Diamond » [9] consisterait à déléguer le risque à un seul opérateur sur une zone géographique donnée, mais après un mécanisme d’enchères au cours duquel chaque opérateur aurait révélé la capitation qu’il serait prêt à recevoir. Une fois sélectionné, l’opérateur a l’obligation de couvrir tous les éligibles de sa zone et le régulateur peut plus facilement contrôler qu’il n’y a pas sélection. Outre sa lourdeur, ce dispositif ne fonctionne pas dès que le nombre de candidats opérateurs au mécanisme d’enchères est faible.
22Il en résulte que l’opérateur unique de service public est la solution la moins coûteuse et la plus simple pour éviter tout risque d’écrémage.
23• La CPAM sert de « voiture balai » et récupère tout le monde puisqu’elle n’est pas, elle-même, soumise à la capitation (voire note ci-dessus). Si l’écrémage des organismes privés ou mutualistes est effectif, les CPAM vont récupérer systématiquement des assurés occasionnant une dépense supérieure au budget prévu et le fonds public sera déficitaire ; il paiera en quelque sorte une rente, soit aux « bons risques » de la CMU dans le cas où les opérateurs sont en concurrence (ils doivent attirer ces bons risques par des avantages), soit aux opérateurs eux-mêmes dans le cas où ceux-ci ont un pouvoir de marché quelconque. Comme le législateur a choisi d’isoler le fonds de financement de la CMU, ce déficit récurrent le conduira à diminuer les prestations servies pour retrouver l’équilibre, au détriment évident de la redistribution horizontale.
En résumé, si les offreurs peuvent sélectionner les risques, ils augmenteront leurs capacités à extraire une rente sur le système ou à organiser un transfert des mauvais vers les bons risques, au détriment du bien-être social (la CMU financera de fait l’activité non productrice de sélection des risques) et feront peser sur les « mauvais risques » le danger d’une baisse des prestations servies par la CMU.
Les risques de sélection dans le contexte français
Position du problème : l’antisélection peut-elle limiter la sélection ?
24Il est difficile aujourd’hui de se prononcer sur la capacité technique des opérateurs à mettre en place des techniques effectives d’écrémage, voire sur leur volonté de le faire : les assureurs savent qu’ils ont besoin d’inspirer confiance et, être montré du doigt comme celui qui écrème le risque en CMU, peut ternir la réputation, y compris sur le marché des non pauvres. Cette question relève certainement d’une sociologie des acteurs de l’assurance complémentaire autant que de l’économie de la santé.
25En revanche, les données existantes permettent de statuer sur une question empirique liée à l’écrémage, à savoir la réponse possible des assurés aux techniques de sélection qui seraient mises en place par les offreurs. On présente ici les résultats d’analyses conjecturales et une première opinion argumentée sur le sujet ; il va de soi que de nouvelles données, ou une exploitation plus fouillée des données existantes pourraient nuancer les conclusions développées ici.
26L’idée est que, si les assureurs n’attirent que les mauvais risques en voulant écrémer, ils limiteront leur effort de sélection. Cette réponse des assurés aux assureurs s’appelle antisélection. Pour en tester la possibilité dans le contexte français, on procède en deux étapes : on commence par tester l’existence d’une capacité des assurés à « choisir » leur assureur ou leur niveau de couverture (ce qu’on appelle autosélection, qui s’oppose à la sélection d’assurés passifs par les offreurs) ; si cette latitude des assurés existe, on teste son caractère dommageable pour les assureurs (antisélection), à savoir le fait que les assurés sont plus malades ou plus consommateurs toutes choses égales par ailleurs. Ce mécanisme est développé dans l’annexe 1 sur le non-recours.
27Quel mécanisme est à l’œuvre ? Dans le dispositif actuel de la CMU, les opérateurs n’ont pas le droit de refuser explicitement un adhérent volontaire (par exemple à la suite d’un examen médical), ni de le radier tant qu’il est éligible à la CMU, mais ils peuvent dissuader certains candidats adhérents par le biais de barrages administratifs, en demandant des dossiers trop complexes (voir annexe 1 précitée) ; l’écrémage éventuel passerait donc par l’élaboration de barrages administratifs décourageant le candidat à l’adhésion. Or, la technique du barrage administratif est vulnérable à l’anti-sélection : si les caractéristiques observables des individus expliquent faiblement leur recours aux soins, mais que des informations connues d’eux seuls sont déterminantes, l’opérateur dressant des barrages finira par n’attirer que les mauvais risques, ceux qui savent qu’ils vont consommer énormément, et ont donc besoin d’une couverture, quel qu’en soit le prix à payer en obstacles administratifs.
Pour tester l’existence potentielle d’un tel effet limitatif d’antisélection, il faut répondre à deux questions :
- existe-t-il de l’autosélection ? Constate-t-on que certains individus éligibles renoncent à une couverture maladie gratuite mais facultative, comme l’aide médicale générale, et ce renoncement est-il lié à une décision de l’individu (par opposition au résultat d’une situation sur laquelle il n’a pas prise) ? Si tel est le cas, comme la couverture est gratuite, on peut supposer qu’un coût implicite administratif est la raison principale du renoncement ;
- existe-t-il de l’antisélection ? Ceux qui renoncent sont-ils les moins malades ou les moins gros consommateurs ?
Existe-t-il de l’autosélection ?
28Premier constat, il existe du non-recours à la couverture complémentaire maladie gratuite délivrée dans le cadre de politiques sociales nationales [10].
29En théorie, l’affiliation à l’AMG est « automatique » pour les bénéficiaires du RMI, la Caisse d’allocations familiales (CAF) se chargeant de transmettre la demande à la Caisse d’assurance maladie (CPAM), qui envoie ensuite au bénéficiaire une carte d’assuré social modifiée, portant mention AMG ; dans la pratique, cela paraît plus complexe, et l’intervention de la personne éligible semble nécessaire. Il peut donc y avoir du non-recours à la prestation d’AMG.
30Les enquêtes en population générale révèlent ce non-recours. On constate, dans l’enquête « Santé – Protection sociale » (SPS) du CREDES, que les individus disant percevoir le revenu minimum d’insertion (RMI), donc éligibles de droit à l’aide médicale générale (AMG), ne disent pas tous en bénéficier. Il ne s’agit pas, semble-t-il, d’un effet de questionnaire, les enquêteurs insistant bien pour distinguer l’assurance personnelle de l’aide médicale (qui prend en charge le ticket modérateur et le forfait journalier hospitalier et dispense de l’avance de frais pour des assurés sociaux du régime de base). L’analyse de l’enquête « RMI » (copilotée entre autres par l’INSEE) confirme qu’il existe des bénéficiaires du RMI sans AMG (Lefebvre, 1999). Selon cette enquête, 14 % des bénéficiaires du RMI n’auraient aucun remboursement des frais de maladie, ou seulement ceux du régime de base. Enfin, selon l’enquête du CREDOC, menée en 1996 auprès des entrants dans le RMI, 24 % n’auraient au mieux que les remboursements du régime de base (Lefebvre, 1999).
31Pour savoir si ce non-recours est « volontaire », on a comparé les populations de bénéficiaires et de non recourant selon différentes caractéristiques observables. Il apparaît alors que le fait de disposer déjà par ailleurs d’une couverture complémentaire (par son ancien employeur par exemple) est un facteur non négligeable de non-recours à l’AMG : 76 % de ceux qui déclarent disposer d’une couverture complémentaire disent ne pas disposer de l’AMG. Le non-recours à la prestation d’AMG s’expliquerait donc par une évaluation comparative du produit d’assurance proposé : l’AMG ne couvre en effet que le ticket modérateur et aucun dépassement de tarif. Un individu déjà couvert par une complémentaire, même payante, peut très rationnellement préférer payer pour un service supérieur et refuser le produit gratuit, mais moins satisfaisant.
Profils socio-économiques des bénéficiaires et des non recourants de l’AMG

Profils socio-économiques des bénéficiaires et des non recourants de l’AMG
32La CMU, certes de qualité de couverture nettement meilleure que l’AMG, sera soumise à la même comparaison de la part des éligibles. Il peut donc fort bien y avoir, dans le cas de la CMU, un non-recours « rationnel », donc de l’autosélection.
Existe-t-il de l’antisélection ?
33On considère la population des bénéficiaires du RMI déclarant, dans l’enquête « Santé – Protection sociale » (SPS), n’avoir pas demandé l’aide médicale générale (AMG) et on teste la différence d’état de santé entre les demandeurs d’AMG et les autres, l’idée étant que l’antisélection liée aux obstacles administratifs se marquera d’un état de santé significativement dégradé des demandeurs par rapport aux éligibles non demandeurs.
34Nous avons regroupé quatre années de l’enquête SPS (1995-1998), pour disposer de 490 bénéficiaires du RMI ayant rempli un questionnaire santé exploitable. 63 % déclarent disposer d’une AMG. On calcule ensuite lm profil d’état de santé au moyen des indicateurs suivants :
- le risque vital, qui est un indicateur synthétique affecté par les médecins codeurs de l’enquête au regard des morbidités déclarées par l’enquêté ; on a regroupé toutes les notes supérieures à 3 ;
- l’indicateur de masse corporelle supérieur à 30 kg/m2 (obesité), indicateur d’un risque spécifique ;
- la difficulté à se déplacer ;
- le fait d’être inactif pour raison de santé (uniquement pour ceux qui sont inactifs, soit 317 observations) ;
- le fait d’avoir été opéré au moins une fois dans sa vie ;
- la déclaration de douleurs ressenties ;
- la note subjective que l’individu attribue à son état de santé.
Profils de santé des bénéficiaires et des non recourants à l’AMG

Profils de santé des bénéficiaires et des non recourants à l’AMG
35Si on compare désormais les profils d’état de santé des bénéficiaires du RMI ne disposant que du régime de base (20 %) et des bénéficiaires du RMI en AMG ou disposant d’une couverture complémentaire, la différence de note subjective d’état de santé s’inverse : ceux qui n’ont aucune couverture (ni AMG, ni complémentaire) se notent en plus mauvaise santé (différence non significative).
36Ces résultats laissent penser que la couverture complémentaire limitée de l’AMG n’est pas touchée par une antisélection au sein de la population pauvre. Si ces résultats sont transposables à la CMU, qui est certes bien plus généreuse que l’AMG, l’antisélection n’opposera pas d’obstacle aux pratiques d’écrémage potentielles des opérateurs en concurrence, et il serait donc intéressant de mesurer et contrôler ces pratiques d’écrémage, afin de comparer le dispositif actuel de la CMU à l’alternative du monopole de gestion public.
37Au total, il semble que les ménages pauvres ne font pas preuve d’antisélection dans le cad.re de l’AMG : ce ne sont pas les individus les plus mal portants qui s’assurent le plus fréquemment. En écrémant par des barrages administratifs, les offreurs ne courent donc pas le risque de ne récupérer que les mauvais risques et on ne peut donc pas repousser a priori l’interrogation des associations devant la possibilité d’écrémage des risques de la part des offreurs dans le dispositif CMU.
La solvabilisation sur le marché de la complémentaire
38Le risque d’écrémage par les offreurs, lié à la liberté de choix par les assurés bénéficiaires de la CMU, peut compromettre partiellement l’objectif d’équité du dispositif [11]. Pour autant, la gestion par le monopole public n’est pas la seule solution à ce problème d’écrémage et certains (comme la Fédération française des sociétés d’assurance, citée dans le rapport Boulard, 1999) ont préconisé d’autoriser les opérateurs à négocier les tarifs de gré à gré avec le bénéficiaire. Cette modulation du tarif permet d’éviter l’écrémage brutal en autorisant l’opérateur à intégrer les différences prévisibles de coût médical des individus dans la prime prélevée.
39Dans ce mécanisme, le régulateur ne verse plus une capitation à l’opérateur, il solvabilise le bénéficiaire en lui versant une prestation qui prend en charge tout ou partie du prix d’un contrat d’assurance librement acheté sur le marché. Le bénéficiaire achète donc d’abord sa couverture, il s’en fait rembourser ensuite la part prise en charge, qui peut être modulée à volonté, notamment en fonction du revenu. Le modèle canonique est l’aide personnelle au logement et, par analogie, le système s’appelle aide personnelle santé (APS). Un autre modèle aurait pu être le plan Clinton d’assurance maladie généralisée de 1994, s’il avait été mis en œuvre.
40En fait, un tel dispositif ne garantit pas la disparition du risque d’écrémage par les offreurs. Pour que le marché prive l’écrémage de tout intérêt pour l’offreur, il faudrait que les négociations de gré à gré entre le bénéficiaire et l’opérateur permettent de trouver le « bon » prix. Si l’assureur connaît tous les déterminants du risque de son assuré, il peut tarifer au risque, et n’a plus aucun intérêt à écrémer ; on peut cependant penser que, dans un domaine aussi complexe que la santé et les soins, il soit très coûteux, voire impossible, d’extraire l’information nécessaire à cette tarification actuarielle (Couffinhal, 2000).
41La théorie prévoit que, si l’assureur ne connaît pas parfaitement l’espérance de risque individuelle, il propose un contrat révélateur, en augmentant la valeur unitaire de la couverture quand la demande de couverture augmente (les bons risques révèlent leur statut en acceptant une couverture partielle, par exemple via une franchise).
42Cependant, dans le domaine particulier des soins médicaux, la réalité du marché de l’assurance maladie, telle qu’on l’observe aux USA par exemple, semble montrer que l’assureur préfère l’écrémage. Notamment, on constate que, contrairement à ce que prédit le mécanisme théorique de révélation, les « bons » risques sont mieux couverts que les « mauvais » (Newhouse, 1996).
43En France aussi, l’enquête SPS montre de manière nette que les individus les mieux couverts par leur complémentaire sont aussi en meilleure santé (Bocognano, Couffinhal, Dumesnil et alii, 2000).
44En outre, si la tarification au risque ou un mécanisme révélateur permettait d’éviter l’écrémage de la part des offreurs, on peut se demander si le remède ne serait pas aussi dommageable que le mal : ce que cherche l’assuré en général – et le législateur, en plus, dans le cas de la complémentaire des pauvres – c’est d’être couvert aussi bien quand son espérance de risque est élevée, par exemple parce qu’il est déjà victime d’une maladie ou d’un trouble chronique. En autorisant l’assureur à faire payer plus cher l’astigmate, on éviterait certes que ce dernier ne trouve pas de contrat, mais on n’organiserait aucune solidarité entre les bien portants et lui.
Même si l’écrémage subsiste, cette solution présente, selon ses promoteurs, d’autres avantages :
- elle atténue les effets de seuil ;
- elle permet de simuler un vrai marché, sur lequel les offreurs se font concurrence et les demandeurs expriment leurs préférences.
46Dans le dispositif actuel de la CMU, on peut même dire que le degré de concurrence entre offreurs est quasi nul, G. Johanet ayant évoqué à ce propos une « concurrence de la plante verte », qui signifie que, mis à part le décor du hall d’entrée, rien ne différencie les opérateurs de complémentaire en CMU, ni le prix ni le produit offert.
47On va voir maintenant que la solvabilisation ne permet pas d’aboutir à un vrai marché, pour des raisons liées aux spécificités de l’assurance santé, mais qu’elle comporte en revanche des inconvénients spécifiques liés aux caractéristiques du marché des pauvres.
Au total, pour comparer la CMU à cette alternative, il faudra tenir compte simultanément de la capacité du marché français de la complémentaire à tenir compte des préférences et à offrir un produit aux pauvres solvabilisés.
L’atténuation de l’effet de seuil : vérifiée, mais non discriminante
48L’effet de seuil provient de la condition de ressources qu’il faut vérifier pour être éligible à la prestation, condition initialement fixée à 3 500 francs par mois et par unité de consommation [12]. L’effet de seuil est gênant car l’individu vivant dans un ménage disposant de 3 499 francs par mois et par unité de consommation est mieux loti in fine que celui vivant dans un ménage disposant de 3 501 francs par mois et par unité de consommation, puisqu’il n’a pas à faire de dépense pour sa couverture maladie complémentaire.
49Dans la proposition d’APS telle que présentée par la FFSA, l’effet de seuil semble moins brutal que dans le projet de loi de CMU car la part de la dépense prise en charge diminue doucement quand le revenu augmente au lieu de disparaître abruptement. Cependant, il ne s’agit pas là d’une caractéristique propre à la solvabilisation, et on pourrait très bien imaginer un tel sifflet pour tous les dispositifs de couverture gratuite des pauvres. Pour la CMU, on offrirait la couverture standard, gratuitement au-dessous d’un premier seuil de revenu (éventuellement nul), puis moyennant une contribution progressive à mesure que le revenu augmente. À un certain seuil de revenu, l’individu paye l’intégralité de la valeur actuarielle officielle de la CMU, c’est-à-dire la capitation versée aux organismes complémentaires (1 500 francs aujourd’hui). On pourrait même imaginer que la contribution continue à croître au-delà de cette valeur officielle pour les ménages plus riches, ce qui permettrait éventuellement de savoir si le montant de la capitation officielle est trop bas.
50En résumé, l’avantage du seuil modulé n’est pas discriminant en faveur du chèque complémentaire maladie : l’APS est certainement la seule solution alternative à la CMU à avoir proposé explicitement une modulation du seuil de revenu ouvrant droit à la prestation, mais, fondamentalement, la même solution technique peut s’appliquer à tous les dispositifs.
L’APS permet-elle aux assurés d’exprimer leurs préférences ?
51Les mêmes coûts de transaction qui rendent la tarification au risque moins intéressante pour l’assureur que l’écrémage, interdisent de construire une offre à la fois compréhensible (donc concurrentielle) et s’adaptant aux préférences individuelles.
52Les contrats d’assurance, et de couverture complémentaire maladie en particulier, sont particulièrement difficiles à évaluer et comparer. Dans le cas français, l’enquête SPS de 1998 a relevé les lignes de contrats portant sur la prise en charge des frais de prothèse dentaire et de prothèse optique. On trouve de très nombreuses manières différentes d’exprimer les montants remboursés par la complémentaire : pour les prothèses dentaires, les douze libellés les plus fréquents ne regroupent que 89 % des contrats, et pour les lunettes les treize libellés les plus fréquents ne regroupent que 69 % des contrats (Bocognano, Couffinhal, Dumesnil et alii, 2000).
53Les contrats reposent sur de multiples dimensions et ressemblent, de ce fait, à des menus de cafétéria. A. Enthoven a proposé que les assureurs américains se fassent concurrence sur un produit standardisé, un panier fixe de services médicaux couverts et de copaiement, le consommateur pouvant alors choisir simplement sur le niveau de la prime. Le plan Clinton de 1994 proposait de constituer des centrales d’achat pour couvrir les individus non pris en charge dans le cadre d’une entreprise, la centrale jouant le rôle de consommateur éclairé. Dans ces deux cas de figure, le marché simple, confrontant offreurs et demandeurs est abandonné au profit d’un quasi-marché dans lequel l’acheteur est distinct du consommateur final.
54Il semble difficile d’organiser la concurrence simultanément sur le contenu des prises en charges et sur la prime à payer. On verra ci-dessous qu’une alternative consiste à organiser la concurrence sur la seule qualité, à prime fixée.
Sur le marché de la complémentaire maladie, l’obstacle principal à la concurrence est lié à l’opacité de l’offre. Il en résulte que la solvabilisation des acheteurs ne peut suffire à elle seule à garantir l’expression de leurs préférences. Un tel mécanisme devrait s’accompagner de la définition de contrats standards et de publication de primes moyennes associées à ces contrats standards. Il y a là un rôle (coûteux) de courtier public en informations.
Le marché des pauvres pose des problèmes spécifiques et l’offre de qualité n’est pas garantie
55Pour que le marché soit une solution préférable au monopole public ou au produit unique, il faut que l’entrée soit libre pour les offreurs et que toute demande trouve son offre pour un prix égal au coût marginal de production. Ces conditions ne sont pas toujours vérifiées dans le marché des biens destinés aux pauvres, comme le montre l’exemple des aides au logement en France.
Encadré : L’exemple de l’APL : l’échec des formules de solvabilisatlon à offrir un produit de qualité
La puissance publique a, tout d’abord, cherché à imposer de telles normes : le paiement de l’aide personnelle n’était possible que pour l’occupation d’un logement dit conventionné, c’est-à-dire ayant fait l’objet d’un cahier des charges de qualité (avec mise à niveau par travaux éventuellement) entre la direction départementale de l’Équipement et le bailleur ; les deux autres aides à la personne (allocation de logement familiale et allocation de logement sociale) servaient des ménages occupant des logements non conventionnés, mais la CAF se devait de conditionner le versement do la prestation à un nombre maximal d’occupants par pièce ou par m2, ainsi qu’à certaines conditions de salubrité, moins strictes que pour l’APL. Cette attitude rigoureuse a conduit à un paradoxe : les logements les plus insalubres et les pires conditions d’entassement concernant surtout des ménages pauvres, l’aide à la personne ne touchait jamais les ménages qui en avaient le plus besoin. Ce paradoxe est devenu insoutenable à la fin des années quatre-vingt, quand le parc non admissible à l’aide était devenu important, et que le nombre de ménages non logés était devenu lui aussi une réalité palpable. Ce que révélaient ces deux phénomènes, c’est que la solvabilisation ne permettait pas aux plus pauvres d’accéder au logement.
Pour ne pas spolier les ménages n’ayant pas accès aux normes de qualité minimales, le régulateur a changé d’attitude au début des années quatre-vingt-dix : désormais, toute dépense utilisée pour se loger sera solvabilisée partiellement, qualité ou pas. C’est l’aveu d’un échec des formules de solvabilisation à offrir un produit de qualité acceptable.
56Tout se passe comme s’il existait deux marchés, un pour les 80 % de la population sur le marché « libre » et un pour les 20 % concernés par la prestation sociale, avec une paroi étanche entre les deux. Pour obtenir la même qualité sur le marché des pauvres, il faudrait payer plus cher. Comme le souligne P. Merlin (1988), le problème est l’absence de logements à loyer intermédiaire entre ceux du marché libre et les loyers plafonnés (HLM, loi de 1948).
D’où peuvent venir une telle étanchéité et un tel surcoût pour les pauvres ?
57• Une première interprétation provient de l’économie industrielle, et suggère que certains produits, caractérisés par des coûts fixes importants, peuvent « exclure » les pauvres, c’est-à-dire être toujours vendus à un prix supérieur à leur disposition à payer. La forme la plus simple d’un tel modèle est le monopole de fait lié au coût fixe de production : s’il existe un coût fixe, et un monopole déjà sur le marché, tout entrant potentiel est désincité à entrer par la considération que le duopole résultant de son entrée sera déficitaire car il devra vendre au coût marginal (mécanisme de Bertrand). On sait que tout produit à coût fixe n’entraîne pas un profit de monopole : un marché à entrée libre et dans lequel l’entant potentiel peut récupérer partiellement le coût fixe peut conduire le monopole à ne retirer aucun profit de sa situation (marché dit contestable). Dans le cas des produits d’assurance maladie, l’ampleur du coût fixe de production des contrats (certainement élevé) et de non réversibilité du coût fixe seront deux paramètres fondamentaux pour déterminer la possibilité d’une exclusion des pauvres du marché.
58Atkinson (1997) formalise l’exclusion liée au prix de monopole : la disposition à payer dépend du revenu (en fait du salaire) simplement parce que le bien sert à acquérir une capacité nécessaire sur le marché du travail ; donc, les individus espérant un salaire inférieur au prix du bien ne vont pas l’acquérir. Il s’agit seulement ici d’une formalisation particulière de la disposition variable à payer selon le revenu, mais on peut retenir d’autres motifs pour cette variation. Le choix du consommateur/producteur d’utilité est de consommer 0 ou 1 unité du bien, qui lui procurera une utilité directement monétaire en lui permettant d’aller travailler. Le problème du monopole est alors de retirer le profit maximal de chaque individu acceptant de payer, sans perdre trop en excluant ceux pour qui le prix proposé excède l’intérêt retiré du travail. Un autre paramètre crucial de la capacité d’exclusion de la complémentaire maladie est donc la mesure dans laquelle la disposition à payer pour un contrat de complémentaire maladie est liée au salaire espéré.
59Le modèle est ensuite enrichi pour permettre au monopole de choisir un niveau de qualité offert. Atkinson montre alors qu’un paramètre crucial est le rendement dans la production de qualité : si la production de qualité est à rendements décroissants et si le coût fixe est indépendant du niveau de qualité, le monopole choisira d’offrir la qualité supérieure et d’exclure plus de pauvres. Enfin, on peut caractériser une situation dans laquelle le monopole offre simultanément un produit de qualité supérieure et un produit de qualité inférieure, segmentant le marché en trois populations : des exclus, des accédants seulement à la qualité inférieure, des bénéficiaires de la qualité supérieure.
60L’intérêt d’une formule de type APS est donc conditionné par le degré de pouvoir de marché des complémentaires d’une part (mesuré traditionnellement par la marge prix-coût de production) et le degré d’élasticité de la disposition à payer au revenu d’autre part.
61• Une seconde interprétation de l’absence de marché de complémentaire maladie pour les pauvres repose sur l’idée d’une externalité négative liée au fait que les demandeurs sont pris en charge par une prestation sociale ; cette externalité négative engendre un coût, et ce coût est répercuté en qualité dégradée sur le marché des pauvres.
62Pourquoi une externalité ? Un marché ne fonctionne bien que si toutes les transactions sont sanctionnées par un prix et anonymes. Si le comportement d’un individu entraîne des conséquences sur le bien-être d’un autre, et qu’il est impossible, pour des raisons sociales ou techniques, de les faire payer (ou rémunérer dans le cas de conséquences positives) à celui qui en est la cause, le marché ne fonctionne pas de manière efficace au sens des économistes, c’est-à-dire qu’il n’apporte pas le maximum de bien-être possible compte tenu des ressources disponibles. Ces transactions hors marché s’appellent externalités.
63Dans le domaine de la santé, la quantité et la qualité des services médicaux reçus par certains individus affectent le bien-être d’autres individus. L’externalité la plus connue et la mieux documentée est liée à un sentiment altruiste : le bien-être des nantis peut être affecté négativement si les pauvres n’ont pas accès à un niveau minimum de traitement médical (Pauly, 1971). Je voudrais cependant pointer ici une externalité fonctionnant à rebours et liée au fait que la satisfaction que retire un individu de sa consommation est toujours plus ou moins relative au niveau moyen de la consommation autour de lui. Frank (1996), montre que cet effet de satisfaction relative est particulièrement fort dans le domaine de la santé, et explique les pressions politiques fortes pour que les plans d’assurances sociales (Medicare ou Medicaid aux USA) intègrent le plus rapidement possible les techniques accessibles dans les plans privés, même en l’absence de démonstration de leur efficience supérieure. Cette externalité tient sans doute à deux particularités des soins médicaux : ils agissent directement sur l’intégrité physique de la personne et sont perçus comme des biens « positionnels », c’est-à-dire des biens dont l’offre est limitée et ne pourra satisfaire qu’une proportion fixe de la population. Ce caractère « positionnel » tient par exemple à l’idée qu’il n’existe qu’un seul bon médecin pour telle pathologie dans la ville ou le pays, ou qu’il faut consulter dans le « meilleur » hôpital pour être correctement traité. Ce caractère relatif (on dit aussi « contextuel ») de la satisfaction du consommateur de biens médicaux pourrait expliquer que les riches ne veulent pas partager intégralement leur assurance maladie avec les pauvres [13].
64La sociologie, peut être plus à l’aise que l’économie avec un phénomène contextuel, a décrit cette volonté de séparation des riches et des pauvres au moyen du concept de stigmatisation [14]. La définition est inspirée de l’ouvrage fondateur d’E. Goffman (1975, 1963 pour l’édition américaine) : la stigmatisation est la perte de valeur subjective d’un produit liée à son public. Goffman rappelle tout d’abord que le stigmate est une marque qu’un groupe politique imprime sur le corps de ses marginaux pour signaler de manière visible les individus « impurs » (pour des raisons très variables dans le temps et dans l’espace) que rien d’autre ne distingue des « normaux ». Au sein d’un groupe doté d’un code d’honneur homogène, la dérogation à l’un des éléments de ce code prive l’individu de droits attachés à la personnalité « normale » et le discrédite (ce dernier terme pouvant assez directement être traduit en termes d’externalité négative). Goffman souligne deux éléments intéressants pour notre propos : en premier lieu, les sociétés modernes homogénéisent les codes d’honneur et restreignent l’espace des codes déviants, le stigmate devient donc un stigmate vis-à-vis de la société dans son ensemble. En second lieu, la dérogation peut être « naturelle » (difformité physique), « comportementale » (être ou avoir été lié à un groupe réputé « impur »), ou « tribale » (liée à l’origine, raciale ou sociale ou aux péchés des affiliés). Goffman fournit un exemple de l’effet stigmatisant d’un handicap : de nombreuses personnes parlent fort aux aveugles, ou essayent de les soulever pour les aider à marcher, déchiffrant leur cécité comme une marque d’incapacité généralisée.
65Dans le domaine des politiques sociales en faveur des populations défavorisées, la stigmatisation fonctionne comme suit : le bénéfice de la politique agit comme un signal défavorable, indiquant aux autres une incapacité à s’en sortir sans l’aide spécifique. Le logement social devient ainsi synonyme de « population à problèmes », et tout ménage habitant un logement social est suspect. Dans une étude célèbre, Elias montre que ce mécanisme peut fort bien conduire à des croyances infondées et démenties par l’expérience (Elias et Scotson, 1965). Les travaux de simulation en sciences sociales montrent qu’on peut faire émerger de la discrimination et de la stigmatisation, même des croyances infondées, sans supposer d’intention de la part des individus non discriminés (Doran, 1998).
66L’externalité négative fonctionne alors comme suit : le stigmate dont est affublée la population bénéficiaire de la prestation sociale rompt l’hypothèse d’anonymat de l’échange pur, et conduit à des pratiques discriminatoires de la part des non bénéficiaires (sur le modèle des discriminations que les insiders imposent aux employeurs de prendre contre les outsiders dans le marché interne de l’entreprise).
67Pour revenir au cas de l’aide au logement, l’idée est que, même solvabilisé, le ménage pauvre reste un ménage pauvre et que son statut de pauvre n’est pas de bon augure quant au risque qu’il représente pour le bailleur en tant qu’occupant. En tant que payeur, sa solvabilisation le rend certainement attractif (on parle même d’offices HLM recherchant activement les bénéficiaires d’APL), en tant qu’occupant, dans un parc privé classique, il peut coûter cher au bailleur.
68Dans le domaine de l’assurance maladie, l’opérateur pourrait être dissuadé de proposer une prise en charge de la CMU, même si la capitation est de bon aloi, simplement parce que ses assurés non CMU ont une vision stigmatisante des bénéficiaires de cette disposition et s’imaginent, encore une fois à tort ou à raison, que leur simple présence dans la population assurée va engendrer des dépenses et donc des primes importantes. Si le fait d’être pris en charge par la prestation sociale signale un statut de pauvre, ou d’inactif [15], et une incapacité à s’assurer par soi-même, les autres assurés pourront alors craindre que cette incapacité ne signe en fait une incapacité plus fondamentale, risquant de faire de ces pauvres de très mauvais risques. Dans un contexte où les opérateurs fonctionnent majoritairement par mutualisation des risques (les mutuelles représentent 60 % des contrats actuellement), les assurés « normaux » peuvent craindre que leur cotisation n’augmente au prorata du nombre de bénéficiaires de la CMU inscrits. Si les assurés votent avec leurs pieds, l’organisme risque de perdre ses risques « normaux » en accueillant des bénéficiaires de la CMU [16].
Un tel scénario serait assez cohérent avec l’origine des mutuelles ou des institutions de prévoyance, qui sont des regroupements par affinités (les mutuelles se sont longtemps appelées ainsi, Hatzfeld, 1989), donc déjà en rupture avec l’anonymat des échanges purs. On fonde le plus souvent une assurance collective sur une communauté d’appartenance, à une branche, voire à une entreprise ou un établissement, communauté qui est censée garantir une affinité dans les comportements de recours aux soins, voire dans les pathologies. On retrouve du reste ici une certaine ambiguïté de la couverture mutualiste, qui a toujours conservé une portée morale d’épargne volontaire entre gens prévoyants. Cette origine historique n’est pas le fait du hasard : la couverture collective non obligatoire tente de concilier les avantages du grand nombre, nécessaire pour couvrir des risques aléatoires et ceux du petit nombre, qui permet le contrôle ou le sens de la solidarité et limite les effets de risque moral dans le recours aux soins. En effet, l’assurance est typiquement un marché non anonyme, sur lequel l’offreur continue à entendre parler du produit après l’échange.
Certes, l’expérience de l’aide au logement n’est pas directement transposable à la couverture maladie : d’une part, alors que le logement est un bien indispensable, ce qui confère au bailleur une position de force dans la négociation avec le demandeur, le bénéficiaire de l’APS aurait fort bien pu refuser une couverture peu intéressante et négocier en meilleurs termes avec l’opérateur. En second lieu, l’offreur de logement peut toujours jouer sur des effets de rente immobilière et se contenter d’un rendement minimal sans travaux d’aménagement (il attend simplement qu’un autre bailleur, plus ambitieux, lui rachète son bien et le mette lui-même aux normes). Enfin, l’offre de logement est sans doute moins réactive que l’offre de couverture maladie et il est plus difficile d’imaginer des institutions coopératives de promotion immobilière que de couverture maladie.
Il sera néanmoins instructif d’analyser la position et les motivations des assureurs complémentaires acceptant et refusant d’accueillir des bénéficiaires de la CMU, ainsi que la perception dans la population générale des bénéficiaires de la CMU.
Un mécanisme de solvabilisation de la demande de couverture maladie ne conduit pas nécessairement à l’optimum de marché. Un modèle simple montre que, si les OCAM disposent d’un pouvoir de marché (par exemple, si la couverture maladie est une activité à coût fixe ou barrière à l’entrée), ou si le statut de bénéficiaire de la CMU est stigmatisant, il n’existera pas d’offre sur le segment de la population pauvre, même solvabilisée.
Un système de Managed care réservé aux pauvres
69Pour permettre une véritable concurrence entre offreurs, sans pénaliser les demandeurs par l’absence d’un véritable marché sur leur segment, on pouvait penser à faire porter la concurrence non pas sur l’offre d’assurance, mais sur la gestion du risque. La troisième alternative possible au dispositif de CMU aurait consisté à élaborer un système de soins spécifique pour les bénéficiaires : au lieu de garantir l’accès aux soins, on aurait garanti l’accès à la santé, sur le modèle des HMO américains.
70Les opérateurs auraient reçu une capitation, auraient dû respecter un cahier des charges, concernant notamment les services médicaux pris en charge, et auraient ensuite contracté avec des professionnels de leur choix, notamment opticiens et dentistes, pour obtenir des conditions tarifaires et des garanties de qualité. L’assureur AGF notamment avait suggéré une telle piste [17], mais cette solution n’a pas été retenue au motif que l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU, pour être réel, devait être « semblable à celui des autres ».
71Pour éviter de confiner les pauvres dans un système de soins à part, et leur offrir comme aux autres un droit absolu à consommer des soins en toute liberté et à les agencer pour produire de la santé, le filet de sécurité s’est donc privé des méthodes du Managed care comme outil d’amélioration de l’efficience productive, car celles-ci sont toujours plus ou moins fondées sur la sélection des offreurs. Comme le dispositif est financé a priori [18], et ne doit pas dépasser son enveloppe, l’absence de Managed care a conduit naturellement à la définition d’un panier de soins couverts opposable, définissant non seulement la gamme des services pris en charge, mais aussi le volume total par individu. Il est vrai qu’aujourd’hui cette limitation n’est pas contraignante et qu’on pense même à la lever dans le cas des prothèses dentaires ; il n’en reste pas moins vrai que l’idée d’un plafonnement en volume a été évoquée, de manière très naturelle, comme un instrument de contrôle de la prestation CMU, alors qu’aucun projet de loi n’envisage un tel instrument dans le cas de l’assurance maladie en général (et que les contrats classiques des OCAM ne s’y risquent pas souvent non plus).
Cet effort de standardisation du produit assuré par une assurance maladie obligatoire est une première dans le système de santé français. Le régulateur (pour l’instant, le législateur) a cependant pris une décision à la fois novatrice et qui fleure bon les assurances sociales de l’entre-deux-guerres : plutôt que de récupérer le budget, le risque de financement, et la gestion en régie de la couverture, il a préféré déléguer à des opérateurs autonomes recevant pour ce faire une capitation. La loi fait de la gestion des contrats CMU une « délégation d’une mission de service public », plus qu’un « libre exercice d’une activité lucrative » (Lafore, 2000).
Un Managed care pour pauvres aurait pu être plus efficace pouf améliorer l’accès aux soins
72L’inscription des pauvres dans des réseaux de soins gérés par des opérateurs privés entraînerait certainement des problèmes de sélection des risques similaires à ceux relevés dans la première partie, laissant même sans doute aux opérateurs plus de latitude pour attirer ou repousser les risques selon la capitation perçue : un opérateur de soins peut dissuader les risques lourds et mal indemnisés dans la capitation en multipliant les contrôles sur les soins dont ces risques ont besoin. Une telle solution ne peut fonctionner que si le régulateur se donne les moyens de contrôler les services effectivement délivrés par l’opérateur à différents types de malade. L’idée est cependant qu’il est plus simple d’évaluer ex post l’offre d’un réseau de soins que de contrôler les pratiques diffuses de sélection administrative d’un assureur.
73En outre, la gestion par des réseaux permettrait sans doute de résoudre un problème que va rencontrer la CMU, celui de la sélection par les professionnels de soins liée aux tarifs opposables. On peut craindre en effet que des professionnels qui ont l’habitude de faire payer un certain prix à leurs patients « normaux » n’apprécient guère de devoir facturer un prix plus bas aux patients CMU. Deux réactions sont possibles de leur part : dissuader les patients CMU de venir chez eux, ou augmenter leurs prix facturés aux autres patients (cost shifting).
74De telles attitudes semblent suffisamment documentées pour que les services sociaux parisiens aient fait circuler des listes des médecins acceptant les porteurs de cartes Paris Santé. Si le tarif opposable est élevé, il n’y a plus d’effet indésirable de sélection, mais le forfait ne permet pas de recourir à un volume suffisant de soins. On peut aussi penser que le tarif opposable ne posera, en fait, aucun problème car les médecins en secteur II ou les dentistes à tarif élevé opèrent en population aisée n’ont donc qu’une clientèle marginale assurée par la CMU et, du reste, sont suffisamment recherchés pour n’avoir aucun intérêt à entrer dans un réseau d’opérateurs. Il s’agit là d’une question empirique, et seule l’analyse quantitative des refus de soins liés aux tarifs opposables permettrait de départager CMU actuelle et dispositif en réseau, du point de vue de l’accès réel aux soins.
75La négociation par un réseau permet de fixer un tarif opposable tout en se prémunissant contre la sélection des patients par les professionnels : dans ce cas, le professionnel accepte le tarif en échange d’un volume d’actes minimal. L’opérateur n’interdit pas à l’assuré de consulter un professionnel qu’il ne conventionne pas mais, il n’y aura alors pas de garantie d’un tarif intéressant. Comme l’assuré est contraint par un forfait, il a intérêt lui aussi à consulter au moindre prix. Dans la lettre, la liberté d’accès des bénéficiaires de la CMU est préservée ; dans l’esprit cependant force est de reconnaître qu’une procédure de conventionnement s’apparente toujours à une procédure d’accès restreint et de panel.
76Du reste, c’est seulement parce que l’opérateur peut déconventionner qu’il est en position de négocier avec le professionnel de soins (Choné, Grignon et Mahieu, 2000). Le régulateur doit encore intervenir pour s’assurer que l’organisme ne profite pas d’une position de monopole local pour imposer des règles menaçant l’autonomie thérapeutique, mais il semblerait regrettable qu’il aille plus loin et interdise toute démarche de conventionnement dans le traitement des contrats CMU. En effet, dans ce cas, le régulateur priverait les opérateurs des moyens les plus importants de gestion du risque, et viderait la concurrence sur la qualité de sa substance. En outre, il s’agirait d’une étrange régression, car on interdirait une pratique que les mutuelles appliquent aux assurés hors CMU.
La manière dont la loi et la pratique vont fixer les relations entre opérateurs et professionnels est un enjeu considérable, non seulement pour le filet de sécurité, mais aussi pour l’ensemble du système de soins, notamment dans la capacité d’un système d’assurance maladie obligatoire à respecter un budget a priori. Même si, dans l’immédiat, on peut penser que les recettes prévues (9 milliards de francs) seront suffisantes, notamment parce que l’estimation de six millions de bénéficiaires est trop haute [19], l’inflation médicale tendancielle finira par poser un problème d’équilibre budgétaire. Il faudra soit gérer le risque, soit restreindre le panier. D’une manière ou d’une autre, il y aura rationnement. L’enjeu est donc de savoir si on préfère un rationnement de l’identité des offreurs de soins, ou un rationnement des services qu’ils peuvent offrir.
Conclusion
77Plutôt que de reprendre des éléments déjà très stylisés, je préfère utiliser cette conclusion pour fournir un point de vue personnel, issu des considérations précédentes. On l’aura compris, il me paraît regrettable que la loi n’ait pas autorisé les opérateurs à se faire une réelle concurrence sur un produit spécial CMU, visant explicitement les soins délivrés aux « pauvres », mais fournissant, dans l’enveloppe des 1 500 francs, des soins et des traitements de très bonne qualité. Pour cela, les opérateurs auraient mis en place de véritables panels de producteurs, respectant les normes de qualité et de rémunération qui permettent d’atteindre une meilleure efficience clinique que dans le système actuel. Rappelons que la complémentaire ne concerne pas les soins les plus risqués (donc sensibles au risque d’écrémage par les producteurs), ni les plus nécessaires aux patients et que les méthodes classiques de panels de producteurs et d’achat avisé de soins pourraient s’y appliquer avec profit et sans grand risque d’effet pervers. En outre, rien n’aurait interdit à des réseaux de professionnels de proposer cette prise en charge spécifique, qui aurait diminué le risque de voir des opérateurs mus par le profit éliminer les « mauvais risques ».
78Ce refus, qui prolonge la hantise propre au système français de la médecine à deux vitesses, conduit à augmenter notablement les risques de moindre accès réel aux soins. Tout d’abord, parce que des tarifs opposables imposés risquent de dissuader les professionnels de santé. Ensuite parce que la capitation sans latitude d’efficience conduit mécaniquement l’opérateur vers l’écrémage. Enfin, parce qu’à vouloir faire entrer les bénéficiaires dans l’intégralité du droit commun, y compris le libre choix de l’opérateur, on prend le risque d’une discrimination des insiders contre les outsiders.
Pour mener une évaluation de la CMU face à ses alternatives de gestion et délivrance, on peut retenir les questions empiriques suivantes :
- de quelle capacité de sélection des risques disposent les opérateurs ?
- de quel pouvoir de marché disposent les opérateurs ?
- quel est le lien entre la disposition individuelle à payer une couverture complémentaire et le revenu espéré sur le marché du travail par cet individu ?
- quel est le lien entre la disposition individuelle à payer une couverture complémentaire et la discrimination dont est victime l’individu ?
- quel est l’apport en bien-être d’une liberté de choix pour l’assuré sur le produit (niveau de couverture) et le niveau de la prime ?
- quel impact a le tarif opposable sur les refus de soins de la part des professionnels de santé vis-à-vis des assurés CMU ?
Modèles du non-recours [20]
79Pourquoi parler de non-recours ? Au Royaume-Uni, en Allemagne et au Pays-Bas, le fait qu’« une personne ne perçoi(ve) pas tout ou partie d’une prestation à laquelle elle a droit » pose problème aux politiques sociales et à leurs administrateurs. Le terme anglais est « non take up » (on parle aussi de take up, Atkinson, 1984), le terme néerlandais est « niet gebruik » (là aussi par antonymie du gebruik).
80La traduction littérale serait « non ramassage » ou « non prise » pour l’anglais, « non utilisation », « non emploi » ou « non usage » pour le néerlandais.
81Les organismes internationaux (OCDE) utilisent « taux de souscription », « taux d’utilisation » ou « taux de distribution » ; on trouve encore « taux de consommation », « taux de participation », « taux de pénétration », « proportion d’exclus », « non effectivité ». L’anglais US n’est pas plus à l’aise que le français avec cette notion, puisqu’on y parle de « less than full rate of participation in welfare programs » (Moffit, 1992).
82« Non demande » a le défaut de faire reposer le phénomène d’un seul côté de l’interaction, de même que « refus » (qui suppose une information parfaite).
83Agnès Pitrou a proposé « non utilisation », Jean-Claude Ray « non-recours ».
84Le non-recours a été étudié assez rarement en France, mais fait l’objet de modélisation et d’études systématiques dans les pays à État providence (Math, 1996). Un modèle général (van Oorschot et alii, 1991) découpe la population en quatre groupes :
- les éligibles percevant la prestation (bénéficiaires) ;
- les non éligibles qui la perçoivent (fraude ou erreur) ;
- les éligibles qui ne la perçoivent pas (non-recours) ;
- les non éligibles qui ne la perçoivent pas.
85On se concentre ici sur le modèle « rationnel » du non-recours, selon lequel le non-recours est toujours plus ou moins volontaire et résulte d’une évaluation, par le bénéficiaire potentiel du bilan coût-avantage du recours. Dans les coûts du recours, on comptabilise les obstacles administratifs qu’il faut surmonter pour faire valoir ses droits, ce qui entraîne du temps et de l’énergie. L’impétrant à une prestation anticipe ce coût et en déduit sa décision (postuler ou non). La principale conclusion que l’on tire de ce modèle est que l’inefficacité est payée par tous, bénéficiaires et non recourant, les premiers en surmontant les obstacles, les seconds en perdant le bénéfice de la prestation (Atkinson, 1984).
86Ce modèle, séduisant intellectuellement, est cependant incomplet : il existe en effet un non-recours involontaire. L’administration peut faire des erreurs, instruire les dossiers avec retard, ou suivre des procédures variables dans le temps ou selon les situations (pièces particulières demandées en plus de ce que prévoit explicitement la loi) et l’impétrant a peu de chances de le savoir avant d’avoir commencé l’expérience.
87Reinstadler (1999) propose un modèle séquentiel de la décision de recourir à une prestation, modèle qu’il oppose au modèle rationnel : la logique implicite dans le modèle rationnel est celle d’une utilité substantielle (le demandeur évalue en un seul calcul les coûts et les avantages de la démarche et en déduit son comportement face au programme), alors que, dans le modèle séquentiel, le demandeur passe par plusieurs étapes successives, dont le résultat est déterminé par un calcul coût-avantage partiel. Dans cette approche séquentielle, l’information joue un rôle qualitatif en informant l’environnement de manière dichotomique (l’impétrant est au courant ou non), au lieu d’être ajoutée au vecteur quantitatif des autres coûts et avantages du programme, comme dans l’approche substantielle.
Le modèle séquentiel classique, mais critiqué, est celui de Kerr, qui se fonde sur les différentes décisions que doit prendre un individu pour devenir bénéficiaire d’une prestation :

88Le modèle de Kerr est critiqué (van Oorschot, 1996) parce qu’il néglige totalement l’impact de l’environnement, c’est-à-dire de l’administration chargée d’instruire son dossier et de s’occuper des bénéficiaires. On n’insiste jamais sur le rôle, pourtant central, des administrations en charge des prestations. En effet, dans la plupart des cas, l’administration est à la fois chargée de détecter les éligibles non bénéficiaires et les bénéficiaires non éligibles, tout en étant tenue pour responsable des déficits de trésorerie. Comme l’administration est en général jugée sur les fraudes et les déficits bien plus que sur le taux de pénétration, on peut en induire que l’accueil n’est pas optimal, ni l’aide à l’instruction des dossiers.
89Van Oorschot propose un modèle séquentiel alternatif : le processus de demande distingue à tout moment deux populations, celle qui ne perçoit pas (encore) la prestation concernée (éligible ou non), et celle qui la perçoit. La première étape est séquentielle, comme celle de Kerr ; à chaque seuil, le non bénéficiaire passe l’étape ou revient chez les non bénéficiaires. S’il a passé la première étape, il entre dans une étape d’arbitrage entre facteurs inhibant et stimulant la demande, qui sont les facteurs séquentiels de l’étape précédente, mais comptés tous ensemble cette fois. Si le bilan est positif, il passe en troisième étape, la demande effective, où il se confronte au comportement des responsables et agents administratifs. En cas d’échec, on attend une maturation (événements déclencheurs, changements dans la situation personnelle) pouvant engendrer une « ré-entrée » ; on passe alors par les trois mêmes étapes, l’échec est alors un non-recours. En cas de réussite, le recours est dit « différé ».
Histoire stylisée de l’aide au logement
90Dans le domaine du logement, le régulateur est le ministère du Logement. Les opérateurs sont des offices d’HLM (capitation) ou des banquiers (sol-vabilisation). Ils apportent les financements pour faire construire et entretenir des logements par des bailleurs. Le service offert n’est pas la construction ou l’entretien, mais bien le logement lui-même. Les professionnels sont les bailleurs et les corps de métier du bâtiment. Les opérateurs ont toute latitude pour faire travailler les professionnels en régie, en remboursement ex post à l’acte, en contrat de maintenance, etc.
91L’histoire de l’aide publique au logement est classiquement découpée en trois périodes (Merlin, 1988), les deux périodes extrêmes relevant l’une de la mécanique de capitation, l’autre de la solvabilisation.
92• La première période s’ouvre en 1947, avec la loi créant les HLM (avant la guerre, et depuis le début du siècle, l’aide publique a consisté à bloquer les loyers, détournant ainsi les investisseurs privés de la construction immobilière). L’Etat délègue à des opérateurs (es organismes HLM) la fonction de construire des logements et d’y loger les bénéficiaires [21] ; pou cette mission, les organismes se voient allouer une capitation, sous forme de prêts très fortement aidés. L’aide publique, c’est la prise en charge à 90 % des frais financiers liés à la construction de logement social. On parle « d’aide à la pierre ». Le HLM est vu comme un produit de qualité, l’objectif est de faire passer les mal lotis des centres urbains dégradés et des faux logements à des grands ensembles sains et aérés (Renaudin et Toubon, 1988). Rappelons qu’en 1945, seuls 1 % des logements disposaient de W.-C., d’une salle de bains et du chauffage central. L’attribution des logements est menée sur un mode proactif.
93• La seconde période démarre dans les années soixante : l’État ne réévalue pas le montant de la capitation et change, en fait, d’opérateurs pour assurer la construction de logements sociaux. Les prêts bonifiés sont accordés de plus en plus aux ménages, pour qu’ils achètent des logements individuels, via un emprunt auprès du système bancaire classique. On classe encore ces prêts dans la catégorie des aides à la pierre, car ils encouragent la construction, mais il s’agit d’une aide à la pierre très personnalisée. Au cours de cette période, le parc HLM voit partir les « classes moyennes » et devient synonyme de logement ouvrier ou de grand ensemble d’immigrés. L’idée du ghetto se développe à cette époque : certains gestionnaires locaux soupçonnent les préfectures et les entreprises (qui ont un droit de réservation en tant que financeurs) de concentrer chez eux les problèmes sociaux et revendiquent le droit à une gestion autoritaire des attributions, de façon à éviter les agrégations de populations trop homogènes. Une étude sociologique contemporaine (Chamboredon et Lemaire, 1970) montrait pourtant que le principal problème du parc HLM et l’origine des conflits qui y naissaient entre habitants était l’hétérogénéité des trajectoires et des positions sociales.
94• La réforme de 1977, qui instaure la priorité à l’aide à la personne, adopte la logique de solvabilisation : l’aide publique consiste désormais à augmenter les ressources des consommateurs de logement les plus pauvres, qu’ils cherchent à acheter ou à louer. L’Aide personnalisée au logement venait s’ajouter à l’Allocation de logement familiale créée en 1948 et à l’Allocation de logement sociale (créée, en 1971) et se finançait principalement en prenant sur le budget des aides à la pierre. Une aide à l’accession subsisté, mais l’État cherche plus à entretenir et améliorer le parc existant qu’à développer de nouveaux logements, tablant entre autres sur une stagnation démographique. Aujourd’hui, les aides à la personne représentent environ 70 milliards de francs, contre 30 pour les aides à la pierre et 30 pour les aides fiscales (non imposition des intérêts des plans et comptes épargne logement, dégrèvement d’impôt pour remboursements d’intérêt ou travaux). Quel a été l’impact de la réforme dite de l’aide à la personne, imposée pour des motifs d’équité et d’efficacité ?
95l’efficacité reposait sur l’idée que celui qui habite un logement et paye pour y habiter est beaucoup mieux à même de trouver le meilleur rapport qualité/prix qu’une autorité locale faisant construire. L’équité reposait sur l’idée qu’il était plus facile de couper la prestation à tout ménage dépassant un seuil de revenu que d’expulser ce ménage du parc HLM.
96En fait, ces espoirs fondés sur l’aide à la personne ont été largement déçus, principalement à cause d’une perte de contrôle des masses budgétaires en jeu. Alors que les promoteurs de la réforme attendaient une baisse des prestations, via l’efficacité et la mise au risque du consommateur, la baisse du volume construit a contribué (conjointement à une spéculation foncière et financière, et à un maintien de la demande de logements liée à l’augmentation du nombre de ménages de taille restreinte) à augmenter les prix pour les locataires ou les candidats à l’accession. Outre ce coût budgétaire important, l’impact des aides personnalisées sur la qualité a été décevant : certes, la qualité moyenne (mesurée par le nombre de pièces par personne ou les éléments de confort) s’améliore sur la période 1975-1990, mais pas plus rapidement que sur la période 1960-1975, et nettement moins vite que dans les pays voisins (Merlin, 1988).
L’équité s’est trouvée mise à mal elle aussi : l’ouverture de l’Allocation logement sociale aux étudiants, sans véritable contrôle des ressources parentales, a grevé le budget de deux milliards de francs annuels, qui ont été payés, par le jeu de barèmes moins généreux, par l’ensemble du stock des bénéficiaires. Surtout, le mécanisme d’aide à la personne, assorti comme il se doit d’un prix plafond (le loyer maximum que prend en charge la prestation pour une composition familiale donnée dans une zone géographique donnée), a avantagé les ressortissants du parc HLM par rapport à ceux du parc privé. Être logé en HLM offre donc au total un double avantage : le prix total à payer est moindre, l’aide au logement solvabilise mieux ce prix.
Notes
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[*]
Centre de recherche en économie de la santé (CREDES).
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[1]
Je tiens à remercier, pour leurs conseils et suggestions, qui ont grandement contribué à l’amélioration de ce texte : Agnès Bocognano, Philippe Choné, Agnès Couffinhal, Julien Damon, Sylvie Dumesnil, Jeanne Fagnani, Antoine Math, Andrée Mizrahi, Arié Mizrahi, Dominique Polton, Pierre Strobel, Pierre Volovitch, ainsi que les participants du séminaire CREDES et les relecteurs du comité de lecture de la Revue française des Affaires sociales. Les erreurs restent cependant miennes et ne sauraient les impliquer en aucune manière.
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[2]
Le plafond de ressources mensuelles retenu initialement par la loi pour avoir droit à la CMU était de 3 500 francs par unité de consommation, plafond légèrement inférieur au seuil reconnu de pauvreté et encore plus légèrement inférieur au seuil d’accès à certains minima sociaux (Minimum vieillesse, Allocation d’adulte handicapé). L’INSEE retient comme seuil de pauvreté la moitié du revenu médian, soit un revenu de 3 800 francs par mois et par unité de consommation. Les deux seuils ne sont pas totalement comparables : l’assiette à laquelle on compare le seuil CMU comprend parfois moins de sources de revenus que la notion INSEE de revenu disponible, parfois plus. Les aides au logement sont la principale différence, le revenu disponible les comptabilisant intégralement, alors que l’assiette CMU intègre un forfait « logement », de 300 francs, inférieur à l’aide réelle s’il y a une aide, mais supérieur pour un individu logé gratuitement l’idée générale du législateur est qu’au-delà de ce seuil, l’individu non couvert l’est par choix.
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[3]
Le dispositif de la CMU prévoit, d’une part, une ouverture automatique du droit à l’assurance maladie de base (on parle de la CMU de base) et, d’autre part, le mécanisme de complémentaire gratuite auquel s’intéresse cet article, parfois désigné sous le nom de CCMU (complémentaire de la CMU).
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[4]
Voir notamment le numéro de Droit Social de janvier 2000.
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[5]
La communauté des économistes de la santé n’a là que de quoi se réjouir : la problématique de l’accès aux soins, qu’elle porte depuis de nombreuses années (parfois contre certains secteurs professionnels, plus tournés vers une vision non interventionniste de la relation médecin-patient), est enfin reconnue officiellement comme un élément d’évaluation.
-
[6]
Medicare : programme fédéral d’assurance maladie destiné aux personnes âgées et couvrant l’hospitalisation.
Medicaid : programme fédéral destiné aux familles pauvres avec enfants et donnant accès à une gamme étendue de biens et services. -
[7]
Système intégrant à la fois le financement et la prestation de soins.
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[8]
En fait, si la CPAM est choisie, la CMU redevient à guichet ouvert, la Sécurité sociale puisant ad libitum dans le fonds de financement. Seules les mutuelles et assurances sont assujetties à la capitation de 1 500 francs.
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[9]
P. Diamond avait suggéré un tel mécanisme pour une assurance maladie universelle et obligatoire aux USA, préservant les principes et les acquis de la pluralité d’opérateurs.
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[10]
Pour les définitions et modélisations du non-recours, voir annexe 1.
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[11]
Comme on l’a vu ci-dessus, le risque n’est pas individuel : l’assuré bénéficiaire de la CMU exclu par un OCAM bénéficie toujours de la prise en charge par la CPAM. Comme on l’a souligné, le risque est collectif : si les OCAM prélèvent une rente sur la prestation en écrémant et envoient les « mauvais risques » au régime obligatoire, le fonds de financement ne pourra assurer des prestations de bon niveau. En outre, les OCAM pourront accuser la mauvaise gestion du régime général d’être à l’origine de ses déficits sur lei bénéficiaires CMU. À terme les bénéficiaires, et les mauvais risques en particulier, seront pénalisés par la capacité, d’écrémage.
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[12]
En 2000 ; ce seuil a par la suite évolué : pour la CMU « de base » : 6 505 euros/an (arrêté du 6 août 2001) et 6 744 euros/an – modulé en fonction de la composition du foyer – (décret du 15 février 2002) pour la CMU « complémentaire ». De plus la mise en place d’un dispositif d’aide à la souscription d’une couverture complémentaire est en cours pour ceux qui dépassent légèrement le seuil.
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[13]
L’histoire des politiques sociales est riche de dispositifs visant à prendre en charge une population défavorisée de façon à la ramener au traitement commun, et qui ont échoué à cause de la réaction des non défavorisés. Par exemple, l’institution de la carte scolaire, visant à assurer que les publics des établissements reflètent la diversité sociologique des quartiers, est régulièrement contournée par les divers passe-droits des parents jugeant, à tort ou à raison, qu’ils seraient défavorisés par cette mixité. Même si certaines études semblent indiquer que les classes mixtes socialement ou en nationalités produisent d’aussi bons résultats que les autres, cette crainte de la mixité scolaire pousse certaines familles à déménager, renforçant un processus d’homogénéisation sociale des zones d’habitation (Schelling, 1971).
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[14]
En fait, les deux approches sont convergentes : la stigmatisation ajoute une déformation de la fonction de demande dans le modèle d’Atkinson : la prise en charge de pauvres diminue la demande des riches (leur disposition à payer).
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[15]
L’inactif est particulièrement stigmatisé car on peut le penser à la fois en plus mauvaise santé, cause de son retrait du marché du travail, susceptible de passer plus de temps à consommer des soins, ou encore « profiteur ».
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[16]
Incontestablement, la CMU fait courir un autre risque aux opérateurs, en rendant le marché moins opaque à travers la capitation. Cependant, cette menace concerne les opérateurs de manière collective, même ceux qui n’ont pas ouvert leurs portes aux bénéficiaires ale la CMU.
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[17]
On pourrait s’étonner que des opérateurs aient suggéré cette option « réseau » pour la CMU, alors qu’ils ne le font pas pour les autres clients, pour lesquels ils ont toute latitude pour le faire. La réponse est que, pour les clients non CMU, l’offreur peut fixer le prix de son service, et n’a donc pas nécessairement intérêt à gérer le risque (en restreignant l’accès à un panel de médecins, il mécontente en outre ses clients), alors qu’il reçoit une capitation pour les clients CMU.
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[18]
Outre des financements publics, provenant pour l’essentiel d’une recentralisation des aides départementales, la CMU repose sur un impôt de 1,75 % prélevé sur les cotisations des OCAM.
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[19]
Contrairement à l’évaluation contenue dans le rapport Boulard, la CMU ne couvrira pratiquement pas de personnes âgées de plus de 65 ans. Cette surestimation provient de la source utilisée, le panel européen des ménages, qui se fonde sur les déclarations des enquêtés eux-mêmes sur leur revenu ; or, on sait que les revenus du patrimoine, qui concernent avant tout les personnes âgées, sont systématiquement minorés dans les enquêtes.
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[20]
Annexe issue principalement de Math, 1996.
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[21]
Les organismes HLM disposaient alors d’une liberté dans la production que n’ont pas les OCAM dans la CMU : moyennant un cahier des charges strict, lei organismes HLM coordonnaient et rémunéraient les entrepreneurs intervenant dans la construction.