1L’aide sociale aux États-Unis regroupe près de quatre-vingts dispositifs sous conditions de ressources et tous ciblés sur des catégories de personnes, principalement les ménages avec enfants. Ces programmes constituent le Welfare. Toutefois, moins d’une dizaine de dispositifs, recensés dans cette étude, sont importants par le nombre de personnes couvertes, les dépenses qu’ils engendrent et enfin par les effets redistributifs qu’ils génèrent.
2Au cours des années quatre-vingt-dix, la plupart de ces dispositifs ont fait l’objet de réformes qui, en renforçant le principe de contrepartie, en favorisant le retour à l’emploi et en valorisant mieux le travail, ont modifié la fonction de l’aide sociale. De plus, la principale réforme de l’aide sociale survenue en 1996, instaurant un système de Workfare à l’échelon fédéral, a accentué l’autonomie des États dans la gestion et la définition des programmes. L’analyse de cette réforme et ses applications sont généralement appréhendées au niveau national or, d’importantes différences apparaissent lorsque l’on centre l’étude sur les politiques d’aide sociale menées par les États fédérés. C’est l’optique choisie dans cet article qui cherche avant tout à décrire les disparités des dispositifs institutionnels mis en place par les États, différences de seuil d’éligibilité, de publics visés et, plus globalement de stratégies adoptées.
3En filigrane, des groupes d’États ressortent en fonction du niveau des prestations. C’est le cas des États de New York, du Wisconsin et du Massachusetts qui ont mis en place des politiques d’aide sociale généreuses relativement à la moyenne fédérale alors qu’en contraste, les États du sud comme le Texas ou l’Alabama, par exemple, apparaissent moins « protecteurs ». Les stratégies politiques différenciées des États fédérés en matière d’aide sociale contribuent à cet égard à expliquer les disparités spatiales de revenus et de pauvreté.
4Une analyse par cas types nous permet enfin d’illustrer plus concrètement ces écarts entre États.
Des programmes d’aide sociale modulés par les États
Des programmes monétaires à géométrie variable
5Au sein du système global d’aide sociale, on distingue trois principaux programmes monétaires (tableau 1) : le TemporaryAid for Needy Families, le crédit d’impôt (EITC) et enfin le Supplemental Security Income (SSI). Ces prestations sont, comme la plupart des dispositifs d’assistance sociale aux États-unis, des allocations catégorielles sous conditions de ressources. ces trois dispositifs sont à l’origine fédéraux, au sens où leur financement est essentiellement assuré par le gouvernement fédéral et leurs règles d’application sont homogènes au sein des États. Toutefois, dans les faits, les États disposent de marges de manœuvre importantes qui s’illustrent par la réplique à l’échelle des États d’un programme fédéral (crédit d’impôt), par des mises en œuvre variées des programmes fédéraux (TANF et SSI) et enfin, par des modalités de financement différentes.
Nombre de bénéficiaires et dépenses fédérales des trois principaux programmes monétaires d’aide sociale

Nombre de bénéficiaires et dépenses fédérales des trois principaux programmes monétaires d’aide sociale
Le programme TANF est un dispositif délimité par la loi fédérale mais librement décliné par les États
6Depuis la loi de réforme de l’aide sociale de 1996, la plupart des responsabilités en matière de conception et de gestion des programmes ont été transférées aux État. Créé en 1996 par la loi fédérale PRWORA, le programme d’aide temporaire pour les familles dans le besoin (Temporary Aid for Needy Families, TANF) se substitue à l’ancien dispositif Aid for Needy Families with Dependent Children (AFDC). Le TANF, comme précédemment l’AFDC, alloue des prestations monétaires sous conditions de ressources, principalement aux femmes seules avec enfants. La réforme de 1996 introduit à l’échelle fédérale le principe de contrepartie, essentiellement en travail. La loi fédérale encadre la mise en œuvre de ce principe en définissant douze programmes d’activité majoritairement axés sur l’emploi, en imposant aux États et aux bénéficiaires des taux de participation à ces programmes d’insertion et enfin en limitant à cinq ans la durée possible de perception de la prestation au cours de la vie. En cas de non respect des règles, des pénalités financières sont appliquées tant aux États qu’aux allocataires. Le principe de conditionnalité est couplé à celui de décentralisation qui s’exerce selon deux modes : la libre définition du contenu du programme TANF par les États et un nouveau mode de financement leur attribuant une plus forte responsabilité dans la gestion.
7Les programmes mis en place par les États sont donc variables et peuvent être raccordés schématiquement à deux stratégies : l’une favorisant, dans les limites du cadre de la loi, la formation des bénéficiaires et l’autre, illustrée par l’expérience du Wisconsin (encadré 1), privilégiant l’insertion par l’emploi (Work First). Dans cet État, en effet, la contrepartie exigée est immédiate et les quatre programmes (au lieu des douze définis par la loi fédérale) sont centrés sur l’emploi.
8La loi de 1996 laisse le soin aux États de définir les catégories éligibles et les conditions de ressources ; il en est de même pour les mécanismes d’intéressement. L’allocation TANF est une allocation monétaire différentielle dont le montant dépend des barèmes, variables selon les États et des revenus pris en compte, également calculés différemment selon les États. En 2000, pour un foyer de trois personnes, l’allocation mensuelle s’élevait à 185 dollars dans le Tennessee et à 920 dollars en Alaska, soit respectivement 17 % et 83 % du seuil de pauvreté. Ces différences d’application du programme (conditions d’éligibilité, montant et calcul de l’allocation) jointes à des régimes fiscaux propres aux États conduisent à ce que le niveau de salaire à partir duquel l’allocataire perd la prestation varie de 1 à 8 entre les États.
Les dépenses du TANF comprennent les allocations monétaires, les dépenses liées aux programmes d’activité, les dépenses pour gardes d’enfants et enfin les frais de gestion. La loi fédérale de 1996 établit un nouveau mode de financement basé sur une enveloppe budgétaire fédérale annuelle fixe par État, assortie d’une obligation de dépenses minimales définie par le seuil de 75 % des dépenses générées en 1994 par l’ancien dispositif. Au-delà de cette enveloppe, les États financent désormais totalement leurs dépenses. Auparavant, l’État fédéral couvrait sans limite la moitié des frais assumés par les États. Selon les démocrates (Levine, 2000), ces nouvelles modalités de financement inciteraient à la concurrence fiscale entre États. Dans les faits, elles contribuent à de fortes disparités en ce qui concerne les montants alloués au programme, leur répartition entre les diverses prestations et la part respective du financement fédéral et des États. Ainsi les dépenses annuelles des États par foyer allocataire varient en 1999, de 1 290 dollars dans l’État d’Alabama à 6 850 dollars dans l’État de New York. La part financée par l’État fédéral atteint son niveau le plus faible dans l’État de Floride où elle n’est que de 25 %, et son niveau le plus élevé, dans l’État du Nebraska (78 %). En moyenne, les États couvrent un peu moins de la moitié du budget alloué au TANF.
Le dispositif WW-2 est connu aux États-Unis pour avoir inspiré la loi de réforme de l’aide sociale de 1996. Le Wisconsin est un des États qui enregistre la plus forte baisse en terme de bénéficiaires de l’AFDC-TANF : -80 % depuis l’instauration du dispositif, comparativement à -55 % à l’échelle nationale. Il se distingue enfin par la mise en œuvre d’une stratégie d’insertion des anciens bénéficiaires de l’AFDC exclusivement tournée vers l’emploi et enrichie de multiples dispositifs de soutien au revenu d’activité.
Contrairement à la plupart des États fédérés, le Wisconsin met fin à l’assistance sans contrepartie en rendant immédiate l’obligation de trouver un emploi non subventionné ou, de participer à un des programmes d’insertion par l’emploi. La loi fédérale prévoit un délai de 24 mois au plus où l’allocataire peut percevoir l’aide sociale sans contrepartie. En revanche, le Wisconsin applique la limite maximale de cinq ans pour ce qui concerne la durée de perception de la prestation au cours de la vie.
Les participants au programme WW-2 se voient contraints, à l’issue d’un suivi individuel de prendre un emploi non subventionné ou, si les conditions économiques et leur degré d’employabilité ne le leur permettent pas, de participer pendant 24 mois consécutifs au plus à l’un des trois programmes d’insertion proposés. Le suivi individuel des bénéficiaires est une particularité du programme WW-2 à l’origine – selon les autorités – de son succès [1]. Au total, le dispositif comprend quatre programmes d’insertion : le premier, cité plus haut, consiste en l’orientation vers un emploi non subventionné, le second vers un emploi du secteur marchand subventionné, le troisième programme comprend les emplois d’utilité collective, enfin le quatrième est réservé aux bénéficiaires les moins employables et consiste en un partage entre formation professionnelle et formation générale à hauteur de 40 heures par semaine. Ces quatre programmes diffèrent des douze activités d’insertion prévues par l’État fédéral et constituent à cet égard une nouvelle illustration de la marge de manœuvre dont disposent les États dans l’élaboration de leurs programmes sociaux.
Compensation à ce dispositif particulièrement strict par rapport à ceux mis en place dans d’autres États, les participants au programme WW-2 bénéficient de nombreuses aides au revenu. Ces aides se répartissent entre les subventions aux salaires avec un crédit d’impôt de l’État du Wisconsin qui s’ajoute au crédit d’impôt fédéral, des aides monétaires et en nature pour les coûts induits par la (re)prise d’un emploi (garde d’enfants, transport, prêt à taux zéro pour l’octroi d’une voiture et autres nécessités) et les droits connexes à l’ancien dispositif AFDC (couverture médicale et bons alimentaires). Les participants aux programmes d’emplois d’utilité collective et de formations ne bénéficient pas toutefois du crédit d’impôt en vigueur dans l’État. D’autres aides au revenu sont disponibles pour l’ensemble des bénéficiaires du programme WW-2. La sortie du dispositif pour cause de dépassement des conditions de ressources implique une perte de ces aides.
9La répartition des dépenses totales (fédérales et des États) selon le type de prestations est révélatrice des stratégies des États. L’État du Wisconsin consacre 30 % de l’enveloppe globale du programme TANF aux allocations monétaires contre 60 % en moyenne pour l’ensemble des États et 70 % en Californie. Ces deux États dépensent respectivement 25 % et 5 % de l’enveloppe en programmes d’insertion contre 7 % au niveau national.
Si le TANF s’inscrit comme l’un des principaux dispositifs décentralisés d’aide sociale, l’Earned Income Tax Credit (EITC) et le Supplemental Security Income (SSI) font également l’objet d’une application différenciée selon les États.
Quinze États et deux comtés ont adopté un crédit d’impôt complémentaire au dispositif fédéral
10Créé en 1975, le crédit d’impôt EITC est un programme fédéral destiné à accroître les revenus d’activité des foyers modestes, principalement avec enfant(s), dont l’un des membres au moins travaille. Ce programme donne lieu à des versements directs lorsque le montant du crédit est supérieur aux impôts fédéraux sur le revenu. Sinon, il est déduit du montant de l’impôt. Les conditions d’éligibilité et le calcul du crédit sont appliqués à l’échelle fédérale. Son calcul s’effectue selon deux critères : le nombre d’enfants qualifiants et le montant des revenus bruts ajustés, qui prennent en compte des revenus imposables (salaires bruts, revenus nets pour les professions indépendantes) et des revenus non imposables (plan de retraite…). Pour un foyer ayant deux enfants, le seuil de revenus maximum pour avoir droit au crédit d’impôt était fixé à 31 152 dollars, le montant maximum du crédit étant de 3 888 dollars. Toutefois si le crédit d’impôt [2] a permis, en 2000 à près de quatre millions de foyers de sortir de la pauvreté, il n’est parfois qu’un instrument permettant de réduire l’intensité de la pauvreté : les revenus issus d’un emploi à temps plein au salaire minimum correspondent pour un foyer de quatre personnes à 60 % du seuil de pauvreté. Le crédit d’impôt accordé à ce foyer (3 888 dollars) ne lui permet pas de franchir le seuil de pauvreté mais permet, en augmentant ses revenus à 82 % de ce seuil, de réduire l’intensité de sa pauvreté. L’EITC est considéré dans la littérature comme l’un des programmes fédéraux ayant été au cours des années quatre-vingt-dix, les plus efficaces pour accroître les taux d’activité des femmes seules avec enfant(s) [3] et réduire la pauvreté.
11Quinze États et deux comtés ont, par ailleurs, adopté leur propre système de crédit d’impôt qui vient donc s’ajouter au dispositif fédéral.
12Les conditions d’éligibilité des crédits d’impôts des États sont généralement identiques à celles instaurées à l’échelle fédérale, toutefois les foyers sans enfant ne sont pas systématiquement éligibles. La plupart des États calculent le montant du crédit d’impôt comme un pourcentage du crédit d’impôt fédéral. Le Minnesota fait exception dans la mesure où il adopte, depuis 1998, des barèmes et des taux de crédit différents de ceux établis à l’échelle fédérale. À configuration familiale identique, le montant maximal du crédit d’impôt accordé varie de 1 à 3 environ entre les États. Il s’élève à 388 dollars pour un foyer comportant deux enfants dans le Colorado et à 1 244 dollars dans le Vermont. Pour ce même type de foyer, le crédit d’impôt de l’État accroît les revenus issus d’un travail à temps plein au salaire minimum de 82 % à 85 % du seuil de pauvreté dans le Colorado contre 82 % à 90 % dans le Vermont.
Le Supplemental Security Income (SSI), un programme fédéral de base
13Le SSI est une prestation monétaire, sous conditions de ressources, dont l’allocation est différentielle. Elle est allouée à trois catégories de personnes : l’ensemble des personnes de plus de 65 ans, les invalides et les aveugles de tout âge (adulte et enfant) répondant aux conditions de ressources fédérales. Ces dernières [4] varient selon la composition du foyer de respectivement 512 dollars pour une personne à 769 dollars pour un couple [5]. Comme le TANF, le SSI est un revenu minimum.
14Ce programme fédéral, mis en œuvre en 1974, est financé par l’impôt et géré par la Sécurité sociale. La loi autorise toutefois les États à compléter l’allocation fédérale de base par une allocation supplémentaire qu’ils gèrent, dans ce cas, avec une relative autonomie aussi bien dans la définition des catégories bénéficiaires que des conditions de ressources exigées.
15En 2000, si la plupart des États complètent la prestation de base pour les allocataires justifiant de besoins particuliers (logement et soins), vingt-cinq d’entre eux seulement versent un complément aux bénéficiaires vivant à domicile. Quinze États ont délégué la gestion de ce supplément d’allocation à la Sécurité sociale moyennant une contrepartie monétaire.
16L’effort financier des États dans ce domaine est très inégal. L’allocation complémentaire augmente l’allocation mensuelle de base (512 dollars) de 2 dollars dans l’Oregon à 360 dollars en Alaska, pour un foyer composé d’une personne. Pour une famille de deux personnes, le versement des États varie d’un minimum de 5 dollars dans l’Utah à un maximum de 530 dollars en Alaska.
Des programmes en nature plus ou moins généreux selon les États
Un accès différentiel à une couverture maladie publique
17En 1999, 33 millions de personnes, soit 11 % de la population, étaient couvertes par Medicaid, programme public de couverture maladie destiné à certaines familles pauvres avec enfants. En moyenne, Medicaid est pris en charge par l’État fédéral à hauteur de 56 %, le reste étant directement financé par les États. La participation fédérale au programme est variable selon les États : de 50 % pour New York, le Nevada ou le Delaware à plus de 70 % pour l’Arkansas (73 %), le Mississippi (77 %) ou la Virginie (74 %). Cette participation est déterminée par un mécanisme de péréquation qui vise à corriger partiellement les inégalités de richesse entre États.
18Les critères d’éligibilité pour Medicaid sont déterminés par l’État fédéral (figure 1) en ce qui concerne les personnes obligatoirement prises en charge à savoir, les familles monoparentales éligibles au programme d’assistance temporaire pour les familles dans le besoin (TANF) [6], les bénéficiaires du revenu minimum SSI, les enfants de moins d’un an dont la mère était éligible à Medicaid lors de sa grossesse, les enfants de moins de 6 ans et les femmes enceintes dont le revenu familial est inférieur à 133 % du seuil de pauvreté et enfin les moins de 16 ans vivant dans une famille dont les revenus sont inférieurs au seuil de pauvreté. Une part importante de la population américaine à bas revenu n’a donc pas accès à une assurance maladie. Les familles sans enfant, les personnes seules, les jeunes de plus de 19 ans ne sont pas éligibles à Medicaid au niveau fédéral, quels que soient leurs revenus.
L’éligibilité des personnes de moins de 65 ans à Medicaid

L’éligibilité des personnes de moins de 65 ans à Medicaid
19Cependant, les États conservent une certaine liberté et peuvent étendre les critères d’éligibilité à leur programme Medicaid dans des limites également imposées par les autorités fédérales. Certains États ont mis en place des programmes d’assurance maladie qui leur sont propres. C’est, par exemple, le cas de l’État de New York et celui de Washington qui ont instauré des programmes de prise en charge pour les personnes qui ne peuvent pas avoir accès à Medicaid, par exemple, les personnes pauvres sans enfants.
20L’instauration d’une assurance publique maladie pour les enfants (State Children Health Insurance Program, SCHIP), en 1997, a incité les États à utiliser leur faculté d’extension à Medicaid, grâce notamment à une allocation budgétaire fédérale. Ces fonds n’ont cependant pas été utilisés dans tous les États, certains d’entre eux craignant que ce programme n’entraîne des dépenses supplémentaires sur le long terme, du fait de l’adhésion d’un plus grand nombre de personnes aux programmes publics d’assurance maladie, alors que la dotation fédérale n’est prévue que sur le court terme.
21Les différences d’accès à Medicaid sont très importantes selon les États et tiennent à deux facteurs : d’une part, le niveau de richesse de l’État qui détermine très largement la part de la population couverte par les régimes d’assurance maladie privés et, d’autre part, les décisions politiques des États en terme de prise en charge publique (Medicaid et les programmes propres aux États). Ainsi, la prise en charge publique des adultes dont les revenus sont inférieurs au seuil de pauvreté et qui ne disposent pas d’une assurance maladie privée varie considérablement selon les États. Par exemple, au Texas, en Californie et dans l’État de New York, la part de la population en dessous du seuil de pauvreté (de 14 % à 16 %) et le pourcentage d’adultes pauvres qui ne seraient pas assurés sans l’intervention de l’État (environ 70 %) sont comparables mais les politiques de prise en charge présentent de fortes disparités : moins d’une personne sur cinq bénéficie d’une couverture publique au Texas contre plus d’une personne sur trois en Californie et plus d’une sur deux dans l’État de New York.
22Les programmes publics (Medicaid et SCHIP) couvrent de 23 à 26 % de l’ensemble des enfants dans les États de Californie, de New York, du Texas et de Washington, de 10 à 15 % des enfants dans le Minnesota et le Wisconsin. Deux situations doivent cependant être distinguées. Un premier groupe d’États, dont font partie la Californie, New York et Washington, ont un taux de couverture élevé lié à des programmes publics ambitieux. Tel n’est pas le cas d’États comme le Texas ou le Mississippi dont la proportion élevée d’enfants pris en charge par une assurance publique reflète la part importante de population pauvre. Les hauts niveaux observés dans les États de New York et de Californie reflètent à la fois une large couverture et la pauvreté d’une grande partie de la population.
Les enfants vivant dans des familles à faibles revenus (moins de 200 % du seuil de pauvreté) sont assurés par une couverture publique dans 53 % des cas à Washington et dans 27 % des cas dans le Wisconsin.
En 1999, 42,6 millions d’Américains, soit 17,5 % des personnes de moins de 65 ans, ne disposaient ainsi d’aucune assurance maladie. Parmi cette population non assurée, un peu plus d’un quart (27 %) sont en dessous du seuil de pauvreté [7] et 29 % ont des revenus inférieurs à deux fois le seuil de pauvreté. Là encore les écarts sont très importants entre les États reflétant leurs stratégies en matière de politique sociale. Un adulte sur deux à bas revenu ne dispose d’aucune assurance maladie au Texas, un peu plus d’un sur trois dans l’État de New York, un sur cinq dans le Minnesota [8].
Les bons alimentaires, un programme exclusivement fédéral
23Les bons alimentaires sont un des principaux programmes d’aide sociale aux États-Unis mais ses conditions d’accès sont, contrairement aux autres dispositifs, totalement uniformes pour l’ensemble des États (à l’exception de deux États, l’Alaska et Hawaï du fait d’un coût de la vie plus élevé). Cette allocation fédérale est, en fait, versée sous forme de coupons utilisables pour l’achat de nourriture. Le barème varie en fonction du nombre de personnes dans le foyer, une partie des revenus d’activité faisant l’objet d’un abattement. Généralement, les bénéficiaires des programmes TANF et SSI sont également éligibles aux Food Stamps. Le versement de ces bons d’alimentation n’affecte pas l’éligibilité aux autres programmes.
24Les personnes valides sans enfants ne peuvent bénéficier des bons alimentaires que pour une durée de trois mois tous les trois ans, depuis 1996, sauf si elles travaillent à mi-temps au moins ou suivent une formation. Les bons alimentaires font également l’objet d’exigences de contreparties.
Une très forte inégalité d’accès aux aides à la garde des jeunes enfants
25Depuis la loi de réforme de l’aide sociale de 1996, l’ensemble des programmes d’assistance et d’allocations pour les enfants ont été refondus. La Child Care and Development Fund (CCDF) donne aux États une très grande flexibilité pour déterminer leurs priorités en matière d’accueil des jeunes enfants. Les États peuvent tout à fait librement choisir d’organiser des garderies, sélectionner des nourrices (à domicile ou non) qui seront rémunérées par eux-mêmes ou encore laisser les familles s’organiser librement en prenant en charge tout ou partie des frais engagés (gardes d’enfants par un parent…). Les aides sont, en effet, accordées aux familles quel que soit le mode d’accueil.
26Avant la réforme de 1996, les familles, allocataires de l’aide sociale en activité ou sorties du programme par l’emploi, avaient un accès automatique au système de gardes d’enfants et étaient donc prioritaires sur les autres familles pauvres. Cette partition entre familles allocataires de l’aide sociale et les autres familles a été abolie. Les États ont désormais toute latitude pour déterminer les familles éligibles. Cette liberté est toutefois limitée par deux facteurs : les États doivent faciliter l’accès au marché du travail des personnes seules ayant un enfant de moins de 6 ans en mettant en place des modes d’accueil de l’enfant ou en finançant sa garde ; ils doivent, par ailleurs, utiliser au moins 70 % de leur enveloppe pour aider les familles bénéficiaires du TANF, ou en transition vers un emploi ou encore les familles à risque. Dans ce contexte, une des premières démarches des États a consisté en général à faire gérer l’ensemble des fonds destinés aux enfants par une seule agence.
27Les conditions d’accès au CCDF varient selon les États et on retrouve une fois encore la même typologie entre des États à politique sociale affirmée tels que le Massachusetts, New York et des États moins généreux comme l’Alabama ou le Texas qui n’interviennent généralement qu’à minima dans le cadre fixé par la loi fédérale. Ainsi, pour avoir droit à des aides pour financer la garde de leurs enfants, les familles doivent justifier d’un niveau de revenu égal ou inférieur à 130 % du seuil fédéral de pauvreté en Alabama et pouvant aller jusqu’à deux fois et demi ce seuil dans l’État de New York et dans le Massachusetts. Dans le même temps, beaucoup d’États ont accru toutefois la participation des parents au financement de la garde des enfants. C’est en Alabama et au Texas que la subvention accordée par l’État est la plus faible (environ 60 dollars) et dans le Massachusetts qu’elle est la plus élevée (environ 147 dollars). Le Wisconsin, qui avait instauré avant la réforme, un niveau de prise en charge assez bas, a depuis, réévalué d’un tiers ses barèmes.
Avant la loi de réforme PRWORA, peu d’États avaient mis en place des structures de gardes d’enfants subventionnées pour les familles à bas revenu non éligibles à l’aide sociale. Depuis la réforme, une partie du budget de l’aide sociale, non utilisé du fait de la diminution des allocataires du TANF, a servi à financer des gardes d’enfants. Il reste que dans beaucoup d’États, l’offre est très insuffisante pour répondre à l’accroissement de la demande suscitée par la reprise d’emploi d’une partie des anciens allocataires de l’aide sociale. Six États dont le Wisconsin, et le Massachusetts ont établi un classement de familles prioritaires. Le Wisconsin est le seul État à chercher à mettre sur pied un programme universel d’accueil des jeunes enfants.
Des écarts de revenus et de pauvreté entre États corrigés en partie par une politique d’aide sociale décentralisée
Des écarts de pauvreté qui s’expliquent en partie par des disparités spatiales de revenus
28La répartition des revenus sur le territoire des États-Unis est peu homogène. En 1999, les revenus annuels par habitant [9] les plus faibles équivalent dans l’État du Mississippi aux trois quarts environ (72,5 %) de ceux calculés sur l’ensemble du territoire [10] contre 138 % dans l’État du Connecticut.
29En distinguant huit régions, le Bureau of Economic Analysis dresse une cartographie des revenus (figure 2). Elle permet de constater que, dans les régions du sud, les revenus annuels totaux par habitant sont les plus faibles des États-Unis, environ 90 % du niveau moyen calculé sur l’ensemble du territoire. Sur la base de cet indicateur, la Nouvelle Angleterre s’inscrit comme la région la plus riche, les revenus annuels par habitant y étant 20 % supérieurs aux revenus moyens de l’ensemble des Américains.
Revenus annuels totaux par tête et par région (base 100 = revenus bruts par tête calculés sur l’ensemble du territoire américain)

Revenus annuels totaux par tête et par région (base 100 = revenus bruts par tête calculés sur l’ensemble du territoire américain)
30Les prestations sociales corrigent en partie ces inégalités de revenus. Ainsi le taux de pauvreté dans le Wisconsin est égal à environ les deux tiers de celui de l’État du Texas (tableau 2) mais les revenus après transferts y sont supérieurs de 2 % seulement. Les transferts sociaux, en particulier l’aide sociale, obéissent à une politique largement décentralisée dont les effets sur la pauvreté varient selon les États.
Indicateurs

Indicateurs
Les dépenses d’aide sociale varient du simple au triple entre le Kansas et l’État de New York
31Les dépenses de prestations sociales sont financées par les différents niveaux d’administration : l’État fédéral, les États fédérés, les collectivités locales. Une des difficultés d’analyse des dépenses de protection sociale aux États-Unis tient à ce que l’on ne dispose pas de compte de la protection sociale agrégeant l’ensemble des dépenses de protection sociale selon les régimes et détaillant l’origine du financement et la nature des dépenses. À partir des données du Census Bureau et des travaux du Congrès, plusieurs estimations ont été réalisées [11].
32En 1997, sur un total de dépenses d’aide sociale d’environ 250 milliards de dollars, la part financée par l’État fédéral est de l’ordre de 70 %, de 17 % pour les États et de 13 % pour les collectivités locales (tableau 3). Le champ retenu dans cette étude couvre donc une part très majoritaire des dépenses (de l’ordre de 87 % des dépenses), même si l’on sait que les 13 % restant ont, par nature, une forte dispersion spatiale.
La répartition des dépenses monétaires de prestations sociales en 1997

La répartition des dépenses monétaires de prestations sociales en 1997
33Une étude effectuée par le Service de recherche du Congrès (Congressional Research Service) permet également de distinguer le niveau de financement de l’État fédéral de celui de l’ensemble des niveaux décentralisés (États et collectivités locales). La part du financement fédéral des prestations sous conditions de ressources apparaît particulièrement stable depuis trente ans : après avoir atteint un maximum de 76 % à la fin des années soixante-dix, elle a décru au cours des années quatre-vingt et s’est stabilisée autour de 71 % depuis le début des années quatre-vingt-dix (figure 3a).
Prestations sous conditions de ressources : part fédérale et décentralisée des dépenses 1968-98

Prestations sous conditions de ressources : part fédérale et décentralisée des dépenses 1968-98
34Par ailleurs, on observe que les dépenses ont fortement augmenté au début des années quatre-vingt-dix, principalement du fait de la hausse des dépenses fédérales (figure 3b). La part des dépenses d’aide sociale atteint un maximum de 5 % du PIB en 1995 et diminue par la suite du fait de la stabilisation des dépenses en dollars constants, dans un contexte de forte croissance.
35Le total des dépenses d’aide sociale varie de manière importante entre les États. En 1996, les dépenses de Public Welfare [12] atteignaient, en moyenne, sur l’ensemble des États-Unis, 730 dollars par habitant. Elles étaient maximales dans l’État de New York où elles se montaient à 1 400 dollars par habitant contre 950 dans le Massachusetts, 760 en Californie et 440 seulement dans le Kansas et le Nevada.
Un niveau de pauvreté qui reste inégal selon les États
36Au bout du compte, le taux de pauvreté (cf. annexe) calculé à l’échelle nationale est en baisse et rejoint progressivement ses niveaux les plus faibles atteints au début des années soixante-dix. En 2000, 31,1 millions de personnes vivent en deçà du seuil de pauvreté soit 11,3 % de la population des États-Unis. Cette évolution s’explique en partie par un cycle long de croissance économique et par une réorientation des politiques de lutte contre la pauvreté (Blank, 2000). Toutefois, le recul de la pauvreté observé depuis le début des années quatre-vingt-dix masque des évolutions et des niveaux variés selon les catégories de personnes et les États (Census Bureau, 2001).
37En 2000, seuls dix États, dont la Californie, New York et le Mississippi, connaissent une diminution de leur taux de pauvreté. Dans les autres États, le niveau de pauvreté reste inchangé. Parmi les quatre régions recensées par le Census Bureau, la région du sud demeure celle où, le taux de pauvreté, est le plus élevé : 12,5 % en 2000 contre 9,5 % dans le Midwest. Par État, les différences de niveau de pauvreté sont plus marquées encore : le taux de pauvreté atteint 18,6 % en Louisiane, 15,5 % dans le Mississippi contre 7,3 % dans le Maryland (figure 4). Certains États autres que ceux du sud, comme la Californie, le District de Columbia et l’État de New York connaissent également des taux de pauvreté élevés.
Taux de pauvreté dans quelques États (moyenne 1998-2000)

Taux de pauvreté dans quelques États (moyenne 1998-2000)
Les disparités de l’aide sociale, une approche par cas types
38Pour illustrer les différences de « générosité » des États quant à leur politique d’aide sociale, nous avons choisi d’utiliser la méthode des cas types qui permet de chiffrer très concrètement ce que reçoivent les personnes à bas revenu selon leur lieu de résidence.
39Les écarts importants observés entre les États en ce qui concerne le montant de leurs dépenses d’aide sociale tiennent, en partie, à l’interaction entre les différents niveaux d’administration. Les États peuvent moduler les barèmes (montant maximum de l’allocation, conditions d’éligibilité) de la plupart des programmes à financement fédéral. Il en résulte une forte disparité entre États des dépenses assurées par des fonds fédéraux. À l’inverse, certains programmes fédéraux tendent à diminuer la dispersion des prestations entre les États, car ils sont attribués selon une règle quasiment homogène sur l’ensemble du territoire américain ; c’est tout particulièrement le cas du programme de bons alimentaires (Food Stamps) dans la mesure où le montant de l’allocation TANF entre dans la base des ressources prises en compte. Ainsi, un programme d’aide sociale moins généreux donnera droit à des bons alimentaires plus élevés.
40Afin d’appréhender les différences de niveau de prestations entre les États, une base de six cas types sur les 51 États américains a été construite, pour l’année 2000 (encadré 2). Elle prend en compte les programmes d’aide temporaire aux familles dans le besoin (TANF), les bons alimentaires, les systèmes fiscaux (impôts sur le revenu et systèmes de crédit d’impôt, EITC, fédéraux et des États lorsqu’ils existent), la part « employé » des cotisations de Sécurité sociale (soit 7,65 % du salaire brut) [13]. Différentes configurations familiales ont été choisies en fonction de la personne de référence du foyer (seule ou en couple) et du nombre d’enfants (sans, un ou deux enfants).
Les programmes TANF ont généralement des dispositifs « d’intéressement » : lorsque le bénéficiaire prend un emploi, une fraction des revenus n’est pas intégrée à la base du calcul de ressources servant à déterminer le montant de l’allocation. Cette fraction varie selon les États (elle peut être définie comme un montant fixe et/ou une fraction des revenus) mais également dans le temps. On a retenu ici la situation d’un bénéficiaire qui disposait d’un revenu d’activité depuis un an. Pour le calcul des impôts et de l’EITC, on a supposé que le bénéficiaire avait perçu, en moyenne l’année passée, le même salaire que celui qui sert au calcul du montant des allocations.
Dans certains cas particuliers on a dû recourir à certaines hypothèses simplificatrices. Ainsi, on n’a pas retenu, dans le cadre des programmes TANF, les déductions liées aux dépenses de garde d’enfants, ni les déductions éventuelles liées aux dépenses de logement. De plus, pour le programme TANF du Wisconsin, les cas types reposent sur un des quatre sous-programmes. Les résultats sont donc à prendre avec précaution, d’autant plus que, dans cet État, les aides en nature sont particulièrement développées, l’éligibilité étant automatique (sans démarche supplémentaire de la part du bénéficiaire, et grâce à un suivi individuel), en particulier pour les aides à la garde d’enfants, les aides au transport, Medicaid et les aides au logement. Pour les EITC mis en place dans certains États, on a également eu recours à des hypothèses simplificatrices. Dans le Minnesota, l’EITC local retenu a été considéré comme uniformément proportionnel à l’EITC fédéral (à un taux de 25 %), alors, qu’en fait, il s’agit du seul État où sa structure est différente du crédit fédéral : la phase de sortie commençant, au contraire du crédit fédéral, par une hausse du crédit d’impôt. Dans le Wisconsin, le crédit d’impôt pour les couples ayant trois enfants (qui représente 43 % du crédit d’impôt fédéral, contre 14 % pour deux enfants et 4 % pour un enfant et aucun crédit pour les foyers sans enfants) n’est pas retenu.
Pour prendre en compte les différences de niveau de vie selon la taille du ménage, on a parfois eu recours à une échelle d’équivalence pour retranscrire les revenus par unité de consommation. L’échelle d’équivalence utilisée est celle de l’INSEE : 1 pour le premier adulte, 0,5 pour le second et 0,3 pour les enfants de moins de 16 ans. Enfin, lorsque l’on a calculé des moyennes pondérées pour l’ensemble des États, on a retenu comme pondération le nombre d’allocataires par État en juin 2000.
De fortes différences de revenus entre États après impôts et prestations à revenus salariaux et configurations familiales identiques
41L’effet des prestations TANF et des bons alimentaires ainsi que des prélèvements fiscaux et de sécurité sociale sur les revenus finaux varie très fortement selon les États et la configuration familiale. En effet, à situation des bénéficiaires identique, les écarts de revenu observés entre les États sont principalement liés à l’impact des programmes TANF. Ces différences s’atténuent généralement lorsque les revenus augmentent, du fait de la diminution de ces prestations. Par ailleurs, on constate que le système américain couvre nettement moins les personnes sans enfants.
42De fait, les aides sociales aux personnes dépendent essentiellement aux États-Unis du nombre d’enfants présents dans le foyer. Les prestations TANF ne sont versées qu’aux ménages ayant au moins un enfant. C’est même l’objectif premier de cette prestation, dont le nom antérieurement à la réforme de 1996 était tout à fait explicite : l’Aid for Families with Dependant Children (AFDC), était une aide aux familles ayant des enfants à charge. Les personnes sans enfants ayant de faibles revenus d’activité ne perçoivent en général [14] que les bons alimentaires, donc des prestations bien moindres.
43A contrario, pour les personnes disposant de revenus d’activité plus importants, la faible prise en compte des charges de famille dans le calcul de l’impôt sur le revenu favorise les familles ayant peu ou pas d’enfants.
Encadré 3 : Les programmes General Assistance
De plus, depuis 1992, la couverture des programmes General Assistance a été réduite. Ainsi, les États du Connecticut, d’Hawaï, du Minnesota, de l’Ohio et de Pennsylvanie ne versent plus d’aide aux personnes valides sans enfants. En Pennsylvanie, même l’aide aux familles a été supprimée.
44• Première constatation, pour les ménages à bas revenu, la différence de niveau de vie est importante selon qu’ils ont ou non des enfants. Ainsi, pour un couple ayant deux enfants et ne disposant pas de revenus d’activité, le revenu moyen par unité de consommation après transferts sociaux est de l’ordre de 4 700 dollars en moyenne mais varie de 7 500 dollars en Alaska à 3 500 dollars au Texas et 3 200 dollars dans le Mississippi. Il est un peu supérieur à la moyenne en Californie (5 600 dollars), dans l’État de New York et dans le Wisconsin (5 400 dollars).
45Pour une personne seule sans enfant et ne disposant pas non plus de revenus d’activité, le revenu moyen par unité de consommation après prise en compte des aides est bien inférieur. Il est de plus uniforme sur l’ensemble du territoire (1 500 dollars) puisque cette catégorie de personnes n’a droit qu’aux bons alimentaires qui sont un programme uniquement fédéral. Seule l’Alaska a un barème supérieur qui se traduit par un revenu de 1 900 dollars.
Cette hiérarchie des niveaux de vie selon la configuration familiale, s’inverse lorsque le revenu d’activité augmente, du fait de la diminution des prestations sous conditions de ressources et de l’importance croissante du système fiscal (figure 5a).
Revenu moyen par unité de consommation

Revenu moyen par unité de consommation
46• À ces différences de revenu disponible selon les configurations familiales s’ajoute la diversité des programmes TANF qui se traduit par de forts écarts entre États quant au niveau des aides. Ainsi pour les personnes sans revenus salariaux et ayant un ou deux enfants, le revenu disponible varie d’un à deux voire à trois selon les États pour une configuration familiale donnée (figure 5b).
47Un indicateur de dispersion (écart type ramené à la moyenne pondérée) montre (figure 6a) que l’hétérogénéité entre les États diminue de moitié environ pour des revenus salariaux de 10 000 dollars (proches d’un salaire minimum à temps complet) et atteint un seuil minimum vers 20 000 dollars, soit pour deux salaires minimum à temps plein, ce qui correspond aux niveaux de sortie des programmes TANF les plus généreux ainsi que du programme Food Stamps.
Dispersion du revenu disponible entre les États après impôts et prestations selon le revenu salarial

Dispersion du revenu disponible entre les États après impôts et prestations selon le revenu salarial
48Si l’on ne prend en compte que le programme TANF la dispersion est deux fois plus forte (figure 6b). En effet, le programme fédéral Food Stamps intègre dans sa base de ressources le montant des allocations TANF. Il agit donc comme un fort réducteur des disparités entre les différents États dans le cas d’un ménage avec enfant. La situation est inverse pour les personnes n’ayant pas d’enfant dans la mesure où le programme Food Stamps est identique dans les 51 États (sauf l’Alaska et Hawaï).
Revenus disponibles après impôts et prestations, pour certains niveaux de revenus d’activité dans quelques États (couples ayant deux enfants)

Revenus disponibles après impôts et prestations, pour certains niveaux de revenus d’activité dans quelques États (couples ayant deux enfants)
49Enfin, le système fiscal réduit légèrement la disparité des revenus, après transferts, entre les États, pour les revenus inférieurs à 15 000 dollars environ, du fait que l’EITC est un programme essentiellement fédéral. En effet, même s’il existe des crédits d’impôts dans certains États, ceux-ci ne représentent qu’une fraction, généralement inférieure à 30 %, de l’EITC fédéral. Par ailleurs, pour les revenus salariaux supérieurs à 15 000 dollars, le système fiscal induit une différence de revenu disponible de quelques points, du fait des différences d’imposition sur le revenu entre les États.
Ces écarts entre États liés à l’aide sociale accordée et aux barèmes d’imposition entraînent une forte hétérogénéité du niveau de revenu salarial permettant d’atteindre le seuil de pauvreté. Ainsi, pour un couple ayant deux enfants, le seuil de pauvreté est atteint, en moyenne, pour un salaire annuel de 10 800 dollars contre 1 500 dollars en Alaska et 13 225 dollars dans le Nevada (figure 7).
Valeur du revenu salarial qui permet d’atteindre le seuil de pauvreté pour un couple ayant deux enfants

Valeur du revenu salarial qui permet d’atteindre le seuil de pauvreté pour un couple ayant deux enfants
Des profils d’imposition marginale également fortement variables selon les États
50Le profil de l’imposition implicite [15] à la sortie des dispositifs varie aussi sensiblement selon les États. On a retenu ici comme variables certains taux d’imposition concernant différentes transitions sur le marché du travail (figure 8). La première transition correspond au passage du non emploi à un emploi à mi-temps au salaire minimum. Du fait de la forte disparité du niveau des prestations, c’est naturellement pour cette première transition que la dispersion des taux est la plus forte : minimale dans quelques États, où elle est négative, maximale dans d’autres, où elle avoisine les 60 %. On peut toutefois remarquer que la valeur de l’imposition implicite associée à cette transition est en moyenne relativement faible, de l’ordre de 20 %.
Taux d’imposition pour certaines transitions sur le marché du travail

Taux d’imposition pour certaines transitions sur le marché du travail
51Lorsque le revenu salarial augmente, par exemple lors du passage d’un demi-salaire minimum à un salaire minimum puis à un salaire minimum et demi, l’imposition s’accroît également, atteignant des valeurs moyennes plus élevées (60 %, voire 80 %), car les prestations sont réduites, alors que la différence d’imposition implicite entre les États s’amoindrit.
L’imposition diminue ensuite avec la sortie du dispositif temporaire d’aide aux personnes dans le besoin (TANF), puis des bons alimentaires (Food Stamps) et enfin du crédit d’impôt, EITC. De fait, au-delà de revenus de l’ordre de 15 000 dollars annuels, les différences d’imposition entre États sont beaucoup plus faibles (cf. tableau 5).
Taux d’imposition pour certaines transitions sur le marché du travail dans quelques États (couples ayant deux enfants)

Taux d’imposition pour certaines transitions sur le marché du travail dans quelques États (couples ayant deux enfants)
52Par ailleurs, la différence, selon le nombre d’enfants dans le ménage, de l’imposition lors du passage d’un emploi rémunéré au salaire minimum à mi-temps à un temps plein tient, au crédit d’impôt (EITC), dont le barème couvre une plage plus large de revenus pour les ménages ayant deux enfants.
Conclusion
53Tout au long de l’étude, nous avons souligné l’existence de différences sensibles entre États dans la conception des programmes d’aide sociale, les stratégies mises en œuvre et partant sur les revenus atteints par les bénéficiaires d’allocations. Ces disparités spatiales générées par la décentralisation des dispositifs sous conditions de ressources, observées pour les personnes à bas revenus, tendent à s’estomper voire à disparaître dès lors que les personnes disposent de revenus plus élevés.
54La loi de réforme de l’aide sociale qui avait accordé aux États une très grande autonomie dans la conduite des politiques, sera, en partie, renégociée à la fin de l’année 2002. À cette occasion, le mouvement de décentralisation pourrait être freiné par les conséquences du ralentissement économique qui inciteraient les États à demander au pouvoir fédéral une contribution financière élargie dans la gestion des dispositifs d’aide sociale.
Taux de pauvreté et efficacité des dispositifs d’assurance et d’aide sociale
Définition du taux de pauvreté du Census Bureau
55Calculé par le Census Bureau, le seuil de pauvreté est un seuil absolu défini selon la configuration du foyer (nombre d’enfants et d’adultes et âge de la personne de référence). Le seuil de pauvreté équivaut à la valorisation d’une quantité de biens alimentaires nécessaires à un type de ménage, multipliée par un coefficient égal à la part de l’alimentation dans le budget moyen des ménages. Le budget alimentaire type est basé à l’origine sur une enquête de consommation alimentaire de 1955 qui établit qu’une famille de trois personnes ou plus dépense un tiers de son budget (après impôts) en alimentation. Le seuil de pauvreté s’établit donc à trois fois le montant du budget alimentaire type. Depuis 1969, les seuils de pauvreté, calculés selon la configuration du foyer, sont revalorisés annuellement à partir de l’indice des prix à la consommation (CPI-U).
56En 2000, le seuil de pauvreté pour une personne seule s’élève à 8 960 dollars par an. Est considérée comme pauvre, toute personne vivant dans un ménage dont les revenus sont inférieurs au seuil de pauvreté. Le taux de pauvreté officiel (11,3 % en 2000) fait référence à l’ensemble des personnes pauvres (et non pas des ménages) en pourcentage de la population totale et à une définition précise des revenus des ménages : les revenus pris en compte dans le calcul du taux de pauvreté officiel sont les revenus – avant impôts dont le crédit d’impôt – avant prestations en nature (bons alimentaires, aides au logement, programme d’assurance santé Medicaid – et hors gains en capitaux. Les revenus des ménages sont mesurés à partir de l’enquête Current Population Survey (CPS), réalisée en mars de chaque année auprès de 50 000 ménages sur l’ensemble du territoire américain.
57Le Census Bureau estime également un taux de pauvreté par État qui, comparativement au taux de pauvreté officiel calculé pour l’ensemble des États-Unis, serait moins fiable. Toutefois selon le Census Bureau, cet indicateur présente l’intérêt de donner une fourchette dans laquelle « le taux de pauvreté s’inscrit probablement » (Census Bureau, 2000). Pour cette raison, le Census Bureau recommande d’être prudent dans l’exercice de comparaison entre États des taux de pauvreté. Leur évolution est décrite par des moyennes mobiles à deux ans. Enfin, les données du Census Bureau relatives à la pauvreté ne sont pas aussi détaillées que celles disponibles ou calculées à l’échelle de l’ensemble du territoire.
Une efficacité relative dans la lutte contre la pauvreté des programmes d’aide sociale ciblés sur certaines catégories socio-démographiques
58En 2000, les principaux programmes d’aide et d’assurance sociales permettent de réduire d’environ 50 % le nombre de personnes vivant en deçà du seuil de pauvreté. Les prestations d’assurance sociale permettent à 30 millions de personnes de franchir le seuil de pauvreté contre 15 millions environ pour l’aide sociale. Parmi les dispositifs d’aide sociale, l’EITC est celui dont l’effet sur la pauvreté semble le plus élevé (cf. tableau) : il permettrait, selon les estimations, à 4 millions de personnes environ de sortir de la pauvreté contre 2 millions pour les prestations monétaires sous conditions de ressources (principalement le TANF et SSI), 1 million pour les bons alimentaires et enfin 1,1 million pour l’aide au logement. Cette approche ne prend pas en compte l’incidence des divers dispositifs sur l’intensité de la pauvreté.
Effet marginal des prestations d’assurance et d’aide sociale sur le nombre de personnes pauvres en 2000

Effet marginal des prestations d’assurance et d’aide sociale sur le nombre de personnes pauvres en 2000
Notes
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[*]
Olivier Bontout : Conseil de l’emploi, des revenus et de la cohésion sociale (CERC) ; Christel Gilles et Diane Lequet-Slama : direction de la Recherche des Études, de l’Évaluation et des Statistiques (DREES), ministère de l’Emploi et de la Solidarité.
-
[1]
Source : WW-2 information Packet, State of Wisconsin, Department of Workforce, 2000.
-
[2]
Trois grandes réformes, en 1986, 1990, 1993, ont progressivement étendu la couverture de ce dispositif (catégories sans enfant, seuil de revenus) et son efficacité dans la lutte conte la pauvreté (barèmes, taux de crédit).
-
[3]
Pour une évaluation du dispositif : cf. Eissa et Liebman (1996), Meyer et Rosenbaum (1999), O. Bontout (2000).
-
[4]
Ne sont précisées que les conditions de ressources et barèmes appliqués aux personnes vivant à domicile.
-
[5]
Barèmes standards appliqués aux personnes vivant à domicile.
-
[6]
Les familles bénéficiaires du TANF sont soumises depuis la loi fédérale de 1996 aux conditions d’éligibilité de Medicaid, leur droit à Medicaid n’étant plus automatique.
-
[7]
Le seuil de pauvreté est de 8 500 dollars par an pour une personne seule.
-
[8]
Source : NBER, Kaiser Family Foundation, Urban Institute.
-
[9]
Source : Bureau of Economic Analysis, Regional Account Data, Local Area Personal Income.
-
[10]
Le Bureau of Economic Analysis (US department of Commerce) calcule les revenus annuels totaux par tête (US Personal Income per capita) pour l’ensemble des États-Unis puis exprime les revenus totaux par tête dans chaque État en pourcentage des premiers. Ils comprennent les revenus d’activité, les revenus de la propriété, les revenus financiers et les revenus de transferts.
-
[11]
Le Census effectue en effet tous les cinq ans un recensement complet des dépenses gouvernementales en distinguant les trois niveaux d’administration, les derniers recensements de ce type datant de 1997 et de 1992. Il permet en particulier de distinguer parmi les dépenses de chaque niveau d’administration la part prise en charge par d’autres niveaux d’administration, dépenses désignées par le vocale « dépenses intergouvernementales » par le Census, par distinction des dépenses directes.
-
[12]
Ensemble des dépenses hors les dépenses directes effectuées par l’État fédéral mais incluant les dépenses locales et des États financés sur des fonds fédéraux comme l’État fédéral Medicaid.
-
[13]
En effet, aux États-Unis, le « revenu brut de référence » pris en compte pour l’attribution des prestations correspond au revenu brut d’activité et inclut donc la part « employé » des cotisations de Sécurité sociale (de même le revenu imposable à l’impôt sur le revenu correspond au salaire brut).
-
[14]
Dans certains cas (« child only caseloads »), l’aide n’est même versée qu’aux enfants. Les aides aux personnes sans enfant relèvent, lorsqu’elles existent, d’une politique sociale complémentaire des États. Toutefois celle-ci étant peu développée, nous ne l’avons pas intégrée dans l’analyse (cf. encadré 3).
-
[15]
Sont ici pris en compte les prestations TANF, Food Stamps, EITC, l’impôt sur le revenu (fédéral et des États) et enfin les cotisations salariales.