Introduction
1Mis en place à la suite du mouvement des chômeurs revendiquant l’augmentation du niveau des minima sociaux, le Fonds d’urgence sociale (FUS) aurait pu être destiné aux bénéficiaires de ces minima ou aux chômeurs. Ceci n’a pas été le cas ; le but affiché était la réponse aux situations d’urgence sans précision sur la nature de celles-ci. Ainsi, c’est au niveau départemental que devaient être définis les critères d’attribution de l’aide. Le FUS s’apparente ainsi à une aide sociale décentralisée. On peut alors se demander si les inégalités entre départements, dans la prise en compte des situations individuelles, ont été fortes ou plutôt d’une ampleur limitée.
2Dans la première partie de cet article, nous essayons de dégager le profil des ménages ayant eu recours au FUS. La deuxième partie analyse le lien entre le degré de précarité économique du département et l’importance relative des demandes FUS. La troisième partie montre, à partir des réponses apportées aux demandes de l’aide du FUS, en quoi la prise en compte des situations individuelles s’est faite de façon variable entre départements.
Plus de 800 000 individus ont sollicité l’aide du FUS
3Au 19 juin 1998, les missions d’urgence sociale (MUS) avaient enregistré 806 000 demandes [5] du FUS depuis sa mise en place le 16 janvier de la même année. Ce recueil de données sur les demandeurs d’une aide est assez rare. La plupart du temps on ne dispose que d’informations sur les bénéficiaires d’une aide, ces dernières reflétant des situations de précarité reconnues par la société à travers les critères d’attribution. En revanche, les informations sur les demandeurs renseigneraient mieux sur l’ampleur du phénomène de précarité dans la mesure où cette population d’individus se reconnaissant en difficultés économiques peut couvrir des situations de précarité que les critères généraux d’attribution de l’aide ne permettent pas d’identifier. Les données sur le FUS ont l’avantage de fournir les deux indicateurs.
4En effet, une fois enregistrée, la demande du FUS est étudiée à partir des éléments fournis par le demandeur [6]. La réponse est favorable (attribution de l’aide financière et/ou réorientation vers d’autres dispositifs d’aides) si ces éléments justifient du caractère urgent de la situation du demandeur. Ainsi, 78 % des demandes traitées ont obtenu une réponse favorable : 72 % ont bénéficié de l’aide financière du FUS, parfois en plus d’une réorientation vers d’autres fonds, soit 580 000 bénéficiaires. Seule la part de ceux qui ont été réorientés sans bénéficier de l’aide du FUS est connue (6 %). La réorientation vers un autre dispositif d’aide est décidée si, à l’étude du dossier, la commission réalise que le demandeur pouvait bénéficier de ce dispositif auquel il n’avait pas eu recours. Cette situation concernait plus fréquemment les bénéficiaires potentiels du FSL (Fonds social du logement) et du FAJ (Fonds d’aide aux jeunes). Ainsi, la réorientation peut s’avérer, dans certains cas, plus intéressante que l’aide du FUS lui-même qui est ponctuelle alors que les aides attribuées par d’autres dispositifs sociaux peuvent avoir un caractère plus durable. Le Fonds d’aide aux jeunes (FAJ) [7], par exemple peut être attribué pour trois mois renouvelables ; le montant moyen perçu au 4e trimestre 1999 est estimé à 1 300 francs par la DREES [8], et le nombre de bénéficiaires à 100 000.
5Le montant moyen de l’aide du FUS était de 1 600 francs par bénéficiaire. Mais des variations entre départements étaient fortes : de l’ordre de 700 francs à 2 900 francs. Notons que ce montant moyen de l’aide, tout comme le taux de rejet a fortement varié entre le début et la fin du dispositif. Le montant moyen (calculé sur l’ensemble des bénéficiaires entre le début du programme et la date considérée) était de 100 francs plus élevé en mi-février qu’au 19 juin alors que le taux de rejet a progressé de 7 % points entre les deux dates (22 % au 19 juin). Ceci traduit sans doute une inflexion progressive de la pratique des commissions dans la perspective de l’épuisement des fonds.
6Parallèlement aux remontées hebdomadaires, le SESI [9] et la DAS [10] ont réalisé une enquête pour recueillir, via les directions départementales des Affaires sanitaires et sociales (DDASS) les caractéristiques des demandeurs enregistrés depuis le début de l’opération jusqu’au 20 février 1998 : situation familiale, situation par rapport à l’emploi et aux prestations sociales, situation financière, etc. À cette date, 470 000 demandes avaient été déposées dans les différents départements métropolitains. Pour les besoins de l’enquête, un dossier sur six a été tiré des demandes traitées. Pour les 94 départements ayant répondu à cette enquête, 65 % des dossiers en moyenne avaient été traités. Toutefois, seuls les 44 174 dossiers envoyés par les 89 départements ayant répondu de façon significative à l’enquête ont été retenus pour les exploitations statistiques [11]. Selon l’enquête, 85 % des demandes traitées ont obtenu une réponse favorable : 80 % ont bénéficié de l’aide financière du FUS, parfois en étant réorientés vers d’autres fonds. Les demandeurs réorientés vers d’autres fonds (après avoir bénéficié ou non d’une aide financière du FUS) représentent 15 % de l’ensemble.
Pour mieux comprendre les caractéristiques des demandeurs du FUS, il convient de les comparer aux bénéficiaires du revenu minimum d’insertion (RMI) et aussi à l’ensemble des chefs de ménage de moins de 65 ans, la proportion des plus de 65 ans étant quasi nulle parmi les demandeurs du FUS. La population des bénéficiaires du RMI peut être considérée comme représentant, en partie, la précarité administrativement reconnue et celle des demandeurs du FUS la précarité « autoreconnue ».
Les jeunes de moins de 25 ans : trois fois plus souvent demandeurs du FUS que bénéficiaires du RMI
7Les personnes âgées de 30 à 49 ans représentent plus de la moitié des demandeurs du FUS, ce qui est comparable à leur poids dans la population des bénéficiaires du RMI. En revanche, la représentativité des jeunes au FUS contraste avec leur poids dans la population des bénéficiaires du RMI. En effet, les moins de 25 ans sont trois fois plus représentés au FUS qu’au RMI (12 % contre moins de 4 %). Inversement les 25-29 ans sont deux fois moins nombreux au FUS qu’au RMI (15 % contre 26 %). L’exclusion des moins de 25 ans du bénéfice du RMI laisserait donc des poches de pauvreté au sein de cette population. Rappelons que ces derniers ne peuvent bénéficier du RMI que s’ils sont en charge d’un ou plusieurs enfants.
Comparaison des demandeurs du FUS aux bénéficiaires du RMI et à la population des chefs de ménage de 17 à 64 ans

Comparaison des demandeurs du FUS aux bénéficiaires du RMI et à la population des chefs de ménage de 17 à 64 ans
La demande du FUS : une prédominance des personnes isolées et des familles monoparentales…
8Comparativement à la population des chefs de ménage de 17 à 64 ans, les personnes isolées sans enfant et les familles monoparentales sont sur-représentées parmi les demandeurs du FUS. Trois demandeurs du FUS sur cinq sont, soit des personnes isolées sans enfant (37 %), soit des familles monoparentales (24 %), alors que ces deux catégories ne représentent que 29 % des chefs de ménage. Il s’agit en fait des deux groupes de population les plus fortement sur-représentés parmi les allocataires du RMI où 60 % des allocataires sont des isolés sans enfant et 21 % des familles monoparentales. Ce qui confirme l’existence d’un risque de précarité relativement élevé dans cette population, en particulier pour les familles monoparentales (Paugam, Zoyem, Charbonnel, 1993) [12].
9Pour les couples avec enfants, et dans une moindre mesure les familles monoparentales, on observe une sur-représentation parmi les demandeurs du FUS comparativement aux allocataires du RMI. Soulignons que le mode de calcul du RMI limite l’accès des couples, notamment ceux avec enfant, déjà bénéficiaires (tout comme les familles monoparentales) d’autres prestations sociales prises en compte dans l’assiette des ressources. Ces résultats tendent à montrer que les situations de pauvreté sont moins bien couvertes chez les moins de 25 ans et les familles nombreuses. L’existence des aides spécifiques pour ces catégories témoigne de la reconnaissance de cette moindre couverture par la société. Les familles avec enfant peuvent en effet bénéficier de l’aide à l’enfance et les moins de 25 ans du FAJ. Toutefois, au vu de ces résultats, les aides spécifiques ne suffiraient pas à résorber la pauvreté des enfants.
… sans emploi, bénéficiaires des indemnités chômage et du RMI
1084 % des demandeurs du FUS vivent dans un ménage dont aucun membre n’occupe un emploi. Ce taux atteint 89 % pour les personnes isolées et les familles monoparentales contre 76 % pour les couples. Il s’agit manifestement de situations de chômage de longue durée. Interrogés sur les motivations du recours au FUS, huit demandeurs sur dix évoquent une insuffisance durable de ressources. Pour les autres, la demande est motivée par un accident imprévu (10 % incluant perte d’emploi, rupture familiale, maladie, etc.) et le dysfonctionnement des dispositifs de protection sociale (8 %). Au vu de ce constat, il n’est pas surprenant que la ressource principale déclarée soit souvent une indemnité chômage (37 % incluant l’AUD [13] et l’ASS [14]) ou le RMI (30 %). Sur la base de ce dernier taux (et en supposant qu’il n’a pas varié au cours du programme FUS), on peut estimer à 242 000 le nombre total de bénéficiaires de cette allocation qui ont eu recours au FUS, soit environ un allocataire sur quatre [15]. En revanche, les bénéficiaires des autres minima sociaux [16] (API [17] et AAH [18] par exemple) sont très peu représentés (4 %). Enfin, 10 % des demandeurs du FUS déclarent ne vivre d’aucune ressource financière.
… en logement autonome, mais endettées
1185 % des demandeurs du FUS résident dans un logement autonome, mais on ne peut distinguer entre logement social et logement du secteur privé. Les personnes en logement institutionnel ou sans domicile fixe (SDF) ne représentent que 3 % de l’ensemble des demandeurs. Si on considère que la part de cette population n’a pas varié entre la date de l’enquête et la fin du programme, on peut estimer à 24 000 le nombre de demandeurs FUS vivant en logement institutionnel ou SDF. Ce qui signifierait que cette population a été très peu touchée par le FUS puisque les différentes estimations donnent un nombre de SDF ou de personnes en difficulté de logement en France (200 à 600 000) [19] largement au-dessus de ce chiffre. De plus 8 % des allocataires du RMI, soit près de 70 000 vivent en logement collectif ou ont un statut de logement mal défini (B. Lhommeau, 1999 [20]). Sur la forte variabilité du nombre estimé de sans domicile, notons que l’Insee compte faire une estimation plus précise à partir de l’enquête nationale qu’il a lancée sur les personnes utilisatrices des services aux sans domicile en milieu urbain.
L’une des caractéristiques les plus frappantes des demandeurs FUS est le taux d’endettement élevé : 81 % d’entre eux sont endettés. L’analyse de la structure de cet endettement montre que les dettes liées au logement (loyer, énergie et téléphone) sont fréquentes puisqu’elles concernent la moitié des demandeurs endettés. Les crédits à la consommation sont aussi fréquents (33 %), suivis de la dette fiscale (12 %).
La demande du FUS : un reflet du poids local du RMI et du chômage de longue durée
12Le nombre de demandes reçues peut être considéré comme un indicateur de l’étendue des populations en difficulté. Pour vérifier cette hypothèse on peut analyser le lien entre la demande de l’aide du FUS et les indicateurs socio-économiques du département (poids du RMI, du chômage, etc.).
13Nous avons étudié la correspondance (voir annexe 1 sur l’analyse factorielle des correspondances multiples) entre les différents indicateurs départementaux de précarité : effectifs de chômeurs et de bénéficiaires des différents minima sociaux, pour 10 000 habitants de 20 à 59 ans. Ce type d’analyse permet de décrire les différentes formes d’opposition entre départements. Ici, deux formes d’opposition les plus importantes ont été mises en évidence. La première porte sur le degré de précarité du département (taux de chômage et part des bénéficiaires du RMI) et la seconde sur la plus ou moins grande urbanisation du département. On observe à travers la première opposition, la correspondance entre d’une part, les départements les plus précaires (fort taux de chômage et de RMI) et ceux présentant une proportion élevée de demandeurs du FUS dans la population, et d’autre part, la faible précarité du département et la moindre propension à demander le FUS. Quant à l’opposition selon le degré d’urbanisation du département, elle ne fait pas ressortir un lien particulier avec la demande du FUS.
14Pour affiner ces résultats nous avons procédé à une analyse, par régression linéaire (voir annexe 2), de l’intensité des liens entre le poids des demandeurs de l’aide du FUS et le degré de précarité du département. On cherche parmi plusieurs caractéristiques socio-économiques des départements celles qui sont plus corrélées avec le nombre de demandeurs FUS pour 10 000 habitants de 20 à 59 ans. Cette analyse a été faite sur le nombre de demandeurs FUS à trois dates différentes (20 février, 6 mars et 3 avril 1998) pour apprécier l’évolution de la situation avec la montée en charge du dispositif.
15En plus du RMI et du chômage (notamment le chômage de longue durée), d’autres caractéristiques ont été prises en compte : les emplois aidés (CES, CIE, CEC, SIFE [21]), la part de la population urbaine et de celle en zone urbaine sensible (ZUS). Rappelons que l’une des dispositions importantes de la loi du 14 novembre 1996 de mise en œuvre du pacte de relance pour la ville a été la définition des zones urbaines sensibles (ZUS), qui sont au nombre de 750 (dont 716 en métropole).
16Le poids du RMI dans le département est apparu comme un facteur déterminant de la demande de l’aide du FUS dès les premiers mois de mise en place du dispositif (voir résultats de la régression en annexe 2). En revanche, l’effet du chômage de longue durée n’a été véritablement perceptible qu’au mois d’avril, ce qui correspond pratiquement à la fin de la période de montée en charge dans tous les départements. Avant cette date, on observe plutôt l’influence de l’ensemble du chômage, par ailleurs corrélé avec le chômage de longue durée. Ce qui traduit probablement une forte mobilisation (à travers les associations et même les services sociaux), en début du dispositif, des chômeurs en général et pas uniquement des chômeurs de longue durée. Il y aurait eu par la suite un recentrage sur des publics prioritaires. Il n’existe pas dans l’enquête des variables permettant d’apprécier l’ampleur de cette mobilisation. Il faut noter que le RMI et le chômage ne suffisent pas, selon le modèle, à expliquer complètement les demandes du FUS : d’autres facteurs explicatifs n’ont pas été pris en compte dans l’analyse [22].
Quant à la part de la population urbaine, son influence résiduelle n’est nullement perceptible, une fois prises en compte les autres variables explicatives, et il en est de même pour la population en zone urbaine sensible (ZUS). L’absence de corrélation entre demandes FUS et pourcentage de population en zone urbaine sensible n’est pas surprenante puisque le degré de précarité qui détermine le classement d’un quartier en zone urbaine sensible est variable d’un département à l’autre. De plus, ce classement traduit la concentration des difficultés dans certains quartiers plutôt que l’étendue de la précarité dans le département [23].
Cinq groupes de départements selon les réponses à la demande du FUS
17Pour analyser les disparités de prise en compte de situations individuelles nous avons établi une typologie des départements en fonction des réponses apportées aux demandes FUS (voir annexe 3 sur la classification) : rapidité de traitement des dossiers, taux de réponses positives (ou négatives), taux de réorientation vers d’autres dispositifs d’aides (FSL, commission de surendettement, etc.) et montant moyen de l’aide par bénéficiaire. Les cinq groupes de départements ainsi définis ont ensuite été analysés selon l’importance relative accordée aux demandes des différents types de ménages. En effet, certains départements ont pu traiter, en fonction des critères établis localement, plus favorablement (ou défavorablement) les dossiers d’une catégorie de demandeurs : bénéficiaires du RMI, de l’allocation chômage ou d’un salaire et personnes sans ressources, par exemple.
Notons que la rapidité dans le traitement des dossiers, telle qu’elle est mesurée ici, peut refléter des situations différentes localement : insuffisance de moyens pour faire face aux demandes FUS ou instruction plus approfondie des dossiers selon les cas. Il en est de même du montant [24] de l’aide ; un niveau élevé peut refléter dans certains cas, probablement peu nombreux, l’apport des partenaires locaux en plus de la participation de l’État. Une étude récente de l’Insee sur les contrats d’insertion du RMI souligne l’importance des moyens dans l’application du volet insertion de ce dispositif. Elle montre en particulier que la propension à signer des contrats d’insertion est d’autant plus faible que le nombre moyen d’allocataires par commission locale d’insertion (CLI) est élevé (Zoyem, 1999 [25]).
Réponses apportées aux demandes FUS selon la classe d’appartenance des départements

Réponses apportées aux demandes FUS selon la classe d’appartenance des départements
18La première classe est caractérisée par un montant moyen de l’aide plus faible qu’en moyenne : 1443 francs contre 1 674 pour l’ensemble (tableau 2), un traitement des dossiers plus rapide et une propension moyenne à réorienter vers d’autres dispositifs d’aides.
19Par rapport à ces trois caractéristiques, on observe une forte opposition entre la classe 1 et la classe 2. Pour cette dernière, le taux de dossiers traités au 20 février 1998 est très faible (45 % contre 76 % pour la classe 1) ; il en est de même de la propension à orienter vers d’autres dispositifs. Par contre, le montant moyen de l’aide est plutôt élevé (1 930 francs) par rapport à la classe 1 et à l’ensemble.
20En revanche, ces deux premières classes présentent des similitudes au regard du taux de dossiers acceptés par rapport aux dossiers traités, proche de la moyenne des départements (un peu plus de 80 %).
21Avec un montant moyen de l’aide de 1 467 francs, la classe 3 est assez proche de la première sur ce critère. Toutefois, dans cette classe le taux de dossiers traités par rapport aux dossiers reçus est relativement faible à la date du 20 février 1998.
22La classe 4 est particulièrement marquée par un taux de bénéficiaires de l’aide beaucoup plus faible (64 % contre 82 % pour l’ensemble). Elle se distingue aussi par une forte propension à orienter vers d’autres dispositifs : la propension de réorientation atteint 22 % contre 17 % en moyenne et peut expliquer dans une certaine mesure le plus faible taux de bénéficiaires du FUS. L’aide moyenne est légèrement supérieure à la moyenne.
La classe 5 est à plusieurs égards différente des quatre autres : l’aide y est accordée de façon quasi systématique à presque tous les demandeurs et pour des montants élevés, en moyenne. La propension à réorienter vers d’autres dispositifs y est la plus faible parmi toutes les classes.
Réponses aux demandes du FUS : un traitement plus souvent favorable aux allocataires du RMI
23Selon l’enquête DAS-SESI, plus de quatre bénéficiaires du RMI sur cinq qui ont demandé cette aide l’ont obtenue. Ce taux est moins élevé pour les autres catégories de demandeurs ; il est de 10 points plus bas pour les demandeurs dont un membre du ménage au moins perçoit un salaire. Pour apprécier les différences de probabilités de percevoir l’aide entre différentes catégories de demandeurs, nous avons construit un indice dit de l’avantage catégoriel par rapport aux demandeurs salariés (tableau 3) : c’est le rapport entre la proportion de bénéficiaires du FUS parmi les demandeurs d’une catégorie (RMI par exemple) et la proportion de bénéficiaires parmi les demandeurs dont au moins un membre de la famille perçoit un salaire.
24Cet indice de l’avantage catégoriel confirme, pour toutes les cinq classes, la « préférence relative » accordée aux bénéficiaires du RMI dans l’attribution de l’aide du FUS. Cette préférence est nettement plus marquée pour les deux premières classes où un bénéficiaire du RMI a plus de 20 % de chances de plus qu’un salarié d’obtenir l’aide du FUS. D’autres catégories sont aussi traitées plus avantageusement par les départements de la classe 1 (ménages sans ressources) ou de la classe 2 (ménages bénéficiaires d’une allocation chômage). Pour la classe 3, et dans une moindre mesure la classe 4, on observe plutôt un traitement quasi égalitaire entre bénéficiaires du RMI, d’une indemnité chômage et de salaire ; mais nettement plus favorable que le traitement réservé aux ménages ne déclarant aucune ressource financière. Il paraît paradoxal de traiter moins favorablement des ménages sans ressources que ceux qui en ont déjà (un peu). Seulement, l’enquête ne donnant que des informations agrégées pour les différentes catégories de demandeurs du FUS, on ne peut pas savoir qui sont ces personnes se déclarant sans ressources [26]. Il s’agit vraisemblablement des jeunes de moins de 25 ans au chômage n’ayant jamais (ou ayant peu) travaillé, des personnes en attente d’une allocation (éventuellement suspendue pour des raisons administratives ou du fait de dysfonctionnement des dispositifs sociaux). Rappelons toutefois que ces informations étaient déclaratives et sans justificatifs. Déclarer l’inexistence totale de ressource a pu aussi paraître peu crédible aux yeux des instructeurs de dossiers. En dépit du faible désavantage des salariés, la classe 5 peut être considérée comme égalitaire car les valeurs de l’indice restent assez modérées (96 à 110).
Indice de l’avantage catégoriel par rapport aux demandeurs salariés (*) selon la classe d’appartenance des départements

Indice de l’avantage catégoriel par rapport aux demandeurs salariés (*) selon la classe d’appartenance des départements
Des groupes relativement indépendants des caractéristiques usuelles des départements
25Il n’est pas évident d’établir un lien entre ces classes et le statut rural ou urbain du département puisqu’on retrouve, dans chacune d’elles, à la fois des départements plutôt « ruraux » [27] et des départements plus « urbains ». Toutefois, on observe (tableau 4) une prédominance des départements ruraux dans la classe 1, alors que les classes 3 et 4 sont à prédominance urbaine et que la classe 5 est plutôt intermédiaire. Notons que la classe 2 est assez particulière avec presque autant de départements urbains (43 %) que ruraux (50 %).
Répartition des classes de départements en fonction du poids de la population urbaine, du RMI et du chômage (*) (en %)

Répartition des classes de départements en fonction du poids de la population urbaine, du RMI et du chômage (*) (en %)
26De même que pour la distinction rural urbain, les classes ne semblent pas directement liées à l’intensité de la précarité mesurée par le poids du RMI et du chômage de longue durée. Les classes 3 et 5 semblent plutôt marquées par une forte majorité de départements moyens du point de vue du nombre de bénéficiaires du RMI ; dans la classe 2, et dans une moindre mesure dans la classe 4, on retrouve globalement des départements des trois types. Enfin la classe 1 regroupe une majorité de départements où le RMI est plutôt faible.
27Par ailleurs, ces classes construites à partir des critères d’attribution, ont ensuite été caractérisées en fonction du profil des demandeurs. À cet égard, les 5 classes ne présentent pas de différences marquées selon les caractéristiques socio-démographiques : les structures selon l’âge, la situation familiale et le statut d’occupation du logement sont quasiment homogènes entre les différentes classes.
En revanche, on observe quelques différences dans la répartition selon les motivations de la demande du FUS. L’insuffisance durable de ressources est de loin la raison la plus évoquée pour tous les groupes, sa fréquence varie de 65 % en moyenne pour les départements de la classe 1, à 90 % pour ceux de la classe 5.
Conclusion
28Au terme de cette analyse, le demandeur type du FUS apparaît comme une personne sans conjoint, âgée de 30 à 50 ans, sans emploi et vivant du RMI ou d’une indemnité chômage dans un logement autonome, mais endettée. Cette étude a aussi mis en lumière une insuffisante couverture, par le système de protection sociale, des enfants et des jeunes de moins de 25 ans contre la pauvreté. Nous avons également mis en évidence l’existence de disparités entre départements en terme de prise en compte des situations individuelles : si les bénéficiaires du RMI ont été dans l’ensemble traités plus favorablement, la préférence relative entre les demandeurs ne déclarant aucune source de revenu et ceux disposant d’un salaire a été très variable d’un groupe de départements à un autre.
L’analyse factorielle des correspondances multiples (AFCM)
29Quand on dispose d’un ensemble d’individus caractérisés par plusieurs variables, on peut définir, dans l’espace, un nuage de points représentant ces individus. Ce nuage peut être plus ou moins allongé selon la direction dans laquelle on l’observe. Les méthodes d’analyse factorielle consistent à déterminer les directions d’allongement maximal : ce sont les axes factoriels. Plus le nuage est allongé le long d’un axe, plus il existe des oppositions fortes entre des points de cet axe.
30On peut interpréter la signification de chaque axe en fonction des variables qui ont le plus contribué à son orientation. Le long d’un axe factoriel, l’éloignement entre deux individus sera d’autant plus fort que leurs caractéristiques selon les variables ayant le plus contribué à la définition de cet axe seront différentes.
31Par ailleurs, on peut déterminer les coordonnées de chaque variable et de chaque individu sur les différents axes factoriels. À partir de ces valeurs on peut projeter le nuage des individus et le nuage des variables (le nuage « dual ») sur les différents plans formés par les axes factoriels. Si on superpose les deux nuages on observe une proximité entre les individus et lès variables : les points représentant les variables qui ont le plus contribué à la définition de ce plan (ou de l’un de ses deux axes) seront plus proches des individus pour qui ces caractéristiques sont fortement marquées.
Ici, les variables socio-économiques (poids du RMI, du chômage, etc.) ont d’abord été utilisées pour déterminer les axes factoriels. Ensuite, le poids des demandeurs du FUS a été introduit pour illustrer les différents départements.
Régression linéaire du nombre de demandeurs FUS sur les indicateurs socio-économiques du département
32Les données sur les caractéristiques des départements portent sur différentes dates selon leur disponibilité. Ainsi, les effectifs de bénéficiaires du RMI (éventuellement des autres minima sociaux) sont issus de la base des données du SESI sur les minima sociaux (BDMS) et portent sur les stocks au 31 décembre 1996. Le nombre de chômeurs est celui des demandeurs d’emploi à la fin du mois de février 1998 alors que celui des emplois aidés porte sur l’ensemble des contrats signés en 1996. Les données sur la population en zone urbaine et celle en zone urbaine sensible sont établies sur la base du recensement de la population de 1990. Ces indicateurs sont exprimés en terme de taux pour 10 000 habitants de 20 à 59 ans. Seule la part de la population urbaine et de la population en zone urbaine sensible est exprimée par rapport à l’ensemble de la population.
33Les résultats de la régression linéaire sont présentés dans le tableau ci après, avec en ligne les variables susceptibles d’expliquer le poids des demandeurs FUS dans la population, en colonne le coefficient de la régression et une colonne supplémentaire présentant la significativité de ce coefficient. Le coefficient associé à une variable est positif si cette dernière a une influence positive sur le nombre de demandes du FUS, et négatif dans le cas contraire. Il ne suffit pas que le coefficient soit positif ou négatif, il faut aussi qu’il soit significativement différent de zéro pour que son influence soit jugée significative. Plus la valeur de la colonne « significativité du coefficient » est faible, plus on a la certitude que le coefficient est significativement différent de zéro. Les seuils usuels de significativité se situent à 5 % ou 10 %.
34Une fois que les variables les plus significatives sont introduites dans le modèle, les autres y sont ajoutées si leur apport supplémentaire à l’explication de la variable dépendante est suffisamment important. Ainsi, deux variables très corrélées entre elles ne peuvent pas toujours entrer simultanément dans le modèle puisque la présence de celle qui est la plus corrélée avec la variable dépendante traduit déjà l’influence de la seconde sur le phénomène à expliquer.
35Un R2 (coefficient de détermination du modèle) élevé, proche de 1, indique que l’essentiel des variables explicatives du phénomène (ici les demandes du FUS dans le département) a été pris en compte dans le modèle. A contrario, un R2 proche de 0 signifie que les variables explicatives sont peu corrélées à la variable expliquée.
Taux de demandes FUS et liens avec les indicateurs de précarité

Taux de demandes FUS et liens avec les indicateurs de précarité
36Le modèle retenu ne fait pas apparaître l’influence de certaines variables dont la corrélation avec le FUS a été établie par ailleurs. Il s’agit des variables qui présentent de fortes corrélations avec le RMI (cas des emplois aidés) ou le taux de chômage (cas de l’ASS). Si l’influence des emplois aidés est beaucoup moins importante que celle du RMI, il n’en est pas de même pour l’ASS dont l’influence est comparable à celle du chômage de longue durée.
Classification des départements selon les critères d’attribution de l’aide du FUS
Les variables de la classification
37Dans les deux sources statistiques utilisées ici (l’enquête et les remontées hebdomadaires), chaque variable retrace les effectifs de chacune des modalités, au sein du département, exception faite de l’allocation moyenne par bénéficiaire qui est exprimée en francs. Pour les besoins de la classification, le nombre de dossiers traités a été rapporté au nombre de dossiers reçus dans le département. Pour les autres variables, chaque effectif a été rapporté au nombre de dossiers traités. Ensuite, nous avons calculé pour chacun de ces rapports (de même que pour l’allocation moyenne) la moyenne sur l’ensemble des départements.
Enfin, les départements ont été classés, pour chaque variable, en trois groupes selon que le taux observé est inférieur à 80 %, compris entre 80 et 120 % ou supérieur à 120 % de la moyenne nationale. Dans certains cas les bornes sont de 90 et 110 % quand la distribution est concentrée autour de la moyenne ; ou aussi de 70 et 130 % quand la distribution est moins concentrée. Dans le cas de la réorientation, une quatrième modalité a été ajoutée pour les départements n’ayant déclaré aucune réorientation des demandeurs. Ces valeurs sont données dans le tableau ci-dessous.
Construction des variables de la classification

Construction des variables de la classification
38En amont de la classification, une analyse factorielle (voir annexe 1 sur l’APCM) sur les critères de la classification permet de dégager les axes factoriels caractérisant les oppositions entre départements selon ces critères. C’est sur ces axes, par ailleurs corrélés aux critères retenus, que se fait la classification proprement dite. Seuls 82 départements dits « actifs » ont été retenus dans cette analyse préliminaire. Il s’agit de ceux pour lesquels le questionnaire n’a pas de réponses manquantes pour l’une des variables suivantes : nombre de réponses FUS positives, nombre de réorientations et nombre de bénéficiaires du RMI ayant obtenu l’aide du FUS. Les 13 autres départements qui n’interviennent pas dans cette étape sont considérés comme « supplémentaires » et apparaissent dans les différentes classes en fonction de leur proximité avec les départements constituant ces classes.
Liste des départements selon les différentes classes

Notes
-
[1]
Cet article reprend les résultats du dossier préparé en juillet 1998 pour le cabinet du ministre de l’Emploi et de la Solidarité par P. Risselin, N. Roth, C. Tremoureux et J.-P. Zoyem.
-
[2]
INSEE – Division « Redistributions et politiques sociales ».
-
[3]
Revenu minimum d’insertion.
-
[4]
“RMI”: Minimum insertion wage.
-
[5]
Le chiffre est basé sur les remontées de situations hebdomadaires relatives à 91 départements métropolitains. Durant toute la période de distribution de l’aide du FUS, les DDASS ont transmis au ministère à chaque fin de semaine des informations agrégées relatives aux demandeurs de ce fonds.
-
[6]
Ces informations sont déclaratives et les justificatifs ne sont pas demandés aux demandeurs, ce qui a été assez mal vécu par des travailleurs sociaux pour qui cela créait des distorsions en faveur des individus peu honnêtes.
-
[7]
« Les Fonds d’aide aux jeunes : premiers résultats au 4e trimestre 1999 », M. Monrose, DREES – Études et résultats, n° 65, mai 2000.
-
[8]
Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, ministère de l’Emploi et de la Solidarité.
-
[9]
Service des statistiques, des études et des systèmes d’information, intégré désormais à la DREES.
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[10]
Direction de l’action sociale, ministère de l’Emploi et de la Solidarité.
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[11]
Les informations relatives aux trois DOM font l’objet d’une exploitation à part.
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[12]
« Précarité et risque d’exclusion en France », S. Paugam, J.-P. Zoyem, J.-M. Charbonnel, La Documentation française, Document du CERC, n° 109, 1993.
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[13]
AUD : allocation unique dégressive.
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[14]
ASS : allocation spécifique solidarité.
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[15]
Fin 1997, le nombre d’allocataires du RMI était de l’ordre de 900 000.
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[16]
Pour l’ASS la confusion que certains ont pu faire avec l’AUD ne permet pas de connaître le nombre de bénéficiaires qui ont sollicité le FUS.
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[17]
Allocation de parent isolé.
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[18]
Allocation aux adultes handicapés.
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[19]
La rue et le foyer : une recherche sur les sans domicile et les mal-logés, J.-M. Firdion, M. Marpsat, F. Clanché, J. Damon, INED, coll. « Travaux et Documents », p. 149-191, Paris, (à paraître).
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[20]
« Les conditions de logement des allocataires du RMI », B. Lhommeau, Insee Première, n° 685, 1999.
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[21]
CES : contrat Emploi-solidarité.
CIE : contrat initiative emploi
CEC : contrat emploi consolidé
SIFE : stage d’insertion et de formation professionnelles -
[22]
Le coefficient de détermination R2 n’est que de 0,56. Toutefois, le pouvoir explicatif des variables intégrées au modèle (voir encadré 2) a augmenté avec la montée en charge du dispositif : le coefficient de détermination n’était que de 0,40 au 20 février.
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[23]
Aux marges de la ville, au cœur de la société : ces quartiers dont on parle, Ph. Choffel et alii, Édition de l’Aube, 1997.
« Les zones urbaines sensibles », Ph. Choffel, Insee Première, n° 573, avril, 1998. -
[24]
Le montant moyen de l’aide FUS par bénéficiaire est déterminé par le rapport entre la dépense engagée sur les fonds de l’État et le nombre de bénéficiaires ; l’information sur les dépenses des autres partenaires n’étant pas disponible. Ce mode de calcul peut contribuer à sous-estimer ou surestimer selon les cas le montant moyen de l’aide effectivement versée : en effet, l’information porte pour certains départements sur les dépenses déjà engagées et pour d’autres sur les montants décidés. De même, on dispose pour certains départements du nombre de bénéficiaires effectifs et pour d’autres du nombre de décisions favorables.
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[25]
« Contrat d’insertion et sortie du RMI : évaluation des effets d’une politique sociale », J.-P. Zoyem, Insee – Document de travail de la DESE, n° 9909, juillet, 1998.
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[26]
On connaît par exemple le nombre de personnes se déclarant sans ressources, mais pas la répartition de ces personnes par catégorie de demandeurs (âge, par exemple).
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[27]
Nous qualifions ici de ruraux les départements où le poids de la population urbaine est inférieur à 80 % de la valeur moyenne, soit moins de 5 100 personnes pour 10 000 habitants, et d’urbains ceux pour lesquels ce poids est supérieur à 120 %, soit 7 700. Dans la définition Insee, une commune est dite rurale si elle a moins de 2 000 habitants et se trouve assez éloignée des autres communes plus importantes, mais il n’existe pas de définition officielle de département rural.