1La dernière réforme des fonds sociaux de l’Assedic décidée par les partenaires sociaux est intervenue le 1er octobre 1997. Elle se produit au moment où le nombre de demandeurs d’emploi atteint son apogée avec près de 3,5 millions de personnes directement touchées.
2La réforme qui vise à recentrer l’effort des Assedic sur l’aide au retour vers l’emploi, ne leur laisse plus à disposition, pour des aides d’urgence, que 10 % des crédits des fonds sociaux. Tout le reste est affecté au renforcement de l’aide aux chômeurs en reconversion et à l’abondement des fonds partenariaux d’aide sociale (Fonds solidarité logement, Fonds énergie…).
3Parmi les modifications induites par cette réforme, le fait de devoir s’adresser à un service social plutôt qu’à l’Assedic en cas de difficulté financière a une portée symbolique qui n’a pas été mesurée, mais qui est ressentie comme une humiliation supplémentaire par bon nombre de chômeurs.
4L’Assedic et d’une manière plus générale tous les services liés à l’emploi sont encore apparentés au monde du travail, ils concernent les travailleurs « privés d’emploi ». Ceux qui s’estiment injustement placés dans cette situation ne se conçoivent pas comme des « cas sociaux » tels que se les représente une large part du corps social, c’est-à-dire comme des personnes ayant des carences, des difficultés personnelles. Les chômeurs ne sont pas défaillants, ce qui ne va pas c’est l’absence d’emploi, c’est elle qui rend leur situation financière précaire ou difficile. Ils ne ressentent pas le besoin d’aller expliquer leur situation à des travailleurs sociaux, ce n’est pas l’assistance qu’ils recherchent, c’est la compensation d’une situation injuste.
5Cet aspect du ressentiment des chômeurs en cette fin d’année 1997 n’est bien sûr qu’une partie mineure de ce qui suscite leur mécontentement. Mais ceci ajouté à toutes les blessures antérieures et à l’indifférence apparente des interlocuteurs attendus devient l’élément déclencheur d’un mouvement d’une ampleur sans précédent.
Le gouvernement apporte une première réponse aux chômeurs en décidant la mise en place immédiate de cellules de coordination départementale dans les préfectures. Ces cellules doivent réunir les différents organismes susceptibles d’apporter une aide aux personnes en situation difficile et statuer en urgence. Puis, le 9 janvier 1998 le Premier ministre annonce que l’État débloque un crédit d’un milliard de francs pour abonder un fonds exceptionnel d’urgence sociale. Les missions d’urgence sociale coordonnées par les préfets ont pour tâche de répartir ce fonds entre les demandeurs dans le besoin.
Mise en œuvre et principaux enseignements du Fonds d’urgence sociale
6La mise en œuvre est des plus rapide : dès le 12 janvier, la circulaire est rédigée, signée et reçue dans les préfectures pour application immédiate. Elle précise les objectifs visés et les personnes concernées. Elle préconise une structure décisionnelle légère, des formalités et une instruction réduites à l’essentiel et une multiplicité de points d’accueil des demandeurs. Elle notifie la répartition des crédits proportionnellement au nombre de bénéficiaires du Revenu minimum d’insertion (RMI) et de chômeurs de longue durée dans chaque département.
7Très vite la mobilisation de l’État déconcentré est effective, les directions départementales des Affaires sanitaires et sociales (DDASS) sont, sauf exception, les services sur qui repose la mise en œuvre. La réactivité est très forte, alors même que la mission ne correspond en rien à celles qui sont confiées aux DDASS depuis la décentralisation. L’aide individuelle, la gestion directe ne font plus partie des missions des DDASS de qui l’on attend un rôle plus stratégique, d’animation et de réflexion. Néanmoins, la nécessité de répondre de la manière la plus efficace possible aux très nombreuses personnes qui manifestent leur trop plein de difficultés sociales et financières, est comprise partout et cette responsabilité devient une priorité.
8Au total, 806 000 demandes seront déposées entre janvier et juin 1998, 575 500 d’entre elles recevant une réponse favorable, avec un montant moyen d’aide d’environ 1 600 F.
9Il convient de rappeler que ce sont près de six millions de personnes qui en France sont considérées comme étant en situation de pauvreté. Trois millions d’adultes n’ont pour toute ressource que des minima sociaux ou sont des salariés précaires.
10Un écart existe donc entre les demandeurs potentiels et les demandeurs effectifs. Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce fait.
11La mesure a été comprise par beaucoup comme concernant les « chômeurs », ceux qui ne l’étaient pas se sont autocensurés : la faible représentation des personnes âgées et des jeunes parmi les demandeurs conforte cette hypothèse.
12• Des personnes parviennent, même avec de très faibles ressources, à tenir un équilibre budgétaire, soit parce qu’elles se restreignent drastiquement soit parce qu’elles ont des aides et ressources d’une autre nature (potager, hébergement, aide de la famille, travail au noir…). Ces personnes ne veulent pas être considérées comme assistées, elles ne veulent pas recourir aux aides qui ne sont pas un « droit ».
13• Des personnes n’ont pas perçu l’information, ou l’ont reçue de manière parcellaire, elles n’ont pas su où s’adresser, tout imprimé à remplir ou document à fournir est pour elles une tâche parfois insupportable.
14• Dans les départements où obligation a été faite de rencontrer un travailleur social, cette obligation a pu faire reculer des personnes qui n’ont pas voulu sortir des circuits habituels qu’elles connaissaient alors qu’ailleurs une simple demande déclarative a suffi pour obtenir une aide.
15Les caractéristiques du public bénéficiaire ont été établies à la faveur d’une enquête hebdomadaire lancée dès le début de la mise en œuvre des FUS : il s’agissait majoritairement de personnes âgées de 25 à 49 ans, dans la tranche d’âge des actifs. Les données relatives à la répartition par sexe étaient peu significatives, les pourcentages établis étant tributaires du choix fait dans certains départements de classer systématiquement les demandeurs en couple dans l’une ou l’autre des catégories « homme » ou « femme ».
16Dans 65 à 90 % des cas, les bénéficiaires connaissaient une insuffisance durable de ressources. Ce dernier point souligne un fait d’évidence : on ne peut pas vivre durablement avec 2 400 F par mois. Or le RMI avait été pensé comme une aide temporaire. La réalité avérée depuis plus de dix ans est que de très nombreuses personnes n’ont que cette ressource pour vivre sur une durée très longue, voire n’ont pas d’autre perspective pour tout le reste de leur vie adulte.
17Un débat a porté sur le fait de savoir si le FUS avait révélé une population en difficulté non connue des organismes sociaux. Les premiers résultats laissaient percevoir un très fort pourcentage de personnes non connues. Les travaux ultérieurs et notamment certaines études plus fouillées en région Rhône-Alpes ont relativisé la part des publics en difficulté révélée à l’occasion du FUS. Sans doute aurait-il fallu pour affiner ce point, pouvoir clarifier ce que signifiait pour chacun « être connu » des services sociaux.
18Reste qu’une partie, sans doute relativement faible, des personnes en difficulté sociale n’est pas du tout en contact avec des services sociaux, et qu’une autre partie tout en étant connue ne parvient pas à sortir de sa situation de précarité.
Les problèmes mis en évidence par l’analyse des situations des bénéficiaires du FUS sont multiples :
- une insuffisance durable de ressources amenant à des situations de surendettement ;
- des dettes qui concernent en premier lieu tout ce qui a trait au logement (loyer, chauffage, téléphone, eau, taxe d’habitation…) ;
- des situations de non accès ou de retard dans l’accès aux droits, de rupture de droits à l’occasion d’un changement de situation (passage d’un statut à un autre, déménagement, changement de situation familiale, maladie…).
D’un dispositif exceptionnel (le FUS) à la coordination instituée (la CASU)
20Comme l’a mis en évidence Marie-Thérèse Join-Lambert, inspectrice générale des Affaires sociales, chargée par le Premier ministre, d’une mission sur les problèmes soulevés par le mouvement des chômeurs, il n’était pas souhaitable de pérenniser le FUS. Celui-ci a joué son rôle en attendant que les travaux préparatoires à la loi de lutte contre les exclusions aboutissent, il a permis dans l’urgence d’apporter une aide momentanée aux situations les plus cruciales. Mais les conditions exceptionnelles de son fonctionnement, avec notamment une mobilisation hors norme de personnels dont ce n’était pas la mission première, ne pouvaient être maintenues dans la durée. Surtout les difficultés chroniques subies par les personnes ne peuvent être résolues par l’octroi d’une aide ponctuelle.
21Une grande partie des problèmes repérés à l’occasion du FUS, notamment les situations d’insuffisance durable de ressources et de surendettement, devrait trouver leur solution dans la mise en œuvre du programme et de la loi de lutte contre les exclusions. À terme, le nombre de personnes contraintes d’avoir recours à des aides sociales devrait diminuer.
22Définie à l’article 154 de la loi du 29 juillet 1998 d’orientation relative à la lutte contre les exclusions, la Commission de l’action sociale d’urgence (CASU) qui succède au FUS n’est qu’un élément parmi un ensemble d’une tout autre envergure. La loi établit la lutte contre les exclusions comme impératif national « fondé sur le respect de l’égale dignité de tous les êtres humains et une priorité de l’ensemble des politiques publiques de la nation ».
23Elle ne définit pas un droit spécifique pour les plus pauvres mais cherche à garantir l’accès effectif de tous aux droits fondamentaux dans les domaines de l’emploi, du logement, de la santé, de l’éducation…
24La prévention des exclusions et l’amélioration des réponses à l’urgence sociale constituent les autres volets développés par les mesures législatives, avec la mobilisation de tous les acteurs et la mise en cohérence des actions entreprises.
25L’article sur la CASU s’inscrit dans cette perspective d’ensemble, sur un créneau, celui des aides ponctuelles que la loi et le programme de lutte contre les exclusions ont l’ambition de rendre aussi résiduelles que possible.
26L’effort financier supplémentaire de l’État n’est pas pour autant abandonné, mais il revêt désormais une autre forme que celle de la pérennisation d’un fonds exceptionnel d’urgence et est davantage partagé avec de multiples partenaires.
27Le FUS était un dispositif qui se surajoutait à ceux déjà existants, sans liaison aucune avec eux et sans articulation. Certains intervenants, aussi bien dans les services de l’État que dans les services sociaux territoriaux ou les organismes de protection sociale, n’ont pas manqué de regretter ce « placage », qui en outre remettait en cause les pratiques sociales développées en direction des usagers. L’urgence d’agir était à l’origine de cette mesure exceptionnelle. Sur le long terme une autre option devait être retenue : l’effort financier supplémentaire nécessaire pour que les opérateurs soient en mesure d’apporter une aide suffisante aux demandeurs en difficulté, a été réparti dans les différents fonds déjà existants (Fonds d’aide aux jeunes (FAJ), Fonds solidarité logement (FSL) et Fonds énergie) ou dans les nouveaux fonds créés par la loi (Fonds eau et Fonds téléphone).
28Cet effort supplémentaire de la part de l’État implique un engagement similaire des conseils généraux pour les fonds où la parité est établie par la loi (FAJ, FSL). Il suscite un abondement volontaire d’autres partenaires (communes, caisses d’allocations familiales (CAF)…). Les fonds spécialisés font appel à la mobilisation d’organismes a priori éloignés de l’action sociale : EDF, France Télécom, les bailleurs privés et les distributeurs d’eau. Cette spécialisation des fonds et l’élargissement des partenaires concernés marquent la volonté de traiter toutes les difficultés que peuvent rencontrer les personnes, et de mobiliser bien au-delà de la sphère traditionnelle de la solidarité.
29Cet aspect positif a néanmoins pour effet d’augmenter la complexité de l’ensemble et d’accroître les difficultés à surmonter pour parvenir à un système fluide et lisible pour les professionnels du secteur social et les usagers.
30Les défaillances mises en lumière par le FUS en dehors de l’insuffisance durable de ressources, tiennent précisément au manque de coordination et d’articulation entre les différents dispositifs existants et entre les différents organismes : les aides sont mal connues, mal réparties, trop tardives et les démarches attendues de la personne en difficulté sont trop longues, trop lourdes et trop souvent source d’humiliation supplémentaire.
31C’est ce constat qui préside à la création des CASU. L’idée fondatrice repose sur l’argumentaire suivant : les difficultés que rencontrent les personnes démunies pour recevoir les aides financières prévues par les dispositions légales ou extra légales, ne trouvent pas tant leur origine dans une insuffisance de moyens, une dotation trop limitée des lignes budgétaires, ou dans un dysfonctionnement marqué de tel ou tel organisme, que dans la complexité même de tout le système d’aide et de secours.
32Cette complexité, nous ne sommes pas en mesure à l’heure actuelle de la réduire de manière significative, en raison de l’histoire même de la construction du système politico-administratif de la France et de la configuration qu’y a prise la décentralisation dans le secteur social, en raison des pesanteurs et de l’intrication entre les niveaux politiques et techniques, en raison enfin de la superposition sans refonte d’ensemble des nouvelles politiques publiques transversales qui ont été impulsées après 1986 : loi sur le RMI, politique de la ville, loi de lutte contre les exclusions…
33La recomposition de ce que l’on pourrait appeler « le service public départemental d’action sociale » ou « service local d’action sociale » ne peut être posée comme un préalable à une amélioration du fonctionnement du système des aides sociales, faute d’apparaître réalisable à brève échéance.
34Prenons acte de l’impossibilité actuelle de réduire fondamentalement cette complexité. Mais assumons-en collectivement les conséquences : ne faisons pas peser sur le demandeur, la personne en difficulté, la charge de cette complexité. Et ne laissons pas la complexité être, elle-même, source de précarité ou cause de son aggravation.
35Le recours au système d’aide sociale lorsqu’il est nécessaire doit être simple, même si le système lui-même ne peut le devenir. L’objectif de la CASU est de rendre l’accès aux aides sociales aussi facile que possible : le demandeur expose sa situation à un intervenant social d’un guichet d’accueil, l’aide appropriée est obtenue sans délai excessif et sans autre démarche de sa part. Dans les coulisses, les intervenants établissent les liaisons nécessaires, se concertent, interpellent les organismes adéquats.
36Entre la fin du FUS et la mise en œuvre des CASU (S), il n’y a pas de rupture temporelle : la parution de la circulaire a lieu dès le lendemain de la promulgation de la loi de lutte contre les exclusions. Cette absence de délai constitue un élément décisif pour que les acquis de la dynamique du FUS ne soient pas perdus.
37Les aspects qui ont fonctionné positivement pour le FUS sont repris pour la CASU : mobilisation ou réactivation du partenariat dans certains départements, multiplicité des points d’accueil pour être au plus près des demandeurs et simplification de leurs démarches.
Mais il s’agit en même temps d’une réelle mutation : à la différence du FUS, la CASU n’est pas une instance supplémentaire de distribution de secours. C’est pour l’essentiel une démarche d’amélioration de l’existant.
L’État retrouve son rôle d’initiateur, de régulateur et d’animateur. Ce rôle est mieux admis parce que la mise en œuvre pratique du FUS a redonné aux services de l’État la connaissance de la réalité concrète des situations sociales et une relative proximité avec les usagers. Les DDASS ont retrouvé une certaine légitimité pour intervenir dans le champ de l’action sociale directe. Mais cette intervention se situe dans un tout autre registre que pendant la période de gestion du FUS.
Le cadre et les missions de la CASU
38Le cadre législatif et réglementaire des CASU, est volontairement léger. Une marge de manœuvre très importante est laissée aux partenaires locaux en ce qui concerne les modalités concrètes de mise en œuvre.
39L’article 154 de la loi de lutte contre les exclusions qui définit la CASU donne au préfet et au président du conseil général obligation de prévoir « par convention, la mise en place d’une Commission de l’action sociale d’urgence ».
40La mission première dévolue à la CASU est la coordination des dispositifs d’aide. Ceux-ci ne font pas l’objet d’une liste limitative. Même si la CASU est intitulée « de l’action sociale d’urgence », les dispositifs qu’il s’agit de coordonner, sont tous ceux susceptibles d’allouer des aides, sans que celles-ci soient restreintes aux aides d’urgence ni même aux aides financières. Le public visé est défini de manière très large par « les personnes et familles rencontrant de graves difficultés ».
41La composition de la commission n’est pas non plus strictement limitée puisqu’aux quatre partenaires incontournables que sont l’État, les conseils généraux, les communes et les caisses d’allocations familiales, est ajouté « tout autre organisme intervenant au titre des dispositifs mentionnés à l’alinéa précédent ». Peuvent donc être associés aussi bien les Assedic, les missions locales et les Permanences d’accueil, d’information et d’orientation (PAIO) concernées par les Fonds d’aide aux jeunes, les organismes de sécurité sociale ou les associations distribuant des aides.
42La circulaire du 30 juillet 1998 précise les modalités de mise en œuvre de la CASU et fixe les objectifs en matière de coordination.
43Ce qui est recherché en premier lieu, c’est l’optimisation du système d’aides existant, sans fusion des crédits dans un fonds unique. Il s’agit de donner plus de cohérence aux différentes procédures d’attribution, de veiller à faire jouer pleinement la complémentarité. En clair, faire en sorte que les aides soient attribuées au bon moment (suffisamment tôt pour prévenir l’aggravation des situations), aux personnes qui en ont le plus besoin, à des niveaux suffisants pour réellement permettre aux personnes de mettre la tête hors de l’eau.
44Les demandeurs doivent être au cœur des dispositions adoptées. Si la manière de procéder n’est pas arrêtée de manière directive par l’État central, la prise en compte des usagers doit s’imposer comme la priorité centrale pour tous les organismes. Des orientations sont données pour que soit offert aux demandeurs un service de qualité : l’accès aux aides doit être facile, non stigmatisant. La polyvalence et la multiplicité des points d’accueil sont requises. Les conditions d’accueil sont précisées : le demandeur doit pouvoir être reçu sans délai, il ne doit pas avoir à se déplacer auprès de multiples organismes, à fournir de manière réitérée les mêmes documents ou des justificatifs inutiles, les orientations ou réorientations de sa ou ses demandes doivent se faire sans nouvelle intervention de sa part. Ce sont les organismes qui ont la responsabilité du maintien de ses droits en cas de changement de sa situation. Le demandeur doit pouvoir se faire entendre, se faire accompagner par la personne de son choix et se faire expliquer la décision prise qui doit être motivée en cas de refus.
45Toutes ces indications viennent en réponse aux difficultés décrites et aux souffrances exprimées par les personnes elles-mêmes lorsqu’elles évoquent les démarches qu’elles sont contraintes d’effectuer pour faire face aux difficultés qu’elles rencontrent. La dignité des demandeurs ne devrait pas être atteinte par les conditions de recours aux aides sociales.
46L’accent est mis enfin sur l’approche globale de la situation de la personne, afin de l’aider à véritablement s’en sortir. Une analyse d’ensemble de ses difficultés est la seule garantie pour ne pas laisser de côté d’autres problèmes qui rendraient insuffisants les soutiens apportés et pour lui éviter des démarches multiples et répétées. Elle ne doit cependant pas être entendue comme une intrusion possible dans sa vie privée. Elle consiste surtout en une vérification que la personne a bien fait valoir tous les droits auxquels elle peut prétendre. Par ailleurs, résoudre les problèmes immédiats ne suffit pas dans bien des cas à redonner aux personnes en grande difficulté les moyens d’une vie pleinement autonome.
47Le traitement d’urgence doit être alors couplé avec un accompagnement à plus long terme, et des propositions doivent être faites à la personne pour un suivi social dans la durée, un traitement de ses difficultés au-delà des questions de ressources immédiates ou de règlement d’impayés divers.
48Si aucune normalisation formelle n’est imposée à la CASU, les missions qui lui sont dévolues sont précises et il est impérativement demandé que les dispositions adoptées pour les réaliser soient formalisées dans une charte départementale.
L’harmonisation des pratiques entre les équipes de professionnels est à rechercher, tandis que la déconcentration des procédures d’attribution des aides est préconisée.
Enfin, l’évaluation des politiques d’aide engagées doit être régulièrement effectuée par la CASU.
Accompagner l’effort des acteurs de terrain
49À travers la CASU, il s’agit d’obtenir des améliorations du fonctionnement de multiples organismes et de leurs interactions, des modifications de comportement des intervenants sociaux de premier rang comme des responsables techniques et politiques des organismes dispensateurs d’aide.
50Décloisonnement, débureaucratisation, humanisation sont les objectifs recherchés. Autant dire que la tâche est difficile et ne peut être accomplie avec la même célérité que lors de la mise en place d’un dispositif accompagné de moyens matériels ou financiers nouveaux.
51Du niveau central, différents moyens sont utilisés pour conforter les efforts engagés sur le terrain.
52• La circulaire du 30 juillet 1998 sera suivie de plusieurs circulaires de « rappel » signées de la ministre elle-même et adressées aux préfets. L’engagement des responsables départementaux du plus haut niveau est en effet décisif quant à l’ampleur de la mobilisation réalisée, y compris chez les partenaires extérieurs à l’État.
53• Un cahier des charges est élaboré et diffusé, il décrit les conditions d’un fonctionnement adéquat en une dizaine d’items correspondant aux phases que nécessite la satisfaction d’une demande d’aide. Dans chaque cas sont indiqués la situation optimale et les indicateurs permettant de l’apprécier ou de l’illustrer.
54Cette grille d’analyse servira de support à la réalisation d’un état des lieux de la coordination dans chaque département, le plus souvent établi de manière concertée entre les partenaires impliqués. De nouvelles pistes de travail sont ainsi déterminées.
55• Différentes occasions seront saisies pour réaffirmer le rôle de la CASU, en particulier lorsque des circonstances exceptionnelles suscitent des mesures gouvernementales en faveur de personnes en difficulté sociale. Ce sera le cas après les graves intempéries de la fin de l’année 1999, comme à l’occasion de la mesure d’effacement des dettes fiscales des personnes en situation de grande précarité. L’objectif est double : relancer la dynamique CASU là où elle a tendance à s’essouffler et renforcer les acquis là où elle fonctionne de manière satisfaisante.
56À l’avenir, toute nouvelle mesure envisagée au titre des aides individualisées devrait ainsi reposer naturellement sur ce partenariat, être d’emblée portée à la connaissance de tous les acteurs concernés et voir sa mise en œuvre collectivement assurée.
57Ces mesures temporaires peuvent être l’occasion de nouer ou renouer des contacts plus larges. Des possibilités existantes mais parfois méconnues des services sociaux peuvent alors être réactivées. Ainsi les remises gracieuses de dette fiscale accordées par les services fiscaux eux-mêmes peuvent rendre superflues certaines demandes d’aide financières auprès d’organismes sociaux.
• Les représentants nationaux des principaux partenaires ayant vocation à être coordonnés dans la CASU se rencontrent périodiquement afin d’évoquer ensemble les questions liées à la mise en place des CASU. Ils se chargent de relayer dans leurs propres réseaux les incitations à la coordination adressées par l’État à ses instances déconcentrées.
État des lieux : diversité et points de débat
58Les diverses investigations menées en fin 1999-début 2000 (mission d’appui IGAS-IGA [2] et travaux d’études pilotées par la DREES [3]) ainsi que les états des lieux réalisés dans les départements permettent de disposer d’un aperçu d’ensemble. L’installation des Commissions de l’action sociale d’urgence s’est effectuée dans des délais restreints dans quasiment tous les départements. À ce stade, il n’existe pratiquement pas de situation de blocage incontournable. En revanche, l’élaboration de la charte et l’adhésion à celle-ci, la mise en route des travaux de conception d’outils et leur finalisation ainsi que la concrétisation des dispositions adoptées nécessitent beaucoup plus de temps.
59Il apparaît une grande diversité des situations départementales. Cette diversité concerne le périmètre des aides concernées et des organismes impliqués, le degré d’opérationnalité atteint, l’architecture organisationnelle adoptée, voire la conception même des objectifs impartis à la CASU.
60Cette diversité trouve son origine dans la latitude même laissée aux acteurs locaux, et dans trois sortes de facteurs :
- les caractéristiques socio-économiques des départements (ruraux, urbains, prospères ou sinistrés sur le plan économique…) ;
- l’attitude des différents acteurs concernés, leur engagement et leur capacité d’ouverture ;
- la situation qui préexistait à la mise en œuvre de la CASU, en particulier en ce qui concerne la qualité du partenariat déjà établi.
61Trois secteurs en particulier ne sont que faiblement représentés : d’une part ceux qui ressortent du secteur emploi, d’autre part ceux qui s’occupent plus spécifiquement des jeunes, et enfin l’ensemble du secteur associatif. Dans ce dernier cas, les réticences viennent tout à la fois des institutions pilotes qui ne souhaitent pas toujours les associer, ceci étant particulièrement le cas en ce qui concerne les associations de chômeurs, mais aussi parfois des réticences de certaines associations caritatives elles-mêmes qui ne veulent pas se sentir ligotées par un partenariat qu’elles ressentent comme susceptible de compromettre leur autonomie.
62Les leçons du FUS et les recommandations de la circulaire CASU semblent sur ce point ne pas avoir suffisamment porté leurs fruits. S’il ne s’agit certes pas de confondre les rôles et d’associer les associations représentatives des chômeurs aux instances décisionnelles, la CASU est un cadre approprié à l’établissement d’un espace de dialogue entre institutions et usagers, dialogue qui ne peut être que profitable à l’amélioration recherchée de l’ensemble du dispositif d’aide sociale et surtout à une meilleure connaissance du point de vue des usagers eux-mêmes. Force est de reconnaître que pour l’instant cette opportunité n’a été que rarement saisie.
63Au-delà d’une présence formelle aux réunions plénières de la CASU, des partenaires limitent leur participation et par là restreignent son champ d’action. Des aides considérées comme éloignées de l’urgence (allocations mensuelles de l’Aide sociale à l’enfance, par exemple) sont exclues de la coordination. Certains éprouvent des réticences à modifier en quoi que ce soit leur manière d’agir, craignant une possible perte d’autonomie.
64La disparité est grande également si l’on observe les sujets abordés et l’avancée des travaux, ce qui ne peut surprendre compte tenu de la disparité initiale des partenariats et de la volonté de ne pas normaliser et rigidifier à l’excès une démarche qui requiert souplesse et doigté.
65Néanmoins, une interrogation émerge au constat de ces écarts. Jusqu’à quel point les différences sont-elles acceptables et peuvent-elles être considérées comme le simple reflet de la diversité des besoins et des réalités locales ? Trop de divergences n’induisent-elles pas une inégalité de traitement des personnes en difficulté ? N’y a-t-il pas une obligation minimale de résultats à imposer sans pour autant tomber dans la rigidité de directives trop détaillées ?
66La persistance de conceptions trop divergentes poserait problème.
67Des faiblesses manifestes risquent de mettre à mal, si elles perdurent, l’élan indéniable enclenché à partir de 1998. Ces faiblesses concernent en premier lieu la place de l’usager dans l’ensemble des efforts entrepris. C’est ainsi que les actions d’information n’ont pour l’instant guère concerné que les intervenants sociaux. De manière compréhensible, il a pu être estimé que la priorité était d’abord d’outiller ces derniers afin qu’à leur tour ils répercutent l’information vers les usagers.
68Néanmoins, dans la durée, il est inconcevable qu’une information ne soit pas directement accessible au public et que celui-ci ne puisse avoir connaissance des aides existantes et des critères qui président à leur attribution.
69Ensuite ces faiblesses portent sur les limites effectives au décloisonnement institutionnel. Elles risquent d’empêcher des avancées suffisamment probantes pour que chacun perçoive le fruit des démarches entreprises. Le risque majeur serait alors l’essoufflement, le découragement et le retour au statu quo. Sur le plan de la justice sociale, les réticences à harmoniser les barèmes et à partager les critères d’attribution constituent de sérieux freins.
70Sur certains aspects, des tensions sont manifestes entre les points de vue et des tiraillements apparaissent entre des impératifs qui peuvent sembler difficilement conciliables.
71• La notion de réfèrent unique, dans les faits d’ailleurs encore peu mise en pratique, pourrait en étant interprétée de manière trop rigide s’opposer à la liberté de choix des usagers. Ceux qui pour des raisons variées (objectives ou purement subjectives), éprouvent des difficultés dans leur relation avec l’intervenant social de référence, doivent pouvoir librement choisir un autre interlocuteur, comme le demandent quelques associations de chômeurs.
72• Une question émerge autour de la professionnalité : les fonctions d’accueil, d’orientation, voire d’instruction et de réfèrent doivent-elles toujours être assurées par des travailleurs sociaux au sens strict du terme ?
73Les uns estiment qu’un agent bien formé d’un organisme social peut tout à fait traiter les demandes d’aide financière simples, la technicité d’un travailleur social étant à réserver pour les situations les plus lourdes, qui nécessitent une action au long cours, un diagnostic approfondi et un accompagnement relationnel que seul un professionnel du travail social peut mener avec l’expertise voulue.
74D’autres au contraire ne conçoivent pas qu’une demande d’aide puisse ne pas être traitée par un travailleur social diplômé (assistante sociale le plus souvent), le mieux à même d’offrir une pleine qualité de service aux demandeurs, que leur situation soit simple ou plus délicate à traiter.
75Sur ce point, des questions restent à approfondir : quelle est l’évolution au fil du temps des positions et des pratiques ? Quelle part joue l’importance numérique des demandes dans un département sur l’adoption d’un point de vue ou d’un autre ? Quelle appréciation portent les usagers eux-mêmes sur le service rendu ?
76• Le souci d’éviter aux demandeurs des démarches multiples de guichet en guichet et la volonté d’apporter une réponse d’ensemble à la personne grâce à une analyse globale de sa situation, implique une circulation d’information d’un organisme à l’autre et une mise en commun de données personnelles. Certains usagers le souhaitent, ne comprenant pas que les renseignements qu’ils ont fournis à l’un ne soient pas automatiquement transmis à l’autre. Pour eux, ils ont à faire à un tout : « l’Administration ». Ainsi ces chômeurs qui au moment du FUS ne comprenaient pas pourquoi un seul de leurs numéros d’immatriculation (aux Assedic, à la Sécurité sociale ou à la Caisse allocations familiales) ne suffisait pas aux différents organismes pour appréhender l’ensemble de leur situation.
77Mais cette volonté de simplifier et de globaliser peut être perçue comme quelque peu contraire aux droits des usagers en matière de respect des prescriptions de la Commission informatique et liberté d’une part, avec la déontologie des travailleurs sociaux de l’autre. De telles perceptions ne demandent pour être levées qu’une clarification fondée sur une approche pragmatique.
78• Chaque financeur tient à conserver la maîtrise des aides qu’il apporte, ce qui a plusieurs conséquences : ainsi, le choix actuel de ne pas fondre les différents dispositifs (ou au moins certains d’entre eux) dans un fonds unique résulte en particulier de cette volonté très forte des financeurs de préserver la « traçabilité de l’aide ». Chacun veut être sûr que l’aide qu’il apporte est bien utilisée pour l’objet ou le public qui le concerne (par exemple les distributeurs d’eau pour des factures d’eau, EDF pour des impayés d’énergie, les CAF pour leurs allocataires, le conseil municipal pour ses administrés…) ce qui est difficilement vérifiable dans un fonds indifférencié commun.
Certains financeurs tiennent en outre à notifier eux-mêmes au bénéficiaire l’aide attribuée. Enfin des organismes hésitent à déléguer à leurs agents les décisions d’attribution : le résultat est souvent une perte d’efficience qui alourdit les circuits, empêche la tenue de délais raisonnables et entrave l’approche collectivement concertée de certaines situations.
• La recherche d’une meilleure rationalité dans l’attribution des aides doit permettre d’accroître l’efficacité attendue par les personnes en difficulté. Certains partenaires jouent le jeu et le fait de procéder à un examen conjoint des cas lourds les amène à s’engager au-delà de ce qu’ils auraient faits de manière isolée, tandis que d’autres auraient tendance à rationner les aides au motif que plusieurs organismes sont sollicités pour la même personne.
Des lignes de force encourageantes
79En contrepoint de ces disparités, de ces insuffisances et de ces tensions, des lignes de force convergentes se font jour.
80• Ainsi la quasi-totalité des départements ont-ils privilégié, comme première étape, la réalisation d’outils destinés à faciliter l’information et la coordination. La circulaire du 30 juillet 1998 incitait d’ailleurs fortement à de telles réalisations : formulaire unique de demande, annuaires des organismes et des points d’accueil, répertoires des aides sont mis en chantier quasiment partout. Certes, l’état d’avancement et la qualité des productions ne sont pas homogènes mais la volonté d’avancer de manière pragmatique par des réalisations concrètes est générale.
81• Une organisation à trois niveaux tend à prédominer avec :
- une instance politique, la CASU plénière qui réunit très largement tous les décideurs ;
- un niveau technique, sous la forme d’un comité restreint, de groupes de travail, de cellules d’appui… C’est à ce niveau que s’élaborent les outils, s’analysent les difficultés, se construisent les propositions pour traiter les dysfonctionnements repérés ;
- des instances opérationnelles déconcentrées au niveau local, rarement pour le traitement exhaustif des dossiers, mais de manière plus efficace pour le repérage des problèmes et le seul traitement des situations complexes ou atypiques.
82• La réponse dans les délais à l’urgence dite avérée (ou extrême urgence, ou urgence vitale) – celle qui demande une aide immédiate ou dans tous les cas dispensée sous 24 ou 48 heures – est généralement considérée comme acquise, notamment grâce aux CCAS ; aux CASU (S) le soin de veiller à l’effectivité durable de cette réalité.
83• Un effort sensible concerne le repérage des dysfonctionnements et l’étude des cas dits complexes. Dans les départements où de tels travaux ont lieu, soit dans un groupe ad hoc, soit dans des commissions déconcentrées (« CLASU ») des problèmes similaires à ceux déjà rencontrés lors de la gestion FUS sont mis en évidence et traités dans la mesure du possible. Un effort tout particulier est consacré à la prévention des ruptures de droit et au traitement des situations atypiques, lourdes, nécessitant un engagement concomitant de multiples financeurs ou ne correspondant à aucun des dispositifs existants.
84La coopération crée une réelle émulation et des initiatives sont prises pour remédier aux cloisonnements préjudiciables aux usagers et trouver des réponses à la hauteur des situations rencontrées.
85À titre d’illustration, méritent d’être mentionnées la mise en place de formations communes pour les agents d’accueil des différents organismes ou l’identification de référents « urgence sociale » dans les principaux organismes de quelques départements. Ces référents peuvent être joints directement par tout intervenant social confronté au blocage d’un dossier ou ayant besoin d’informations complémentaires.
Perspectives
86Les travaux d’évaluation présentés par Michel Thierry, inspecteur général des Affaires sociales, dans le cadre du premier bilan de la mise en œuvre de la loi relative à la lutte contre les exclusions concluent à la réalité de la dynamique engagée : « quelque chose a changé dans le paysage institutionnel français de l’action sociale » mais ils soulignent aussi « qu’on est loin encore d’être allé au bout de l’ambition fondatrice ».
Des pistes sont suggérées pour aller plus loin :
- les premières peuvent être mises en œuvre dans le cadre actuel, elles correspondent à une relance de la dynamique par un contact accru avec les associations et à travers des actions de communication, de valorisation et de diffusion des « bonnes pratiques », l’achèvement et l’appropriation des outils mis en chantier ainsi qu’une progression dans le travail de recueil de données d’observation sociale, de suivi et d’évaluation ;
- les autres pistes supposent que soit énoncé de manière plus incitative le socle minimal assigné aux CASU (S) : périmètre des aides devant être incluses dans la coordination, délai impératif pour la mise en œuvre réellement opérationnelle des formulaires uniques et des documents d’information, incitation forte à la fongibilité ou au moins à une gestion unifiée de certains fonds.
Notes
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[1]
Attachée principale chargée du dossier « CASU » à la direction générale de l’Action sociale, au sein de la sous-direction des politiques d’insertion et de lutte contre les exclusions.
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[2]
IGAS : Inspection générale des Affaires sociales.
IGA : Inspection générale de l’Administration. -
[3]
Direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des statistiques (ministère de l’Emploi et de la Solidarité).