1Le Secours catholique a une longue pratique du secours d’urgence. Sa capacité à être présent sur les lieux d’une catastrophe naturelle ou humanitaire a, depuis de longues années, inscrit la réponse à l’urgence au cœur de sa mission, aussi bien au plan international que national.
2La distribution de secours financiers demeure une activité importante au Secours catholique (140 millions de francs distribués en 1999 au regard des actions d’accompagnement et de prévention : 190 millions de francs).
3Le Secours catholique a souvent critiqué, par le passé, la lenteur de certains dispositifs à traiter des situations dramatiques, le manque de concertation entre les divers intervenants sociaux et le renvoi d’un guichet à l’autre de personnes éprouvant de grandes difficultés à maîtriser les arcanes de l’administration. La création des CASU, inscrite dans la loi de lutte contre l’exclusion, a été favorablement accueillie dans la mesure où il ne s’agissait pas d’un nouveau dispositif mais de l’organisation des dispositifs existants au service des personnes en difficulté.
4Nous nous sommes positionnés très clairement dès le début. Nous avons encouragé nos 106 délégations à participer pleinement aux CASU selon les modalités suivantes :
- participation active à l’échelon « institutionnel » qui définit l’organisation générale et assure le suivi des objectifs de la CASU ;
- liberté de participation à l’échelon décisionnel où sont traitées directement les situations individuelles. À cette occasion, le Secours catholique recommandait à ses délégations le principe de non-confusion des fonds caritatifs avec les fonds publics et leur recommandait d’être vigilantes sur l’adoption du formulaire unique, celui-ci ne pouvant se substituer aux documents d’analyse des situations individuelles propres au Secours catholique et servant de base à l’examen statistique de plus de 700 000 situations de pauvreté enregistrées dans nos accueils.
Quels sont les premiers enseignements que nous pouvons tirer après deux ans de mise en œuvre des CASU ?
5Ce que nous constatons tout d’abord, c’est un engagement très différencié d’un département à l’autre. Ceci peut s’analyser par l’existence de pratiques de partenariats antérieures et par l’affirmation d’une volonté politique plus ou moins marquée du conseil général et du préfet. Dans certains départements, des pratiques partenariales préfiguraient déjà l’institution des CASU. Elles existaient entre les associations caritatives qui localement avaient l’habitude de se réunir régulièrement pour examiner des dossiers complexes nécessitant plusieurs interventions comme c’était le cas dans le Bas-Rhin. Dans d’autres départements, il existait des coordinations d’aides financières avec les pouvoirs publics comme par exemple dans le Doubs. Dans l’Isère, les associations et les différents partenaires institutionnels se référaient à une Charte de la polyvalence qui avait institué dans chaque organisme une fonction de réfèrent visant à améliorer la circulation de l’information et l’acheminement des dossiers de demandes d’aide.
6Les CASU se sont donc construites sur des acquis. Il convient de pointer à ce propos un des effets les plus négatifs de la décentralisation qui a installé progressivement, en fonction des politiques locales, des disparités de traitement d’un département à l’autre. Ceci s’est révélé fortement dans la mise en œuvre du volet insertion du revenu minimum d’insertion (RMI). Le niveau de contractualisation pouvait varier d’un département à l’autre de 10 à 80 %. Il vaut donc mieux être « érémiste » en Ille-et-Vilaine ou dans le département du Territoire de Belfort que dans la Loire ou la Seine-Saint-Denis. De même, pour un handicapé il est préférable de résider dans le Gard plutôt que dans l’Ardèche. Lorsqu’un handicapé a besoin d’un fauteuil appareillé, les services sociaux du département du Gard confient l’instruction du dossier à l’APF [2] qui évalue le besoin de financement en fonction des ressources de la famille et du handicap de la personne. L’APF propose aux services sociaux une contribution qui est généralement acceptée. Dans bien d’autres départements, dans une situation semblable, il est nécessaire de rassembler sept ou huit financeurs différents qui chacun vont contribuer à compléter la prise en charge de la CPAM [3]. Cela donne généralement lieu à des montages complexes et longs. Cet exemple illustre la très grande disparité de traitement qui existe aujourd’hui dans la lutte contre les exclusions d’un département à l’autre.
7C’est à cette disparité qu’il faudra bien que l’État et les collectivités territoriales s’attaquent un jour afin que tout citoyen diminué ou handicapé puisse, quel que soit son lieu de résidence, recevoir de la collectivité une aide justement proportionnée.
8À quelques exceptions près, les dossiers de demandes d’aide ne sont pas plus rapidement traités aujourd’hui qu’avant la mise en place des CASU. Il y a un véritable problème autour de la définition de ce qu’est l’urgence. Si le principe de la CASU répond assez bien au phénomène grandissant de la multiprécarité et évite de promener les demandeurs de guichet en guichet, globalement le temps de réponse n’est pas satisfaisant. Une des raisons de cette difficulté à vaincre ces lenteurs administratives tient à la taille des départements et à la capacité de décision des interlocuteurs chargés de traiter les demandes.
9L’exemple du département du Nord est à ce titre très significatif. Si la volonté de mettre en place la CASU a été politiquement affichée et réaffirmée, dans les faits il y a une réelle difficulté à faire travailler ensemble le très grand nombre d’interlocuteurs institutionnels que compte ce département. Il y a huit CPAM et huit CAF [4] et la MSA [5] dans le Nord. L’instance de concertation de la CASU regroupe plus de 50 représentants d’organismes et d’institutions et les CASUL [6] en moyenne 25. Les associations de solidarité du Nord qui participent aux différents échelons (CASU et CASUL) sont très insatisfaites de son fonctionnement, regrettent le manque de concertation et la lourdeur du traitement des dossiers.
10Par contre, dans le département de la Charente, les partenaires en présence ont su trouver des modalités de fonctionnement adaptées à la taille de leur département. La CASU a mis en place une commission qui se réunit deux fois par mois et traite les dossiers en travaillant sur la mise en œuvre des droits de la personne ; c’est seulement après épuisement de ces droits que les associations interviennent en complément. Le travail de ces commissions est restitué à l’ensemble des partenaires qui disposent d’informations concrètes pour suivre l’activité de la CASU. Ce mode de fonctionnement convient tout à fait au Secours catholique qui ne souhaite pas se substituer à l’action publique mais être présent là où l’action publique est insuffisante. Nous continuons de penser que la charité d’aujourd’hui préfigure la justice sociale de demain.
11Il y a un point sur lequel l’ensemble de nos délégations impliquées dans le fonctionnement des CASU est d’accord : la concertation entre les différents acteurs administratifs et associatifs permet une véritable mutualisation des savoir-faire, aussi bien dans le domaine de la mise en œuvre des droits que des modalités d’accompagnement des personnes en difficulté. Les CASU se révèlent, surtout au niveau de la décision d’aide, des lieux d’échange, d’information, d’approfondissement de la législation et de partage sur les différentes approches dans la résolution d’un cas concret. Ces lieux de concertation permettent de pointer les dysfonctionnements, par exemple dans le versement des prestations CAF, CPAM ou ASE [7], et de renvoyer l’administration à ses propres responsabilités.
12Ce rapide survol ne prétend pas être une évaluation. Celle-ci est, de notre point de vue, rendue très difficile tant les situations rencontrées d’un département à l’autre diffèrent. Il nous semble important cependant d’insister en conclusion sur la notion d’urgence. Un effort d’amélioration nous paraît indispensable pour raccourcir effectivement les délais de traitement d’une demande fondée sur l’urgence d’une situation de crise. Cela suppose vraisemblablement d’alléger le fonctionnement de certaines CASU et de responsabiliser davantage les représentants d’organismes et d’institutions en leur donnant le pouvoir d’engager les aides financières.
L’exemple des quelques départements sur le territoire qui ont réussi à atteindre en grande partie les objectifs de départ mérite à notre sens d’être valorisé et largement vulgarisé.