1Les quarante associations de lutte contre l’exclusion regroupées dans le collectif ALERTE s’étaient fixées pour objectif d’effectuer une première analyse de la mise en place de la loi au cours du premier trimestre 2000. Cet article constitue un premier aperçu sur la pertinence du dispositif et sur la qualité de sa mise en place.
2Mis en place par l’article 154 de la loi de lutte contre les exclusions, les Commissions de l’action sociale d’urgence ou CASU ont remplacé au cours de l’année 1998 le Fonds d’urgence sociale qui avait été créé en début d’année pour parer à la détresse d’un certain nombre de personnes qui n’arrivaient pas ou arrivaient mal à faire valoir leurs droits. Le rapport de Mme Join-Lambert sur cette question avait porté le projecteur sur deux grandes déficiences structurelles : la mauvaise coordination locale des aides aux personnes en grande difficulté sociale et les insuffisances en matière de minima sociaux. Les CASU ont pour mission d’apporter une réponse à la première partie de ce constat.
3Une circulaire du 30 juillet 1998, suivie d’une lettre aux préfets du 30 octobre 1998 ont induit une mise en place rapide du dispositif.
La pertinence du dispositif
4En matière d’accès aux droits, l’article 1 de la loi prévoit que les divers intervenants doivent « prendre les dispositions nécessaires pour informer chacun de l’étendue de ses droits et pour l’aider, éventuellement par un accompagnement personnalisé, à accomplir les démarches administratives ou sociales nécessaires à leur mise en œuvre dans les délais les plus rapides ».
5Les personnes doivent faire face à une législation très complexe, où les différentes aides interagissent les unes sur les autres, où des changements de situation familiale, des contrats de travail précaires conduisent à des ruptures de droits fréquentes et d’autant plus dommageables aux personnes concernées qu’elles interviennent dans des budgets fluctuants et de très faible niveau.
6Les associations remarquent que d’une façon générale, il reste encore beaucoup à faire pour que passe, dans les faits, cette obligation des administrations d’aller aux devants des usagers.
C’est dans ce cadre général que s’inscrit l’action des commissions de l’action sociale d’urgence afin de permettre un meilleur accès aux droits et articuler la mobilisation des différents acteurs.
La mise en œuvre du dispositif
7Première question, la notion même d’urgence est sujette à caution, il a été relevé que cette « urgence » est due à trois grandes causes :
- une application du droit insatisfaisante, ce qui renvoie la question de l’accès aux droits et aux ruptures de droits, à la complexité des règles, aux mesures peu ou mal utilisées : procédures d’urgence pour payer le RMI [3] par exemple ;
- au faible niveau des ressources d’un ménage, qui peut être dû à l’insécurité des budgets des travailleurs précaires, au faible niveau des minima sociaux, à l’absence de droits pour les jeunes dans des emplois très précaires (ni Assedic, ni RMI) ;
- à un déficit d’information : méconnaissance par les personnes elles-mêmes et aussi parfois, par ceux qui les conseillent, de l’ensemble des règles et surtout de la façon dont elles interagissent. Si on peut, dans certains cas, remédier à ce défaut de connaissance par de l’information, il faut aussi admettre que, dans d’autres, le maquis est impénétrable et que ce sont des mesures de simplification administrative qui sont à promouvoir. Le rapport du groupe du Commissariat au Plan, présidé par Jean-Michel Belorgey sur « Minima sociaux, revenus d’activité et précarité » a largement confirmé ces constats de terrain.
La CASU à géométrie variable
8On constate une mise en œuvre contrastée selon les départements, si dans certains départements, la mise en place des CASU apporte une coordination interadministrative renouvelée autour de dossiers complexes pour mettre en jeu des aides coordonnées, dans d’autres, elles contribuent à ajouter de la complexité.
9Les principales dérives que pointent les associations sont les suivantes :
- la CASU ne saurait être un point de passage obligé des aides sociales, elle doit bien constituer un espace de coordination interadministrative, au sens le plus large du terme ;
- la mise en place d’un formulaire unique doit résulter d’un véritable souci de simplification et ne saurait constituer en l’empilement pur et simple des demandes de toutes les administrations ;
- trop souvent les acteurs administratifs perdent de vue que c’est la possibilité, pour les personnes concernées, de voir leur dossier traité dans de bonnes conditions, d’éviter des enquêtes trop inquisitrices et répétitives qui vont permettre d’améliorer la situation.
Néanmoins dans d’autres départements le bilan est plutôt positif
10Ainsi, en Haute-Vienne, le collectif ALERTE estime que la CASU est « très active, la charte départementale est adoptée. Une expérimentation de six mois dans une unité territoriale d’action sociale vient de se terminer. Après étude des enseignements, une extension sur l’ensemble du territoire s’effectuera. Quatre partenaires : État, département, CAF [4] et ville de Limoges (très active). Les associations ont participé à l’élaboration de la Charte et de l’organisation ».
11S’il est compréhensible que ces questions soient gérées différemment dans un département rural, ou dans des départements très urbains comportant plusieurs bassins de vie, et donc plusieurs CASU, la grande diversité relevée entre les départements ne se justifie pas toujours et l’égalité de traitement devant la loi finit par devenir problématique.
12C’est une obligation de résultat auprès des plus pauvres qui doit guider l’action. Le préfet doit être le garant d’une fluidité administrative qui permette à tous de faire valoir leurs droits et d’accéder, de façon égale sur le territoire à ces droits.
La mise en œuvre du partenariat au sein des commissions de l’action sociale d’urgence
13Tout d’abord les associations souhaitent interpeller fortement les partenaires sociaux sur l’absence très fréquente des Assedic dans les coordinations. Certes, aucune obligation ne pèse sur ces organismes qui sont autonomes, mais les budgets sociaux de ces organismes ont constitué, dans le passé une souplesse appréciable pour les chômeurs. Leur intervention pour prévenir des situations d’exclusion peut être déterminante.
14La place des associations dans les CASU fait l’objet de situations contrastées :
- dans certains départements, les associations interviennent dans des groupes de travail qui, à partir de cas concrets, proposent des solutions pour améliorer les pratiques. Analyse des situations, réflexion, observation, préconisations pour modifier des pratiques, autant de sujets qui sont pleinement du ressort des associations locales qui souvent détectent rapidement les évolutions en cours dans les situations de précarité ;
- dans d’autres départements, il est demandé aux associations d’intervenir dans l’examen des dossiers individuels. Beaucoup refusent, estimant qu’il est dans leur rôle de soutenir des dossiers au coup par coup ou d’accompagner des personnes qui souhaitent faire valoir leurs droits, mais que la gestion conjointe des CASU est du domaine administratif. Outre que la fréquence des réunions risque de stériliser certains engagements bénévoles, on peut s’interroger sur les risques d’instrumentalisation du secteur associatif qui peuvent découler d’un tel mode de fonctionnement.