CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Cet article est un essai informatif et dubitatif, appuyé sur des données originales (l’exécution du budget de l’État), concernant l’émergence et l’institutionnalisation de « l’urgence sociale » comme catégorie contemporaine de l’action publique. Cette notion, avec ses dimensions humanitaires, affectives et médicales, s’est progressivement implantée sur l’agenda politique à la fois en tant que problème spécifique, mais aussi en tant que mode particulier d’intervention. Théorisée et célébrée par certains, elle est vivement critiquée par d’autres qui y voient l’invalidation d’une action sociale à visée préventive et un frein pour des réformes d’envergure. Globalement, l’appréciation de la notion et des politiques qu’elle implique est plutôt mitigée, à un moment où « l’urgence » a généralement mauvaise presse. Désormais en tout cas des colloques, des commissions de travail, des formations de spécialistes, des budgets, des circulaires, des articles de lois, et même une radio [4], lui sont consacrés. Juridiquement distincte des procédures d’admission « en urgence » à l’aide sociale, l’urgence sociale est devenue un élément essentiel, depuis la décentralisation et avec la progression de la thématique de l’exclusion, des politiques d’action sociale de l’État. Décomposée en subventions à des associations et en secours à des individus, il s’agit théoriquement d’interventions ponctuelles.

2Individualisée dans les nomenclatures budgétaires de l’État à partir de 1994, l’« urgence sociale » a récemment donné lieu, après le « Mouvement des chômeurs » de l’hiver 1997-1998, à une opération massive de secours aux personnes en difficulté avec le Fonds d’urgence sociale (FUS), puis à la mise en place de dispositifs de coordination avec la création des Commissions de l’action sociale d’urgence (CASU) prévues dans la loi de lutte contre les exclusions votée en juillet 1998. Notre ambition est d’abord de rappeler que ce FUS et ces CASU ne sont pas nés ex nihilo. Ils s’insèrent dans la logique et dans le cadre normatif des politiques dirigées depuis une vingtaine d’années en direction des « pauvres », et, plus spécialement, en direction de ceux qui sont appelés les « SDF » [5] (« sans domicile fixe »). La notion d’urgence sociale est en fait née avec la problématique de la nouvelle pauvreté et avec les programmes publics qui ont été développés à son endroit.

3On pourrait revenir sur un passé plus lointain, les années cinquante et l’insurrection de la bonté (l’abbé Pierre en 1954), quand ont été édifiées des cités « d’urgence » pour répondre aux problèmes des sans-logis et mal-logés. Ces politiques étaient explicitement présentées comme des urgences répondant à des urgences. Elles ont conduit à la gestion de dispositifs imaginés comme transitoires, et qui se sont institutionnalisés [6]. L’urgence comme catégorie d’action publique dans le domaine social s’était cependant effacée après cette expérience décriée, qui nécessitera des interventions jusqu’au début des années quatre-vingt, pour réapparaître, en force, dans le cadre de la mise en place des premiers programmes d’action « contre la pauvreté et la précarité ». Elle n’a cessé depuis de s’affirmer et de se préciser, malgré les critiques et les réserves des observateurs comme des acteurs de la lutte contre la pauvreté [7].
À travers la compilation des informations budgétaires concernant l’urgence sociale, la présentation séquentielle des premiers programmes et quelques réflexions plus générales sur ce mode d’intervention publique, nous souhaitons souligner ici que :

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  • l’urgence sociale est devenue progressivement un segment particulier de l’action publique, centré sur les personnes « les plus en difficulté », en particulier les SDF, avec le développement de services et d’équipements spécifiques (centres d’hébergement d’urgence, Samu sociaux, etc.) très majoritairement gérés par des associations et financés par l’État ;
  • les plans et les crédits étatiques d’urgence sociale, petits laboratoires des politiques sociales, ont permis d’innover car c’est dans leur cadre qu’on été expérimentées des mesures qui ont été ensuite consacrées législativement (le RMI en 1988, le droit au logement en 1990, les CASU en 1998).
Dans un premier temps on suivra l’évolution de la nomenclature et des budgets associés à l’urgence sociale d’un point de vue administratif au niveau central de l’État. On s’intéressera ensuite à l’émergence de la notion d’urgence et à sa séparation progressivement plus affirmée vis-à-vis des politiques dites d’insertion, en soulignant le caractère central de la catégorie des SDF toujours plus précisément ciblée par les dispositifs dits d’urgence sociale. Enfin on tentera de systématiser schématiquement les enseignements à tirer de ces observations.

Évolution d’une ligne budgétaire marginale, devenue centrale

5À défaut d’une analyse approfondie de la construction, de l’indétermination et des ambiguïtés de la notion d’urgence sociale nous proposons ici une étude documentée de son émergence, en mettant l’accent sur un objet particulier, une ligne budgétaire de l’État. Il s’agit des paragraphes consacrés spécialement à la lutte contre la pauvreté et à l’urgence sociale présents dans le chapitre budgétaire 47.21 (« Programmes d’action sociale de l’État ») du ministère en charge des Affaires sociales. Très connu dans les milieux associatifs et administratifs impliqués dans ces politiques, cet élément budgétaire, appelé de manière résumée « le 47.21 », est régulièrement cité et discuté. Plus précis dans les subdivisions comptables, notre examen porte sur les lignes de ce chapitre directement affectées à l’urgence sociale. Le tableau 1 contient une présentation des évolutions des nomenclatures budgétaires, où l’on repère la spécification progressive de la notion.

Tableau 1

La spécification de l’urgence dans la nomenclature budgétaire des Affaires sociales (1982-2000)

Tableau 1

La spécification de l’urgence dans la nomenclature budgétaire des Affaires sociales (1982-2000)

6L’urgence sociale est à la fois une notion et une politique à géométrie variable, réunissant des populations différentes qu’on pourrait distribuer sur un axe qui va des SDF en grande difficulté (aujourd’hui appelé les « grands », voire les « très grands exclus ») jusqu’aux chômeurs, et rassemblant par conséquent des dispositifs qui peuvent aller des centres d’hébergement d’urgence jusqu’à l’ensemble des mesures d’assistance et d’insertion. L’agrégat budgétaire concerné peut donc aller des seuls crédits d’urgence sociale (47.21.70.10) jusqu’aux autres paragraphes et chapitres concernant la lutte contre l’exclusion (centres d’hébergement et de réadaptation sociale – CHRS, Fonds d’aide aux jeunes – FAJ, accompagnement social individualisé – ASI, lutte contre l’illettrisme, voire même politique de la ville et minima sociaux). Nous centrerons l’analyse sur ce qui pourrait être qualifié, budgétairement parlant, de « noyau dur » de l’urgence sociale, c’est-à-dire le chapitre 47.21, article 70, paragraphe 10. Ce dernier étant scindé en deux sous-paragraphes 11 (subventions) et 12 (secours d’urgence).

7Nous ne sommes pas en train de spéculer inutilement sur les finances publiques. Ce chapitre budgétaire (avec ses articles et paragraphes) est un outil important qui, à bien des égards, a été central dans l’évolution des politiques sociales des deux dernières décennies. Soulignons juste ici que la ligne 47.21.70.12 (« secours d’urgence ») sera notamment utilisée après l’hiver 1997-1998 et le « Mouvement des chômeurs » pour gérer le milliard de francs du FUS [8].

8Notons que ce travail porte sur l’histoire du « 47.21 » durant les deux dernières décennies. Une refonte de la nomenclature budgétaire a transformé les dénominations et la numérotation à partir de 2000. Le « 47.21 » a vécu, remplacé désormais par le « 46.81 ». L’urgence sociale restera cependant bien présente, mais avec une autre numérotation.
Le graphique 1 retrace les évolutions des dépenses de l’État (en francs constants) pour les plans « pauvreté-précarité » (ligne 47.21.70) et, à l’intérieur de cette ligne, la progression du paragraphe concernant depuis 1994 les « réponses à l’urgence sociale » (ligne 47.21.70.10). Pour la clarté de la série nous ne prenons pas en compte, dans le graphique, les 935 millions de francs, dépensés en 1998, au titre du FUS. Précisons que les données prises en compte sont les exécutions budgétaires, collectées à la direction du Budget du ministère de l’Économie et des Finances, et non les crédits inscrits en loi de finance initiale (LFI). Il s’agit donc bien des dépenses effectives de l’État chaque année pour ce qui concerne ces opérations particulières.

Graphique 1

Dépenses de l’État pour les plans « pauvreté-précarité » (hors FUS, en MF. constants 1999)

Graphique 1

Dépenses de l’État pour les plans « pauvreté-précarité » (hors FUS, en MF. constants 1999)

Remarques : nous n’avons pas trouvé le chiffre des dépenses pour 1986, en raison des variations de nomenclatures budgétaires. Ce manque est dommage car il nous aurait peut-être appris des détails liés au changement de majorité politique.
On remarque cependant que les crédits continuent de progresser à partir de 1987.
Source : Ministère de l’Économie et des Finances. Direction du budget.

9La ligne budgétaire 47.21.70 n’a été largement dotée qu’à partir de 1984. Dans les budgets 1982 et 1983, et 1984 l’article 47.21, paragraphe 70, est baptisé de manière plutôt désuète « Œuvres de secours ». Divisé en « subventions à des administrations privées » et en « subventions à des organismes publics » il n’est doté chaque année que de 60 kF. Ce chiffre contraste fortement avec les montants atteints à la fin des années quatre-vingt-dix (plusieurs centaines de millions de francs).

10Cette ligne budgétaire a augmenté jusqu’à la mise en place du RMI puis a fortement baissé dans la mesure où le RMI était envisagé comme une solution globale au problème de la « nouvelle pauvreté ». Les crédits ont de nouveau augmenté à partir de 1992 à mesure que la question SDF se précisait sur l’agenda politique non plus comme une dimension particulière de la lutte contre la pauvreté, mais comme un problème spécial « d’urgence sociale ». À l’intérieur des paragraphes de cette ligne budgétaire une entité particulière, baptisée « réponses à l’urgence sociale », a été formalisée en 1994. Elle a, depuis lors, très fortement augmenté.

11Comparativement à la progression du produit intérieur brut (PIB) et à la progression du budget du ministère en charge des Affaires sociales, l’évolution du chapitre 47.21, et plus précisément l’évolution du paragraphe 47.21.70 est assurément une des plus conséquentes sur les vingt dernières années.
Le tableau 2 présente en francs courants les sommes prévues en loi de finance initiale et les sommes effectivement dépensées dans l’année pour les deux sous-paragraphes (subventions et secours d’urgence) consacrés à l’urgence sociale.

Tableau 2

Ligne budgétaire « Réponses à l’urgence sociale » (47.21.70.10) (MF. francs courants)

Tableau 2
Source : Ministère de l’Économie et des Finances. Direction du budget.

Ligne budgétaire « Réponses à l’urgence sociale » (47.21.70.10) (MF. francs courants)

12Le graphique 2 propose une représentation de ces données sous forme d’histogrammes. On note d’abord la place du Fonds d’urgence sociale en 1998 qui déstabilise la série, signe de l’importance mais aussi du caractère particulier de cette mesure. On note également les très importants rattrapages effectués chaque année entre vote des lois de finance initiales et dépenses finales de l’année. Pour cette ligne « Réponses à l’urgence sociale », l’exécution budgétaire aura été, par rapport à la LFI, de 220 % en 1994, 180 % en 1995, 190 % en 1996, 110 % en 1997, 400 % en 1998, 120 % en 1999. Rares sont les lignes budgétaires qui peuvent se prévaloir d’une exécution aussi supérieure au montant voté en LFI.

Graphique 2

Évolution de la ligne « Réponses à l’urgence sociale » en LFI et en exécution budgétaire

Graphique 2

Évolution de la ligne « Réponses à l’urgence sociale » en LFI et en exécution budgétaire

Urgence sociale et plans d’urgence

13Sans insister abondamment sur l’examen de la thématique de la « nouvelle pauvreté » dont l’étude a déjà été réalisée par ailleurs [9] nous présenterons rapidement les aspects des débats qui ont présidé à la décision de créer des programmes d’actions contre la pauvreté, avant de nous consacrer à l’examen plus détaillé de ces plans. Il s’agit ici d’un examen de la formulation de la notion d’urgence sociale au niveau politique et au niveau de l’administration. Quelques infléchissements, notamment avec la mise en place et la consolidation de dispositifs innovants, sont repérables au cours du temps. Néanmoins la dynamique générale d’aménagement institutionnel de l’urgence n’a été que marginalement troublée par les changements politiques et les évolutions sociales.

« Nouvelle pauvreté » et première formulation de l’urgence sociale

14La « nouvelle pauvreté » et son traitement sont marqués par la thématique de l’urgence sociale, déjà repérable dans les rapports importants qui avaient été rendus aux différents gouvernements à la fin des années soixante-dix et au début des années quatre-vingt. Il n’existait pas alors de programmes spécifiques de lutte contre la pauvreté. La protection sociale telle qu’elle s’était aménagée, autour de la sécurité sociale, devait permettre de prévenir et, à défaut, de réparer les problèmes sociaux. Elle ne se préoccupait pas distinctivement de pauvreté. Cependant la progression du chômage ainsi que des indications sur l’amplification des situations de pauvreté, relevées à l’échelle locale par les associations et les municipalités [10], ont conduit l’État à s’inquiéter des problèmes de pauvreté. L’expression « nouveaux pauvres » désigne alors de nouveaux venus aux guichets de la sécurité sociale, de l’action sociale ou des permanences associatives.

15Les pouvoirs publics se saisissent lentement de la nouvelle pauvreté, d’abord par des rapports et des commissions d’études. Tous ces documents sont connus et ont été discutés et analysés sous tous les angles. L’actualité de certains de leurs développements reste cependant toujours frappante. On peut y trouver les racines des futures cellules d’urgence mises en place dans les départements dans le cadre des plans « pauvreté-précarité », elles-mêmes à la base des futures CASU. Le rapport Oheix, rendu au gouvernement en mars 1981, contenant soixante propositions « contre la précarité et la pauvreté », proposait ainsi de créer des « structures adaptées à la lutte contre la pauvreté au niveau départemental et local ».

16Arrivée au pouvoir, la gauche ne prend pas tout de suite de mesures particulières contre la pauvreté. Souhaitant mettre en œuvre un programme ambitieux de réformes fondamentales, l’accent est mis sur la réduction des inégalités. Le problème de la pauvreté n’était pas nié, mais il n’entrait ni, en ces termes, dans les cadres de pensée, ni, comme une urgence flagrante, dans les programmes de transformation de la société (Belorgey, 1988). Aux premières mesures de relèvement des bas salaires s’ajoute cependant une préoccupation pour l’augmentation des phénomènes de précarité et de pauvreté signalée par des rapports ou des témoignages provenant d’associations, de caisses d’allocations familiales (CAF) ou de municipalités. La ministre de la Solidarité nationale, Nicole Questiaux, commande un rapport à un haut fonctionnaire, Dominique Charvet, consacré aux défauts de la protection sociale. Le rapport Charvet, qui a de nombreux points communs avec le rapport Oheix, constate qu’il « est vrai qu’à quelques exceptions près on ne meurt plus de froid et de faim dans la France de 1982, mais le froid et la faim y restent des vérités ». L’auteur considère que les problèmes sont graves. Il insiste sur « l’urgence » qu’il y a à intervenir et indique que sa mission doit « mener à bien un certain nombre d’opérations commando » (Le Monde, 9 mai 1982).

17Un « programme de lutte contre la pauvreté et la précarité » adopté par le Conseil des ministres en janvier 1983 fait siens certains éléments conclusifs et certaines propositions de ces rapports [11]. Les circulaires emploient très explicitement l’expression « urgence sociale ». Celle-ci va, avec le temps, acquérir ses lettres de noblesse, même si elle est dès l’origine critiquée [12]. Une circulaire particulièrement importante, fondatrice presque, en date du 17 mars 1983 prend acte du terme. « Bien connue en matière sanitaire, la notion d’urgence doit être mieux prise en compte dans le domaine social. Des situations urgentes y sont en effet de nature à compromettre durablement la cohésion d’une famille, le devenir d’un enfant, la vie d’un adulte ». Cette circulaire rappelle que « dans le cadre du programme de lutte contre les situations de pauvreté adopté lors du Conseil des ministres du 26 janvier 1983, il a été décidé d’organiser dans une quinzaine de grandes agglomérations des services d’urgence sociale, fonctionnant en dehors des heures habituelles, 24 heures sur 24, dimanche et jours fériés compris. Leur objectif est de répondre sans délai aux situations sociales qui exigent une intervention immédiate » [13].
À partir de 1984 le thème de la pauvreté devient politiquement majeur. La droite insiste alors sur le développement de la nouvelle pauvreté et en attribue la responsabilité au gouvernement socialiste. Elle impute à la politique sociale menée par la gauche le fait de créer de la pauvreté et, ce qui est plus important à relever, elle invite à intervenir spécifiquement pour traiter ce problème. La gauche, montrée du doigt, entre dans un débat sur la nature de cette nouvelle pauvreté qu’elle attribue aux politiques antérieures à son accession au pouvoir. Ce conflit politique est connu. Il n’est pas utile de s’y attarder, sinon pour préciser que l’issue de ces débats aura été à la fois la mise en place de programmes d’urgence et la mise au jour d’une certaine unanimité politique quant à la nécessité de ces dispositifs. Les premiers programmes d’actions contre la pauvreté et la précarité seront en effet repris sans transformation majeure par la droite lorsqu’elle reviendra au pouvoir en 1986. Depuis, les alternances n’ont jamais conduit à des oppositions quant à la légitimité de ces plans.

Les premiers plans d’urgence

18Depuis octobre 1984 tous les ans un programme d’actions contre la pauvreté est mis en place par l’État [14]. Ces plans ont constitué des lieux de création d’instruments et de propositions. Leur institutionnalisation va permettre de faire émerger progressivement une boîte à outils, toujours plus fournie, pour la prise en charge des phénomènes de pauvreté et de précarité. S’ils ont nettement eu une influence sur la création du RMI et sur l’édification du droit au logement, ils ont également autorisé une spécification croissante de la prise en charge des SDF, spécialement en séparant ce qui relève de « l’urgence » de ce qui relève de « l’insertion ».

19Le tableau 3 contient une synthèse des informations relatives aux cinq premiers plans d’urgence établie à partir d’enquêtes menées alors dans tous les départements.

Tableau 3

Bilan des cinq premiers programmes d’actions contre la pauvreté et la précarité

Tableau 3
* Remarques : à partir de la circulaire du 8 janvier 1988 relative à l’amélioration des conditions d’accès aux soins des personnes les plus démunies, l’État a financé sur ses crédits consacrés à la lutte contre la pauvreté, la mise en place d’antennes de premier accueil médicalisé en s’appuyant sur des associations comme la Croix Rouge ou Médecins du Monde. Source : Direction de l’Action sociale.

Bilan des cinq premiers programmes d’actions contre la pauvreté et la précarité

20Le premier programme de « lutte contre la pauvreté et la précarité » est lancé à l’automne 1984, à un moment d’intense médiatisation et de débats sur les nouveaux pauvres. Mais il ne s’agit plus là de polémiques. Des maires de toutes tendances, réunis au sein de l’Association des maires des grandes villes de France (AMGVF), proposent pour la période du 1er novembre 1984 au 1er avril 1985 un « dispositif d’urgence » pour faire face à « la montée de la pauvreté ». Parmi ces élus le maire de Paris, Jacques Chirac, qui le 7 octobre avait déjà demandé une intervention rapide de l’État énonçant que « les communes ne pourront pas faire face à cette situation dramatique », plaide pour un « véritable plan Orsec de la misère » [15].

21Tandis que les cabinets ministériels et les administrations se mobilisent pour élaborer un programme, le Premier ministre, Laurent Fabius, consulte les personnalités morales. Il reçoit le père Wresinski le 2 octobre, l’abbé Pierre le 9. Le 2 octobre l’épiscopat lance un appel à la solidarité individuelle et nationale. L’AFP remarque que « comme un coup de cymbale, une offensive générale contre la pauvreté est lancée » (2 octobre 1984). Le Président de la République déclare le 13 octobre que « chacun dans ce pays doit manger à sa faim. Plus une seule famille avec enfant ne doit se trouver dans la rue ». Le 17 octobre, après la décision du Conseil des ministres de mettre en place un plan contre la pauvreté, le Premier ministre déclare sur TF1 que la « la solution de la pauvreté passe par chacun de nous ». Finalement 500 millions de francs sont dégagés, notamment sous la forme d’un relèvement de 0,5 %, de l’impôt sur les grandes fortunes. La controverse politique reprend donc alors sur les formes (en l’occurrence financières) que doit prendre la lutte contre la pauvreté, mais le bien-fondé de l’intervention urgente de l’État n’est pas discuté.

22Inaugurant une longue série de règlements la circulaire du 23 octobre 1984 relative à la « mise en place de dispositifs d’urgence pour les personnes en situation de pauvreté et de précarité », précise que « ces actions doivent viser aussi bien à prévenir les situations de détresse qu’à les traiter en répondant mieux aux besoins les plus urgents ». La réalisation de ces actions demande « la mobilisation de toutes les initiatives et de tous les efforts locaux, sans exclusive ». À cet effet il est demandé aux préfets (alors les « commissaires de la République ») « de réunir immédiatement, les représentants de toutes les personnes publiques et privées susceptibles d’apporter leur concours » et « de constituer une ou plusieurs cellules d’urgence, au niveau du département ». Les objectifs de cette mobilisation sont de rechercher « les réponses immédiates à apporter aux besoins des personnes en situation de détresse ».

23Pour contribuer à ces actions l’État dégage des ressources. Au budget du ministère en charge des Affaires sociales le chapitre 47.21 « Programme d’action sociale », article 70 « Œuvres de secours », est doté de 200 MF pour 1984 et de 300 MF l’année suivante. En 1985 le nom de cet article budgétaire devient « Programmes de lutte contre la pauvreté ». Connue sous l’abréviation « 47.21 », cette ligne budgétaire a vu son nom changer dans les nomenclatures (voir tableau 1), mais aussi dans les discours, pour s’appeler « crédits d’urgence », « crédits pauvreté », « crédits de lutte contre l’exclusion ». Il s’agit du premier outil d’intervention de l’État spécifiquement et explicitement construit pour lutter contre la pauvreté. Son utilisation va varier, permettant de financer des opérations très diverses. Mais, avec le temps, il va être de plus en plus spécifiquement consacré à l’accueil et l’hébergement, « en urgence », des personnes SDF.

24Les directions du premier plan d’urgence ont été précisées dans sa circulaire de lancement (distribution aux plus démunis des excédents alimentaires, logement des familles en difficulté, amélioration de la situation des chômeurs âgés). Mais c’est dans son bilan que sont apparus les trois principaux axes qui l’ont véritablement structuré : 23 % des dépenses ont été consacrées à l’accueil et à l’hébergement, 20 % à l’aide au logement (maintien dans les lieux, règlement de factures EDF-GDF), et 40 % à l’aide alimentaire (voir tableau 3).
L’appel à la mobilisation a réuni, autour du préfet ou du directeur départemental des Affaires sanitaires et sociales, différents partenaires. On peut recenser, pour les services de l’État, notamment les DDASS, les directions départementales de l’Agriculture (pour l’exécution des programmes d’aide alimentaire), les directions départementales de l’Équipement (pour l’hébergement et le logement), l’armée (pour le stockage, la distribution de nourriture, mais également pour l’hébergement). Après une décision du conseil d’administration de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) en date du 13 novembre 1984, les CAF sont invitées à prendre des dispositions budgétaires spécifiques, dans le prolongement d’actions menées depuis une dizaine d’années [16]. La participation des conseils généraux, des organismes de Sécurité sociale, des municipalités et des entreprises publiques a été très variable, mais elle a permis des réalisations originales. D’anciens bâtiments ayant servi de gendarmerie, d’hôpitaux, de presbytères, ou mis à disposition par la RATP et la SNCF ont ainsi été utilisés comme centres d’hébergement. Dans chaque département des cellules d’urgence ont été mises en place réunissant tous les partenaires locaux. L’État central a coordonné les opérations et orchestré la mobilisation.
Quelques expérimentations sont soulignées dans les rapports sur l’exécution du plan, notamment la mise en place d’un dispositif « d’appels d’urgence » créé dans un département par les services des télécommunications [17].

Innovations substantielles, reconduction annuelle

25Le premier plan « d’actions contre la pauvreté et la précarité », appuyé sur le chapitre 47.21, a été suivi tous les ans par de nouveaux programmes appelés plans « pauvreté-précarité », « plans hivernaux », « plans d’urgence », ou même « campagnes hivernales ».

26Le bilan du deuxième plan d’urgence (hiver 1985-1986) rappelle tout d’abord que les principales dispositions reprenaient celles de l’année précédente. Ce bilan signale la grande souplesse autorisée par le mode de fonctionnement choisi (absence de contrôles a priori, procédures dérogatoires des engagements provisionnels) qui a permis une adaptation rapide du programme aux réalités locales. La circulaire du 30 octobre 1985 qui lance ce deuxième plan insiste sur le rôle de l’État, notamment de la DDASS, pour « impulser, coordonner et contrôler ». Le texte du communiqué du Conseil des ministres du 30 octobre affirme que « la lutte contre la pauvreté doit être l’affaire de tous ». Au sein des actions de lutte contre la pauvreté, ce communiqué distingue nettement le dispositif d’hébergement d’urgence comme étant un élément central de ces plans. Sur le registre de la population accueillie le bilan ne repère aucune nouveauté par rapport à l’année précédente quant à son profil, mais note une augmentation de la demande et du nombre total de personnes secourues. Des actions nouvelles ont été entreprises sur un nouveau volet baptisé « insertion sociale et professionnelle ». Le plan d’urgence aura en effet permis de consolider le secteur de l’insertion par l’activité économique (SIAE) qui s’est développé depuis 1974 autour des CHRS [18]. Durant cette deuxième campagne les cellules d’urgence réunissent les mêmes acteurs que lors du précédent programme, auxquels viennent s’ajouter les DDTE pour accompagner les actions d’insertion sociale et professionnelle. Les bilans départementaux considèrent que globalement le plan s’est bien déroulé mais relèvent le risque de « saupoudrage et de double emploi » des aides apportées par l’État.

27La nouveauté de ce programme d’actions n’est pas d’initiative étatique. C’est à la fin de l’automne 1985 que sont créés, par Coluche, les Restaurants du Cœur. Sur la période de la campagne hivernale environ 190 Restaurants du Cœur vont fonctionner dans 61 départements, de manière plus ou moins coordonnée avec les autres opérations. Cette création des Restos du Cœur, soutenue par de nombreuses personnalités, bénéficiera d’une couverture médiatique très large et d’une forte sympathie dans l’opinion. Cette initiative associative soulèvera cependant des questions chez les travailleurs sociaux exerçant leurs activités dans les services publics de l’action sociale (Marquès, 1987).

28La troisième campagne « pauvreté précarité », alors que la droite est revenue au pouvoir, reprend les grandes lignes des précédentes. Le gouvernement ne remet pas en cause le principe de ces programmes que sa majorité a réclamé en 1984. Il lui donne même des objectifs plus ambitieux. Le plan hivernal 1986-1987 entend en effet constituer, selon la circulaire du 20 octobre 1986, « une réponse globale au problème de la pauvreté ». Il reprend néanmoins la plupart des objectifs et des modes de fonctionnement précédents, sans bouleversement. Le programme distingue explicitement les réponses aux besoins élémentaires et immédiats (accueil et hébergement d’urgence, aide alimentaire), des réponses préventives (aides liées au logement, programme d’insertion sociale et professionnelle). En séparant expressément la réponses aux problèmes jugés pressants des réponses plus structurelles, ce plan segmente les interventions en actions « d’urgence », et en actions « d’insertion ». Cette segmentation entre deux niveaux d’intervention ne s’est jamais démentie depuis. La troisième campagne d’urgence innove également en introduisant le système de compléments locaux de ressources (CLR), présenté comme un dispositif permanent d’insertion [19]. Mise en place dans certains départements, l’expérience contribuera à l’établissement du revenu minimum d’insertion (RMI) [20]. En janvier 1987 une vague de froid provoque, comme en janvier 1985, la mort de plusieurs personnes sans-abri (on ne parle pas encore beaucoup de « SDF ») et, partant, une couverture médiatique assez importante des opérations. Les fonctionnaires, les journalistes, les associations se concentrent de plus en plus sur ces personnes qui n’étaient, à l’origine, qu’une cible parmi d’autres de ces programmes.

29Le programme 1987-1988, encore une fois, ne diffère pas radicalement des précédents. Parce que « la lutte contre la pauvreté et la précarité est une priorité nationale » le gouvernement décide de reconduire le plan d’action 1986-1987 Il est toutefois indiqué dans la circulaire du 23 octobre 1987 qu’on ne devrait plus parler de campagne car ces plans d’actions perdent progressivement leur caractère saisonnier, pour devenir des programmes permanents. Ce quatrième plan se concentre de manière plus marquée encore sur les actions dites « d’urgence ». En effet les actions entreprises dans le domaine du logement sont désormais conduites tout au long de l’année. Le 47.21 est utilisé, annuellement, pour le maintien des personnes dans les lieux. Il permet de financer des instruments comme les Fonds d’aide aux impayés de loyers (FAIL) et les Fonds d’aide au logement et de garantie (FARG) qui seront fusionnés dans les Fonds de solidarité pour le logement (FSL) avec la loi du 31 mai 1990 relative au droit au logement (dite loi « Besson »). Ces ressources budgétaires du 47.21 continuent à être utilisées de manières variées, permettant des adaptations et des innovations pragmatiques de l’intervention publique. Les crédits sont d’ailleurs plus fortement déconcentrés ce qui permet aux représentants de l’État d’appuyer des dispositifs locaux novateurs.
La deuxième alternance politique n’a pas véritablement d’impact sur les grands axes des programmes. La campagne hivernale 1988-1989 a cependant été marquée par un événement capital, l’instauration à compter du 15 décembre 1988 du RMI (adopté, significativement « en urgence », à la quasi-unanimité par l’Assemblée nationale, le 1er décembre 1988). Cette innovation qui, parmi d’autres sources, puise dans les expériences et enseignements des campagnes d’urgence, ne bouleverse pas le schéma général du programme d’actions de lutte contre la pauvreté et la précarité qui s’organise et se met en œuvre comme les années précédentes. La circulaire du 4 novembre 1988 insiste sur les ambitions du RMI mais note qu’il reste « nécessaire de faire face aux besoins des populations en difficulté dès le début de l’hiver ». Les actions d’urgence sont donc reconduites, voire intensifiées, articulées avec la mise en place des structures de gestion du RMI (programme départemental d’insertion, commission locale d’insertion).
À partir du programme 1989-1990 l’inflexion des programmes va se poursuivre, en se concentrant de manière toujours plus nette sur les sans-abri. L’objectif de ces programmes n’est plus de lutter globalement contre la pauvreté. Des dispositifs institutionnels beaucoup plus larges se voient assigner ce rôle : le RMI et les mesures visant le droit au logement notamment. La montée en charge du RMI devait même permettre de faire disparaître les programmes d’actions hivernaux [21]. La circulaire du 10 novembre 1989 invite à une révision des actions et des modalités de leur mise en œuvre, considérant qu’ils s’insèrent désormais dans un ensemble plus large chargé de lutter contre l’exclusion. Les crédits qui y sont spécifiquement affectés par l’État (chapitre 47.21 article 70) sont réduits (voir le graphique 1). Toutefois la masse financière consacrée spécialement aux SDF ne fait qu’augmenter. En effet une partie des crédits d’urgence était utilisée pour financer, chaque année, de nouvelles opérations. Celles-ci se sont au fur et à mesure institutionnalisées, basculant sur d’autres articles ou chapitres budgétaires pour leur financement. Les crédits dévolus aux compléments locaux de ressource et aux différents fonds d’aide au logement ont été inscrits sur de nouvelles lignes budgétaires, tandis que les moyens pouvaient chaque année être plus concentrés sur l’accueil et l’hébergement d’urgence des SDF.

Encadré 1 : Le relais médiatique de la thématique de l’urgence

Au milieu des années soixante-dix déjà, constatant une certaine augmentation du nombre de bénéficiaires des services d’assistance, un article du Figaro conclut sur « l’urgence d’en finir avec cette forme de misère » (1er décembre 1975). Juste avant que n’éclate le débat sur la nouvelle pauvreté Le Monde titre, pour rendre compte de la mission confiée à Dominique Charvet, « À situation d’urgence, mesures d’urgence. Le temps presse pour faire reculer la pauvreté » (9 mai 1982). Dans une chronique pour Libération, Pierre Rosanvallon insiste sur les différences entre nouveaux pauvres (des Français « moyens », « normaux ») et une ancienne population sous-prolétaire aisément identifiable. Il considère que le gouvernement n’a pas conscience de « l’urgence » du problème et n’est pas prêt à le prendre en charge (19 janvier 1983). Pendant l’hiver 1983-1984 (le plus rigoureux de la décennie quatre-vingt-dix) des dépêches AFP signalent de nombreux sans-abri morts de froid. « Il y a urgence. Il faut agir avant qu’ils ne tombent » titre une dépêche (AFP, 18 décembre 1983). L’hiver suivant, contre l’offensive du froid, se met en place « une offensive générale contre la pauvreté » (AFP, 2 octobre 1984). L’année suivante les premiers morts suscitent l’intervention en urgence : « Froid : la première victime et les premières mesures d’urgence » (AFP, 19 novembre 1985). Quelques années plus tard, à la suite d’un rapport du Conseil économique et social régional d’Île-de-France s’appuyant largement sur des données et analyses associatives, et proposant « un plan d’urgence » (AFP, 10 mars 1988), La Croix titre « Loger les sans-abri. La grande urgence de la misère » (21 mars 1988). Pendant l’hiver 1990-1991, alors que les plans hivernaux reçoivent moins d’attention et de fonds publics depuis la création du RMI, la rudesse de l’hiver est encore meurtrière. « Brutalement, note Le Monde, c’est le coup de semonce du premier froid, qui impose de prendre des mesures d’urgence » (14 décembre 1990). Il est inutile de poursuivre longuement, l’affaire se répétant en fait chaque année.

30L’accueil et l’hébergement d’urgence des SDF sont en fait devenus les composantes prédominantes de ces plans. Par ailleurs les crédits consacrés à ces plans ont à nouveau augmenté à partir des campagnes 1992-1993 et, surtout, 1993-1994 (voir le graphique 1). Ces sommes sont depuis lors presque exclusivement consacrées à la prise en charge « en urgence » des SDF. Elles ont permis le développement, à partir de l’hiver 1993-1994, des dispositifs de Samu social (services mobiles de « recueil » des SDF) et des centres d’accueil de jour, offrant des services aux sans-abri (écoute, consultation médicale, vestiaire, etc.), qui se sont édifiés un peu partout dans l’hexagone.

31L’urgence sociale, sur le strict plan budgétaire, se concentre donc bien sur les SDF. Dans un « Bleu de Bercy » commentant les dispositions de la loi de finances initiale (LFI) de 2000, il est précisé que les habituels crédits 47.21.70.10 (devenus dans une réforme de nomenclature, des éléments du nouvel article 46.81.20) [22] financent « des dispositifs de veille et d’urgence sociale. Dispositif permanent de veille sociale dans chaque département pour faire face à l’urgence sociale. Dispositif qui consiste essentiellement à assurer un hébergement d’urgence des personnes sans résidence stable, proposer une aide alimentaire aux plus démunis, conforter le développement de l’accueil de jour et des équipes mobiles d’aide sociale d’urgence de type » Samu social « ainsi que le téléphone vert » Accueil des sans-abri « (le 115) ».
Notons, pour finir, que d’autres programmes pour les sans-abri, sur d’autres chapitres budgétaires impliquant d’autres ministères, ont également été marqués du sceau de l’urgence. Au cours des années quatre-vingt-dix des plans pour le logement des personnes défavorisées ont été labellisés de la sorte. Un premier plan (dit plan « de Charette ») est décidé à l’été 1993. 100 millions de francs sont alors dégagés pour financer des places d’hébergement ou des logements transitoires (dits logements « passerelles ») qui fonctionneront toute l’année. Une ligne budgétaire dite « ligne d’urgence » est alors créée dans le budget du ministère du Logement. Cette ligne budgétaire permet également des adaptations pragmatiques, des financements souples pour des opérations originales, comme dans le cas des crédits « 47.21 ». Un second plan (dit « Plan Périssol ») sera conduit de 1995 à 1996, avec 1,3 milliard de francs, pour créer 10 000 logements d’insertion et 10 000 logements « d’extrême urgence ». Ces derniers étaient spécifiquement prévus pour les personnes à la rue ou risquant de s’y retrouver. Dans le cas de ces différents plans d’urgence du ministère du Logement, le 47.21 était sollicité pour assurer le fonctionnement de l’accompagnement social des personnes ainsi logées ou hébergées.

Institutionnalisation de l’urgence et des plans d’urgence

32On propose de dégager maintenant quelques enseignements généraux à partir de cette étude des premiers plans, puis d’en schématiser le processus de mise en œuvre.

Quelques caractéristiques récurrentes

33Sur le temps, l’utilisation des crédits du 47.21 est marquée par des évolutions mais également par des constantes, distinguables à des degrés variés, de 1984 à aujourd’hui.

Légitimation du partenariat

34L’assemblage et la conduite des dispositifs ont dès l’origine nécessité le partenariat, une notion jusqu’ici peu usitée dans les politiques publiques françaises (Schweyer, 1996). On peut repérer une certaine emphase rhétorique autour de ce terme qui devient « interpartenariat » ou « multipartenariat » dans les rapports établis à partir de la campagne 1987-1988. Plus concrètement ce mode innovant mais problématique de coopération a rassemblé les services de l’État, ceux des collectivités locales, les associations caritatives traditionnelles et les associations fédérées par la FNARS spécialisées dans l’hébergement et la réadaptation sociale, mais aussi d’autres institutions intéressées, les organismes de sécurité sociale, les organismes HLM, parfois des chambres de commerce, des entreprises (RATP, SNCF, EDF-GDF, les centres Leclerc).

La coordination par l’État

35Chaque année les circulaires appellent à veiller plus fortement à la cohérence et au contrôle des opérations. L’État central appelle les préfets et les DDASS à renforcer les cellules départementales d’animation et à améliorer l’intégration des associations dans le dispositif, en concluant plus systématiquement des conventions d’objectifs (Mariller, Janvier, 1988). L’État cherche à mesurer l’impact des plans et à s’assurer du respect des engagements souscrits par les associations. En 1988 douze départements pilotes sont désignés pour des expériences de coordination renforcée afin d’éviter de multiplier les structures [23]. En fait cette coordination est chaque année rituellement réclamée [24], et chaque année sa faible vigueur est déplorée. Les « cellules d’urgence » mises en place, autour des services de l’État, se sont néanmoins enracinées institutionnellement. Chaque année leurs membres, repérés lors des précédents plans, sont invités à l’automne à se réunir, généralement en préfecture, pour préparer l’organisation du programme d’actions. Les personnes qui y participent, provenant d’horizons variés (associations, entreprises, organismes de sécurité sociale, collectivités locales, services déconcentrés) ont appris à se connaître et à travailler ensemble. Elles ont développé des procédures et des routines dans leur collaboration.

Séparation de l’urgence et de l’insertion

36L’urgence est très nettement érigée en principe premier pour l’action. Face à des situations jugées urgentes, il faut répondre en urgence. On a vu également qu’au cours de ces plans la notion d’insertion avait progressivement pris de l’ampleur, jusqu’à d’ailleurs se séparer de celle d’urgence. Cette coupure constitue une ligne de clivage très claire aujourd’hui dans la formulation et la prise en charge des SDF. D’un côté on trouve des mesures singulières fonctionnant surtout en hiver et spécialement dirigées vers les SDF. De l’autre on trouve des mesures plus génériques, ciblées cette fois-ci sur les « exclus », et dont peuvent le cas échéant bénéficier des personnes comptées comme SDF. Rhétorique de l’urgence et appel à des solutions de plus long terme se sont ainsi toujours mêlés. Deux sous-systèmes distincts, sans être totalement séparés, se sont progressivement institués. Le sous-système de l’insertion, en se développant a concerné des populations toujours plus étendues. Cependant c’est bien toujours d’urgence que l’on parle pour les SDF. Chaque année le ciblage s’est fait plus précis sur cette catégorie et des réponses de plus en plus spécifiques ont été montées, généralement par des associations, presque systématiquement financées avec le 47.21.

La permanence de l’intervention d’urgence

37Encore aujourd’hui, lors de la mise en œuvre de chacun de ces plans il est précisé qu’il ne s’agit que d’un élément d’une politique plus générale de lutte contre l’exclusion. Les gouvernements ont tous cherché à banaliser ces plans en indiquant que les réponses aux problèmes des SDF fonctionnaient, pour la plupart, toute l’année. Cependant aucune équipe ministérielle n’y a jamais mis fin. Au contraire, et les crédits ont même régulièrement augmenté depuis 1993 (voir graphique 1), moment de grande saillance de la thématique de l’exclusion sur l’agenda politique et d’effervescence institutionnelle. La prise en charge des SDF, en urgence et en hiver, s’est donc institutionnalisée. Dans la circulaire du 30 octobre 1997, la ministre de l’Emploi et de la Solidarité, Martine Aubry considérant que le plan hivernal d’accueil des SDF s’inscrit dans le programme de lutte contre les exclusions que le ministère est en train de formaliser écrit, à la main, qu’elle demande aux préfets d’être « particulièrement vigilants pour ce programme essentiel de lutte contre l’exclusion » [25]. Dans les plus récentes circulaires, dont l’objet se limite explicitement au thème « accueil et hébergement d’urgence », il est énoncé que les dispositifs ainsi financés doivent fonctionner toute l’année, avec un renforcement en hiver pour « faire face aux périodes de grand froid » (circulaire du 26 octobre 1999) [26].

38Ces différentes caractéristiques s’agrègent dans une dynamique d’institutionnalisation des dispositifs mis en place. Avec leur traduction législative certaines mesures expérimentées sont, on l’a vu, devenues des dispositifs de grande ampleur (RMI, droit au logement). Des dispositifs spécifiques s’institutionnalisent également en quittant le chapitre budgétaire 47.21 des « programmes d’action sociale de l’État ». Ceux-ci ne sont pas nécessairement reconduits chaque année et reposent sur des financements qu’il faut renégocier annuellement. En devenant des établissements médico-sociaux, des centres d’hébergement ou, à terme, des services d’accueil de jour ou de Samu social, passent sur d’autres lignes budgétaires leur assurant une plus grande stabilité et des perspectives de long terme. L’article 157-I de la loi d’orientation relative à la lutte contre les exclusions (n° 98-657 du 29 juillet 1998) modifie la loi du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales et l’article 185 du Code la famille et de l’aide sociale afin que soit désormais reconnu comme institutions sociales et médico-sociales l’ensemble des « structures et services comportant ou non un hébergement assurant, avec le concours de travailleurs sociaux et d’équipes pluridisciplinaires, l’accueil, notamment dans les situations d’urgence, le soutien ou l’accompagnement social ». Un cadre légal apporte donc une reconnaissance et davantage de sécurité financière aux actions innovantes [27]. L’urgence sociale, de plus en plus stabilisée et référencée dans le secteur médico-social, devient un élément fixe de l’architecture de la protection sociale.

La politique du thermomètre

39Une expression souvent utilisée, dans les couloirs des administrations sociales ou des associations, pour décrire les politiques publiques en direction des sans-abri est de parler de « politique du thermomètre ». Cette appellation est liée à une certaine forme d’ironie qui s’est développée chez les acteurs de la prise en charge, tout comme dans la presse [28].

40Il est vrai que le thermomètre est devenu un indicateur capital forçant l’attention médiatique et politique. Ainsi dans les départements, dans les villes, des plans d’urgence sont préparés chaque année. Ils ne s’élaborent plus dans la précipitation, mais dans la concertation entre les différents protagonistes. Cette politique du thermomètre a ses déclencheurs : le nombre de degrés en dessous de zéro, l’apparition des premiers flocons, ou un nombre de morts de froid jugé trop élevé. Pour l’hiver 1999-2000 un « protocole grand froid » a ainsi été convenu entre la préfecture de Paris et une série d’associations. Contenant des actions à entreprendre en commun et quelques places d’hébergement mobilisables, ce protocole est déclenché « lorsque la température de jour oscille entre +2° et -2° ou lorsque des intempéries aggravent les conditions de vie des personnes sans-abri ».

41Lorsque certains seuils sont atteints, il est prévu toute une palette de réponses, imaginées en fonction d’une gradation dans l’urgence sociale [29], afin d’augmenter les places d’hébergement, mais également de satisfaire les demandes des administrations centrales et des cabinets ministériels, inquiets des réactions de l’opinion publique face à la multiplication des drames. Le problème SDF est ainsi tout particulièrement pris en charge à travers une période, baptisée « hiver administratif », qui court de fin octobre à fin avril.

Encadré 2 : Le « cycle » de l’urgence sociale

La politique du thermomètre fonctionne, depuis le début des années quatre-vingt-dix, à partir d’un cycle de conventions et de rituels bien rodés, et ce quelle que soit la majorité en place. Les éléments de ce cycle peuvent être présentés en quatre points.
• La réunion des cellules locales d’urgence
Une réunion des acteurs de la cellule d’urgence est organisée à l’automne autour des services de l’État, pour faire le bilan de la campagne passée et préparer la suivante. Il s’agit notamment de recenser le nombre de places d’hébergement disponibles, de coordonner les différentes initiatives et d’intégrer les nouveaux acteurs au dispositif. Il s’agit également de préparer les réponses qui pourront être données en cas de grand froid, d’attention médiatique particulière, ou de demande expresse des cabinets ministériels. Des débats ont lieu entre les collectivités locales, les associations et l’État sur la responsabilité financière et la qualité des interventions.
• La préparation de la campagne hivernale par l’État central
La préparation de la campagne hivernale se prépare au niveau central par une réunion organisée, généralement par le cabinet du ministre en charge des Affaires sociales, associant les différents acteurs des plans d’urgence (services de l’État, grandes entreprises, grandes associations nationales). Les différentes propositions d’amélioration des dispositifs, les questions budgétaires y sont évoquées. Rituellement, il y est précisé que des campagnes limitées à l’hiver sont peut-être nécessaires mais toujours insuffisantes. Une circulaire est envoyée aux préfets.
• Le gouvernement communique
Après cette préparation de la campagne autour des échelles centrales et déconcentrées de l’État, le programme d’actions contre la pauvreté et la précarité qui est devenu, comme on l’a vu, principalement un dispositif de prise en charge d’hébergement des SDF, passe sur l’agenda du gouvernement. Une communication en Conseil des ministres a généralement lieu. Par la suite une conférence de presse est organisée par un ou plusieurs membres du gouvernement. Un dossier de presse, généralement épais, est donné aux journalistes. Dans quelques départements les préfets organisent une conférence de presse pour présenter le schéma adopté. Quelques collectivités locales font de même.
• La mise en œuvre
Le plan d’urgence est ensuite mis en œuvre. Les places d’hébergement sont ouvertes par les associations. Des ministres vont visiter les dispositifs. Autour des fêtes de fin d’année des événements spécifiques sont organisés et médiatisés. En fonction du climat et de la couverture des médias de nouvelles réponses sont mises en place. Usuellement ces innovations ne sont à l’origine prévues que pour la période du plan d’urgence. Elles ont néanmoins tendance à s’installer sur le plus long terme. Des réponses initiées pour l’hiver s’étendent à toute l’année. Les nouvelles places ou nouveaux centres d’hébergement créés pendant la campagne (n) seront généralement repris au moment de la préparation de la campagne (n + 1). Lors de la préparation de cette campagne il faudra alors trouver de nouvelles places.

42Les programmes d’urgence fonctionnent à partir de ce cycle de l’urgence sociale (encadré 2). Ce cycle, présenté de manière schématique et certainement trop mécaniste, peut très aisément être déstabilisé par une attention médiatique accrue, par une initiative spectaculaire d’une association protestataire (menée par exemple par le DAL), par les propos très relayés d’une personnalité morale, ou par un nombre élevé de décès recensés au moment des grands froids. La précipitation reprend alors et les cellules d’urgence sont à nouveau réunies. Des propositions, qui parfois avaient été élaborées de longue date par des associations ou des entrepreneurs politiques, peuvent être mises en place sur le registre de l’expérimentation (création d’un Samu social, réquisitions, ouvertures de stations de métro ou de casernes militaires, etc.). Généralement elles s’institutionnalisent et sont intégrées, avec le temps et au fur et à mesure des plans, au cycle de la politique du thermomètre.

43À la précipitation des premiers plans s’est en fait substituée une organisation plus stricte des interventions. Celles-ci ne ciblent plus la pauvreté en général, mais bien plus spécifiquement le cas des personnes SDF. Si la programmation et la mise en œuvre de ces actions se sont lentement routinisées, elles restent néanmoins toujours fonction d’un environnement instable qui chaque année peut prendre de cours les « acteurs de l’urgence », et au premier chef l’État. Cette déstabilisation peut être le fait du climat mais également d’événements totalement imprévisibles comme le « mouvement des chômeurs » de 1997-1998 qui a invité à remettre en question l’épure de ce système, à reprendre le travail de rédaction du projet de loi de lutte contre les exclusions et à une réflexion approfondie visant des réformes d’envergure des minima sociaux et de la protection sociale [30].

44* * *

45L’urgence sociale comme rhétorique et comme pratique conduit à une recomposition de l’action publique avec de nouveaux types de régulations impliquant des acteurs publics et privés, en liens d’interdépendances (Lipsky, Smith, 1989 [31]), notamment pour ce qui concerne le financement des opérations. Autour du « 47.21 » associations et services de l’État sont désormais en position de dépendance mutuelle. Après notre constat d’une relative bureaucratisation et d’une certaine routinisation de l’action dite d’urgence sociale reste à savoir si, à la suite du FUS qui a donné une nouvelle fois à repérer de « nouvelles » populations qui n’étaient pas ou plus prises en charge par les plans d’urgence et sur le chapitre « 47.21 », les CASU seront effectivement un outil performant de coordination [32]. Avec l’élaboration concomitante de « schémas de l’accueil, de l’hébergement et de l’insertion » [33], l’État invite en effet à un renforcement de la complémentarité, de la coordination, et de l’harmonisation du service des aides et de la gestion des équipements. Ce renforcement, unanimement considéré comme nécessaire, repose sur des outils dont les performances seront à évaluer sur le moyen terme. Le remplacement très récent, dans les nomenclatures budgétaires, du « 47.21 » par le « 46.81 » est peut-être à cet égard le signal symbolique d’un virage par rapport aux politiques menées depuis une quinzaine d’années, mais ce n’est pas certain. En tout état de cause le récent rapport du Commissariat général du Plan (Belorgey, 2000), dans la suite du rapport Join-Lambert (1998), fait le constat d’avancées dans la synergie et dans l’efficacité grâce à la mise en place des CASU. Ce rapport souligne néanmoins que les modalités de fonctionnement de ces commissions, notamment pour ce qui relève de la coordination des opérateurs, méritent d’être formatées pour plus de lisibilité et moins de diversité en fonction des territoires.

46Nous ne sommes pas entrés ici, sinon de manière allusive, dans la discussion sur la nature duale de l’urgence sociale qui oscille entre caractérisation d’une population en situation particulière et mode particulier d’intervention publique, entre retour à l’assistance traditionnelle et recomposition des politiques sociales. La notion est, dans une certaine mesure, une notion « accordéon » s’appliquant à des situations qui peuvent être très restreintes (les SDF) ou à un ensemble étendu de problèmes (questions familiales, traitement du chômage). Relevons seulement, avec une position dubitative, que la tendance est désormais à distinguer ce qui relèverait d’une « grande » voire d’une « très grande » urgence, légitimant des dispositifs encore plus spécifiques, financés sur le 47.21 (et maintenant sur le 46.81), prétendument ajustés à des populations considérées comme spéciales.
À la différence des pompiers, des policiers ou des ambulanciers, les acteurs de l’urgence sociale n’interviennent pourtant pas sur des situations inattendues et accidentelles. Si les détresses et les problèmes sociaux peuvent être particulièrement pressants, le temps de leur traitement est assurément long et lent (tout le monde en convient). Des admissions, en urgence, à l’aide sociale permettent de résoudre des situations de crise. À l’inverse l’institutionnalisation de l’action sociale d’urgence, visant des populations particulières et non pas des situations singulières d’alarme, pourrait verser dans une gestion assistancielle spécialisée.
Au terme de cette lecture budgétaire de l’action publique, on ne peut résister à l’expression d’un scepticisme (qui n’est pas vraiment original) sur la notion même d’urgence sociale. Il est pour le moins étrange, dans le secteur social, de parler d’urgence ou de « grande » urgence pour décrire, caractériser et prendre en charge des phénomènes récurrents avec des systèmes permanents. De ce paradoxe évident peuvent naître des décalages entre la spécificité supposée des personnes ainsi ciblées, la nature ponctuelle des interventions de prise en charge, et les objectifs plus généraux d’adaptation structurelle des politiques sociales.

Notes

  • [1]
    Responsable du bureau de la recherche de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF). Maître de conférence à l’Institut d’études politiques de Paris.
  • [2]
    Sans domicile fixe (SDF).
  • [3]
    “Without fixed home”: (“SFD”).
  • [4]
    Au milieu des années quatre-vingt-dix, Radio France a créé une station émettant sur les ondes moyennes, « Radio Urgence », pour les SDF dans l’objectif de leur apporter des informations concrètes.
  • [5]
    Nous n’entrerons pas ici dans l’étude des « publics » de l’urgence sociale, analysés dans ce numéro de la Revue française des Affaires sociales pour ce qui concerne les bénéficiaires du Fonds d’urgence sociale (FUS). Celui-ci visant les « chômeurs » du mouvement social de l’hiver 1997-1998, sa population dépasse largement le cas des seuls « SDF ». Cependant ce Fonds était bien particulier et n’a concerné qu’une année des programmes annuels de lutte contre la pauvreté.
  • [6]
    Voir Tricart (1977), Ballain et Jacquier (1987), Croize (1996).
  • [7]
    Pour ces critiques, ces réserves et ces interrogations, voir Cochart (1986), Béhar (1996), Vidal-Naquet (1996), Soulet (1998a, 1998b), Sassier (1997, 1998). On peut en trouver des synthèses dans des contributions récentes aux Actualités Sociales Hebdomadaires : « De l’urgence dans le travail social », (n° 2147, 24 décembre 1999), « Polémiques sur l’urgence sociale à Paris », (n° 2095, 27 novembre 1998), « Le Fonds d’urgence sociale interroge le travail social », (n° 2057, 6 février 1998), « Urgence sociale, de la réalité au mythe » (n° 2052, 2 janvier 1998).
  • [8]
    Instruction du 12 janvier 1998 sur « La mise en place immédiate du Fonds d’urgence sociale », ministère de l’Emploi et de la Solidarité. Voir Join-Lambert (1998).
  • [9]
    Voir Belorgey (1988), Milano (1988), Paugam (1991).
  • [10]
    Voir Gontcharoff (1982), Ray (1984).
  • [11]
    Parmi les soixante propositions Oheix, seize seront reprises, à quelques détails près, dans le programme adopté par le gouvernement en 1983, dit « Plan Bérégovoy ». Cf. Actions et recherches sociales, « Pauvreté et action sociale », vol. 13, n° 4, 1983.
  • [12]
    Voir, pour les premières critiques de la notion d’urgence appliquée au secteur social, les livraisons de revues spécialisées dans l’action sociale : « L’urgence sociale », Actions et recherches sociales, vol. 24, n° 3, 1986, « L’urgence », Actions et recherches sociales, vol. 27, n° 2, 1987 ; « L’urgence », Informations sociales, n° 6, 1984.
  • [13]
    Fin 1984 seules cinq de ces permanences, dont la description attendue annonce bien les CASU actuelles, avaient bien été créées (Mariller, 1985).
  • [14]
    Sur le début de ces plans voir Mariller et Janvier (1988).
  • [15]
    En juillet 1984 le maire de Paris avait annoncé qu’il avait saisi l’AMGVF en alertant « publiquement et solennellement » l’opinion parisienne et nationale sur l’apparition d’une nouvelle forme de pauvreté dans la capitale et les grandes villes de France. Le maire de Paris constate un afflux de « nouveaux pauvres » très different des « traditionnels clochards ». L’objet de ce « cri d’alarme » est « d’interpeller l’État sur ses responsabilités » (AFP, 19 juillet 1984).
  • [16]
    C’est par une lettre du 6 novembre 1984, adressée au président de la CNAF, que le ministre des Affaires sociales et de la Solidarité nationale a fait appel au concours des CAF, souhaitant que les caisses poursuivent leurs actions en matière d’aides financières, qu’elles se fixent une priorité dans le domaine du logement, et qu’elles multiplient les efforts et les innovations.
  • [17]
    Cette première expérience d’une ligne téléphonique d’urgence pour les personnes en situations de précarité préfigure le numéro d’urgence spécifique, le 115, créé au milieu des années quatre-vingt-dix (transformation du numéro vert « accueil sans abri » en numéro d’urgence à trois chiffres, le 26 septembre 1997) et inscrit aujourd’hui dans chaque cabine téléphonique.
  • [18]
    À partir de la circulaire n° 44 du 10 septembre 1974, dite et connue sous le nom de « circulaire 44 », relative à l’organisation du travail des « handicapés sociaux », les CHRS (établissements sociaux) vont pouvoir développer des activités économiques avec des « structures de travail protégé ». Celles-ci prirent très souvent le nom de « centres d’adaptation à la vie active » (CAVA). En 1985, le gouvernement consacre les « entreprises intermédiaires » qui, à la différence des CAVA, ont une personnalité juridique et vont intervenir dans le secteur marchand. Cf. Lafore (1996).
  • [19]
    Guy Janvier, « Le plan d’action contre la pauvreté et la précarité. Bilan du plan 1986-1987 », Échanges-Santé, n° 51, 1988, p. ii-iii.
  • [20]
    Voir Belorgey (1988), Paugam (1993).
  • [21]
    Cependant dès les débuts de la mise en œuvre du RMI les observateurs ont constaté une inadaptation relative du dispositif à certaines détresses particulières, dont celles des personnes sans domicile. Cf. entretien sur France Inter avec Jean-Michel Belorgey, alors président de la commission des Affaires sociales à l’Assemblée nationale (14 septembre 1989) ; communiqué du Conseil des ministres du 14 octobre 1990.
  • [22]
    Dans le budget 2000 de l’État, l’agrégat « Intégration et lutte contre l’exclusion » a fait l’objet de réaménagements de nomenclature, afin d’identifier trois chapitres : « Action sociale de lutte contre l’exclusion et d’intégration » (46.81), « CMU et aide médicale » (46.82), « Prestations de solidarité » (46.83). Les fonds dévolus à l’urgence sociale se trouvent désormais parmi les crédits de lutte contre l’exclusion (46.81.20). Le « 47.21 » a vécu.
  • [23]
    Circulaire du 23 février 1988.
  • [24]
    La récente circulaire du 26 octobre 1999 contient un chapitre spécifique consacré à la coordination. Celle-ci doit désormais reposer, autour du préfet, sur les dispositifs prévus par la loi contre les exclusions.
  • [25]
    « Le dispositif d’accueil qui avait été conçu à l’origine comme un dispositif saisonnier est désormais organisé comme un dispositif permanent et la majorité des places d’accueil sont désormais maintenues disponibles toute l’année. (…) Néanmoins, la période hivernale, surtout par grand froid, peut poser des problèmes spécifiques en matière d’accueil et d’hébergement d’urgence des personnes sans abri et nécessite une vigilance toute particulière ».
  • [26]
    Une circulaire du 7 juillet 1999 faisait le point sur l’adaptation du dispositif d’accueil et d’hébergement d’urgence au contexte estival. Le « 47.21 » est en effet utilisé toute l’année, et en particulier en été, pour financer des dispositifs d’accueil des « jeunes en errance » dans les villes festivalières et/ou balnéaires. Il est précisé que ces jeunes ont des « réticences à être accueillis dans des structures perçues comme destinées aux sans-abri ».
  • [27]
    Voir également la circulaire du 19 novembre 1998 sur « l’accueil et l’hébergement des personnes sans domicile fixe pendant la période hivernale ».
  • [28]
    Ainsi ce dessin dans L’Humanité (18 décembre 1997) qui présente un dialogue entre deux SDF, « Tu crois qu’ils sont ponctuels les gens chargés d’aider les sans-abri ? – Ils ont dit qu’ils seraient là vers moins 20 ! Mais je ne sais pas si c’est en Greenwich ou en Celsius. On verra bien ». On trouve également des articles très critiques (publiés en hiver) sur la saisonnalité de la prise en charge des SDF, par exemple : « L’humanisme éphémère » (Le Figaro, 26 novembre 1998), « Les limites de l’action d’urgence et de l’émotion saisonnière » (Le Monde, 26 novembre 1998).
  • [29]
    Circulaire du 14 novembre 1994 : « Vous mettrez en place, pour le 20 novembre, un dispositif complet et cohérent d’accueil et d’hébergement pour des conditions hivernales que l’on peut qualifier de » normales « ». Le dispositif est qualifié de « première urgence ». « Vous organiserez des dispositifs permettant de faire face à l’éventuelle survenue, tant d’une période de très grand froid de plusieurs semaines, que d’une période de froid exceptionnel de quelques jours : les deux dispositifs seront dits respectivement de » seconde « et de » troisième « urgence ».
  • [30]
    Voir les deux rapports Join-Lambert (1998) et Belorgey (2000) qui, avec une acception élargie de la notion d’urgence sociale (ne se limitant pas aux « SDF »), proposent des jalons d’une refonte du système français de protection sociale.
  • [31]
    Cet article important de Lipsky, montrant les intérêts réciproques de l’État et des associations à intervenir de concert sur des problèmes labellisés comme des urgences, est repris dans Soulet (1998b).
  • [32]
    Il est bien précisé, dans la circulaire du 30 juillet 1998 relative au « devenir du Fonds et des missions d’urgence sociale », que les CASU doivent appuyer le réaménagement du dispositif d’aide et de secours, et que « la clé de l’efficacité des aides aux personnes réside dans une meilleure coordination des aides existantes ». Cette coordination doit être « institutionnalisée, outillée, pilotée ». Voir également une enquête recensant les attentes, les espoirs et les questions des acteurs de l’urgence sociale : « Après les Fonds d’urgence sociale. À quoi servent les CASU ? », Actualités Sociales Hebdomadaires, n° 2109, 5 mars 1999.
  • [33]
    Circulaire du 30 septembre 1998 et note DAS du 10 septembre 1999.
Français

Résumé

L’« urgence sociale » est une catégorie récente de l’action publique. Elle s’est institutionnalisée sur l’agenda politique au cours des vingt dernières années. L’examen des budgets consacrés par l’État à ces politiques et dispositifs permet de rendre compte de ses évolutions, de ses ambiguïtés et de son caractère à certains égards central pour les politiques sociales actuelles. Mise particulièrement à l’ordre du jour avec la création du Fonds d’urgence sociale au cours de l’hiver 1997-1998, l’urgence sociale est surtout ciblée sur la prise en charge des SDF [2]. Permettant des innovations substantielles et assurant une réelle réactivité des politiques publiques, l’urgence sociale, élément caractéristique des nouvelles ambitions politiques et administratives de lutte contre les exclusions, reste éminemment problématique.

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Julien Damon [1]
Responsable du bureau de la Recherche de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF). Maître de conférence à l’Institut d’études politiques de Paris. Directeur de la rédaction de la revue Informations sociales. Ses publications ont porté récemment sur les incivilités.
  • [1]
    Responsable du bureau de la recherche de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF). Maître de conférence à l’Institut d’études politiques de Paris.
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/06/2010
https://doi.org/10.3917/rfas.011.0013
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