CAIRN.INFO : Matières à réflexion

L’intérêt de la sociologie pour les émotions date de la fondation de la discipline (Cuin, 2001 ; Roux, 2016). Depuis les années 1980, néanmoins, l’expression individuelle des émotions a été envisagée de manière plus intime, avec en particulier une attention croissante pour les liens entre émotions et genre. L’une des figures pionnières de cet intérêt porté aux émotions et à ce qu’elles font à l’intimité est Arlie Hochschild, connue pour sa théorisation du « travail émotionnel » ([1983] 2017). Celui-ci est défini comme le travail mené par les individus sur leurs émotions pour qu’elles correspondent à celles qui sont attendues d’eux dans une situation sociale donnée. A. Hochschild, comme la majorité des chercheuses et chercheurs à sa suite, a particulièrement étudié la manière dont le système capitaliste, surtout dans un contexte de tertiarisation de l’économie, implique et donc attend un tel travail de la part des personnes salariées – en particulier des femmes. Ses travaux ont connu une large postérité (Wharton, 2011). En France, c’est principalement depuis la fin des années 2000 que la notion de « travail émotionnel » est utilisée pour enrichir la connaissance de professions aussi diverses que les hôtesses d’accueil (Schütz, 2018), les policiers et policières (Mainsant, 2021), les assistantes de télémédecine (Mathieu-Fritz, 2021), les agents de pompes funèbres (Bernard, 2008) ou encore les coiffeurs et coiffeuses (Desprat, 2015).
Mais, dans le même temps, la manière dont les émotions sont mobilisées, mises en forme, travaillées dans un cadre privé a été peu étudiée – et d’autant moins lorsqu’il s’agit d’un cadre intime, comme celui de la sexualité « ordinaire », « banale »…

Français

La norme sociale consistant pour les femmes à se rendre désirables a été largement documentée. Cet article, reposant sur 71 entretiens sur la contraception et la sexualité menés en France avec des hommes et des femmes ayant entre 20 et 84 ans, montre que le travail mené principalement par les femmes sur et pour la sexualité va plus loin qu’un simple travail sur leur corps. En prenant comme point d’entrée la contraception et en s’intéressant aux variations, tant féminines que masculines, du désir sexuel (dans un cadre conjugal ou non), il montre que le maintien d’une représentation « spontanée » de l’acte sexuel nécessite un travail sur la sexualité qui peut dans certains cas être mené par les hommes, mais qui l’est principalement par les femmes. Il s’agit d’une part d’un travail matériel, qui place les femmes dans les « coulisses » de l’acte sexuel, faisant reposer sur ces dernières la possibilité de sa survenue à n’importe quel moment (travail sur leur apparence physique, prise d’une contraception médicale, préparation de moments « en amoureux », etc.). Mais il s’agit également, d’autre part, d’un travail sur leurs émotions qu’elles mènent à la fois « en surface » et « en profondeur », et qui vise en particulier à assurer la présence au bon moment d’un désir sexuel répondant à celui de leur partenaire. Cet article constitue ainsi une contribution à la description d’un ordre du genre renforcé et naturalisé par la sexualité hétérosexuelle.

  • Sexualité
  • Genre
  • Scripts
  • Désir
  • Spontanéité
Deutsch

In den Kulissen des spontanen Verlangens. Heterosexualität, Arbeiten der Frauen und Genderordnung

Die soziale Norm der Frauen, sich verlangenswert zu gestalten, ist weitgehend dokumentiert worden. Dieser Artikel stützt sich auf 71 Gespräche zur Empfangsverhütung und Sexualität in Frankreich bei Männern und Frauen zwischen 20 und 84 Jahren und zeigt, dass die hauptsächlich von Frauen durchgeführte Arbeit zu und über Sexualität weitereichender ist, als eine einfache Arbeit zum Körper. Ausgehend von der Empfangsverhütung und unter Berücksichtigung der Variationen, sowohl weiblich als auch männlich, des Sexualverlangens (in oder außerhalb der Ehe) zeigt er, dass die Beibehaltung einer „spontanen“ Vorstellung des Geschlechtsakts eine Arbeit zur Sexualität verlangt, die in gewissen Fällen von den Männern durchgeführt, die aber hauptsächlich von Frauen erledigt wird. Es handelt sich einerseits um eine materielle Arbeit, die die Frau in die Kulissen des Geschlechtsakts anweist. Bei Ihr vorliegt dazu der Auftrag, zu jedem Zeitpunkt bereit zu sein (Arbeit zum äußeren Erscheinungsbild, Empfangsverhütung, Vorbereitung der „liebevollen Zweisamkeit“, usw.). Andererseits handelt es sich aber auch um eine Arbeit zu ihren Emotionen, die sie sowohl oberflächlich als auch untergründlich durchführen und wobei es besonders darum geht, das eigene sexuelle Verlangen in Übereinstimmung mit dem des Partners zu sichern. Somit ist dieser Artikel ein Beitrag zur Beschreibung einer Genderordnung, die verstärkt und naturalisiert wird durch die Heterosexualität.

  • Sexualität
  • Gender
  • Scripts
  • Verlangen
  • Spontaneität
Español

Entre los bastidores del deseo espontáneo. Sexualidad heterosexual, trabajo femenino y orden genérico

Está más que documentada la norma social que consiste en que se hagan deseables las mujeres. Nuestro artículo descansa en 71 entrevistas acerca de contracepción y sexualidad que se hicieron a hombres y mujeres de edad entre los 20 y los 84 años, y demuestra que el trabajo realizado principalmente por las mujeres en torno a y para la sexualidad llega mucho más allá de un mero trabajo sobre su cuerpo. Tomamos como punto de partida la contracepción y estudiamos las variaciones tanto femeninas como masculinas del deseo sexual (en el marco conyugal y fuera de ese) para demostrar que la conservación de una representación espontánea del acto sexual requiere un trabajo sobre la sexualidad que en algunos casos pueden llevar a cabo los hombres, pero que suelen asumir más bien las mujeres. Se trata por una parte de un trabajo material que sitúa a las mujeres “entre los bastidores” del acto sexual, dejando a su cargo la posibilidad de su realización en cualquier momento (trabajo sobre la apariencia física, contracepción médica, preparación de momentos “para la pareja”, etc.). Pero también se trata por otra parte de un trabajo sobre las emociones que ellas llevan tanto “en superficie” como “en profundidad”, y que pretende en particular asegurar la presencia en el momento idóneo de un deseo sexual que responda al de su pareja. Este artículo constituye pues una contribución a la descripción de un orden genérico reforzado y naturalizado por la sexualidad heterosexual.

  • Sexualidad
  • Género
  • Guion
  • Deseo
  • Espontaneidad
Cécile Thomé
IRIS – EHESS-CNRS-Inserm-Université Sorbonne Paris Nord, Campus Condorcet Bâtiment Recherche Sud 5, cours des Humanités 93322 Aubervilliers cedex

Institut national d’études démographiques (Ined)
Inserm-Université Paris-Saclay-UVSQ
Santé et droits sexuels et reproductifs
9, cours des Humanités
CS 50004
93322 Aubervilliers Cedex
thome.cecile@gmail.com
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Mis en ligne sur Cairn.info le 14/02/2023
https://doi.org/10.3917/rfs.632.0283
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