« Depuis quelque temps, la sociologie est à la mode. Le mot, peu connu et presque décrié il y a une dizaine d’années, est aujourd’hui d’un usage courant. Les vocations se multiplient et il y a dans le public comme un préjugé favorable à la nouvelle science. On en attend beaucoup. Il faut bien avouer que les résultats obtenus ne sont pas tout à fait en rapport avec le nombre de travaux publiés ni avec l’intérêt qu’on met à les suivre. » (Durkheim, 1897).
« La sociologie est en ce moment à la mode ; elle a succédé à la psychologie dans les prédilections et les préoccupations spontanées ou suggérées du public sérieux, voire même du public léger ; et ce rapprochement n’est pas pour déplaire à ceux qui, comme l’auteur de cet article, entendent par sociologie psychologie collective tout simplement, si tant est que la chose soit simple. Mais s’ils n’ont pas à s’étonner de cette vogue, de ce succès réputé inattendu, peut-être ont-ils à s’en inquiéter. Il n’est pas difficile de prévoir que, sur cette science naissante et déjà un peu bruyante, au nom naguère proscrit, maintenant inscrit en tête de tant de livres et de revues, vont se précipiter les esprits aventuriers, conquistadores de cette Amérique, et plus propres à les ravager qu’à les explorer. » (Tarde, 1898).
1 Ces citations des deux principaux sociologues français du tournant du XIXe siècle permettent à l’historien et au sociologue de s’interroger sur l’émergence de la sociologie comme un phénomène de mode intellectuelle, d’évoquer les publics, savants et non savants, susceptibles d’avoir été intéressés par la nouvelle discipline, mais aussi de questionner la circulation et les usages du label « sociologie » dans l’espace éditorial, autant d’éléments laissés en friche par l’historiographie portant sur la naissance de la sociologie française. Si l’histoire de la théorie et de la méthode sociologiques évacue de telles questions, préférant explorer les prodromes de la pensée sociologique ou de la recherche empirique (Savoye, 1994 ; Heilbron, 2006), c’est aussi largement le cas d’une histoire centrée soit sur l’institutionnalisation universitaire de la discipline, soit sur les écoles sociologiques en concurrence. Dans le cas français, l’historiographie se concentre sur l’émergence et la domination progressive de l’école durkheimienne ainsi que son semi-échec quant à l’institutionnalisation universitaire de la sociologie, celle-ci restant longtemps inféodée à la philosophie (Clark, 1973 ; Karady, 1974, 1979 ; Mucchielli, 1998). Les autres auteurs ou courants de la sociologie à cette période font alors l’objet de travaux, parfois hagiographiques, soulignant généralement leur dimension marginale dans l’espace scientifique de la sociologie en constitution (Geiger, 1981 ; Lubek, 1981 ; Kalaora et Savoye, 1989).
2 Dans le cadre de cet article, notre démarche est de prendre au sérieux les déclarations de Durkheim et Tarde et d’évaluer empiriquement leur pertinence en prenant comme point de départ le fait que les deux citations insistent sur la diffusion du terme même « sociologie » : Durkheim parle du « mot » qui est « aujourd’hui d’un usage courant » et Tarde évoque un « nom naguère proscrit, maintenant inscrit en tête de tant de livres et de revues » [1]. Ajoutons que d’autres auteurs s’accordent sur ce point [2]. Ainsi René Worms écrit-il en 1903 qu’« on accepte aujourd’hui le vocable sans hésitation ; même il est devenu assez à la mode pour qu’un certain nombre d’écrivains croient utile d’en parer leurs œuvres, sans que rien les y autorise logiquement » ( [1903] 1913, p. 208).
3 Cette « mode » autour de la sociologie serait apparue dans les années 1890, et d’abord sur le plan de la production éditoriale. Ainsi, dans la suite de cet article, nous désignons par mode éditoriale autour de la « sociologie » l’engouement, que l’on suppose circonscrit dans le temps, dans l’espace éditorial pour le label « sociologie » considéré comme un bien symbolique (Besnard, 1979a) et qui se traduirait par le choix individuel d’auteurs d’utiliser ce label dans le titre de leur publication sans préjuger de la signification apportée à celui-ci. L’addition de ces choix individuels aboutirait alors à un fait éditorial « sociologique », i.e. une multiplication de publications portant dans leur titre l’expression considérée. Par suite, l’on doit se demander si l’historien de la sociologie française peut interroger un tel phénomène éditorial d’abord dans sa dimension quantitative et bibliométrique, retrouvant là d’ailleurs une démarche classique – il faut le remarquer – de l’histoire et de la sociologie des sciences. Observe-t-on, et sur quelles périodes, le développement d’une production éditoriale abondante se réclamant de la « sociologie » comme semblent l’indiquer les sociologues cités plus haut ? Si une telle production intellectuelle existe, on peut aussi s’interroger sur l’inscription sociale et intellectuelle des auteurs de « sociologie », soit en les étudiant à partir des hypothèses historiographiques classiques (domination progressive du durkheimisme, poids de la philosophie dans le développement de la nouvelle discipline), soit en étudiant, de manière plus large, l’insertion de ces auteurs dans le mouvement scientifique et intellectuel fin de siècle. Il est ensuite possible d’analyser les usages intellectuels, potentiellement pluriels, du label « sociologie » autour de 1900 en se demandant si des usages savants cohabitent avec des usages extra-savants portant des intérêts politiques ou idéologiques plus marqués. Une telle démarche et les questions qui y sont associées se proposent de contribuer à une histoire culturelle de la sociologie, dans la lignée des travaux de Lepenies (1990), mais en abordant la « sociologie » [3] comme fait éditorial [4].
Présentation du corpus et premiers éléments d’analyse
Méthodologie bibliométrique et publications « sociologiques » entre 1841 et 1925
4 Pour évaluer les déclarations de Durkheim et de Tarde, nous nous proposons d’étudier la « sociologie » d’abord comme un fait éditorial quantifiable à partir d’une méthode bibliométrique. Une telle approche, relativement courante en histoire et sociologie des sciences, consiste à étudier le développement d’une science à partir des indicateurs quantitatifs que constituent les publications (Courtial, 1990 ; Martin, 2000) [5].
Le Catalogue Lorenz et la méthode bibliométrique
5 Notre première tâche a été de constituer un corpus pertinent : le Catalogue général de la librairie française, ou Catalogue Lorenz, s’est avéré une base de travail appropriée. Fondé par le libraire d’origine autrichienne Otto Lorenz, il recense l’ensemble des publications de langue française en les classant soit par auteur, soit par rubrique thématique, entre 1840 et 1925. Le catalogue présente, dans chacune des sections, les publications avec indication du titre, de l’auteur et de l’année d’édition. Pour constituer notre corpus à partir du Catalogue Lorenz, le travail a consisté à sélectionner un certain nombre de rubriques du Catalogue. Nous avons procédé au dépouillement systématique de la rubrique « Socialisme, Science sociale » [6] ainsi que de plusieurs autres rubriques de sciences sociales et de philosophie [7]. Pour sélectionner les publications pertinentes, nous nous sommes appuyé sur les méthodes de la scientométrie fondées sur un choix de mots-clés dans le titre des publications (Courtial, 1990). Les mots-clés retenus sont centrés autour du terme même « sociologie », soit les termes « sociologie », « sociologue » ou « sociologique », mais aussi des termes dérivés comme « anthropo-sociologie » ou « psycho-sociologie ». Nous avons aussi retenu les publications portant dans leur titre les expressions « science sociale », « sciences sociales », « physique sociale », « psychologie sociale » ou « physiologie sociale ». Le choix de ne pas retenir que les publications se réclamant explicitement du label « sociologie » (ou d’une expression dérivée) repose sur deux considérations. La première est l’existence, à l’époque, d’un champ lexical fluctuant autour des termes « sociologie » et « science sociale ». La seconde est que la comparaison entre ces différents titres permet de fournir les premiers éléments d’une évaluation quantitative de la « mode » du label « sociologie » proprement dit au regard d’autres expressions concurrentes. Dans la suite du texte, nous parlons de publications de « sociologie » ou « sociologiques » lorsque le titre de la publication comporte le terme « sociologie » (ou une expression connexe) et de publications de « science sociale » ou de « sciences sociales » lorsque le titre reprend l’une de ces expressions.
6 Cette méthode scientométrique de sélection par les titres des publications a des limites qu’il faut souligner d’emblée : par exemple, le titre de la thèse de Durkheim, De la division du travail social, ne comporte pas le terme « sociologie », de même que pour Organisme et société, la thèse de René Worms. Il s’agit d’une limite inhérente à la constitution de notre corpus, mais qui fait aussi – nous souhaitons insister sur ce point – son intérêt heuristique. Notre propos est d’évaluer l’existence d’une mode dans l’usage éditorial du label « sociologie », pour s’interroger ensuite sur les différentes inscriptions sociales et intellectuelles de cet usage. Ainsi, le choix du terme « sociologie » comme marqueur intellectuel du titre se justifie d’autant plus qu’il permet d’explorer la pluralité potentielle des usages du terme dans l’espace intellectuel et éditorial en sélectionnant l’ensemble de la production intellectuelle qui se présente comme « sociologie » à l’époque. Cette démarche relève donc d’une approche nominaliste autour des usages du terme sur la période considérée. Ce choix, dans le cadre d’une recherche fondée sur une méthode bibliométrique, réside alors dans un pari sur les résultats qu’une telle approche nominaliste peut entraîner. Il ne saurait être question de déterminer a priori quelles sont les publications « véritablement » sociologiques et celles qui ne le sont pas, ou celles qui mettent en œuvre une recherche sociologique se différenciant, par exemple, de la démarche d’autres sciences sociales. Notre travail se situe en amont de ces questions, légitimes pour l’histoire des sciences sociales en général et de la sociologie en particulier. En effet, c’est seulement une fois ce corpus constitué autour du label « sociologie » que l’on peut déterminer des principes de classification qui recoupent, ou non, des oppositions et des définitions construites à partir de l’état présent de la discipline.
La production éditoriale entre « sociologie », « science sociale » et « sciences sociales »
7 Notre stratégie de recherche permet de recenser 419 publications sur une période de quatre-vingt-cinq ans. La première paraît en 1841 et les dernières correspondent à la dernière année recensée par le Catalogue Lorenz, soit 1925. Géographiquement, ces publications se répartissent entre 366 publications éditées en France et 52 à l’étranger (dont 49 en Belgique) [8]. Un premier indice du succès du label « sociologie » réside dans la comparaison entre les publications françaises et belges. On constate que, sur 49 publications belges, 27 portent le titre de « sociologie » et 18 celui de « science sociale ». En revanche, sur les 366 publications françaises, 297 – soit 81 % – utilisent le label « sociologie », et seulement 40 – soit 11 % – celui de « science sociale ». Même si l’on peut supposer que le Catalogue Lorenz ne recense pas aussi précisément les publications éditées en France et celles éditées en Belgique, la tendance relevée permet d’affirmer que c’est bien en France que le terme « sociologie », comparativement à l’expression « science sociale », est devenu à la mode. Si l’on s’intéresse spécifiquement aux publications éditées en France, il apparaît que la concurrence entre les labels « sociologie » et « science sociale » tourne très clairement, d’un point de vue quantitatif, en faveur du premier, comme le montrent les Tableaux I et II ainsi que la Figure I ci-dessous.
Titre | « Sociologie » | « Science sociale » | « Sciences sociales » | Autres |
Publications | 297 | 40 | 21 | 8 |
Proportion (%) | 81,1 | 10,9 | 5,7 | 2,2 |

Publications françaises par titre et par période
Titre | « Sociologie » | « Science sociale » | « Sciences sociales » |
1841-1869 | 5 | 11 | 1 |
1870-1897 | 65 | 14 | 5 |
1898-1925 | 227 | 15 | 15 |
Total (1841-1925) | 297 | 40 | 21 |

Publications françaises par titre et par période
Les publications françaises de « sociologie », de « science sociale » et de « sciences sociales » entre 1840 et 1925 (effectifs cumulés)

Les publications françaises de « sociologie », de « science sociale » et de « sciences sociales » entre 1840 et 1925 (effectifs cumulés)
8 La Figure I montre que les publications se réclamant de la « sociologie » augmentent d’abord faiblement dans les années 1870-1880, et explosent littéralement dans les années 1890-1900 – alors que les publications ayant pour titre « science sociale » ou « sciences sociales » augmentent continûment, mais faiblement, sur l’ensemble de la période considérée. La Première Guerre mondiale marque un coup d’arrêt à cette production éditoriale « sociologique », qui reprend fortement au début des années 1920. Le moment 1900, celui des citations de Durkheim, Tarde et Worms, correspond bien, sur le plan quantitatif, à une explosion de la production éditoriale de « sociologie » au regard des décennies antérieures.
9 On peut affiner l’analyse en divisant la période en trois sous-périodes équivalentes (Tableau II). Sur la première période considérée, soit 1841-1869, on compte deux fois plus de publications de « science sociale » que de publications de « sociologie ». De plus, sur les cinq publications se réclamant de la « sociologie », quatre correspondent aux tomes du Système de politique positive ou Traité de sociologie instituant la religion de l’humanité d’Auguste Comte publiés entre 1851 et 1854 [9]. Les publications de « science sociale », au nombre de onze, se divisent principalement entre publications fouriéristes et publications catholiques [10]. La période suivante, soit 1870-1897, voit les publications de « sociologie » devenir très largement majoritaires au sein de notre corpus, avec 65 publications contre 14 seulement de « science sociale ». Le début de cette période correspond, selon l’historiographie, aux premières tentatives de développement de la nouvelle discipline, sur les plans à la fois institutionnel et intellectuel [11]. On peut remarquer que, dans les années 1870 et au début des années 1880, les publications recensées se réclament presque autant de la « sociologie » que de la « science sociale » [12]. Toutefois, la domination quantitative des publications de « sociologie », en comparaison avec les publications de « science sociale », s’accentue dans les décennies qui suivent, alors que l’institutionnalisation de la sociologie, à la fois dans le milieu académique et parmi les sociétés savantes, se met en place comme l’historiographie classique l’a souligné (Clark, 1973 ; Karady, 1974 ; Mucchielli, 1998). Sur la dernière période considérée, soit entre 1898 et 1925, l’écart entre « sociologie » et « science sociale » se creuse, avec plus de deux cents publications se réclamant de la « sociologie ».
10 Une première analyse, classique d’un point de vue historiographique, de cette domination du label « sociologie » au détriment de celui de « science sociale » renvoie à la concurrence entre les différents groupes cherchant à institutionnaliser la nouvelle discipline, et à la progressive prédominance de l’appellation privilégiée par Durkheim et son école au détriment de l’expression « science sociale », choisie, en particulier, par le groupe leplaysien. Cette prédominance correspondrait alors simplement à la victoire des durkheimiens – même s’il faut remarquer que Gabriel Tarde et René Worms utilisent aussi le néologisme comtien. Si les labels « sociologie » et « science sociale » sont considérés comme équivalents, le fait que les principaux « entrepreneurs » de la nouvelle discipline que sont les durkheimiens, mais aussi le réseau autour de René Worms imposent l’usage du premier terme entraîne sa diffusion généralisée. En témoigne le fait que certains ouvrages leplaysiens adoptent le label « sociologie » après 1900, comme Le travail sociologique de Pierre Méline, publié en 1908, de même que certains écrits fouriéristes qui se réclament désormais de la « sociologie », et non de la « science sociale », comme dans le cas du Dictionnaire de sociologie phalanstérienne d’Édouard Silberling, publié en 1911 [13]. Le label « sociologie » s’impose ainsi, à partir des années 1890, dans l’espace éditorial et intellectuel au regard de son concurrent principal qu’est le label « science sociale ».
Les publications « sociologiques » entre 1876 et 1915
11 La généralisation des usages du label « sociologie » parmi des auteurs variés semble confirmer l’existence d’une « mode » éditoriale. Reste toutefois à savoir plus précisément ce que recouvre cette explosion de publications se réclamant de la « sociologie ». À cette fin, nous avons choisi de nous concentrer sur la période 1876-1915, durant laquelle paraissent près de 80 % des publications « sociologiques » (Tableau III). Cette période plus restreinte est aussi définie en vertu des balises historiographiques classiques. La Première Guerre mondiale, qui marque un coup d’arrêt à la sociologie durkheimienne, constitue logiquement notre borne supérieure, tandis que la borne inférieure correspond à l’introduction de Spencer en France (Becquemont et Mucchielli, 1998) et aux premiers écrits d’auteurs importants en sociologie et en sciences sociales, comme Alfred Fouillée ou Alfred Espinas.
Publications portant seulement le titre « sociologie » entre 1851 et 1925Publications portant seulement le titre « sociologie » entre 1851 et 1925
Période | Publications | Proportion (%) |
1851-1875 | 6 | 2,0 |
1876-1915 | 237 | 79,8 |
1916-1925 | 54 | 18,2 |
Total | 297 | 100 |

Publications portant seulement le titre « sociologie » entre 1851 et 1925Publications portant seulement le titre « sociologie » entre 1851 et 1925
12 La période 1876-1915 constitue le moment central pour l’accroissement des publications portant le titre « sociologie », qui correspond à la naissance de la sociologie comme nouvelle discipline scientifique, comme l’a établi l’historiographie. Nos résultats bibliométriques confirment en première instance celle-ci. Toutefois, la production éditoriale recensée se répartit, comme le montre le Tableau IV, de manière très inégale sur les quarante ans. Des 237 publications recensées entre 1876 et 1915, 80 % sont publiées sur deux décennies, soit entre 1896 et 1915, avec des pics autour de 1900, 1904 et 1910 (Figure II). La « mode » dont parlent Durkheim et Tarde en 1897-1898 est bien contemporaine à leurs déclarations.
Les publications « sociologiques » entre 1876 et 1915 par décennie
Période | Publications | Proportion (%) |
1876-1885 | 12 | 5,1 |
1886-1895 | 33 | 13,9 |
1896-1905 | 101 | 42,6 |
1906-1915 | 91 | 38,4 |

Les publications « sociologiques » entre 1876 et 1915 par décennie
Les publications « sociologiques » entre 1876 et 1915

Les publications « sociologiques » entre 1876 et 1915
13 Un travail de bibliographie matérielle sur le corpus permet de procéder à des distinctions sur les différents types de publications de celui-ci. Il est constitué de 165 ouvrages, 27 ouvrages collectifs et 45 tirés à part de revues. Ces deux derniers types de publications appellent des précisions. Les ouvrages collectifs sont principalement formés par deux séries spécifiques : les Annales de l’Institut international de sociologie éditées par René Worms et L’Année sociologique d’Émile Durkheim [14]. Les tirés à part de revue sont, quant à eux, extraits, dans leur très grande majorité, de la Revue internationale de sociologie publiée par René Worms à partir de 1893 (42 sur 45) [15].
14 De plus, on doit distinguer les auteurs d’ouvrages et ceux de tirés à part. Ces derniers s’incluent dans la population plus large d’auteurs d’articles dans des revues, sociologiques ou non. Cette population a déjà été largement étudiée par les travaux classiques (Clark, 1973 ; Karady, 1974), qui ont insisté, en particulier, sur l’opposition entre les sociologues durkheimiens, majoritairement universitaires, et les sociologues wormsiens ou leplaysiens, issus et évoluant dans des milieux sociaux plus divers. Au regard de cet acquis historiographique, nous nous focalisons, dans la suite de cet article, sur les auteurs d’ouvrages « sociologiques » [16]. Si cette population recoupe en partie les auteurs d’articles ou de mémoires parus dans les revues sociologiques classiques considérées par l’historiographie, on peut considérer que la forme « livre » constitue un investissement intellectuel et matériel différent, ne répondant pas aux mêmes contraintes que la forme « article », plus encadrée par la ligne éditoriale de la revue. On peut faire l’hypothèse que l’auteur qui utilise le terme « sociologie » dans le titre d’un ouvrage dispose d’une plus grande marge de manœuvre quant au sens donné à l’usage de ce terme.
Les auteurs de publications « sociologiques » : première approche et discussion historiographique
15 En considérant le corpus restreint constitué par les ouvrages portant dans leur titre le terme « sociologie », soit 165 publications, on comptabilise 110 auteurs distincts (Tableau V). Une classification par nationalité et par productivité permet de dresser une première description de cette population. Les auteurs peu productifs (un unique ouvrage) représentent 75 % de l’ensemble et produisent la moitié des publications, les auteurs plus prolifiques comptant pour un quart de ceux-ci et rédigeant l’autre moitié. Sur le plan des origines nationales des auteurs, on compte 81 auteurs français à l’origine de 120 ouvrages. Les auteurs étrangers sont au nombre de 29 et produisent 45 ouvrages, soit un peu moins du tiers de la production. Les nationalités les plus représentées sont les Belges avec cinq auteurs, les Américains et les Suisses, avec quatre auteurs, puis les Allemands et les Italiens, avec trois auteurs.
Les auteurs entre 1876 et 1915Les auteurs entre 1876 et 1915
Nombre d’auteurs |
Auteurs d’une unique publication |
Auteurs de plusieurs publications | Publications | |
Auteurs français | 81 | 60 | 21 | 120 |
Auteurs étrangers | 29 | 23 | 6 | 45 |
Auteurs (total) | 110 | 83 | 27 | 165 |

Les auteurs entre 1876 et 1915Les auteurs entre 1876 et 1915
16 L’examen des auteurs les plus productifs (plus de trois ouvrages dans le corpus) souligne d’emblée le caractère original de cette population. Comme le montre le Tableau VI, même si l’on retrouve les noms d’Émile Durkheim, Gabriel Tarde ou Célestin Bouglé [17], des auteurs comme le juriste Raoul La Grasserie, l’ecclésiastique Louis Garriguet ou le militaire Paul Simon sont des acteurs largement inconnus de l’histoire de la sociologie française. Raoul La Grasserie, docteur en droit et juge au tribunal de Rennes, est ainsi l’auteur prolifique de huit ouvrages « sociologiques », une majorité dans la collection dirigée par René Worms et consacrée au droit (en particulier Les principes sociologiques du droit civil en 1906 et Les principes sociologiques du droit public en 1911), mais aussi d’un ouvrage de synthèse sur la sociologie, Essai d’une sociologie globale et synthétique, en 1904. L’abbé Louis Garriguet est l’auteur de sept Études de sociologie, publiées entre 1901 et 1905, alors qu’il est supérieur du grand séminaire d’Avignon, et qui sont autant d’exposés de la doctrine de l’Église catholique sur les questions économiques et sociales. Le capitaine d’artillerie Paul Simon, qui enseigne entre 1906 et 1908 un cours à l’École des hautes études sociales, publie un gros ouvrage, en 1905, intitulé L’instruction des officiers. L’éducation des troupes et la puissance nationale. Étude sociologique, couronné par l’Académie des sciences morales et politiques et réédité deux ans plus tard, et une brochure, en 1913, Le formalisme. Étude de sociologie. Enfin, notons que trois des quatre auteurs étrangers, Guillaume De Greef, Herbert Spencer et Ludwig Gumplowicz, sont des auteurs importants de leurs sociologies nationales respectives [18].
Les auteurs les plus productifs (plus de trois ouvrages)
Auteurs | Origine |
Nombre d’ouvrages dans le corpus | Date de publication du premier ouvrage |
Raoul La Grasserie | France | 8 | 1897 |
Louis Garriguet | France | 7 | 1901 |
Guillaume De Greef | Belgique | 6 | 1886 |
Herbert Spencer | Grande-Bretagne | 6 | 1878 |
Gabriel Tarde | France | 5 | 1890 |
Célestin Bouglé | France | 3 | 1899 |
Émile Durkheim | France | 3 | 1895 |
Alfred Fouillée | France | 3 | 1896 |
Ludwig Gumplowicz | Autriche-Hongrie | 3 | 1896 |
Jean-Marie Guyau | France | 3 | 1886 |
Paul Simon | France | 3 | 1905 |
Eugène de Roberty | Russie | 3 | 1880 |

Les auteurs les plus productifs (plus de trois ouvrages)
17 Cette population d’auteurs de publications « sociologiques » constitue en soi un objet d’étude original. Une première approche peut être de la confronter à deux thèses classiques sur la naissance de la sociologie en France (on se concentre dorénavant sur les auteurs français) : la domination progressive du groupe durkheimien et l’ancrage philosophique des premiers sociologues. Les principaux travaux sur la naissance de la sociologie française insistent sur le fait que la période qui précède la Première Guerre mondiale se caractérise par la domination progressive, bien qu’institutionnellement précaire, de la sociologie du groupe durkheimien, qui est même désigné sous le nom d’« École sociologique française » (Karady, 1979). On estime généralement que les adversaires de Durkheim sont en retrait après 1900 : Tarde décède en 1905 sans avoir formé d’école ou de disciples, Worms et ses organisations sont en perte de vitesse, lui-même étant discrédité sur le plan intellectuel dès 1898 (Mucchielli, 1998). L’école leplaysienne perd aussi progressivement de son influence (Savoye, 1981). Dans ce cadre, on pourrait faire l’hypothèse que l’accroissement des publications « sociologiques » avant 1914 est expliqué par la forte productivité des durkheimiens, et en particulier de la nouvelle génération qui collabore à L’Année sociologique après 1900. Pourtant, si l’on considère la population d’auteurs français, seuls 3 sur 81 contribuent à l’organe central du durkheimisme, L’Année sociologique, soit Émile Durkheim, Célestin Bouglé et Gaston Richard. Ce dernier constitue un cas spécifique du fait de son départ précoce du groupe durkheimien (Pickering, 1979, p. 168). La production de ces durkheimiens ne représente que 8 des 120 ouvrages publiés par des auteurs français, soit moins de 7 % [19]. De plus, cette proportion n’augmente pas spécifiquement après 1900, malgré le recrutement par Durkheim de nouveaux collaborateurs, souvent normaliens et agrégés de philosophie, qui s’ajoutent à l’équipe de L’Année (Besnard, 1979b). Notre corpus montre ainsi que l’on ne doit pas surestimer la place des durkheimiens dans les publications « sociologiques » du tournant du siècle, leur domination intellectuelle progressive ne se traduisant pas de manière quantitative dans l’espace de la production éditoriale se réclamant de la « sociologie ».
18 L’autre thèse classique est celle de la domination des philosophes dans la sociologie du tournant du siècle [20]. Si l’on étudie notre population au regard de ce critère [21], on ne trouve que 14 « philosophes » de formation ou de profession parmi les 81 auteurs français, soit un auteur sur six. À cet égard, il faut distinguer entre les ouvrages collectifs et les autres. Si, dans le cas des ouvrages collectifs, i.e. principalement L’Année sociologique et les Annales de l’Institut international de sociologie, l’inscription dans l’espace philosophique, par l’intermédiaire de Durkheim et de Worms, est bel et bien prééminente (25 ouvrages collectifs sur 27), en revanche, dans la production d’ouvrages, la part des philosophes est beaucoup plus restreinte : soit 23 ouvrages sur 120 (environ 19 %). De plus, l’augmentation générale de la production éditoriale sur la période entraîne une diminution du poids relatif des ouvrages « philosophiques » dans le corpus (d’un peu moins du quart sur la période 1886-1905 à environ 16 % pour la décennie suivante). Au total, près de 80 % des ouvrages, et les auteurs associés dans la même proportion, ne s’inscrivent pas directement dans l’espace philosophique.
19 Par ailleurs, l’étude de ces auteurs ne fait ressortir qu’une quinzaine de noms familiers aux historiens de la sociologie française, comme, par exemple – au-delà des Durkheim, Worms ou Tarde – les noms de Célestin Bouglé, d’Alfred Espinas ou d’Alfred Fouillée, dont les travaux et les trajectoires sont relativement connus. D’autres auteurs connus relèvent d’autres disciplines académiques, comme la philosophie avec Jean-Marie Guyau, qui publie trois ouvrages « sociologiques », dont L’irréligion. Étude de sociologie en 1886, l’anthropologie avec Charles Letourneau, qui publie en 1880 La sociologie d’après l’ethnographie, le « racialisme à la française » avec Georges Vacher de Lapouge, auteur en 1909 de Race et milieu social. Essais d’anthroposociologie. D’autres s’inscrivent plutôt dans des courants politiques et culturels de l’époque, comme le socialisme avec Augustin Hamon, qui publie en 1905 Socialisme et anarchisme. Études sociologiques, l’extrême droite anti-dreyfusarde avec Édouard Dubuc, auteur en 1907 de Socialisme et liberté. Étude sociologique, ou la littérature avec Paul Bourget, auteur en 1906 d’Études et portraits III. Sociologie et littérature. Ces quelques exemples suggèrent la diversité des mondes sociaux se croisant autour du label « sociologie » durant la période considérée. L’on peut d’ores et déjà faire l’hypothèse que ces auteurs investissent la « sociologie » de manière très différenciée et que l’usage même du terme renvoie à des intérêts sociaux, intellectuels, voire idéologiques, très variés.
20 À cela s’ajoutent plusieurs dizaines d’auteurs largement inconnus de l’historiographie. L’on peut mentionner, à titre d’exemples, le publiciste et ancien militaire Charles Mismer, auteur en 1882 de Principes sociologiques, réédités en 1898, le docteur en droit et notable du Châtillonnais Jean Lagorgette, qui publie en 1906 Le rôle de la guerre. Étude de sociologie générale, le postier Victor Miret, auteur en 1888 d’une brochure intitulée Essai sur la sociologie, à propos de la protestation des employés des postes, des télégraphes et des chemins de fer, l’administrateur colonial Paul Giran, auteur en 1913 de l’ouvrage De l’éducation des races. Étude de sociologie coloniale, le vicomte et ingénieur des mines Combes de Lestrade, auteur en 1889 d’Éléments de sociologie, réédité en 1895, le député républicain J.-G. Bouctot, qui publie en 1890 une Étude de sociologie. Histoire du communisme et du socialisme, ou l’ingénieur des Arts et manufactures Henry Lagrésille, auteur en 1899 de Vues contemporaines de sociologie et de morale. Ces individus partagent tous le fait d’avoir publié, entre 1876 et 1915, au moins un ouvrage portant dans son titre le terme « sociologie ». Comme précédemment, on constate, chez ces auteurs, une grande diversité de positions sociales et professionnelles ainsi qu’une grande diversité des thématiques des ouvrages.
Production éditoriale « sociologique » et mouvement scientifique et intellectuel autour des sciences sociales
21 Reste à déterminer une approche pertinente pour l’étude d’un tel corpus et de la « mode » sociologique qui lui est associée qui ne se perde ni dans un exposé bio-bibliographique fastidieux, ni dans une sélection des « grands textes » au détriment des publications mineures. À cette fin, notre analyse s’articule autour de deux hypothèses principales et cherche à associer étude de l’engagement, intellectuel et institutionnel, des auteurs dans les sciences sociales naissantes et celle des usages du label « sociologie ».
Deux hypothèses
22 L’hypothèse « forte » que l’on peut proposer est que le label « sociologique » est utilisé dans une acception savante et que ces publications s’inscrivent, dans leur ensemble, dans la légitimation d’une nouvelle discipline scientifique, la sociologie, alors en voie d’institutionnalisation et de reconnaissance savante. La « mode » éditoriale constatée plus tôt rassemblerait des auteurs aux caractéristiques sociales hétérogènes, mais visant, de manière différenciée, la constitution progressive d’une nouvelle discipline, définie largement comme une démarche de connaissance scientifique du monde social ou comme une science de la société ou des faits sociaux. Il ne serait guère utile de juger, par des critères présentistes, de la validité de cette prétention scientifique dans les différentes publications considérées. Il s’agit plutôt d’expliquer l’usage démultiplié du terme « sociologie » par la volonté des auteurs de participer au mouvement scientifique et intellectuel fin de siècle autour des sciences sociales – participation à établir empiriquement par l’étude des positions sociales des auteurs, de leurs investissements institutionnels et intellectuels, ou de leurs sociabilités savantes.
23 La seconde hypothèse repose, au contraire, sur l’idée que l’on ne peut étudier les usages du label « sociologie » autour de 1900 sans s’interroger sur des usages extra-savants. Cette possibilité encore inexploitée dans l’historiographie peut être envisagée au regard des déclarations citées en introduction, mais aussi d’éléments issus de l’histoire de la sociologie dans d’autres pays (pour les États-Unis, voir Turner et Turner, 1990, p. 12). On peut ainsi supposer que, en l’absence de barrière à l’entrée du fait de la faible autonomie de la sociologie comme nouvelle discipline et de la reconnaissance savante partielle de celle-ci, le label « sociologie » est utilisé dans l’espace de la production culturelle et intellectuelle de manière plurielle. La « sociologie » serait une étiquette ou un label dont l’appropriation intellectuelle renverrait à des logiques sociales et intellectuelles qui ne relèveraient pas exclusivement du monde savant, mais s’inscriraient aussi dans des logiques politiques, idéologiques, voire littéraires et culturelles. En ce cas, le développement de la production éditoriale se réclamant de la « sociologie » durant cette période s’expliquerait aussi par l’absence d’un monopole savant sur l’usage du terme et par des usages extra-savants.
L’investissement intellectuel et institutionnel dans les sciences sociales naissantes
24 Dans le cadre de notre première hypothèse, il s’agit de savoir si les auteurs usant du label « sociologie » sont, et, le cas échéant, sous quelle forme, en relation avec le mouvement scientifique et intellectuel fin de siècle autour des sciences sociales aux frontières mal délimitées et en constitution – nous nous limitons ici aux auteurs français [22]. Nous avons constitué trois principaux indicateurs pour évaluer cet investissement. L’insertion dans le monde des institutions d’enseignement et de recherche défini au sens large et qui se consacrent, au moins partiellement, aux sciences sociales constitue un premier indicateur d’investissement en sciences sociales. On a ainsi, pour chacun des auteurs, examiné sa participation à des enseignements de sociologie ou de sciences sociales dispensés dans les Facultés de lettres et de droit, mais aussi dans d’autres institutions, comme le Collège de France, l’École libre des sciences politiques, le Collège libre des sciences sociales, l’École des hautes études sociales, l’École d’anthropologie de Paris ou les enseignement dispensés dans le cadre des organisations leplaysiennes [23].
25 Le deuxième indicateur de l’investissement en sciences sociales a été déterminé par l’étude d’un autre sous-espace de l’espace institutionnel des sciences sociales naissantes, celui des sociétés savantes, dont on connaît le rôle pour le développement des sciences (Fox, 1980). La sociologie et les autres sciences sociales se sont aussi développées à l’aune de nouvelles sociétés savantes largement créées dans la seconde moitié du XIXe siècle. Par conséquent, on a considéré, parmi nos auteurs, l’adhésion à des sociétés savantes ou à des institutions directement consacrées à la sociologie, comme l’Institut international de sociologie ou la Société de sociologie de Paris créées par René Worms, respectivement en 1893 et 1895 (Geiger, 1981 ; Mosbah-Natanson, 2008). Mais l’on a aussi examiné des sociétés savantes et institutions centrées sur d’autres sciences sociales, comme la Société d’économie politique, la Société de statistique de Paris, le Conseil supérieur de la statistique, l’Académie des sciences morales et politiques, ou encore la Société d’anthropologie de Paris [24].
26 Le troisième indicateur de l’investissement des auteurs dans les sciences sociales est constitué par les différentes formes de publications en sciences sociales produites par ces auteurs, en plus de l’ouvrage « sociologique » recensé par le Catalogue Lorenz. En premier lieu, on a examiné, pour chacun des auteurs, les éventuels autres ouvrages dans le domaine des sciences sociales, de l’histoire et de la philosophie. Nous avons aussi considéré les publications dans les revues de sciences sociales de l’époque, revues de sociologie évidemment (on a retenu les cinq revues privilégiées par Karady, 1974) [25], mais aussi d’économie comme la Revue d’économie politique, d’histoire, d’anthropologie, de philosophie (en particulier la Revue de métaphysique et de morale), ainsi que les revues positivistes comme La philosophie positive.
27 À l’aide de ces indicateurs, on a construit trois catégories d’auteurs. La première regroupe les auteurs fortement ou intensément investis en sociologie. Les critères retenus sont les suivants : enseignement spécifique de la sociologie dans une institution d’enseignement supérieur – c’est-à-dire enseignement d’un cours intitulé « sociologie » dans une institution d’enseignement supérieur, publique ou privée –, publication dans une revue se réclamant explicitement de la sociologie ou considérée comme sociologique par l’historiographie (Karady, 1974), publication de plusieurs ouvrages se réclamant de la « sociologie » (ou de la « science sociale ») recensés par le Catalogue Lorenz, adhésion à une société savante sociologique (en l’occurrence à la Société de sociologie de Paris ou à l’Institut international de sociologie). Si l’un des auteurs, en plus d’être celui d’un ouvrage « sociologique » au sein de notre corpus, remplit au moins une de ces conditions, il est classé comme « auteur investi en sociologie ».
28 La deuxième catégorie concerne les auteurs produisant des travaux relevant d’autres sciences sociales que la sociologie, enseignant ces disciplines ou adhérant à des sociétés savantes de sciences sociales comme la Société d’économie politique ou la Société d’anthropologie de Paris. Ces producteurs sont moins impliqués dans le développement de la sociologie que dans les sciences sociales de manière plus large et sont classés comme « auteurs investis en sciences sociales ». La dernière catégorie, celle des auteurs non investis en sociologie ou en sciences sociales, regroupe l’ensemble des auteurs pour lesquels aucun des indicateurs construits n’a permis de déceler un engagement institutionnel ou intellectuel envers ces disciplines.
Investissement en sociologie et en sciences sociales [26]
Auteurs investis en sociologie |
Auteurs investis en sciences sociales |
Auteurs non investis | Total Auteurs | |
Nombre d’auteurs | 43 (53,1 %) | 11 (13,6 %) | 27 (33,3 %) | 81 |
Publications | 82 (68,3 %) | 11 (9,2 %) | 27 (22,5 %) | 120 |

Investissement en sociologie et en sciences sociales [26]
Investissement en sociologie et sciences sociales par période
1876-1885 | 1886-1895 | 1896-1905 | 1906-1915 | 1876-1915 | |
Ouvrages par auteurs investis en sociologie | 5 | 14 | 30 | 33 | 82 |
Ouvrages par auteurs investis en sciences sociales | 0 | 0 | 8 | 3 | 11 |
Ouvrages par auteurs non investis | 2 | 7 | 3 | 15 | 27 |

Investissement en sociologie et sciences sociales par période
29 Ainsi, sur 81 auteurs français, 43 sont investis en sociologie, et 11 dans les sciences sociales, soit les deux tiers des auteurs, si l’on agrège les deux catégories. Du point de vue de la production, la part de ces auteurs est plus importante encore. Les auteurs investis en sociologie sont à l’origine de près de 70 % des ouvrages et, si l’on ajoute les auteurs investis en sciences sociales, on atteint près de 80 % de ces publications (Tableau VII). La très grande majorité des ouvrages de notre corpus sont donc le fait d’auteurs investis dans les sciences sociales et la sociologie soit par leur production intellectuelle, soit par leur sociabilité savante et académique. Un tel résultat indique une homologie forte entre la production recensée et le mouvement scientifique et intellectuel autour de la sociologie et des sciences sociales.
30 Se pose cependant la question des autres auteurs, ceux qui ne sont investis ni en sociologie ni en sciences sociales. Ceux-ci représentent un tiers de l’ensemble des producteurs et sont à l’origine d’un cinquième de la production. De plus, la proportion des publications de ces auteurs ne régresse pas sur la période considérée. Cette part est importante (environ un tiers) dans les années 1880 et au début des années 1890 – ce qui peut s’expliquer par le faible développement scientifique et académique de la nouvelle discipline –, elle régresse ensuite au tournant du siècle (3 des 41 ouvrages publiés entre 1896 et 1905 – Tableau VIII). Toutefois, les publications de ces auteurs non investis augmentent dans la décennie qui précède la Première Guerre mondiale, à la fois en volume et en proportion, avec 15 ouvrages sur 51, soit près de 30 %. Même si l’on raisonne sur des quantités relativement restreintes, ces oscillations, et la dernière en particulier, invitent à s’interroger sur cette « mode » et surtout sur la signification de l’usage du label « sociologie » par des auteurs extérieurs au mouvement scientifique et intellectuel autour des nouvelles disciplines.
31 En reprenant les deux hypothèses énoncées plus haut, il semble donc qu’elles s’articulent plus qu’elles ne s’opposent. D’une part, en termes de production éditoriale, l’on constate que la très grande majorité (80 %) de celle-ci ressort d’auteurs investis dans le mouvement scientifique autour de la sociologie et des sciences sociales. D’autre part, un nombre non négligeable de ces auteurs, soit environ un tiers, ne s’inscrit pas dans un tel mouvement. Il est alors nécessaire de pousser l’investigation plus avant en examinant les usages du label « sociologie » par ces différents groupes d’auteurs.
Les auteurs investis en sociologie et en sciences sociales
32 Le premier pôle d’auteurs investis en sociologie regroupe un peu plus de la moitié des auteurs de notre corpus (43 sur 81). Dans cette catégorie, on retrouve évidemment des sociologues de l’époque reconnus comme Célestin Bouglé, Émile Durkheim, Gabriel Tarde ou René Worms, dont les activités intellectuelles en faveur de la nouvelle discipline sont nombreuses (publications, enseignement, revues, etc.). De manière relativement attendue, notre corpus d’ouvrages et d’auteurs recouvre les acquis de l’historiographie en mettant en avant les principaux sociologues que l’histoire de la sociologie a retenus. D’autres auteurs, moins connus mais dont l’historiographie a toutefois souligné le rôle intellectuel ou institutionnel, sont aussi à signaler [27]. Ajoutons que cette catégorie comprend aussi des auteurs largement méconnus par l’historiographie [28].
33 L’ensemble de ces auteurs investis en sociologie a contribué au débat autour de la sociologie comme nouvelle discipline scientifique, ainsi qu’à sa diffusion dans l’espace intellectuel à la fois en termes de production éditoriale et d’activités savantes et d’enseignement. Il faut noter que, pour ces auteurs, la « sociologie » renvoie bien, malgré des différences de définition, au développement et à la constitution d’une nouvelle science ayant pour objet la connaissance scientifique du monde social, de la société ou des faits sociaux, sachant que cette connaissance peut être plus ou moins articulée à un projet de réforme sociale et d’amélioration de la société.
Exemples de définition de la sociologie issus du corpus
« Il y a deux ordres de faits historiques : les uns corrélatifs entre eux et avec le progrès de la population ; les autres sans filiation régulière ni corrélation exacte avec l’état social, parce qu’ils sont dus à l’originalité primesautière des grandes personnalités. Ces deux ordres de fait forment la matière de deux sciences, qu’il est, à mon avis, avantageux de laisser distinctes. Les premiers faits, afférents au gouvernement, à la production, à la croyance et à la solidarité sociale, se développent et s’harmonisent suivant des lois que la sociologie a pour objet de décrire. Les seconds, dont la progression n’est ni continue ni régulière, et qu’on ne peut jamais restreindre à une seule race ou à une seule nation, forment un ordre intellectuel (philosophie et science pure, morale, esthétique) qui est du ressort de l’idéologie. » (Coste, 1899, pp. 235-236).
« À nos yeux, la Sociologie n’est autre chose que la Psychologie sociale. Et nous entendons par Psychologie sociale la science qui étudie la mentalité des unités rapprochées par la vie sociale. Nous n’éprouverons aucun scrupule si l’on nous objecte que cette définition ramène au fond la Psychologie sociale et par suite la Sociologie elle-même à la Psychologie individuelle. À nos yeux, c’est à cette dernière qu’il faut toujours revenir. » (Palante, 1901, p. 3).
« La sociologie a pour objet l’étude positive de l’organisation et de l’évolution des sociétés humaines en vue de mieux diriger notre intervention modificatrice. Connaître pour améliorer est une devise qui doit s’appliquer à toutes nos recherches, mais d’une façon encore plus directe aux recherches sociologiques et morales. » (Monier, 1904, p. 17).
34 L’on doit ensuite se demander si l’on peut dégager, à partir de ces publications, les différentes formes intellectuelles de l’investissement en sociologie. Quatre formes principales sont identifiables : l’héritage positiviste, la recherche de fondements théoriques ou épistémologiques pour la sociologie, l’application de la sociologie à un domaine ou à un objet spécifique, et la « sociologie catholique » [29].
35 La première forme de l’investissement sociologique par des auteurs comme Émile Littré, Léopold Bresson, Charles Mismer ou Émile Rigolage renvoie à la continuation de l’héritage positiviste et comtien. Ces auteurs, aux caractéristiques sociales relativement hétérogènes, se singularisent par leur adhésion, plus ou moins forte, à la pensée d’Auguste Comte et à sa conception de la sociologie. La plupart de leurs ouvrages se situent dans la continuité de celle-ci, oscillant entre la forme du résumé, comme dans le cas de La sociologie par Auguste Comte. Résumé d’Émile Rigolage, publié en 1897, ou du Système de politique positive ou Traité de sociologie d’Auguste Comte condensé par Christian Cherfils, publié par ce dernier en 1912, et les essais d’inspiration positiviste comme ceux de Léopold Bresson déjà cités. Ainsi, Charles Mismer, ancien militaire né en 1832 et converti en publiciste positiviste, publie en 1882 des Principes de sociologie (réédité en 1898) dont l’avant-propos exprime très explicitement l’ancrage positiviste : « Ce livre a pour but d’établir des principes de sociologie, fondés en nature, d’accord avec la science et l’expérience, en remplacement des principes théologiques et métaphysiques. Mais avant de traiter des questions d’avenir, il est toujours nécessaire d’inventorier le présent ; c’est là que se trouvent, attenantes au passé, les données positives des graves problèmes pour lesquels notre siècle réclame d’urgence une solution. À part l’intérêt qu’elle peut offrir aux penseurs, une pareille étude permet de convier à de sérieuses réflexions les hommes trop nombreux, même parmi ceux qui ont la prétention de gouverner leurs semblables, dont l’existence au jour le jour n’est qu’un tissu de mécomptes et de surprises, parce qu’elle se passe dans l’ignorance des questions fondamentales où s’alimente la prévision. » (1882, pp. V-VI).
36 Cette vision comtiste de la sociologie est toutefois largement minoritaire au regard du nombre conséquent d’auteurs de notre corpus qui souhaitent dépasser celle-ci et lui donner un nouveau fondement intellectuel dans les années 1890-1900. Il s’agit là du deuxième sens de la référence à la sociologie parmi les auteurs investis en sociologie : poser les bases épistémologiques, théoriques, méthodologiques de la nouvelle discipline est l’objectif de ces différents auteurs. C’est évidemment le cas des Règles de la méthode sociologique de Durkheim ou des Lois de l’imitation. Étude sociologique de Tarde. Ces ouvrages peuvent soit proposer une orientation spécifique pour la sociologie, comme dans les cas précédents, soit développer une vue synthétique de la nouvelle discipline, en particulier chez des auteurs se proposant de faire la synthèse des tendances récentes. Ainsi, le journaliste et économiste Adolphe Coste publie, en 1899, des Principes d’une sociologie objective, Gaston Richard publie en 1903 des Notions élémentaires de sociologie et une dizaine d’années plus tard Sociologie générale et lois sociologiques. Paul Caullet, docteur en droit et fonctionnaire de police, publie en 1913 un ouvrage intitulé Éléments de sociologie. La science et l’art, lois et hypothèses, systèmes et utopies. L’auteur prolifique Raoul La Grasserie publie, quant à lui, en 1904, un Essai de sociologie globale et synthétique, où il écrit en introduction : « Nous avons essayé dans le présent livre, ce qui, à notre connaissance, n’a pas encore été tenté, de tracer le cadre complet de la sociologie, du moins, de la sociologie générale, et autant que possible, de le remplir ; non pas cependant que nous espérions avoir atteint tout notre but, le sujet est pour cela bien trop vaste et la sociologie, qu’on ne doit plus, il est vrai, qualifier de science en formation, n’est cependant pas encore une science parfaitement intégrée. Malgré ces grands obstacles, nous avons pensé qu’il était temps de réunir en un tout les éléments de cette discipline, de les coordonner, de les subordonner, de ne plus écrire seulement sur la sociologie ou sur la société, mais d’écrire la sociologie elle-même. […]. La sociologie comprend deux sciences distinctes : celle, générale, globale et synthétique, qui contient l’observation de la société en son ensemble avec les comparaisons et les inductions qui en découlent, et les sciences partiaires et analytiques contenant l’observation successive et séparée de chacun des aspects divers de la société : l’aspect économique, par exemple, l’aspect génétique, l’aspect linguistique, l’aspect criminologique, l’aspect civilogique, l’aspect esthétique. La première, la sociologie globale, fait seule l’objet du présent livre ; les sociologies économiques, juridiques, etc. en sont exclues. » (1904, pp. 1-2).
37 Une troisième forme de l’investissement intellectuel sociologique peut être identifiée : l’analyse sociologique d’un fait ou d’un domaine social spécifique. Dans ce groupe des auteurs investis en sociologie, on trouve des études spécialisées qui confrontent la discipline naissante à une autre discipline, comme l’économie politique, le droit ou la morale. Le droit fait ainsi l’objet de plusieurs publications, comme les ouvrages de Raoul La Grasserie déjà évoqués, mais aussi Le droit et la sociologie par Raoul Brugeilles, docteur en droit et magistrat, tout comme l’économie, avec les ouvrages de René Maunier (L’économie politique et la sociologie) et d’Arthur Bochard (Les lois de la sociologie économique). Des ouvrages sont aussi consacrés à des auteurs dont on étudie la dimension sociologique des écrits (Sociologie de Proudhon de Célestin Bouglé [30] ou Taine historien et sociologue par Paul Lacombe). D’autres ouvrages proposent de s’inspirer de la nouvelle discipline pour étudier un phénomène social donné (le suicide évidemment, mais aussi la guerre, le progrès ou la technologie) [31]. En étudiant les officiers dans son ouvrage L’instruction des officiers. L’éducation des troupes et la puissance nationale. Étude sociologique, publié en 1905, le capitaine Paul Simon se propose même de réfléchir à ce que serait une « sociologie militaire », comme le montre l’extrait suivant : « Connaître les lois qui régissent les organismes et organes sociaux, c’est donc connaître les lois générales qui régissent l’armée. La science militaire n’est qu’un prolongement, une branche de la sociologie. Elle a nécessairement pour base la sociologie et comprend naturellement les mêmes subdivisions logiques. Or, un traité de science sociale comporterait normalement les grandes divisions suivantes : détermination des facteurs de la puissance des nations (population, ressources économiques, énergie, organisation, science et moralité), genèse de ces divers facteurs. Nous placerons nos divers chapitres dans ce même ordre ; nous étudierons successivement : 1o Quels sont les facteurs de la puissance militaire des nations ; 2o Comment se développe l’énergie ; 3o Quels sont les principes généraux qui doivent présider à l’organisation des armées ; 4o Comment peut être constituée la science militaire et en particulier la science tactique ; 5o Qu’est-ce que la discipline, ou moralité militaire, et comment on la développe par l’éducation. Nous terminerons en examinant comment l’officier peut développer la valeur sociale de ses subordonnés. Ainsi groupés, nos chapitres, tout en démontrant la vérité de notre thèse, constitueront l’ébauche – informe et sommaire, il est vrai – d’un traité de sociologie militaire, et acquerront par le fait un peu plus d’intérêt. » (1905, p. 80).
38 La littérature catholique sur la société, dont une partie se présente sous le label de « sociologie catholique », constitue la dernière tendance d’importance que l’on peut identifier [32]. Il faut noter que, du point de vue de notre typologie, cette production intellectuelle est le fait d’auteurs investis en sociologie ou en sciences sociales, et même d’auteurs non investis. Ainsi, certains publient plusieurs ouvrages qui se réclament de la « sociologie », comme le père Louis Garriguet ou le jésuite Julien Fontaine. Pour d’autres, cette appellation de « sociologie » n’est pas dominante dans leur production intellectuelle, comme dans le cas de l’abbé Paul Naudet, qui publie en 1899 les Premiers principes de sociologie catholique, mais qui enseigne la « Doctrine sociale de l’Église » au Collège libre des sciences sociales. Pour ces auteurs, la référence à la sociologie renvoie d’abord aux principes sociaux défendus par l’Église catholique [33]. Toutefois, un certain nombre d’auteurs catholiques opposent la « sociologie scientifique » – qu’ils connaissent car ils citent Durkheim ou Fouillée – à la « sociologie catholique », la première qualifiée de « matérialiste » et « déterministe » tandis que « la sociologie, qui sort naturellement de la doctrine catholique, est plus élevée et plus noble, parce que cette doctrine […] donne une autre idée de la nature et de l’origine des êtres, ainsi que de leurs relations réciproques » (Fontaine, 1909, p. 145) [34].
39 La seconde catégorie d’auteurs, ceux investis en sciences sociales, et non directement en sociologie, en regroupe une dizaine, et autant de publications. Il s’agit d’auteurs dont l’œuvre intellectuelle ressort principalement de la philosophie ou de l’ethnographie. Ainsi, le philosophe individualiste d’inspiration nietzschéenne Georges Palante publie, en 1901, un Précis de sociologie dans lequel il souhaite exposer les principales thèses en cours sur la nouvelle discipline. L’ingénieur Henry Lagrésille, ingénieur des Arts et manufactures, auteur d’ouvrages de philosophie [35], publie des Vues contemporaines de morale et de sociologie en 1899, où seul un chapitre sur six est consacré à la sociologie. En ce qui concerne les ethnographes, on peut mentionner Ernest-Théodore Hamy, professeur d’anthropologie au Muséum d’histoire naturelle de Paris, qui publie principalement des travaux ethnographiques et, en 1906, un ouvrage intitulé La vie rurale au XVIIIe siècle dans le pays reconquis. Étude de sociologie et d’ethnographie. L’administrateur colonial Paul Giran, publie, quant à lui, un ouvrage intitulé De l’éducation des races. Étude de sociologie coloniale, en 1913, où il cite Durkheim, Letourneau et Lebon, après avoir publié des travaux d’ethnographie religieuse consacrés à l’Indochine. Pour ces auteurs, dont les disciplines de prédilection sont proches, intellectuellement et institutionnellement, de la sociologie naissante, leur production se réclamant de celle-ci – même si, généralement, ils connaissent et citent les sociologues majeurs de l’époque – s’inscrit dans une production intellectuelle plus vaste. Leurs publications « sociologiques » constituent ainsi l’indication d’une « mode » intellectuelle autour de la nouvelle discipline, au sens où celle-ci attire ponctuellement des auteurs se consacrant généralement à d’autres sujets.
Des usages extra-savants du label « sociologie »
40 Enfin, la dernière catégorie rassemble les producteurs pour lesquels on n’a pu déterminer ni sociabilité savante, ni production intellectuelle liée aux sciences sociales. Les résultats précédents ont permis d’identifier 27 auteurs et autant de publications qui se caractérisent par cette absence apparente d’investissement savant. La grande majorité de ces publications ne ressort pas à la littérature savante [36], aussi bien au niveau du contenu que de la trajectoire intellectuelle de l’auteur, mais à la littérature politique (Olivera, 2003). Parmi ces publications dominent celles qui promeuvent l’idéologie socialiste dans ses différentes formes. C’est le cas de l’ouvrage publié en 1885 par Joseph Perrot, Notions de sociologie et de morale. Solution du problème social, qui est une défense de la doctrine proudhonienne. D’autres ouvrages exposent la doctrine fouriériste, comme le Dictionnaire de sociologie phalanstérienne d’Édouard Silberling ou Charles Fourier et la sociologie sociétaire de Jean-Adolphe Alhaiza, tous deux publiés en 1911. Certains ouvrages sont aussi des défenses de l’option collectiviste ou mutualiste, le premier cas étant représenté par l’Esquisse d’une société collectiviste. Étude sociologique d’Édouard Héberlin-Darcy, qui paraît en 1911, le second par L’individu. Essai de sociologie d’Émile Thirion, paru en 1894.
41 D’autres ouvrages de notre corpus défendent des options politiques se situant à l’autre bout de l’échiquier politique [37]. Certains se présentent sous forme de récit de la politique française du XIXe siècle aboutissant à la justification du bonapartisme ou d’un gouvernement autoritaire, comme celui de Félix Margarita publié en 1905, La souveraineté nationale depuis 1789. Série d’études d’histoire et de sociologie. L’écrivain Paul Bourget, dans son ouvrage publié en 1905, Études et portraits. Sociologie et littérature, dresse le portrait élogieux de penseurs politiques conservateurs comme Bonald ou Barrès. François Liebed, dans un court ouvrage de 1907 intitulé Pour s’initier aux réalités de la vie sociale. Abrégé pratique et facile de sociologie, pourfend l’égalitarisme démocratique en usant d’arguments issus du darwinisme social. Le même schéma se retrouve dans l’ouvrage d’Édouard Dubuc, Socialisme et liberté. Étude sociologique, publié en 1907 et préfacé par Maurice Barrès, où l’auteur, conseiller municipal de Paris en 1900, y défend un nationalisme antisémite (Sternhell, 2000).
42 Toutefois, parmi les publications « sociologiques » considérées dans cette section, d’autres ne se laissent pas classer à partir d’une orientation politique. Un poète lyonnais, Henri Loison, publie ainsi, en 1912, un ouvrage intituléConcision. Poésie, sociologie, qui regroupe des poèmes et de courtes chroniques sur la vie sociale. Un ouvrage intitulé Sociologie absolue. Les principes, les lois, les faits, la politique et l’autorité par Hélion (vraisemblablement un pseudonyme) propose, en 1894, des considérations sur « l’Absolu » ou la « Destinée » sans doute d’inspiration maçonnique.
43 Ces exemples suggèrent deux usages principaux de la référence à la « sociologie » chez ces auteurs. En premier lieu, l’on peut dégager un usage relevant d’une rhétorique savante : la sociologie est la science légitimant les options politiques défendues, qu’elles soient conservatrices et réactionnaires ou socialistes. Ainsi, par exemple, Édouard Dubuc invoque la science et, entre autres, la sociologie pour justifier les inégalités de race, reprenant la vulgate de la pensée sociale d’inspiration biologique (Guillo, 2003, p. 373). Chez cet auteur, comme chez François Liebed ou Paul Bourget, la référence à la sociologie se fait sans aucune citation des sociologues reconnus de la période. Dans le cas des productions socialistes, cette référence se fait de manière explicite à partir d’une association très étroite entre sociologie et socialisme, en particulier dans le cas des publications fouriéristes (Mercklé, 2006). On retrouve ce que Christophe Prochasson a appelé « la gémellité du socialisme et de la science sociale » (1997, p. 81).
44 Le second usage, que l’on trouve aussi bien dans les publications d’orientation conservatrice que dans certaines publications socialistes ou collectivistes, est ce que l’on pourrait qualifier d’usage faible du label « sociologie ». Il s’agit d’ouvrages se réclamant de la « sociologie » dans leur titre – d’où leur présence dans notre corpus –, mais dans lesquels il n’est fait aucune référence à la sociologie comme science de la société ou des faits sociaux. C’est le cas, par exemple, de l’Esquisse d’une société collectiviste. Étude sociologique d’Édouard Héberlin-Darcy ou de L’individu. Essai de sociologie d’Émile Thirion. L’ouvrage d’Henri Loison, Concision. Poésie, sociologie, s’inscrit dans le même schéma. Cet usage faible signifie alors que le terme « sociologie » est utilisé de manière à désigner de façon générale des idées sociales ou politiques sans s’inscrire dans une démarche scientifique.
45 Ces publications principalement idéologiques ne forment qu’une part restreinte de notre corpus et leur usage du label « sociologie » s’est effectué en dehors de l’espace savant et sans interaction avec lui. Il a toutefois pu constituer, comme en témoignent les déclarations de sociologues présentées en introduction, un moment de l’histoire de la production éditoriale se réclamant de la « sociologie » et a pu contribuer, durant cette période, à la perception d’une « mode » perturbant, selon certains, le développement intellectuel et institutionnel de la nouvelle discipline, comme en témoigne cette déclaration de Célestin Bouglé : « dès cette époque, la malheureuse “sociologie” commençait à se galvauder : son pavillon couvrait les marchandises les plus avariées, les viandes les plus creuses… » (1907, p. 338).
46 À partir de citations originales de Durkheim et Tarde sur la « mode » sociologique, nous avons envisagé la sociologie d’abord comme un fait éditorial, en prenant comme indicateur les publications se réclamant, dans leur titre, de celle-ci. La constitution d’un corpus pertinent sur une période longue, de 1841 à 1925, a permis à la fois de faire ressortir une explosion éditoriale du titre « sociologie » autour de 1900, mais aussi d’identifier des auteurs et des publications ignorés par l’historiographie. De plus, en confrontant ces auteurs et ces publications aux thèses classiques sur la naissance de la sociologie française, nous avons pu montrer certaines limites de celles-ci. Nous avons alors pu envisager d’autres axes d’analyse pour interpréter le fait éditorial « sociologique », en insistant en premier lieu sur l’insertion des auteurs dans l’espace institutionnellement et intellectuellement différencié de la nouvelle discipline et des sciences sociales. Enfin, nous avons mis en lumière les usages extra-savants, souvent à connotation idéologique, de la référence à la « sociologie » pour une partie mineure, mais non négligeable, du corpus étudié. La « mode » sociologique consiste ainsi, sur le plan éditorial, en l’articulation entre un mouvement scientifique et intellectuel autour de la sociologie et des sciences sociales – mouvement qui attire, durablement ou ponctuellement, des auteurs aux trajectoires sociales et intellectuelles très variées –, et des usages extra-savants idéologiquement marqués permis par l’absence d’un monopole scientifique sur le label « sociologie ».
47 La méthode bibliométrique employée a permis de produire des résultats originaux sur les usages du label « sociologie » autour de 1900 en France. Cette méthode, en ne préjugeant pas des contours de l’objet, met en lumière la porosité des frontières entre science, culture et politique à la fin du XIXe siècle. Les analyses proposées ici ouvrent de nouvelles pistes de recherche sur cette période de l’histoire sociale et intellectuelle des sciences sociales. De nouveaux objets, comme une population d’auteurs aux investissements cognitifs et institutionnels différenciés, ou bien des usages politiques et rhétoriques de la référence à la « sociologie », nécessiteraient des explorations plus poussées. L’émergence de la sociologie comme discipline scientifique et universitaire légitime doit être replacée dans un contexte social et culturel plus large où, en l’absence de monopole scientifique sur l’usage même du label « sociologie », des appropriations idéologiques marquées peuvent côtoyer les usages savants. En considérant, dans une perspective somme toute durkheimienne, la « sociologie » comme un fait social, ici dans sa dimension éditoriale, notre recherche ouvre de nouvelles pistes pour explorer une histoire culturelle des premiers usages du terme « sociologie ».
Notes
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[*]
Le présent article a pu être réalisé dans le cadre d’un séjour postdoctoral au Centre interuniversitaire de recherche sur la science et la technologie (CIRST) de l’université du Québec à Montréal et grâce au soutien de la Chaire de recherche du Canada en histoire et sociologie des sciences. L’auteur tient à remercier, en particulier, Yves Gingras, Philippe Steiner et Julien Prud’homme pour leurs conseils, ainsi que les lecteurs anonymes de la revue.
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[1]
Sur l’archéologie du terme « sociologie », on renvoie au travail récent de Guilhaumou (2006).
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[2]
Pour une présentation complète et une analyse des textes sur la « mode » sociologique, on renvoie à notre thèse de doctorat (Mosbah-Natanson, 2007, pp. 17-30).
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[3]
Dans la suite de l’article, la sociologie (sans guillemets) désigne la nouvelle discipline académique en développement tandis que les publications « sociologiques » ou la production se réclamant de la « sociologie » (avec usage des guillemets) désignent, de manière plus nominaliste, les publications qui portent dans leur titre l’expression considérée.
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[4]
L’histoire et la sociologie de l’édition en sciences humaines et sociales ont récemment fait l’objet de travaux, sans que ceux-ci soient explicitement consacrés à la sociologie autour de 1900 (Mollier et Sorel, 1999 ; Tesnière, 2001 ; Auerbach, 2006).
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[5]
Une telle méthode est peu employée dans le cadre de l’histoire de la sociologie française – ceux qui l’ont mise en œuvre se sont centrés sur les revues sociologiques classiques (Clark, 1973 ; Karady, 1974), ce qui ne permet pas de saisir l’ensemble des manifestations éditoriales de la sociologie.
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[6]
Cette rubrique ne disparaît qu’avec les derniers tomes du Catalogue, avec la création de deux rubriques séparées « Sociologie » et « Socialisme ».
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[7]
Les autres rubriques dépouillées sont les suivantes : « Économie politique et sociale », « Philosophie », « Morale », « Positivisme », « Société humaine », « Anthropologie », « Anthropologie criminelle » et « Ethnographie ».
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[8]
On n’a pas pu déterminer l’origine géographique d’une des publications du corpus recensé.
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[9]
La cinquième est Principes de sociologie du docteur François Marguerite Barrier, publiée en 1867.
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[10]
Par exemple, le docteur Amédée Paget publie en 1841 une Introduction à l’étude de la science sociale contenant un abrégé de la théorie sociétaire ; l’abbé Antoine Martinet publie, en 1851, une Science sociale au point de vue des faits, tandis que Victor Calland publie, en 1859, un ouvrage intitulé De la science sociale au point de vue catholique.
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[11]
On peut signaler la courte vie de la première Société de sociologie et le travail, en particulier, de Guarin de Vitry, qui publie, dans les colonnes de la revue La philosophie positive, un « Traité de science sociale » (Yamashita, 1995 ; Heilbron, 2007).
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[12]
Ainsi, en 1880, paraissent La science sociale contemporaine du philosophe Alfred Fouillée, ainsi que La sociologie. Essai de philosophie sociologique du Russe Eugène de Roberty et La sociologie d’après l’ethnographie de l’anthropologue Charles Letourneau.
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[13]
La même remarque peut être faite à propos des travaux émanant du milieu clérical qui se revendiquent de la « science sociale » catholique dans les années 1850-1880, pour ensuite se réclamer de la « sociologie chrétienne » ou de la « sociologie catholique ».
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[14]
Ces deux séries représentent 25 des 27 ouvrages collectifs. Les deux autres sont les Actes du deuxième congrès international d’Anthropologie criminelle, Biologie et Sociologie, publiés en 1889, et les Actes du Congrès international de sociologie coloniale, en 1901.
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[15]
Les autres sont extraits de la Revue catholique des institutions et du droit, de la Foi catholique et des Annales du droit commercial français, étranger et international.
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[16]
On a aussi exclu de ce corpus les ouvrages collectifs mentionnés plus haut. Notons simplement que les auteurs d’ouvrages collectifs (i.e. Émile Durkheim et René Worms) écrivent aussi des ouvrages présents dans notre corpus.
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[17]
L’absence de René Worms de ce « palmarès » s’explique par le fait que sa production se réclamant de la « sociologie » recensée dans le Catalogue Lorenz ressort principalement de l’ouvrage collectif ou du tiré à part (treize ouvrages collectifs, trois tirés à part et seulement un ouvrage de « sociologie » – il s’agit de sa thèse latine, De natura et methodo sociologiae, publiée en 1896). Il faut noter que son ouvrage majeur, les trois tomes de sa Philosophie des sciences sociales, publiés entre 1902 et 1907 et réédités assez rapidement, est bien recensé par le Catalogue Lorenz.
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[18]
Pour De Greef, voir De Bie (1988) ; pour Spencer, Becquemont et Mucchielli (1998) ; pour Gumplowicz, Torrance (1976).
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[19]
Gaston Richard est aussi l’auteur d’un tiré à part extrait de la Revue internationale de sociologie, de même qu’Henri Muffang, éphémère collaborateur de L’Année sociologique (Mucchielli, 2004, pp. 186-188). En revanche, la production durkheimienne représente, de manière attendue, près de la moitié des ouvrages collectifs (12 sur 27) par le biais de L’Année sociologique. Reste que, globalement, les publications durkheimiennes ne représentent qu’une faible proportion de l’ensemble du corpus considéré.
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[20]
Par exemple, Laurent Mucchielli décrit ainsi le mouvement intellectuel en faveur de la sociologie : « Au début des années 1890, le socialisme et son exigence centrale de justice sociale influencent beaucoup les philosophes dont une partie se tournera vers la sociologie. » (1998, p. 107).
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[21]
Pour tester cette hypothèse, nous avons déterminé quels étaient les auteurs de formation philosophique – avec comme indicateurs l’agrégation de philosophie ou le doctorat – et/ou exerçant, au moins durant une partie de leur carrière, la profession de professeur de philosophie, aussi bien dans un lycée que dans l’enseignement supérieur. Une telle définition ouverte a classé parmi les philosophes aussi bien des acteurs qui ont comme unique position professionnelle celle de professeur de philosophie, comme Alfred Fouillée ou Marcel Bernès, ceux qui débutent leur carrière comme professeur de philosophie (au lycée) pour, ensuite, obtenir des chaires universitaires de science sociale (ou assimilée), comme Émile Durkheim ou Guillaume-Léonce Duprat. Nous avons aussi inclus René Worms, de formation normalienne philosophique, mais qui n’a jamais été professeur de philosophie, et l’on a aussi considéré le cas de Gabriel Tarde du fait de sa nomination comme professeur de philosophie moderne au Collège de France en 1900, bien que sa carrière ait été largement liée aux institutions judiciaires (Salmon, 2005).
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[22]
Le travail nécessaire a été une recherche prosopographique la plus large possible. Cette recherche a reposé à la fois sur l’utilisation de l’historiographie (les travaux de Clark, Karady, Besnard, Savoye), les dictionnaires d’histoire de la sociologie et d’histoire des intellectuels (Borlandi, Boudon, Cherkaoui et al., 2005 ; Julliard et Winock, 2002), mais aussi sur une recherche plus directement liée aux sources elles-mêmes. En premier lieu, les indications biographiques que nous pouvions trouver en particulier dans le Dictionnaire de biographie française et aussi, largement, dans la rubrique nécrologique de la Revue internationale de sociologie fournissaient bon nombre d’indications sur les investissements savants et institutionnels des auteurs considérés. De plus, nous avons effectué des recoupements avec les listes de membres de sociétés savantes, des catalogues des cours (comme celui du Collège libre des sciences sociales) ou les sommaires des revues de philosophie et de sciences sociales.
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[23]
Sur ces différentes institutions et l’organisation de l’enseignement de la sociologie et des sciences sociales en France à la fin du XIXe siècle, on renvoie à Favre (1989), Prochasson (1985), Bruant (2007), Goulet (2008), Wartelle (2004) et Savoye (1994).
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[24]
Sur ces différentes institutions et leur rôle respectif dans l’institutionnalisation des sciences sociales, voir, entre autres, Clark (1973), Karady (1974), Wartelle (2004) et Delmas (2006).
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[25]
Il s’agit de la Réforme sociale, de la Science sociale, de la Revue internationale de sociologie, de L’Année sociologique et des Notes critiques-Sciences sociales.
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[26]
On considère les ouvrages « sociologiques » et on n’a comptabilisé ici ni les publications collectives, ni les tirés à part, pour les raisons déjà évoquées. La même restriction vaut pour le Tableau VIII.
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[27]
C’est le cas de René Maunier, né en 1887, docteur ès sciences juridiques et professeur de droit, adhérent de la Société de sociologie de Paris dès 1907 et qui publie à plusieurs reprises dans la Revue internationale de sociologie (Mahé, 1996), ou du professeur de philosophie Marcel Bernès, auteur de Sociologie et morale. Deux années d’enseignement sociologique, publié en 1897, et de plusieurs articles de sociologie dans diverses revues (dont la Revue internationale de sociologie mais aussi la Revue de métaphysique et de morale), dans les années 1890 (Laurens, 2005). On peut encore mentionner le cas de Guillaume-Léonce Duprat, docteur ès lettres et professeur de philosophie, auteur d’ouvrages comme, entre autres, Science sociale et démocratie, en 1899 et La psycho-sociologie en 1915, membre de la rédaction de la Revue internationale de sociologie, dans laquelle il publie de nombreux articles, et qui obtiendra une chaire de sociologie à l’université de Genève après la Première Guerre mondiale (Zürcher, 1995, p. 14).
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[28]
On peut citer les cas de Léopold Bresson, écrivain positiviste du début des années 1880 et auteur des Idées modernes. Cosmologie, sociologie, publié en 1880, et Études de sociologie. Les trois grandes révolutions intellectuelle, sociale et morale, publié en 1888, d’Émile Rigolage, ingénieur des Arts et manufactures, agrégé de l’Université et auteur de La sociologie par Auguste Comte. Résumé, en 1897, et qui est aussi membre de la Société de sociologie de Paris, ou d’Arthur Bochard, avocat, auteur des Lois de la sociologie économique, paru en 1913, membre de la Société de sociologie de Paris et secrétaire de rédaction de la Revue internationale de sociologie.
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[29]
Pour une étude plus précise des « formes de la vocation sociologique » qui articule socio-graphie des trajectoires et des positions sociales des auteurs et analyse des productions intellectuelles, on renvoie aux chapitres 2 et 4 de notre thèse (Mosbah-Natanson, 2007).
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[30]
Sur cet ouvrage, on renvoie à notre étude (Mosbah-Natanson, 2004).
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[31]
On fait référence ici au Suicide. Étude de sociologie d’Émile Durkheim (1897), à l’ouvrage de Jean Lagorgette, Le rôle de la guerre. Étude de sociologie générale (1906), à l’ouvrage de Louis Weber, Le rythme du progrès : étude sociologique (1913) et à celui d’Alfred Espinas, Les origines de la technologie. Étude sociologique (1897).
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[32]
Il faut noter que la « sociologie catholique » a fait l’objet de peu de travaux en France, contrairement, par exemple, au Québec (pour la France : Serry, 2004 ; pour le Québec : Warren, 2003).
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[33]
On peut consulter, par exemple, l’ouvrage de Louis Garriguet, Études de sociologie. Tomes I et II. Question sociale et écoles sociales (Introduction à l’étude de la sociologie), publié en 1902. Dans cet ouvrage, il oppose trois types d’« école sociale » : l’école libérale, l’école socialiste et l’école catholique, école pour laquelle il considère que Le Play est un précurseur. On peut ajouter que la discussion proposée par l’auteur oppose surtout des économistes (Turgot, Say, Leroy-Beaulieu ou Marx) et qu’il n’est pas fait mention de sociologues contemporains.
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[34]
Le médecin montpelliérain proche de l’Action française Joseph Grasset, auteur de deux ouvrages intitulés Morale scientifique et morale évangélique devant la sociologie, en 1909, et L’Évangile et la sociologie, en 1910, oppose aussi de manière caractéristique ces deux positions intellectuelles (voir Secondy, 2008).
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[35]
Cet auteur a écrit, entre autres publications, les titres suivants : Quel est le point de vue le plus complet du monde ? Et quels sont les principes de la raison universelle ? Essai philosophique, en 1897 ; Le fonctionnisme universel, essai de synthèse philosophique, en 1902.
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[36]
Il faut mentionner une exception : un ouvrage de 1882 publié par un ingénieur, Émilien Desmousseaux de Givré, qui se veut un traité de science sociale fondé sur les sciences physiques, et intitulé Sociologie. Traité de l’équilibre et du mouvement des sociétés, par un ingénieur (Anonyme). Tome I. Vue générale sur la sociologie. Notons que nous n’avons pas trouvé de tome II.
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[37]
Pour une étude plus complète des rapports entre sciences sociales et extrême droite, voir Crépon et Mosbah-Natanson (2008).