1L’étude de la sanction scolaire relève d’une longue tradition de recherche marquée par la philosophie, la morale et la pédagogie. Ont été posées des questions essentielles : faut-il punir ? Quelles sont les sanctions à rejeter ? À quelles conditions une punition est-elle éducative ? L’article sur les punitions du Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire (Buisson, 1911) présente en une phrase la doctrine la plus fréquente dans l’Histoire : « L’idée d’améliorer apparaît généralement associée à l’idée de châtier. » Prairat (2001,2003) a montré le maintien du rôle accordé à la sanction dans le processus éducatif.
2L’état de la recherche sur les sanctions dévoile cependant une dissymétrie considérable entre les approches normatives et la connaissance objective. Audelà des principes, quelles sont les pratiques ? Les recherches empiriques anglo-saxonnes récentes portent essentiellement sur la question des châtiments corporels et sur les politiques de « tolérance zéro » à l’origine de la multiplication des exclusions d’élèves des établissements. Outre le manque d’efficacité de ces pratiques, les chercheurs dénoncent leur caractère discriminatoire, notamment à l’encontre des garçons issus de milieu défavorisé et des minorités ethniques (Owen, 2005 ; Osler et Hill, 1999 ; Wright, Weekes et McGlaughlin, 2000 ; Skiba et al., 2002 ; Verdugo, 2002). En France, au niveau du collège, l’essentiel des recherches empiriques a été mené par Prum (1991), Payet (1995) et Debarbieux, Garnier, Montoya et Tichit (1999). Ces auteurs soulignent le manque de cohérence des sanctions scolaires ainsi que des pratiques juridiquement contestables ou non réglementaires. Ces travaux sont restreints au regard des plus de trois millions de collégiens (MEN, 2007) et de l’omniprésence de la sanction dans les établissements scolaires [1].
La sanction scolaire : une question taboue
3Pour quelle raison existe-t-il une faiblesse de la recherche empirique sur la sanction scolaire en dépit de son importance ? S’intéresser aux sanctions revient à s’interroger sur les relations de pouvoir à l’intérieur de l’institution éducative, à étudier les pratiques des enseignants ; non pas les pratiques valorisées des apprentissages, mais celles, plus obscures, qui concourent au maintien de l’ordre dans l’enceinte de la classe. Cette orientation de recherche constitue un terrain miné : ne revient-elle pas à suspecter l’autorité du maître de dérives autoritaires ? Le sujet est tabou et, pour cette raison, sur les dernières décennies, la question de la sanction a été « frappée d’indignité intellectuelle » (Prairat, 2003).
4Une manifestation de cette indignité intellectuelle de la sanction dans l’univers de l’école tient à l’absence de référence à celle-ci dans le cahier des charges de la formation des maîtres défini en 2006 par le ministère de l’Éducation nationale. Des thèmes nouveaux, souvent négligés, tels que l’évaluation, ont été élevés au rang des « dix compétences » nécessaires à l’activité enseignante. Mais les références théoriques sur la sanction, qui relèvent à la fois de la réflexion philosophique, psychologique et sociologique sont ignorées [2].
5La situation n’est pas réellement différente dans les établissements. Certes, en juillet 2000, deux circulaires ministérielles (no 2000-105 et no 2000-106) ont eu pour objet de mieux encadrer les pratiques de sanction afin notamment de les mettre en conformité avec les principes généraux du droit. Dans le cadre de la nouvelle réglementation, les chefs d’établissement avaient pour obligation la réécriture du règlement intérieur. La liberté d’interprétation laissée au conseil d’administration des établissements a toutefois débouché sur des réécritures limitées (Merle, 2003). Dès lors, le nouveau cadre juridique a exercé un effet quasi nul sur les pratiques de sanction [3].
La sanction : une pratique peu connue
6L’inertie institutionnelle des acteurs locaux à l’égard de la sanction scolaire est emblématique d’une négation des problèmes disciplinaires dans la classe. Le modèle implicite de référence est celui de la domination charismatique du professeur (Weber, [1922] 1971), appréhendée comme une qualité intrinsèque du maître. Il est en contradiction avec les recherches réalisées auprès des enseignants. De façon consensuelle, elles montrent que la « gestion de la classe » est au centre de leurs préoccupations, notamment pour les novices, particulièrement ceux nommés dans les établissements dits difficiles (Morrison et Mc Intyre, 1975 ; Davisse et Rochex, 1995 ; Barrère, 2000 ; Rayou et van Zanten, 2004) [4].
7La « gestion de la classe » renvoie, dans le langage métaphorique de l’institution éducative, aux façons les plus appropriées de faire face aux insolences des élèves, à leur absence de travail, aux risques de chahut, aux bons usages des sanctions, omniprésentes dans le processus d’apprentissage dans l’ordinaire des établissements. Ce bon usage reste problématique en l’absence de données comparatives interétablissements. Les exclusions définitives – la sanction la plus lourde – ne font l’objet d’aucune information statistique par le ministère de l’Éducation nationale. Pour les sanctions usuelles, malgré l’obligation réglementaire introduite en juillet 2000, la tenue d’un registre des sanctions reste une pratique minoritaire [5].
8Sur la question sensible de la sanction, comme d’ailleurs dans d’autres domaines tels que les pratiques pédagogiques, l’établissement scolaire reste, le plus souvent, dans l’ignorance des activités effectives de ses agents. Le constat est identique pour d’autres organisations, notamment lorsqu’elles assurent des fonctions de maintien de l’ordre public (Monjardet, 1996). En collège, malgré l’apport des recherches antérieures, des questions centrales restent encore à explorer. Les sanctions les plus usuelles en classe, comme les avertissements sur le carnet de correspondance ou les devoirs supplémentaires, n’ont jamais été quantifiées. Pour les sanctions plus importantes, les recherches empiriques déjà citées se sont limitées, pour l’essentiel, à des approches ethnographiques (à l’exception des recherches menées par Debarbieux, Garnier, Montoya et Tichit, 1999) ou à des analyses statistiques descriptives. Aucune analyse statistique de type multivarié des facteurs explicatifs des sanctions n’a été menée. Les recherches précédentes sont donc limitées en raison de la définition restrictive des sanctions comptabilisées, et les résultats manquent de robustesse : les méthodes statistiques utilisées s’en tiennent à la connaissance des effets bruts.
9Bien que l’étude des sanctions ait déjà été réalisée au niveau de l’école élémentaire (Douet, 1987 ; Gasparini, 1998), le collège a fait l’objet d’investigations plus nombreuses en raison de son histoire depuis la Seconde Guerre mondiale. La nouvelle norme de scolarisation décrétée en 1959 (la scolarité obligatoire est portée à 16 ans) et, parallèlement, la constitution progressive du collège unique (en 1963 par Fouchet et par la loi Haby en 1975) ont favorisé un allongement considérable de la scolarisation de populations antérieurement cantonnées dans des filières courtes et professionnelles. La nouvelle entité scolaire qui a émergé de ces réformes de l’après-guerre apparaît nettement comme un maillon singulier de l’institution scolaire, « dans la mesure où il est au centre d’une série de tensions, voire de contradictions, de notre système éducatif » (Dubet et al., 1998). Le collège est à la fois l’héritier du lycée des humanités classiques et chargé d’assurer la démocratisation de l’enseignement (Dubet et Duru-Bellat, 2000). Dans des établissements aux objectifs éclatés et regroupant des populations socialement disparates, où des conceptions conflictuelles de l’ordre scolaire et social sont en concurrence à la fois pour les élèves et pour les enseignants, la question de la sanction ne peut être que centrale. À juste titre, ce niveau de scolarisation a été privilégié dans les analyses passées et reste, pour la même raison, l’objet de la présente recherche.
10L’objectif de l’étude est une approche quantitative des sanctions en collège et des pratiques propres aux établissements enquêtés. L’analyse vise également à connaître les déterminants sociaux des sanctions. Dans cette perspective, les diverses sanctions en collège ont été recensées et mises en rapport avec les caractéristiques des élèves.
L’enquête
11L’enquête a concerné 668 élèves scolarisés dans 31 classes réparties sur cinq collèges (Grimault-Leprince, 2003). Cette diversité des terrains d’enquête permet de connaître la pluralité des pratiques de sanction et d’appréhender « l’effet établissement » dont la littérature a montré l’importance (Felouzis et Perroton, 2007 ; Grisay, 1993,2006). Le questionnaire a été passé en classe dans cinq collèges, dont trois établissements « difficiles » de banlieue : un collège de zone d’éducation prioritaire (le collège Duquartier), un collège de zone sensible (le collège Delacité) et un troisième collège de banlieue (le collège Delaville), sans classification particulière par l’Éducation nationale, mais dont le recrutement social est proche des deux précédents (voir Annexe I). Un collège de banlieue favorisée (le collège Dupavillon) et un collège de zone rurale (le collège Dufoin) complètent l’échantillon. La surreprésentation des collèges « difficiles » a eu pour objet de connaître une éventuelle discrimination ethnique des sanctions. Susceptibles d’apporter une compréhension des pratiques de sanction, les caractéristiques socio-scolaires des enseignants en poste dans ces établissements sont également présentées (voir Annexe II) [6].
12Il a semblé nécessaire de conforter ou d’infirmer l’opinion enseignante selon laquelle les problèmes de discipline étaient différents selon les niveaux enseignés. Pour cette raison, l’échantillon a été composé avec des élèves de deux niveaux (élèves de 5e et 3e ). Au printemps 2002, les élèves ont été interrogés sur les sanctions qu’ils avaient reçues depuis le début de l’année. Les questions posées étaient pour leur grande majorité factuelles et les réponses proposées fermées. Ce type de questionnement limite les risques de subjectivité des réponses propres à toutes les techniques d’enquête.
13Seules quelques questions portant sur le comportement en classe ou le niveau scolaire ont échappé à cette règle. Les données relatives au niveau scolaire sont issues d’auto-évaluations réalisées par les élèves dans les matières littéraires et scientifiques. Les données recueillies sont moins solides que des résultats de tests standardisés de compétences. Pour favoriser une auto-évaluation convenable, il a été indiqué aux élèves que la réponse « niveau faible » correspondait à une moyenne située en dessous de 8, « moyen faible » à une moyenne comprise entre 8 et 10, « moyen fort » à une moyenne entre 10 et 12 et « fort » à une moyenne au-dessus de 12 [7].
14Depuis la circulaire n° 2000-105 du 11 juillet 2000 sont distinguées parmi les sanctions, terme générique, les « punitions » et les « sanctions disciplinaires ». Ces dernières (exclusions définitives et temporaires, avertissement officiel, blâme) relèvent de la compétence du chef d’établissement ou du conseil de discipline. Ainsi, un professeur qui souhaite l’exclusion temporaire d’un élève doit en faire la demande au principal ou au proviseur. La quasi-totalité des punitions a été comptabilisée (devoir supplémentaire, zéro pour travail non fait, retenues, exclusions de cours, mots ou avertissements sur le carnet de correspondance), y compris « les lignes à copier » bien qu’elles soient non réglementaires [8].
15Pour être exhaustive, une recherche sur les sanctions aurait dû prendre en compte les sanctions diffuses, c’est-à-dire l’ordre social informel tel qu’il est établi par le maître par des contrôles surprises, des devoirs difficiles, des mauvaises notes, l’isolement de certains élèves dans la classe, des propos humiliants (Merle, 2005). Ogien (1990) a montré que ces sanctions diffuses étaient la manifestation du « domaine de l’interaction » et qu’il s’opposait au domaine du droit, aux règles instituées et aux institutions légalement définies pour les appliquer. Objectivement différentes des sanctions réglementaires, ces sanctions diffuses assurent un rôle essentiel dans le climat de la classe mais sont rebelles à la codification statistique et à l’observation puisque la présence de l’enquêteur est susceptible de modifier leur expression. Leur analyse est entravée par la subjectivité de leur interprétation. Pour cette raison, comme dans les autres recherches menées sur les sanctions, elles ont été exclues du champ de l’investigation.
16Pour chaque établissement, toutes les classes de 5e et 3e ont été p ises en compte afin d’éviter un biais de sélection lié aux classes de niveau. La quasi-totalité des élèves scolarisés dans les classes retenues par l’enquête a répondu à l’ensemble des questions de façon cohérente. La passation du questionnaire en classe par les chercheurs et l’anonymat de l’enquête ont permis de limiter dans les réponses des collégiens les effets de désirabilité sociale habituellement rencontrés, favorisés par la distribution et la récupération des questionnaires par les enseignants [9].
17Outre les caractéristiques socio-scolaires usuelles, l’enquête a cherché à connaître les éventuelles origines étrangères des élèves. Seule la nationalité est prise en compte dans les statistiques du ministère de l’Éducation nationale, alors que Felouzis (2003) a montré que la notion « d’origine culturelle » est particulièrement fructueuse : elle permet de connaître la situation spécifique des élèves de la deuxième génération des immigrés. Pour appréhender cette origine culturelle, le critère de la nationalité des parents a été retenu.
Les sanctions : fréquences et variations interétablissements
La fréquence des différentes sanctions
18L’analyse des réponses des élèves montre d’abord que les sanctions, quel que soit leur type, concernent pratiquement tous les collégiens. Ainsi, sur les 668 élèves interrogés, 565 élèves (soit 84,5 %) ont répondu avoir reçu au moins une des sanctions étudiées. Dans une enquête antérieure, Debarbieux, Garnier, Montoya et Tichit (1999) recensaient 65 % d’élèves sanctionnés durant une année scolaire en 1995, et 75 % en 1998. L’enquête permet donc de conclure, comme Debarbieux, mais aussi comme d’autres (Douet, 1987 ; Payet, 1995 ; Prum, 1991), à l’omniprésence de la sanction comme mode de régulation des relations professeurs-élèves à l’intérieur des établissements et des classes.
19Au-delà de la fréquence globale élevée des sanctions, il est important de connaître la fréquence des différents types de sanction qui relativise ce premier constat. Les parts respectives des sanctions disciplinaires et des punitions dans la totalité des sanctions recensées dans les cinq collèges sont respectivement de 5 % et 95 %. Les sanctions sont donc pour l’essentiel des punitions qui relèvent de la compétence des professeurs. Toutes les punitions sont fréquentes : 55,8 % des élèves ont eu au moins un avertissement sur le carnet, 44,2 % un devoir supplémentaire, 38,5 % un zéro pour travail non fait ; 34,4 % une retenue, etc. (voir Tableau I). Environ un tiers des élèves sont concernés par plusieurs sanctions conformément aux résultats de Debarbieux, Garnier, Montoya et Tichit (1999).
Type et fréquence des sanctions recensées

Type et fréquence des sanctions recensées
20Deux sanctions lourdes – l’exclusion temporaire et la convocation des parents – sont en revanche peu fréquentes. Pour cette raison, elles ont été étudiées depuis le début de la scolarité en collège des enquêtés afin de recueillir des données suffisantes pour une analyse statistique. L’exclusion temporaire n’intervient que si les punitions à disposition des enseignants sont jugées insuffisantes. Elle ne concerne en général que des motifs graves tels les actes de violence, les insultes à un professeur, les dégradations importantes de locaux, etc. Dans l’enquête, 12,3 % des élèves de 5e et 17,2 % des 3e ont fait l’bjet de cette sanction depuis leur entrée en 6e (voir Tableau I). Ces pourcentages sont relativement élevés au regard des directives ministérielles qui recommandent de maintenir le plus possible les élèves au sein des établissements (voir la réglementation ministérielle du 11 juillet 2000). La seconde sanction étudiée depuis le début de la scolarisation des collégiens est la convocation des parents. Elle concerne respectivement un quart et près d’un tiers des élèves de 5e et 3e (voir Tableau I), proportions considérables en raison de la difficulté de la mise en place d’une telle mesure nécessitant la disponibilité simultanée des parents et des membres de la communauté éducative.
21Les fréquences d’attribution des différentes sanctions sont distribuées selon une logique propre à la majorité des systèmes de pénalisation des comportements : les sanctions sont d’autant moins fréquentes qu’elles sont lourdes. Les exclusions temporaires sont rares. L’exclusion du cours concerne 28,7 % des élèves enquêtés et plus de la moitié des collégiens ont eu un avertissement sur leur carnet de correspondance, qui constitue souvent la première des punitions en réponse à des fautes légères. Il existe une logique scolaire des sanctions allant de l’avertissement sur le carnet à l’exclusion temporaire, si bien que seulement quatre élèves exclus de façon temporaire n’ont fait antérieurement l’objet d’aucune autre sanction. Inversement, la grande majorité des élèves ayant eu un avertissement sur le carnet a également reçu d’autres sanctions. Seulement 7,5 % des élèves ayant dû faire signer un avertissement sur le carnet à leurs parents n’ont pas enfreint de nouveau la règle. Il s’agit donc d’une sanction dont l’effet de dissuasion est limité. Ce constat n’est pas étonnant. L’inscription d’un incident dans le carnet de correspondance vise à informer les parents mais n’a pas de caractère contraignant pour l’élève fautif.
22L’inscription sur le carnet de correspondance est d’autant plus pratiquée que, en cas de récidive de l’élève, il est tentant pour les enseignants de considérer que, les parents ayant été avertis, leur compétence éducative est en cause, dédouanant d’autant la responsabilité professorale. Van Zanten (2001) note d’ailleurs que la « dénonciation de l’incompétence parentale en matière de suivi scolaire » déculpabilise les enseignants mis en difficulté dans la gestion de leurs classes. Ce rapport aux familles de certains enseignants s’observe surtout dans les collèges difficiles où les enseignants sont globalement moins convaincus qu’ailleurs des bénéfices de leurs relations avec les parents en termes d’amélioration du travail et du comportement des élèves (Périer, 2003). Lorsque des enseignants de collèges ZEP sont interrogés sur les sanctions qu’ils prennent au quotidien, l’avertissement sur le carnet de correspondance est souvent présenté comme une sanction de principe, dont ils attendent peu, les parents étant d’après eux souvent « dépassés » par le comportement de leurs enfants (Grimault-Leprince, 2008).
23Si l’avertissement sur le carnet de correspondance représente parfois le premier pas d’une « carrière » de déviant scolaire pressentie par les professeurs, les données recueillies par questionnaire ne sont susceptibles d’appréhender celle-ci que marginalement. D’une part, le questionnaire rend compte d’une situation à un moment donné sans qu’il soit possible de reconstituer un historique des sanctions (tant d’avertissements sur le carnet dans une première période, tant de retenues ensuite, etc.). L’enquête procède en effet par comptage a-historique de comportements réglementés ou typiques et constitue seulement un état des lieux. Or, la « carrière » est avant tout l’histoire des interactions d’une personne dans son milieu, c’est-à-dire une « sociologie des circonstances » (Goffman, 1974). Privé de la chronologie des différents types de sanction, le chercheur ne peut reconstituer les modalités des carrières déviantes des collégiens à l’instar de celles des fumeurs de marijuana (Becker, [1963] 1985).
24D’autre part, le mode de questionnement des élèves a limité le repérage de leurs comportements déviants. Pour toutes les sanctions étudiées, les collégiens disposaient de quatre modalités de réponse : « jamais » ; « une fois » ; « deux fois » ; « plus de deux fois ». Or, parmi les élèves choisissant la dernière modalité de réponse, il existe une différence sensible entre ceux ayant eu trois fois la même sanction et ceux qui ont pu être punis cinq ou dix fois. Il aurait été possible de construire un questionnaire plus précis cherchant à distinguer les élèves punis quatre fois ou sept fois (items : « trois à cinq fois » ; « plus de cinq fois »). Mais il fallait prendre en compte l’impossibilité ou le refus, pour les élèves souvent sanctionnés, d’avoir une connaissance précise du nombre de leurs sanctions dans les huit types inventoriés. La construction d’un questionnaire d’enquête, même lorsqu’il s’agit de données factuelles, reste en partie subordonnée à l’expérience subjective des enquêtés et à leurs pratiques propres de comptage et catégorisation.
Fréquences des sanctions et variations interétablissements
25Globalement, le nombre important d’élèves sanctionnés pose la question, déjà mentionnée par Prum (1991), d’une banalisation des sanctions. Cette banalisation favorise une perte de leur efficacité scolaire et symbolique. Si la sanction devient la règle, l’élève marginal n’est plus celui qui est puni mais l’élève « bouffon » (Dubet et Martucelli, 1996) échappant au rituel de la sanction. Dans l’enquête, cette situation est particulièrement vérifiée pour les trois collèges difficiles de banlieue parisienne où les taux de punis varient de 86,1 à 92,1 % (voir Tableau II). À l’inverse, les élèves des collèges « classique » et « rural » sont moins sanctionnés que les autres (les taux de punis sont respectivement de 72,5 % et 79,5 %). Les données recueillies montrent une corrélation entre fréquence élevée de la sanction et collèges au recrutement défavorisé. Toutefois, quel que soit le collège, le risque d’être sanctionné est élevé pour chaque élève.
Fréquences des sanctions selon leur type et le collège fréquenté (en %)

Fréquences des sanctions selon leur type et le collège fréquenté (en %)
26Les différences interétablissements témoignent probablement de disparités de conflictualité. Ainsi, la retenue et l’exclusion de cours sont des pratiques nettement plus usuelles dans les établissements difficiles (Duquartier, Delacité et Delaville). Or, ces punitions sont des recours pour les enseignants en cas de conflit en classe : la retenue exerce une forte contrainte sur les élèves ; l’exclusion du cours éloigne le fauteur de troubles. Toutefois, au-delà d’une corrélation globale entre conflictualité et sanctions, les différences intercollèges résultent aussi de pratiques différenciées. Les données mettent clairement en évidence l’existence d’un effet établissement en matière de punitions. Ainsi, le collège Delacité, situé en zone sensible, est en quelque sorte spécialisé dans les lignes à copier : 60,7 % des élèves ont reçu cette punition non réglementaire. Ce pourcentage est à comparer à celui constaté dans le collège Dupavillon dans lequel seuls 8,8 % des élèves ont reçu cette punition.
27L’étude des motifs des sanctions reçues par les élèves permet également de mettre en évidence des régularités et disparités selon les établissements (voir Tableau III). Dans les trois collèges au recrutement social défavorisé, le « travail non fait » est un motif plus fréquent de sanction. Il est en rapport avec le faible niveau scolaire des élèves scolarisés dans ces établissements. Le bavardage est aussi déclaré plus fréquemment (Delacité, Delaville). Les élèves du collège sensible Delacité se distinguent, dans leurs réponses au questionnaire, par leurs perturbations plus fréquentes du cours (bavardages, agitation, insultes aux autres élèves, insolence envers les professeurs, violence). Ces données signalent une conflictualité importante dans les collèges de banlieue. Inversement, le conflit interpersonnel est moindre dans le collège rural, comme l’atteste, dans les déclarations des élèves, la moindre fréquence des punitions pour « insultes », « insolences » et « violence » [10].
28Pour des motifs plus « anodins » (bavardage, oublis de matériel), les élèves du collège rural ne sont pas, pour autant, sanctionnés significativement moins que les élèves des autres collèges. Toutefois, la moindre fréquence des motifs jugés graves (insultes, insolences et violence) aboutit à une moindre proportion des sanctions les plus sévères : convocation des parents et exclusions temporaires (Tableau II). De façon générale, la connaissance des motifs des sanctions est une des mesures possibles, bien qu’approximative, du climat des établissements et informe sur la nature des conflits, notamment la fréquence des conflits interpersonnels.
29Les liens entre type de sanction et caractéristiques sociales des enseignants dans un établissement donné sont difficiles à établir. Il est toutefois possible de constater une relation entre la fréquence plus élevée de « l’insolence envers un enseignant » comme motif de sanctions dans le collège Delaville et la proportion élevée de femmes enseignantes dans ce collège « difficile » : 70 % à comparer aux 54,2 et 45,9 % de femmes professeurs dans les deux autres collèges à recrutement social populaire (voir Annexe II). Cette donnée statistique pose un problème d’interprétation et d’imputation causale : les enseignantes sanctionnent-elles plus facilement que les hommes les pratiques linguistiques de ces élèves ou bien les élèves scolarisés dans ces collèges difficiles sont-ils plus insolents lorsque les professeurs sont des femmes ? Le sens ambivalent de la relation statistique est emblématique de l’enchevêtrement de l’acte jugé fautif et de son contexte. Il n’est pas possible de départager l’un de l’autre, consubstantiellement liés. La recherche des déterminants sociaux de la sanction butte, en l’occurrence, sur l’impossibilité de réduire les relations interindividuelles à des logiques causales [11].
Motifs des sanctions reçues selon le collège fréquenté (en %)

Motifs des sanctions reçues selon le collège fréquenté (en %)
Les déterminants socio-scolaires des sanctions
L’analyse statistique des sanctions : la construction de catégories
30L’analyse statistique se doit de prendre en compte la diversité des pratiques de sanction. Il n’est en effet pas pertinent de chercher des variables explicatives communes à des sanctions si différentes par leur fréquence d’attribution et leur importance dans l’échelle des peines.
31Une analyse factorielle en composantes principales (ACP) permet d’approfondir la connaissance des proximités statistiques entre les huit types de sanction et de regrouper celles-ci en catégories homogènes. L’ACP « explique » 78 % de la variance initiale. La première composante de l’ACP (23 % de la variance expliquée) regroupe essentiellement les zéros pour travail non fait, les retenues et les exclusions de cours. Dans la suite de l’analyse, elles constituent les sanctions officielles courantes. La deuxième composante (21 % de la variance) comprend le devoir supplémentaire et les lignes à copier, sanctions internes à la classe. La troisième composante (20 % de la variance) regroupe principalement les convocations de parents et les exclusions temporaires. Elles constituent les sanctions officielles lourdes. Enfin, la quatrième composante (14 % de la variance) comprend essentiellement l’avertissement sur le carnet de correspondance. Ces quatre catégories de sanction, outre l’intérêt pour l’analyse multivariée menée ci-dessous, montrent la proximité statistique et sociale de certains types de sanction (travail non fait, retenue et exclusion de cours d’un côté, convocation des parents et exclusion temporaire de l’autre).
32Les sanctions officielles courantes (les retenues, les zéros our travail non fait et les exclusions de cours) retiendront particulièrement l’attention pour trois raisons. D’abord, les données collectées montrent que 55,7 % des collégiens interrogés ont reçu au moins une sanction officielle courante. Ensuite, ces sanctions ne sont pas anodines. La retenue est contraignante (notamment lorsqu’elle se déroule en dehors des horaires traditionnels de cours) ; le zéro entre dans la moyenne de l’élève et l’exclusion de cours est dévalorisante. Enfin, les recherches déjà mentionnées (Debarbieux, Garnier, Montoya et Tichit, 1999 ; Payet, 1995 ; Prum, 1991) font référence à ces sanctions.
33Le projet poursuivi par l’analyse multivariée est de connaître les déterminants socio-scolaires des différentes catégories de sanctions précédemment définies : avertissement sur le carnet, sanctions internes à la classe, sanctions officielles courantes, sanctions officielles lourdes. Les variables explicatives retenues sont le niveau scolaire de l’élève, l’âge, la classe, le genre, les origines sociales et ethniques, le type d’habitat, le type de collège. L’absence de quasi-colinéarité entre les variables explicatives choisies a été vérifiée afin de ne pas fausser les résultats [12].
34Une des difficultés classiques de l’analyse statistique tient à la dépendance statistique entre certaines variables. Par exemple, les élèves de niveau scolaire faible sont plus souvent que les autres d’origine populaire. Pour cette raison, les analyses statistiques bivariées (les tris croisés) font courir le risque d’imputation causale erronée : on attribue à l’origine sociale des différences provenant en fait, en partie, du faible niveau scolaire. L’analyse multivariée permet une connaissance des effets nets de chaque variable en neutralisant l’effet des variables jointes.
35L’effet de chaque variable explicative sur la probabilité d’une sanction est indiqué par sa significativité en fonction du nombre d’étoiles (« * ») et par un effet marginal qui donne une mesure de l’importance explicative de la variable [13].
36Dans le modèle de base (voir Tableau V), les caractéristiques socio-scolaires des élèves ont un pouvoir explicatif satisfaisant des sanctions officielles courantes (pseudo R2 de McFadden = 0,24). Ce résultat est particulièrement intéressant pour deux raisons. D’abord, ces sanctions sont très fréquemment utilisées par les professeurs. Ensuite, les comparaisons avec les travaux antérieurs sont possibles puisque l’étude de ces sanctions a déjà été privilégiée dans le passé.
Encadré méthodologique
L’ACP a montré qu’il était possible d’agréger les variables de sanction initiales (les huit types de sanction). La pertinence des agrégations choisies a été contrôlée en calculant, pour chacune, l’alpha de Cronbach. Pour les sanctions internes à la classe, on obtient un alpha de 0,64. Il est de 0,73 pour les sanctions officielles courantes et de 0,69 pour les sanctions officielles lourdes. Ces résultats attestent de la cohérence interne des groupements. On estime généralement qu’un alpha de Cronbach supérieur ou égal à 0,6 est acceptable.
Les variables de synthèse sont obtenues par la somme des variables initiales et sont donc ordinales, avec des échelles différentes selon le nombre de variables initiales entrant dans leur composition. L’avertissement sur le carnet se présente également sous une forme ordinale à quatre modalités. Du point de vue de la connaissance sociale des pratiques de sanction, il est préférable d’exploiter les variables de sanction sous une forme polytomique ordonnée. À l’intérieur du groupe d’élèves sanctionnés, il existe a priori des différences entre ceux qui ont f it l’objet une fois d’une retenue, d’un zéro ou d’une exclusion de cours, et ceux qui ont pu recevoir plus d’une fois une ou la totalité de ces sanctions officielles courantes.
L’analyse multivariée a été menée avec des logits ordonnés et les variables de synthèse ont été exploitées sous une forme ordinale avec une échelle comprenant seulement trois modalités : pour l’avertissement, le recodage est 0 pour jamais sanctionné, 1 pour sanctionné une fois, 2 pour sanctionné deux fois ou plus. Pour les trois types de sanction obtenus par l’agrégation de variables initiales, la codification retenue est 0 pour « n’a jamais reçu ces sanctions », 1 pour « a reçu une fois ou deux ces sanctions » et 2 pour « a reçu plus de deux fois ces sanctions ».
... /...
Le choix de ces recodages, au nombre restreint de modalités, a été fait car ils sont, parmi les recodages testés, les plus adaptés à l’analyse : les performances de la modélisation sont moins élevées avec des modalités de réponse plus nombreuses.
Il existe trois raisons à ce résultat. D’abord, un recodage qui augmente le fractionnement de la population pour un échantillon donné est d’autant moins pertinent que la proportion des élèves non sanctionnés par catégorie de sanction est importante. En l’occurrence, cette proportion d’élèves non sanctionnés est de 44 % pour l’avertissement, 46 % pour les sanctions internes à la classe, 44 % pour les sanctions officielles courantes et 69 % pour les sanctions officielles lourdes. Ensuite, la taille relativement modeste de l’échantillon limite les possibilités d’une analyse fine des données. Enfin, l’effet des variables explicatives est, probablement, en partie indépendant du nombre de fois où l’élève est sanctionné. Le nombre de sanctions reçues par un élève est le résultat de l’action de plusieurs professeurs, qui ignorent généralement les punitions mineures données par leurs collègues (avertissement sur le carnet, retenue, lignes à copier).
Soit y la variable à expliquer (les variables de sanction à trois modalités). Le logit ordonné suppose, de façon formelle, qu’il existe une variable latente y*, non observable, qui peut être expliquée par les variables explicatives du modèle. En outre, il existe deux seuils s1 et s2 tels que :
- – si y*<s1, alors y = 0 : l’élève n’est pas sanctionné,
- – si s1 ?y*<s2, alors y = 1 : l’él ve est sanctionné une ou deux fois (une fois pour l’avertissement),
- – si y*?s2, alors y = 2 : l’él ve est sanctionné plus de deux fois (deux fois ou plus pour l’avertissement).
Principaux résultats
37Les effets de chaque variable étant mesurés toutes choses égales par ailleurs, l’analyse multivariée permet de dégager les résultats suivants :
- Pour tous les types de sanction, un faible niveau scolaire produit un effet positif et important sur la probabilité de sanction par rapport aux élèves de niveau scolaire moyen. Pour un élève qui ne diffère du groupe de référence que par le niveau scolaire, un faible niveau scolaire diminue de 30 points la probabilité de ne jamais recevoir d’avertissement sur le carnet. La probabilité de sanction est estimée à 33 % (0,63 – 0,30). La probabilité de recevoir un avertissement « deux fois ou plus » est augmentée de 25 points. Elle est estimée à 41 % (0,16 + 0,25) (voir Tableau V). Inversement, un bon niveau scolaire exerce un effet négatif important sur la probabilité de toutes les sanctions à l’exception des sanctions officielles lourdes (convocation des parents et exclusions temporaires).
- L’existence d’un retard scolaire exerce un effet positif très significatif sur la probabilité d’une sanction officielle courante ou lourde. Un retard d’une année diminue de 15 points la probabilité de ne jamais recevoir de sanction officielle courante et de 12 oints celle de ne jamais recevoir de sanction officielle lourde. Les probabilités estimées sont respectivement de 68 % et 75 %. Les probabilités de recevoir ces sanctions plus de deux fois sont chacune augmentées de 4 points et s’élèvent alors à 7 %.
- Hormis pour les sanctions officielles lourdes, les élèves de 5e sont plus sanctionnés que les élèves de 3e.
- Le genre exerce un effet net sur les sanctions reçues : les garçons ont une probabilité de sanction très significativement plus élevée que celle des filles. Ce résultat, déjà présent dans les recherches antérieures, est vérifié quel que soit le type de sanction. Une fille du groupe de référence a respectivement 63 %, 75 %, 83 % et 87 % de chances de ne jamais recevoir chacun des types de sanction étudiés. En prenant en compte les effets marginaux estimés (voir Tableau V), ces chances ne sont plus que de 38 %, 62 %, 62 % et 68 % s’il s’agit d’un garçon. Les probabilités d’être souvent sanctionné s’élèvent également systématiquement pour les garçons.
- L’effet net de l’origine sociale est sensible en défaveur des enfants d’origine populaire. Ce résultat, non vérifié pour les sanctions internes à la classe (devoir supplémentaire et lignes à copier), vaut pour les avertissements sur le carnet, les sanctions officielles courantes et les sanctions officielles lourdes.
- L’avertissement sur le carnet et les sanctions officielles courantes sont, toutes choses égales par ailleurs, plus fréquents pour les élèves habitant en collectif de banlieue par rapport à l’habitat de référence (rural ou pavillonnaire).
- Enfin, le type de collège exerce un effet très sensible sur la probabilité des sanctions internes à la classe et des sanctions officielles courantes. Pour les sanctions officielles courantes, les probabilités de sanction les plus fortes concernent le collège de ZEP et le collège de banlieue difficile. Ainsi, un élève du groupe de référence du collège classique a 83 % de chances de ne jamais recevoir ce type de sanction pour seulement 39 % pour un élève scolarisé dans le collège de banlieue difficile (0,83 – 0,44). De la même façon, un élève du groupe de référence scolarisé dans le collège classique a 3 % de risques de recevoir plus de deux fois une sanction officielle courante. S’il est scolarisé dans le collège ZEP, ce risque est de 13 % (0,03 + 0,10) et de 20 % dans le collège de banlieue difficile (0,03 + 0,17). Le collège en zone sensible est caractérisé par la fréquence élevée des sanctions internes à la classe.
38L’effet établissement, bien connu dans la littérature sur l’école, est donc particulièrement marqué en matière de sanctions. Les données brutes présentées antérieurement (Tableau II), relatives aux fréquences différentes des sanctions selon l’établissement, sont donc confirmées par l’analyse multivariée. La contribution de la variable « établissement » au modèle est importante pour les sanctions officielles courantes (le pseudo R2 baisse de 0,09 lorsque ces variables sont retirées du modèle). Toutefois, l’effet établissement est presque toujours non significatif pour l’avertissement sur le carnet de correspondance et les sanctions officielles lourdes pour des raisons inverses : l’avertissement sur le carnet est une sa ction très fréquente et les sanctions officielles lourdes sont rares quel que soit l’établissement. Un établissement se distingue néanmoins par la rareté des sanctions les plus lourdes, le collège rural. Un élève du groupe de référence scolarisé dans le collège rural a 1 % (0,03 – 0,02) de risques de recevoir plus de deux fois ce type de sanction pour 3 % s’il est scolarisé dans le collège classique. Ce résultat est cohérent avec les motifs de sanction présentés précédemment puisque les motifs de sanction les plus graves sont sous-représentés dans cet établissement.
L’absence d’effet de l’origine ethnique des collégiens sur le risque de sanction
39L’effet de l’origine ethnique des élèves sur la probabilité de la sanction est une question sensible. Les données de l’enquête permettent de connaître la nationalité du père et celle de la mère. La variable explicative qui rend compte de l’origine ethnique de l’élève dans le modèle est une synthèse des situations maternelle et paternelle : la modalité de référence est « les deux parents sont de nationalité française », les deux autres modalités sont « au moins un des deux parents possède la nationalité turque ou la nationalité d’un pays africain » et « au moins un des deux parents possède une nationalité autre » [14].
40Dans une approche statistique limitée aux données brutes, les élèves d’origine africaine ou turque sont sur-sanctionnés pour tous les types de sanction, notamment pour les exclusions de cours. Celles-ci concernent 46 % des élèves d’origines turque ou africaine et seulement 21 % des élèves d’une autre nationalité (voir Tableau IV). La différence est également sensible sur la probabilité d’avoir une retenue (48 % vs 29 %). D autres recherches étaient parvenues à ce résultat d’ethnicisation des sanctions (Payet, 1995 ; Debarbieux, Garnier, Montoya et Tichit, 1999) [15].
Taux de sanction des collégiens selon leur origine ethnique (en %)

Taux de sanction des collégiens selon leur origine ethnique (en %)
41L’analyse multivariée présente l’intérêt de tenir compte des variables cachées, notamment les effets de l’origine sociale et du niveau scolaire, et aboutit à un résultat contraire. Toutes choses égales par ailleurs, l’origine ethnique des élèves n’exerce aucun effet sur la probabilité de la sanction (voir Tableau V). La relation établie dans les recherches antérieures, à partir des données brutes, a pour origine les caractéristiques socio-scolaires singulières des populations d’origine étrangère : origine sociale plus souvent défavorisée, niveau scolaire plus bas, retard scolaire. Il s’agit d’un des résultats les plus importants de cette recherche. Le nombre de collèges retenus dans l’étude, le nombre d’élèves d’origine étrangère enquêtés, la méthodologie employée aboutissent à un résultat robuste.
42Ce résultat est comparable à celui établi par Vallet et Caille (1996) dans leur recherche sur la scolarité des élèves étrangers ou issus de l’immigration dans l’école et le collège français. Par exemple, les écarts bruts de performances en mathématiques mesurés à l’entrée en 6e sont se sibles entre ces collégiens, aux compétences scolaires plus faibles, et les autres. Cependant, une fois neutralisés les différences de situations familiales, sociales et le passé scolaire (notamment la durée de préscolarisation), l’effet propre de l’appartenance à la nationalité étrangère ou issue de l’immigration est faible. Il en est de même des différences des carrières scolaires des élèves étrangers ou issus de l’immigration. Contrairement à la perception commune, loin de subir une discrimination, les élèves étrangers ou issus de l’immigration bénéficient plus souvent d’une proposition d’orientation en second cycle long comparativement à leurs condisciples dont la situation familiale et scolaire est semblable [16].
L’analyse multivariée des catégories de sanction (modèle de base)

L’analyse multivariée des catégories de sanction (modèle de base)
L’effet du comportement des élèves sur le risque de sanction
43Une question essentielle est de savoir si les résultats du modèle de base sont maintenus lorsque les comportements des élèves, plus ou moins agités en classe, sont pris en compte.
44Avec l’introduction de la variable de « comportement » dans le modèle (voir Tableau VI), les performances de l’analyse sont augmentées. Le pseudo R2 augmente de 0,05 ou 0,06 selon le type de sanction. Si les déclarations des élèves en matière de comportement en classe sont évidemment subjectives, un indice de la pertinence des réponses est l’effet net, significatif et sensible, des modalités de la variable « comportement » sur la probabilité d’être sanctionné. Ainsi, un élève qui déclare un comportement très agité en classe encourt un risque beaucoup plus élevé d’être sanctionné qu’un élève déclarant un comportement peu agité. Un élève du groupe de référence a, respectivement, 16 %, 5 %, 3 % et 3 % de risques, avec un comportement peu agité déclaré, d’être sanctionné plus de deux fois (voir Encadré méthodologique). Avec la déclaration d’un comportement agité, les risques de sanction de l’élève du groupe de référence augmentent sensiblement (+ 0,29 ; + 0,12 ; + 0,14 ; + 0,12) (voir Tableau VI) et sont respectivement de 45 %, 17 %, 17 % et 15 %. Inversement, la déclaration d’un « très bon comportement » en classe exerce un fort effet négatif (– 0,13 ; – 0,04 ; – 0,02 ; – 0,02) et les risques sont alors de 3 %, 1 %, 1 % et 1 %. L’impact du comportement déclaré sur les probabilités de ne jamais être sanctionné est également très sensible [17].
45Résultat central, les principales conclusions précédemment avancées sur l’effet et la significativité des variables socio-scolaires sont confirmées lorsque la variable « comportement » des élèves est introduite. C’est-à-dire que, pour tous les élèves déclarant un comportement agité, il existe bien des différences de pratiques de sanction, notamment selon le collège fréquenté, le niveau scolaire, le retard scolaire, l’origine sociale, le genre, etc. La stabilité du modèle témoigne de la robustesse des résultats [18].
L’analyse multivariée des catégories de sanction par le modèle de base augmenté de la dimension « comportement déclaré »

L’analyse multivariée des catégories de sanction par le modèle de base augmenté de la dimension « comportement déclaré »
L’effet du contexte
46Dans toute étude portant sur le fonctionnement de l’institution scolaire, la notion de contexte est essentielle (Duru-Bellat et Mingat, 1988). Ce contexte est pris en compte par la dimension « collège » dans les modèles présentés précédemment. L’analyse peut être affinée en tenant compte du contexte de classe. Plusieurs approches sont possibles. L’étude a tout d’abord privilégié la connaissance des effets de la composition sociale des classes, puis a analysé l’influence des fréquences de sanction par classe.
47Pour traduire la tonalité sociale des classes (l’origine sociale, le retard scolaire, l’origine culturelle, etc.), des variables catégorielles ou continues peuvent être envisagées. Les premières permettent de tenir compte de la notion d’effectifs critiques pour la significativité des variables de contexte social (Duru-Bellat, Le Bastard-Landrier, Piquée et Suchaud, 2004). Les secondes, les variables continues, évitent de fractionner l’échantillon. Les variables catégorielles et continues testées aboutissent au même résultat. Dans l’enquête, la catégorisation par collège fréquenté est toujours la meilleure façon de prendre en compte le contexte social. L’introduction de variables exprimant la tonalité sociale des classes n’apporte pas de nouveaux résultats et se traduit par un pouvoir explicatif du modèle plus faible qu’avec la prise en compte du collège fréquenté [19].
48Le contexte classe peut aussi être pris en compte avec l’introduction dans les modèles d’une mesure de la fréquence des sanctions dans la classe. Pour cette analyse encore, les fortes dépendances entre les variables envisagées et la dimension « collège » ont limité les possibilités. La variable retenue indique, pour chaque type de sanction et pour chaque élève, le taux de camarades de classe sanctionnés plus de deux fois [20]. L’introduction de cette variable pose des problèmes statistiques, les sanctions reçues par chaque élève expliquant celles de ses camarades de classe. Les résultats obtenus doivent donc être interprétés avec précaution. Toutefois, la stabilité des modèles après l’introduction de la variable contextuelle montre leur robustesse : les principaux résultats précédents sont retrouvés (les influences sensibles du niveau et du retard scolaire, du sexe et de l’origine populaire).
49L’absence d’effet de l’origine ethnique sur la probabilité d’être sanctionné est également confirmée. Pour les sanctions officielles courantes, l’origine ethnique réduit même légèrement les risques de sanction pour les élèves de parents ni Français, ni Africains, ni Turcs, c’est-à-dire très majoritairement Européens ou Asiatiques. Mais cet effet protecteur de l’origine ethnique est faiblement significatif.
50Pour les sanctions internes à la classe et les sanctions officielles courantes, il est possible de conclure que le risque d’être sanctionné augmente pour un élève lorsque les élèves multisanctionnés sont nombreux dans sa classe. Un élève du groupe de référence scolarisé dans une classe où un taux élevé d’élèves a reçu plus de deux sanctions officielles courantes a 7 % (0,03 + 0,04) de risques de recevoir plus de deux fois ce type de sanction, 3 % s’il est scolarisé dans une autre classe. Les chances de ne jamais être sanctionné diminuent de 84 % à 70 % (0,84 – 0,14) pour les sanctions officielles courantes et de 75 % à 64 % (0,75 – 0,11) pour les sanctions internes à la classe. En revanche, cet effet du contexte de la classe n’existe pas pour les avertissements sur le carnet et les sanctions officielles lourdes pour des raisons déjà évoquées : la forte fréquence des avertissements et la rareté des sanctions officielles lourdes.
51Qu’il soit pris en compte par l’établissement ou par le taux de sanction dans la classe, l’importance du contexte scolaire est mise en évidence. Ce résultat est classique dans la littérature. Ainsi, pour les pratiques de notation (Duru-Bellat et Mingat, 1993 ; Felouzis, 2003), les biais d’évaluation interétablissements sont distribués selon une règle générale : les élèves d’un niveau scolaire faible sont sur-notés dans les établissements de niveau scolaire faible. Dans le domaine de la sanction, l’interprétation des mécanismes est plus complexe puisque l’effet contexte – établissements et classes – est très différencié selon le type de sanction considéré : faible voire inexistant pour les avertissements sur le carnet et les sanctions officielles lourdes, fort pour les sanctions internes à la classe et les sanctions officielles courantes.
L’analyse multivariée des catégories de sanction par le modèle de base augmenté de la dimension « taux d’élèves par classe sanctionnés plus de deux fois »

L’analyse multivariée des catégories de sanction par le modèle de base augmenté de la dimension « taux d’élèves par classe sanctionnés plus de deux fois »
Les déterminants sociaux des sanctions : quelles interprétations ?
52Les pratiques de sanction des professeurs ne sont pas susceptibles d’être réduites à un dénominateur commun – la déviance de l’élève – qui imposerait une sanction à l’image des amendes auxquelles sont soumis les automobilistes enfreignant le code de la route. L’analyse des pratiques de sanction des professeurs est inséparable de la connaissance du mode de relations maîtreélèves dans les collèges, des modalités d’élaboration et d’application du règlement intérieur, de la spécification du régime disciplinaire dans les établissements scolaires, de la diversité sociale des élèves. Il est nécessaire de définir un cadre général de la sanction qui contribue à orienter les pratiques professorales.
Cadre général de la sanction dans l’institution scolaire
53Les relations maître-élèves sont susceptibles d’être caractérisées par trois modèles différents : le modèle juridique, le modèle de la domination et le modèle de la négociation (Merle, 2001). Toutefois, hormis les situations extrêmes, le modèle juridique de la sanction scolaire est très éloigné de celui qui prévaut dans l’institution judiciaire, où des catégories de délits sont en correspondance avec des catégories de peines. D’une part, les comportements déviants tels qu’ils sont définis dans les règlements intérieurs des établissements sont limités (retards scolaires, travail non fait, dégradation de matériel, absence de courtoisie, indécence vestimentaire, etc.) ; d’autre part, il n’existe pas, au niveau national, une liste de sanctions en rapport avec les comportements déviants précités. Pour ces raisons, il existe une zone de flou considérable relative à la définition des comportements déviants et aux peines susceptibles de les sanctionner (Messineo, 2003). Dans le quotidien de la classe, l’incomplétude du modèle juridique, sa difficulté à réglementer une bonne part des relations maître-élèves laissent une place considérable aux autres modèles de régulation de l’ordre scolaire [21].
54Dans le cadre de relations maître-élèves, quasiment privées et fonctionnellement opaques, l’incertitude relative à la définition du fait fautif et l’incomplétude de la règle sont au fondement de l’établissement d’un système de fautes et de sanctions en partie propres à la classe et au professeur. L’une des manifestations de la latitude de décision de l’enseignant et du pouvoir infraréglementaire qu’il s’octroie se manifeste notamment par des prescriptions parfois rigides, concernant le matériel nécessaire au cours (feuilles grands ou petits carreaux, interdiction du blanco, etc.) ou la présentation des devoirs (laisser une marge à droite, souligner les résultats, écrire au stylo plume et non au bic, etc.).
55La multiplication de règles propres à chaque enseignant, souvent assorties d’un système spécifique de sanctions, est emblématique du modèle de la domination où l’autorité du professeur est susceptible de prévaloir sur le règlement intérieur de l’établissement (Merle, 2001). Un des exemples de la concurrence de la règle locale sur la règle nationale tient notamment à l’usage d’une punition telle que le pensum pourtant interdite depuis un arrêté du 5 juillet 1890 relatif au Régime disciplinaire des lycées et collèges de garçons. Cette interdiction, rappelée dans la réglementation du 11 juillet 2000, est toujours aussi absente des règlements intérieurs des établissements malgré la réécriture de ceux-ci (Merle, 2003). Le pensum fait dès lors l’objet de pratiques très différenciées selon les collèges (voir Tableau II). Cette punition, fondée essentiellement sur la coutume propre à chaque collège, évoque le mode de domination traditionnelle défini par Weber [22].
56Toutefois, dans ce mode de régulation scolaire où la variation locale est forte, le déviant est aussi, selon la formule de Becker, « celui auquel cette étiquette a été appliquée avec succès et le comportement déviant celui auquel la collectivité attache cette étiquette » (Becker, [1963] 1985) [23].
57À l’intérieur de l’institution éducative, il est donc pertinent de solliciter plusieurs définitions de la déviance scolaire qui renvoient aux modes différenciés de régulation des relations maître-élèves fondés tantôt sur le modèle de la domination, tantôt sur celui de la négociation en classe et, le plus souvent, sur une combinaison des deux variables selon le type d’établissement, le niveau de scolarité, la composition scolaire et sociale des classes, les caractéristiques sociales de l’enseignant. Pour cette raison, l’interprétation des pratiques de sanction est à rechercher à la fois dans les références normatives que les professeurs tentent de mettre en œuvre et dans les contraintes locales de l’activité d’enseignement.
Normes professorales et contraintes du métier : un montage hétéroclite
58Les normes de jugement professoral ont déjà fait l’objet de recherches dans des domaines autres que celui de la sanction. Une des premières analyses concerne l’élaboration des appréciations écrites des professeurs (Bourdieu et Saint-Martin, 1975). Cette recherche montrait l’existence de « catégories de l’entendement professoral » : les jugements scolaires étaient influencés par des préjugés scolaires laudatifs et dépréciatifs attachés aux positions professionnelles des parents des élèves.
59Ce sont surtout les travaux de sociologie et de psychologie sociale relatifs à l’évaluation des élèves qui ont montré l’existence de normes socio-scolaires au fondement des jugements professoraux. Ces recherches aboutissent à des résultats convergents : l’origine sociale de l’élève, son niveau scolaire, son genre, son âge influencent la notation du professeur à compétences scolaires identiques mesurées par des tests standardisés. Les interprétations de ces biais d’évaluation mettent l’accent sur l’effet des normes socio-scolaires en œuvre lors de la notation des élèves [24].
60Ces normes socio-scolaires au fondement des biais de notation sont également en œuvre lors des pratiques de sanction. La présente recherche montre que les élèves dont l’image sociale est généralement négative – niveau scolaire faible, garçon, redoublant, origine populaire – sont plus fréquemment sanctionnés. Pour expliquer ces pratiques de sanction particulières, il est possible de solliciter les « catégories de l’entendement professoral » définies par Bourdieu et Saint-Martin. Toutefois, ces catégories sont élaborées à partir d’un matériau empirique limité qui en restreint la portée : l’échantillon est réduit à des appréciations rédigées par des professeurs de classes préparatoires. Elles ne peuvent être élargies à l’ensemble des enseignants sans examen complémentaire.
61Si le modèle de la domination garde une partie de sa pertinence comme l’attestent les pratiques d’humiliation des élèves, la grande diversité des modalités de sanction selon les établissements, un respect variable des règles du droit scolaire et une tendance au fait du prince (Merle, 2001), ce modèle est aussi aveugle aux conditions actuelles d’enseignement. Dubet et Martuccelli (1996) ont mis en évidence le « montage hétéroclite » que constitue l’expérience des professeurs de collège marquée par la contestation de l’autorité, la perception d’une compétition scolaire injuste et la crainte de la dépréciation de soi. Dans cette perspective, les explications des pratiques de sanction des enseignants sont au croisement d’une part de jugements généralisants, de théories implicites sur les « bonnes pratiques pédagogiques » et, d’autre part, des contraintes du métier : le sentiment d’impuissance face aux difficultés des élèves et la nécessité de la survie dans la classe face au déshonneur du chahut (Woods, 1977).
Situation socio-scolaire des élèves et différenciation des pratiques de sanction
62Dans les explications professorales de l’échec scolaire, le manque de travail des élèves faibles est une antienne classique. Pour cette raison, les élèves faibles font l’objet d’une vigilance particulière avec, pour conséquence, un accroissement des risques de sanction en cas de manque d’attention ou de travail non fait. Même si la faiblesse scolaire ne s’expliquait pas par un manque de travail de l’élève (les exercices ne seraient pas moins faits que la moyenne), la surveillance rapprochée des professeurs favorise une pénalisation plus fréquente des élèves faibles à comportements scolaires identiques. Un tel comportement professoral est fondé sur les vertus pédagogiques attribuées habituellement à la sanction (Prairat, 2003) et au « suivi de l’élève », c’est-à-dire sa surveillance [25].
63Il existe aussi une logique scolaire à moins sanctionner pour bavardage (motif très fréquent de sanction) un bon élève qu’un élève faible. Pour le premier, sa déviance scolaire ne nuit pas à son succès alors que, dans la logique professorale, il en est autrement pour le second. Pour les bons élèves, la moindre probabilité d’être sanctionnés s’explique aussi par une forme de bienveillance que manifestent les enseignants à l’égard des collégiens qui jouent le jeu de la participation en classe et valident ainsi leur démarche pédagogique. Punir pour bavardage un bon élève, actif en classe, serait pour le professeur prendre le risque de se priver d’un allié objectif qui légitime, par sa prise de parole, les qualités pédagogiques du maître.
64Le même raisonnement de différenciation de la sanction vaut pour des élèves en retard scolaire pour lesquels il est tenu compte de leur défaillance passée dans la sévérité présente. Le processus est comparable à celui observé dans la définition de la délinquance juvénile : les « antécédents » augmentent les risques de surveillance et de pénalisation du comportement (Chamboredon, 1971). Dans l’institution éducative, le dossier scolaire assure un rôle de stigmatisation comparable au casier judiciaire [26]. Ainsi, la plus forte probabilité pour les élèves en retard de recevoir une sanction officielle courante est en relation avec leur moindre crédibilité scolaire qui favorise une surveillance accrue de leur travail. Il s’ensuit, comme pour les élèves en difficulté, un risque plus fréquent de sanction. Les sanctions officielles lourdes (convocation des parents ou exclusion temporaire), plus souvent infligées aux élèves en retard scolaire, sont la conséquence de l’engrenage de la sanction : sa faible efficacité scolaire favorise sa multiplication et progressivement sa contestation en raison de l’expérience négative de l’école qu’elle génère [27].
65Pour les élèves ayant deux ans de retard, l’avertissement sur le carnet fait exception à cette pénalisation plus fréquente : le risque de punition est sensiblement moins élevé. Cette situation, a priori paradoxale, a au moins deux explications. D’abord, les professeurs jugent vain, pour ces élèves en grande difficulté scolaire, d’informer les parents : l’avertissement sur le carnet a trop largement montré son inutilité passée, notamment lorsqu’il s’agit d’un défaut de travail. Le professeur a généralement conscience de l’efficacité marginale décroissante de l’avertissement, sanction la plus usuelle et la moins dissuasive. Ensuite, ces élèves indiquent plus fréquemment avoir « oublié leur carnet de liaison », manifestant ainsi leur opposition aux contraintes scolaires et au risque d’avertissement [28].
66Les différences de sanctions selon le genre relèvent de la même logique scolaire qui distingue l’honorabilité sociale du discrédit public [29]. L’agitation masculine, contrairement à celle des filles, suscite davantage la crainte et est davantage associée à la violence physique. Il en résulte, à titre préventif, des sanctions plus fréquentes afin d’enrayer un éventuel processus de débordement. Les travaux antérieurs ont montré que les comportements déviants des garçons, plus apparents, occupaient davantage les enseignants (Duru-Bellat et van Zanten, 1999 ; Duru-Bellat, 2004). Les données recueillies sont certes tributaires des déclarations des filles et des garçons, en partie influencées par les stéréotypes de sexes. Toutefois, les effets marginaux très significatifs associés à l’effet net du genre attestent la pertinence de l’hypothèse d’une pénalisation plus fréquente des garçons.
67L’explication des sanctions plus fréquentes des élèves d’origine populaire est à resituer dans les recherches relatives aux relations maître-élèves dans la classe. Comme l’indique Chamboredon (1971), « l’analyse sociologique doit consister à réduire les qualités substantielles de l’objet préconstruit que propose l’institution et à leur substituer des propriétés relationnelles ». Zimmermann (1986) a ainsi montré l’existence de sentiments d’antipathie, voire de répulsion, d’une partie des professeurs à l’égard des élèves d’origine populaire. Les travaux de Lepoutre (1997) sur la culture de rue des élèves de banlieue éclairent les relations conflictuelles entre ces adolescents et leurs enseignants : ces élèves exercent plus fréquemment un mode « violent » de sociabilité, emploient un parler considéré ordinairement comme des insultes et des obscénités. Dans le lieu de socialisation privilégié constitué par l’école, ils affirment cette sous-culture linguistique en multipliant les joutes verbales entre eux. Ce registre de la confrontation, également en œuvre avec les professeurs, a pour conséquence une multiplication des sanctions traduisant la réprobation enseignante. La plus forte fréquence des sanctions que connaissent ces élèves est alors à relier à la tolérance limitée d’une institution éducative où l’absence de « savoir-dire » est susceptible d’être doublement étiquetée comme fautive. Elle manifeste à la fois une lacune sociale et une incompétence scolaire [30].
68Les déviances linguistiques des élèves d’origine populaire ne constituent pas la seule interprétation de leur pénalisation plus fréquente. Dans un contexte économique marqué par un chômage qui touche plus spécifiquement leurs parents et leurs aînés, y compris les plus diplômés (Chauvel, 1999 ; Duru-Bellat, 2006), les élèves de milieu défavorisé entretiennent un rapport plus facilement critique, voire contestataire, à l’égard d’une école peu porteuse de promotion sociale (Dubet et Martucelli, 1996 ; van Zanten, 2001). Brinbaum et Kieffer (2005) montrent d’ailleurs que l’école n’est plus perçue comme un vecteur de mobilité sociale par les familles populaires. A contrario, une certaine proximité culturelle des enseignants avec les élèves des classes moyennes et aisées favorise la relation interpersonnelle, limitant les incompréhensions. Rayou et van Zanten (2004) notent ainsi que les enseignants ressentent un « sentiment de différence » vis-à-vis des élèves dans les établissements mixtes socialement et un « sentiment d’étrangeté » dans les établissements populaires. Ce sentiment d’étrangeté est lié notamment à la structure sociale des enseignants, à leur histoire scolaire, à leur image de « l’élève idéal », généralement voisine de ce que ces professeurs ont été au cours de leur scolarité [31].
69Il existe en fait des résultats constants sur les effets de la distance sociale opposant les élèves des catégories populaires et l’origine sociale des enseignants où sont surreprésentés les catégories moyennes et supérieures de façon stable dans le temps (Degenne et Vallet, 2000). Cette distance sociale explique, avec l’ancienneté dans le métier, la carrière des professeurs caractérisée par la fuite des publics d’origine populaire et les demandes de mutation dans les établissements réputés calmes, recherchés notamment pour le « charme discret des élèves bourgeois » (Léger, 1983).
70Une dernière logique doit également être sollicitée pour comprendre la plus forte sanction des élèves d’origine défavorisée. Ces élèves disposent de parents moins enclins à contester des sanctions éventuellement excessives de l’enseignant. Inversement, les élèves dont l’origine sociale est élevée ont des parents dont « il faut se méfier ». La nécessité éventuelle d’avoir à justifier la sanction auprès des parents limite la fréquence de la sanction. Les élèves ne sont jamais dans une sorte de vide social : les fiches de renseignements que les enseignants font remplir à leurs élèves en début d’année contribuent à l’établissement de hiérarchies implicites, susceptibles de favoriser autant les biais de notation que de sanction (Merle, 2007b).
Effet du niveau de scolarisation
71Si les pratiques de sanction surpénalisent certaines catégories d’élèves (les plus faibles scolairement, les plus âgés, les garçons, ceux d’origine populaire), la classe fréquentée exerce elle aussi un effet spécifique. Ainsi, les élèves de 5e ont une probabilité significativement plus forte que les élèves de 3e de recevoir un avertissement sur le carnet notamment et, dans une moindre mesure, des sanctions internes à la classe et des sanctions officielles courantes [32]. Ce résultat vient conforter les recherches antérieures. Debarbieux, Garnier, Montoya et Tichit (1999), Payet (1995) et Prum (1991) concluaient également à un plus fort taux de punition des élèves scolarisés en classe de 5e.
72Ce résultat s’explique notamment par l’orientation à la fin de la 4e d’une partie des élèves faibles et agités vers le lycée professionnel (les 3e « TOP » devenues « DP6 », classes à projet professionnel) [33]. L’avertissement sur le carnet de correspondance et les sanctions internes à la classe constituent aussi une parade plus efficace à l’égard des élèves de 5e que de 3e en raison de la banalisation progressive des sanctions qui en diminue l’effet dissuasif. Des entretiens menés auprès des enseignants confirment cette hypothèse (Grimault-Leprince, 2008). Les professeurs considèrent que les punitions sont le moyen le plus efficace d’obtenir la discipline et le travail exigés avec les élèves jeunes avec lesquels le dialogue est jugé difficile. À l’inverse, la majorité des enseignants déclare que la « maturité » des élèves de 3e les amène à privilégier la négociation plutôt que la sanction. Tout se passe comme si l’affaiblissement du pouvoir dissuasif de la sanction proportionnellement à l’âge des collégiens imposait une modification des relations maître-élèves. C’est la raison pour laquelle les pensums, présents au collège, disparaissent en lycée. Comme l’indique Max Weber, « le mode effectif d’exercice de la domination [traditionnelle] se conforme à ce que le détenteur du pouvoir peut habituellement se permettre face à la docilité traditionnelle des sujets, sans aller jusqu’à pousser ceux-ci à la résistance » ([1922], 1971).
73Malgré la robustesse des résultats, les modèles présentés n’expliquent que partiellement les sanctions reçues. Ainsi, les caractéristiques des enseignants et les circonstances de la sanction sont ignorées dans l’analyse statistique. Toutefois, il est peu probable que l’introduction de variables prenant en compte ces éléments vienne bouleverser les résultats précédents. En effet, pour biaiser l’estimation, il faudrait que certaines variables omises soient très corrélées avec les variables introduites (Le Blanc, Lollivier, Marpsat et Verger, 2000). Or, les principales caractéristiques socio-scolaires des élèves sont prises en compte par les modèles, ce qui rend cette éventualité peu probable.
74Il faut rappeler, et ce résultat ne tient pas au hasard, que les enfants d’origine étrangère, toutes choses égales par ailleurs, ne sont pas plus sanctionnés que les autres élèves. De la même façon, il a rarement été observé de biais de notation pour les élèves d’origine étrangère. Ces deux constats n’excluent pas une certaine ethnicisation des relations maître-élèves, montrée par les précédentes recherches (Payet, 1995 ; Charlot, 2000 ; Lorcerie, 2003), et l’existence de sanctions diffuses, de type individuel, en lien avec l’origine ethnique [34]. Toutefois, en raison d’une possible accusation de racisme, les professeurs font probablement preuve d’une vigilance particulière à l’égard de toute pratique écrite qui pourrait s’interpréter comme une inégalité de traitement. Certains peuvent même être plus tolérants envers les écarts de conduite des élèves d’origine étrangère, guidés par un souci de discrimination positive ou la crainte d’un racisme larvé (Perroton, 2000). Il en résulte des pratiques de sanction et de notation non liées à l’origine ethnique.
75Ce résultat est important en termes d’action sociale. De même que la connaissance de pratiques racistes est susceptible d’expliquer l’absence de discrimination des sanctions selon l’origine ethnique, on peut penser qu’une meilleure connaissance des déterminants socio-scolaires de la sanction se traduirait par des processus d’autocorrection des biais constatés dans les pratiques de sanction. Par exemple, informés des effets de la connaissance de l’origine sociale de l’élève sur la probabilité des sanctions, les professeurs pourraient être moins enclins à solliciter ce type d’information. Il en résulterait une limitation des biais de sanction concernant les enfants d’origine populaire dans la mesure où la surpénalisation scolaire est liée à cette connaissance et non à des spécificités en classe.
76Enfin, plusieurs recherches ont montré l’importance du « climat » de l’établissement comme variable concourant à son efficacité. Dans les établissements les plus favorisés socialement, la sanction est moins qu’ailleurs un mode de régulation normale des relations professeurs-élèves. Dans les établissements à recrutement populaire, le phénomène inverse est observé. Ce constat inspire deux réflexions.
77D’une part, les différences de pratiques de sanction dans les établissements montrent une spécialisation des établissements en matière de sanctions comparable à celle observée dans d’autres dimensions de l’activité des établissements scolaires (Felouzis et Perroton, 2007) et, aussi, les marges de liberté des acteurs et les possibilités de changement. D’autre part, dans un contexte politique tenté par les approches punitives, il est important d’indiquer que les pratiques des enseignants dans les établissements difficiles sont à l’antipode du laxisme. On peut même avancer une hypothèse dérangeante : la surpénalisation des élèves faibles, plus âgés, d’origine populaire, loin d’avoir les vertus préventives et curatives attendues, focaliserait les relations maîtreélèves sur la question de l’ordre, au détriment d’une réflexion sur les pratiques d’apprentissage, les contenus d’enseignement, les modalités scolaires et sociales de regroupement des élèves, les orientations professionnelles réduites offertes aux élèves scolarisés dans les banlieues, etc. La crispation sur la question des sanctions et de l’ordre scolaire amènerait à négliger les interrogations les plus aiguës posées à l’organisation de la société scolaire et, au- elà, à la société tout entière.
ANNEXES
L’origine sociale des élèves des collèges de l’échantillon

L’origine sociale des élèves des collèges de l’échantillon
Caractéristiques des enseignants dans les collèges enquêtés (en %)

Caractéristiques des enseignants dans les collèges enquêtés (en %)
Notes
-
[*]
Les auteurs remercient vivement Georges Felouzis et les lecteurs anonymes de la Revue française de sociologie pour leurs remarques et suggestions relatives à une première version de ce texte.
- (1)Les sanctions relatives aux condamnés ou prévenus dans l’institution pénitentiaire ou celles appliquées aux agents d’une institution (militaires, policiers, gendarmes, etc.) en cas de manquement à leurs obligations de services ne sont pas forcément mieux connues. Dès lors que la sanction est considérée comme « ne faisant pas grief » à l’intéressé, elle ne peut donner lieu à un recours en tribunal administratif, conformément au principe juridique de minimis non curat praetror (le juge ne se soucie pas des petites choses). Dans le secteur privé, les pratiques de sanctions internes à l’entreprise sont également difficiles à connaître en l’absence de recours aux prud’hommes. Globalement, la faible visibilité des sanctions à l’intérieur des organisations et leur enregistrement statistique aléatoire entravent considérablement leur connaissance. Les modalités de contrôle social des individus sur leur lieu de travail constituent un objet sociologique difficile à construire.
- (2)L’arrêté du 19 décembre 2006 relatif au cahier des charges de la formation des maîtres précise : « La formation professionnelle initiale, dispensée en Institut universitaire de formation des maîtres, doit permettre d’assurer une maîtrise suffisante de chacune des dix compétences suivantes, dont le contenu est précisé dans l’annexe du présent arrêté : agir en fonctionnaire de l’État et de façon éthique et responsable ; maîtriser la langue française pour enseigner et communiquer ; maîtriser les disciplines et avoir une bonne culture générale ; concevoir et mettre en œuvre son enseignement ; organiser le travail de la classe ; prendre en compte la diversité des élèves ; évaluer les élèves ; maîtriser les technologies de l’information et de la communication ; travailler en équipe et coopérer avec les parents et les partenaires de l’école ; se former et innover. »
- (3)La circulaire no 2000-105 rappelle les principes généraux du droit à appliquer aux sanctions scolaires (principes de légalité, du contradictoire, de la proportionnalité et de l’individualisation) et explicite les conditions de mise en œuvre et les procédures des sanctions. La circulaire no 2000-106 énonce les modifications à apporter aux règlements intérieurs.
- (4)Dans les enquêtes SOFRES, parmi les difficultés rencontrées, la « gestion de la classe » est l’item le plus fréquemment choisi par les enseignants en début de carrière (par exemple, enquête SOFRES pour le SNES, mars 2001, nº 542).
- (5)Dans les établissements retenus dans l’étude, aucun registre des sanctions n’était tenu. Faute d’une statistique générale, le chercheur est réduit à des données partielles. Sur les 35 étudiants préparant le concours de CPE (conseiller principal d’éducation) à l’IUFM de Bretagne, seulement cinq ont constaté l’existence d’un registre des sanctions dans leur établissement de stage (année 2007-2008). Certaines évolutions pourraient toutefois encourager les établissements à recenser les décisions disciplinaires. Instituée en 2006, la « note de vie scolaire » doit prendre en compte le respect du règlement intérieur par l’élève (notamment les retards scolaires). Parallèlement, la comptabilisation de certaines sanctions (retenues, exclusions de cours et exclusions de l’établissement) est facilitée par la mise à disposition par les rectorats du logiciel en ligne Sconet, même si certains établissements, réservés à l’égard de cet « œil de Moscou », préfèrent disposer d’un fichier indépendant. Il faut rappeler que le logiciel Signa de comptabilisation des « violences scolaires » a débouché sur la publication dans la presse d’un classement stigmatisant les établissements « à problèmes » (Le Point, « Violences scolaires », 2006,1572, pp. 46-59 : http ://violencesscolaires.lepoint.fr/).
- (6)Les dénominations retenues pour spécifier chacun des collèges étudiés (Duquartier, Delacité, Dufoin, etc.) ont été choisies en raison des spécificités de leur recrutement social (voir Annexe I).
- (7)Pour l’analyse statistique, les variables binaires de niveau scolaire sont obtenues en classant comme étant de faible niveau les élèves se déclarant faibles dans les deux domaines, littéraire et scientifique, et comme étant de très bon niveau les élèves se déclarant forts dans les deux domaines. Les autres élèves sont pris comme référence (niveau moyen).
- (8)Les recherches antérieures, par exemple Debarbieux, Garnier, Montoya et Tichit (1999), ont souligné la fréquence de cette sanction et la nécessité de la prendre en compte dans la recherche.
- (9)Les taux de réponse sont globalement élevés et seulement trois questionnaires comprenaient des réponses aberrantes du type : « Mon père est président de la République. » Toutefois, les non-réponses sont plus nombreuses aux questions posées sur la nationalité et la profession des parents et ont limité, dans la suite de l’étude, le nombre d’élèves pris en compte dans les analyses multivariées (605 élèves, soit 91 % des interrogés, ont répondu aux questions « nationalités des parents » et, parmi eux, 584 ont répondu aux questions permettant de déterminer la PCS du chef de famille. La quinzaine de non-réponses restante est répartie sur d’autres questions).
- (10)Le terme « violence » ne recouvre que les actes de violence physique, car c’est la signification que lui donnent les élèves interrogés.
- (11)Les propos jugés sexistes sont susceptibles d’expliquer à la fois les pratiques de sous-notation (voir dernière partie) et de pénalisation plus fréquente des élèves d’origine populaire : « C’est vrai que tu as des élèves qui sont épouvantables aussi, ça arrive : j’avais une classe, il y avait deux mecs, un jour, à l’intercours, j’étais seule avec eux parce que les autres étaient sortis, et il y en a un qui a dit en rigolant à 242 son copain : “On se la coince.” Des mecs comme ça, aucune pitié. Je crois qu’il n’a pas mesuré la distance à laquelle je tenais. Pour lui, dans sa tête, ça n’était même pas insultant, parce que c’est comme ça qu’il doit traiter les filles par ailleurs, mais je m’en fous. Je n’ai pas non plus une pitié infinie pour ces pauvres petits enfants d’ouvriers. » (professeur femme en classe terminale) (Merle, 2007b).
- (12)Pour toutes les associations possibles de variables explicatives du modèle de base, le V de Cramer se situe dans l’intervalle [-0,50 ; 0,50]. Il n’y a donc pas de dépendance marquée. Une modalité a été ajoutée comme modalité de référence : « habitat rural », en raison d’une quasi-colinéarité avec la modalité « collège de zone rurale » (V de Cramer = 0,96).
- (13)L’effet marginal donne la variation de la probabilité de référence (indiquée au début de chaque colonne) lorsque la variable explicative passe de la valeur 0 à 1. La probabilité de référence est la probabilité de sanction prédite par le modèle pour le groupe d’élèves qui possède les caractéristiques des modalités de référence (en gris dans les tableaux).
- (14)Sept élèves ne correspondaient pas à ces critères : quatre avaient déclaré la nationalité du père française et n’avait pas renseigné celle de la mère : ils ont été classés avec ceux déclarant deux parents français. Trois avaient déclaré un des parents possédant la nationalité turque ou la nationalité d’un pays africain et l’autre parent possédant la nationalité d’un pays européen. Ils correspondaient donc à la fois aux critères de la deuxième et de la troisième modalité. Ils ont été classés avec ceux possédant au moins un parent de nationalité turque ou de nationalité d’un pays africain.
- (15)Ces résultats sont du même ordre que la pénalité ethnique que subissent les enfants de la seconde génération sur le marché du travail en France (Silberman et Fournier, 2006).
- (16)Dans leur recherche sur la partialité de la justice et la situation spécifique des prévenus d’origine maghrébine, Jobard et Névanen (2007) parviennent à un résultat où les données brutes apportent également une image déformée de la réalité sociale. Certes, les prévenus d’origine maghrébine subissent un taux d’emprisonnement à peu près deux fois supérieur à celui des prévenus du groupe européen et la durée de leur peine d’emprisonnement ferme est plus longue. Toutefois, il n’est pas possible d’en déduire une discrimination des pratiques judiciaires en raison notamment d’infractions non comparables entre les deux populations et d’un certain nombre de « facteurs techniques » tels que les moindres « garanties de représentation » des prévenus maghrébins.
- (17)Il faut noter que la question portant sur le comportement en classe précédait celle portant sur le nombre de sanctions reçues. Les élèves n’étaient ainsi pas influencés dans l’évaluation de leur attitude par le nombre de sanctions déclaré.
- (18)Les différences de significativité et de valeur des effets marginaux entre les deux premiers modèles (Tableaux V et VI) ne sont pas commentées en raison de la faiblesse des différences constatées et de la subjectivité de la variable comportement en classe ajoutée au modèle.
- (19)Les variables de tonalité sociale des classes se substituent à la variable collège en raison d’une dépendance très élevée. Les V de Cramer sont supérieurs à 0,85. Ce résultat tient à la spécificité des données : les collèges étudiés ne présentent pas de réelles différences internes en matière de composition des classes. Les classes des trois collèges défavorisés (hormis une) se caractérisent par l’origine populaire d’une majorité d’élèves, un fort taux de retard scolaire et une forte proportion d’élèves de parents étrangers. Le collège favorisé présente les caractéristiques inverses et le collège rural se caractérise par l’homogénéité sociale des classes (catégorie sociale moyenne), un taux de retard dans la moyenne et un taux d’élèves de parents étrangers quasi nul. Par conséquent, les différences interclasses sont très largement appréhendées par la variable « collège ».
- (20)Pour chaque élève, un score indique le taux d’élèves sanctionnés plus de deux fois dans la classe (hormis lui-même). La variable de contexte créée attribue la valeur « 1 » à chaque élève dont le score se situe dans le quartile des scores les plus élevés et « 0 » aux autres. Il aurait été opportun d’intégrer également au modèle une variable indiquant un faible taux d’élèves sanctionnés plus de deux fois (le premier quartile de la répartition des scores), mais la trop grande dépendance de cette variable aux modalités de la dimension « collège » exclut cette possibilité.
- (21)Le respect de la décence vestimentaire, mentionné dans les règlements intérieurs des établissements par la demande d’une « tenue correcte », est à ce titre emblématique. Le relâchement vestimentaire outrepassant rarement les règles ordinaires de la décence, la sanction constituerait une restriction de la liberté d’expression individuelle. Pour cette raison, la sanction relève le plus souvent de la condamnation morale et prend la forme de réprimandes orales. Il s’agit donc d’un comportement jugé fautif dans les règlements intérieurs auquel ne correspondent généralement, faute d’un motif fondé en droit, que des sanctions diffuses visant à limiter les écarts vestimentaires.
- (22)Il existe un parallèle entre le pouvoir que s’approprient les professeurs sur « leurs » élèves et celui exercé par les principaux sur les enseignants en raison de sa capacité à aménager les horaires et à octroyer ou retirer de petits avantages (Dubet et Martuccelli, 1996).
- (23)Cette collectivité est essentiellement celle des enseignants mais pas uniquement celle-ci. Parmi les adolescents, la mode de l’atébas (tresse dans les cheveux réalisée avec de la laine) est une source de tensions lorsque celui-ci est prolongé d’une petite clochette, éventuellement dérangeante en classe pour le professeur lorsque l’élève bouge la tête. La définition de l’atébas comme fait fautif, nécessitant sanction, est forcément problématique. Certains élèves arguent de la tolérance de certains enseignants pour conserver leur atébas condamné par d’autres.
- (24)Une synthèse de ces travaux particulièrement abondants est disponible dans Merle (1998, 2007b). Ces mêmes biais d’évaluation ont été retrouvés lors de l’étude des pratiques de notation en classe de terminale (Oget, 1999).
- (25)Dans ce processus, évocateur de Foucault (1975), la sanction est d’autant plus nécessaire que les élèves sont faibles tout comme, mutatis mutandis, la prison est parfois considérée comme la seule thérapie de l’acte déviant. Au début du XIXe siècle, l’emprisonnement était d’ailleurs une punition banale dans les lycées. Par exemple, pour les élèves du lycée Louis Le Grand, deux jours de prison par an, en moyenne, pour l’année 1836-1837 (Contou, 1980). Les élèves scolairement faibles, plus souvent sanctionnés, à comportements scolaires comparables, sont aussi davantage l’objet de sanctions diffuses, notamment de propos humiliants (Choquet et Héran, 1996).
- (26)Pour limiter l’effet stigmatisant du dossier scolaire, son usage a été strictement encadré par la réglementation : la plupart des sanctions doivent être retirées du dossier à la fin de l’année. Toutefois, si un collégien agité reste quatre, voire cinq années dans le même collège, sa réputation suffira à assurer un effet stigmatisant.
- (27)La réglementation de juillet 2000 a fait l’objet d’un dossier d’accompagnement du ministère indiquant les limites des politiques d’exclusion temporaire ou définitive qui créent une population de « poly-exclus » devenue progressivement insensible à toute sanction.
- (28)« L’oubli » du carnet de liaison est généralement un motif de sanction. Mais ces élèves jouent plus ou moins consciemment sur la difficulté professorale à entrer dans une logique répressive en partie absurde. Certains de ces élèves sont en effet peu capables, en raison de leur niveau scolaire, de mener à bien un travail à faire à la maison en cas d’oubli du carnet de liaison. La difficulté à sanctionner légèrement favorise le risque de sanctions lourdes.
- (29)L’effet de l’honorabilité sociale sur les pratiques de jugement a déjà été observé en dehors du champ scolaire (Gruel, 1991).
- (30)Dans les établissements scolaires, l’insulte, c’est-à-dire le manquement à la courtoisie prescrite dans le règlement intérieur, relève d’une définition large et floue puisqu’elle inclut éventuellement le tutoiement du professeur par l’élève. Selon les normes de sanctions propres à l’établissement ou à l’enseignant, ce tutoiement, même s’il intervient de façon spontanée dans une conversation, fait éventuellement l’objet d’une retenue. La condamnation du tutoiement est classique d’une certaine littérature passéiste à succès (Brighelli, 2005) dans laquelle le professeur est invité à résister à « l’invasion des Barbares ».
- (31)Sur un échantillon de 1 000 enseignants du second degré exerçant en 2004, plus de 50 % ont un père cadre ou profession intermédiaire et 75 % se décrivent comme d’anciens bons, voire très bons élèves, dans le secondaire (Esquieu et Lopes, 2005).
- (32)La relation s’inverse pour les sanctions officielles lourdes en raison du mode de comptabilisation. Pour celles-ci, le recensement est réalisé depuis l’entrée en 6e, c’est-à-dire sur une période de deux ans pour les élèves de 5e et de quatre ans pour ceux de 3e. Il est donc difficile de conclure sur l’influence de la classe.
- (33)Au moment de l’enquête, les élèves les plus faibles étaient orientés en fin de 5e vers la 4e « aide et soutien » ou, en fin de 4e, vers la 3e d’insertion.
- (34)Debarbieux, Dupuch et Montoya (1997) indiquent que les entretiens menés auprès des enseignants manifestent l’existence d’un « racisme affirmé » de certains d’entre eux.