Cet article se propose de revenir sur les origines du management public en France, en étudiant la Rationalisation des choix budgétaires (RCB) lancée en 1968. Plus précisément, il se focalise sur une technologie de mesure spécifique : le « budget de programmes », que les hauts fonctionnaires de la RCB cherchent, sans véritable volonté politique, à généraliser au sein de l’État français. En 1971, le texte officiel du VIe Plan y voit ainsi l’espoir d’une « meilleure analyse des coûts », fondée sur « l’application au secteur public de certaines méthodes de management » [CGP, 1971, p. 48‑49]. En 1976, ils sont en place dans plusieurs ministères, mais une note préconise d’adopter une « démarche pragmatique » et signale une baisse certaine des prétentions [Commission de RCB, 1977, p. 60]. À l’occasion du vote du budget de l’État pour 1978, des « blancs » contenant les budgets de programmes sont transmis aux parlementaires, mais n’entrent pas dans les usages. Ce projet le plus souvent oublié – que j’analyse ici dans la perspective d’une sociologie historique en me basant sur les écrits du Bulletin RCB, sur les ouvrages publiés par les réformateurs et sur des travaux d’historiens – s’avère, malgré son échec, extrêmement révélateur : il nous oblige en effet à remettre en cause certains des a priori actuels concernant l’origine du processus de managérialisation des services publics.
Ce dernier demeure le plus souvent décrit comme une sorte d’« influence » occulte du « marché » sur l’État, qui résulterait de l’adhésion d’un certain nombre de responsables politiques et de hauts fonctionnaires à une « idéologie » qualifiée de « néolibérale »…