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Marie Bergström (2019). Les nouvelles lois de l’amour. Sexualité, couple et rencontres au temps du numérique. Paris, La Découverte, coll. « Sciences humaines », 228 p.

1Le livre de Marie Bergström constitue une synthèse de ses recherches sur les plateformes de rencontres amoureuses et/ou sexuelles en ligne. Il se présente comme une passionnante enquête sur les usages de ces sites, dont le succès depuis une quinzaine d’années a engendré de nombreux discours catastrophistes sur la marchandisation des émotions [1]. L’auteure en démonte tous les ressorts avec des arguments scientifiques tirés de ses entretiens avec des créateurs de plateformes et des utilisateurs de celles-ci, mais aussi des observations en ligne et l’analyse de corpus de presse, de données numériques obtenues par un partenariat avec le site Meetic et l’exploitation de l’enquête EPIC sur les trajectoires conjugales menée par l’INED.

2La thèse de l’auteure est énoncée très clairement dès l’introduction du livre : plutôt qu’une marchandisation de l’intime, les plateformes de relations amoureuses sont en réalité le symptôme d’une autre transformation, celle de la privatisation des sociabilités, soit un resserrement des relations sur l’espace privatif. Certes, le fait de se rencontrer en ligne permet un désencastrement des relations affectives d’autres contextes sociaux traditionnels (le travail, les études, les cercles amicaux, la famille…) mais cela n’est pas pour autant synonyme d’une marchandisation des rapports sociaux. Pour l’auteure, cette erreur que l’on trouve très présente dans les médias en particulier, tend à confondre les interfaces, et les usages et appropriations qui en sont faits.

3M. Bergström met en perspective toutes ses observations en s’inscrivant à la croisée d’une sociologie des sociabilités et d’une sociologie du couple et de la conjugalité qui décrivent et analysent depuis les années 1950 les mutations profondes qu’ont connues les relations amoureuses et la place qu’y tient la sexualité. L’arrivée d’internet prolonge un certain nombre de tendances déjà entamées auparavant, en particulier la déconnexion partielle entre sexualité et conjugalité. Toutefois, certaines lois sociales demeurent très prégnantes, en particulier celle de l’homogamie : les observations fines de la chercheuse montrent que même si les possibilités de rencontres sont a priori illimitées et libérées des pesanteurs sociales, les personnes en « choisissent » toujours d’autres qui leur sont très proches sur l’échiquier social, et très rares sont les relations, en particulier durables, qui dérogent à cette loi du « qui se ressemble, s’assemble ».

4Le premier chapitre retrace l’histoire depuis le XVIIe siècle des appariements amoureux médiés, en montrant que le XIXe siècle est un moment particulier puisque s’y installe la norme du mariage amoureux et, en amont, de la rencontre romantique qui se doit d’être hasardeuse. Les médiateurs, qu’ils prennent la forme d’entremetteurs professionnels, d’annonces dans des journaux, d’agences matrimoniales, de pages Minitel, de bulletin boards systems[2] puis de sites et applications en ligne, sont tous l’objet d’un vif discrédit à l’époque de leur essor, et pourtant constituent des marchés florissants. L’auteure restitue ensuite plus précisément son enquête sur les professionnels des sites de rencontres et analyse ce marché de la rencontre à l’heure numérique qui explose à partir des années 2010. Si ces services sont moralement contestés et atypiques sur ce plan, le fonctionnement marchand suit lui une perspective très « business as usual » : les entretiens avec les acteurs du marché montrent que les logiques de mimétisme y sont en effet très prégnantes et, qu’à partir d’un standard gagnant (celui de Meetic en particulier), « les techniciens de la rencontre » se sont bornés à répliquer le même modèle, tout en cherchant à se différencier par des voies de segmentation – propositions d’appariements sur des critères ethno-raciaux, de catégories professionnelles, de confessions… Ces sites spécifiques, rappelle l’auteure, doivent être pris pour ce qu’ils sont : des interfaces qui cherchent un modèle rentable, et il serait donc imprudent (quoique courant) d’en déduire mécaniquement des transformations sociales, comme la tendance au communautarisme.

5Le deuxième chapitre rentre justement dans les usages réels de ces sites, en analysant les raisons du succès de ces plateformes depuis 15 ans. M. Bergström mobilise la sociologie du couple et de la sexualité pour montrer que le numérique s’inscrit dans un mouvement plus large de diversification des vies intimes, amorcé depuis les années 1970. La variable qui fait le plus sens pour elle est ici l’âge : les sites de rencontres sont plus massivement utilisés par les plus jeunes (20-30 ans) pour y diversifier les expériences amoureuses et sexuelles. Un deuxième type d’usage correspond à celui des personnes dépassant 30 ans, les femmes en particulier, qui cherchent de manière volontariste, un partenaire stable pour une mise en couple, dans un contexte où les occasions de rencontres se raréfient par ailleurs. Enfin, le troisième type d’usage concerne les personnes qui ont été en couple, parfois longtemps, et qui cherchent à retrouver un partenaire après une rupture. Loin d’être le symptôme d’une hypersexualisation de la vie amoureuse, les sites contribuent à la complexification des trajectoires observées par ailleurs dans les enquêtes, et sont donc analysés ici de manière plurivoque.

6Le troisième chapitre intitulé « Se correspondre en ligne » identifie les étapes clés d’une rencontre naissant sur une plateforme spécialisée ainsi que les filtres de sélection que les partenaires mettent en œuvre à chacune d’elles pour trouver une personne adéquate. M. Bergström insiste ici sur le poids très fort de l’écrit : en ligne, même si l’image est très présente, la prise de contact se fait avant tout par écrit, domaine par excellence où se repèrent les appartenances sociales et où les logiques de distinction jouent à plein. Se déploient ainsi de multiples micro-tactiques qui permettront à la loi de l’homogamie de s’actualiser. La description de soi dans le profil est d’abord l’objet des attentions des interviewé.e.s qui apprennent à sélectionner leurs interlocuteurs en fonction de leurs photographies et à se raconter de manière à attirer des partenaires, et à repérer dans les descriptions des autres des signaux d’appariements heureux. Vient ensuite le moment de la correspondance écrite où les discriminations se font sur des critères d’orthographe, de mise en résonance de références culturelles communes ou proches. Cette étape est essentielle car elle détermine ensuite la décision ou non da la prolonger par une rencontre physique, qui a d’ailleurs lieu généralement assez rapidement après la première prise de contact.

7Le quatrième chapitre fait un pas de côté, en traitant la question du célibat à l’ère numérique. Marchant dans les pas de Pierre Bourdieu et son très beau Bal des célibataires[3], la chercheuse analyse l’impact de ces sites sur l’image sociale et la condition des célibataires en fonction de l’âge et du genre. « Loin d’être une simple variable biologique, qui se mesure sur une échelle linéaire, l’âge se compte différemment pour les deux sexes » (p. 163), écrit-elle, pointant une « valeur différentielle de l’âge » en fonction du genre et de l’origine sociale, à travers l’analyse de trajectoires amoureuses. En analysant les « exclus » des sites de rencontres, soit ceux et celles à qui on répond peu, M. Bergström dessine diverses facettes de la figure du célibataire. Les jeunes hommes de classes populaires et les femmes séparées de plus de 40 ans sont ainsi plus largement disqualifiés.

8Enfin, le cinquième chapitre établit les effets de ces sites sur les normes amoureuses et les trajectoires conjugales. En replaçant cette innovation dans l’histoire des rapports entre conjugalité et sexualité, l’auteure montre que les sites de rencontres n’ont pas engendré de révolution sexuelle. En revanche, ils s’inscrivent dans une transformation, celle de la diversification des formes d’hétérosexualité. Certes, ces relations sont plus occasionnelles et plus rapidement sexuelles, en particulier parce que l’on assiste à un déplacement des instances de contrôle qui hier étaient situées là où les rencontres naissaient le plus fréquemment, c’est-à-dire dans les sociabilités amicales, familiales, ou professionnelles. Les sites opèrent un désencastrement que l’on peut juger salutaire dans le sens où les relations peuvent se nouer et se dénouer librement en dehors de ces regards sociaux traditionnels. Toutefois, l’auteure constate dans le même temps une intériorisation du contrôle chez les usagers et usagères de ces plateformes, en particulier de la part des femmes, qui maintiennent généralement une retenue dans le processus de séduction, quand les hommes demeurent plus souvent à l’initiative. En toile de fond demeure la crainte des violences sexuelles – subies très majoritairement par les femmes. Cette crainte introduit des comportements de réserve et de protection chez les usagères, qui peuvent aussi parfois s’interpréter comme des manières de temporiser, de se laisser le temps de la réflexion pour définir le statut de la relation.

9L’ouvrage de M. Bergström constitue donc un apport essentiel pour une sociologie du numérique étroitement articulée à une sociologie du couple et de l’intimité. Sa conclusion en témoigne : en proposant une « lecture matérialiste des transformations récentes de la vie amoureuse et sexuelle » (p. 211), l’auteure met à distance les interprétations idéelles visant à expliquer les évolutions contemporaines de la vie amoureuse par des changements normatifs désincarnés. Elle insiste au contraire sur les changements structurels qui donnent corps à ces nouvelles normes, et notamment les changements économiques (en particulier du marché du travail) des soixante dernières années qui ont profondément transformé les parcours de vie. Ainsi, les plus jeunes n’ont pas un rapport désormais plus « consumériste » aux relations intimes mais expérimentent une « liberté sexuelle “en sursis” », dans une phase d’incertitude et de prise progressive d’autonomie. De même, les individus plus âgés (souvent des femmes) cherchant un partenaire de manière volontariste ne cèdent pas à la seule injonction de la prise en main d’eux-mêmes, mais réagissent aux évolutions des possibilités de rencontres qui se raréfient avec l’âge. Prêtant une attention constante aux variables lourdes de l’âge, du genre, de la classe sociale pour expliquer les variations d’usages et d’engagements sur les plateformes, la chercheuse offre une belle leçon de sociologie. En refermant ce livre, d’une écriture limpide et équilibrée dans la progression des arguments, le lecteur saura mettre à distance les idées simplistes de marchandisation et d’hypersexualisation des relations amoureuses à l’heure du numérique, pour préférer une mise en perspective plus générale, qui prend ici la forme d’une véritable histoire sociale de cette pratique inédite.

10Marie TRESPEUCH

11Sorbonne-Université, GEMASS

12marie.trespeuch@sorbonne-universite.fr

Angela Jones (2020). Camming: Money, power and pleasure in the sex work industry. New York, New York University Press, 344 p.

13« L’industrie de la cam n’est pas un paradis utopique. Il s’agit d’un marché capitaliste qui exploite et reproduit la suprématie blanche, le patriarcat, l’hétérosexisme, le cisexisme et le validisme » (ma traduction, p. xiii). C’est avec cette analyse que la sociologue Angela Jones débute son livre Camming: Money, power and pleasure in the sex work industry. Ce « sex-work » dans lequel les personnes diffusent en direct sur Internet des performances sexuellement explicites, a aussi la particularité d’être interactif, c’est-à-dire que le ou les spectateurs interagissent, parlent et parfois dictent ce que doit faire la camgirl ou le camboy. Elle-même ancienne stripteaseuse, la sociologue commence son livre par une réflexion sur l’ambivalence du « travail du sexe » : à la fois symbole d’oppression – avec la figure des patrons de clubs véreux qui cherchent à maximiser le profit sans prise en compte du bien-être de leurs salariées –, mais aussi d’empowerment – comme l’autrice l’explique, le travail du sexe lui a ainsi permis de vivre de bons moments, de bien gagner sa vie, de se payer un logement indépendant à New York, et même à certains moments de prendre du plaisir au travail.

14L’enquête se base sur des entretiens auprès de 30 acteurs du marché de la cam ; un questionnaire en ligne passé auprès de 105 modèles hommes ou femmes ; ainsi que des données récupérées sur 343 profils de camgirls et camboys affiliés à l’un des plus gros sites de sexcaming. Le livre se structure en 9 chapitres indépendants les uns des autres et qui reprennent dans leur majorité des articles déjà publiés. À ces chapitres s’ajoute une longue conclusion sur les effets des nouvelles lois étatsuniennes sur la pornographie en ligne, ainsi que des annexes méthodologiques concernant le recrutement et les questionnements éthiques que pose l’enquête sur la vente de services sexuels en ligne.

15Dans le premier chapitre, Angela Jones développe les raisons qui font du sexcam une alternative envisageable à des formes plus classiques de travail du sexe, comme la prostitution ou l’escorting (qui toutes deux supposent un face-à-face). Une de ces raisons est la plus grande sécurité qu’offre Internet : de fait, le sex work en ligne amène vers le travail du sexe des personnes qui n’y seraient pas arrivées autrement, notamment par peur des réactions trop incertaines des clients. Ce travail du sexe en ligne permet aussi à un ensemble de personnes, racisées notamment, de trouver un emploi rémunéré. Ce travail, qui peut être vécu comme une contrainte, est aussi envisagé comme une source de plaisir. Il s’agit d’une réflexion forte du livre, et qui revient dans plusieurs chapitres : la place du plaisir au travail. À ce propos, l’autrice développe la notion d’« embodied authenticity », que l’on pourrait traduire par « authenticité intrinsèque », et qui renvoie au fait que le site internet permettrait une barrière psychologique entre le travailleur ou la travailleuse et le client, favorisant la prise « réelle » de plaisir. Angela Jones défend également une hypothèse forte concernant le plaisir que l’on peut prendre au travail : « plus on aime la cam, plus on continue la cam » (ma traduction, p. 8). Autrement dit, la satisfaction au travail serait très directement liée au plaisir procuré par la tâche réalisée, et donc a priori à la durée de la trajectoire de camgirl ou de camboy.

16L’auteur de Camming propose plusieurs explications au succès rencontré par le camming ces dernières années (chapitre 2). Une des premières raisons résiderait dans le développement d’Internet et la production de nouveaux contenus pornographiques amateurs. C’est plus globalement l’histoire de la pornographie payante que s’attache à retracer la sociologue dans cette partie du livre : après l’apparition de dispositifs permettant de payer le contenu à la minute, à la scène, puis au film, des sites comme Chaturbate (où des amateurs s’exhibaient gratuitement devant une webcam) sont venus bouleverser le marché des contenus pornographiques. Le développement d’applications comme Skype, Instagram ou Snapchat – et globalement des réseaux sociaux –, ou encore l’utilisation de plus en plus importante des smartphones, combinés à la généralisation de l’accès illimité à Internet contribuent à faire peu à peu de la cam un marché en expansion extrêmement lucratif. Cependant, ce développement ne prend pas la même forme selon les sociétés. Si, dans des pays comme les États-Unis ou en France, ce sont surtout des hommes et des femmes indépendant.e.s qui diffusent, d’autres, comme la Roumanie et la Colombie, privilégient la diffusion via des studios, des endroits de diffusion mis à disposition des modèles. Dans ces studios, existant prioritairement dans des pays où l’accès à internet est limité, le propriétaire du lieu prend par la suite une commission sur ce que touche la camgirl.

17Dans le troisième chapitre, Angela Jones propose une morphologie des sites de cam. Aujourd’hui, il y en aurait 13 principaux à l’international (dont l’un des plus fréquentés est Livejasmin), auxquels s’ajoutent des « clones » (qui n’ont pas la même adresse internet, mais renvoient aux mêmes modèles), ainsi qu’une multitude de plus petits sites destinés à des marchés européens ou nationaux. En plus des plateformes, et des studios évoqués précédemment, il existe des online studios aussi appelées « agences » qui en échange d’une partie de leurs revenus s’occupent de la promotion des modèles sur Internet, ainsi que de les « coacher » pour s’assurer un minimum de spectateurs, et donc de revenus.

18Le quatrième chapitre revient sur les conditions d’emploi des camgirls et des camboys. En effet, la cam permet souvent de gagner plus que ce que ne le permettrait un autre emploi « classique ». Mais entrer dans la cam, affirme Angela Jones, est souvent plus complexe que le simple désir de toucher un revenu décent. Cela peut être aussi une façon de s’exprimer artistiquement, mais aussi de pouvoir gagner une somme importante d’argent sur des périodes limitées, et arriver en parallèle à élever un enfant, mener ses études, se soigner ou mener une carrière artistique hors du sex work. Le camming peut aussi être une façon d’explorer sa sexualité, comme le montrait déjà Mathieu Trachman dans son analyse des carrières d’actrices de films pornographiques français [4].

19Le cinquième chapitre revient une nouvelle fois sur cette question du plaisir au travail. 90 % des personnes interrogées dans l’enquête en ligne menée par Angela Jones affirment être satisfaits de leur emploi. Une des raisons avancées est le plaisir d’aider psychologiquement un spectateur. Cependant, il ne s’agit pas de nier les dangers de la cam, qui sont nombreux. En effet, le sexcamming est un vrai travail émotionnel et corporel, qui comporte des risques. Parmi ces dangers, on compte le capping, c’est-à-dire le fait de voir enregistrer ses vidéos et de les retrouver publiées illégalement sur d’autres plateformes ; ou le doxing, que l’on définit comme une volonté de certains spectateurs de trouver des informations sur la vie privée du modèle dans le but de la harceler et/ou de lui soutirer des contenus sans payer.

20Le chapitre 6 s’intéresse à la « camily », contraction de camming et de family, et plus spécifiquement aux communautés créées par les camboys et les camgirls. En effet, ces derniers affirment que la cam a tendance à isoler de ses proches, et qu’il est important de trouver des collègues à qui parler. On constate aussi ces dernières années une tendance à favoriser la socialisation professionnelle, notamment suite à la création d’espaces professionnels en dehors d’internet, avec la mise en place de prix (Live Cam Awards) ou de conventions professionnelles (comme la CamCon depuis 2014 aux États-Unis).

21Le septième chapitre porte sur les contenus des shows, et en particulier sur les manufactured identities ou « en d’autres termes » les personnages et les types de prestation. Parmi les critères importants dans la création de son style de cam, l’âge supposé du modèle semble jouer un rôle déterminant : très jeunes ou âgés, tous les modèles travaillent cette dimension souvent en diminuant leur âge. Aussi, Angela Jones montre que la figure idéale de la camgirl ou du camboy est quelqu’un de plutôt jeune (même si les plus âgé.e.s sont aussi valorisé.e.s sous la forme des MILF (acronyme pour Mother I Would Like to Fuck) ou des DILF (où Dad remplace Mother), a priori bisexuel.le et célibataire.

22Le huitième chapitre porte plus spécifiquement sur les camgirls et camboys noir.e.s, ou la place si particulière occupée par ces modèles sur les plateformes. Ainsi, il s’échange sur les forums entre professionnels que certains sites de cam mainstreams ne sont pas des endroits faits pour les camboys et camgirls non blanches : ils et elles auront moins de succès, seront plus systématiquement relégués aux dernières pages du site, etc. Après avoir récupéré des données sur un des sites de camming les plus connus, Angela Jones en conclut que les modèles noir.e.s y ont statiquement moins de succès. Une des explications avancées réside dans ce que l’auteure nomme un « cutural sexual racism » (p. 193) : les modèles non blancs sur ces sites ne sont pas moins visités parce qu’ils ou elles produisent des performances de moindre qualité, mais parce que ce qui est considéré comme « désirable » reste ancré dans des rapports sociaux de race. Ce système de sexual racism est favorisé par les créateurs de site, puisqu’il est possible de sélectionner les modèles en fonction de leur « ethnicité » ou de leur « région ».

23Enfin, le dernier chapitre porte sur les pratiques que l’on qualifie de kinky, une notion utilisée pour décrire des pratiques non normatives, par exemple le BDSM, l’humiliation ou des simulations de pratiques incestueuses, etc. Ces marchés de niche sont souvent empreints de fantasmes racistes. Angela Jones termine justement son livre sur la réflexivité de ces modèles racisés par rapport à ce type de demande. Nombreux sont celles et ceux qui refusent ce type de pratique, alors même qu’il semble s’agir d’une demande régulière. Il faut alors réussir à mettre la bonne distance entre nécessité de travailler et éthique professionnelle, personnelle et militante.

24Le livre d’Angela Jones est un écrit utile, car il documente les métamorphoses du travail du sexe, profondément transformé par l’arrivée d’Internet, mais aussi par la demande d’un contenu de plus en plus personnalisé et interactif. Camming: Money, power and pleasure in the sex work industry satisfera les chercheurs en sciences sociales de la sexualité, notamment pour son premier chapitre intitulé « The pleasure deficit » qui analyse la place (insuffisante) accordée au plaisir en sociologie. Il permettra aux lecteurs néophytes face à ce type de plateformes de bénéficier de descriptions précises – quasiment cliniques – des modes de fonctionnement de ces sites. Il apportera peut-être un peu de frustration aux sociologues du travail ou de l’économie dont les écrits sont peu mobilisés. D’une façon générale, l’analyse aurait certainement mérité une comparaison plus systématique avec les nouvelles formes de travail issues du capitalisme de plateforme.

25Pierre BRASSEUR

26Université Grenoble-Alpes, IRDES et Pacte

27brasseurph@gmail.com

Céline Bessière et Sibylle Gollac (2020). Le genre du capital. Comment la famille reproduit les inégalités. Paris, La Découverte, coll. « L’envers des faits », 336 p.

28L’ouvrage de Céline Bessière et Sibylle Gollac montre que, malgré l’égalité formelle entre hommes et femmes dans le droit du travail, de la famille et de la propriété français, les premiers continuent à accumuler davantage de richesses que les secondes, tout en travaillant moins (si l’on ne distingue pas le travail professionnel du travail domestique). Ce paradoxe est rendu possible par l’existence de divers « arrangements familiaux », qui se mettent en place lors des moments clefs de répartition des richesses entre membres d’une même famille, que sont les séparations conjugales et les successions. Ces arrangements familiaux reposent sur un certain nombre de dispositions incorporées par leurs membres (habitudes, valeurs, etc.) ainsi que sur des mécanismes juridiques proposés et réalisés par les professionnels du droit qui interviennent lors de ces moments particulièrement codifiés par la loi. Ces arrangements ont pour effet que l’accumulation du capital elle-même, habituellement considérée comme relevant d’une analyse économique à laquelle la perspective féministe n’apporterait rien ou pas grand-chose, soit en fait un phénomène genré.

29Les auteures insistent sur le fait que, dans un capitalisme néolibéral ayant remis sur le devant de la scène le rôle du patrimoine hérité (dont la part est redevenue depuis 2010 supérieure à celle du patrimoine épargné), le rôle de la famille est central dans la dynamique d’accumulation. La famille, en tant qu’acteur au cœur de la transmission de ce patrimoine, doit être considérée comme une institution centrale du capitalisme. C. Bessière et S. Gollac se situent dans une sociologie matérialiste de la famille, qui se distingue du « grand récit de la famille moderne » (p. 30), tradition sociologique qui insiste davantage sur les enjeux affectifs de la famille que sur sa dimension économique et qui étudie les mécanismes de transmission intergénérationnelle essentiellement sous l’angle du patrimoine culturel déterminant l’insertion dans une société largement salariale. Au contraire, leur sociologie matérialiste de la famille envisage cette dernière comme un « lieu de production, circulation, évaluation et contrôle des richesses » (p. 50). Le cadre théorique, développé dans le premier chapitre, se situe dans la suite des travaux de Christine Delphy [5] et surtout dans une perspective explicitement intersectionnelle, puisque le livre étudie les intersections entre ce qui se passe dans la famille et ce qui permet l’accumulation de capital de génération en génération. Les auteures montrent par exemple comment la sociologie des professionnels du droit leur confère une prédisposition à conserver le patrimoine familial de génération en génération, plaçant la reproduction économique au-dessus de toute autre considération, en particulier lorsque la succession implique une entreprise familiale. L’idée que la stratégie de reproduction économique et sociale grâce à l’entreprise familiale doit primer sur toute autre considération est en général partagée par les membres des familles de la bourgeoisie (petite, moyenne, haute) qui héritent, ce qui les pousse à accepter un partage finalement inégalitaire entre hommes et femmes (chapitre 2). C’est ainsi que les inégalités de classe et de genre sont intriquées dans l’accumulation et dans la circulation intergénérationnelle du capital.

30L’ouvrage mobilise un important matériau, constitué de monographies familiales (essentiellement mobilisées dans le chapitre 2), de données issues des enquêtes patrimoine de l’INSEE et de résultats d’une recherche collective portant sur les moments de répartition des richesses dans les familles, séparations et successions (chapitres 3 à 7). Une grande partie de l’analyse empirique relève donc de la sociologie du droit : les auteures renseignent ainsi comment les notaires, avocats et juges mobilisent les mécanismes juridiques existants, les accompagnant parfois de pratiques informelles. La combinaison de leurs expertises et exercices professionnels respectifs a pour effet de reproduire, voire de creuser, les inégalités patrimoniales à la fois en termes de classe et de genre. En d’autres termes, les arrangements familiaux qui se mettent en place en cas de séparation ou de succession apparaissent comme des dispositifs coproduits par les familles et les professionnels du droit qui participent à la fois au maintien des frontières de classe et au creusement des inégalités entre hommes et femmes.

31Parmi ces dispositifs, la priorité accordée à la stratégie de reproduction économique familiale implique que les hommes reçoivent plus fréquemment des biens professionnels que les femmes dans le cadre des successions (chapitre 2). La contrainte d’égalité entre les héritiers implique que les sœurs n’héritant pas des biens professionnels doivent recevoir une compensation d’un montant équivalent. Cependant, cette obligation est bien souvent contournée grâce à ce que C. Bessière et S. Gollac appellent « la comptabilité inversée » (chapitre 4). Cette pratique notariale consiste à partir du résultat qui fait consensus entre les héritiers pour établir seulement rétrospectivement l’inventaire des biens à répartir en lots dans l’acte notarié qui constitue la succession formelle. Cela permet de moduler l’inventaire des biens en fonction du résultat souhaité : certains éléments de succession peuvent y figurer ou non (par exemple, le travail gratuit fourni par les enfants aujourd’hui héritiers dans l’entreprise familiale), les biens peuvent être évalués à une valeur plus ou moins élevée en fonction de l’objectif à atteindre, etc. Enfin, si l’ensemble correspond à un consensus obtenu dans l’étude notariale, les entretiens avec les seules héritières révèlent souvent que de tels arrangements sont en partie vécus comme injustes, même lorsqu’ils sont acceptés au nom de l’union familiale contre le fisc et les impôts successoraux (chapitre 5). La comptabilité inversée se pratique aussi dans le cadre des divorces : les pensions alimentaires sont systématiquement établies à partir de la capacité à payer de l’ancien conjoint et non des besoins de l’ex-épouse et des enfants (dont elle a le plus souvent la garde). Cela se traduit toutefois différemment selon la catégorie sociale du ménage (chapitres 6 et 7). Chez les plus aisés, l’ex-mari, familier des professionnels du droit et des procédures juridiques, peut organiser sa relative insolvabilité, tandis que des dispositifs légaux viennent accentuer le creusement des inégalités au moment de la séparation. Par exemple, depuis 2000, les prestations compensatoires liées au divorce ne sont plus versées sous forme de rente mensuelle mais sous forme de capital pour solde de tout compte. Le montant perçu par l’ex-épouse dépend donc du niveau de capital disponible déclaré par le mari (en cas de doutes sur la déclaration, le juge peut ordonner une expertise comptable mais son coût est en général dissuasif). Chez les plus pauvres, les juges aux affaires familiales considèrent facilement que le mari est impécunieux et ne peut donc verser aucune prestation compensatoire. Cela oblige les femmes ayant la garde des enfants à dépendre de l’aide sociale et familiale. De plus, les organismes versant ces aides conditionnent souvent leur versement à l’entreprise par les femmes de démarches juridiques pour obtenir une prestation de leur ex-conjoint. Elles sont ainsi placées dans une position de mendiante systématique (vis-à-vis de leur ex-conjoint ou des organismes) qui les oblige par ailleurs à un lourd travail administratif.

32L’ancrage disciplinaire des deux auteures et la nature de leur matériau empirique place leur travail dans une perspective qu’elles qualifient de littérature sur le genre du droit, actuellement émergente en France (p. 278). Néanmoins, leur contribution éclaire également plusieurs angles morts de la socio-économie et montre l’intérêt de traiter la famille comme une institution économique, perspective trop souvent négligée tant par les économistes – y compris institutionnalistes – que par les sociologues à en croire les auteures. Certes, une économie de la famille existe, mais elle reste le plus souvent ancrée dans une perspective beckerienne [6]. Certains travaux relevant de l’économie féministe ont critiqué cette approche [7] et proposé d’autres perspectives sur des sujets aussi diversifiés que le développement [8], la pauvreté [9], ou même les arrangements socio-économiques internes de la famille [10]. Néanmoins, ces travaux restent assez éclatés et ne forment pas une approche théorique unifiée comme celle qui pourrait être développée sur la base de la considération de la famille comme une institution économique, c’est-à-dire un lieu qui produit des richesses, en organise la circulation, le contrôle, l’évaluation par le biais de différents « arrangements familiaux », qui ne se réduisent jamais aux seules questions d’argent (p. 50).

33En se plaçant dans cette perspective, et en étudiant le partage des richesses entre hommes et femmes au cours des séparations conjugales et des successions, C. Bessière et S. Gollac (r)ouvrent donc une perspective de recherche fructueuse pour les économistes institutionnalistes et les socio-économistes. En même temps, elles contribuent à documenter plusieurs aspects jusqu’à présent négligés. D’abord, elles participent à étudier les ressources des ménages de manière individualisée, ne traitant plus le ménage comme une unité homogène, ce que la littérature féministe revendique et produit depuis quelque temps, mais en s’intéressant essentiellement aux revenus [11] et non au patrimoine [12]. Bien sûr, beaucoup reste à faire pour fournir une connaissance approfondie du partage du patrimoine dans les couples, en particulier en temps normal, c’est-à-dire hors des moments de séparation et de succession qui accentuent et visibilisent cette dimension. Ensuite, les auteures contribuent à une étude genrée des inégalités patrimoniales qui est quasi absente de la littérature (il suffit de penser aux milliers de pages écrites sur la question par Thomas Piketty, sans que les inégalités hommes/femmes ne soient traitées). Enfin, elles montrent que les statistiques officielles ne peuvent pour l’instant suffire à documenter ces inégalités et que l’accès différencié des hommes et des femmes aux ressources des familles – du fait que celles-ci sont d’ordinaire traitées comme de véritables boîtes noires – nécessite des enquêtes qualitatives plus approfondies, seules capables de mettre au jour les mécanismes qui déterminent l’accès et l’usage des ressources (revenus et patrimoines) dans les familles, en temps normal comme aux moments charnières.

34Irène BERTHONNET

35Université de Paris, Ladyss

36irene.berthonnet@u-paris.fr

Matthew Desmond (2016). Evicted. Poverty and Profit in the American City. New York, Crown, 422 p.

37Evicted, voici un ouvrage qui résonne curieusement avec l’actualité. D’abord parce que l’enquête ethnographique sur laquelle il s’appuie a été réalisée à Milwaukee dans le Wisconsin, où le brutal assassinat de George Floyd par les forces de l’ordre a été le déclencheur du mouvement de protestation contre les violences policières et les discriminations raciales. Ensuite parce qu’il traite des expulsions locatives, un phénomène massif aux États-Unis aux conséquences socialement délétères. Or, si l’enquête a été réalisée au lendemain de la crise de 2008, celle encore plus forte charriée par la pandémie de Covid-19 semble promettre d’amplifier encore le phénomène – il n’est d’ailleurs pas anodin que le Centre de prévention et de contrôle des États-Unis maladies (US Center for Disease Control and Prevention) ait annoncé un moratoire national sur les expulsions locatives entre le 1er septembre et le 31 décembre pour éviter les afflux massifs de populations vers les foyers d’hébergement [13]. Rien qu’à Milwaukee, rappelle d’entrée l’auteur, Matthew Desmond, plus d’un locataire sur huit a été expulsé de son logement entre 2009 et 2011 et près d’un quart des déménagements y a été « forcé » – des chiffres comparables à de nombreuses autres métropoles étatsuniennes. Ces défauts de paiement face au loyer s’expliquent en premier lieu par le fait que les dépenses afférentes au logement représentent plus de la moitié de leurs revenus pour la majorité d’entre eux, et même plus de 70 % pour un quart d’entre eux. En outre, le phénomène ne frappe pas au hasard, puisque les femmes sont bien plus exposées que les hommes et, parmi elles, les personnes racisées [14]. Mais, aussi parlants peuvent-ils paraître, les chiffres ne disent jamais tout.

38Si l’auteur, professeur de sociologie à Harvard, ne manque pas de mobiliser de nombreuses données statistiques pour cadrer le fait social dont il traite, le cœur de son dispositif réside dans une ethnographie approfondie consistant à suivre finement la trajectoire d’un ensemble d’individus et familles – principalement des femmes donc – confrontées à des expulsions à répétition, mais aussi d’un couple de propriétaires bailleurs ainsi que des gestionnaires d’un parc de caravanes par lequel transitent plusieurs des enquêté.e.s. Ce faisant, il adopte une méthode proche de celle développée en France par Olivier Schwartz [15] en se focalisant sur un nombre restreint de cas étudiés de fond en comble, ce qui permet de gagner en profondeur et finesse de description et d’analyse. L’ouvrage suit ainsi ces différents protagonistes, aux âges, situations familiales, appartenances ethniques et trajectoires biographiques divers, durant plusieurs mois de leur existence traversés par un ou plusieurs épisodes d’expulsion. L’ouvrage découpé en une vingtaine de chapitres eux-mêmes regroupés en trois grandes parties, respectivement intitulées « Rent », « Out » et « After », permet ainsi de saisir de manière à la fois intellectuelle et sensible les conditions socio- économiques de ces événements tristement banals. M. Desmond analyse à la fois le fonctionnement du marché du logement locatif de Milwaukee et les trajectoires des personnes expulsées. Dans le premier cas, il montre notamment comment la ségrégation raciale héritée de l’histoire du pays se perpétue du fait des préjugés intériorisés par l’ensemble des acteurs de ce « marché », mais aussi comment les locataires du Ghetto noir en viennent à payer des loyers bien plus élevés, à surface comparable, pour des logements insalubres que leurs homologues dans les quartiers blancs, inaccessibles aux premiers pour des raisons plus sociales qu’économiques. Le segment des locataires pauvres et indésirables, du fait de leur couleur de peau, de leur casier judiciaire ou de leur historique bancaire et locatif – les trois n’étant évidemment pas exclusifs –, constitue ainsi une véritable niche potentiellement très rentable, comme l’illustre le couple constitué par Sherrena et Quentin. Louer des taudis constitue une profession à part entière, exigeant de multiples savoir-faire spécifiques lorsqu’il s’agit de faire la tournée des logements loués pour récupérer les loyers, s’abstenir de réaliser les réparations normalement obligatoires [16], solliciter la justice et le shérif pour organiser les expulsions le cas échéant, ou encore exploiter alors le travail des locataires en échange d’une réduction de loyer pour remettre en état les logements « rendus » par leurs anciens occupants, avec sa part de risques financiers et physiques. Mais le business s’avère juteux, comme en témoignent les comptes en banque à six zéros de ces entrepreneurs bien particuliers, qui se comportent comme des joueurs de Monopoly en acquérant sans cesse de nouveaux logements pour une bouchée de pain et s’emploient même à convaincre d’autres investisseurs potentiels de se lancer sur ce « marché » lors de conventions dédiées.

39N’oubliant pas de documenter le travail des bailleurs et de toute la chaîne des « bénéficiaires secondaires » [17] des expulsions, comme les entreprises de déménagement chargées d’enlever les affaires laissées par les occupant.e.s parti.e.s hâtivement et autres professionnels du droit, M. Desmond consacre cependant la plus large place aux expulsé.e.s eux-mêmes. À partir de ses entretiens et observations répétées, il reconstitue ainsi leurs trajectoires sociales respectives, les difficultés souvent expérimentées durant l’enfance [18], des scolarités souvent abrégées précocement ; la précarité de l’emploi qui accompagne celle du logement ; les conditions d’habitat très dégradées – froid, éviers ou baignoires bouchés, cohabitation avec les cafards, etc. –, qui en retour incitent à ne pas soigner son logement ; une fréquente détresse psychologique que la brutalité des expulsions n’arrange pas ; les petits incidents qui, outre le non-paiement du loyer, peuvent provoquer une expulsion – comme une banale altercation avec un voisin ou encore les inégalités sociales face au système judiciaire que mettent en lumière des audiences où les locataires menacé.e.s d’expulsion sont le plus souvent absent.e.s au contraire des propriétaires flanqués d’avocats rompus à l’exercice. Mais M. Desmond montre aussi les différentes solidarités pratiques qui se mettent en œuvre entre ces ménages au bord de la rue, notamment lorsqu’un.e locataire en recueille un.e autre, voire toute une famille, suite à son expulsion, non sans contrepartie monétaire ; ou encore l’opiniâtreté dont ces expulsé.e.s peuvent faire preuve dans la quête d’un nouveau logement passant inlassablement des dizaines et dizaines de coups de fil tout en réduisant progressivement leur horizon d’attente. Évitant soigneusement le double écueil du misérabilisme et du populisme [19], M. Desmond ne dépeint donc pas ces différents protagonistes – Arleen, Larraine, Scott, Vanetta et les autres –, seulement comme des « victimes », et s’emploie à rendre compte de leur propre agentivité, de leurs logiques d’action, leurs aspirations, représentations, déconstruisant ce faisant leurs apparentes contradictions, telles leurs rationalités budgétaires particulières – comme dans ce chapitre qui raconte comment l’une d’entre elles dépense la totalité de ses coupons d’alimentation (food stamps) pour s’offrir des queues de langouste.

40Si les différents thèmes abordés ne sont évidemment pas entièrement inconnus dans la littérature, sociologique comme journalistique – les conditions de vie des plus précaires étant plus étudiées que celles des autres classes sociales –, la grande force de l’enquête de M. Desmond est de parvenir à montrer finement comment ces différents pans de l’existence de personnes désaffiliées font système – scolarité, rapport à l’emploi, pratiques de consommation, organisation du logement, exposition et commission d’actes violents ou délictueux, etc. – et s’articulent finalement autour d’un facteur clé : l’absence d’un logement stable et décent. L’enquête démontre que celle-ci est autant sinon davantage une cause de la pauvreté qu’une conséquence de cette dernière. La démonstration est implacable, au point que l’auteur semble lui-même incapable de s’en tenir à la froideur neutre de l’observateur que semble pourtant avoir nécessité son enquête de terrain et, en bon fils de pasteur, se livre à un prêche inspiré à l’issue de son analyse en faveur d’une véritable politique du logement qui devrait, selon lui, passer par un programme de distribution de chèques-logement (housing vouchers) à l’ensemble des ménages situés sous un certain seuil de revenus. Une solution somme toute assez libérale – au sens européen du terme –, que ne manqueront pas de critiquer certains spécialistes du sujet, mais qui semble révéler les limites du pensable progressiste sur cette question de l’autre côté de l’Atlantique. L’ouvrage suscite également certaines questions d’ordre méthodologique, car en dépit d’une brève annexe méthodologique relatant la manière dont l’auteur est entré en contact avec ses enquêté.e.s et les malentendus que sa position a parfois pu entraîner, demeure un certain mystère quant à la manière dont il a pu obtenir certaines informations ou assister à certaines scènes dont la minutie dans la description impressionne, ainsi que sur les effets que le contraste entre sa position sociale – celle d’un homme blanc éduqué – et celle de ses enquêté.e.s a pu provoquer chez ces dernier.e.s comme chez le sociologue [20].

41Quoi qu’il en soit, nul doute qu’Evicted constitue un ouvrage important et dont on ne saurait trop recommander la lecture [21], tant pour le fond que pour la forme. On comprend d’ailleurs en le lisant pourquoi les juré.e.s du fameux prix Pullitzer ont choisi de le primer dans la catégorie « General Nonfiction » en 2017. À la manière des séries télévisées actuelles, M. Desmond entremêle les récits de ses différents protagonistes dans un style naturaliste digne des romans les plus prenants. Ce faisant, son ouvrage rappelle, à l’instar d’autres trop rares ouvrages académiques [22], qu’il n’est pas nécessaire de choisir entre rigueur de l’enquête et de l’analyse et vivacité et accessibilité du style.

42Igor MARTINACHE

43Université de Paris, Ladyss

44igor.martinache@u-paris.fr

Emilia Schijman (2019). À qui appartient le droit ? Ethnographier une économie de pauvreté. Paris, LGDJ, coll. « Droit et société », 2019, 188 p.

45À partir d’une ethnographie au sein d’un grand ensemble de Buenos Aires, Soldati, Emilia Schijman montre comment ses habitants fabriquent un « droit vivant », qui leur permet de stabiliser un tant soit peu leurs conditions de logement incertaines. L’ethnographie éclaire ainsi « une prolifération d’usages, des coutumes, des formes d’accommodement produisant une juridicité effective » (p. 15). Ces pratiques violent ou contournent le droit formel, précèdent les tribunaux et les pouvoirs publics sur lesquels elles font pression pour régulariser l’occupation des logements.

46Le premier chapitre introduit la question de l’accès aux droits, en suivant les femmes du quartier dans leurs tournées aux guichets. Revendiquer ses droits, obtenir les faveurs et l’assistance des services de l’État implique en effet un véritable travail. Il leur faut ainsi « répéter les visites, occuper le temps des agents, exhiber des preuves » (p. 51). Le temps disponible apparaît ici comme la principale ressource des populations pauvres. Il s’agit d’investir de multiples guichets et de trouver une personne prête à aller au-delà de sa fonction afin d’obtenir l’assistance nécessaire. Emilia Schijman insiste ici sur la personnalisation du rapport aux administrations, qu’elle replace dans la stratégie de la présidente de la République argentine Cristina Kirchner (2007-2015) de construire un lien spécifique et direct entre l’État et les plus pauvres.

47En explorant les modes de vie des habitants de Soldati, les deuxième et troisième chapitres portent sur les dettes liées au logement. « Plus l’endettement s’accroît et plus les espaces de vie deviennent monnayables » (p. 17). Cette situation place l’habitat au cœur des transactions monétaires. Occupations, ventes, sous-locations et hébergements se négocient au gré d’arrangements précaires et de conflits de légitimité. La composition des ménages se transforme et s’étend alors aux amis et aux connaissances sans liens de sang (chapitre 4). Emilia Schijman reprend le concept de « parenté pratique » pour penser cette reconfiguration des liens familiaux qui redessine la transmission de l’héritage.

48Le chapitre 5 explore quant à lui les manières de penser et de pratiquer le droit dans un contexte d’instabilité juridique et d’incertitude économique. L’incapacité des pouvoirs publics à régulariser massivement le statut des logements crée des situations de non-droit dont les habitants s’emparent, tant pour légitimer l’occupation par l’usage que pour arbitrer les conflits et désamorcer les risques de « justices personnelles ». Enfin, Emilia Schijman aborde dans le sixième et dernier chapitre la question de la propriété et le processus de régularisation entamée par la loi municipale de 2012. Bien que partiel et tardif, ce dernier vient conforter « la primauté de l’usage effectif sur la propriété abstraite » (p. 152).

49Cet ouvrage éclaire avec une parfaite cohérence et une écriture limpide la fabrication du droit, à partir d’une approche « par le bas ». Il puise dans les apports du courant américain des legal-cousciouness studies et du courant européen du « droit vivant ». L’articulation de l’analyse des pratiques du droit, des modes d’hébergement et des circulations de dette en fait une contribution singulière.

50Soulignons ici l’importance du travail ethnographique et ce qu’il nous dit de Soldati. Cette périphérie de 17 000 habitants n’est ni une cité de propriétaires, comme le projetait l’État en 1978, ni un bidonville, comme le suggère le délabrement du parc immobilier, déserté par les classes moyennes. À l’inverse, elle se caractérise par une « multiplication des statuts d’occupation plus ou moins illégaux qui surgissent dans les failles de l’accès à la propriété » (p. 61). Du squatteur au propriétaire expulsé de son logement, Emilia Schijman identifie et distingue l’accédant sous contrat d’achat vente, le locataire, l’occupant sans titre et l’hébergé. Cet effort de classification contribue à éclaircir des statuts d’occupation aussi divers et à démêler les pratiques diffuses de ce vaste ensemble de 3 200 logements.

51Deux éléments centraux permettent de saisir la dynamique des relations sociales. Il s’agit d’abord de l’endettement massif qui place les habitants de statuts inégaux face au problème commun de la dégradation de leurs conditions de logement. Les dettes sont contractées, en premier lieu, à travers les crédits pour l’accès à la propriété ainsi que via les retards de paiement des charges communes, en second lieu, par ceux liés aux factures domestiques comme celles concernant le gaz, et enfin par l’obtention de crédits à la consommation. L’autre élément concerne l’absence de titre de propriété pour la moitié des logements et se traduit par le développement d’un second marché informel, fait de ventes de logements sans papiers, de sous-locations et d’hébergements tenus par des pactes « friables ». Dettes et logements s’imbriquent donc mutuellement pour donner sens aux échanges : à l’intérieur des appartements, les hébergés troquent un toit contre une contribution monétaire ou du travail domestique ; à l’échelle des immeubles, le manque d’argent pousse à échanger ses charges contre des corvées. L’endettement massif des habitants et l’instabilité juridique sont donc le point de départ d’une interdépendance généralisée, mettant en circulation des espaces, des objets et des services intimement liés à l’univers domestique. « Des appartements, des lits, des “celliers à dormir”, des patios pour l’autoconstruction sont échangés contre le paiement des services ou un loyer de sous location, ou bien contre des prises en charge, des biens meublés, du travail collectif » (p. 65). Ces arrangements illustrent à quel point la pénurie monétaire conduit à diversifier les moyens de paiement des dettes, ce qui en démultiplie le coût. En témoigne le prix des corvées, trois fois inférieur à celui du salaire minimum. « Payer ses dettes avec de l’argent libère », mais « payer avec du travail asservit » (p. 71). Ces relations d’endettement semblent donc conforter les hiérarchies internes au quartier. Pour autant, l’auteure ne les formalise pas et laisse au lecteur le soin d’en tirer ses conclusions.

52Ici, la description d’échanges, sous tension continue, aurait pu déboucher sur une analyse de leurs répercussions en termes de relations de pouvoir. Mais la question du lien entre dettes et rapports de force reste peu explorée, ou du moins limitée à la description de relations personnelles, internes à Soldati. Pourtant, l’accumulation de petits crédits à la consommation vis-à-vis de banques et autres organismes de crédit par les habitants les plus précarisés constitue une pratique répandue. Si on comprend qu’elle n’est pas le cœur de l’analyse, on peut regretter que la question du crédit à la consommation ne soit pas davantage articulée à l’analyse des dettes de logement et replacée dans un contexte singulier d’explosion de l’endettement des secteurs populaires argentins [23]. Poser plus explicitement la question du pouvoir permettrait ici d’interroger le rôle des structures financières dans l’assèchement monétaire des habitants de Soldati. La fraction la plus pauvre du quartier paie-t-elle ses dettes en travail sous-rémunéré uniquement du fait de revenus insuffisants ? Ou ce mode de règlement des dettes est-il lié, en partie, à l’amputation de ses revenus par le remboursement de crédits et d’intérêts ? À quel point la monétarisation croissante des espaces domestiques et l’exploitation croissante des habitants les plus pauvres découleraient alors de pratiques d’endettement qui dépassent l’échelle du quartier ? Ici, une analyse naviguant entre plusieurs échelles permettrait de poser plus clairement les conditions de l’émancipation financière des pauvres [24] et de faire dialoguer ethnographes et économistes orthodoxes.

53Focaliser l’ethnographie sur Soldati permet, toutefois, d’expliciter comment les pauvres envisagent le crédit. Leur conception prend forme dans des « cercles concentriques d’obligations qui relient la parenté au voisinage et à l’Institut du logement, à travers la réputation des individus et des ménages » (p. 88). Emilia Schijman met l’accent sur les circulations informelles de « crédits invisibles » (p. 59) où l’on prête sa carte bancaire, sa connexion à internet, son épargne personnelle. L’insertion dans ces réseaux évite de basculer dans la misère à condition de retisser et d’entretenir sans cesse ces relations de confiance. Elle démontre également la primauté des principes de respectabilité et du sens du travail. Cette ethnographie nous permet donc de saisir, « depuis l’intérieur des économies pratiques » [25] comment des individus surendettés parviennent à reproduire leurs conditions de vie. Prioriser les dettes personnelles et de voisinage est alors essentiel dans la mesure où la contrainte morale est la plus forte.

54De plus, Emilia Schijman explore également avec précision les usages et les significations de la dette. Cette dernière permet, avant tout, d’objectiver la précarité des conditions de vie des habitants dans la mesure où la plupart d’entre eux ne peuvent pas rembourser leurs charges et leurs crédits à l’Institut du logement. La dette émerge aussi comme perspective centrale d’analyse pour étudier les interdépendances sociales et les multiples arrangements entre locataires, hébergés et propriétaires. Enfin, Emilia Schijamn pense la dette comme ressource mobilisable pour légitimer l’occupation d’un appartement vide ou occupé par des habitants surendettés. Il est possible d’investir un logement par ses propriétaires en s’engageant à payer les charges. « Payer à son nom », « cela ouvre des droits », souligne l’auteure. Guetter les appartements vides et repérer les locataires criblés de dettes constituent alors des stratégies efficaces pour trouver un logement. L’« usage » et les « dettes d’autrui » émergent alors comme des répertoires d’action de ce droit vivant. Reconnus par l’Institut du logement, ils permettent de s’installer dans un appartement en espérant un jour bénéficier d’une régularisation. Enfin, l’ethnographie de Soldati se révèle passionnante dans la mesure où le lecteur accompagne les inflexions méthodologiques et théoriques de l’auteure au gré du terrain. En novembre 2010, Emilia Schijman entamait son enquête de terrain en présupposant que le logement serait un « amortisseur de crise » face aux vagues de licenciements et aux ruptures familiales. L’accueil de parents, voisins ou amis témoigne alors de solidarités improvisées. Mais ces « chaînes d’hébergements » font émerger une « parenté pratique », sans lien juridique, issue d’amitiés soudaines, de remplacements improvisés et d’arrangements réciproques. L’hypothèse de départ est alors nuancée et étoffée par l’analyse des relations entre habitants et hébergés : entre soumission et entraide, confiance et méfiance, corvée et pacte monétaire, prise en charge et dette morale. Leur ambivalence démontre à quel point la protection offerte par le logement implique une mise à contribution monétaire, physique et morale des hébergés.

55La description des formes de « parenté pratique » fait également ressortir la dépendance croissante des familles vis-à-vis des grands-mères. Elle contribue alors à renouveler la sociologie des classes populaires, en déplaçant le regard des mères vers les grands-mères. Ces dernières disposent souvent du seul revenu stable au sein du ménage, alors que leurs filles peinent à trouver du travail. Pilier financier du foyer, elles occupent un rôle essentiel dans l’éducation des petits-enfants en l’absence des mères. Face au manque de ressources de ces dernières, il arrive fréquemment que mères et grands-mères cohabitent sous le même toit. Ces structures domestiques matrifocales, voire « mami-focales », se caractérisent alors par l’intensité des échanges d’argent et de prises en charge féminines et la mise en place d’une caisse commune.

56Aux côtés des factrices et des assistantes sociales, les grands-mères jouent aussi un rôle d’intermédiaire dans les réseaux de crédits locaux. Une analyse des rapports de genre, sous l’angle de la parenté et des circulations monétaires, est donc lourde d’enseignements. Elle démontre à quel point cette économie morale de la pauvreté tient le coup grâce à l’activation des femmes à de multiples niveaux, de la gestion du foyer à l’administration du courrier et de la circulation des dettes dans le quartier.

57Timothée NARRING

58Université de Paris, Cessma

59timothee.narring@gmail.com

Notes

  • [1]
    Voir par exemple Illouz Eva (2006), Les sentiments du capitalisme, Paris, Seuil, ou plus récemment, Illouz Eva (2020), La fin de l’amour. Enquête sur un désarroi contemporain, Paris, Seuil.
  • [2]
    Ancêtres américains des messageries en ligne, ces systèmes permettent un dialogue en temps réel entre deux usagers connectés.
  • [3]
    Bourdieu Pierre (2002), Le bal des célibataires. Crise de la société paysanne en Béarn, Paris, Seuil.
  • [4]
    Mathieu Trachman (2013), Le travail pornographique, Paris, La Découverte.
  • [5]
    Christine Delphy (2013 [1970]), L’ennemi principal. 1. Économie politique du patriarcat. Paris, Syllepse.
  • [6]
    Gary S. Becker (1981), A Treatise on the Family,Cambridge, MA: Harvard University Press.
  • [7]
    Nancy Folbre (1986), « Hearts and Spades: Paradigms of Household Economics », World Development, vol. 14, n° 2, p. 245-255 ; Fran Bennett (2013), « Researching within‐household distribution: Overview, developments, debates, and methodological challenges », Journal of Marriage and Family, vol. 75, n° 3, p. 582-597.
  • [8]
    Gina Alvarado Merino et J. Lara, « Feminization of poverty », in Constance L. Shehan (dir.), The Wiley Blackwell Encyclopedia of Family Studies, Chichester, John Wiley & Sons, 2016.
  • [9]
    Sarah Bradshaw, Sylvia Chant et Brian Linneker (2017), « Gender and poverty: what we know, don’t know, and need to know for Agenda 2030 », Gender, Place & Culture, vol. 24, n° 12, p. 1667-1688.
  • [10]
    Jan Pahl (1989), Money and Marriage, Basingstoke, Macmillan ; Sara Cantillon, Bertrand Maître et Dorothy Watson (2016), « Family Financial Management and Individual Deprivation », Journal of Family and Economic Issues, vol. 37, n° 3, p. 461-473.
  • [11]
    Danièle Meulders et Sile O’Dorchai (2011), « Revisiting Poverty Measures Towards Individualization », Journal of Income Distribution, vol. 20, n° 3-4, p. 75-102 ; Sophie Ponthieux (2012), « La mise en commun des revenus dans les couples », Insee Première, 1409, p. 1-4 ; Macella Corsi, Fabrizio Botti et Carlo D’Ippoliti (2016), « The Gendered Nature of Poverty in the EU: Individualized versus Collective Poverty Measures », Feminist Economics, vol. 22, n° 4, p. 82-100.
  • [12]
    À l’exception des travaux de Carmen Deere (par exemple, Carmen Diana Deere et Cheryl R. Doss (2006), « The Gender Asset Gap: What Do We Know and Why Does It Matter? », Feminist Economics, vol. 12, n° 1-2, p. 1-50) notamment, d’ailleurs cités dans l’ouvrage de C. Bessière et S. Gollac.
  • [13]
    Katy Ramsay Mason, « What the CDC eviction ban means for tenants and landlords: 6 questions answered », The Conversation, 3 septembre 2020 [en ligne].
  • [14]
    M. Desmond relève ainsi qu’à Milwaukee dans le parc locatif, une femme noire sur cinq a connu au moins une expulsion durant sa vie adulte, contre une sur douze pour les femmes hispaniques et une sur quinze pour les femmes se considérant blanches (p. 299).
  • [15]
    Olivier Scwhartz (1990), Le monde privé des ouvriers. Hommes et femmes du Nord, Paris, PUF.
  • [16]
    Sachant que leurs locataires sont le plus souvent dans l’impossibilité de réagir autrement qu’en réitérant la demande de réparation : « Les locataires présentant des arriérés de paiements étaient dans l’impossibilité de retenir l’argent de leur loyer ou de le mettre en séquestre ; et ils risquaient l’expulsion en cas de signalement auprès d’un inspecteur du bâtiment. Ce n’était pas que les locataires à faibles revenus ignoraient leurs droits. Ils savaient juste que leur exercice leur coûterait cher » (p. 75, notre traduction).
  • [17]
    Suivant l’expression de Marx. Voir Grégory Salle (2009), « Bénéficiaires secondaires du crime, selon Karl Marx », Savoir/Agir, n° 9, p. 13-16.
  • [18]
    M. Desmond souligne ainsi la forte corrélation entre la probabilité d’avoir vécu une expulsion durant son enfance et d’en expérimenter à l’âge adulte, suggérant une sorte d’autoreproduction du phénomène.
  • [19]
    Voir Claude Grignon et Jean-Claude Passeron (1989), Le savant et le populaire. Misérabilisme et populisme en sociologie et en littérature, Paris, Seuil.
  • [20]
    Pour un exemple de ce type de réflexivité, voir Nicolas Duvoux, « Field Fright: Studying Urban Poverty in Boston » (traduit du français par John Zvesper), Books and Ideas, 5 janvier 2015 [en ligne].
  • [21]
    D’autant qu’il a été récemment traduit en français par Paulin Dardel sous le titre Avis d’expulsion. Enquête sur l’exploitation de la pauvreté urbaine aux éditions Lux fin 2019.
  • [22]
    Dans un registre relativement proche, on peut penser par exemple à l’ouvrage de Philippe Bourgois (2001), En quête de respect. Le crack à New York, Paris, Seuil (traduit de l’anglais (États-Unis) par Lou Aubert).
  • [23]
    Voir Hadrien Saiag (2020), « El crédito al consumo en los sectores populares argentinos, Entre inclusión y explotación » (Rosario, 2009-2015), Cuadernos de Antropología Social, n° 51.
  • [24]
    Voir Pablo Ignacio Chena et Alexandre Roig (2018), « L’exploitation financière des secteurs populaires argentins », Revue de la régulation, n° 22 [en ligne] (consulté le 31 août 2020).
  • [25]
    Voir aussi Emilia Schijman (2016), « De l’intérieur des économies pratiques. Produire de la valeur en situation de pauvreté à Buenos Aires », Les Études sociales, n° 164, p. 231-253.
Mis en ligne sur Cairn.info le 24/11/2020
https://doi.org/10.3917/rfse.025.0245
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