CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 – Introduction

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« Mon premier geste en m’éveillant était de saisir son sexe dressé par le sommeil et de rester ainsi, comme agrippée à une branche. Je pensais, “tant que je tiens cela, je ne suis pas perdue dans le monde”. »
[Ernaux, 2011, p. 879]

2Les liens entre économie, sentiments et sexualité ont souvent été abordés dans les luttes et les études féministes. L’analyse des échanges économiques qui ont lieu au sein du couple et de la famille a permis d’établir les enjeux politiques dans lesquels sont pris cette sphère privée et, plus généralement, les rapports entre hommes et femmes. Le concept de travail domestique a montré comment cette activité était à la fois indispensable à la production des hommes et assurée gratuitement par les femmes. Cette économie politique du patriarcat [Delphy, 1998] a pour spécificité de saisir des formes d’exploitation ne reposant pas uniquement sur le profit ou l’organisation du salariat, mais sur des statuts sexués, celui de chef de famille et de celles et ceux qui lui sont subordonnés, et sur une structure sociale, la famille. Les études s’inscrivant dans ce cadre, celui du féminisme matérialiste, abordent ainsi les rapports entre femmes et hommes comme des rapports entre des groupes sociaux. La division sexuée du travail, dans son double aspect de séparation et de hiérarchisation des activités féminines et masculines, est un enjeu, si ce n’est l’enjeu central de ce rapport social [Kergoat, 2012].

3Ces dernières années, la dimension économique des relations intimes a fait l’objet de nombreux travaux sociologiques et anthropologiques [Bernstein et Schaffner, 2005 ; Lieber, Dahinden et Hertz, 2010 ; Weitzer, 2010 ; Combessie et Mayer, 2013 ; Broqua et Deschamps, 2014]. Dans plusieurs d’entre eux, la perspective de l’économie politique du patriarcat passe au second plan, au profit de celle des transactions intimes, dont Viviana Zelizer a proposé une formulation particulièrement aboutie [Zelizer, 2001, 2005a]. Dans cette perspective, il s’agit moins d’analyser l’exploitation des femmes que de montrer comment les individus donnent un sens acceptable à des relations dans lesquelles se fondent échanges monétaires et intimité. Nos vies économiques ne sont pas asservies à l’argent, mais reposent sur des processus de qualification et de valorisation au cours desquels se fait le partage entre le marchand et le non-marchand [Zelizer, 2011]. En se distinguant des approches féministes, ces recherches entendent rendre justice aux capacités d’agir ordinaires des individus, et proposer une autre description des interactions où argent et intimité se mêlent.

4Cet article propose une lecture de ces deux approches du commerce de la sexualité en partant moins de ce qui les distingue que de ce qui les rapproche : contrairement aux analyses en termes de marchandisation de la sexualité qui insistent sur les contraintes économiques et les violences physiques subies par les femmes dans le travail sexuel [Jeffreys, 2009 ; Dines, 2011], ces deux approches montrent que le commerce de la sexualité, entendu ici au sens large des relations dans lesquelles la sexualité est échangée contre autre chose qu’elle-même, est un trait ordinaire des rapports sexuels, conjugaux et amoureux. Elles montrent également que les logiques économiques ne dénaturent pas les relations intimes, mais tendent au contraire à leur être consubstantielles. Si ces deux perspectives se distinguent ainsi de lectures plus sombres du travail sexuel, elles ne proposent pas pour autant une vision enchantée des relations conjugales et intimes, mais ont en revanche tendance à caractériser celles-ci par la dépendance et la vulnérabilité. Au-delà du commerce de la sexualité, elles contribuent ainsi à une sociologie de l’amour et de l’intimité attentive à ses dimensions matérielles et à ses aspects négatifs.

5Cet article n’a pas pour ambition de revenir sur toutes les analyses théoriques et empiriques du commerce de la sexualité. Il aborde les approches féministes et celle de V. Zelizer comme un ensemble de propositions théoriques pas nécessairement unifié, comme des pistes de recherche plus que des réponses définitives. Je proposerai d’abord une interprétation de deux concepts élaborés dans les années 1980, l’un au centre des débats sur le commerce de la sexualité, celui d’échange économico-sexuel de Paola Tabet [2004], l’autre, beaucoup moins mobilisé et pourtant décisif, celui de dépendance affective élaboré par Sonia Dayan-Herzbrun [1982]. Cette lecture met l’accent sur la manière dont la division sexuée du travail structure les usages de la sexualité féminine, mais aussi la production des désirs féminins. La microsociologie de l’intimité proposée par V. Zelizer dégage un autre plan d’analyse, attentif aux capacités des individus à définir ensemble la teneur et le périmètre de leur relation intime, dans lequel les rapports de genre et plus généralement les rapports de pouvoir ne sont pas centraux. Elle conçoit cependant l’intimité ordinaire comme une manière pour un individu de donner du pouvoir sur lui-même à un autre, et éclaire d’un autre point de vue la face sombre de l’intimité [1].

2 – Dépendance matérielle, dépendance affective : la production des désirs féminins

6Si la dimension économique et plus largement matérielle est au centre des analyses féministes, les textes de P. Tabet et S. Dayan-Herzbrun ouvrent une autre lecture, qui insiste sur la dimension affective des rapports sociaux de sexe. La dépendance économique des femmes vis-à-vis des hommes et plus largement la division sexuée du travail déterminent les usages sexués de la sexualité, mais ceux-ci s’expliquent également par une dépendance affective. Cette notion ouvre une approche matérialiste (c’est-à-dire une approche où les conditions matérielles d’existence déterminent la manière dont les individus se rapportent à eux-mêmes) des engagements affectifs et sentimentaux des femmes, sans réduire ceux-ci à une idéologie masquant la dépendance économique.

7À partir des années 1980, P. Tabet développe le concept d’échange économico-sexuel pour comprendre les relations sexuelles entre hommes et femmes qui impliquent une compensation. Pourquoi parler d’échange économico-sexuel et pas de prostitution ? P. Tabet montre d’abord que la prostitution est une notion floue, qui rassemble des pratiques et des individus très différents : d’un point de vue historique et anthropologique, il existe des rétributions d’actes sexuels qui ne sont pas qualifiées de prostitution. À l’inverse, des échanges sans argent ni sexualité sont qualifiés de prostitution : des femmes qui ont de nombreux partenaires sexuels en particulier, ou qui sont dites « vénales ». La catégorie de putain ne définit pas des pratiques ou un groupe spécifique, elle a pour fonction de stigmatiser les femmes qui s’écartent des normes sexuelles définies par les hommes et de contrôler les usages féminins de la sexualité [voir également Pheterson, 2003]. La question de l’encadrement politique du commerce de la sexualité est donc importante, y compris du point de vue du genre, mais elle n’est pas au centre de l’analyse de P. Tabet. L’histoire de la prostitution est celle d’une catégorie politique qui définit les normes de la sexualité féminine, mais qui occulte également l’organisation sexuée générale du commerce de la sexualité.

8Dans cette perspective, il ne s’agit plus de s’intéresser à des pratiques minoritaires et socialement perçues comme déviantes, mais à des pratiques ordinaires et socialement acceptées : c’est la banalité d’échanges entre des actes sexuels et des biens qui est au centre de l’analyse [2]. De plus, la question de l’argent n’est pas centrale, c’est le sens de l’échange qui est fondamental : ce sont majoritairement des femmes qui échangent leur sexualité contre autre chose. De ce point de vue, le problème n’est pas la contamination de la sexualité par l’argent, mais l’imbrication structurelle de la sexualité féminine dans des échanges dont les règles sont fixées par les hommes. L’arnaque qui donne son nom au livre ne concerne pas exactement l’appropriation par les hommes des profits issus de l’exploitation de la sexualité féminine, par exemple dans les industries du sexe. Elle renvoie à la position de femmes qui sont, du fait de la division sexuée du travail, dans une situation de subordination économique, des femmes dont la sexualité est considérée comme un bien de valeur, et qui sont par là incitées à en faire un bien échangeable. Dans le mouvement même où elles tentent d’améliorer leur situation, elles se conforment aux désirs des hommes. Alors que les analyses en termes de marchandisation de la sexualité reposent souvent sur l’idée que le marché comme forme spécifique d’organisation sociale informe les relations conjugales et sexuelles, et que celles-ci sont fragilisées sous un régime capitaliste [Illouz, 2020], ce sont les ressources qui sont déterminantes dans les échanges économico-sexuels. Pour P. Tabet, ce concept rend compte d’un phénomène structurel, universel ou presque, il est une pièce conçue comme un quasi-invariant historique de l’oppression des femmes. De ce point de vue, l’argent et la sexualité sont finalement seconds au regard de la dimension sexuée de l’échange, c’est-à-dire d’un rapport social où les hommes comme groupe social limitent l’accès des femmes aux ressources nécessaires et aux biens de valeurs.

9Si cette dépendance matérielle est première, P. Tabet analyse également ses effets au niveau de la production des femmes comme sujets de désir : qu’un homme paie ou donne quelque chose pour avoir accès à la sexualité d’une femme « suppose et constamment impose une différence entre les sujets sexuels. Pour qui le reçoit, il implique un renoncement, fût-il partiel, à ses propres besoins sexuels, à son désir propre » [Tabet, 2004, p. 55]. Ce qui est en question ce ne sont pas seulement, même si P. Tabet insiste clairement sur ce point, les violences que subissent les femmes qui ne se conforment pas aux règles de l’échange, ce sont les désirs des femmes qui s’y conforment. De ce point de vue, expliquer l’échange économico-sexuel par l’intérêt des femmes ne suffit pas. La constitution de la sexualité féminine en service ne se comprend pas uniquement par la nécessité de subvenir à leurs besoins, ou par les avantages, en termes de rentabilité ou de pénibilité par exemple, du commerce de la sexualité par rapport à d’autres activités marchandes. Cette idée suppose chez celles qui font commerce de leur sexualité une dissociation entre ce qu’elles vendent et ce qu’elles sont, entre un soi professionnel et un soi privé. Cette compétence à isoler certaines parties de soi pour répondre aux désirs d’un client a été décrite par plusieurs travaux [Chapkis, 1996 ; Zatz, 1997 ; Trachman, 2013]. P. Tabet souligne qu’elle existe chez celles pour qui l’échange économico-sexuel est explicite : certaines prostituées qui se considèrent comme telles et qui opèrent « une dissociation fondamentale entre le service sexuel comme travail et la sexualité comme expression et vie personnelle » [Tabet, 2004, p. 98, souligné dans le texte]. L’important n’est pas que la sexualité puisse devenir une compétence, mais ce que cette dissociation révèle des échanges économico-sexuels ordinaires où précisément les femmes n’explicitent pas les termes de l’échange, où la vie sexuelle tend à se superposer au travail sexuel. Quand l’échange reste implicite, en particulier dans les relations de séduction ou les relations conjugales où les enjeux économiques ne sont pas systématiquement discutés entre les partenaires, il tend à déterminer ce que sont les femmes. La distinction entre les échanges économico-sexuels implicites et explicites est donc fondamentale parce qu’elle implique deux modes de subjectivation sexuelle : l’un où une partie de la sexualité est extériorisée pour être constituée en service, l’autre où les règles de l’échange sont intériorisées dans la vie sexuelle.

10L’analyse se situe ainsi au niveau de la division sexuée du travail, de la production des moyens d’existence des femmes et des hommes ; mais aussi au niveau du désir et de la production des femmes elles-mêmes. L’échange économico-sexuel suppose en effet deux rapports à ses désirs, l’un masculin où une grande diversité de désirs peut être réalisée, contre rétribution ou pas ; l’autre féminin où il s’agit de répondre aux désirs masculins, où « la possibilité d’exprimer son propre désir fait défaut, mais plus encore – puisque chez l’être humain la sexualité et le désir ne sont pas une donnée mais quelque chose qui se construit – la possibilité de le connaître, de l’élaborer, de l’imaginer » [Tabet, 2004, p. 167]. L’échange économico-sexuel a donc des enjeux ontologiques, la sexualité étant analysée à la fois comme ce dont les femmes sont dépossédées par les hommes et un aspect essentiel de l’existence humaine. Cette analyse de la production du désir est également présente dans un autre texte central du féminisme matérialiste, « Quand céder n’est pas consentir » de Nicole-Claude Mathieu. Si pour les femmes céder n’est pas consentir, ce n’est pas seulement parce qu’elles sont contraintes de faire ce qu’elles ne veulent pas faire, c’est que les rappels à l’ordre, qui peuvent être physiques (agressions, viols) ou symboliques (insultes, humiliations), déterminent l’espace des possibles sexuels et l’espace du désirable [Mathieu, 1985]. Prendre au sérieux ce que désirent les femmes, ce n’est pas montrer qu’elles sont dans une servitude volontaire, mais que la notion même de consentement suppose un sujet libre en contradiction avec la situation matérielle des femmes, et plus précisément avec la limitation des ressources qu’implique le fait d’être une femme.

11Faire porter l’attention sur les échanges économico-sexuels implicites ouvre l’analyse des usages conjugaux et amoureux de la sexualité féminine et celle des désirs féminins. La question des investissements libidinaux et sentimentaux des femmes dans un contexte de division sexuée du travail devient alors centrale. C’est cette piste que le concept de dépendance affective proposé par Sonia Dayan-Herzbrun au début des années 1980 permet de prolonger. Pour la sociologue, les rapports sociaux de sexe ne sont pas seulement caractérisés par une assignation des femmes à certaines activités, une invisibilisation d’une partie de leur production et une dévalorisation de leur travail. La dépendance économique des femmes se double d’une dépendance affective, définie comme « le fait de dépendre dans son existence et dans ses conditions d’existence de l’amour d’un autre, ici de l’amour d’un homme » [Dayan-Herzbrun, 1982, p. 116]. Cette dépendance affective n’est pas que la conséquence de la dépendance matérielle : une telle explication utilitariste défend l’idée que dans un contexte d’inégale répartition des ressources et de difficultés pour les femmes à accéder à des positions de pouvoir, celles-ci feraient usage de leur pouvoir de séduction pour subvenir à leurs besoins, ou s’investiraient dans des espaces dans lesquels les rétributions et la considération sont accessibles, c’est-à-dire le couple ou les relations amoureuses. Pour S. Dayan-Herzbrun, une telle lecture est incapable de saisir « ce qui dans le désir des femmes les conduit à se laisser ainsi asservir » [ibid., p. 117].

12Dans cette analyse, la sexualité est abordée comme un ensemble de désirs, et comme faisant partie de désirs plus larges, en particulier de conjugalité et d’amour. Cette position est cohérente avec l’assignation sociale de la sexualité à la conjugalité : l’usage majoritaire de la sexualité est conjugal, elle n’a pas pour but unique ni même principal le plaisir qu’on peut y prendre, elle est une manière de définir des relations, des statuts et des hiérarchies [Bozon, 1999]. Il ne s’agit pas de montrer comment les femmes laissent de côté leurs désirs ou les ajustent aux situations dans lesquelles elles se trouvent, mais comment il y a une production des femmes comme sujets de désir qui précèdent les adaptations et les ajustements qu’elles opèrent quotidiennement : là encore, ce qui est en question n’est pas l’intérêt mais l’existence des femmes, ici moins entendue comme la subsistance et les moyens matériels qu’elle implique que comme la réalisation des aspirations sans lesquelles une vie ne vaut pas d’être vécue. S. Dayan-Herzbrun fait ici l’hypothèse que l’amour pour les hommes donne sens à cette existence et que l’inverse n’est pas vrai. Les hommes s’investissent dans le travail salarié, nouent des relations de sociabilité hors de l’espace domestique. Ils attendent de leur relation conjugale ou amoureuse qu’elle leur assure un certain confort quotidien, voire une réassurance de soi, mais celle-ci ne constitue pas nécessairement le centre de leur vie. Cette asymétrie est à la racine des attitudes féminines de dévouement, de don de soi dans l’espace privé comme dans la sphère professionnelle ; elle ne limite pas seulement les désirs féminins, elle fait dépendre les femmes du désir d’un autre.

13Le concept de dépendance affective s’ajoute au répertoire de ceux qui analysent l’économie du patriarcat et ne se réduit ni à celui d’exploitation, qui considère les femmes comme force de travail [Delphy, 1998] ni à celui d’appropriation, qui les saisit comme des unités matérielles détenues et échangées par les hommes [Guillaumin, 1992]. Il aborde les femmes comme des sujets dont les aspirations conjugales et amoureuses participent de leurs souffrances et de leur domination. Alors que l’exploitation et l’appropriation ont pour effet de désenchanter l’amour et la conjugalité, la notion de dépendance semble être intrinsèque à celle d’amour : qu’est-ce qu’une relation amoureuse sans dépendance de l’une envers l’autre ? Comme le note S. Dayan-Herzbrun, aujourd’hui « le désir (hétérosexuel, puisque lui seul apparaît dans la norme) ne saurait passer que par l’acceptation de la dépendance » [Dayan-Herzbrun, 1982, p. 127]. Celle-ci n’est pas quelque chose qu’il faudrait conjurer pour mettre en place une relation conjugale égalitaire : elle est le signe d’un amour authentique.

14La dépendance affective ouvre une analyse en termes de production matérielle du psychique. Elle prend sens au regard d’une dépendance économique liée à la division sexuée du travail, et plus précisément d’un espace des possibles sociaux plus étroit pour les femmes, d’un accès au dehors plus difficile [3]. En effet, si l’amour prend autant de place dans la vie des femmes, ce n’est pas seulement parce qu’elles n’ont pas les ressources pour être autonomes, mais parce qu’elles sont assignées à la sphère privée. Plus que l’argent, c’est le travail comme espace possible de réalisation de soi qui constitue un privilège masculin en ce qu’il ouvre d’autres aspirations, d’autres satisfactions. Si les notions de dépendance affective et d’échange économico-sexuel n’ont pas de sens hors d’un contexte d’inégalités économiques et professionnelles, elles débordent la question des ressources matérielles pour saisir la division du travail dans sa dimension existentielle, au niveau de la manière dont les femmes se rapportent à elles-mêmes et à leurs désirs. Le concept de dépendance affective éclaire finalement sous un angle original les rapports de genre : dans les rapports sexuels qui ont lieu entre intimes, dans un cadre conjugal ou amoureux, il ne s’agit pas seulement d’analyser la constitution de la sexualité en ressource, mais ce qu’investissent les femmes dans la sexualité et la conjugalité.

3 – Le recouvrement de la dépendance par la violence

15Si la notion de dépendance affective montre que l’explication des rapports de genre ne se réduit pas à la dépendance économique, elle ouvre également une piste alternative aux lectures qui insistent sur la contrainte physique et la violence. Aborder le commerce de la sexualité, et plus généralement les rapports sexuels et conjugaux comme des relations de dépendance, n’est pas la même chose que de les aborder comme des relations violentes. Or ces deux lignes ne sont pas toujours distinguées, et l’analyse de la domination masculine tend parfois à recouvrir la dépendance affective par la dépendance matérielle et les violences envers les femmes. Les travaux de Nicole-Claude Mathieu en sont un exemple. Dans deux articles, elle critique les analyses de la domination masculine proposées par Maurice Godelier, qui situe au centre des rapports sociaux de sexe le consentement des dominées à leur domination, et Pierre Bourdieu, pour qui cette domination est essentiellement symbolique [Mathieu, 1985, 1999]. En critiquant la conception abstraite d’un sujet libre, le premier texte souligne « l’envahissement du conscient et de l’inconscient des femmes par leur situation objective de dépendance aux hommes et le type de structuration du moi qui en découle » [Mathieu, 1985, p. 171]. L’analyse de la conscience dominée prend notamment en compte les rêves des femmes, conçus comme des révélateurs des limitations de leur espace cognitif, de leur psychisme et de leurs aspirations.

16Cependant, cet aspect tend parfois à passer au second plan. Ainsi, la critique du primat du symbolique donné par Bourdieu dans la reproduction de la domination masculine conduit l’anthropologue à insister sur la contrainte physique, la sexualité comme contrainte pour les femmes et la place du viol dans les rapports sexuels ordinaires [Mathieu, 1999, p. 300]. La critique du symbolique conduit finalement à privilégier un versant des analyses matérialistes, celui de la contrainte économique et physique.

17Les recherches plus récentes de Jules Falquet en sont un autre exemple. Son ouvrage De gré ou de force. Les femmes dans la mondialisation prend pour point de départ des évolutions économiques de la mondialisation, et en particulier de la division sexuée du travail. Une des questions ouvertes par les travaux de P. Tabet et S. Dayan-Herzbrun est en effet celle des conséquences sur les échanges économico-sexuels et la dépendance affective des évolutions de la division sexuée du travail, et notamment de l’accès des femmes au marché de l’emploi. J. Falquet montre que ce processus n’a rien d’une marche vers l’égalité ; et fait l’hypothèse que dans un contexte de précarisation et de circulation de la main-d’œuvre, les femmes seraient de plus en plus conduites à investir un « marché du sexe », c’est-à-dire la prostitution et la pornographie [Falquet, 2008, p. 58 q.]. Pour la sociologue, la dépendance économique s’articule structurellement à une violence qui assigne les femmes à ce marché du sexe ou les y maintient. Concernant la sexualité, l’analyse porte principalement sur les échanges économico-sexuels explicites, qui apparaissent alors comme particulièrement révélateurs des rapports sociaux de sexe. C’est aussi une certaine conception de la violence de genre qui s’affirme ici : une violence qui serait « en augmentation avec l’extension du néolibéralisme » [ibid., p. 76], une violence « multiple et généralisée » [ibid., p. 80] qui rassemble des formes privées (violences domestiques) et publiques (violences en temps de guerre ou sur le marché du travail), et dont l’objectif est finalement d’assurer l’exploitation de la main-d’œuvre féminine [Falquet, 2016]. Ce n’est pas la dépendance affective ou les désirs des femmes qui sont en question, mais plutôt ce qu’elles subissent « de gré ou de force » pour les intérêts des hommes.

18S’il est nécessaire d’insister sur la place centrale de la contrainte dans les rapports de genre, dans un contexte où les violences de genre restent largement occultées [Romito, 2006], la notion de dépendance affective ouvre une autre piste, qui permet également d’écarter certains problèmes que posent les analyses où la violence est conçue comme le cœur des rapports de genre. Les analyses de J. Falquet ont pour contexte une institutionnalisation de la lutte des violences envers les femmes, au niveau international, qui a accompagné une production de données et de savoirs, notamment statistiques. Elles reposent sur l’idée que cette institutionnalisation est ambivalente et ne doit pas nécessairement être interprétée comme un progrès [voir également Delage, 2017]. Ces analyses mobilisent cependant une conception très réaliste de la violence, indépendante de ses mesures, des manières de la percevoir et de la dire. Or l’objectivation des violences de genre, en particulier d’un point de vue statistique, suppose des stratégies d’échantillonnage, des manières de la questionner, des problématisations politiques variables selon les pays qui influent sur les chiffres produits [Cavalin, 2013 ; Myhill, 2015]. Ces chiffres sont issus d’une construction complexe qui limite les possibilités de comparaison dans l’espace et dans le temps et la cumulativité des données. De plus, la violence, en particulier dans les relations intimes, est inséparable d’opérations de qualification par lesquels des faits jusque-là perçus comme ordinaires deviennent intolérables [Trachman, 2018]. Enfin, malgré les variations des données chiffrées, les formes les plus graves de violences, conjugales ou sexuelles, ne concernent pas l’ensemble des femmes, et toutes n’ont pas la même probabilité de les subir, en particulier selon leur âge [Debauche et al., 2017]. Cela ne signifie pas que les vies des femmes ne sont pas structurellement liées à la possibilité de subir des violences, mais la généralisation tend à faire de certaines situations de violences particulièrement graves les scènes éclairant les rapports de genre en général.

19Alors qu’au centre de l’analyse en termes de dépendance se trouvent les femmes dans une relation conjugale, ce sont logiquement les victimes de violences et les femmes contraintes à travailler dans les industries du sexe qui sont mises en avant dans les analyses en termes de violence. On peut faire l’hypothèse que cette différence d’accent renvoie à une tension interne dans les analyses féministes. Comme on l’a vu, celles-ci visent à la fois à analyser la production des femmes, mais avancent également l’idée que les rapports sociaux de sexe dépossèdent celles-ci de leur « désir propre ». Tenir simultanément ces deux positions c’est laisser ouverte la possibilité d’un discours critique : si l’ajustement des femmes aux intérêts et aux désirs des hommes était sans reste, il n’existerait pas de points d’appui pour un discours ou une pratique de lutte. Ce n’est sans doute pas un hasard si les femmes qui résistent apparaissent souvent comme une figure conclusive chez P. Tabet, N.-C. Mathieu et J. Falquet, comme pour insister sur le fait que la dépendance matérielle et affective n’est pas le dernier mot des rapports de genre. Les victimes de violences et les femmes qui résistent incarnent d’une certaine manière le refus des rapports sociaux de sexe ou de certains de leurs aspects, un écart interne à ces rapports qui rend possibles l’analyse et la dénonciation. On peut comprendre ainsi l’insistance sur la dimension « intime » de ces violences, sexuelles ou conjugales en particulier : il s’agit de souligner que c’est précisément dans ce qui les constitue en propre que les femmes considèrent ces violences comme intolérables. Si cela permet une position critique, cela tend cependant à faire passer au second plan la sexualité conjugale, que la majeure partie des femmes ne vivent pas comme une violence ni comme un épanouissement de soi, mais plutôt comme un espace d’arrangements ou de négociation [Ferrand et al., 2008]. Du point de vue de la conjugalité comme de la sexualité, l’analyse en termes de dépendance affective définit un autre périmètre, d’autres scènes pour penser la conjugalité et la sexualité, sans doute plus proche des manières dont elles sont vécues par la plupart des femmes. En faisant de la dépendance un élément inhérent aux relations amoureuses, et en inscrivant le désir d’amour dans la production des femmes, la piste de la dépendance ne propose pas cependant de pistes critiques nettes.

4 – Une microsociologie de l’intimité

20Que revendiquent les analyses en termes de transactions intimes et comment se distinguent-elles des analyses féministes ? Elles se donnent d’abord pour objectif de décrire plus précisément certains aspects du commerce de la sexualité : si le féminisme matérialiste a dévoilé « la structure des relations, il a peiné à rendre compte de la richesse des subjectivités féminines auxquelles permet pourtant d’accéder la méthode ethnographique » [Roux, 2014, p. 342]. Le déplacement est surtout épistémologique, en ce qu’il met l’accent sur des aspects du réel moins mobilisés par les perspectives féministes, en particulier les capacités réflexives et critiques des individus, les moments où les arrangements entre les individus l’emportent sur la contrainte des unes par les autres, les interactions dont la signification ne se réduit pas à un rapport de domination d’une classe de sexe sur l’autre [4]. Plus que la dépendance, c’est la réduction du commerce de la sexualité à une violence qui fait l’objet de la critique.

21Quelles conceptions de l’économie et de la sexualité sous-tendent ce déplacement ? Pour répondre à cette question, je m’attacherai aux travaux de Viviana Zelizer, qui sont devenus un paradigme alternatif aux perspectives féministes pour l’étude du commerce de la sexualité et qui proposent une conceptualisation générale des rapports entre économie et intimité. Ses travaux ne s’opposent pas nécessairement aux textes féministes analysés auparavant, mais abordent le commerce de la sexualité sur un autre plan, microsociologique. Cette approche se caractérise par la volonté de ne pas rabattre le cours de l’action et le niveau de l’interaction sur celui des structures sociales. Elle est également attentive à la définition de la situation par les individus eux-mêmes, la production en commun d’un sens acceptable de l’échange, même fragile [5].

22Ces deux éléments sont au centre de la notion de transactions intimes, qui constitue le cadre théorique au sein duquel V. Zelizer aborde le commerce de la sexualité. Pour elle, les conceptions, savantes comme profanes, qui affirment que les relations intimes ne sont « rien d’autre que » des relations marchandes, ou au contraire celles qui considèrent l’intimité et l’argent comme des « mondes hostiles », manquent les manières par lesquelles les individus donnent une signification intime à des échanges monétaires, délimitent les frontières du marchand et du non-marchand là où l’argent semble la mesure de toute chose. Si c’est souvent la perspective des « mondes hostiles » qui est socialement mobilisée pour condamner les relations où l’argent et l’intimité s’entremêlent, l’approche féministe se voit plutôt reprocher d’endosser la perspective du « rien d’autre que » : les relations intimes seraient gouvernées par l’intérêt économique, ou parfois sexuel. La critique de V. Zelizer ne porte donc que sur les analyses féministes qui critiquent la « marchandisation de la sexualité ». D’autres pistes échappent à son alternative en essayant, comme on l’a vu, de penser le désir au-delà de l’intérêt. De ce point de vue, l’analyse en termes de dépendance comme celle en termes de transactions intimes peuvent être lues comme deux manières de penser le commerce de la sexualité au-delà des contraintes économiques. Elles diffèrent cependant sur leur approche de l’intimité comme de l’économie.

23Si la perspective des transactions intimes rejoint l’approche féministe en abordant la sphère domestique comme une sphère productive, elle ne la considère pas pour autant comme une zone de non-droit, dans laquelle les violences subies par les femmes et les enfants sont légitimes [Delphy, 2001, p. 183 sq.]. V. Zelizer élabore une conception singulière de l’intimité, qui s’oppose à sa conception ordinaire comme territoire propre à un individu, et qui ne se réduit pas à l’analyse de la famille ou de la conjugalité comme structures sociales. Elle la définit non comme la propriété d’une personne, mais comme une relation mise en place par des individus, dans laquelle « au moins l’une des parties dispose de l’information et/ou de l’attention dont la diffusion dans un large cercle blesserait l’un des membres de l’interaction » [Zelizer, 2005a, p. 292, ma traduction]. Le contenu de cette information importe moins que la forme de la relation et la place qu’elle tient dans cette relation : cela peut être un secret de famille, un événement passé qui fait particulièrement souffrir l’individu. Ce n’est pas nécessairement un objet matériel, c’est ce qu’un individu donne à un autre : de l’attention par exemple, c’est-à-dire quelque chose qui pour garder sa valeur et distinguer certaines personnes ne peut circuler que dans un cercle restreint. De plus, l’information peut être connue par des tiers sans que la valeur affective qui lui est accordée le soit : c’est plutôt cette valeur qui détermine l’intimité d’une relation. L’amour, conjugal ou filial, mais aussi l’amitié relèvent de ce type de logique : que serait un ami qui prêterait attention à moi comme à n’importe qui d’autre, et dont je ne saurais pas ce qui importe pour lui ? La sexualité a aujourd’hui une place centrale dans l’établissement d’une relation intime, en ce qu’elle suppose pour la plupart des partenaires un principe de fidélité.

24C’est dans le cadre de cette conception de l’intimité que V. Zelizer élabore la notion de circuit [Zelizer, 2010, chap. 15 et 16] : l’intimité est produite par la circulation restreinte d’objets ou de gestes, matériels et symboliques, entre quelques personnes. Comme l’argent dans ses précédents travaux [Zelizer, 2005b], ces objets et ces gestes sont des marqueurs de l’intimité, ils la saisissent en pratique. Cela engage une certaine approche des échanges économiques. Comme on l’a vu, dans une optique féministe et matérialiste, l’économie recouvre plutôt les ressources nécessaires aux personnes pour vivre et le travail qui leur permet de produire leurs moyens d’existence : la question de la répartition des ressources est centrale. Pour V. Zelizer, l’économie consiste moins en des contraintes matérielles qu’en des échanges spécifiques qui produisent et circonscrivent des relations. V. Zelizer ne manque pas de noter qu’en abordant le ménage comme une unité de production, elle rejoint les études féministes, et souligne à leur suite que le genre et l’âge sont des divisions déterminantes du mode de production domestique. Cependant, son objectif n’est pas de montrer que les divisions entre classes de sexe et classes d’âge sont produites par la division sexuée du travail, mais comment elles sont prises en compte au cours d’arrangements conjugaux : « En organisant leurs activités économiques, les membres du ménage négocient en fait la signification de leurs relations » [Zelizer, 2005a, p. 243, ma traduction]. P. Tabet peut tout à fait intégrer des biens symboliques ou des ressources matérielles comme de la nourriture dans les échanges économico-sexuels : c’est leur capacité à satisfaire les besoins des femmes et des hommes qui importe. V. Zelizer insiste plutôt sur les échanges concrets de monnaie ou la valeur économique de certaines relations ou de certains actes : c’est leur capacité à signifier la teneur de la relation qui est déterminante.

25C’est pourquoi au cœur de la perspective des transactions intimes se trouve l’idée que les échanges économiques peuvent être nécessaires à l’établissement de relations intimes. V. Zelizer se situe ici à l’opposé des conceptions des relations économiques caractérisées par leur impersonnalité, leur brièveté et l’engagement partiel entre les individus [Weber, 2000], d’une conception du capitalisme destructeur de la sphère privée. À l’inverse, elle insiste sur la capacité des échanges, mais aussi des possessions économiques à lier les individus et à créer une « communauté de destin » [Zelizer, 2005a, p. 293] : le partage des ressources, les achats en commun ne sont pas nécessairement ou uniquement les indicateurs des inégalités au sein du couple, mais des attachements que ses membres se portent, et des liens matériels que supposent et impliquent ces attachements. V. Zelizer ne nie donc pas que l’argent s’est historiquement constitué comme un outil de mesure et de mise en équivalence particulièrement puissant : elle montre que c’est précisément pour cette raison qu’il est utilisé par les personnes pour établir des relations qui comptent pour elles.

26Cette conception de l’intimité et de l’économie explique pourquoi V. Zelizer donne une grande importance aux manières dont les individus rendent compte de leurs relations et aux significations qu’ils accordent à l’argent. La manière dont les individus décrivent leurs relations intimes participe à faire exister celles-ci. Dire d’un commerce sexuel qu’il n’est rien d’autre qu’un moyen de gagner de l’argent, ce n’est pas seulement défendre une vision réaliste ou dire ce qu’il en est « en vérité ». Au niveau des interactions, c’est signifier à un autre individu la manière dont je qualifie la relation et expliciter ce que j’y ai mis ou ce que je veux y mettre de moi. La délimitation d’une relation intime implique donc un travail relationnel dans lequel les explicitations et justifications sont des outils pour tracer des frontières. C’est sans doute pour cette raison que V. Zelizer s’appuie principalement sur des cas juridiques dans lesquels les partenaires sont en conflit : ce sont des matériaux dans lesquels l’intimité laisse des traces sociales, mais il s’agit aussi de moments où les individus sont tenus d’expliciter les frontières qui peuvent rester implicites dans les routines conjugales ou sexuelles.

27L’approche microsociologique ne consiste donc pas seulement à prêter attention à des dimensions du commerce de la sexualité jusque-là négligées, elle situe l’analyse sur un autre plan. Si V. Zelizer ne l’explicite pas vraiment, on peut proposer une lecture historique de son travail, présente dans ses recherches antérieures. Les matériaux analysés sont historiquement situés, aux xixe et xxe siècles. Au cours de cette période, la conjugalité et la sexualité ont subi des évolutions, qui relèvent moins d’une libération que d’une autonomisation des logiques conjugales et sexuelles par rapport aux normes familiales et d’une mise en couple de plus en plus justifiée par le sentiment amoureux que par l’intérêt matériel [Bozon, 2018]. À l’arrière-plan des analyses de V. Zelizer, il y a une interrogation, classique en sociologie, des liens entre développement du capitalisme et organisation des relations privées. Mais se lit également un questionnement sur l’intimité elle-même : à partir du moment où les relations intimes ne sont plus conçues comme une propriété plus ou moins aléatoire des relations familiales et conjugales, mais qu’elles qualifient des relations indépendamment de leur reconnaissance sociale ou juridique, se pose la question de leur teneur et de leurs limites. L’énorme travail de circonscription de l’intime mis en évidence par V. Zelizer peut se lire comme le revers d’une extension des relations intimes hors des cercles traditionnels, avec des individus divers, et les pratiques et les questionnements que cela suscite chez tout un chacun.

5 – Genre et investissements intimes

28On peut maintenant préciser ce qu’apporte la perspective des transactions intimes aux approches féministes, et ce qu’elle laisse dans l’ombre. Le genre est moins abordé comme une appartenance sociale qui structure et limite l’espace des possibles des femmes et des hommes que comme un élément pris en compte par les individus dans la définition d’une bonne relation. Concernant le travail sexuel pourtant, les analyses de V. Zelizer prolongent les travaux de P. Tabet. Le travail sexuel ne se distingue pas de la sexualité conjugale par l’existence d’échanges monétaires, ceux-ci étant ordinaires au sein des ménages, mais par les caractéristiques de l’interaction, en particulier sa temporalité et les éléments qu’elle mobilise : « Quand les relations impliquent un ensemble limité de pratiques et sont de courte durée, nous avons tendance à les qualifier de travail sexuel », « quand elles impliquent un large ensemble de pratiques et sont de longue durée, nous avons tendance à les qualifier de ménages » [Zelizer, 2011, p. 155, ma traduction]. Ce qui fait la spécificité du commerce de la sexualité dans un couple, c’est que ce commerce est surdéterminé par un ensemble d’éléments extérieurs liés à la densité des relations entre les partenaires, les rapports sexuels tendant finalement à être investis d’une multiplicité de significations selon l’histoire conjugale – par exemple l’existence de conflits, les différences de salaires ou d’activités professionnelles, la présence d’enfants, etc. Le travail sexuel, mais plus largement les relations dans lesquelles l’implication des partenaires est partielle et mesurée tendent à isoler la sexualité comme l’aspect central de cette relation, notamment grâce à la fixation de tarifs. Comme P. Tabet, V. Zelizer s’attache à rendre compte des diverses manières dont celles et ceux qui font commerce de leur sexualité parviennent, jusqu’à un certain point, à faire de ce commerce une activité viable, mais aussi comment cela relève d’un équilibre plus ou moins précaire. Les façons dont les travailleuses du sexe fixent, pour elles-mêmes et leurs clients, les frontières corporelles, symboliques et morales d’une relation sexuelle tarifée, montrent finalement comment peut s’établir une sexualité sans intimité [Zelizer, 2005a, p. 119 sq.].

29Pour V. Zelizer, le travail sexuel constitue également un exemple permettant de mettre en évidence l’occultation du travail relationnel opéré par les individus, en particulier par les approches savantes qui minimisent les manières dont les individus rendent ce travail viable. La critique ne porte pas sur les inégalités entre les groupes de sexe, mais plutôt sur les institutions qui délimitent les frontières de l’intimité en mobilisant des conceptions réductrices de celle-ci et des échanges économiques. Si cette piste permet de rendre justice aux capacités des individus, elle peut avoir pour effet d’atténuer les rapports de pouvoir au niveau de l’intimité. Parmi d’autres travaux sur des terrains proches [Despres, 2017 ; Le Bail et al., 2018], ce choix apparaît clairement dans la sociologie du tourisme sexuel mise en œuvre par Sébastien Roux. Soulignant la faiblesse empirique des dénonciations de ce phénomène, son étude prend pour point de départ le « décalage entre la violence des représentations du tourisme sexuel et la troublante banalité des offres prostitutionnelles » [Roux, 2011, p. 10]. L’analyse sociologique passe alors par la déconstruction d’une catégorie et la restitution de la multiplicité des échanges qu’elle subsume. Restituer cette complexité permet de ne pas réduire les logiques des transactions à l’intérêt économique et prendre en compte les engagements affectifs – de celles et ceux qui dénoncent, du chercheur face aux inégalités, mais aussi des femmes vis-à-vis des hommes qui les entretiennent. Les « économies intimes » analysées par S. Roux sont proches des transactions intimes au sens où la rationalité proprement économique n’est pas présentée comme la raison d’être des échanges. Cette perspective tend également à mettre sur le même plan femmes et hommes. C’est dans un second temps que le pouvoir apparaît, dans les rapports des institutions non gouvernementales et gouvernementales à ces économies intimes. La critique porte alors sur la normalisation des pratiques sexuelles et la diffusion transnationale d’une morale sexuelle que permet la lutte contre le tourisme sexuel, sur les effets des normes plus que les contraintes matérielles et les aspirations différentielles des individus.

30En insistant sur ce qui fait la spécificité d’une relation intime, V. Zelizer ouvre cependant une autre piste pour analyser les rapports de pouvoir. Pour elle, les relations intimes sont caractérisées par une fragilité et une incertitude qui explique l’importance du travail relationnel nécessaire pour les maintenir. Comme on l’a vu, elles sont également risquées, puisqu’elles impliquent finalement de donner à l’autre des prises sur soi-même, des moyens de faire souffrir. S’engager dans une relation intime, c’est se rendre vulnérable, et accepter d’avoir un pouvoir sur l’autre. On peut faire l’hypothèse que les deux aspects sont liés : la singularité d’une relation intime se mesure au pouvoir sur lui-même qu’un individu donne à un autre. Si V. Zelizer insiste, dans sa critique des « mondes hostiles », sur les bons arrangements, les cas qu’elle présente sont aussi des moments où l’intimité se défait, où les partenaires souffrent. Certains échanges économiques dans lesquels les biens font l’objet d’un investissement affectif important et dans lesquels les partenaires de l’échange sont dans des positions inégalitaires sont particulièrement « risqués » [Zelizer, 2010, chap. 14], mais c’est toute relation intime qui est risquée non parce qu’elle peut être injuste, mais parce que les ajustements entre les désirs et les aspirations de chacun des partenaires sont fragiles. De manière frappante, plusieurs cas analysés par V. Zelizer mettent en scène des individus qui s’aperçoivent rétrospectivement des décalages entre leur manière de voir et celle de leur partenaire intime, et de leurs investissements affectifs ou matériels qui apparaissent alors peu justifiés. Ce ne sont pas seulement des tiers ou des institutions extérieures qui se méprennent sur la teneur d’une relation intime, cela peut être les individus eux-mêmes, y compris quand les arrangements leur semblent justes et satisfaisants.

31Si les perspectives des transactions intimes et de la dépendance affective amènent finalement à se demander pourquoi les individus s’investissent autant dans des relations potentiellement douloureuses, V. Zelizer n’interroge pas les liens entre genre et investissements intimes. De manière remarquable, alors qu’elle met en évidence le travail relationnel pour définir une intimité juste, ce travail n’aboutit pas, dans les cas présentés, à un questionnement sur les rapports de genre. Comme on l’a vu, les analyses en termes de dépendance, en faisant de celle-ci un trait essentiel d’une relation amoureuse, peinent à ouvrir des perspectives critiques. V. Zelizer éclaire d’une certaine manière cette difficulté : la circonscription d’une relation intime relève de la définition d’une relation singulière entre quelques individus, elle se définit par ce qui ne peut pas être partagé. Alors qu’une position critique suppose de mettre en regard des situations vécues comme singulières pour les comprendre, non comme des relations contingentes, mais dans leur dimension structurelle, comme des injustices ou des inégalités entre les groupes [Boltanski, 2009, p. 66 sq.], ce geste n’apparaît pas dans les cas présentés par V. Zelizer. D’autres matériaux permettraient sans doute de les mettre en évidence, mais cette absence dit quelque chose de l’organisation sociale des relations intimes. La sociologie de l’amour et de l’intimité ouverte par les perspectives féministes comme celle des transactions intimes conduit finalement à se demander à quels moments les relations intimes, caractérisées par une certaine réflexivité et une certaine vulnérabilité, sont problématisées par les partenaires en termes de genre, comme des relations vécues en tant que femmes et hommes, et non comme une relation singulière indépendante des appartenances de genre, ou comme le destin de l’amour.

6 – Conclusion

32Mettre en perspective les échanges économico-sexuels et les transactions intimes permet de montrer que ces deux approches, partant des usages économiques de la sexualité, et plus largement de la présence des échanges économiques dans les relations intimes, généralisent et relativisent le poids des logiques économiques : si les échanges de biens et d’argent sont très fréquents dans les relations intimes, ils n’en sont pas la raison d’être ni le principe explicatif. Trois aspects des échanges économiques peuvent être distingués, selon qu’on les aborde selon le marché comme forme sociale, ce qui ouvre une critique de la marchandisation de la sexualité ; selon la répartition des ressources nécessaires à l’existence, ce qui permet de comprendre comment la sexualité féminine est constituée en bien échangeable ; selon les transactions monétaires, qui sont un outil parmi d’autres pour délimiter les frontières d’une relation intime et signifier les attachements que les individus se portent. Alors que les analyses en termes de marchandisation de la sexualité tendent à dénoncer les manières dont le capitalisme détruit ou fragilise les relations intimes, les deux autres perspectives analysent plutôt ce que les individus font avec la sexualité plutôt que les pratiques sexuelles en tant que telles [6]. L’analyse de la sexualité y est donc secondaire par rapport au genre ou à l’intimité, par rapport à ce qui est investi par les individus dans les relations sexuelles.

33La question du commerce de la sexualité ouvre ainsi une sociologie de l’amour et de l’intimité distincte d’une sociologie de la conjugalité et de la famille comme structures sociales. Le travail sexuel apparaît alors comme un révélateur, dans l’arrangement spécifique qu’il opère entre économie et intimité, des relations intimes ordinaires : ce n’est pas le travail sexuel qui est interrogé au nom d’une norme conjugale, c’est l’intimité et la sexualité conjugale qui apparaissent problématiques au regard du travail sexuel. La place du travail d’explicitation et de la réflexivité est ici centrale : pour les perspectives féministes comme pour les transactions intimes, expliciter les termes de l’échange, les enjeux pour les partenaires, les frontières qu’ils fixent contribue à établir des relations plus justes. L’usage de l’argent dans le travail sexuel concourt de ce point de vue à cadrer les investissements, à problématiser les contraintes. À l’inverse, les usages implicites de la sexualité, les asymétries de ressources ou de désirs non questionnées caractérisent la conjugalité plus que le travail sexuel et favorisent la reproduction tacite des inégalités. La violence et l’exploitation sont présentes dans certains segments du travail sexuel, mais la dépendance et la vulnérabilité caractérisent l’intimité ordinaire. La place du genre pour comprendre cette face sombre de l’intimité est une question en suspens : si l’exercice de la violence conjugale et sexuelle est un phénomène nettement masculin, on peut se demander si l’hypothèse de S. Dayan-Herzbrun d’un amour qui détermine l’existence des femmes et non celle des hommes est toujours valide. Tout laisse à penser que les investissements intimes sont liés aux appartenances de sexe, mais il est sans doute rapide d’opposer dépendance féminine et indépendance masculine. Cette division sexuée des investissements affectifs et des aspirations amoureuses reste à explorer pour comprendre le commerce de la sexualité.

Notes

  • [1]
    Je remercie les évaluatrices et des évaluateurs de la revue, l’article ayant considérablement bénéficié de leurs remarques et critiques.
  • [2]
    P. Tabet insiste sur cette banalité dans l’entretien que nous avons réalisé ensemble [Trachman, 2009].
  • [3]
    Sur le masculin comme investissement du dehors, dans le cas des classes populaires, voir Schwartz [1990].
  • [4]
    On retrouve ici, au niveau des études sur les rapports sociaux de sexe, les critiques faites à la « sociologie critique » dans les années 1980 [Boltanski, 2009].
  • [5]
    Ces éléments traversent tout le travail de V. Zelizer et ne lui sont pas propres [Steiner, 2009].
  • [6]
    Sur ce point, dans le cas du féminisme matérialiste, voir également Clair [2013].
Français

L’article met en perspective deux analyses du commerce de la sexualité : celle s’inscrivant dans la perspective du féminisme matérialiste et celle des transactions intimes. Il s’attache en particulier aux concepts d’échange économico-sexuel de Paola Tabet, de dépendance affective de Sonia Dayan-Herzbrun, et aux travaux de Viviana Zelizer. Si les perspectives féministes ont conçu des outils pour analyser l’exploitation sexuelle des femmes par la violence physique, elles interrogent également la production des désirs féminins et les investissements amoureux dans un contexte d’inégale répartition des ressources. Les travaux de V. Zelizer mettent l’accent sur les capacités des individus à définir les frontières d’une relation intime, ils proposent également une conception singulière de l’intimité dans laquelle les partenaires se rendent vulnérables l’un vis-à-vis de l’autre. Les deux approches reposent sur des conceptions distinctes du genre et de l’économie, mais toutes deux mettent en évidence les limites des analyses en termes de marchandisation de la sexualité et inscrivent l’analyse du commerce de la sexualité dans une sociologie de l’amour et de l’intimité où la dépendance et la possibilité de souffrir sont centrales.

  • féminisme
  • économie
  • sexualité
  • dépendance
  • violence

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Mis en ligne sur Cairn.info le 24/11/2020
https://doi.org/10.3917/rfse.025.0123
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