CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 – Introduction

1Les théories de la valeur font depuis le début du siècle l’objet d’un intérêt soutenu de la part des courants de pensée critiques en économie et en sociologie. Ce qui frappe au premier regard, c’est l’extrême ampleur de l’éventail des objets et des options retenues, qui va par exemple de la « critique de la valeur » ou « wertkritik » développée en Allemagne par Robert Kurz et Anselm Jappe [Jappe, 2003] dans une perspective postmarxiste, aux travaux sociologiques de critique de la marchandise qui s’en affranchissent [Boltanski et Esquerre, 2017], via le diagnostic de Paul Jorion se centrant sur l’explication des prix et posant que « le concept de valeur est en conséquence parfaitement superflu » [Jorion, 2016, p. 68].

2Certains travaux critiques en appellent à une « refondation » de la théorie de la valeur. Face à la crise économique démarrée en 2007 avec les « subprimes », et à s’en tenir aux débats français, André Orléan dénonce « l’empire de la valeur » qui de « substantielle » doit devenir « relationnelle » [Orléan, 2011a], cependant que le livre de Jean-Marie Harribey [Harribey, 2013] lie enjeux financiers et écologiques pour élaborer une « théorie critique de la richesse et de la valeur ».

3Du côté de la valeur-utilité, les courants orthodoxes standards ou élargis suivent quant à eux un chemin différent. Publié en 2011, un diagnostic épistémologique de Bernard Walliser sur « Ce que font les économistes » [Walliser, 2011] entérine et décortique le triomphe définitif des modèles dans la discipline, constatant que la prolifération et la banalisation des modèles imposent la prévalence d’un niveau intermédiaire entre la théorie fondamentale et l’application pratique et donnent le sentiment que la question de la valeur en économie est à la fois largement résolue et d’un intérêt amoindri. Ce diagnostic fait des théories de la valeur un domaine de recherches rétrospectives sans incidence sur le devenir actuel de la discipline.

4Ce désintérêt contraste avec l’apparition de travaux théoriques mais surtout empiriques nombreux dans un champ connexe à la théorie de l’utilité : l’économie du bonheur [Layard, 2005 ; Davoine, 2012]. Cette sous-discipline substitue le terme de bonheur à celui d’utilité, pour élargir le champ de cette dernière et prendre en compte rationalité imparfaite et pluralité des processus de valorisation. Elle vise à la mesure directe de celui-ci en s’appuyant sur les déclarations des individus. Elle se rapproche de la psychologie via l’économie comportementale et prend place dans des développements à vocation pluridisciplinaire.

5Dans ce contexte qui oscille entre activisme multiple et désintérêt voire rejet, cette contribution souhaite se focaliser à nouveau sur la polarisation traditionnelle entre valeur-travail et valeur-utilité pour en interroger les bases épistémologiques.

6Nous proposons de reprendre une série d’interrogations récurrentes : il y a deux théories disponibles : valeur-travail et valeur-utilité, pourquoi donc cet éventail restreint ? Quelle est la bonne ? Sous quelles formes existaient-elles avant Adam Smith ? Y avait-il alors le même clivage et pourquoi a-t-il pris son importance après Smith ? Pourquoi la théorie de la valeur-utilité, présente bien avant le xviiie siècle, ne s’est-elle pas imposée tout de suite ? On constate qu’aujourd’hui la théorie de la valeur dominante est celle de la valeur-utilité, mais qu’apporte l’autre ? – en prenant au sérieux leur histoire, en reprenant les grandes scansions de cette polarisation travail-utilité, et en se centrant sur les bases épistémologiques et pratiques de leur coexistence/confrontation.

7Ce texte mobilise les travaux de Foucault consacrés à l’épistémologie des sciences humaines et à la valeur en économie [Foucault, 1966, 1969, 2001 et 2004]. Cette démarche s’écarte des expositions et discussions les plus usuelles dans le domaine de l’épistémologie et de l’histoire de la pensée en se penchant sur l’apparition et la disparition de débats simultanément théoriques et pratiques. Elle s’appuie sur une relecture de Foucault mobilisant prioritairement ses premiers travaux tout en les reliant à ses travaux ultérieurs. Nous identifierons les résultats principaux qu’elle permet d’obtenir, pour en examiner la portée et tenter de les prolonger. Nous prendrons toutefois une double distance avec cet auteur, d’une part en complétant et en actualisant son analyse et d’autre part en mobilisant les apports d’autres perspectives à notre avis complémentaires.

8On procédera en trois temps. En un premier temps, on explicitera les enjeux principaux et les grandes étapes qui scandent le développement des théories de la valeur en économie, sans entrer dans le détail de ces théories [1]. Ensuite, on proposera et on justifiera la perspective foucaldienne dans le champ qui nous intéresse, d’abord en s’interrogeant sur son unité (« archéologie » vs « généalogie »), puis en identifiant les grands principes ici mobilisés et en explicitant son orientation générale. Dans un troisième temps, on esquissera un point de vue épistémologique et généalogique sur les avatars de la polarisation entre valeur-travail et valeur-utilité, permettant de replacer l’économie dans le déploiement des sciences humaines et ouvrant des pistes pour caractériser les débats actuels.

2 – Valeur-travail et valeur-utilité : enjeux et scansions de leur polarisation

9Il ne s’agit pas ici de synthétiser l’histoire des fondements de l’économie politique, mais d’expliciter quelques grandes scansions qui ont marqué l’apparition et le développement des deux théories de la valeur en économie : valeur-travail et valeur-utilité, et les enjeux majeurs autour desquels elles s’organisent.

10Rappelons d’abord que le concept de valeur appliqué aux marchandises remonte au moins au Moyen Âge. Opérant une relecture de l’Éthique à Nicomaque d’Aristote, un auteur scolastique comme Albert le Grand (1193-1280) s’interroge sur les conditions d’un échange juste et énonce que les productions doivent être rendues égales « selon les labeurs et dépenses nécessaires ». Chez cet auteur, « l’usage et l’utilité ne désignent pas un fondement objectif de la valeur mais ce en raison de quoi les choses entrent dans l’échange » [Piron, 2010, p. 146]. On peut y voir l’origine du concept de valeur, repris ensuite par les scolastiques tels que Thomas d’Aquin (1225-1274) et Pierre de Jean Olivi (1248-1298). Ce dernier explicite trois composantes du terme de « valor » d’un bien : la notion d’utilité ; la rareté et la difficulté à l’obtenir ; et le « plus ou moins grand plaisir de notre volonté à avoir ce genre de choses » [ibid., p. 155]. Les deux versants travail et utilité sont donc présents ici, allant du passé de la marchandise (coûts de production) à son futur (intensité du besoin ressenti).

11Ceux-ci sont repris par les auteurs de l’âge classique (xviie et xviiie siècles) considérés comme des précurseurs de l’analyse économique [2]. Isolons ici d’abord la Physiocratie qui constitue clairement une école, autour de Quesnay (1694-1774) et explore le versant de la production matérielle et des coûts et rendements de production. D’autres auteurs sont regroupés sous l’étiquette de la « théorie psychologique », avec par exemple Condillac (1714-1780) et Galiani (1728-1787) et illustrent le versant utilité.

12On crédite Adam Smith, fondateur de l’économie politique, d’avoir posé la distinction clé entre valeur d’usage et valeur d’échange avec le paradoxe de l’eau et du diamant : l’eau est indispensable à la vie mais dans des conditions normales est gratuite ou très peu chère, tandis que le diamant d’une utilité moins évidente est très cher ; Smith en conclut à la nécessaire distinction entre valeur d’usage et valeur d’échange. La valeur d’usage est chez lui une utilité sociale objective. Toutefois, concernant les fondements mêmes de la valeur, les développements de Smith restent controversés [3], oscillant entre une théorie de la « valeur-travail incorporé » (les objets doivent s’échanger en proportion de la quantité de travail qui a permis de les produire) et une théorie de la « valeur-travail commandé » (les objets doivent s’échanger selon la quantité de travail qu’ils permettent de commander à d’autres s’ils veulent se les procurer).

13La première étape est celle des économistes classiques : Malthus (1766-1834), Say (1767-1832) et Ricardo (1772-1823) appartiennent à une même génération, se connaissent, correspondent et débattent ensemble. Si Malthus semble avoir repris et prolongé Smith en ce qui concerne la valeur travail commandé (on ne lui impute pas de développements majeurs dans ce domaine), Say et Ricardo divergent tout en discutant ensemble, l’un posant quelques bases de la théorie de la valeur-utilité (mais sans utiliser le raisonnement marginaliste) et l’autre construisant un système particulièrement cohérent fondé sur la valeur-travail incorporé, distinguant notamment travail direct et travail indirect (et utilisant le raisonnement marginaliste en ce qui concerne la rente). Les trois « classiques » revendiquent une filiation directe avec A. Smith.

14Les enjeux qui apparaissent ici sont triples. Il s’agit de découper un objet apanage de la discipline naissante, délimitant notamment ce qui est production ou non. Cette partition du réel doit lui permettre ensuite d’affirmer son autonomie. Enfin, la théorie de la valeur est directement liée à la théorie de la répartition de la production entre travailleurs, entrepreneurs et propriétaires fonciers [Benetti, 1974 ; Cartelier, 1985].

15Marx (1818-1883) systématise la valeur-travail, passant du travail direct et indirect au travail vivant et mort. Il articule directement la valeur-travail et une théorie de l’exploitation, en mettant en avant une marchandise particulière : la force de travail, dont la valeur d’usage est de produire plus de valeur d’échange qu’elle n’en coûte. On doit à Marx l’introduction d’un enjeu supplémentaire de la théorie de la valeur : le fétichisme de la marchandise est une caractéristique centrale de l’aliénation au sein du capitalisme. Les apports de Marx butent enfin sur la difficulté logique majeure que recèle le problème de la « transformation de la valeur en prix (de production) » : l’exigence de péréquation des taux de profit (différents selon l’intensité capitalistique des branches) venant percuter la simple prise en compte du travail mort et vivant.

16La deuxième étape ici est celle de la révolution marginaliste, œuvre d’un second trio : Walras, français (1834-1910), Jevons, anglais (1835-1882), et Menger, autrichien (1840-1921). À la différence des « classiques », ils ne se connaissaient pas avant d’avoir produit, de manière quasi simultanée et indépendante, entre 1871 et 1874, trois ouvrages qui font d’eux les fondateurs de l’école marginaliste. Depuis le xviiie siècle, la doctrine de l’utilitarisme a été affirmée, notamment par Bentham (1748-1832) puis amendée par un économiste de premier plan : Stuart Mill (1806-1873) mais sans répercussion sur la théorie de la valeur, qui reste chez Stuart Mill centrée sur le travail. Le trio des fondateurs du marginalisme reprend et systématise la théorie de la valeur-utilité en ayant recours au concept d’utilité marginale (élaboré antérieurement par Dupuit et Gossen entre autres). Il n’y a alors plus de distinction entre valeur d’usage et valeur d’échange, la première fondant la seconde au regard de la rareté des objets (ce qui fournit une solution au paradoxe de l’eau et du diamant, l’eau étant très répandue et le diamant exceptionnellement rare).

17L’Anglais Alfred Marshall (1842-1924) a tenté à la fin du xixe siècle de réconcilier les deux théories de la valeur en posant que la valeur-utilité exprime les valorisations de court terme sur les marchés tandis que la valeur-travail exprime les valorisations de long terme fondées sur les coûts de production. Cette solution est apparue rhétorique et n’a guère induit de travaux ultérieurs.

18Ceux-ci deviennent alors polémiques avec notamment l’inscription, par les marxistes, de la valeur utilité dans une dimension apologétique et mystifiante, celle-ci devenant selon le titre célèbre de Boukharine [Boukharine, 1967 (1919)] l’« économie politique du rentier », espèce parasite dont il faut espérer la disparition.

19Au tournant du xxe siècle, on constate la prévalence progressive d’un point de vue ordinal et non plus cardinal sur la mesure de l’utilité, celle-ci s’exprimant en termes de préférences (Pareto, 1848-1923). La perspective praxéologique explicitée par Robbins (1898-1984) systématise durant les années 1930 les bases de l’homo oeconomicus (sujet optimisant doté de préférences faisant face à des concurrents dans un univers de rareté).

20La troisième et dernière étape est celle de l’achèvement parallèle et simultané des deux théories de la valeur en deux ensembles cohérents, au prix de formalismes spécifiques et d’abstractions supplémentaires.

21Face aux difficultés de cohérence de la théorie de la valeur-travail affrontées par Marx (« problème de la transformation de la valeur en prix », cf. supra), une voie de solution avait été proposée par le statisticien allemand von Bortkiewicz en 1907. Celle-ci est reprise et systématisée dans une perspective ricardienne par Sraffa en 1960 représentant par un système d’équations simultanées une maquette élémentaire de l’économie en termes de « prix de production » [Sraffa, 1960]. Morishima publie en 1974 une élaboration marxiste dans le même esprit [Morishima, 1974]. Un ensemble d’hypothèses et de conventions sont nécessaires à la formulation et à la résolution de ces systèmes d’équations. Toutefois le recours à une expression directement en prix de production fait que la référence à la valeur-travail dans cette perspective n’est plus nécessaire.

22Presque au même moment, Debreu publie sa Théorie de la valeur [Debreu, 1959] établissant les bases axiomatiques de l’équilibre général intertemporel et présentant ainsi une vision stabilisée d’un système économique fondé sur la valeur utilité. Ici encore un ensemble d’hypothèses est explicité, qui fera l’objet d’une vaste littérature en discutant la légitimité et les implications. Notamment l’hypothèse de nomenclature, qui non seulement prévoit que l’ensemble des marchandises disponibles ou susceptibles d’être produites peuvent être qualifiées et listées, mais encore que les marchandises dans le futur sont, elles aussi, spécifiées et listées, avec un indice précisant leur année d’apparition.

23On observe ainsi un déplacement du débat sur la valeur vers la recherche de la cohérence formelle et la discussion des hypothèses sous-jacentes. Au sein du camp dominant, celui de la valeur-utilité, une sous-discipline spécifique s’est développée, celle des théorisations en termes d’équilibre général, modifiant et reformulant les hypothèses pour en apprécier les répercussions sur le système d’ensemble (existence ou non d’équilibre, unicité ou non, stabilité ou non de ce dernier). Mais de multiples autres développements apparaissent désormais plus en phase avec le cœur de la discipline, qu’il s’agisse de la macroéconomie, la finance ou de la théorie des jeux. Sur l’autre versant, les apports formels de Sraffa et Morishima, leurs interprétations et leurs limites circonscrivent parallèlement les débats sur la validité de la valeur-travail comme outil de compréhension de la production, des échanges et des prix.

24On constate dans ce troisième temps l’apparition de nouveaux enjeux. Il y a d’abord des enjeux de coordination et de contrôle collectif. C’est ainsi que du côté de la valeur-utilité et dans le champ de la finance, la thématique de la « valeur fondamentale » d’un actif [Fama, 1965] distingue dans les fluctuations des prix des actifs une composante aléatoire et une composante censée refléter toute l’information disponible sur le marché. Il en découle la thèse de l’« efficience » des marchés financiers. Elle a reçu de nombreuses critiques, dont celles d’André Orléan [Orléan, 2011a].

25Une seconde série d’enjeux se trouve dans la compréhension de la marchandise. Elle s’enracine dans les analyses de Marx sur le fétichisme et se poursuit dans les « aventures de la marchandise » selon la « théorie critique » [Jappe, 2003]. L’interrogation part des besoins et des désirs pour s’ouvrir à la diversité des représentations sociales. La thématique centrale est alors la dynamique de la marchandisation qui affecte des biens et des services initialement non marchands. On retrouve alors la question de la frontière entre le productif et l’improductif, et l’enjeu est de l’articuler à la prise en compte des ressources naturelles, des « communs » et de la gratuité [Harribey, 2013].

26Ces grandes scansions ne sont évidemment pas « hors sol » et se déploient au cours de l’histoire du capitalisme. Pour une prise en compte, même sommaire, de cette historicité, il convient de lier développements théoriques et développements pratiques voire institutionnels. Comme nous allons le voir dans la section suivante, Foucault s’y refuse dans Les mots et les choses, mais il en montre la nécessité, sans s’y engager, dans son cours de 1978-1979 [Foucault, 2004, p. 34-35] à propos de l’émergence de l’économie politique, liant par exemple conjoncture monétaire, démographique, etc., à l’apparition de techniciens porteurs à la fois de méthodes et d’instruments de réflexion » et à la « mise en forme théorique d’un certain nombre de problèmes économiques ». Une inscription de long terme bien connue consiste à relier la prégnance de la valeur-travail à l’émergence du monde industriel et celle de la valeur-utilité à celle de la figure du consommateur [Lutfalla, 1981].

3 – Une perspective généalogique appliquée au déploiement de l’économie parmi les sciences humaines

27Ce triple tuilage des enjeux (de l’objet circonscrit à l’indépendance disciplinaire et à la normativité d’une part, de la mesure de la croissance à sa répartition et au contrôle des marchés ensuite, et de la mise à jour de l’aliénation à la compréhension des mutations du fait marchand enfin) fait de la question de la valeur un nœud théorique et pratique, relevant à la fois des argumentations les plus abstraites apparemment atemporelles et de pratiques et justifications historiquement situées et datées.

28Si l’on s’en tient à la polarisation valeur-travail / valeur-utilité dans la littérature économique, on constate qu’il s’agit d’un mélange de considérations philosophiques et d’élaborations conceptuelles plus ou moins formalisées, pouvant donner lieu à des discussions très techniques. Nous proposons ici d’exploiter directement la dimension historique des développements successifs ou parallèles, joints ou disjoints, des théories de la valeur : valeur-travail et valeur-utilité en mobilisant principalement les travaux de Foucault.

29Cet auteur, on le sait, a interrogé tout au long de sa trajectoire intellectuelle de très nombreux domaines et objets, de la folie à la sexualité, en passant par la clinique, l’administration des peines et l’exploration du socle épistémologique des « sciences humaines ». Dans le champ de la théorie de la valeur en économie, les contributions de Foucault relèvent de deux angles d’attaque. Le premier est celui de l’« archéologie », longuement mise en œuvre sur notre sujet dans Les mots et les choses [Foucault, 1966] et théorisée dans L’archéologie du savoir [Foucault, 1969]. Le second est celui de la « généalogie » appliquée à la Naissance de la biopolitique (Cours au Collège de France 1978-1979 [Foucault, 2004]), contribution qui contient quelques passages consacrés à la valeur en économie. Dans un cas, il s’en tient à l’analyse du discours seul (laissant notamment de côté les raisons pratiques pour lesquelles telle ou telle catégorie d’auteurs adoptent tel ou tel point de vue, qui relèvent alors de la « doxologie »). Dans l’autre, au contraire, il cherche à relier des discours et des pratiques.

30Cet article ne vise pas une exégèse systématique de ces deux démarches foucaldiennes [voir par exemple Dreyfus et Rabinow, 1984 ; Deleuze, 1986], mais est centré sur leurs éléments communs. Dans les ceux cas, on se focalise sur des débats plus que sur des apports isolés, et on s’interroge sur les conditions d’ouverture (et corrélativement de disparition) de ces débats. Dans les deux cas, on souhaite pratiquer une forme d’histoire sans se référer à un sujet. Il y a donc lieu d’insister sur leur complémentarité : l’« archéologie », qui est chez Foucault l’étude de l’archive, cherche à identifier de manière synchronique et horizontale le réseau des dépendances réciproques entre différents domaines du savoir ; la métaphore spatiale est alors celle des soubassements épistémologiques et leurs éventuels basculements. La « généalogie » adopte la dimension diachronique en suivant les rapports de force, liant les stratégies et les représentations. L’« archéologie », qui peut mettre sur le même plan des discours savants et des discours appliqués et s’intéresse parfois à des auteurs mineurs ou oubliés, suspend l’inscription dans les pratiques et les stratégies, pour cerner des simultanéités et des dépendances plus vastes. Cette inscription est centrale dans la « généalogie », mais celle-ci n’interdit pas d’identifier des constantes ou des changements épistémologiques : c’est ainsi une « mutation épistémologique essentielle » que Foucault repère dans les analyses néolibérales du capital humain [Foucault, 2004, p. 228].

31Les deux démarches « archéologique » et « généalogique » nous paraissent ainsi complémentaires voire intriquées. Même si l’essentiel de ce que nous souhaitons mobiliser se trouve dans Les mots et les choses, nous proposons ici de rassembler ces démarches sous l’étiquette de « généalogie », pour deux raisons. Tout d’abord, celle-ci a été adoptée par Foucault lui-même lorsqu’il a porté un regard rétrospectif sur l’ensemble de son œuvre en 1983 [4]. La seconde justification de ce choix est le rappel permanent des enjeux contemporains, typique de la démarche généalogique, qui est central pour la discussion que nous souhaitons mener sur les théories de la valeur, et qui est tout à fait visible dans les derniers développements de Les mots et les choses sur le savoir contemporain. Comme le dit Foucault lui-même en 1984 : « Généalogie veut dire que l’on mène l’analyse à partir d’une question présente » [Foucault, 2001, t. 2, p. 1493].

32L’orientation méthodologique foucaldienne consiste d’abord à se centrer sur de « grandes unités discursives » telle que l’Histoire naturelle ou l’Économie politique, et à leur « donner statut » : se demander « selon quelles méthodes, quels instruments on peut les repérer, les scander, les analyser et les décrire » (« Qu’est-ce qu’un auteur ? », conférence du 23 février 1969 [Foucault, 2001, t. 1, p. 820]). Il s’agit donc de l’analyse du discours dans sa modalité d’archive, reliant des énoncés entre eux au sein de leurs unités discursives mais aussi et surtout entre unités discursives. C’est ainsi que Foucault entend relier des régularités et des transformations qui affectent parallèlement l’Histoire naturelle et l’Économie politique. Il en résulte que les auteurs cités ne sont pas étudiés pour eux-mêmes mais pour leurs apports en ce qui concerne les unités discursives. Qu’ils soient de grands voire très grands auteurs relevant d’analyses fines et d’interprétations détaillées, ou des auteurs méconnus mais ayant marqué leur époque est ici relativement indifférent.

33Elle consiste ensuite à s’interroger sur les dynamiques d’évolution : ce peut être d’abord des logiques de rupture globale ou de transformations conjointes, qui affectent les unités discursives prises dans leurs interdépendances ; ce peut être ensuite l’examen de débats datés autour des enjeux du « savoir-pouvoir », mettant durablement aux prises des auteurs et des praticiens se confrontant sur un terrain commun, afin d’en repérer l’apparition, les déploiements, les inflexions, et d’en rechercher en somme les conditions d’existence.

34On se réfère ici principalement aux développements de Foucault sur les transformations qui affectent les « épistémès », soit les réseaux de relations qui organisent le savoir et les représentations, notamment le passage de l’épistémè classique organisée en tableau (la « mathesis universalis » des xviie et xviiie siècles tout entière soumise à la distinction du représentant et du représenté) à l’épistémè moderne enracinée dans l’historicité et dominée par trois positivités fondatrices (« Travail, vie, langage »), qui crée la figure de l’homme comme « doublet empirico-transcendantal », c’est-à-dire à la fois objet de savoir général et objet d’enquêtes empiriques. Cette histoire des sciences humaines montre à la fois leur apparition récente et leur solidarité avec certains des savoirs relevant de ce qu’aujourd’hui on qualifierait de « sciences dures », telle la biologie. Le basculement s’organise autour d’une anthropologie de la rareté, au centre de laquelle se trouve l’économie politique naissante.

35Une lente dynamique affecte ensuite ce socle épistémique selon Foucault : cf. notamment les derniers passages de Les mots et les choses [Foucault, 1966, chapitre X : Les sciences humaines, p. 355-398]. Il identifie le passage progressif au long des xixe et xxe siècles : de la signification au système linguistique pour la philologie, de la fonction à la norme en biologie, et finalement du conflit à la règle pour l’économie. Les frontières disciplinaires ne sont pas ici pertinentes, il s’agit de « modèles constituants » [ibid., p. 366 et suivantes] qui peuvent changer de champ en même temps qu’ils se transforment.

36Le statut de l’économie évolue doublement au travers de ces transformations. Elle tend à se fondre dans la sociologie [ibid., p. 369] et cesse d’être centrale dans le socle épistémique. Cherchant à décrire la situation qui prévaut vers les années 1950, Foucault place désormais la psychanalyse au centre des savoirs des « sciences de l’homme » : « Tout ce savoir à l’intérieur duquel la culture occidentale s’était donnée en un siècle une certaine image de l’homme pivote autour de l’œuvre de Freud » [ibid., p. 373]. En somme on passe de la « conscience de la rareté » à la « rareté de la conscience ».

37Les développements ultérieurs sur la valeur et les fondements de l’économie s’inscrivent dans une généalogie du savoir-pouvoir autour de la question de la gouvernementalité [Foucault, 2004, p. 15-21 et 32-46]. Ils reviennent sur l’émergence de l’économie politique et la relient, via la question de la valeur, à l’« autolimitation de la raison gouvernementale » au profit du marché comme « lieu de véridiction » [ibid., p. 33-34] et à l’apparition de la « biopolitique ». L’émancipation de l’économie n’est toutefois qu’apparente, car la participation de l’économie aux mutations de la gouvernementalité est en définitive « latérale » : « L’économie politique ne peut être la science du gouvernement » [ibid., p. 290].

38Au lieu d’envisager une quelconque continuité temporelle, l’analyse de Foucault trace ainsi une perspective de combinatoire évolutive, avec ruptures, contaminations et diffusions. Les revendications d’indépendance de la discipline économique sont ici historicisées et réinscrites dans un espace de codétermination avec les autres savoirs. Munis de cette grille de lecture, nous pouvons maintenant aborder le déploiement daté des théories de la valeur et leur polarisation en valeur-travail et valeur-utilité.

4 – Les avatars de la polarisation entre valeur-travail et valeur-utilité : une tentative de diagnostic généalogique

39Nous procéderons en trois temps. D’abord, il s’agit de clarifier le traitement qu’opère Foucault de l’opposition entre valeur-travail et valeur-utilité au long de ses analyses. Ensuite, on s’interrogera sur la caractérisation, à l’aide des travaux de Foucault, de la situation des années 1960-1970. Enfin, on s’intéressera aux développements récents, centrés sur l’idée de processus de valorisation.

4.1 – Valeur-utilité et valeur-travail selon Foucault : entre « effets de surface » et décalage anthropologique

40Foucault observe dès le début de Les mots et les choses : « … nous avons beau penser […] que la théorie de la valeur chez Condillac se retrouve pour une part dans le marginalisme du xixe siècle […], toute cette quasi-continuité au niveau des idées n’est sans doute qu’un effet de surface » [Foucault, 1966, p. 14]. Il n’y a pas pour lui de symétrie, au sein de l’économie politique constituée après Smith, entre théorie de la valeur-travail et théorie de la valeur-utilité.

41Il explore en détail les soubassements des débats sur la valeur à l’âge classique du xviie-xviiie siècle, avant l’émergence de l’économie politique [ibid., chapitre « Échanger », p. 177-224] en montrant qu’ils reposent sur deux lectures réversibles de la valeur dans l’échange : « L’une analyse la valeur dans l’acte même de l’échange, au point de croisement du donné et du reçu ; l’autre l’analyse comme antérieure à l’échange et comme condition première pour qu’il puisse avoir lieu » [ibid., p. 203]. Sont identifiées d’un côté une lecture en termes d’utilité, sur laquelle il insiste, et de l’autre une lecture en termes de surplus matériel (agricole), qui est celle des Physiocrates. Dans cette première version, celle de l’épistémè « classique » d’avant l’économie politique, il s’agit donc d’une réversibilité qui n’est pas pleinement symétrique car une perspective est en amont de l’échange et l’autre dans l’échange.

42Les développements suivants sont consacrés à la seule valeur-travail, d’abord dans le processus de basculement en deux étapes de l’épistémè moderne (1750-1800 avec Smith et 1800-1820 avec Ricardo) et ensuite dans son approfondissement. Foucault mène alors une discussion avec les apports de Marx dans le champ de la théorie de la valeur, laissant de côté les développements de la théorie de la valeur-utilité, de Say à Jevons, Menger et Walras. C’est que, selon lui, Smith et Ricardo inaugurent des changements majeurs dans le savoir : ils engagent un profond changement révélateur du basculement des épistémès. On passe de la générosité de la nature mise en avant par les Physiocrates à une anthropologie de la lutte permanente contre la rareté. Avec Ricardo, « La valeur a cessé d’être un signe, elle est devenue un produit » [ibid., p. 266]. Deux passages allusifs traitent du marginalisme, dont l’apparition est identifiée comme un « contre-effet de surface » [ibid., p. 362], cependant que les marginalistes sont perçus comme n’apportant pas de novation épistémologique réelle, se logeant tardivement dans un espace constitué avant eux [ibid., p. 269] : « C’est là, précisément, que dans la seconde moitié du xixe siècle, les marginalistes iront rechercher la notion d’utilité. » Une solidarité entre travail et utilité apparaît toutefois, à un autre niveau : nous sommes dans une disposition épistémologique « qui distingue, non sans les référer l’une à l’autre, une psychologie des besoins représentés et une anthropologie de la finitude naturelle » [ibid., p. 270].

43Cette mise en perspective permet de revenir sur les débats compliqués et qui semblent aujourd’hui oiseux autour du « travail commandé ». On peut penser que Smith (et plus tard Malthus encore puisqu’il conserve la théorie de la valeur-travail commandé ?) ont encore un pied dans l’« épistémè classique » qui met en regard selon Foucault représentant et représenté, le travail étant pris dans un jeu de miroir où la valeur d’une marchandise s’établit en mettant en regard le travail incorporé et le travail susceptible d’être commandé. Du point de vue des analystes modernes, il s’agit d’une incohérence majeure, mais pour Smith et Malthus il s’agit sans doute seulement d’une difficulté logique mineure.

44Une thèse célèbre et en son temps provocatrice de Foucault consiste à poser la continuité directe entre Ricardo et Marx, ce dernier n’opérant, selon lui, aucune rupture au sein de l’organisation des savoirs et procédant à un simple réaménagement (« Ce ne sont tempêtes qu’au bassin des enfants » [Foucault, 1966, p. 274]) [5]. Nous sommes ainsi dans l’identification d’un décalage profond entre les deux théories de la valeur, l’une engageant une conception même de l’homme et l’autre renvoyée à un « effet de surface ». L’échec des tentatives de prise en compte simultanée, plus ou moins symétriques, des deux versants travail et utilité, par exemple Stuart Mill laissant une place aux déterminants de la demande, ou Marshall distinguant le court terme de la valeur-utilité et le long terme de la détermination par les coûts, pourrait constituer un élément à l’appui de cette thèse.

45On débouche alors sur le double diagnostic fait par Foucault, l’un explicite sur la place réduite voire mystifiante de l’économie en tant que discipline autonome et l’autre implicite sur la faible signification de ses fondements psychologiques face à l’importance de l’inconscient et à la domination de la psychanalyse dans les années 1960.

4.2 – Le tournant des années 1960-1970 : la fin du décalage anthropologique ?

46La symétrie entre valeur-travail et valeur-utilité se constate dans les apports formalisés de Debreu, Sraffa et Morishima, apports que Foucault n’a pas considérés mais que l’on peut tenter d’interpréter directement à l’aide de ses analyses. Dans un contexte passé à la « rareté de la conscience », il est possible de mettre en ordre les interdépendances élémentaires de production (valeur-travail) ou d’échange (valeur-utilité), mais celles-ci revêtent de plus en plus une dimension interactive complexe, conventionnelle et instable, celle que tentent de saisir par exemple les stratégies et les équilibres de la théorie des jeux et les diverses théories travaillant sur les anticipations, les conventions monétaires et les équilibres multiples. Le décalage entre les deux théories perd sa pertinence, tout comme l’intensité de leur polarisation décroît.

47Il convient d’introduire ici les apports de son cours de 1978-1979, en notant d’abord qu’il s’agit de notes de cours publiées après la mort de l’auteur, et ensuite qu’ils ont fait l’objet de très nombreux commentaires et interprétations [Grenier et Orléan, 2007 ; Read, 2009 en fournissent deux exemples]. Nous nous en tiendrons à la question de la théorie de la valeur et de ses fondements.

48Dans ce cours sur l’émergence de la biopolitique, comme nous l’avons vu, Foucault revient sur l’apparition et l’autonomisation de l’économie politique, mettant en avant l’émergence de la problématique de la distinction entre valeur et prix, ces derniers « oscillant » autour de la première [Foucault, 2004, p. 33]. Mais Foucault ne spécifie pas de quelle valeur (travail ou utilité) il s’agit. L’idée de l’oscillation renvoie à l’idée de gravitation et implicitement à la valeur-travail. Comme dans Les mots et les choses, tout pivote initialement autour de la problématique de la valeur en économie chez Smith. La référence à la valeur en économie est à la fois essentielle et non spécifiée.

49Un développement ultérieur dans ce même cours prolonge l’analyse. Travaillant sur le néolibéralisme américain après avoir travaillé sur l’ordolibéralisme allemand, Foucault détaille une critique tardive et frontale de la conception du travail chez Ricardo par le courant du capital humain [ibid., p. 227]. Il reprend et systématise une critique de Mincer reprochant en 1978 à Ricardo d’avoir une vision purement abstraite et indifférenciée du travail et montrant que l’analyse détaillée des salaires et des qualifications passe par une vision en termes d’investissement dans le capital humain. Il prend l’initiative d’appliquer à Marx cette argumentation et en marque l’importance : il s’agit à ses yeux d’une « mutation épistémologique essentielle » [ibid., p. 228], même si elle s’inscrit dans les particularités du néolibéralisme américain.

50Sans revenir sur la question de la valeur et notamment sans s’interroger sur la pertinence éventuelle de la valeur-utilité dans ce contexte, Foucault voit dans cette analyse une mutation anthropologique. Il renvoie à la perspective de l’homo oeconomicus élaborée durant les années 1930 par Robbins [Robbins, 1932]. Regrettant qu’il n’y ait pas d’histoire de l’homo oeconomicus [Foucault, 2004, p. 275], il pose qu’une première version a été celle d’un sujet qu’il convient de « laisser faire », cependant que la seconde version est celle d’un sujet « éminemment gouvernable » [ibid., p. 237]. Il s’interroge enfin sur la perspective et la menace d’un savoir économique élargissant son champ d’application à toutes les actions humaines.

51Si l’on tente de relier les pointillés, on est conduit à l’hypothèse que cette analyse prend acte de l’annulation du décalage anthropologique caractéristique du débat sur la valeur tel que l’avait posé Foucault pour le xixe siècle. Rappelons que sur cette question de l’abstraction indifférenciée du travail, le débat restera ouvert et symétrique : les auteurs marxistes feront valoir de leur côté la distinction entre travail simple et travail complexe pour rendre compte de la hiérarchie des qualifications et des salaires [Cayatte 1983]. Foucault constate aussi que la perspective déborde désormais de la validation par le marché ; il étudie ainsi les développements de Becker sur la criminalité.

52On notera enfin la lenteur du processus : avant le travail comme mise en valeur d’un investissement dans les compétences (années 1960), c’est le travail comme renonciation au loisir ou comme désutilité qui a été mis en avant, par Robbins lui-même [Robbins 1930] : la mutation est donc clairement inscrite dans les années 1960 et ne dépend pas, ou pas seulement, de la « praxéologie » théorisée par Robbins. Cette lenteur fait écho à l’« inertie » ou encore la « viscosité » de l’évolution du savoir en économie selon Foucault, qui expliquerait « la longue opération mercantiliste » avant l’analyse classique des richesses [Foucault, 1966, p. 192]. De même, on l’a vu, l’application du calcul différentiel à l’utilité a été longue à apparaître et à se généraliser.

4.3 – Les repositionnements de la socio-économie de la valorisation

53Tenter une actualisation du diagnostic de Foucault suppose d’abord de lever une difficulté. L’horizon de la « rareté de la conscience » renvoie désormais bien plus aux sciences cognitives et à l’étude des apprentissages, des anticipations, des représentations mimétiques, des biais cognitifs, etc., qu’à la psychanalyse elle-même. Il ne s’agit pas d’un espace discursif et pratique pacifié. Les rapports entre les psychanalystes et les cognitivistes sont tendus et parfois faits d’exclusion réciproque. Foucault lui-même a engagé de vives controverses avec certains psychanalystes. Sans préjuger, évidemment, de son attitude à l’égard des sciences cognitives, on peut toutefois considérer qu’il est possible de maintenir et d’élargir son diagnostic en les faisant figurer à côté de la psychanalyse. On se bornera à quelques constats et hypothèses.

54En ce qui concerne le versant « utilité », on peut reprendre ici les développements de l’économie du bonheur [Layard, 2005 ; Davoine, 2012]. Sans aborder l’historique des débats sur la comparabilité de l’utilité et des préférences (de l’ancienne à la « nouvelle économie du welfare ») qui ont marqué la première moitié du xxe siècle, on constate que les travaux menés dans ce courant plus récent insistent sur la multiplicité des facteurs concourant à la fixation et à l’évolution d’un niveau de satisfaction, pour une personne ou un groupe donné : cognitifs, sociaux, culturels, biographiques… L’économie comportementale [Kahneman et Tversky, 1979 ; Thaler, 2018] met en évidence la non - symétrie de la perception individuelle des pertes et des gains et débouche sur un programme de lutte contre les « biais » qui affectent les décisions individuelles. Elle a pour ambition de fournir une alternative précise à l’homo oeconomicus et se situe donc à un niveau très élevé de généralité. Mais apparemment elle n’entend pas pour autant revenir sur la valeur elle-même [6].

55Du côté de la valeur-travail, dès le début des années 1970, avec l’École de la régulation, le passage au premier plan de la plus-value relative ouvre une bifurcation. Rappelons que celle-ci s’oppose à la plus-value absolue, obtenue en prolongeant le temps de travail ou en intensifiant le travail. Elle consiste à abaisser le contenu en travail de la reproduction de la force de travail, via des gains de productivité dans la production des biens de consommation ouvrière. Marx avait théorisé la plus-value relative, mais sans lui accorder une grande importance. Dans le cadre du « fordisme », elle permet de rendre compte de l’accroissement des salaires réels [Aglietta, 1976, p. 66] en le reliant à l’établissement d’une norme de consommation ouvrière. Deux voies s’ouvrent alors : l’une restant dans le cadre de la valeur-travail, et l’autre, qui a dominé parmi les économistes de l’École de la régulation, considérant que le partage du surplus dans le cadre de l’accumulation intensive autorise, dans certaines limites, des solutions gagnant-gagnant entre salariés et capitalistes. On quitte alors la valeur-travail pour poser que la rémunération de la force de travail obéit à un partage politique.

56Une voie moyenne est toutefois explorée par Jean-Marie Harribey [Harribey, 2013] : relisant Marx et le liant avec le Keynes de la demande effective, il propose une analyse des « circuits de valorisation » des marchandises, les valeurs étant d’abord socialement anticipées puis validées. Ce qui lui permet de conclure, à l’opposé de Marx et de nombreux marxistes, que le travail des fonctionnaires est productif de valeur car il produit de la valeur d’usage, est rémunéré et s’insère dans un second circuit de valorisation qui lui aussi anticipe sa valeur, mais sur une base politique et non plus de valorisation du marché.

57À s’en tenir ici à trois contributions françaises récentes [Orléan, 2011a ; Boltanski et Esquerre, 2017 ; Lordon, 2018], une large zone d’accord se dégage au sein du débat critique sur la valeur, d’abord sur l’opposition à toute vision « substantielle » de la valeur. Il en résulte la focalisation sur les processus de valorisation [Orléan 2011a, p. 12 ; Boltanski et Esquerre, 2017, p. 140 ; Lordon, 2018, p. 119]. Ensuite, ces processus sont marqués par une méconnaissance nécessaire qu’il convient de mettre au jour. La valeur économique fait l’objet de la part des acteurs d’une naturalisation et d’une objectivation résultant du lien social et conditionnant les interactions individuelles. Le thème est permanent chez André Orléan, on le retrouve chez Luc Bolstanski et Arnaud Esquerre [2017, p. 143] et chez Frédéric Lordon [2018, p. 119]. Enfin, le mimétisme est mobilisé dans les trois contributions : il s’avère central chez André Orléan et chez Frédéric Lordon, ouvrant alors sur la généralité du fait monétaire et sur les liens nécessaires entre monnaie et valeur, son emprise étant plus circonscrite chez Luc Boltanski et Arnaud Esquerre, qui l’évoquent à propos des marchés financiers ou des œuvres d’art [2017, p. 367].

58Toutefois, les différences elles aussi sont notables. Chez les économistes Orléan et Lordon, on constate en quelque sorte une migration vers une socio-politique de la valorisation : la perspective « relationnelle » de la valeur débouche sur « l’hypothèse de pouvoirs en conflit pour la valorisation » [Orléan, 2011b, point 8]. Chez les sociologues Boltanski et Esquerre, l’ambition est de construire une socio-économie de la valorisation explorant la diversité des formes de valeur [Boltanski et Esquerre, 2017, p. 159].

59Explicitons ces repositionnements. D’une part, André Orléan reproche à Marx et à la théorie de la valeur-travail son « substantialisme », mais procède en définitive à une critique assez nuancée de la théorie dominante de la valeur-utilité. Il en constate la validité partielle et conditionnelle et se situe à son égard un peu comme Keynes visant à conserver la « théorie classique » tout en montrant qu’elle dépend d’axiomes restrictifs et en construisant une perspective plus générale. Il s’agit donc pour lui d’englober la valeur-utilité via la prise en compte de la monnaie, du mimétisme et de la finance [Orléan, 2011, p. 327]. Si Frédéric Lordon ne le rejoint pas dans cette tentative, on observe toutefois qu’il récuse radicalement lui aussi le point de vue « substantialiste » de la valeur-travail [Lordon, 2018, p. 67 et suivantes]. Son centrage sur les « affects » lui fait ancrer les processus de valorisation dans la sphère des désirs mimétiques de la multitude.

60Ces deux économistes critiques se rapprochent donc de l’utilité, via le mimétisme, les affects et débouchent sur les rapports de force. La valorisation est politique et la question des prix relatifs devient secondaire. Une référence à un économiste prend toutefois pour André Orléan une actualité particulière, il s’agit d’Adam Smith dont les positions, après avoir été critiquées de manière virulente comme on l’a vu, lui apparaissent désormais sinon cohérentes du moins porteuses d’une ouverture théorique à reprendre et réactualiser. Il observe [Orléan, 2011b, p. 17], suite à la réaction de divers lecteurs, que « le travail commandé chez Adam Smith a beaucoup de points communs avec l’approche [qu’il] propose », car prendre en compte la distance entre travail incorporé et travail commandé permet de réintroduire les relations interpersonnelles et collectives. Cet auteur rejoint la thématique de la « puissance de la multitude » telle qu’elle a été développée par Frédéric Lordon s’appuyant sur les travaux philosophiques de Spinoza [Lordon, 2010]. Dans sa contribution de 2018, ce dernier prolonge la réflexion en liant économie et émancipation, posant qu’« il y a deux régimes de la valeur » [Lordon, 2018, p. 222], l’un cantonné aux affects passifs et instables (celui du monde économique et des marchandises) tandis que l’autre, le « bien véritable » est une affirmation de la « valeur absolue ». On aboutit alors à une « méta-valeur de la raison » [ibid., p. 225], autrement dit à l’extinction de la valeur.

61Un chassé-croisé thématique, permutant une ancienne spécialisation disciplinaire, s’observe avec la contribution de Luc Boltanski et Arnaud Esquerre qui, eux, s’intéressent directement à la question de la structure des prix relatifs au sein de l’économie et à ses déformations au cours du temps. Ils reprennent donc, mais en tant que sociologues, la question même qui motivait l’élaboration des théories de la valeur au début du xixe siècle par les économistes classiques. Ils introduisent alors le concept de « métaprix » [Boltanski et Esquerre, 2017, p. 124 et suivantes], cherchant à ne pas poser un espace fictivement objectif au-dessus des échanges (qui serait celui de la valeur) mais à comprendre les jugements portés sur les prix par les acteurs, ceux-ci s’appuyant sur une référence, des estimations [ibid., p. 133] leur permettant de contester et d’argumenter [ibid., p. 137]. Ce concept, fictif lui aussi, mais ancré dans les argumentations et les justifications, est explicitement destiné à remplacer le concept de valeur tel qu’élaboré par les économistes [ibid., p. 141].

62Ils distinguent puis explorent quatre formes de la valeur : forme standard, forme actif, forme tendance et forme collection. Les deux dernières sont caractéristiques d’une « économie de l’enrichissement » fondée sur la mise en valeur du passé. Elles dépendent de « récits » et donc d’un « travail collectif » de mémoire et de patrimonialisation. Ce travail collectif implique qu’en définitive les richesses de l’économie du luxe, des collections, « relèvent du commun » [ibid., p. 484-485]. Il en résulte une critique du capitalisme combinant la dénonciation de la domination et la promotion de la réflexivité des acteurs [ibid., p. 501].

63Les efforts de ces quatre auteurs pour promouvoir une forme de réflexivité sur la valeur ne croisent pas les élaborations généalogiques de Foucault. On note la référence à la problématique de la gouvernementalité chez Foucault [Orléan 2011a, p. 326 ; Boltanski et Esquerre, 2017, p. 149-151] et une ouverture de Frédéric Lordon : « Et l’on se prend à désirer une généalogie de la valeur économique, plus exactement une généalogie de son idée… » [Lordon, 2018, p. 87] qui, débouchant sur la mise en cause d’un ethos chrétien de l’effort, s’avère plus nietzschéenne que foucaldienne.

64Ces repositionnements peuvent être interprétés dans la perspective généalogique que nous avons proposée. Une étape supplémentaire d’affaiblissement de la polarisation initiale entre valeur-travail et valeur-utilité est atteinte. Les chassés-croisés affectent les démarches critiques, la plupart de celles-ci abandonnant la valeur-travail et proposant diverses manières d’intégrer le désir et le besoin ; et ils affectent ensuite les apanages disciplinaires, la sociologie de la valorisation ne se cantonnant pas aux particularités des œuvres d’art et faisant des incursions vers une vision générale de la détermination des prix relatifs, pendant que les économistes critiques délaissent ce terrain et ouvrent sur une vision directement politique. Co-évolution mais pas (pas encore ?) convergence car les trajectoires restent distinctes et la généalogie suggère des pistes pour en rendre compte. Les deux économistes critiques cherchent des références en amont des polarisations et des découpages de l’économie classique et néo-classique : Smith pour André Orléan, et Spinoza (en amont de la dialectique hégéliano-marxiste) pour Frédéric Lordon. Leurs exigences de refondation les font quitter (ou contourner) l’anthropologie de la finitude et de la rareté.

5 – Conclusion

65Pourquoi s’intéresser encore aux théories de la valeur ? Observons d’abord qu’il est possible de traiter des prix et de l’économie sans elles [7]. Mais si l’on persiste à s’aventurer sur le terrain de l’économie, on peut se faire reprocher par le courant dominant des économistes d’avoir renoncé à l’ambition de produire des énoncés généraux, d’en rester à des constats partiels, ou encore de produire des modèles locaux fondés sur des « hypothèses ad hoc ». La théorie des jeux et la biologie fonctionnent pourtant ainsi, ce qui ne les rend pas moins scientifiques. Cette ambition de cohérence globale et d’indépendance peut être interrogée dans son histoire et c’est ce que nous avons tenté dans cet article à l’aide d’une relecture des travaux de Foucault sur la valeur en économie.

66Cette contribution est exploratoire. Elle ne rend pas entièrement justice à la complexité des travaux ni aux variations des auteurs cités, mais a tenté de mettre au jour l’espace daté dans lequel ils se déploient.

67Quelques acquis se détachent cependant. Explorer de manière généalogique la formulation et le destin des conceptions de la valeur en économie nous a permis de replacer l’économie dans une série de transformations aujourd’hui inachevées. Prise par les économistes standards comme un fait acquis qu’il est inutile désormais de discuter, nous avons montré que la théorie de la valeur-utilité a vu ses soubassements épistémologiques se déplacer, tout comme ceux de la valeur-travail.

68Nous avons recensé plusieurs apports de cette mise en perspective rassemblant deux versants le plus souvent disjoints dans les travaux sur les théories de la valeur : la justification de l’existence des deux grandes options ; les raisons pour lesquelles la valeur-travail a perdu peu à peu son emprise ; l’interprétation d’une série de débats internes à la théorie économique puis au sein des sciences sociales. Les liens entre valeur et rareté seraient alors à réinterroger : les développements récents des enjeux écologiques et des sciences cognitives montrent la dépendance de l’économie à l’égard des autres sciences, non seulement sociales mais aussi naturelles. Dans ce cadre, le rapport à la nature, fortement instable et souvent occulté par les théories économiques et même socio-économiques de la valeur, passe au premier plan.

Notes

  • [1]
    Le lecteur intéressé pourra se reporter aux manuels d’histoire de la pensée économique [par exemple Denis, 1966 et Blaug, 1981].
  • [2]
    Le lecteur peut se référer à Perrot [1992] pour avoir un aperçu de la richesse et de la complexité de ces différents auteurs et courants.
  • [3]
    Smith a été vivement critiqué par des historiens de la pensée économique aux horizons idéologiquement opposés : H. Denis, marxisant, estime en 1966 [Denis, 1966, p. 195] qu’il s’agit de « truisme dépourvu de toute portée » et M. Blaug, néoclassique, estime en 1981 [Blaug, 1981, p. 43] que s’agissant de la théorie de la valeur de Smith, « “obscur” est un euphémisme ».
  • [4]
    « Il y a trois domaines de généalogies possibles. D’abord une ontologie historique de nous-mêmes dans nos rapports à la vérité, qui nous permet de nous constituer en sujet de connaissance ; ensuite une ontologie historique de nous-mêmes dans nos rapports à un champ de pouvoir, où nous nous constituons en sujets en train d’agir sur les autres ; enfin une ontologie historique de nos rapports à la morale, qui nous permet de nous constituer en agents éthiques. » Foucault note que les contributions de L’archéologie du savoir relèvent du premier type de « généalogie », celle de la connaissance [Foucault, 2001, t. 2, p. 1437].
  • [5]
    Foucault a précisé ultérieurement qu’il ne visait ici que le champ restreint de la théorie de la valeur et non l’ensemble des développements de Marx.
  • [6]
    C’est ainsi que l’article fondateur de Kahneman et Tversky [1979] devait s’intituler « Théorie de la valeur » et a reçu pour titre final « Théorie des perspectives ». Daniel Kahneman, interrogé à ce sujet par Richard Thaler, a répondu que « “Théorie de la valeur” était trompeur. Nous avons choisi un terme totalement dénué de sens, et qui n’en aurait un que si, par chance, la théorie prenait de l’importance. À cet égard, le mot “perspective” était idéal » [Thaler, 2018, p. 51]. Au-delà de la pirouette, on constate une attitude d’évitement.
  • [7]
    C’est ce que propose en définitive Steve Keen [Keen, 2014] dans son livre dénonçant les apories des théories économiques actuelles, tout comme Paul Jorion [Jorion, 2016].
Français

Cet article exploratoire vise à replacer les débats critiques actuels sur la théorie de la valeur en économie dans leur socle épistémologique afin de caractériser l’espace de leur déploiement. Il utilise les apports des travaux de Foucault, en les explicitant et en les prolongeant. Il présente des pistes expliquant pourquoi les discussions actuelles manifestent l’affaiblissement de la polarisation entre valeur-travail et valeur-utilité, et ouvrent sur une socio-économie des processus de valorisation.

  • généalogie
  • théorie de la valeur
  • valeur-utilité
  • valeur-travail

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Bernard Gazier
Université Paris 1, Centre d’économie de la Sorbonne
Mis en ligne sur Cairn.info le 16/06/2020
https://doi.org/10.3917/rfse.024.0081
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