CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Michael J. Piore et Andrew Schrank (2018), Root-Cause Regulation. Protecting Work and Workers in the Twenty-First Century, Harvard University Press, Cambridge, Mass., XIV-207 p.

1Le mérite voire le privilège de certains auteurs est de construire des objets de réflexion et d’analyse qui déplacent et renouvellent un champ de débats et d’investigations. En 1971, Michael Piore et Peter Doeringer avaient créé, via la formulation du concept de « marché interne » du travail, une bifurcation majeure au sein de l’économie du travail. Ils avaient condensé l’opposition entre chercheurs « orthodoxes » et « hétérodoxes », les seconds explorant une large part des relations de travail qui échappe aux processus de confrontation individuelle d’offre et de demande traditionnellement théorisés par le concept de marché du travail [1]. Dans l’ouvrage Root-Cause Regulation qu’il co-signe avec le sociologue Andrew Schrank, professeur à la Brown University, Michael Piore, désormais professeur émérite au Massachusetts Institute of Technology (MIT), livre les fruits d’une seconde collaboration elle aussi susceptible de faire bouger les lignes de la réflexion socio-économique dans ce domaine. Construite au cours de plus de dix années de recherches et de publications intermédiaires communes, l’enquête se focalise sur un ensemble d’institutions et de pratiques rarement placées au premier plan : l’inspection du travail, comparée dans différentes versions nationales et dans les évolutions de celles-ci au cours du temps.

2Le déplacement d’objet est ainsi double. Au lieu de s’intéresser aux pratiques stabilisatrices des grandes firmes et au rôle des syndicats dans la protection et la promotion des intérêts des salariés, ce livre prend acte des bouleversements « post-fordistes » qui conjuguent précarisation des travailleurs – qu’ils soient salariés ou indépendants –, émiettement des relations professionnelles et réseaux de sous-traitants en cascade. Il aborde alors la question du contrôle des relations et des conditions de travail par l’autre bout, celui des contrôles publics. Et, second déplacement, il considère du même mouvement les relations de travail dans les pays occidentaux et en développement, notamment en Amérique latine.

3Deux concepts principaux organisent l’analyse. D’une part la réglementation du travail sur le site où il est effectué (« workplace regulation ») et d’autre part la réglementation qui s’attaque aux causes (« root-cause regulation »), réglementation transversale prenant les problèmes à la racine, que l’on peut opposer à une réglementation qui ne traiterait que de manifestations isolées. Il en résulte un clivage central, autour duquel le livre est organisé. D’un côté un système de réglementation du travail reposant sur les interventions séparées d’une série d’agences et d’inspecteurs spécialisés – c’est le système qui prévaut aux États-Unis – et de l’autre un système qualifié de « franco-latin » aux caractéristiques opposées : existence d’une seule catégorie d’intervenants relevant d’une agence unique, soit des inspecteurs du travail aux compétences transversales et chargés du respect du Code du travail entier.

4Cette dichotomie est porteuse de conséquences pratiques elles aussi duelles : face à des violations du Code du travail, au non-respect des consignes de sécurité, à des horaires excessifs et à des paiements en dessous des minima légaux, les interventions séparées et spécialisées sont surtout organisées autour du couple sanction-dissuasion, leur arme principale étant l’amende. Les interventions transversales à l’opposé peuvent traiter des cas – fréquents – de violations multiples et, tout en recourant aux sanctions, élaborer avec les employeurs des processus négociés et suivis de retour à la légalité.

5Armé de ces distinctions d’une grande simplicité, le livre se déploie en deux temps chacun riche en analyses nuancées : d’une part l’étude comparative des pratiques existantes et passées, commençant par le modèle nord-américain (chapitre 2), poursuivant par le modèle français (chapitre 3) avant d’approfondir ce qui devient le modèle « franco-latin » au travers du cas cousin mais différent de l’Espagne (chapitre 4) puis de ses variantes dans six pays d’Amérique latine considérés en trois paires contrastées : l’Argentine et le Mexique d’abord, pays ici caractérisés par leur héritage corporatiste et leur organisation fédérale ; le Brésil et le Chili ensuite, qui, en ce qui concerne l’inspection du travail, disposent d’un appareil bien développé et méritocratique ; et enfin deux petits pays moins développés et dominés par l’économie informelle, le Guatemala et la République dominicaine (chapitre 5). Il en résulte un panorama certes rapide mais, procédant par contrastes successifs, nuancé et attentif à la complexité du réel. Les trois chapitres finaux reviennent avec une perspective d’ensemble. Ce second temps plus général est d’abord consacré aux problèmes de gestion et de contrôle qui découlent du pouvoir partiellement discrétionnaire et souvent punitif des inspecteurs du travail (chapitre 6), avant que la problématique ne s’élargisse à une contextualisation historicisée des pratiques d’inspection du travail (chapitre 7). Le chapitre 8 offre enfin une conclusion substantielle de 15 pages, ouvrant, au travers et au-delà de l’objet étudié, sur un autre peu exploré : la division du travail au sein du secteur public.

6La méthode suivie combine l’étude de documents historiques, juridiques et statistiques avec des recueils d’interviews auprès des acteurs concernés, la plupart de celles-ci ayant été conduites par les deux auteurs eux-mêmes. L’effort de contextualisation historique est complété, en ce qui concerne les comportements des inspecteurs du travail, par une démarche proche de l’analyse sociétale telle qu’elle a été développée depuis la fin des années 1970 en France [2] : l’étude des conditions de formation et de recrutement de groupes de travailleurs – ici les inspecteurs –, puis de leur socialisation, de leurs rapports à la hiérarchie et du déroulement de leur carrière permet de caractériser leur identité professionnelle et de mieux saisir leurs logiques d’action. La prise de distance à l’égard des démarches et acquis traditionnels de l’économie standard est donc double : d’une part les acteurs sont ici « encastrés » et d’autre part l’action publique qu’ils mettent en œuvre n’est pas conçue comme nécessairement porteuse de rigidités et d’inefficience, même si elle peut receler des effets pervers.

7Il s’agit donc d’un livre de socio-économie, mettant en cause factuellement et théoriquement une série de résultats de l’économie standard du marché du travail, tant dans leurs présupposés que dans leurs lacunes. Il montre l’intérêt et les implications pratiques d’une approche plus ouverte, combinant économie, sociologie, science politique et histoire. L’ouvrage se clôt sur quelques perspectives de réforme du système américain, que les auteurs ne proposent pas de bouleverser mais d’améliorer, notamment dans sa capacité de coordination transversale.

8On doit d’abord saluer l’effort de décentrement culturel accompli. Non seulement le livre n’est pas dominé par l’expérience américaine, mais encore celle-ci fait-elle figure, sinon de repoussoir, du moins de version systématiquement moins efficiente au regard des pratiques latines. Bien des lecteurs français seront évidemment amusés de voir pour une fois les stéréotypes renversés en ce qui concerne la « rigidité » des pratiques réglementaires françaises dans le champ du travail et du marché du travail, mais aussi de voir mises en évidence la pertinence et la souplesse des interventions de nos inspecteurs du travail. L’analyse de la France n’est cependant qu’un passage, le décentrement s’ancrant surtout sur l’Espagne et l’Amérique latine : M. Piore et A. Schrank considèrent certes d’abord le cas français et lui reconnaissent une paternité historique, et ils mettent pour cela en évidence les réussites, les limites propres et les évolutions de cette version princeps. Mais ils s’intéressent ensuite et surtout aux multiples versions hispanophones et lusophones. L’étude de leurs apports et difficultés constitue ainsi bel et bien le centre du livre.

9Parmi les apports empiriques, on note tout d’abord un stimulant contraste entre les inspections du travail française et espagnole, application directe de la démarche de type « effet sociétal » évoquée ci-dessus. Les conditions de recrutement par concours et de socialisation des inspecteurs du travail en France y favorisent une camaraderie horizontale d’acteurs concevant leurs interventions sur le mode de l’autonomie, tandis que les inspecteurs du travail espagnols, recrutés avec un haut niveau de diplôme et acquérant ensuite leur expérience sur le tas après une brève période de stage auprès d’un·e collègue, ont pour leur part volontiers recours à l’avis de leurs superviseurs. Les destins divers des inspections du travail dans les six pays d’Amérique latine sont eux aussi éclairants, et vont souvent à rebours des stéréotypes en ces matières. C’est ainsi que le Chili, pays phare d’une déréglementation du marché du travail de type thatchérien, bénéficie d’une « approche légaliste » selon les termes des auteurs, la protection des travailleurs y étant assurée par la loi et l’État plus que par les syndicats. Ce pays marqué par le libéralisme est leader en Amérique latine en ce qui concerne les réglementations sur le lieu de travail, et les différentes phases historiques qui se sont succédé ont chacune apporté une strate à l’édifice protecteur étatique : du socialisme d’Allende à la dictature de Pinochet et aux régimes suivants, le pouvoir et les effectifs des inspecteurs se sont accrus, et combinent des moyens punitifs avec des démarches curatives pédagogiques de substitution des amendes par la formation.

10La mise en évidence des apports du système « franco-latin » ne conduit pas à en faire une panacée. Un pays comme le Guatemala témoigne ainsi d’un échec patent, avec des inspecteurs manquant de moyens et débordés par leurs attributions. Le second temps du livre va plus loin et systématise le propos en s’intéressant en général aux échecs et effets pervers du pouvoir discrétionnaire dont bénéficient les inspecteurs dotés de compétences transversales. Trois limites sont particulièrement explorées : la corruption, les présupposés idéologiques et la conflictualité interne, avec un examen attentif de leurs occurrences, leurs déterminants et leurs possibles contrepoids. Critiquant ici encore les limites des conceptions économiques de la gestion du secteur public, le texte débouche sur un objet alternatif, la « bureaucratie de terrain » (street-level bureaucracy) selon l’expression forgée par Michael Lipsky [3], et rapproche les pratiques des inspecteurs du travail de celles des enseignants, des policiers et des médecins, pour finalement s’intéresser aux processus d’innovation via des interactions explicites ou tacites.

11Le dernier apport du livre en résulte : une mise en cause multiforme, à la fois décidée et nuancée, de la sagesse conventionnelle issue des conceptions étroitement économiques, dans le domaine même où elle pourrait apparaître la mieux fondée et la plus actuelle : celui des relations de travail volatiles et précaires échappant à la structuration des grandes firmes et à la médiation des représentations syndicales. En matière de déréglementation des relations de travail, souvent perçues comme inévitables voire souhaitables, le livre opère un renversement de la charge de la preuve à partir du cas central de l’inspection du travail. Si celle-ci fait l’objet de critiques récurrentes de la part des représentants des employeurs, les auteurs montrent bien qu’elles n’ont pas les mêmes justifications dans un système spécialisé et dans un système transversal, ce dernier pouvant être considéré comme particulièrement flexible et adaptable.

12Deux interrogations principales surgissent une fois le livre refermé. Tout d’abord, il ne fournit guère de données ou de statistiques sur les conditions de travail, et notamment sur les accidents ou la pénibilité du travail, dont la réduction constitue pourtant l’indicateur premier d’une action efficiente des inspections du travail. Il faut attendre l’étude des cas du Brésil et du Chili, aux pages 93 et 95, pour que soient évoquées quelques données en matière de recul de l’économie informelle, du travail des enfants, et de progression de la négociation collective. Les auteurs s’appuient alors notamment sur quelques rapports du Bureau international du travail (BIT). L’ensemble considérable des travaux effectués dans le cadre de l’Organisation internationale du travail (OIT), tant statistiques que juridiques avec les rapports et les conventions multiples élaborées dans une démarche tripartite, ne sont toutefois guère sollicités. De même, dans le cas de l’Europe, aucun usage n’est fait des multiples travaux menés nationalement ou sous l’égide de l’Union européenne en termes d’indicateurs de qualité du travail et de l’emploi, pourtant légion. On comprend bien que les liens entre l’inspection du travail et les conditions de travail sont complexes et médiatisés par de très nombreux processus mettant en jeu l’orientation et le dynamisme des activités productives autant que les innovations techniques et la structuration du marché du travail, ou encore les rapports de force sur les lieux de travail. La focalisation sur l’organisation et les moyens de cette institution reste cependant procédurale alors qu’elle débouche nécessairement sur la question de leur efficience. Celle-ci n’est finalement qu’effleurée. Il aurait par exemple été possible de retenir le domaine des accidents du travail et de présenter quelques données comparatives.

13Pourquoi en définitive se centrer sur le « modèle franco-latin » et ses mérites transversaux ? Le livre remonte à Colbert et aux inspecteurs des manufactures royales, mais pointe à plusieurs reprises le retard dans l’adoption du taylorisme et la montée des grandes firmes comme explication principale des destins divergents entre le monde anglo-américain et le monde latin. Un auteur du management tel qu’Henri Fayol, critique frontal des inconvénients du contrôle par domaines spécialisés, contemporain de Taylor et en bien des points son opposé, est ici curieusement absent. L’analyse de la division du travail au sein du secteur public appellerait ainsi des compléments.

14Du « marché interne » à la « réglementation prenant les causes à leur racine », Michael Piore a poursuivi, d’abord avec Peter Doeringer puis avec Andrew Schrank, une démarche de socio-économie critique et féconde, fondée sur l’identification de nouveaux objets de recherche en phase avec les tendances et défis de notre temps, tant pour comprendre que pour agir. Ce livre bref, nuancé, suggestif, va sans nul doute faire date.

15Bernard GAZIER

16Université Paris-Panthéon-Sorbonne

17Centre d’économie de la Sorbonne

18bernard.gazier@univ-paris1.fr

Valérie Boussard (ed.) (2017), Finance at work, Routledge, Taylor & Francis Group, coll. « Routledge International Studies in Money and Banking », London, New York, 264 p.

19Comme son titre l’indique, cet ouvrage dirigé par Valérie Boussard défend une manière de regarder le cœur du monde contemporain : la finance comme travail. Celui des financiers est évidemment le premier concerné. Mais le regard porte plus largement sur les changements que la « financiarisation » opère sur le travail des agents du monde économique, comme les cadres dirigeants des grosses sociétés, ou encore les journalistes spécialisés. C’est l’ensemble des transformations du monde causées par les avancées de la rationalité financière et de ses outils qui est ainsi visé. Dans la langue de Balzac, l’ouvrage pourrait s’intituler « La finance à l’œuvre ».

20Depuis la recherche pionnière d’Olivier Godechot qui plongeait dans le quotidien des traders dans les salles de marché [4], la finance a accru son emprise sur l’économie et la société et les travaux se sont multipliés pour étudier la « financiarisation » maintenant diagnostiquée. Les points de vue divergent à propos du moteur de ce processus ainsi que de l’angle d’analyse susceptible de saisir la dynamique globale : pour certains, les économies auraient ainsi trouvé un nouveau régime d’accumulation ; pour d’autres, la clef est à chercher du côté du poids des actionnaires du fait de la réforme de la gouvernance des entreprises ; pour d’autres encore, du côté de l’élargissement des frontières de l’utilisation des raisonnements financiers, la financiarisation touchant l’ensemble des foyers et la vie quotidienne de leurs membres. En retenant comme complémentaires ces différentes pistes, cet ouvrage propose une sociologie du travail de la finance à travers une somme de regards détaillés sur les différents champs de cette bataille contemporaine.

21La perspective de sociologie du travail défendue est l’héritière incontestable de l’école française en la matière. Masquée par la langue anglaise – malgré une directrice d’ouvrage et une majorité de contributeurs francophones –, cette tradition sociologique apparaît rapidement au cœur de cet ouvrage collectif. À l’heure de la standardisation du champ des sciences sociales sur des normes issues de l’univers anglophone, cette promotion, en anglais, d’une tradition sociologique « régionale » fait vivre une pluralité de regards sur la financiarisation au sujet de laquelle les points de vue étatsuniens sont déjà très influents.

22Elle alimente ce faisant une influence française dont l’analyse a été produite par l’une des promotrices les plus reconnues de la sociologie de la financiarisation – contributrice de l’ouvrage – qui estime que l’acte fondateur de ce champ de recherche fut la rencontre de l’école française de l’économie des conventions avec la tradition anglaise de la « comptabilité critique » [5]. Le rôle de la dynamique sociologique française pourrait avoir été, dans ce rapprochement, d’autant plus important qu’Alain Desrosières, qui fréquentait l’un et l’autre de ces deux cercles académiques, travaillait alors à leur jonction à travers son projet d’une « sociologie des quantifications » [6]. Cet ouvrage fournit notamment une occasion de considérer la véritable école de « sociologie des comptabilités » que constitue depuis des années la comptabilité critique anglaise [7].

23L’ouvrage est construit en quatre parties composées chacune de trois chapitres (quatre pour la première) précédés à chaque fois d’une introduction signée par des auteurs reconnus dans le champ de la sociologie de la finance.

24La première partie, introduite par l’anthropologue Karen Ho, est consacrée à l’étude des pratiques professionnelles des spécialistes des activités qui symbolisent les processus de financiarisation de la gestion des entreprises, telles que les opérations de fusion-acquisition ou les activités de modélisation de la valeur future des produits financiers. La deuxième partie, qui porte toujours sur l’expansion des logiques financières en s’intéressant notamment à la transformation de secteurs d’activité traditionnels comme l’agriculture, est introduite par le sociologue Donald MacKenzie. La troisième se penche sur les carrières professionnelles qui constituent un vecteur et un révélateur de ce processus de financiarisation. Elle est introduite par Sabine Montagne, autrice de recherches sur les fonds de pension. Enfin, la dernière partie, dont Olivier Godechot signe l’introduction, revient sur le cœur des métiers de la finance en approfondissant le regard pour identifier de nouvelles frontières sociologiques, inattendues et capitales, sur lesquelles nous reviendrons.

25L’introduction de l’ouvrage, signée par Valérie Boussard, expose de manière synthétique cette invitation à la recherche sociologique que pose le titre. S’appuyant sur l’analyse du champ de la sociologie de la financiarisation par Natascha Van der Zwan, elle insiste d’emblée sur l’importance des travaux conduits sur la « colonisation » du monde par la raison financière et ses outils de quantification, là encore largement influencés par la dynamique du champ sociologique français [8], dans une perspective héritière des recherches déjà évoquées [9]. L’influence implicite des travaux de sociologie de la quantification sur le cadre théorique de l’ouvrage se retrouve encore dans la mobilisation de l’étude pionnière des structures sociales de la finance, conduite par Bruce Carruthers lui-même travaillant de longue date avec Wendy Espeland [10].

26Bien au-delà de l’introduction, la sociologie de la quantification alimente plusieurs chapitres de l’ouvrage, comme celui consacré aux « quants » (chapitre deux), ces spécialistes des produits financiers « dérivés » qui ont envahi le secteur des placements financiers jusqu’au budget de l’American Sociological Association, comme son auteur Taylor Spears s’en amuse ! Favorisés notamment par la bascule des normes comptables internationales en faveur de la logique de la « fair value », ces produits s’appuient sur des modélisations statistiques sophistiquées qui permettent d’estimer les probabilités d’évolution des marchés, le plus souvent à très court terme. Ces modèles exigent la maîtrise d’une science statistique qui nécessite une formation poussée en mathématiques. Ce chapitre met pourtant en lumière la dimension très arbitraire de l’activité de conventionnement qui structure la phase de « calage » des modèles mathématiques qui précède leur utilisation par les opérateurs financiers. Ce faisant, il produit un écho stimulant avec la dynamique initiée par Donald MacKenzie au croisement de la sociologie de sciences d’Édimbourg et de la sociologie de la statistique qu’il développa à l’occasion de collaborations avec le pôle parisien animé par Alain Desrosières.

27Sans reprendre la présentation des treize chapitres de l’ouvrage, nous développerons simplement ici quelques résultats marquants, comme ceux qui portent sur les caractéristiques sociales des agents liés aux avancées de la finance dans la troisième partie. S. Montagne rappelle l’enjeu de l’étude des trajectoires des agents de la financiarisation et constate que le regard porté sur le contexte français pourrait conduire à rejeter, en première instance, les constats établis aux Etats-Unis suggérant l’avènement de nouvelles élites sociales financiarisées [11].

28On peut ainsi s’enthousiasmer de la richesse du chapitre huit qui étudie une importante cohorte de cadres dirigeants de grosses entreprises françaises. Il offre un prolongement passionnant des travaux de Pierre Bourdieu, en croisant sa perspective avec celle initiée aux États-Unis par Neil Fligstein sur la financiarisation des modes de contrôle de l’entreprise. Pierre François et Claire Lemercier aboutissent à caractériser une situation française spécifique dans laquelle la « noblesse d’État » préserve ses positions à travers sa « conversion » aux logiques et nouvelles manières financiarisées. Ils inscrivent ce faisant leur lecture dans une perspective historique qui permet d’envisager la « première financiarisation » des entreprises françaises intervenue dès les années 1950, sous l’impulsion notamment du secteur bancaire national. Une proposition qui fait écho aux résultats du chapitre neuf qui lui fait suite, et qui invite plus largement à alimenter cette piste de recherche prometteuse.

29À noter enfin ce véritable bijou que constituent, juxtaposés, les deux chapitres onze et douze dont les résultats mettent en lumière des phénomènes de machisme aussi révoltants par la violence sociale qu’ils révèlent que par leur caractère éminemment caché. Pour tenter, en quelques mots, de transmettre l’envie de cette lecture, on peut d’abord résumer les choses en avançant que ces deux chapitres s’intéressent aux types de profils professionnels recherchés pour assurer les activités de « conseil en patrimoine » (wealth management). Ces dernières se sont en effet largement développées au cours des dernières années et en partie autonomisées des banques de placement dans lesquelles elles s’étaient historiquement implantées. Elles se développent aujourd’hui dans des sociétés de conseil à la taille souvent plus modeste, ou dans d’autres secteurs très liés à la financiarisation des économies (comme l’assurance).

30Le premier (chapitre onze) s’intéresse ainsi à des étudiants de deux masters en « conseil en patrimoine » et « conseil financier » (portfolio management), cette seconde activité s’étant historiquement développée au sein des banques d’affaires avec pour forme la plus prestigieuse la profession de « trader ». Le principal résultat de l’enquête établit que les femmes sont plus présentes dans le premier, le second étant associé à une plus grande technicité mathématique qui favorise les formations dans les filières scientifiques dans lesquelles les hommes sont plus présents. Or le chapitre douze, issu d’une enquête menée auprès d’une quarantaine de gestionnaires de patrimoines, constate que les hommes sont promus dans cette activité pour ce qu’elle exige : le partage des « secrets » ou « projets » des clients fortunés, pour lequel les hommes seraient supposés plus « aptes » que leurs collègues féminines. Même si la mise en perspective historique de cette inégalité témoigne d’une tendance – modeste – à son amoindrissement, ce double racisme qui s’exerce à l’égard des femmes, tout au long de leur vie, et à fronts renversés en fonction de leur âge, est proprement stupéfiant. Les deux chapitres dont les auteurs ont travaillé à se répondre apparaissent à ce titre un des points culminants de l’ouvrage.

31S’il fallait formuler une réserve sur cet ouvrage, on pourrait suggérer que la thématique des frontières de la finance, proposée dans l’introduction comme le fil conducteur de l’ensemble des contributions, aurait pu rendre plus explicite l’occasion qu’elle offre de nourrir la réflexion sur les frontières sociales. On pense encore à Pierre Bourdieu qui se fixait comme objectif « l’analyse des conditions économiques et sociales de l’apparition du calcul économique » dans sa quête du principe de la différenciation sociale [12]. La lignée n’est pas revendiquée alors qu’elle apparaît au cœur des développements évoqués. Comment la rationalité financière constitue-t-elle le dernier avatar des formes de la rationalité économique qui fabriquent ou renforcent les strates sociales ? Autant que de sonder ces phénomènes de stratification qui opèrent dans les couches sociales les plus modestes – comme s’y consacrait Pierre Bourdieu – l’ouvrage observe des phénomènes similaires dans les couches sociales dominantes. Il permet ainsi d’appréhender comment les qualifications financières fabriquent les clefs d’accès à la classe dominante « dominante » ?

32De manière essentielle, cet ouvrage nourrit le dessein de développer des problématiques et méthodes proprement sociologiques pour éclairer la financiarisation de l’économie et des sociétés. Cette ambition est aussi cruciale que délicate tant la technicité des outils financiers place les économistes en position favorable pour imposer leurs cadres conceptuels, fussent-ils hétérodoxes, dans l’atelier de la socio-économie. La perspective d’une sociologie complète de l’économie doit demeurer. Cet ouvrage y travaille.

33Fabrice BARDET

34Université de Lyon, EVS

35fabrice.bardet@entpe.fr

Alain Caillé (2019), Extensions du domaine du don : demander, donner, recevoir, rendre, Actes Sud, coll. « Questions de société », Arles, 334 p.

36Alain Caillé, professeur de sociologie émérite à l’Université Paris-Ouest Nanterre, nous offre avec cette publication des fruits, arrivés à maturité, et récoltés grâce à quarante années de travail individuel et collectif sur la question du don et de l’utilitarisme. A. Caillé donne ainsi dans cet ouvrage une nouvelle définition de la relation de don : elle « est la forme générale du rapport entre les sujets humains pour autant qu’ils entendent se considérer comme des personnes reconnues comme telles et valorisées dans leur singularité » (p. 10, souligné par l’auteur). Notons la condition que comporte cette formulation : « pour autant que ». Cela veut dire que les rapports humains concrets n’ont pas toujours cette forme. Mais en même temps, il y a en filigrane – rarement explicité – un jugement de valeur. Si ces rapports n’ont pas cette forme, ils entrent dans une forme illégitime.

37Quand les sujets humains entrent en relation, ils visent selon la théorie de la reconnaissance à être reconnus. « Ce que le don donne. De la reconnaissance assurément » écrit en tête d’une petite liste A. Caillé (p. 216) et, dès le début de l’ouvrage il indique que le don est « un opérateur de reconnaissance et de singularisation » (p. 10). Mais la lutte pour la reconnaissance n’est considérée comme légitime par A. Caillé que « pour autant que » cette lutte joue « le jeu symbolique » du don et il est illégitime de vouloir « forcer la reconnaissance ». A. Caillé dit ainsi de manière pour le moins implicite qu’il est à la recherche de « la vie bonne » et par suite de « la bonne société », ce qui constitue pour lui le critère de légitimité.

38On comprend ainsi l’expression « roc de la morale » employée par A. Caillé. Marcel Mauss soutient en effet que c’est de cette façon « morale » ou « légitime » que les humains se sont comportés pour former leurs sociétés, et il suggère que cela fonctionne encore aujourd’hui. Il écrit : « cette morale et cette économie fonctionnent encore dans nos sociétés de façon constante et pour ainsi dire sous-jacente » [13].

Distinguer socialité primaire et socialité secondaire

39Cette idée de permanence malgré « la modernisation » a été exposée par A. Caillé en distinguant ce qu’il appelle la socialité primaire de la socialité secondaire, ce qui est proche de l’idée que se maintiendraient en même temps une Gemeinschaft et une Gesellschaft. Citons-le (p. 36-37). « Le don reste bien présent aujourd’hui dans le cadre de la socialité primaire, l’ensemble des relations de personne à personne dans lesquelles, de la famille à l’amitié ou au monde des petites associations, la personnalité des personnes importe plus que ce qu’elles font. » Mais qu’en est-il dans les autres domaines, dans les autres registres du fonctionnement des sociétés ?

40Dans les entreprises, les administrations, les laboratoires de recherche, les marchés où ce qui est fait et les objets qu’on manipule sont essentiels ? Pour A. Caillé, c’est là le domaine de la socialité secondaire bien sûr fort différente de la socialité primaire mais ayant en commun avec celle-ci le fait « que les fonctions sont en réalité toujours accomplies par des personnes concrètes » (p. 37). Par conséquent, la qualité des relations qu’elles nouent les unes avec les autres – A. Caillé parle alors de relations de don et de contre-don, d’autres se contenteraient de parler de relations de confiance – « est déterminante de leur efficacité fonctionnelle ». C’est sur cette base que les chapitres de la deuxième partie qu’on a déjà mentionnés déploient « le paradigme du don dans les champs les plus variés » (p. 37). C’est, on l’a déjà dit, un des apports essentiels de l’ouvrage d’A. Caillé que de nous livrer ces analyses.

Une théorie maussienne des mobiles de l’action humaine

41Elles sont bien sûr inspirées de M. Mauss, toutefois l’apport d’A. Caillé a été décisif, même s’il le minimise. En effet, bien qu’il indique que « le lecteur attentif de l’Essai sur le don y verra une théorie tétradimensionnelle du mobile de toute action » (p. 64), cela est loin d’être facilement lisible chez M. Mauss. A. Caillé nous dirige vers les « conclusions de sociologie générale et de morale » de Maus. Mais là, M. Mauss certes s’oppose à l’explication des actions par le seul mobile de l’intérêt individuel [14] et avance (p. 267) que c’est « une notion complexe qui inspire tous les actes économiques », qu’il approche en usant de « concepts de droit et d’économie […et qu’]il serait bon de les remettre au creuset » (ibid.). Mais c’est A. Caillé qui les a travaillés dans son creuset pour nous livrer cette théorie de l’action dont tout socio-économiste, qui veut dépasser le modèle de l’homo economicus, peut se saisir avec avantage.

42Citons cette théorie dans la version qu’il présente ici. « Nous n’obéissons pas à un seul et unique mobile unique mais à quatre, organisé en deux paires d’opposés : l’intérêt pour soi, certes, mais aussi l’intérêt pour autrui (l’empathie), d’une part ; l’obligation (sociale et biologique) et la liberté-créativité de l’autre […]. Il faut que ces quatre mobiles soient présents et s’équilibrent l’un et l’autre. » Quel que soit le phénomène social que l’on veut analyser, les divers acteurs qui peuvent jouer ou déjà y jouent un rôle, répondront à ce mix de quatre motivations ; dans ces conditions, les prendre en compte et s’efforcer de les « évaluer », permet de mieux comprendre le phénomène. C’est ce qu’on peut appliquer dans tous les champs de la vie économique et sociale.

43Voilà donc un apport significatif que peuvent s’approprier les « social scientists » sans pour autant devoir signer pour une science sociale unique, ce qu’A. Caillé appelle cependant de ses vœux. Ils peuvent même employer cette approche complexe au sens d’Edgar Morin sans se référer au don. Mais c’est alors, pour A. Caillé « ce qui fait défaut […à ces variantes de la pensée] en science sociale ou en philosophie morale et politique, […] la non-prise en compte de la dimension du don » (p. 48). A. Caillé le regrette car il a longtemps insisté pour un rapprochement de la part de toutes les disciplines. « En reconnaissant le caractère originel des relations de don, nous pouvons tous », écrit A. Caillé, « commencer à parler aussi de la même chose et à le savoir » (ibid.).

Perspectives sur le convivialisme

44A. Caillé poursuit le même objectif d’éclaircir comment on peut réaliser une vie bonne, une société bonne « sous l’enseigne du convivialisme [… avec laquelle il s’est] attaché depuis quelques années – dit-il – à contribuer à l’élaboration d’un langage commun, à la fois théorique, éthique et politique, partageable par des intellectuels et des militants civiques alternatifs d’origines et de sensibilités idéologiques très diverses » (p. 13). Cette démarche se situe donc dans le prolongement de cet ouvrage et mérite quelques mots.

45Selon moi, le convivialisme est à la convivialité ce que le libéralisme est à la liberté. L’incitation à faire que les sociétés soient conviviales est une perspective à mettre au crédit d’Ivan Illich dans son ouvrage de 1973 [15]. Une société conviviale est bien sûr la vision idéale d’une « bonne société » où les gens sont heureux ; la « recette » préconisée par I. Illich est d’établir des rapports humains qui le permettent. C’est ainsi qu’il écrit qu’il faut « que les gens saisissent qu’ils seraient plus heureux s’ils pouvaient travailler ensemble et prendre soin l’un de l’autre » [16] ; le contexte où se trouve cette expression permet d’ajouter, sans trahir sa pensée, « et de la nature ».

46On peut sans nul doute considérer que cela signifie implicitement être dans l’esprit du don – sans avoir en tête la signification maussienne complexe du don. Cependant, quand il s’est agi de proposer des principes pour le convivialisme, A. Caillé avait bien sa théorie du don en tête – c’est ce qu’il indique ici – même si ces principes ont pu être exhibés et entraîner l’adhésion d’un grand nombre d’intellectuels sans référence explicite au don.

47Mais qu’est-ce que ce convivialisme, dans sa version présente ? Il comporte une injonction contre la démesure sous la forme d’un impératif catégorique « maîtriser l’hubris » qu’on trouvait déjà chez Illich qui écrivait : face à la crise, « le seul principe de solution qui s’offre : établir par accord politique, une autolimitation » [17].

48Le cœur du convivialisme est constitué par l’énoncé de cinq principes à respecter dans leur interdépendance pour réaliser une société conviviale. En premier, le principe de commune naturalité, qui est une extension du second principe, dit de commune humanité. Ils proclament ensemble que notre espèce homo sapiens est formée d’individus humains qui sont des parcelles d’univers, baignés par et baignant dans ce que nous appelons « la nature » et fruit de l’évolution de cet univers. Il en découle : 1) la nécessité de coexister avec le reste de l’univers – et certains proposent pour y satisfaire des droits de la nature, 2) l’indispensable reconnaissance mutuelle que nous sommes tous membres, sans discrimination possible, de la même espèce humaine dans l’univers, ce qui a déjà été proclamé par la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 au nom d’un esprit de fraternité (article premier).

49Le principe suivant, dit de commune socialité, est du même ordre, il reconnaît homo sapiens comme une espèce sociale (comme il en existe beaucoup d’autres et pas seulement chez les primates) au sens où chacun de ses membres n’existe qu’en interdépendance avec les autres [18]. Cela met au rang des falsifications les expériences de pensée posant qu’au commencement était l’individu. Au commencement était l’interdépendance et l’humain est cette trinité « Espèce-Individu-Société » que décrit E. Morin, les humains n’ayant d’autre choix que de se forger leur société par leurs interactions, ce qui en fait des individus solidaires. Ils entrent en interaction librement et l’affirmation de cette liberté, de leur pouvoir d’être et d’agir, de leur singularisation, est un choix politique et éthique énoncé comme principe de légitime individuation. Cela consiste certes à les faire échapper au totalitarisme mais sans leur reconnaître une liberté individuelle illimitée. La société deviendrait alors liquide, atomisée et un lieu de confrontations potentiellement meurtrières.

50Le convivialisme endosse enfin l’idéal de l’égalité démocratique prônée par Rousseau. Si chacun contribue à faire la loi, la loi s’impose à tous et les conflits doivent être négociés pour faire avancer la loi et ses applications. Cela est formulé en amont comme un principe d’opposition créatrice. Nos divergences et nos luttes ne doivent pas être masquées mais canalisées en forces de créativité. On sent là certes une inspiration de ce que Mauss indique en conclusion de l’Essai sur le don : « dans notre monde dit civilisé, les classes et les nations et aussi les individus, doivent savoir s’opposer sans se massacrer et se donner sans se sacrifier les uns aux autres. C’est là un des secrets permanents de leur sagesse et de leur solidarité » [19]. Cela passe bien sûr par la mise en place démocratique de cadres symboliques et culturels mais aussi évidemment juridiques nationaux et internationaux adaptés et des moyens de les faire respecter. A. Caillé ne dit pas autre chose à propos du don, pour avoir une bonne société, pour être du côté vertueux, de l’alliance : « Le don ne se suffit pas à lui-même, loin de là [… il faudra de] la négociation [… des] règles [… du] pouvoir […] certaines formes de violence » (p. 93).

Jeu symbolique ou résonance ?

51On perçoit dans la citation précédente que l’énoncé « le don » – au singulier –, en raison de ce avec quoi il est mis en parallèle, se réfère non pas à « un » présent, particulier, précis, observable, avec une valeur intrinsèque, mais à une procédure, à un process ou une « opération ». Sans que cela soit précisé dans une théorie formalisée, « le don » est considéré par A. Caillé en tant qu’opérateur de reconnaissance (ex. p. 10 ; p. 93), de singularisation (p. 10), d’alliance (p. 35), politique (p. 81) ou de traduction (p. 20). Pour mener une opération qui fasse éclore « la bonne société », une opération de par la mise en œuvre d’un type de rapport entre sujets humains caractérisé comme « relation de don ».

52C’est qu’à la suite de M. Mauss, A. Caillé s’est saisi de l’idée avancée en 1912 par Émile Durkheim et selon laquelle « la vie sociale, sous tous ses aspects et à tous les moments de son histoire, n’est possible que grâce à un vaste symbolisme » (p. 98). Mais, si ce qui rend possible la vie sociale est le symbolisme, et que l’on considère que la vie sociale s’installe grâce au « don », il faut conclure qu’il y a « co-extensivité du don et du symbole ». C’est cette « découverte » qu’A. Caillé s’était déjà attaché à partager dans son Anthropologie du don[20]. Certains [21] l’ont alors soupçonné de tout vouloir réduire à des symboles et à négliger ce qui fait la société dans toute son épaisseur, l’économique, le politique et de tout réduire au culturel et au symbolique.

53Il n’en est rien. Certes A. Caillé soutient que « ce que nous appelons des symboles, à l’origine et en dernière instance [sont] des signes de reconnaissance d’un don d’hospitalité et d’alliance » (p. 98). La triple, la quadruple obligation devient donc sous sa plume « le cycle symbolique du don » qui rassemble et mène à la bonne société, tandis que son opposé, qui sépare, est « le cycle diabolique », de l’indifférence ou du refus. Mais A. Caillé reconnaît à la fois que l’un et l’autre cohabitent – « le cycle du don, le cycle symbolique […] coexiste toujours avec la réalité ou la possibilité [du] cycle diabolique » – et que la société doit être prise dans son épaisseur – dans toutes les « dimensions de l’existence sociale, l’économique, le politique, la parentalité, le religieux […] on trouve à l’œuvre la double hélice, symbolique et diabolique » (p. 272, souligné par A. Caillé).

54Toutefois, « le don » reste pour lui en surplomb, au moins de l’économique, lequel tend à l’attirer vers la matérialité des échanges et leur intérêt, ce qui ramènerait à Bourdieu ou au Marx du « au commencement étaient les rapports de production ». Pour A. Caillé, « sa dimension métaphysique […] excède son enracinement sociologique », ce qu’il qualifie ailleurs de multiples manières : « paradigme du don, du symbolisme et du politique […], paradigme de l’alliance et de l’association […], paradigme interdépendantiste […], paradigme proprement relationnel » [22]. Ces multiples qualificatifs montrent que la dimension métaphysique est portée par une relation, une relation d’interaction libre, d’alliance, qui accorde le primat au politique (comme chez Hannah Arendt) mais dont le contenu matériel est insaisissable.

55Mais alors, « qu’est-ce qui est donné, au bout du compte, dans le don ? » (p. 66). On pourrait ajouter aussi, en citant M. Mauss, qu’est-ce qui « fait que le présent est obligatoirement rendu ? ». La réponse d’A. Caillé est claire : « en dernière instance l’objet véritable du don, c’est sans doute l’énergie » (p. 67). Ce qu’il précise plus loin : le don (observable) « n’opère pleinement comme don que s’il se manifeste comme un don de plus de vie ou d’énergie » (p. 216).

56Et la relation qui porte ce don est un « jeu » d’acteur. « C’est en entrant dans le jeu incertain du don que l’on accède en effet à la morale » (p. 65), c’est-à-dire à la pleine humanité, à la société bonne. C’est « en jouant le jeu symbolique » du don qu’on est dans ce qui est légitime, explique-t-il (p. 179). Mais le jeu « symbolique », si on en revient au σύμβολον des Grecs auquel se réfère A. Caillé (p. 98), est un jeu de reconnaissance, de test pour savoir si on est en phase en quelque sorte : deux partenaires potentiels disposent d’un morceau de tesson brisé et testent pour voir si en les rapprochant les deux morceaux s’ajustent reconstituant une sorte d’unité, les termes d’une alliance passée. Tester notre « résonance », pourrait dire Harmut Rosa [23], mais il ne s’est pas référé à M. Mauss. On peut aussi essayer d’entrer en résonance avec le monde, le cosmos, ce qui passe, en termes de don, par l’adonnement ou la donation.

57La proximité paraît claire et c’est pour cela qu’A. Caillé consacre sa conclusion à essayer de répartir les rôles entre « le don » et « la résonance ». Il les pense complémentaires : « le paradigme de la résonance nous dit mieux [] en quoi la vie bonne consiste, le paradigme du don comment il est possible d’y accéder » (p. 306). La discussion est ouverte. Ici A. Caillé semble cependant accorder à H. Rosa qu’aller vers une bonne société passe par une démocratie revigorée. Toutefois, une discussion plus complète, écrit A. Caillé, « supposerait une présentation minimale du convivialisme, auquel H. Rosa donne d’ailleurs son accord de principe » (p. 311-312).

58Marc HUMBERT

59Université de Rennes, LIRIS

60marc.humbert@univ-rennes1.fr

Nathalie Lapeyre (2019), Le nouvel âge des femmes au travail, Presses de Sciences Po, coll. « Académique », Paris, 207 p.

61Dans cet ouvrage, Nathalie Lapeyre propose une analyse diachronique de la mise en place d’une politique égalité/diversité, chez un fleuron de l’industrie aéronautique française (Airbus), historiquement caractérisé par un fort entre-soi masculin et une grande homogénéité sociale et culturelle. Au croisement de la sociologie des cadres et de celle du genre, l’auteure explore les ressorts contrastés du processus de féminisation à l’œuvre dans l’entreprise, de même que les effets encore circonscrits des politiques et mesures existantes pour favoriser la carrière des femmes cadres. De ce point de vue, cette monographie illustre clairement les processus juridiques et managériaux qui ont conduit les grandes entreprises à s’intéresser à l’égalité professionnelle puis la diversité, pour lutter contre les discriminations et faire des différences entre les collaborateurs un levier de performance pour l’entreprise [24], ainsi que les limites (et impensés) de ces visées égalitaires.

62Le premier chapitre du livre s’intéresse de manière fine et documentée aux caractéristiques de la « loi de la féminisation » qui s’est opérée en « mode sandwich », par le haut des emplois de jeunes cadres dans certains métiers supports et transversaux, et par le bas des emplois administratifs. Dans cette entreprise, le « régime d’inégalités » [25] se caractérise par une double ségrégation horizontale et verticale avec une sous-représentation des femmes cadres dans le cœur de métier (ingénierie et production) ainsi que parmi les cadres dirigeants. Malgré des inégalités salariales patentes liées à l’absence des femmes dans les filières les plus rémunératrices, leur plus faible promotion et l’effet négatif du temps partiel sur les carrières, l’auteure pointe que la politique égalité semble cependant souffrir d’illégitimité auprès des jeunes femmes pour différentes raisons : la peur de ne pas être reconnues pour leurs compétences ; la méconnaissance des mécanismes de ségrégation sexuée à l’œuvre ; le manque de modèles féminins identificatoires du côté des (rares) femmes dirigeantes. Les deux exemples présentés dans l’ouvrage soulignent combien il est difficile d’être reconnues comme légitimes dans le rôle de dirigeantes, entre soupçon de singer les comportements masculins et risque de ne pas être jugées suffisamment féminines (et bourgeoises) ou d’être une « mauvaise mère ». Des « pièges de rôles » déjà fort bien identifiés par Rosabeth Moss Kanter dans son ouvrage fondateur [26].

63Le deuxième chapitre propose une analyse des évolutions de la politique égalité/diversité au regard des transformations de l’entreprise elle-même. L’auteure retrace ainsi l’élaboration de cette politique dans les années 2000, sous l’impulsion de lois de plus en plus contraignantes sur l’égalité professionnelle et la lutte contre les discriminations. Elle montre ainsi les multiples résistances que cette politique a suscitées à ces débuts, avant d’être progressivement recadrée autour d’enjeux « business » (développement des services, internationalisation, etc.) et englobée dans une approche intégrée de la diversité. Pour autant, alors que le discours managérial de l’innovation contribue à une certaine valorisation de métiers féminisés et des comportements socialement construits comme féminins (horizontalité, pragmatisme, inclusion/dialogue), la politique diversité peine encore à rassembler et à donner des résultats. L’une des explications selon Nathalie Lapeyre tient à la désorchestration de ce qu’elle appelle le « quatuor de velours », dans la veine d’Alison Woodward [27], c’est-à-dire des quatre « grands » acteurs qui œuvrent à la mise en œuvre de cette politique depuis des positions différentes : la direction des ressources humaines, les réseaux de femmes internes, les organisations syndicales et les partenaires externes. Loin de nouer des relations informelles pouvant renforcer l’efficacité des différentes initiatives « par le haut » et « par le bas » de l’entreprise, ces acteurs semblent toutefois jouer leur partie en solo. L’enquête chez Airbus confirme ainsi certains constats mis en lumière par d’autres travaux récents [28] : la déconnexion entre les initiatives de la direction ou des réseaux de femmes et les espaces de négociation collective ; le faible suivi de la mise en œuvre des accords ou encore le peu de considération des femmes cadres pour les discriminations et les difficultés rencontrées par leurs collègues non-cadres. L’analyse du réseau de femmes d’Airbus fait par ailleurs apparaître des tensions quant aux usages de cet espace, entre une vision instrumentale support de promotion individuelle et une vision plus « politique » d’entraide entre femmes. Dans les deux cas, le cadrage de l’égalité reste néanmoins libéral, peu préoccupé des processus organisationnels et culturels qui fabriquent les inégalités [29], et ne traite pas de la dimension intersectionnelle des discriminations subies. L’absence de réflexion des femmes interviewées sur la situation des femmes non-cadres est de ce point de vue saisissant.

64Le troisième chapitre, plus original, porte sur la mise en œuvre d’une formation pour femmes (cadres) visant à constituer un vivier de femmes appelées à gravir les échelons hiérarchiques. Par le biais de jolis portraits biographiques, l’auteure montre comment ce dispositif a permis en quelques années le déploiement d’un « empowerment transformatif » sous la forme de collectifs non mixtes, en interne et en externe de l’entreprise, offrant des espaces de conscientisation des dominations subies. Si ces dynamiques collectives sont plutôt rares dans les univers de cadres, contrairement à d’autres milieux [30], elles sont, chez Airbus, ancrées dans un contexte organisationnel où les normes de genre restent inchangées. Les arrangements avec le système demeurent donc individuels ou interindividuels.

65Cette enquête, comme d’autres travaux récents, souligne le caractère profondément élitiste [31] des politiques égalité/diversité mises en œuvre dans les entreprises de même que l’adhésion des femmes cadres à un féminisme modéré et néo-libéral [32]qui soutient et, dans le même temps, contraint leurs carrières. Il est dommage que l’auteure n’engage pas davantage la discussion avec la foisonnante littérature anglo-saxonne sur le sujet, à commencer par les pistes de recherche évoquées en conclusion sur le travail du corps (body work) chez les femmes cadres [33]. De même, on peut regretter la très faible mobilisation des observations ethnographiques malgré un accès de longue durée au terrain, ainsi que l’absence de paroles des femmes non-cadres (et de leurs représentant·e·s). Un biais d’enquête qui renforce l’impression d’un entre-soi peu préoccupé des discriminations de classe et de race subies par les (autres) femmes (et certains hommes).

66Cécile GUILLAUME

67University of Roehampton, Londres

68cecile.guillaume@roehampton.ac.uk

Anne Jourdain et Sidonie Naulin (2019), La sociologie de Pierre Bourdieu (2 e édition), Armand Colin, coll. « Cursus », Paris, 192 p.

69Suite à une première édition parue en 2011, Anne Jourdain et Sidonie Naulin font paraître à nouveau leur manuel consacré à la sociologie de Pierre Bourdieu, augmenté de nouveaux chapitres. Dans la première mouture, les auteures s’étaient attachées à présenter quatre aspects saillants de l’approche de ce chercheur. Elles avaient d’abord commencé par décrire la conception du « métier de sociologue » de Bourdieu, puis présenté sa « sociologie de l’école » ainsi que sa « sociologie de la culture ». Enfin, elles avaient proposé une synthèse de sa « théorie de l’espace social », faisant intervenir les notions de champ et de capital (économique et culturel, notamment), et montrant la façon dont celle-ci avait renouvelé les manières d’appréhender le monde social. Dans cette deuxième édition, huit ans après la première, elles s’attachent à souligner, dans deux nouveaux chapitres, d’autres aspects importants de l’œuvre du fondateur de la revue Actes de la recherche en sciences sociales, à savoir sa « sociologie de l’État » et sa « sociologie de l’économie ».

70Ces deux thématiques intéressent particulièrement la RFSE, qui s’en est fait l’écho à plusieurs reprises [34]. Dans l’œuvre de P. Bourdieu, elles ont fait l’objet à la fois de travaux théoriques, sur le concept de pouvoir symbolique, les modes de domination, la fabrique des dispositions économiques ou encore le champ économique ; mais aussi de travaux empiriques portant sur la « Noblesse d’État », les grandes écoles et les hauts fonctionnaires ou encore l’économie précapitaliste kabyle. Cependant, c’est à travers l’enquête menée, dans les années 1990, sur la politique du logement en France et le marché de la maison individuelle, que ce dernier parvient le mieux à faire le lien entre les deux thématiques. Les sociologies bourdieusiennes de l’État et de l’économie ont ainsi remis le sociologue disparu en 2002 au cœur de l’actualité dans les années 2010, avec la publication de ses cours donnés au Collège de France, qui ont contribué à souligner ses apports dans les deux domaines : en 2012, d’abord, paraît le cours intitulé Sur l’État ; plus récemment en 2017, est publié celui traitant de l’Anthropologie économique.

La sociologie bourdieusienne de l’État

71Pour P. Bourdieu, l’État est le principal agent de construction du monde social car il domine, notamment à travers l’école, la production et l’imposition des catégories de pensée. C’est pour cette raison, selon lui, qu’il est si difficile d’avoir à son égard une certaine réflexivité, les catégories pouvant être utilisées pour ce faire étant le produit de son action. Son ambition consiste alors à sortir la pensée sociologique de ce qu’il nomme la « pensée d’État ». C’est pourquoi il considère qu’il est nécessaire d’en effectuer une analyse génétique, projet qu’il réalise dans l’article « Esprit d’État, genèse et structure du champ bureaucratique » de 1993 [35], dans lequel il montre comment l’État construit, historiquement, son monopole sur la société de concentration et d’accumulation de différentes espèces de capital de force physique, économique, culturel et surtout symbolique.

72Sa sociologie s’inspire à la fois de celle de Max Weber, auquel il reprend le concept de « monopole de la contrainte physique légitime » en la complétant par la dimension « symbolique », celle où l’État tire sa reconnaissance, et de Norbert Elias auquel il reprend l’idée selon laquelle le processus de monopolisation s’accompagne du « processus de civilisation » qui contribue à déposséder progressivement les concurrents du pouvoir de leurs ressources militaires et économiques. Dans la première phase, à partir du XIIe siècle, c’est grâce à l’instrument de la fiscalité que l’État naissant concentre le capital économique et construit sa puissance militaire. Dans la seconde phase, c’est le passage entre le monopole privé, celui du roi dans le cadre de l’État dynastique, et le monopole public, celui de la classe dirigeante dans l’État moderne et bureaucratique. Dans cette transformation, il souligne le rôle des fonctionnaires, des juristes, et de leur instrument : la théorie du droit, et la construction de la notion de bien public.

73La constitution de l’État moderne conduit à l’émergence d’un « méta-champ » qui intègre les différents autres champs sociaux (économique, culturel, militaire, scolaire, etc.) et est en mesure de peser sur la définition de leurs règles de fonctionnement. On trouve aussi chez P. Bourdieu une conceptualisation du champ du pouvoir, du champ politique et du champ bureaucratique et de leurs interrelations. Ces champs participent à la consécration d’une nouvelle noblesse, qu’il qualifie de « noblesse d’État », engagée dans une lutte pour le pouvoir sur le pouvoir de l’État, et au sein de laquelle le système scolaire, et notamment en France les grandes écoles, jouent un rôle central. Dans le cas de la politique du logement, P. Bourdieu montre comment la structure du champ bureaucratique pèse sur le changement de conception en matière de politique du logement. Ce sont les propriétés des agents et leur capacité à maîtriser le processus décisionnel (au sein de la « commission Barre » notamment) qui leur permettent d’imposer le passage d’un système d’« aide à la pierre » à un système d’« aide à la personne ».

La sociologie bourdieusienne de l’économie

74Dans le lexique que P. Bourdieu emploie pour étudier le monde social, les mots tirés du langage économique (capital, intérêt, profit, etc.) sont très présents. Cela ne traduit pas chez lui une forme d’économicisme, mais à l’inverse une volonté de se réapproprier un vocabulaire échappant largement à la sociologie et de dénoncer par là même les présupposés des économistes qui, pour les besoins de leur théorie, ont fondé l’homo œconomicus, sorte de « monstre anthropologique », dont les préférences sont ordonnées et stables, dont le comportement est instrumental et les choix sont autonomes. Il qualifie une telle conception de « biais scholastique », au sens où ce sont les économistes qui plaquent leurs propres théories dans la tête des agents comme s’ils les conduisaient effectivement en référence à ces dernières. Face à ce constat, la sociologie génétique constitue un antidote, en ce qu’elle permet de ré-historiciser les comportements économiques des agents et de montrer comment se fabriquent leurs dispositions économiques, et notamment celles qui correspondent au comportement calculateur dans les sociétés capitalistes.

75Lors de ses travaux dans années 1960 en Kabylie (Algérie), P. Bourdieu découvre en effet une société en transition : il y constate la brutalité que la colonisation fait subir aux individus socialisés dans un cosmos économique précapitaliste, et auxquels on en impose un autre, capitaliste. Même les pratiques économiques rationnelles qui apparaissent les plus élémentaires dans les sociétés occidentales, tels l’épargne, le crédit, le salariat, la régulation des naissances, etc., n’ont rien ni de naturel ni d’universel. L’« habitus économique » est donc avant tout le fruit d’une construction sociale et le comportement de l’homo œconomicus doté d’une rationalité calculatrice et maximisatrice parfaite n’est en réalité qu’un cas particulier du possible hautement improbable même dans la société capitaliste. L’approche génétique de P. Bourdieu, appliquée au champ économique, a pour effet de ré-historiciser les pratiques économiques et de dénaturaliser les processus économiques en montrant que ceux-ci sont pleinement encastrés dans le monde social.

76Cette approche a des conséquences sur la conception de cette notion centrale en économie qu’est le « marché ». En le réduisant à un mécanisme de rencontre entre l’offre et la demande, la pensée économique orthodoxe occulte le fait qu’il est entièrement socialement construit par l’État (cf. plus haut), le droit et les institutions économiques. P. Bourdieu invite ainsi à repenser le marché comme un champ, le reliant ainsi à sa théorie générale de l’espace social. Dans sa conception, les champs de la consommation, (la demande) et de la production (l’offre) fonctionnent de manière relativement indépendante mais s’orchestrent, du fait de leur homologie structurale : au sein de chaque champ de production, selon leur position dans la structure, chaque entreprise s’adresse à une clientèle qui occupe une position homologue dans la structure de l’espace social et qui définit des styles de vie et des types de consommation.

77Cette approche est mise en œuvre dans le cadre d’une vaste enquête qui porte sur le marché de la maison individuelle. Pour étudier la demande, P. Bourdieu analyse une enquête de l’INSEE sur le logement dans les années 1980, il montre que les propriétaires ont plus de capital économique que les locataires, mais que parmi ceux qui ont le plus du capital économique, les catégories mieux dotées en capital culturel sont plus souvent locataires. Les différences entre propriétaires et locataires s’expliquent donc socialement. Pour étudier l’offre, il étudie les attributs économiques de 44 entreprises de construction de maisons et repère trois pôles qui structurent le champ : les grandes entreprises généralistes, les moyennes entreprises industrielles, les petites entreprises artisanales. Au sein de chaque pôle, leur position structurale les amène à adopter des stratégies (publicitaires) différentes. Elles cherchent aussi à modifier les règles du jeu en leur faveur. Dans cette lutte concurrentielle, l’État joue un rôle central au travers de lois qui instituent des aides et des prêts dédiés, pour encourager les ménages à devenir propriétaires et soutenir les entreprises de construction. L’enquête montre aussi comment, au sein de l’État, se structure le champ bureaucratique qui fabrique la politique du logement.

78Le manuel évoque aussi ce que P. Bourdieu nomme une « économie des biens symbolique », c’est-à-dire ni plus ni moins qu’une économie à l’envers car elle ne fonctionne pas selon la loi de l’intérêt individuel, du profit et du donnant-donnant, mais à l’inverse selon les principes du don contre don, de la dénégation des comportements purement instrumentaux et de la valorisation de « l’intérêt au désintéressement ». C’est à cette condition que les agents, tels les artistes par exemple, peuvent accumuler dans leur champ du capital symbolique qui pourra, mais dans un second temps et sur le long terme seulement, être reconverti en capital économique. Faute de prendre en compte cette économie des biens symbolique, la science économique se prive non seulement de la compréhension du fonctionnement des sociétés précapitalistes, mais aussi de pans entiers des sociétés occidentales contemporaines, dites capitalistes. Au sein de cette économie, la valeur marchande des biens (les œuvres par exemple) dépend de leur valeur symbolique, celle-ci étant produite par les instances de consécration (commerçants d’art, éditeurs, critiques, dans le cas du champ artistique) qui jouent le rôle de « banquier symbolique ».

79Chaque chapitre thématique du manuel (école, culture, État, économie) s’achève sur une ouverture sur les résultats de recherche d’un·e auteur·e dont l’approche peut s’inscrire dans la réflexion bourdieusienne. En ce qui concerne l’État, les autrices ont choisi d’évoquer les travaux de Mara Loveman qui s’intéressent particulièrement au processus d’accumulation primitive du pouvoir symbolique dans la formation de l’État moderne, et qui soulignent le poids des guerres (militaire, politique et économique) au sein de ce dernier. En ce qui concerne l’économie, elles ont choisi d’évoquer les travaux de Viviana Zelizer qui fondent une économie encastrée dans la culture et qui soulignent le poids des valeurs morales dans la construction sociale des marchés. C’est ce qu’elle illustre, par exemple, à travers son analyse de la transformation, tout au long des XIXe et XXe siècles aux États-Unis, de la valeur économique des enfants sous l’effet d’une redéfinition progressive de leur valeur symbolique, par la fin du travail des mineurs et l’émergence d’un nouveau rapport émotionnel et affectif à leur égard.

80Fabien ÉLOIRE

81Université de Lille, Clersé

82fabien.eloire@univ-lille.fr

Anne Le Roy, Emmanuelle Puissant, François-Xavier Devetter et Sylvain Vatan (2019), Économie politique des associations : transformations des organisations de l’économie sociale et solidaire, De Boeck Supérieur, coll. « Ouvertures économiques », Louvain-la-Neuve, 264 p.

83Les enseignements portant sur les associations se développent dans les universités. Partant de ce constat, l’objectif principal du manuel est alors d’interroger les spécificités associatives dans un contexte d’extension des logiques marchande et concurrentielle dans ce champ. Les auteurs y analysent ainsi les tensions et difficultés auxquelles sont confrontées les associations dans leurs relations en interne (entre bénévoles, salariés, usagers, etc.) et avec l’extérieur (avec les pouvoirs publics ou encore les organisations à but lucratif). Pour appréhender les particularités de cette « autre économie » qui se différencierait de l’économie marchande capitaliste, les auteurs, dès l’introduction, affirment la nécessité d’une approche d’économie politique pour saisir la complexité des formes de production et d’échanges. Les associations constituent en effet un objet tout particulièrement intéressant pour l’économie politique puisqu’« elles sont intrinsèquement des organisations simultanément sociopolitiques et socio-économiques » (p. 15).

84Les auteurs font le choix de se focaliser sur les associations employeuses qui cristallisent les tensions du secteur, notamment du fait de leur dépendance aux financements publics pour pérenniser leurs activités et donc les emplois. L’ouvrage se nourrit principalement d’enquêtes de terrain menées dans le champ du social et du médico-social, et plus spécifiquement dans l’aide à domicile.

85Les deux premiers chapitres proposent un retour historique pour rappeler les spécificités des organisations associatives à la fois dans le rapport aux usagers (chapitre 1) et dans la complexité de leurs relations internes et externes (chapitre 2). Le chapitre 3 s’intéresse aux évolutions des politiques publiques à l’égard des associations, ce qui interroge à la fois la relation d’emploi (chapitres 4 et 5), les processus d’évaluation (chapitre 6) mais aussi le rapport aux structures lucratives de ces dernières (chapitre 7). Les marges de manœuvre sont également évoquées, que ce soit dans la reconnaissance du travail des femmes (chapitre 5) ou dans la proposition de formes d’évaluations différentes (chapitre 6).

86Les deux premiers chapitres permettent donc de poser le cadre de réflexion pour appréhender les associations. Dans le premier, les auteurs adoptent une perspective sociohistorique pour comprendre l’origine des associations et mieux en saisir les évolutions actuelles, tout en prenant soin de situer les associations dans leur environnement institutionnel conformément à la démarche d’économie politique invoquée. L’analyse s’intéresse plus particulièrement aux usagers. Les associations ont souvent été « pionnières », avant même la puissance publique, dans de nombreux secteurs d’activité, notamment dans les domaines sociaux ou médico-sociaux, où elles se caractérisent aussi par une réponse spécifique à travers l’invention de « modalités originales de construction et de déploiement des services par et pour les usagers, afin de veiller à ce que ces derniers soient bien acteurs dans la conception et la réalisation des services dont ils ont besoin » (p. 42). Ce chapitre traite également des évolutions qualifiées d’« externes », portant sur le lien avec l’environnement, à savoir les politiques publiques et le secteur privé lucratif. À partir de cette analyse des évolutions internes et externes des associations, le chapitre 2 met la focale sur la multiplicité des acteurs en présence et la complexité des interactions. Les auteurs insistent tout d’abord sur les spécificités des associations de par leurs principes : « l’adhésion et l’engagement volontaire », « l’égalité entre les membres », « la double qualité des membrevs » et la « non-lucrativité » (p. 58-59). L’approche économique standard proposant d’analyser une organisation comme un nœud de contrats ne permet pas de mettre en exergue les spécificités des relations associatives. Les auteurs privilégient ainsi une approche de l’association comme « système relationnel » représenté par le triangle employeur-usager-salarié. Au sein de ce triangle, les relations sont interdépendantes, et dépendantes des relations externes avec les pouvoirs publics, le secteur privé lucratif mais aussi les autres organisations de l’ESS. Le chapitre se termine par une analyse du risque de banalisation à la fois due à des évolutions là encore externes (concurrence, incitation à la rentabilité) mais aussi internes (participation des usagers et des salariés plus faible, pratiques managériales inspirées du secteur privé lucratif, déconnexion entre les cadres salariés et les bénévoles).

87Le chapitre 3 analyse plus spécifiquement les diverses politiques publiques qui affectent le secteur associatif (politiques sectorielles, politiques de l’emploi, politiques de reconnaissance de l’ESS). Cette diversité peut amener des contradictions entre les différentes logiques. Parmi les évolutions récentes, les auteurs reviennent plus particulièrement sur les évolutions des financements publics. Leur baisse amène les structures à privilégier de plus en plus des financements privés, c’est-à-dire la vente de biens et de services auprès des usagers qui voient donc leur participation augmenter. Au-delà de l’aspect quantitatif, les modalités d’attribution des financements évoluent également, les commandes publiques se substituant progressivement aux subventions directes, dans une logique de nouveau management public. Les évolutions se caractérisent alors par une individualisation des financements et une réponse à des appels d’offres dont les besoins sont définis par les pouvoirs publics et non par les associations ou leurs usagers. Les particularités des projets associatifs sont ainsi de moins en moins reconnues et progressivement ces dernières deviennent des prestataires comme des autres pouvant être mis en concurrence avec des acteurs privés lucratifs. Cela peut avoir une conséquence sur l’organisation interne avec des recrutements spécifiques, un changement dans le choix des dirigeants associatifs, mais aussi une sélection progressive des bénéficiaires. Toutes ces évolutions interrogent la spécificité associative et la difficulté d’y maintenir à la fois pérennité économique et objet social.

88Ces enjeux sont tout particulièrement prégnants pour les associations employeuses (chapitres 4 et 5). Dans le chapitre 4, les auteurs rappellent que le monde associatif a vu une progression plus rapide de son nombre de salariés que les sphères publique et lucrative. Cela peut notamment s’expliquer par le fait que les associations employeuses interviennent principalement dans les secteurs social et médico-social qui pallient de plus en plus les défaillances des pouvoirs publics. Les auteurs s’intéressent également aux rémunérations, aux conditions d’emploi et de travail, mais aussi à l’analyse des motivations des salariés et leur satisfaction. Ils soulignent que la comparaison des emplois entre secteur public, associatif et lucratif peut s’avérer complexe car l’emploi associatif touche à une forte diversité de secteurs d’activité. Une des spécificités principales de ce milieu professionnel concerne l’environnement de travail perçu comme plus égalitaire et caractérisé par une échelle salariale plus resserrée que dans d’autres secteurs. La conclusion du chapitre rappelle que les évolutions actuelles peuvent remettre en cause certaines caractéristiques de l’emploi associatif. Le chapitre 5 revient quant à lui plus spécifiquement sur le rôle du secteur associatif dans la professionnalisation du travail féminin. Cette question de la reconnaissance du travail est d’autant plus intéressante que si celle des usagers s’est posée à l’origine même de la constitution des associations, la place des salariés a longtemps été considérée comme secondaire, ceux-ci étant de fait considérés en quelque sorte comme « des bénévoles indemnisés » (p. 159). L’analyse se concentre principalement sur les associations du care. Dans ce champ, les structures associatives ont participé à la reconnaissance des savoirs en obtenant la reconnaissance de professions et de diplômes spécifiques. En prenant l’exemple de l’aide à domicile, les auteurs montrent comment de nombreux freins s’opposent toutefois encore à la montée en qualification des professionnels, notamment la mise en concurrence ou encore la rationalisation du travail. Les associations ont alors parfois un positionnement ambigu.

89Le chapitre 6 porte sur l’évaluation. Cette dernière représente un enjeu stratégique dans un contexte où l’évolution des financements publics conduit à une nécessité de valoriser son activité. Les limites des évaluations actuelles sont ici soulignées. En effet, le poids des indicateurs chiffrés renforce la prédominance de l’évaluation marchande et néglige l’aspect politique des associations. En prenant l’exemple des chantiers d’insertion par l’activité économique, les auteurs défendent la nécessité d’une analyse socio-économique pour permettre une évaluation plus compréhensive. L’évaluation est à construire avec les acteurs eux-mêmes dans une démarche pluridisciplinaire pour une prise en compte de la dimension politique. Elle pourrait ainsi être l’occasion de réinterroger le sens et les finalités de l’action.

90Le dernier chapitre s’intéresse à la mise en concurrence de certaines associations avec le secteur lucratif. Le secteur de l’aide à domicile est pris en exemple afin d’analyser de quelle manière les associations peuvent y devenir « solubles dans le marché ». En effet, les mutations des politiques publiques présentées dans le chapitre 3 ont, au-delà de la modification des relations entre pouvoirs publics et associations, positionné certaines associations dans un marché concurrentiel. Or la logique marchande réinterroge à la fois le rapport à l’usager et l’organisation productive des structures. Elle pénètre les organisations qui doivent de plus en plus s’adapter à un « modèle d’efficience industrialo-marchand » (p. 237). Ce modèle peut entrer directement en conflit avec le projet associatif (le chapitre 6 sur l’évaluation en est une bonne illustration). Cette forme de régulation entre en contradiction avec le cœur des associations et leur projet politique.

91L’ouvrage se conclut sur une question : « Que reste-t-il de l’économie politique des associations ? » (p. 243). Les auteurs reviennent sur les « grandes transformations » que connaissent les associations en soulignant un paradoxe. D’un côté, on trouve une vitalité des associations au regard de certains indicateurs quantitatifs (nombre, taille, budget). De l’autre, les évolutions récentes (extension de la logique marchande, nouvelles modalités d’évaluation, etc.) interrogent l’essence même de ce qu’est le secteur associatif, c’est-à-dire son « cœur démocratique et politique ». Les auteurs élargissent leurs conclusions à l’ensemble des services publics qui connaissent également une banalisation progressive ou encore une perte de sens au travail. L’ensemble de la sphère économique non marchande est impactée par la nouvelle gestion publique. Il serait alors intéressant d’élargir les analyses proposées ici à d’autres secteurs, de l’ESS et au-delà, que ceux mobilisés dans l’ouvrage (principalement en fait celui de l’aide à domicile) afin de renforcer la « portée heuristique » du propos. Ainsi, l’ouvrage se révèle constituer bien plus qu’un simple manuel, et est à conseiller aux acteurs de l’ESS – mais aussi au-delà – pour les aider à (se) saisir un certain nombre des transformations qu’ils expérimentent.

92Laura NIRELLO

93IMT Lille-Douai, Clersé

94laura.nirello@imt-lille-douai.fr

Julie Landour (2019), Sociologie des Mompreneurs : entreprendre pour concilier travail et famille ? Presses universitaires du Septentrion, coll. « Le Regard sociologique », Villeneuve-d’Ascq, 184 p.

95Si les travaux consacrés à l’essor de l’(auto-)entrepreneuriat ne manquent pas, la question des inégalités genrées y demeure cependant le plus souvent dans l’angle mort. C’est cette lacune qu’entreprend de combler l’ouvrage issu de la thèse de Julie Landour en se centrant exclusivement sur les femmes qui créent leur entreprise. En effet, comme le rappelle l’auteure, l’entrepreneuriat a été promu de manière spécifique à destination des femmes comme une solution miracle qui leur permettrait de concilier emploi et éducation de leurs enfants. Cette enquête propose ainsi de mettre à l’épreuve cet idéal de conciliation, sans pour autant opposer le travail productif et la famille comme deux sphères bien distinctes, où l’une – le travail productif – permettrait de s’émanciper de l’autre – le travail reproductif dans la famille – et sans postuler d’emblée que se diriger vers l’entrepreneuriat pour passer plus de temps avec leur famille priverait les femmes de toute perspective d’émancipation. Pour cela, J. Landour propose le concept de « continuum d’engagements » (p. 21) entre « engagement professionnel » et « engagement familial » (p. 9). Là où les travaux antérieurs sur la question avaient tendance à opposer ces deux sphères, l’auteure entreprend donc plutôt d’analyser leurs « porosités, dynamiques et fluctuations » (p. 21) et même parfois leurs tensions.

96La sociologue a choisi d’enquêter sur les parcours des « Mompreneurs » : « des femmes qui décident au cours d’une grossesse de quitter leur poste de cadre pour créer une entreprise » (p. 25). D’après J. Landour, cet objet met en effet en œuvre mieux que tout autre la contradiction évoquée précédemment, puisqu’il s’agit d’entrepreneures qui ont quitté le salariat pour passer plus de temps avec leurs enfants. L’auteure souligne le paradoxe de cette décision : comment envisager une activité professionnelle attractive lorsque l’objectif est de privilégier sa vie de famille ? L’un des deux engagements est-il alors privilégié par ces femmes au détriment de l’autre ? Pour mieux comprendre la position des Mompreneurs dans ce continuum d’engagements, J. Landour propose d’analyser à la fois les parcours professionnels et les pratiques parentales de ces femmes. L’auteure a ainsi réalisé un travail ethnographique sur plusieurs années au sein d’un collectif de Mompreneurs, comprenant à la fois un volet quantitatif pour pouvoir positionner les enquêtées à l’intérieur de leur collectif et un volet qualitatif consistant à recueillir des récits de vie et des pratiques concrètes. Ce travail de terrain part de trois hypothèses. La première pose que le groupe des Mompreneurs est loin d’être homogène et qu’en fonction des parcours et des origines sociales de leurs membres, il devrait exister différents modes d’entrée dans l’indépendance à l’intérieur du groupe (première partie de l’ouvrage). La deuxième postule que l’engagement parental et les normes sur lesquelles il repose seraient davantage homogènes, ce qui est l’objet de la deuxième partie. Enfin, la troisième consiste à considérer que le statut d’indépendant pèse plus lourdement sur la vie matérielle des femmes de classes moins favorisées, ce que l’auteure teste dans la troisième partie consacrée à l’aspect socio-économique des entreprises créées.

97La première partie de l’ouvrage s’applique donc d’abord à définir les Mompreneurs. Après avoir évoqué la genèse institutionnelle et matérielle de l’apparition du groupe, J. Landour s’intéresse à celles qui se sentent appartenir au groupe des Mompreneurs et fait émerger une typologie, selon le degré d’accomplissement de leurs engagements professionnels et parentaux, autrement dit, en fonction de leur position dans le continuum d’engagements. Cette typologie comprend quatre catégories : les « entrepreneures démultipliées », ou celles qui s’épanouissent à la fois dans leur entreprise et dans leur engagement parental, correspondant ainsi parfaitement à l’idéal de conciliation entrepreneurial évoqué précédemment. Les « petites indépendantes intéressées », qui manifestent un fort engagement professionnel, mais délèguent souvent le travail parental à des tiers. Les « dames patronnesses du néo-libéralisme », qui déclarent s’accomplir dans leur engagement parental, mais pas dans leur engagement professionnel. Enfin, les « nouvelles Bovary », qui témoignent du plus faible degré d’accomplissement dans les deux domaines. Cette première partie s’intéresse également aux raisons qui ont poussé les Mompreneurs à quitter le salariat pour l’indépendance, là où elles auraient pu se diriger vers un temps partiel ou être simplement inactives – la plupart des Mompreneurs appartiennent à des milieux sociaux favorisés où il est tout à fait possible de vivre avec un seul salaire par foyer. Chez toutes les entrepreneures rencontrées, J. Landour explique que la maternité, loin de faire émerger des vocations pour l’indépendance, a plutôt servi de « porte de sortie honorable » (p. 60), leur permettant d’échapper aux stigmates du chômage ou de la femme au foyer. La sociologue réaffirme également à l’intérieur de sa typologie l’importance des rapports sociaux de classe dans la position de ces entrepreneures. En effet, les ressources dont elles disposaient lorsqu’elles se sont tournées vers l’indépendance, qu’elles soient dues à leur passé salarial, aux structures d’aides à la création d’entreprise ou à leur famille, exercent une influence décisive sur la viabilité économique de leur entreprise, facilitant ainsi leur épanouissement personnel et professionnel.

98La deuxième partie propose d’étudier le rapport de ces femmes à la parentalité, à la fois au niveau identitaire et à celui des normes et pratiques. Il apparaît ainsi que toutes les Mompreneurs, malgré l’hétérogénéité du groupe, partagent les mêmes normes : disponibilité à toute épreuve pour leurs enfants, quitte à sacrifier la réussite de leur entreprise, et obligation d’assurer leur sécurité et leur bien-être psychologique – ce que la sociologue appelle le « puerocentrisme » (p. 85). J. Landour détaille également les conséquences néfastes de ces normes qui ne s’appliquent qu’aux mères : sanctions professionnelles inattendues, épuisement physique et psychique et désengagement professionnel. Cependant, chez certaines Mompreneurs, ces normes parentales ont été réinvesties de manière positive pour nourrir une forme de réhabilitation identitaire et sociale, qui peut s’exprimer de deux manières différentes. Pour les plus mobilisées professionnellement, cet engagement peut devenir une source de réussite économique en leur permettant de valoriser leur expertise professionnelle dans un domaine en lien avec la parentalité. Pour celles qui sont davantage centrées sur leur engagement parental, montrer leur adhésion à ces normes est une manière de « se distinguer au sein de l’échelle parentale » (p. 111), là où elles avaient échoué sur le plan professionnel, en surinvestissant la réussite scolaire de leurs enfants par exemple. D’après J. Landour, cette réhabilitation identitaire permettrait même à certaines Mompreneurs de se positionner au sommet d’une hiérarchie sociale entre « des bonnes mères présentes et donc par extension investies auprès de leurs enfants, et des mauvaises mères, moins visibles et dont on présume dès lors, sans mise en perspective aucune, le désintérêt à l’égard des enfants » (p. 117).

99La troisième et dernière partie de l’ouvrage est enfin consacrée à la dimension matérielle des entreprises parentales. Pour cela, J. Landour se centre sur les conséquences de l’indépendance sur les relations de couple des enquêtées. Ainsi, il apparaît que l’entrepreneuriat est loin de permettre à ces femmes d’accéder à « l’initiative économique individuelle » (p. 124), mais plutôt qu’il les enferme dans des situations de forte dépendance conjugale. En effet, une fois devenues entrepreneures, ces femmes travaillent majoritairement à domicile, ce qui dissout leur activité professionnelle dans l’ensemble du travail domestique et les oblige à adapter leurs horaires à ceux de leur famille. Elles sont de ce fait prises dans ce que J. Landour appelle une « spirale de l’assignation » (p. 136), où se renforce la division sexuée du travail, même chez celles qui mettaient en avant des considérations égalitaires. Un constat qui illustre bien l’« exploitation patriarcale » et capitaliste dans laquelle sont prises ces femmes : puisqu’elles s’occupent de l’entretien du foyer et de la garde des enfants, elles permettent à leur mari, libéré ainsi de ces tâches, de s’assurer un salaire et donc une retraite élevée. La sociologue démontre encore une fois l’importance de la place des enquêtées à l’intérieur des rapports sociaux de classe, puisque celles qui disposent des ressources les plus importantes et/ou qui ont réussi à tirer un revenu suffisamment conséquent de leur activité indépendante sont celles qui parviennent le mieux à éviter l’enfermement dans cette spirale. De plus, ce sont également celles qui parviennent le mieux à rebondir personnellement et professionnellement en cas de divorce. Celles qui n’ont pas cette chance peuvent aller jusqu’au « déclassement économique » (p. 144) et vivre des situations de précarité sur le long terme : aides sociales supprimées à la majorité de leurs enfants, pensions de retraite très faibles en raison du morcellement de leur vie professionnelle, etc.

100L’ouvrage de J. Landour permet donc bel et bien de remettre en cause l’idéal entrepreneurial promu avec force par le gouvernement français, mais aussi les Mompreneurs elles-mêmes. En effet, il apparaît clairement que l’indépendance ne permet pas mécaniquement à ces entrepreneures d’accéder à une forme idéale de conciliation entre travail et famille, alors que c’était leur objectif principal en se dirigeant vers ce type d’activité. Chez toutes ces femmes, y compris même chez les « entrepreneures démultipliées », dont la situation semble le plus correspondre à cet idéal et qui disposent de nombreuses ressources à la fois financières et entrepreneuriales, l’indépendance fabrique une « autonomie de façade » (p. 163), qui accentue la division sexuée du travail et la dépendance conjugale. D’après J. Landour, qui résume cet amer constat en fin d’ouvrage, ces femmes « fournissent une version actualisée et néo-libérale du patriarcat, qui est d’autant plus gênante qu’elle est masquée par un dispositif public vanté pour son égalitarisme et sa liberté » (p. 165).

101Ainsi, Julie Landour fait partie des sociologues qui ont œuvré à la remise en cause de l’idéal entrepreneurial, notamment lorsqu’il concerne les femmes. Elle se démarque donc d’une approche individualiste encore prégnante de l’entreprise et des entrepreneur·e·s, considérant qu’il existe des qualités individuelles qui permettent à certaines personnes (et pas à d’autres) de créer leur entreprise. D’après des auteurs comme Joseph Schumpeter et Pierre-Paul Zalio, les entrepreneur·e·s doivent notamment être dotées d’audace, de dynamisme, de sang-froid et d’intelligence [36]. Cependant, d’autres sociologues, dont J. Landour, estiment que cette figure de l’entrepreneur·e est en réalité un mythe construit à partir d’un certain discours social de valorisation d’un·e entrepreneur·e héroïque fantasmé·e. En cela, J. Landour rejoint Sarah Abdelnour et Fanny Darbus, dont les travaux interrogent la promotion de l’entrepreneuriat par le gouvernement français comme une initiative individuelle émancipatoire face à la crise économique [37]. S. Abdelnour et F. Darbus montrent ainsi que l’indépendance a plutôt tendance à précariser davantage les personnes, tout en les excluant du régime général, sans pour autant leur permettre de développer des structures viables sur le long terme. On peut tout de même regretter le silence presque total de cet ouvrage quant aux rapports sociaux de race, de handicap et d’orientation sexuelle. Une objection à laquelle J. Landour répond cependant elle-même en expliquant que la totalité de ses enquêtées ou presque étaient des femmes blanches, en bonne santé et hétérosexuelles, occupant donc des positions dominantes à l’intérieur de ces rapports sociaux. Sans doute la chercheuse ouvre-t-elle ainsi la voie à d’autres travaux de recherche qui pourraient à présent se saisir de ces thématiques.

102Léna BOUILLARD

103Université Lyon 2

104Master EGALITES (Études de Genre Analyses Lectures Interdisciplinaires pour Tisser l’Égalité dans la Société)

105lena.bouillard@gmail.com

Gabrielle Schütz (2018), Jeunes, jolies et sous-traitées : les hôtesses d’accueil, La Dispute, coll. « Travail et salariat », Paris, 244 p.

106Dans cet ouvrage issu de sa thèse, Gabrielle Schütz dresse un fin portrait du groupe professionnel des hôtesses d’accueil. Emblématique du salariat féminin d’exécution, celui-ci révèle comment le capitalisme met au travail féminité, jeunesse et beauté. En événementiel comme en entreprise, les hôtesses évoluent par ailleurs dans le cadre en plein essor de l’externalisation « à demeure », où les travailleurs ne sont pas sous l’autorité hiérarchique du client chez lequel ils interviennent. Se fondant sur sa propre expérience d’hôtesse stagiaire, ainsi que sur 85 entretiens qu’elle a réalisés, l’exploitation d’une base de données et une investigation sociohistorique, G. Schütz s’emploie à démontrer comment genre et externalisation du travail d’hôtesse contribuent ensemble à dévaloriser l’activité d’accueil ainsi qu’à instaurer de nouveaux rapports de domination au travail.

107Le premier chapitre éclaire le paradoxe de la dévalorisation de celles qui incarnent pourtant la vitrine de l’entreprise. En effet, essentiellement exercée par des femmes, l’activité d’accueil est considérée comme une activité non qualifiée, alors qu’elle recouvre des tâches qui requièrent nombre d’aptitudes techniques et générales. Or le recrutement des hôtesses s’opère surtout sur la base de critères physiques de « bonne présentation » et non sur des compétences spécifiques. Par les tâches qu’elles accomplissent, il semble aussi qu’on attende d’elles une continuation du rôle que l’on assigne aux femmes dans la sphère domestique, dans un contexte où leur position de prestataire leur impose, par définition, de rendre service. En outre, sourire et discrétion sont les attitudes stéréotypées attendues des hôtesses qui renvoient ainsi une image rassurante de la féminité. Enfin, les hôtesses doivent accepter d’être draguées car se prêter au jeu de la salacité fait aussi implicitement partie de leur fonction, ainsi dévalorisée par cette confusion permanente entre « rendre service » et « être au service de ».

108Dans le deuxième chapitre, G. Schütz revient sur l’histoire de l’« hôtessariat » en montrant comment les représentations collectives l’associent au stéréotype féminin et peinent à l’élever au rang de véritable métier. On apprend ainsi que les hôtesses d’accueil sont nées en France dans les années 1950, au carrefour de l’invention des relations publiques et de la promotion de la « réussite féminine », dans un contexte d’« humanisation » de l’entreprise qui a vu fleurir les écoles d’hôtesses, promettant aux jeunes femmes épanouissement personnel et compétence professionnelle. Définie à la fin des années 1960 comme la « parfaite maîtresse de maison, […] celle qui crée la sympathie dans l’accueil et les relations », l’hôtesse a dès lors endossé un rôle très large recouvrant des réalités bien différentes d’une entreprise à l’autre, allant de la décoration à l’interprétariat en passant par le secrétariat. L’essentiel étant que l’hôtesse facilite le quotidien de ses employeurs. Un flou qui a contribué à dévaloriser l’activité, car derrière la revendication par les écoles d’hôtesses d’une nécessaire professionnalisation, la fonction a renvoyé d’emblée à des aptitudes « naturelles » couplées à une « bonne éducation », prenant la forme de charme, de tact, de distinction, de gentillesse, de beauté, etc. : autant de qualités subjectives, sans rapport avec des compétences professionnelles acquises et mises en œuvre.

109Le troisième chapitre analyse la fonction d’hôtesse depuis les années 2000, montrant comment travailler en prestation renforce cette dévalorisation, dans la mesure où l’externalisation a essentiellement permis économies et flexibilité au détriment de l’attention accordée au personnel. Or il n’est plus possible aujourd’hui de vivre de l’hôtessariat sans passer par un prestataire. L’externalisation, appelée sous-traitance dans les années 1980, s’est accélérée dans les années 1990, quand parallèlement le terrain de l’événementiel s’est étendu. Aujourd’hui plus des trois quarts des entreprises externalisent au moins une fonction de leurs services généraux, dans une logique de transfert des contraintes d’encadrement sur les prestataires. La division du travail ainsi déployée permet d’associer l’externalisation à plus d’efficacité et de productivité dans un contexte où les entreprises vantent leur capacité à faire des économies d’échelle pour améliorer leur rentabilité. En outre, l’externalisation permet aux entreprises de s’épargner toute la gestion du personnel et leur garantit en principe de ne jamais avoir de salariés inefficaces. Dans le cas des hôtesses, G. Schütz soutient donc que travailler en étant sous-traitées contribue à dévaloriser leur rôle puisque les entreprises prestataires d’accueil, d’une part, ne sont pas perçues comme offrant un vrai savoir-faire professionnel et, d’autre part, cherchent avant tout à rentabiliser leur activité. Dans cette logique, le recrutement des candidates se fait par un tri rapide, où évaluation esthétique, appréciation de l’élocution, examen de « personnalité » constituent les seuls tests pratiqués. L’externalisation renforce ainsi la déqualification de l’activité d’hôtesse, déjà fragilisée par la naturalisation des qualités requises reliées au genre féminin.

110Le quatrième chapitre propose un portrait des propriétés sociales des hôtesses. Si le profil idéal semble être « la jeune fille de bonne famille », il paraît évident que les jeunes femmes issues de milieu socio-économique élevé ne peuvent durablement occuper cette fonction. On pourrait en conclure qu’elle n’est exercée que comme job d’appoint par des étudiantes aisées ou des jeunes mères attirées par un temps de travail partiel. Or cette enquête révèle les profils en fait assez variés des hôtesses. Dans l’événementiel, ce sont majoritairement des femmes, jeunes, étudiantes ou exerçant par ailleurs une activité principale, dans le domaine artistique et culturel ou dans l’aviation : en somme bel et bien « des jeunes filles de bonnes familles ». Par ailleurs, les hôtesses en entreprise sont en moyenne moins jeunes et moins étudiantes que dans l’événementiel. Elles proviennent aussi de milieux moins aisés. L’accueil est plus souvent leur activité principale et elles envisagent leur travail d’hôtesse dans le long terme. Les entretiens réalisés par G. Schütz lui ont permis d’établir une typologie distinguant les hôtesses « de passage », les hôtesses « en transition » et les hôtesses « professionnelles » où, comme on peut intuitivement l’imaginer, celles de la dernière catégorie, s’inscrivant dans le long terme, vivent moins bien les contraintes liées à la condition de prestataire que leurs collègues exerçant dans le court terme. Les hôtesses « de passage » recherchent plutôt un revenu ponctuel là où les autres recherchent un emploi stable. Sans surprise, elles ont une vision plus négative de l’activité quand elles ont davantage d’ambition professionnelle. Quand elles sont « en transition », les hôtesses ne se considèrent pas elles-mêmes comme de « vraies » hôtesses. Leurs origines sociales sont en moyenne plus élevées que celles des hôtesses « professionnelles ». Elles exercent souvent leur activité d’hôtesse de manière secondaire et à temps partiel. Globalement, elles perçoivent bien les contraintes liées à la condition de prestataire mais ne semblent pas en souffrir. Surtout qu’elles défendent en général bien leurs intérêts, en termes de temps et de lieu de travail ainsi qu’en termes de types de mission dans l’événementiel. La satisfaction des hôtesses « en transition » varie selon qu’elles assument leur activité comme complémentaire ou qu’elles espèrent un autre emploi. Dans le premier cas, elles endossent leur rôle tout en se plaignant d’être souvent traitées de manière humiliante. Dans le deuxième cas, elles expriment majoritairement une frustration. Quant aux hôtesses « professionnelles », elles sont généralement en CDI en entreprise ou en CDD enchaînés dans l’événementiel. Elles sont moins diplômées et d’origine sociale plus modeste que les hôtesses « en transition ». Plus éloignées du type « jeune fille de bonne famille », elles plaisent néanmoins aux employeurs qui peuvent davantage compter sur leur engagement à long terme. Ni plus âgées ni plus anciennes que les hôtesses « en transition », elles ont en revanche toutes terminé leurs études et certaines ont déjà des enfants. En aucun cas elles exercent leur activité comme un appoint grâce à la possibilité du temps partiel, comme le vantent beaucoup de prestataires. Au contraire, elles aimeraient souvent décrocher un contrat à temps plein. Dans cette logique, les hôtesses « professionnelles » sont aussi plus promptes à accepter des tâches supplémentaires. Ce qu’elles vivent comme une marque de confiance. En tout cas, par-delà ces différences, entre celles qui exercent un « petit boulot » et celles qui font un « vrai travail », on constate que l’externalisation engendre un certain brassage social.

111Dans le cinquième chapitre, G. Schütz s’attarde sur les relations ambiguës des hôtesses avec leurs cheffes en se demandant quels sont les effets de l’externalisation « à demeure » sur l’encadrement. Dans un premier temps elle décrit les tâches et responsabilités des cheffes hôtesses, allant de l’organisation des opérations à la gestion des ressources humaines en passant par le suivi de clientèle. Elles exercent ainsi un encadrement à distance depuis le siège des prestataires et sont souvent responsables d’une centaine d’hôtesses. G. Schütz détaille ensuite une journée type dans une société prestataire d’accueil, où les échanges informels entre collègues ramènent quasi invariablement à des propos et attitudes stéréotypées : lecture collective de l’horoscope, discussions caricaturales sur les stéréotypes de genre, échanges sur la presse people, etc. Mais toujours sur un ton suffisamment libéré de la domination masculine qui leur permet d’imposer aux hôtesses leur propre définition de la féminité. Cette « connivence de genre » est mise en avant pour vanter la bonne nature des relations personnelles, où le rapport de subordination semble s’effacer au profit d’une meilleure organisation du travail. Mais c’est en réalité le maternalisme ambivalent qui semble régir les relations entre les hôtesses et leurs cheffes, où les « sympa » parmi les secondes ont par ailleurs tendance à dénigrer hypocritement les premières. Ces considérations déroutantes pour l’auteure à son arrivée en stage se révèlent plus compréhensibles à l’aune du contexte organisationnel du travail. D’abord, dans le cadre de l’externalisation, les responsables ont comme principale activité de gérer les affectations des hôtesses dans le stress lié au besoin fréquent de remplacements urgents, la réduction du nombre d’hôtesses affectées étant un effet direct de la course à la diminution des coûts des prestations vendues. Les responsables ont par ailleurs des marges de manœuvre limitées en termes de management. Leur fonction est donc difficilement tenable et il résulte de cette inadéquation entre pouvoir hiérarchique et pouvoir décisionnel un cercle vicieux où urgence, absentéisme et turnover se renforcent mutuellement. La « complicité féminine », voire le « chantage affectif », permettent alors de mettre de l’huile dans les rouages.

112Dans le sixième chapitre, G. Schütz se penche sur le subtil équilibre entre société prestataire et client, et analyse comment il est possible de « faire carrière » en tant qu’hôtesse dans ce contexte de l’externalisation « à demeure ». En événementiel, l’enjeu est de sortir du lot pour être embauchée le plus souvent possible. À cette fin, une hôtesse doit tout faire pour laisser un bon souvenir aux « bookeuses », quitte à y perdre du temps et de l’argent, en acceptant par exemple d’effectuer de très courts remplacements sur des sites éloignés. Pour donner le sentiment d’avoir bien compris que « travailler se mérite » et montrer ainsi sa docilité. Elle doit aussi être prête à « faire du copinage » pour maintenir ses chances d’être réengagée. Finalement, l’hôtesse doit se mettre en position de prestataire de services face à ses recruteurs. Devenant entrepreneuse, elle doit aussi se montrer bonne gestionnaire et diversifier ses contacts pour maximiser ses chances d’embauche. Les prestataires étant de leur côté enclins à recruter des hôtesses fidèles pour la stabilité de leurs services auprès des clients. En revanche ils sont moins disposés à accepter que les hôtesses travaillent pour d’autres prestataires, comme si la flexibilité et la marchandisation du travail trouvaient une limite dans la liberté réciproque qu’elles disent pourtant procurer. Ainsi, la garantie pour l’hôtesse de trouver régulièrement du travail repose essentiellement sur le fait de figurer dans le carnet d’adresses des prestataires. Dans l’événementiel on constate un lien d’emploi entre des prestataires et certaines hôtesses plus stable qu’en entreprise, où on est plus proche de l’équilibrisme. Parfois, l’hôtesse s’allie au client contre le prestataire, dans un fort sentiment d’appartenance à la société cliente du fait notamment de sa présence journalière. Même si s’appuyer sur le client ne garantit rien, puisqu’il n’est pas l’ultime décisionnaire. Il peut aussi arriver que le client et le prestataire se renvoient la balle quant à une décision à prendre concernant l’hôtesse, le client ayant ainsi la position confortable de ne pas prendre de responsabilité. Pour se protéger, l’hôtesse doit adopter une attitude standardisée, strictement conforme au cahier des charges. Elle peut aussi miser sur l’engagement du prestataire envers elle, en se référant systématiquement à lui pour mieux le ménager. Bref, l’hôtesse doit faire preuve d’ubiquité si elle veut faire carrière, une aptitude a priori liée au niveau d’études, les plus diplômées ayant visiblement plus de facultés à standardiser leur travail.

113G. Schütz conclut que si les hôtesses d’accueil rappellent les femmes à l’ordre du genre, cette enquête n’enrichit pas pour autant le concept de patriarcat car elle ne permet pas de mesurer le rapport entre féminisation de l’activité d’accueil et domination masculine. Elle passe d’ailleurs peut-être un peu vite sur le fait qu’en événementiel, les hommes sont parfois presque aussi nombreux que les femmes dans les fichiers de recrues, à rebours du cliché de ce métier. L’enquête souligne en revanche bien que dans le contexte actuel où le néolibéralisme durcit les rapports de classe, de race, de sexe et où la précarité frappe plutôt les femmes, les « professionnelles de l’accueil » sont souvent issues de l’immigration. Le turnover important peut laisser penser par ailleurs que l’activité se porte bien, même s’il est lié sans doute d’abord à un effet d’âge puisque les hôtesses sont recrutées dans leur jeunesse. Cette enquête est surtout très pertinente en ce qu’elle aide à cerner les contours d’une nouvelle forme de salariat : l’externalisation « à demeure », qui pousse à se vendre et maîtriser son image pour être performant·e et amoindrit le droit et les responsabilités patronales. Une tendance qui amène le lecteur à s’interroger avec curiosité sur l’évolution de cette relation d’emploi depuis l’explosion du statut de micro-entrepreneur.

114Alexandra FRÉNOD

115Sorbonne Université/Gemass, CNRS

116alexandra.frenod@cnrs.fr

Hélène Ducourant et Ana Perrin-Heredia (2019), Sociologie de la consommation, Armand Colin, coll. « Cursus », Paris, 223 p.

117Délicate tâche que celle de réaliser un manuel de sociologie de la consommation, à laquelle se sont attelées Hélène Ducourant et Ana Perrin-Heredia, sociologues respectivement spécialistes du crédit à la consommation et de la gestion budgétaire dans les classes populaires. D’abord parce que la littérature consacrée à la question est aussi pléthorique que les rayonnages d’un hypermarché. Mais aussi et surtout parce que la définition même de l’objet, la consommation, est en réalité loin d’aller de soi et nécessite un patient travail de déconstruction. C’est précisément à celui-ci que les deux autrices s’emploient, venant au passage combler un relatif manque dans l’espace éditorial. S’il existe en effet déjà quelques manuels francophones consacrés à cette question [38] qui présentent d’indéniables qualités pédagogiques et ouvrent sur de nombreux travaux – notamment du côté de l’anthropologie –, force est de constater que ceux-ci n’ont pas réellement pris à bras-le-corps cet enjeu épistémologique. Un enjeu qui est aussi indissociablement politique, comme y insistent bien les autrices, à la suite d’autres travaux, comme ceux de Louis Pinto consacrés à la genèse de la figure du consommateur [39].

118Le sens commun, qui déteint également largement sur la sphère académique, présente en effet une fâcheuse tendance à naturaliser une représentation du consommateur comme un individu autonome et responsable, proche finalement de l’homo œconomicus cher aux économistes néoclassiques. En témoigne la montée de la « cause » du consommateur, progressivement codifiée dans le droit et matérialisée par un secteur d’action public paradoxalement dépolitisé, parce que semblant transcender les affrontements partisans, à l’instar de quelques autres comme l’environnement ou le sport. Plus encore, cette souveraineté supposée du consommateur est invoquée pour légitimer certaines politiques, comme celle de la concurrence au cœur du marché unique européen, et justifier l’inaction des pouvoirs publics comme des firmes face à certains enjeux socio-écologiques (dérèglement climatique, faiblesse des rémunérations et statut d’emploi dégradé, etc.). « C’est le consommateur qui a le dernier mot », répondent ainsi en chœur les décideurs politiques et économiques placés devant leurs défaillances. Bref, derrière la naturalisation de cet individu consommateur se niche également celle du marché « parfait » de la théorie standard, cette forteresse scolastique qui n’en finit pas de résister aux assauts répétés des enquêtes empiriques des socio-économistes. Bien plus qu’un « simple » manuel se bornant à résumer scolairement une liste de travaux, l’ouvrage d’H. Ducourant et A. Perrin-Heredia apporte une nouvelle pierre à la destruction de l’édifice néoclassique en s’arrêtant sur cette activité a priori si banale que l’on s’abstient souvent de l’interroger : la consommation.

119Le livre s’organise autour de cinq chapitres qui abordent, sans prétendre à l’exhaustivité, cinq dimensions de cette question qui recouvre « une réalité complexe, dans laquelle se trouvent imbriquées des considérations économiques, familiales, sociales, politiques, etc. » (p. 7). « Comment aborder la consommation ? », questionne d’emblée par son intitulé le premier chapitre, qui commence par prendre appui sur plusieurs travaux historiques pour mettre à bas différents lieux communs tenaces tels que celui qui voudrait que la « société de consommation » ait émergé au XXe siècle ou que le « besoin » de confort serait au contraire vieux comme le monde. Sans prétendre trancher entre ces dernières, conformément à la réflexivité de leur entreprise, les autrices présentent ensuite plusieurs tentatives de définition sociologiques de la consommation, l’une comme culture matérielle dans le sillage des cultural studies, l’autre comme activité sociale encastrée dans les différentes appartenances sociales, et qui convergent à mettre en évidence l’impossibilité de dissocier les dimensions matérielle et symbolique de la consommation, comme son caractère éminemment collectif. Le deuxième chapitre, plus classique, revient sur les enquêtes pionnières et contemporaines qui se sont employées à objectiver la consommation, d’abord des familles, ouvrières en particulier, ensuite des ménages dans les enquêtes statistiques contemporaines. Les autrices mettent là encore en évidence le caractère problématique de certains postulats à ces travaux, tout heuristiques soient-ils, dans la mesure où les concepteurs de ces enquêtes plaquent sur les agents étudiés leurs propres catégories d’entendement, mais aussi une certaine normativité morale. D’où l’intérêt des travaux d’ethnocomptabilité, impulsés notamment par Florence Weber, qui partent des modes de raisonnement des agents eux-mêmes. Reste posés les problèmes de la définition des contours du collectif qui consomme ensemble, ainsi que celle des inégalités, de genre notamment, en son sein, que les autrices détaillent soigneusement. Le troisième chapitre fait voler en éclats une autre opposition canonique posée par la « science » économique : celle entre consommation et production. Les autrices développent ainsi largement les recherches autour de la mise au travail du consommateur initiées en 1980 par l’ouvrage d’Alvin Toffler, The Third Wave, où il introduit notamment le concept de « prosumer » qui fusionne ceux de producteur et consommateur, et qui ont été développés en France notamment par Marie-Anne Dujarier et Guillaume Tiffon, avec des perspectives cependant assez différentes. Les autrices détaillent ensuite certaines critiques adressées à ces travaux, notamment le caractère de nouveauté du phénomène qu’ils mettent en évidence, mais aussi plus profondément la possibilité même d’assimiler ces activités à un travail qui serait délégué aux consommateurs, dans la mesure où le rapport de subordination tend parfois à s’y inverser, comme le montre l’exemple du libre-service dans la distribution par rapport au comptoir de l’épicerie.

120La deuxième partie du chapitre est quant à elle consacrée à la construction conjointe et relationnelle de l’offre et de la demande sur les marchés, à partir d’une part des travaux de Pierre Bourdieu sur le champ économique, via l’exemple fameux du marché de la maison individuelle, et d’autre part de ceux inspirés davantage par la théorie de l’acteur-réseau qui s’intéressent aux formes de médiation qui se déploient sur les marchés concrets et qui équipent les consommateurs dans leurs « qualculs », où se confondent appréciations qualitatives et quantitatives. L’opposition entre travail et consommation est également battue en brèche par la quatrième partie, consacrée quant à elle à la place de la consommation dans la stratification sociale. Les autrices y présentent les travaux classiques de Thorstein Veblen, Norbert Elias ou Maurice Halbwachs notamment, mais aussi des travaux plus contemporains sur la grande bourgeoisie ou les pratiques alimentaires, qui mettent en évidence la signification sociale des pratiques de consommation, autrement dit la manière dont elles participent étroitement à la construction et l’entretien des hiérarchies entre groupes sociaux. Les autrices reviennent également bien évidemment sur les développements de Pierre Bourdieu dans La Distinction (1979) consacrés aux pratiques de consommation et qui mettent en évidence non seulement la liaison qu’entretiennent certaines entre elles et avec certains groupes sociaux en fonction de leur position dans l’espace social, elle-même déterminée par le volume total et la part respective de leurs capitaux économiques et culturels, mais aussi comment ces « goûts » différenciés et les dégoûts corollaires participent directement des luttes pour la prééminence sociale. Outre qu’elle met en évidence la dimension symbolique à travers la consommation des affrontements de classe contre une lecture qui les situerait exclusivement dans la sphère productive, une telle perspective remet aussi en cause la supposée liberté de choix du consommateur, qui est en fait largement influencée par les dispositions développées au fil de sa socialisation, mais elle interroge également l’intérêt d’envisager les pratiques de consommation les plus ordinaires comme des pratiques culturelles, et réciproquement, comme le soulignent les autrices après d’autres [40].

121Le cinquième et dernier chapitre propose à son tour de rapprocher deux catégories qui se repoussent généralement dans le sens commun, celles de consommation et de politique. Les autrices reviennent d’abord sur les expériences déjà anciennes – contrairement à ce que suggère là encore une certaine illusion de « nouveauté » – de consumérisme politique, qu’il s’agisse des mouvements de boycott, coopératifs ou des ligues de consommateurs, étudiées notamment par Marie-Emmanuelle Chessel [41]. Elles s’intéressent ensuite aux manières dont les actes de consommation peuvent servir de support de politisation à travers l’engagement dans des dispositifs prouvant des modes alternatifs de production et de consommation, et ce avec des degrés variables, qui vont de l’adhésion à une AMAP (Association pour le maintien de l’agriculture paysanne) à une transformation radicale du mode de vie dans la réalisation d’une « utopie concrète » de simplicité volontaire. Enfin, les autrices abordent la manière dont les pouvoirs publics se sont eux-mêmes emparés progressivement de la question de la consommation, en institutionnalisant d’une part la catégorie, et d’autre part en l’utilisant comme un instrument de « gouvernement des conduites », comme aurait dit Michel Foucault, d’autant plus efficace qu’il n’atteint formellement pas à la souveraineté des agents concernés [42]. Qu’il s’agisse des prescriptions à manger cinq fruits et légumes par jour ou à pratiquer un exercice physique régulier ou à se faire installer un compteur électrique Linky, ces dispositifs et bien d’autres visent à faire de leurs utilisateurs des « consommateurs intelligents » à même d’optimiser leur consommation, tant du point de vue de leur bien-être que de l’usage de leurs budgets. Une tendance également illustrée par le succès des « nudges » issus de l’économie comportementale et qui prétendent concilier paternalisme et libéralisme [43].

122En fin de compte, plus qu’un manuel de sociologie de la consommation, l’ouvrage d’H. Ducourant et A. Perrin-Heredia est un précieux rappel de la nécessité impérieuse de ne pas prendre les catégories léguées par le sens commun, la pensée d’État ou la théorie économique standard pour argent comptant, mais aussi sur la nécessité de décloisonner les disciplines et les champs en leur sein afin de saisir les multiples dimensions que revêt l’objet considéré. À partir du cas, si présent dans notre vie quotidienne, de la consommation, elles rappellent enfin et surtout que cette nécessaire réflexivité ne présente pas uniquement des enjeux heuristiques, mais également sociaux et politiques. On peut ainsi leur savoir également particulièrement gré de mettre en évidence les multiples controverses qui entourent chacun ou presque des enjeux présentés, tout en s’abstenant de trancher définitivement et quand bien même leur propre point de vue transparaît inévitablement. Bref, un livre à consommer sans modération…

123Igor MARTINACHE

124Université Paris-Diderot, Ladyss

125igor.martinache@u-paris.fr

Notes

  • [1]
    Peter Doeringer et Michael Piore (1971), Internal Labor Markets and Manpower Analysis, Heath Lexington Books, Lexington, réédition (1985), Armonk, M. E. Sharpe
  • [2]
    Marc Maurice, François Sellier et Jean-Jacques Silvestre (1982), Politiques d’éducation et organisation industrielle en France et en Allemagne, PUF, Paris.
  • [3]
    Michael Lipsky (1980), Street-Level Bureaucracy: Dilemmas of the Individual in Public Services, Russel Sage, New York.
  • [4]
    Olivier Godechot (2001), Les traders, La Découverte, Paris.
  • [5]
    Natascha Van der Zwan (2014), « Making sense of financialization », Socio-Economic Review, vol. 12, n° 1, p. 99-129.
  • [6]
    Alain Desrosières (2008), Pour une sociologie historique de la quantification, Presses des Mines, Paris.
  • [7]
    Fabrice Bardet (2014), La contre-révolution comptable. Ces chiffres qui (nous) gouvernent, Les Belles Lettres, Paris.
  • [8]
    Ève Chiapello (2015), « Financialisation of Valuation », Human Studies, vol. 38, n° 1, p. 13-35.
  • [9]
    Michael Power (1997), The Audit Society. Rituals of Verification, Oxford University Press, Oxford.
  • [10]
    Wendy N. Espeland, Mitchell L. Stevens (2008), « A Sociology of Quantification », European Journal of Sociology / Archives européennes de sociologie, n° 49, p. 401-436.
  • [11]
    Marion Fourcade, Rakesh Khurana (2013), « From social control to financial economics: The linked ecologies of economics and business in twentieth century America », Theory and Society, vol. 42, n° 2, p. 121-159.
  • [12]
    Pierre Bourdieu (1987), Choses dites, Minuit, Paris.
  • [13]
    Marcel Mauss, « Essai sur le don : forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques », in Sociologie et anthropologie, PUF, Paris, 1950 [1923-1924], p. 148.
  • [14]
    « Le triomphe de l’intérêt individuel […qu’]on peut presque dater – après Mandeville [a amené à ce que] nos sociétés d’Occident […] ont, très récemment, fait de l’homme un “animal économique” » (M. Mauss, Essai sur le don, op. cit., p. 271).
  • [15]
    Ivan Illich (1973), La convivialité, Seuil, Paris.
  • [16]
    Ibid., p. 50.
  • [17]
    Ibid., p. 153.
  • [18]
    Voir par ex. François Flahault (2018), L’Homme, une espèce déboussolée : anthropologie générale à l’âge de l’écologie, Fayard, Paris.
  • [19]
    M. Mauss, Essai sur le don, op. cit., p. 278.
  • [20]
    A. Caillé (2000), Anthropologie du don, La Découverte, Paris, p. 21.
  • [21]
    Voir par exemple, Albert Bastenier (2003), « À propos de l’Anthropologie du don d’Alain Caillé », Recherches sociologiques, n° 3, p. 23-30.
  • [22]
    A. Caillé, Anthropologie…, op. cit., p. 13, 20, 183.
  • [23]
    H. Rosa (2018), Résonance, La Découverte, Paris.
  • [24]
    Laure Bereni (2009), « “Faire de la diversité une richesse pour l’entreprise”. La transformation d’une contrainte juridique en catégorie managériale », Raisons politiques, vol. 35, n° 3, p. 87-105.
  • [25]
    Joan Acker (2006), « Inequality regimes: gender, class and race in organizations », Gender and Society, vol. 20, n° 4, p. 441-464.
  • [26]
    Rosabeth Moss Kanter (1977), Men and women of the corporation, Basic Books, New York.
  • [27]
    Alison Woodward (2004), « Building Velvet Triangles: Gender and Informal Governance », in Simona Piattoni et Thomas Christiansen (dir.), Informal Governance and the European Union, Edward Elgar, Cheltenham, p. 76-93.
  • [28]
    Sophie Pochic et al. (2019), L’égalité professionnelle est-elle négociable ? Documents d’étude DARES, n° 131 et 132.
  • [29]
    Cécile Guillaume, Sophie Pochic (2007), « La fabrication organisationnelle des dirigeants : un regard sur le plafond de verre », Travail, genre et société, vol. 17, n° 1, p. 79-103.
  • [30]
    Yannick Le Quentrec (2013), « Militer dans un syndicat féminisé : la sororité comme ressource », Travail, genre et sociétés, vol. 30, n° 2, p. 53-72.
  • [31]
    Sophie Pochic (2018), « Féminisme de marché et égalité élitiste ? », in Margaret Maruani (dir.) Je travaille donc je suis. Perspectives féministes, La Découverte, Paris, p. 42-52.
  • [32]
    Catherine Rottenberg (2014), « The rise of neoliberal feminism », Cultural Studies, vol. 28, n° 3, p. 418-437.
  • [33]
    Sharon Mavin, Gina Grandy (2019), « Women leaders, self‐body‐care and corporate moderate feminism: An (im)perfect place for feminism », Gender, Work & Organization, vol. 26, n° 11, p. 1546-1561.
  • [34]
    Convert Bernard, Ducourant Hélène, Eloire Fabien (2014), « Faire de la sociologie économique avec Pierre Bourdieu », Revue française de socio-économie, vol. 13, n° 1, p. 9-22 ; Duval Julien, Garcia-Parpet Marie-France (2012), « Les enjeux symboliques des échanges économiques », Revue française de socio-économie, vol. 10, n° 2, p. 13-28 ; Éloire Fabien et al. (2014), « Comptes rendus d’ouvrages : Pierre Bourdieu, Sur l’État. Cours au Collège de France 1989-1992, Paris, Raisons d’agir/Seuil, coll. “Cours et travaux”, 2012, 657 p. », Revue française de socio-économie, vol. 13, n° 1, p. 303-318 ; Steiner Philippe (2018), « Les sociologies économiques relationnelles : réflexions sur trois ouvrages récents », Revue française de socio-économie, vol. 21, n° 2, p. 185-196.
  • [35]
    Bourdieu Pierre (1993), « Esprits d’État. Genèse et structure du champ bureaucratique », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 96-97, n° 1-2, p. 49-62.
  • [36]
    Voir Pierre-Paul Zalio (2013), « Sociologie économique des entrepreneurs », in Philippe Steiner et François Vatin (dir.), Traité de sociologie économique, Presses universitaires de France, Paris ; et Jean-Jacques Gislain (2012), « Les origines de l’entrepreneur schumpétérien », Interventions économiques, n° 46.
  • [37]
    Voir Sarah Abdelnour (2014), « L’auto-entrepreneuriat : une gestion individuelle du sous-emploi », La nouvelle revue du travail, vol. 5 et Fanny Darbus (2008), « L’accompagnement à la création d’entreprise. Auto-emploi et recomposition de la condition salariale », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 175, n°5, p. 18-33.
  • [38]
    Voir notamment Benoît Heilbrunn (2015), La consommation et ses sociologies (3e éd.), Armand Colin, Paris, et Vincent Chabault (2017), Sociologie de la consommation, Dunod, Paris.
  • [39]
    Louis Pinto (2018), L’invention du consommateur, PUF, Paris.
  • [40]
    Voir par exemple Bernard Lahire (2009), « Entre sociologie de la consommation culturelle et sociologie de la réception culturelle », Idées économiques et sociales, n° 155, p. 6-11.
  • [41]
    Voir notamment Marie-Emmanuelle Chessel (2012), Consommateurs engagés à la Belle Époque. La Ligue sociale des acheteurs, Presses de Sciences Po, Paris.
  • [42]
    Voir notamment Sophie Dubuisson-Quellier (2016), Gouverner les conduites, Presses de Sciences Po, Paris.
  • [43]
    Voir Igor Martinache, Philippe Roman et Géraldine Thiry (2019), « Le paradigme comportemental, un nouvel impérialisme économique ? », Revue française de socio-économie, n° 22, p. 7-17.
  1. Michael J. Piore et Andrew Schrank (2018), Root-Cause Regulation. Protecting Work and Workers in the Twenty-First Century, Harvard University Press, Cambridge, Mass., XIV-207 p.
  2. Valérie Boussard (ed.) (2017), Finance at work, Routledge, Taylor & Francis Group, coll. « Routledge International Studies in Money and Banking », London, New York, 264 p.
  3. Alain Caillé (2019), Extensions du domaine du don : demander, donner, recevoir, rendre, Actes Sud, coll. « Questions de société », Arles, 334 p.
    1. Distinguer socialité primaire et socialité secondaire
    2. Une théorie maussienne des mobiles de l’action humaine
    3. Perspectives sur le convivialisme
    4. Jeu symbolique ou résonance ?
  4. Nathalie Lapeyre (2019), Le nouvel âge des femmes au travail, Presses de Sciences Po, coll. « Académique », Paris, 207 p.
  5. Anne Jourdain et Sidonie Naulin (2019), La sociologie de Pierre Bourdieu (2 e édition), Armand Colin, coll. « Cursus », Paris, 192 p.
    1. La sociologie bourdieusienne de l’État
    2. La sociologie bourdieusienne de l’économie
  6. Anne Le Roy, Emmanuelle Puissant, François-Xavier Devetter et Sylvain Vatan (2019), Économie politique des associations : transformations des organisations de l’économie sociale et solidaire, De Boeck Supérieur, coll. « Ouvertures économiques », Louvain-la-Neuve, 264 p.
  7. Julie Landour (2019), Sociologie des Mompreneurs : entreprendre pour concilier travail et famille ? Presses universitaires du Septentrion, coll. « Le Regard sociologique », Villeneuve-d’Ascq, 184 p.
  8. Gabrielle Schütz (2018), Jeunes, jolies et sous-traitées : les hôtesses d’accueil, La Dispute, coll. « Travail et salariat », Paris, 244 p.
  9. Hélène Ducourant et Ana Perrin-Heredia (2019), Sociologie de la consommation, Armand Colin, coll. « Cursus », Paris, 223 p.
Mis en ligne sur Cairn.info le 16/06/2020
https://doi.org/10.3917/rfse.024.0231
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