CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 – Introduction

1Dans de nombreux pays, les institutions financières sont devenues l’un des moteurs du fonctionnement des écoles privées et publiques [Ball, 2007 ; Montagutelli, 2008 ; Santori et al., 2016]. Dans le cas des écoles privées, la création, l’acquisition et l’exploitation d’écoles d’enseignement général sont en effet à travers des entreprises, des chaînes et des marques d’écoles, comme les Edison schools aux États-Unis ou les services éducatifs du groupe britannique Pearson, une des cibles des investisseurs institutionnels. Les écoles privées dites « internationales » par leurs programmes et/ou leurs clientèles, ont en particulier été le lieu de déploiement de l’« edubusiness » [Ball, 2012] et la place des firmes multinationales qui gèrent des établissements scolaires au sein du secteur des écoles internationales est désormais établie. Les estimations restent rares et non univoques mais, en 2013, le bureau d’études sur l’éducation internationale ISC Research évalue que dans le monde, sur 6 400 écoles internationales primaires et secondaires générant 20,8 milliards US$ de revenus, plus de la moitié relèvent du secteur lucratif [Brummitt et Keeling, 2013]. À côté des écoles indépendantes et des opérateurs locaux, on compte six principales multinationales de l’éducation internationale en 2015 [Waterson, 2015]. Celles-ci sont en général détenues par des fonds d’investissement.

2Les fonds d’investissement misent sur la « stabilité » et la croissance du secteur éducatif en pariant sur deux paramètres : la rentabilité régulière et à court terme des frais de scolarité ainsi que la généralisation des études, en particulier dans les pays du Sud. Les investisseurs institutionnels privés financent aussi les reprises d’écoles privées qui connaissent des difficultés financières. Ils effectuent en quelque sorte un placement dans le domaine des mobilités professionnelles internationales, en comptant sur l’élévation de la demande d’une « éducation internationale » dans les grandes métropoles. Si, dans l’enseignement secondaire en France, les écoles privées hors contrat détenues par un fonds d’investissement sont très minoritaires [1], en Suisse au contraire, et c’est le cas analysé dans cet article, plusieurs écoles secondaires privées, très onéreuses et au recrutement très international, ont fait l’objet d’acquisitions en chaîne ces dernières années.

3La part de l’enseignement privé international dans l’enseignement secondaire est particulièrement importante dans les cantons de Vaud et de Genève (cf. figure 1). En 2012-2013, à Genève, sur un total de 2 702 élèves de l’enseignement secondaire général supérieur [2] scolarisés en école privée, 83 % sont scolarisés dans une école dite « internationale », c’est-à-dire proposant au moins un programme étranger au programme local [3]. Ils représentent 15,3 % des élèves de secondaire supérieur général, public et privé confondus, dans le canton. Dans le canton de Vaud, à la même date, parmi les élèves de l’enseignement général, 72 % des élèves de secondaire supérieur scolarisés en école privée (soit 1 578 élèves) suivent un programme étranger au programme local, 84 % d’entre eux sont étrangers. Les élèves de plus de 15 ans qui suivent un programme secondaire étranger représentent 20,4 % des élèves en formation générale dans le secondaire II dans le canton [4]. Plus généralement, en 2012, dans les deux cantons, on peut estimer à un peu plus de 17 000 les élèves de degré primaire et secondaire scolarisés dans des écoles privées internationales (proposant au moins un cursus secondaire non local). Parmi eux, environ 20 % sont alors scolarisés dans une école détenue par une multinationale [5].

Figure 1

Les écoles Nord Anglia parmi les écoles secondaires internationales dans les cantons de Vaud et de Genève en 2012

Figure 1

Les écoles Nord Anglia parmi les écoles secondaires internationales dans les cantons de Vaud et de Genève en 2012

4Comment la fabrique du profit s’exprime-t-elle dans le secteur de l’éducation ? La concentration financière de l’éducation à but lucratif (« education for profit »), notamment dans l’enseignement secondaire, a jusqu’à présent conduit à de rares travaux. La plupart explorent la dimension mondiale du phénomène en présentant les différents acteurs impliqués [Steketee, 2004 ; Ball, 2012 ; Waterson, 2016]. D’autres analysent, à partir de plusieurs études de cas, les investissements des multinationales dans des écoles privées où les frais de scolarité sont peu élevés, dans des pays du Sud où les écoles privées occupent une place centrale par rapport à l’école publique [Verger et al., 2017]. Mais, ce faisant, ces recherches négligent de regarder ce qui se passe au sein des écoles et la nature des différents processus sociaux qui accompagnent ces rachats. Cet article explore ainsi les conditions d’ancrage local de ce type d’investissement et la manière dont les acquisitions financières redéfinissent les rapports qu’entretiennent les acteurs avec les établissements. Le recours à des matériaux recueillis auprès des salariés d’une école de Nord Anglia et l’exploitation des trajectoires socio-historiques de trois écoles du groupe permettent de saisir les configurations spatiales et régionales des phénomènes financiers dans l’enseignement secondaire (cf. encadré 1). Ces écoles dites internationales sont des écoles élitaires par les types de programmes offerts, et socialement sélectives par leurs recrutements, mais les transactions symboliques et financières à l’œuvre dans les rachats ont aussi des implications qui dépassent le strict domaine de l’éducation des élites. Il s’agit dans cet article de comprendre comment les acteurs éducatifs « font sens de la financiarisation » [van der Zwan, 2014], et plus précisément comment ils définissent dans un contexte de reprise financière, ce qu’est une « école » et leur école, en tant que bien qui se construit et s’échange.

Encadré 1. Méthodes et sources

Cet article repose sur une enquête menée auprès de 12 pensionnats secondaires de Suisse romande entre juin 2012 et octobre 2014, dont une des traditions est d’accueillir des élèves étrangers issus de milieux très aisés en pensionnat. L’enquête s’est déroulée auprès d’anciens élèves, enseignants, tuteurs et cadres des établissements, à partir d’entretiens et d’observations sur les campus. L’exploitation des archives et sources recueillies auprès des écoles et des autorités cantonales a également permis un travail quantitatif et qualitatif. Au cours de l’enquête, l’acquisition de quatre établissements privés par une multinationale est progressivement devenue centrale pour saisir les dynamiques récentes de l’enseignement privé local. Cet article revient sur cet imprévu de terrain.
Je m’appuie ici sur une quinzaine d’entretiens réalisés avec les cadres dirigeants et une quinzaine d’entretiens réalisés avec les enseignants et tuteurs, mais aussi sur les canaux d’information financière et économique tels que les rapports annuels de Nord Anglia (2014 et 2016), la presse économique et la presse généraliste et spécialisée entre le début des années 2000 et 2016. Ces dernières se font notamment l’écho des négociations et des mouvements financiers de l’enseignement privé. Par souci d’anonymat des interlocuteurs internes aux écoles, les noms des établissements scolaires, des directeurs d’établissement et des acteurs interviewés ont été modifiés. Les noms des acteurs extérieurs aux écoles (PDG de groupes, etc.) ne sont, eux, pas modifiés.

5À la différence des marchés scolaires où se définissent une offre et une demande de scolarisation [Felouzis et al., 2013], étudier des « marchés d’écoles » où se rencontrent une offre d’écoles (à vendre) et une demande d’écoles (à acheter) implique de s’intéresser aux caractéristiques sociales des acheteurs et des vendeurs, à leurs interrelations et aux biens et services qui font effectivement partie de la transaction. À travers le bien « école », sont visés des biens pédagogiques (les matériels scolaires, les savoirs et savoir-faire attachés à un personnel enseignant), les dimensions symboliques et réputationnelles attachées aux écoles, les services d’enseignement et les titres scolaires qui sont générés, mais aussi les biens fonciers et immobiliers qui participent à la valeur matérielle des établissements et à leur capital symbolique. L’enjeu est ainsi de prendre au sérieux les pratiques qui consistent à « transformer les entreprises en marchandises » [Ho, 2017], sans toutefois s’en tenir au métarécit des opérations économiques ni transposer par analogie les raisonnements sur l’entreprise à ceux de l’école. Il s’agit d’analyser comment l’arrivée de nouveaux acteurs financiers et managériaux et de nouvelles définitions de l’entreprise donne lieu à une série d’échanges marchands hétérogènes (qui concernent les enseignements, mais aussi les enseignants et les locaux) et, ce faisant, à des requalifications symboliques des écoles, aussi bien du côté des acteurs financiers que des enseignants et des personnels d’encadrement des établissements. Les requalifications symboliques peuvent être abordées comme une des dimensions des processus de financiarisation, celle qui désigne, comme le rappelle van der Zwan [2014], l’ensemble des discours qui accompagnent l’arrivée d’acteurs financiers dans un secteur, et dont la production et la diffusion sont en partie indépendantes des transformations et des performances managériales des entreprises. Cette production discursive n’est pas non plus désencastrée de structures sociales plus larges : elle participe à la « gestion symbolique » de la valeur actionnariale à l’échelle des entreprises [Fiss et Zajac, 2006] et plus généralement à reconfigurer l’économie symbolique des institutions.

2 – Des écoles internationales aux pensionnats de Suisse romande

6Depuis une quinzaine d’années, la financiarisation de l’éducation a touché le secteur des écoles dites internationales. Les écoles primaires et secondaires qui revendiquent l’appartenance à ce secteur sont très variées : ce sont parfois des établissements qui proposent des contenus d’apprentissage explicitement « internationaux » ou « globaux », et parfois seulement des programmes nationaux différents des programmes locaux ; ce sont dans certains cas des écoles qui accueillent des élèves de diverses origines nationales [Hayden et Thompson, 2000 ; Resnik, 2012], dans d’autres des élèves d’une nationalité majoritaire. Ces écoles attirent soit des clientèles locales aspirant à un enseignement différent de l’enseignement du pays ou à une « ouverture au monde » [Nogueira et Aguiar, 2008 ; Weenink, 2008], soit les enfants de cadres internationaux installés sur place [Wagner, 1998], le plus souvent les deux. Ce qui rassemble ces établissements est, pourrait-on dire, de proposer une offre scolaire qui a une valeur en dehors du système éducatif local et qui s’adresse en particulier à des classes moyennes et supérieures ayant un style de vie (ou des aspirations à un style de vie) lié à une mobilité géographique internationale. Les écoles des degrés primaire et secondaire qui se définissent comme « internationales » sont souvent situées dans des grandes métropoles et elles peuvent être reliées par des réseaux de type commercial (les écoles Shell pour les enfants des personnels de l’entreprise par exemple), à but non lucratif (les United World Colleges), étatique (les lycées français de l’étranger, les écoles japonaises à l’étranger) ou par des organisations internationales (les IB schools de l’IBO). Comme le montre Leonora Dugonjic, la croissance de ce secteur et en particulier de l’IB – 802 écoles accréditées par l’International Baccalaureate entre 2000 et 2007 dans le monde, soit autant que les trois décennies précédentes – a accompagné la création de nouveaux cursus ou la diffusion de nouvelles formes d’élitisme scolaire [Dugonjic, 2014]. Elle a aussi conduit à l’essor de régulations gestionnaires par des labels et des accréditations privées. Au sein de ce secteur, les établissements secondaires internationaux qui font partie d’alliances commerciales, comme les écoles du groupe Nord Anglia, ont été intégrés à des réseaux de financement internationaux.

7Les pensionnats privés de Suisse romande ont une chronologie assez particulière dans l’espace des écoles internationales. Ces établissements sont en effet réputés pour avoir accueilli l’aristocratie et la bourgeoisie européennes dans la tradition du Grand Tour [Tissot, 1999 ; Pinçon et Pinçon-Charlot, 2006]. Pendant une grande partie du xxe siècle, l’envoi en pension suisse a ainsi constitué l’un des passages obligés de l’enfance des familles dominantes. Aujourd’hui, l’éducation par le voyage et le cosmopolitisme européen [Wagner, 2007] sont toujours revendiqués, mais dès lors qu’on regarde leurs publics et leur offre scolaire, ces héritages apparaissent plus contrastés. Les pensionnats étudiés, pour la plupart créés à la fin du xixe siècle ou au début du xxe, proposent un agencement de plusieurs cursus non locaux, parmi lesquels les programmes secondaires états-unien, britannique et français, ainsi que le Diploma Programme de l’International Baccalaureate (IB). Ils accueillent, depuis les années 1970, davantage de clientèles non européennes, d’Amérique du Sud, d’Europe de l’Est, des pays du Golfe et d’Asie. Ces écoles restent relativement spécifiques au sein des « écoles internationales » actuelles, car elles continuent de recruter directement auprès de familles fortunées, pour la très grande majorité, non suisses et non résidentes. Certains établissements ont néanmoins commencé à accueillir de plus en plus d’élèves externes, notamment des enfants d’expatriés et de cadres internationaux installés dans la région lémanique [6]. Les frais de scolarité en internat sont particulièrement élevés : en 2014, une année de scolarité en internat coûte entre 50 000 et 100 000 francs suisses (soit entre 45 000 et 90 000 euros), et jusqu’à 30 000 francs suisses en externat. Ces frais sont à la charge des parents et éventuellement, pour les expatriés sur place, de leurs employeurs multinationaux.

3 – Nord Anglia et Baring Private Equity Asia, détenteurs d’un « portefeuille d’écoles »

8Les prises de contrôle par des institutions financières, qui permettent de lever des fonds par leverage buy out, et donc d’assumer un fort taux de risque dans les premières phases de croissance, concernent la plupart des multinationales de l’éducation [Waterson, 2015]. Trois pensionnats et une école de jour ont été acquis depuis la fin des années 2000 par la multinationale de l’éducation Nord Anglia, qui exploite alors des écoles dans 15 pays.

9Nord Anglia est une société enregistrée aux Îles Caïman et dont le siège est à Hong Kong. Elle est la descendante de la société de management en éducation fondée en 1972 par un ancien enseignant irlandais, Kevin McNeany [7]. En recevant le soutien du parti travailliste et du gouvernement face à l’opposition des principaux syndicats du service public [8], McNeany se fait connaître dans les années 1990 comme l’un des principaux acteurs de la privatisation du système éducatif britannique. Nord Anglia exploite alors également des écoles publiques (state schools) au bord de la faillite au nom des autorités locales britanniques. McNeany quitte la direction de Nord Anglia au début des années 2000, au moment où l’entreprise étend ses activités à l’étranger dans l’éducation privée. En effet, à partir des années 2000, Nord Anglia se met à exploiter des écoles privées « d’excellence » et passe en 2008 sous le contrôle de la société d’investissement Baring Private Equity (BPE) Asia (cf. encadré 2) [9] à travers la société à responsabilité limitée Premier Education Holdings Ltd qui est l’actionnaire principal de Nord Anglia (66,9 %) en 2016 [10].

Encadré 2. Baring Private Equity Asia

BPE Asia a été créée en 1997, en tant que filiale régionale de Baring Private Equity International, qui est alors la société d’investissement de la Banque Baring [14] spécialisée dans les marchés dits « émergents ». À la fin des années 2000, BPE Asia est devenue la plus grande société d’investissement en Asie, et elle est spécialisée dans le capital-développement et le rachat, l’expansion et la recapitalisation de sociétés de taille moyenne (mid-market buyout) de l’aire indienne et pacifique [15]. BPE Asia réalise des investissements majoritaires dans des secteurs très variés (construction, médias, immobilier, finance, TIC, santé, industrie), d’abord en Asie de l’Est et du Sud puis ailleurs, mais aussi des prises de contrôle dans des universités privées. Les entreprises d’éducation telles que Nord Anglia ont la particularité d’être en majorité des firmes transnationales [16], alors que dans les autres secteurs, les groupes sont surtout nationaux. Nord Anglia est cotée à la Bourse de Londres depuis 1997 et à la Bourse de New York depuis 2014.

10Entre 2012 et 2016, Nord Anglia triple son chiffre d’affaires annuel, qui passe de 274 à 856 millions US$. La direction et l’exploitation des écoles d’un « portefeuille d’écoles », selon l’expression en usage par la multinationale, sont ses principales activités [11]. L’augmentation des frais de scolarité dans les écoles du groupe est de 4 à 5 % chaque année depuis 2010 [12]. La population étudiante continue d’augmenter, quoique, en 2016, la « capacité productive » des « écoles filiales » selon les termes employés par Nord Anglia, est seulement de 67,5 % (autrement dit, 32,5 % des places sont vides dans l’ensemble des écoles) et la marge du groupe (calculée sur l’EBITDA [13]) s’élève alors à 24,2 %. Présentée comme de « hauts retours sur capital », cette marge est pourtant en baisse significative (conséquence de « l’ouverture d’un nouveau marché » au Vietnam). Les termes utilisés par la multinationale sont loin d’être neutres : ils participent d’un travail spécifique de construction des frontières de l’action financière et de la valeur financière dans le secteur éducatif. La transformation des institutions en marchandises [Boussard et Dujarier, 2017] passe par la construction de la valeur des écoles pour les actionnaires et par des opérations symboliques qui visent à décrire les écoles comme des entreprises comme les autres.

11Dans le rapport annuel aux actionnaires de 2016, Nord Anglia est décrit comme un « opérateur » d’écoles distinct des écoles « familiales » ou gérées par des fondations, lesquelles « se concentrent sur les résultats académiques et le prestige », et sont décrites comme « réticentes à augmenter leur capacité productive » [17] mais aussi comme ayant « laissé des opportunités significatives pour les compagnies privées ». Nord Anglia est ainsi présentée comme une entreprise qui, au contraire, « dirige des écoles avec de hautes exigences scolaires », mais qui se « préoccupe aussi de performances financières et de croissance » [18]. Être le « meilleur en finance » et le « meilleur en éducation » : le double objectif de la firme donne ainsi un aperçu du type de piliers à même de fonder un système scolaire privé en concurrence directe avec des systèmes scolaires nationaux. En assurant de la « supériorité de leur modèle économique » [19], la direction souligne la relative faiblesse de l’intérêt pour les questions proprement académiques. Sur son site internet, Nord Anglia promeut des valeurs et des pratiques éducatives qui sont devenues courantes dans les écoles internationales et qui fonctionnent comme signal auprès des clientèles : une « éducation personnalisée », une « communauté globale d’élèves », « l’excellence académique », « un développement total de l’enfant », l’apprentissage d’une « conscience globale », notamment à travers les services du « campus global » [20] que proposent les écoles Nord Anglia (les élèves et les écoles du groupe échangent entre eux, à travers des compléments d’enseignement en ligne auxquels les élèves peuvent se connecter « depuis n’importe où »). Les curriculum suivis au sein des écoles Nord Anglia ne sont, eux, pas détaillés. Or ils sont aussi définis par d’autres organisations : les programmes britanniques, français, états-unien, suisse, vietnamien et ceux de l’IB sont requalifiés en fournisseurs de programmes et de diplômes de fin de secondaire pour les écoles du groupe.

12Les résultats académiques ne font pas partie des critères d’admission dans les écoles du groupe [21]. Cette politique souligne la conception de l’élitisme éducatif du groupe scolaire, qui s’appuie sur une sélectivité sociale, l’attraction des enfants de cadres internationaux, bien plus que sur une sélectivité scolaire à l’entrée. Les résultats aux examens standards à la sortie de l’établissement sont néanmoins présentés comme supérieurs aux « moyennes globales » [22]. « L’excellence » et l’élitisme de ces écoles sont ainsi principalement définis par la performance des élèves telle qu’elle est mesurée par les classements internationaux des universités auxquelles ils accèdent. Le rapport de 2016 précise en effet que, cette année-là, un élève sur trois est entré dans l’une des 100 premières universités du classement mondial QS [23].

13Les rapports actionnariaux de Nord Anglia donnent à voir des pratiques qui contribuent à désingulariser [Karpik, 2007] les écoles et, ce faisant, l’éducation. Du point de vue de la présentation institutionnelle des écoles, les activités relatives à la production et à l’acquisition de titres scolaires par les élèves sont relativement invisibilisées. Une telle conception des écoles souligne d’une part en quoi la mise en avant de « l’excellence » des écoles passe par les performances et les classements, par les manières d’être et les dispositions « globales » des élèves, au moins autant que par une offre scolaire et des titres scolaires identifiables. Sur le marché des « écoles », la qualité propre et la qualification de l’enseignement ne donnent pas lieu à une valorisation particulière, et elles sont laissées en dehors des préoccupations actionnariales.

14Les stratégies immobilières du groupe font l’objet d’une attention particulière. Les dirigeants de Nord Anglia ne se contentent en effet pas d’acquérir des écoles et groupes d’écoles, ils défendent en particulier « l’efficience » de stratégies immobilières, foncières et financières. D’un côté, la direction fait valoir des stratégies d’investissements sur « terrain vierge » [24] et l’avantage stratégique gagné en construisant de toutes parts de nouvelles écoles « Nord Anglia » sur financement immobilier. De l’autre, l’acquisition d’écoles qui disposent déjà souvent d’un capital symbolique propre (leur nom, leur réputation), et surtout de bâtiments scolaires, repose non pas sur l’acquisition physique des campus, mais sur des contrats d’exploitation et des baux de long terme avec les vendeurs qui conservent la propriété immobilière des campus. C’est dans cette perspective que l’on peut saisir l’importance des enjeux fonciers, indissociablement symboliques et financiers, dans la reprise des écoles suisses.

4 – L’indépendance économique, antichambre de la financiarisation

15Les éléments de langage financiers mobilisés par la multinationale pour ses actionnaires ne s’écrivent pas sur une page blanche. Ils doivent être replacés au sein d’une histoire plus longue des pratiques marchandes et entrepreneuriales en matière d’éducation et de gestion d’écoles. Entre la fin du xixe siècle et la Seconde Guerre mondiale, la gestion des pensionnats de jeunes filles et de garçons de la région lémanique a été organisée autour de plusieurs piliers : le pouvoir local de « directeurs propriétaires » [Swann, 2007] qui disposaient parfois d’écoles à leur nom, la défense d’une profession libérale d’éducateur, des expériences et des modèles pédagogiques d’institution, une renommée et des relations fortement personnalisées avec les familles. Les directeurs ont également, en particulier dans le cas des pensionnats de garçons (devenus mixtes dans les années 1970), concentré le pouvoir de l’institution en valorisant des modèles entrepreneuriaux indépendants. Dans le canton francophone de Vaud en particulier, les autorités publiques sont très peu intervenues dans les contenus scolaires proposés et dans la gouvernance des écoles privées secondaires, et à aucun moment dans leur financement. La pérennité de ces écoles privées indépendantes s’est appuyée au xxe siècle sur un mode de régulation commercial avec les États cantonaux, l’intervention fédérale en matière d’éducation étant longtemps restée de très faible importance. Dans le canton de Vaud, la régulation de l’enseignement privé est longtemps passée par la recherche d’un consensus sur des bases économiques entre les milieux patronaux des pensionnats et les autorités de l’instruction publique. Doté de ses propres organisations syndicales, et notamment d’une association patronale forte, le secteur de l’enseignement privé du canton de Vaud s’est adossé à la tradition d’autorégulation des entreprises privées en Suisse, et plus généralement aux modalités sectorielles de fabrique du consensus État/secteur privé [Mach et al., 2006].

16Dans l’ensemble, les « directeurs-propriétaires » de pensionnats vaudois ont occupé et continuent d’occuper des positions de notabilité liées au statut reconnu à leur profession, à leur rôle d’employeur, et à un capital économique visible, et de plus en plus convoité. Ils sont en effet détenteurs, souvent sur plusieurs générations familiales, de biens fonciers et immobiliers conséquents : des domaines (parfois sur d’anciennes propriétés nobiliaires), des bâtiments scolaires anciens (villas et châteaux pour la plupart), des logements étudiants, voire des logements pour les enseignants [25]. La longévité des institutions s’est fondée sur la transmission et l’acquisition d’un patrimoine foncier important, dans des espaces à forte valeur patrimoniale et de villégiature (le long des lacs suisses, en montagne et à proximité de stations) et sur la production d’une image territoriale de la Suisse et de l’éducation suisse. Comme l’ont montré les entretiens réalisés avec les directeurs héritiers et propriétaires des lieux, la mémoire de l’institution est entretenue à travers la valorisation de la continuité d’un domaine, incarné par des familles, par un ancrage local, par des qualités architecturales, climatiques et paysagères.

17Avec le développement d’une économie touristique et hôtelière destinée aux clientèles internationales, la régulation de l’enseignement privé vaudois a depuis les années 1930 en grande partie été dominée par l’enjeu de l’accueil d’élèves issus de familles résidant à l’étranger ou expatriées en Suisse, ce qui a également contribué à favoriser l’indépendance des écoles face aux autorités publiques scolaires.

18Dans ce contexte, l’acquisition de plusieurs pensionnats et écoles privées par des groupes multinationaux en éducation constitue une rupture forte du point de vue des identités institutionnelles, mais aussi face à l’indépendance économique qui, durant la période antérieure, unissait les familles notables à la tête des pensionnats, leurs intérêts communs et leur pouvoir de négociation auprès des pouvoirs publics. Néanmoins, à un niveau macroéconomique, la « financiarisation » de ces écoles très éloignées des modes de régulation des autorités publiques s’inscrit dans la continuité des trajectoires institutionnelles des écoles. Celles-ci sont en effet marquées par des modes de gestion qui laissent une grande place au jeu des acteurs économiques, à la régulation patronale et à des pratiques entrepreneuriales, notamment en ce qui concerne les salaires et gratifications des personnels, le recrutement des enseignants, ou encore le marketing et la négociation aux fournisseurs (équipement, entretien, cantine, etc.). Maintenir une distance aux autorités sans perdre sa place dans le marché scolaire régional est un enjeu particulièrement fort, puisque les écoles internationales privées de jour (sans internat) [26], de plus en plus nombreuses, coopèrent de manière rapprochée avec les États cantonaux, en ajustant notamment les ouvertures de places aux politiques publiques visant à attirer des entreprises internationales entre Genève et Lausanne.

19Dans les années 2000, la vente des établissements permet à certains anciens instituts d’éviter la fermeture des internats et de pallier les difficultés de recrutement des élèves, mais aussi des enseignants et personnels internationaux. Le problème du recrutement des enseignants apparaît de manière récurrente depuis les années 1960 [27]. Ce problème devient de plus en plus marqué à partir des années 1990. Or l’arrivée de la multinationale va permettre de prendre en charge tout ou partie du recrutement des personnels enseignants et administratifs, à travers notamment la mobilité entre les écoles du groupe ou la participation à des salons de recrutement internationaux.

5 – La rente foncière et le secteur suisse : le cas de l’Institut du Vallon

20L’acquisition des quatre écoles suisses entre 2009 et 2011 intervient dans une phase de grande expansion de Nord Anglia, puisque celle-ci détient 9 écoles internationales en 2008 et 56 en 2018. La multinationale s’est installée en Suisse de manière progressive au cours des dernières années, en prenant le contrôle de l’enseignement et de la gestion dans des écoles reconnues pour leur ancienneté, sans acquérir les biens mobiliers et immobiliers. L’analyse de la trajectoire de l’école que nous appelons l’Institut du Vallon montre un des effets de la financiarisation sur la définition d’une « école », la distinction entre d’un côté, ce qui constitue son capital foncier (ou le capital physique, immobilier et mobilier, générateur de rentes), qui tire une partie de sa valeur de sa valeur symbolique et territoriale, et de l’autre, un capital-risque (les prêts effectués par les multinationales pour l’acquisition de l’école).

21L’Institut du Vallon, une ancienne école catholique des bords du lac Léman fondée au début du xxe siècle, est la première école suisse vendue à Nord Anglia. L’Institut du Vallon a un internat, or, à ce moment-là, les autres écoles du groupe sont des écoles internationales de jour. Cette école devient aussi la plus ancienne du groupe. En 2010-2011 s’ajoutent au « portefeuille » suisse de la multinationale trois autres écoles vaudoises et familiales anciennes : un pensionnat fondé en 1910, alors dirigé par les descendants de directeurs-propriétaires (« Montvert » dans la suite de l’article) ; une école internationale de jour récente, créée en 2008 ; et enfin, un établissement datant des années 1960 qui possède un internat et un grand externat, toujours dirigé par les descendants des fondateurs et directeurs-propriétaires (ceux-ci cèdent alors une partie de leur groupe multinational d’écoles à Nord Anglia).

22La trajectoire d’entreprise de l’Institut du Vallon est à proprement parler très courte, puisque jusqu’aux années 1990, il s’agit d’une école catholique gérée au sein des réseaux congréganistes. L’Institut accueille depuis ses débuts la bourgeoisie lausannoise, mais aussi des élèves envoyés de l’étranger, notamment francophones. Sans être directement intégrée au milieu patronal des pensionnats, l’école est reconnue de longue date parmi les directeurs-propriétaires. En 1998, l’exploitation est cédée par la congrégation religieuse exploitante à deux directeurs-propriétaires actuels de pensionnats internationaux de la région, Jean-Marie H., à la tête du collège Hautes-Rives, descendant de l’aristocratie française, par ailleurs ancien élève d’un pensionnat catholique de Genève, et Paul de C., un ancien cadre chez Swiss Air et ancien élève du Vallon, qui dirige alors le pensionnat Montvert dans les Préalpes vaudoises à la suite de son père. Jean-Marie H. et Paul de C. [28] acquièrent en même temps un droit de rachat pour reprendre les biens de l’Institut du Vallon. Au sein de la nouvelle équipe de direction, ces deux nouveaux propriétaires, associés à un chanoine et à un enseignant, nomment un ancien courtier en assurances à la tête de l’établissement. La transition juridique s’effectue d’abord par une diversification des sphères d’influence au sein de l’équipe de direction. Plusieurs registres de légitimité sont par là séparés : l’héritage symbolique religieux, la légitimité historique et économique de deux directeurs qui incarnent la réussite de l’enseignement privé vaudois, une légitimité interne enseignante et enfin une légitimité externe managériale. À la fin des années 1990, Jean-Marie H. et Paul de C. achètent à la congrégation les biens fonciers et immobiliers du campus historique de 40 000 m2 près du lac Léman. Dans les années 2000, les deux copropriétaires coordonnent les stratégies d’agrandissement et de redéploiement international de l’Institut, en ouvrant deux autres campus dans la région, en déployant l’offre scolaire de ces campus de manière verticale (avec une offre préscolaire) et horizontale (en introduisant les programmes anglophones). Les remaniements d’offre scolaire sont ainsi mis en place avant le rachat par la multinationale.

23Dans la vente de l’Institut du Vallon, les deux propriétaires et directeurs « établis » de pensionnats jouent le rôle de passeurs et de gardiens d’un marché régional. Lorsque les deux propriétaires cèdent l’exploitation de l’école à Nord Anglia, ils gardent les biens immobiliers et fonciers des campus. L’immobilier et le mobilier scolaires sont loués à la multinationale pour un bail de long terme pour 3,4 millions US$ annuels et une partie du foncier du campus continue par ailleurs d’être exploitée directement par les deux copropriétaires, à travers une entreprise secondaire qui propose des summer camps, colonies de vacances privées à destination des adolescents issus de familles aisées. Le contrat de location qui lie les propriétaires du campus à la multinationale a des implications sur les pratiques de rente sur un domaine. Reconnus localement pour leur ancienneté dans l’enseignement privé vaudois, les deux propriétaires maintiennent une continuité dans l’école, s’assurent que tout se passe bien, font des visites régulières et, comme le racontent les personnels de l’Institut Le Vallon, renforcent des liens déjà existants avec les personnels, ils « rassurent », ils « sont présents ». L’un des deux, le plus « présent », Paul de C., devient également un acteur à part entière de la multinationale. Il cède en effet la direction du pensionnat à capital familial Montvert à Nord Anglia, en prend la présidence au CA et devient en même temps membre de la direction de Nord Anglia, en tant que « président [Chairman] – Suisse », seul membre de la direction du groupe directement attaché à un territoire national [29].

24Parler de « financiarisation » des écoles consiste donc à regarder comment les frontières des intérêts financiers en éducation se construisent, en délimitant le rôle de l’enseignement (sa qualité, le type de programmes, la place de la sélection scolaire) dans l’école, mais aussi comment les intérêts financiers s’appuient sur et redéfinissent plus largement l’économie symbolique des écoles, qui est ici liée à leur ancienneté et à la défense d’une spécificité territoriale « suisse » et pédagogique. La différenciation des sources de revenus à partir de l’exploitation d’écoles a des effets sur les structures de pouvoir des organisations, qui s’expriment dans les relations qui unissent les vendeurs aux acheteurs. Le rachat implique des jeux d’échelle de la part des acteurs, et notamment de la part des directeurs de pensionnats et vendeurs, des reconversions de ressources acquises à l’échelle locale vers une échelle internationale, et une diversification de leur pouvoir social. La légitimité symbolique « spatiale » est aussi à l’échelle du « portefeuille suisse » de Nord Anglia, reconfigurée. Le maintien d’une rente de territoire sur l’éducation des enfants issus des familles très aisées et souvent très internationalisées constituait un registre d’action commun aux directeurs propriétaires et contribuait à unifier des pratiques entrepreneuriales. Cette rente devient une rente d’ancienneté pour la multinationale, mais aussi une rente foncière pour d’anciens directeurs propriétaires. Si les deux propriétaires fonciers de l’Institut du Vallon revendiquent toujours un statut d’entrepreneur et notable local, attaché au domaine et à l’ancienneté de l’école, ils participent à l’internationalisation et à la concentration financière des capitaux des établissements suisses. Ils jouent ainsi sur deux registres, en tant qu’acteurs et bénéficiaires de la vente, mais aussi en tant qu’acteurs historiques qui « maintiennent l’économie à distance » [Noël, 2012]. La redéfinition de l’économie symbolique des écoles passe également par les acteurs internes à l’établissement, tels que les enseignants, tuteurs d’internat et chefs de division.

6 – Les légitimités alternatives des acteurs éducatifs des établissements

25Les écoles sont-elles des filiales d’une multinationale ? Des « campus » d’une même école « Nord Anglia » ? Le « portefeuille industriel » d’une multinationale et de son fonds d’investissement ? Les manières de qualifier et de désigner les écoles font partie des « mises en cohérence » des organisations [Codaccioni et al., 2013] mais on peut supposer qu’elles varient aussi selon les acteurs impliqués, enseignants, tuteurs d’internat, directeurs des campus, anciens élèves ou parents et que tous visent à leur manière à stabiliser l’image et la « nouvelle » image de l’école, à connaître et reconnaître les orientations stratégiques, voire à assigner une place aux dimensions marchandes qui accompagnent le rachat.

26Le cas de l’éducation privée permet de combiner une approche par les résistances des acteurs à « l’économie standard » dans les secteurs culturels [Noël, 2012] et une approche par les positionnements symboliques dans les établissements scolaires qu’engendrent les transformations des modes de financement et les revenus d’exploitation. Les transformations des modes de légitimation de l’activité des acteurs des écoles étudiés s’expriment à travers de nouvelles « écritures institutionnelles » et économiques [Boni-Le Goff et Laurens, 2013] des pensionnats. Celles-ci produisent des incertitudes et des repositionnements pour les acteurs des écoles, en particulier pour les personnels d’encadrement et enseignants, qui sont désormais salariés par la multinationale. Analyser les productions symboliques économiques et financières en éducation implique de s’intéresser aux voies informelles par lesquelles les salariés en première ligne avec les élèves, les enseignants et acteurs des internats, qualifient et requalifient leur activité, ce qu’est une école et leur école. Il est difficile pour les acteurs rencontrés de s’accorder sur les termes qui désigneraient de manière univoque les « écoles » et ce que les multinationales leur « font ». Au-delà, ce sont aussi souvent les processus et les statuts nouveaux des écoles qui sont peu connus des acteurs eux-mêmes, ceux-ci trouvent alors leurs propres manières de désigner les redistributions des rôles et requalifications des pratiques après une vente. Cela contribue au travail de frontières internes et professionnelles entre catégories d’acteurs de l’éducation, enseignants et éducatifs, managériaux et financiers.

27Pour définir le rôle de Nord Anglia dans la gestion courante de l’établissement, les acteurs éducatifs des établissements, enseignants et travailleurs de l’internat, recourent à plusieurs expressions qui soulignent un des effets de la marchandisation de l’éducation dans l’établissement : les voies tortueuses de l’imposition et de la stabilisation d’un langage lié aux affaires. Pour ces acteurs, Nord Anglia est désigné avec distance comme le « gérant », un « groupe anglais », qui ne « va pas influer sur les leçons », mais qui « détient l’écolage », le « schooling », « l’exploitation », le « fonds de commerce », qui « s’occupe de l’enseignement », « des activités scolaires », ou encore de « l’opérationnel des études ». La diversité des termes employés pourrait se comprendre par rapport à la nouveauté et à la rapidité des processus de rachat. Ces interlocuteurs déclarent en effet ne pas connaître les stratégies immédiates du groupe multinational ni l’étendue de son pouvoir sur l’avenir de l’école. Mais il s’agit aussi de revendiquer pour l’établissement d’autres légitimités que celles défendues par le nouveau gérant.

28Les transformations qui ont accompagné le rachat ont été les plus fortes dans l’externat : turnover des enseignants, introduction de nouveaux programmes internationaux, de la langue anglaise à tous les niveaux et arrivée d’enseignants anglophones ne parlant pas français. Dans ce contexte, la « continuité » de l’Institut a, elle, été assurée par les personnels anciens et dévoués à l’école, qui ont défendu un héritage « local » à l’école, en particulier à l’internat.

29L’internat est présenté comme relativement autonome par rapport au reste de l’école et les directeurs se présentent eux aussi en patrons de l’internat. Corinne T., la directrice de l’internat, est franco-suisse. En parallèle d’une carrière d’enseignante d’anglais et d’allemand, elle a dirigé les internats de plusieurs pensionnats dans la région, avant de se consacrer uniquement à la direction d’internat. Elle assure la « transition » avec Nord Anglia et repousse son départ à la retraite au moment où l’organisation de l’internat fait l’objet de deux tentatives de restructuration. Ces deux échecs de restructuration permettent de saisir ce que les personnels désignent comme la stratégie de Nord Anglia : « Transformer l’école en une école internationale ». La mobilisation du personnel (et des élèves de l’internat) montre comment émerge une revendication paradoxale d’une vocation « locale » de l’école au sein d’un internat objectivement très « international » par les recrutements d’élèves.

30Premièrement, un nouveau directeur d’internat, de nationalité britannique, est recruté pour remplacer Corinne T. en 2011-2012. Ce nouveau boardingmaster a déjà une expérience longue des « pensionnats suisses », mais il ne parle pas français et les « enfants », selon Corinne T., « montent une cabale contre lui », « chahutent », « lui disent des insultes en français qu’il ne comprend pas ». Corinne T. qualifie l’échec de son remplaçant par l’inadaptation du pensionnat à un « modèle d’internat anglo-saxon ; une tentative de transformation de l’internat en « maisons » ou houses par analogie au prefect system des internats britanniques, lequel désigne des modes d’identification des élèves à leur groupe de résidence au sein de l’internat et un système de mise en concurrence ritualisée entre les élèves de différentes maisons. Corinne T. et les tuteurs ne soutiennent pas cette initiative.

31

« L’internat est inadaptable aux nouvelles logiques […] On a aussi eu une confrontation entre la vision internationale machin et la vision protectrice de l’internat, de former un groupe qui se soutient comme une famille. Il y a deux ans, il y a eu l’introduction du concept de maisons, de houses, qui est un truc complètement anglo-saxon, qui avait fait un tollé à l’internat. On n’a pas besoin d’avoir des maisons, à l’anglo-saxonne, c’est déjà une famille. Pourquoi est-ce qu’ils viennent nous embêter avec des concepts de maison, des écoles anglaises ? Ici cela ne sert à rien. Et d’ailleurs, les maisons cela ne marche pas à l’internat. »
[Entretien, Nicolas H., tuteur d’internat, Institut du Vallon, avril 2014]

32Autour de ces expériences se cristallise une logique de défense de l’internat comme étant « l’héritage » historique et religieux de l’école, et le refus de transformations qui iraient dans le sens d’une autre tradition ancienne, britannique, de l’internat [30]. « L’international », fonctionne ici comme repoussoir et renvoie à la fois à un mode de gouvernance fondé sur le profit et à l’imposition de modèles culturels à l’internat.

33

« On ne peut pas devenir une école internationale, parce qu’il faut qu’on conserve notre âme, notre… On a un lourd héritage du passé, on est une école connue […] dans le canton, même en Suisse. On a un héritage à poursuivre. »
[Corinne T., directrice de l’internat, Institut du Vallon, entretien 2013]

34Être une école « internationale » est également considéré comme incompatible avec la mise en œuvre d’un internat « familial ». Les acteurs de l’internat redéfinissent ainsi plus largement leur rôle et leur histoire collective comme ceux d’une « école régionale » ou « à taille humaine ».

35L’organisation de l’internat de l’Institut du Vallon repose sur une équipe de tuteurs et d’animateurs très hiérarchisée. L’équipe de travail est décrite comme « soudée », un « foyer de résistance », le « vrai » lieu de déploiement de la tradition « familiale » et de « l’esprit » de l’école, par rapport à l’externat. Cette opposition entre l’internat et l’externat permet de qualifier les changements matériels induits par la filialisation de l’école et son intégration au sein d’un groupe international qui a ses propres standards. La principale transformation de l’école à laquelle Corinne T. et son successeur Laurent C. (le successeur qu’elle désigne) consentent est l’ensemble des règles de sécurité des élèves. En effet, selon eux, si les standards de sécurité contraignent leur travail, ils ne le définissent pas. Leur travail réside plutôt, insistent-ils, dans la prise en charge « individualisée », dans un « dévouement aux élèves », en d’autres termes, dans un travail émotionnel et personnalisé : « Nord Anglia ou pas Nord Anglia, dans notre travail quotidien, il y a pas de changement. »

36Les oppositions des personnels ne se situent pas directement à un niveau financier ou économique, mais davantage face à ce qu’ils perçoivent généralement comme « l’internationalisation » de leur école : la transformation de l’organisation face à des processus d’accréditation de gestion et de valeur éducative « internationale ». L’expression de réserves et d’un avis face aux transformations de l’école passe pour les acteurs de l’internat, par une qualification du travail et de ce qui « marche » et « ne marche pas » à l’internat. En décrivant leur travail, ils font valoir des certificats d’authenticité « locale ». Le système de perception des personnels d’internat se construit en opposition à un certain nombre de caractéristiques objectives de l’institution : les tuteurs et directeurs de l’internat présentent la réputation et la portée sociale de l’établissement comme étant locales alors que l’internat recrute principalement ses élèves à l’étranger. Ils présentent l’internat comme « l’âme » de l’école, extérieure aux transformations économiques, alors même que l’internat est aussi la « partie » de l’école qui permet à la multinationale Nord Anglia de se placer sur un marché des « pensionnats internationaux » en Suisse, et où la marge économique de chaque place étudiante est, selon eux, la plus grande. Pour la direction de la multinationale au contraire, la valeur « suisse » de l’éducation à l’Institut du Vallon et « l’atmosphère familiale » [31] de l’internat sont promues comme des ressources distinctives, au service d’une définition « internationale » spécifique de l’école. En entretien, Laurent C. décrit ainsi « la Suisse » comme « la carte de visite » du groupe Nord Anglia. Les deux registres, familial et national, de définition de l’école, contribuent également à la désingularisation de l’établissement scolaire, lequel n’est pas défini par un rôle éducatif propre.

7 – Conclusion

37Le rachat d’écoles privées par une multinationale constitue un moment particulièrement intéressant à observer, car il donne lieu à un travail multiforme de redéfinition et de relégitimation de l’ensemble des parties prenantes des établissements – salariés, propriétaires, anciens et nouveaux, des écoles. Comme le montre le cas des pensionnats internationaux en Suisse, les définitions marchandes des écoles qui s’expriment à l’occasion des rachats sont encastrées dans des transformations entrepreneuriales, managériales et juridiques plus larges des établissements, et leur valeur « scolaire » (l’excellence, la sélectivité, les types de cursus) ne constitue alors qu’un élément parmi d’autres. Ces mécanismes interrogent la place qu’occupent les légitimités éducatives dans les stratégies des groupes multinationaux et, par conséquent, dans la fixation de la valeur constituée autour d’établissements scolaires, en tant que biens et services qui s’échangent.

38Dans le cas des établissements étudiés, on voit à plusieurs niveaux comment les acteurs, qu’ils adhèrent ou non aux objectifs financiers de la nouvelle direction, s’appuient sur les formes historiques qu’à pris la construction de la valeur de ces écoles anciennes de la bourgeoisie, pour négocier symboliquement et pratiquement le changement de statut des écoles. La valeur territoriale des écoles internationales « suisses » (dans un marché scolaire international des « boarding schools ») est convoquée pour défendre une spécificité et une qualité intrinsèque à chaque établissement. Mais, plus globalement, c’est la valeur tirée du statut indépendant des établissements pour les questions de propriété et d’exploitation, qui permet de comprendre les légitimités dont se saisissent les acteurs des établissements pour redéfinir leur école et requalifier leurs activités. Les établissements rachetés ont en effet jusque-là été indépendants face aux autorités scolaires locales en ce qui concerne les programmes enseignés, mais aussi dans leurs modes de gestion et de financement, puisque les chefs d’établissement sont aussi historiquement les propriétaires des écoles et campus. Les directeurs-propriétaires tirent notamment des rentes foncières de la vente, puisqu’ils retiennent la propriété immobilière, vendent l’exploitation de l’école, et louent les biens fonciers à l’entreprise internationale : ils sont aussi partie prenante de la financiarisation des écoles et intègrent dans certains cas l’équipe dirigeante de la multinationale. Pour les personnels de l’internat d’une des écoles étudiées, la défense d’une « indépendance » face à la multinationale Nord Anglia s’est articulée autour de la requalification de l’école en « école locale » par opposition aux autres « écoles internationales » du groupe. C’est ainsi autour de l’opposition construite entre « local » et « international » que se structurent les perceptions du rachat. La stabilité de la direction de l’internat de l’Institut du Vallon, le nombre limité de personnels, ou encore le fait que les activités de l’internat ne soient pas scolaires, expliquent en partie pourquoi les acteurs de l’internat ont été particulièrement mobilisés autour de l’héritage symbolique de l’école.

39Plus généralement, la « financiarisation » des pratiques liées à la gestion d’écoles est un phénomène multiforme et plus large, qui ne touche pas seulement les écoles achetées par des groupes multinationaux. En Suisse romande, elle concerne ainsi plus largement les autres écoles privées, les établissements au statut d’entreprise à capital familial et les écoles à but non lucratif, ne serait-ce que parce que les formations et trajectoires professionnelles en finance, souvent sans lien avec le domaine éducatif, sont de plus en plus courantes, et fortement valorisées dans les postes de management dans les écoles privées. Les écoles à but non lucratif voient également se diffuser des pratiques empruntées aux milieux financiers et liés à la philanthropie contemporaine. Dans certains établissements par exemple, les fondations qui les contrôlent donnent aux prises de risque financières un rôle central dans la gestion scolaire.

Notes

  • [1]
    L’École des Roches par exemple, école hors contrat en Normandie connue pour accueillir des élèves étrangers issus de familles fortunées et pour sa proximité historique avec les réseaux de l’Éducation nouvelle [Duval, 2009], a été acquise en 2013 par le groupe Global Education Management Systems, dont le siège est à Dubaï.
  • [2]
    Au sein de l’enseignement de secondaire supérieur (ou secondaire II) des systèmes scolaires cantonaux suisses, la formation générale est l’équivalent du lycée général et technologique en France, mais elle est suivie par une minorité de chaque classe d’âge. Ainsi, en 2010-2011, parmi 358 854 élèves scolarisés dans le degré secondaire II en Suisse, seuls 25,7 % suivent une formation générale. En 2017-2018, ils sont 27,2 %. Données issues de l’Office fédéral de la statistique (OFS) – Statistique des élèves et étudiants (SDL).
  • [3]
    Ces chiffres s’appuient sur les données de l’annuaire statistique du Service de recherche en éducation (SRED) de l’État de Genève (année scolaire 2012-2013, base de données scolaires nBDS). Pour les besoins de cette recherche, sont comptées ici parmi les « écoles internationales secondaires » les écoles proposant au moins un cursus et un diplôme de fin de secondaire, différents du programme général local (la maturité gymnasiale ou maturité suisse), pour les années qui correspondent au moment de l’enquête (2012-2014). Ainsi, en 2012-2013, les 32 écoles proposant des programmes de secondaire I et II (secondaire inférieur et supérieur) répondant à ce critère de diplôme non local sont des écoles privées. Elles ont des statuts juridiques variés : fondation, association (religieuse ou non), société appartenant à des directeurs propriétaires privés, et elles peuvent être liées à des États nationaux (l’école britannique, l’école japonaise).
  • [4]
    Ces calculs s’appuient sur les données issues du Service cantonal de recherche et d’information statistique (SCRIS) du canton de Vaud, StatVaud-OFS, base de données statistiques des élèves et étudiants (SDL).
  • [5]
    Étant donné que les systèmes statistiques scolaires sont différents entre les cantons de Vaud et de Genève, cette estimation s’appuie ici sur le recoupement du nombre d’élèves à la rentrée 2012-2013 déclaré sur les sites internet institutionnels, auprès du service de recherche en éducation (SRED) de l’État de Genève pour les écoles genevoises, et, pour les écoles qui en sont membres, auprès de la Fédération suisse des écoles privées (FSEP). Il s’agit d’une estimation à la baisse, puisque nous avons eu accès au nombre d’élèves de 30 écoles sur les 32 prises en compte.
  • [6]
    L’explication de la croissance du secteur d’éducation internationale par la demande croissante des expatriés est celle qui est retenue par la plupart des chercheurs sur l’éducation internationale [Hayden et Thompson, 2010].
  • [7]
    Issu d’une famille ouvrière, McNeany est l’un des principaux investisseurs privés en éducation au Royaume-Uni. En 2003, il se décrit dans The Guardian comme étant « fondamentalement un entrepreneur qui s’est retrouvé enseignant ». Enseignant d’histoire en Irlande puis à Leeds dans les années 1960, McNeany fonde plusieurs écoles privées de langues Nord Anglia. Il abandonne ses activités d’enseignant en 1977 pour se consacrer à la direction de Nord Anglia. Dans les années 1990, McNeany participe aux premières actions de privatisation de l’éducation publique : l’inspection des écoles et la privatisation de crèches et d’écoles maternelles. Wootliff B., « The teacher who made 15m pounds out of schools », The Guardian, 16 novembre 2003, http://www.theguardian.com/business/2003/nov/16/schools.education
  • [8]
    Beckett F., « Kevin McNeany », The New Statesman, 14 janvier 2002, vol. 131, n° 4570, p. 19.
  • [9]
    « Baring Private Equity Asia acquiert Nord Anglia Education PLC pour un montant total de 360 millions de US$ ». Communiqué de presse de Baring Private Equity Asia.
  • [10]
    En 2016, Nord Anglia comprend plusieurs entités et filiales qui lui permettent de contrôler les écoles-filiales selon les législations nationales où les écoles sont implantées. La plupart des écoles sont détenues à 100 % par Nord Anglia. Nord Anglia est minoritaire dans certains cas particuliers, en Thaïlande où la législation ne permet pas à des opérateurs étrangers d’écoles d’être majoritaires, pour l’école internationale de Beijing et quelques écoles au Qatar. La majorité des profits générés par les filiales de Nord Anglia est donc captée par Baring Asia.
  • [11]
    Nord Anglia tire plus de 95 % de ses profits des frais de scolarité. Par comparaison, le cas de GEMS Education (Global Education Management Systems) à Dubaï, qui dirige 71 écoles en 2014 et qui s’est également récemment installé en Suisse romande, montre des ressources plus diversifiées que celui de Nord Anglia, car ce groupe tire aussi une partie de ses revenus de ses filiales de conseil en éducation. Le cas de la firme éducative britannique Pearson l’est encore plus, car il s’agit à la fois d’une maison d’édition, d’un groupe de presse et d’une entreprise qui détient des écoles, vend des cours, formations et programmes informatiques.
  • [12]
    Cette croissance continue des frais de scolarité « excède le taux médian d’inflation dans les marchés » où sont situées les écoles [Annual report, Nord Anglia, 2016, p. 29]. En 2016, le rapport annuel de Nord Anglia réaffirme la « croyance » pour reprendre leurs termes, selon laquelle « les expatriés qui paient eux-mêmes et les familles locales aisées acceptent l’augmentation de nos prix à cause de l’importance qu’ils placent dans une éducation de qualité pour leurs enfants » [Annual report, Nord Anglia, 2016, p. 29, traduit de l’anglais].
  • [13]
    L’EBITDA (Earnings before interets, taxes, depreciation, and amortization) peut être considéré comme équivalent à l’excédent brut d’exploitation.
  • [14]
    Celle-ci fait faillite en 1995 et c’est alors la banque ING qui reprend la gestion de BPEP International.
  • [15]
    Directory of Venture Capital & Private Equity, Boogar Lists, 2011.
  • [16]
    BPE Asia détient quatre groupes éducatifs : outre Nord Anglia, Saint George University (une université américaine à Grenade et école de médecine de la « seconde chance » pour les étudiants en « pre-med » aux États-Unis), un groupe d’universités privées anglo-saxonnes (Educo qui a des campus en Australie, aux États-Unis et au Canada), ainsi que PSB Academy, un groupe d’universités privées à Singapour.
  • [17]
    Annual report, Nord Anglia, 2016, p. 26, traduit de l’anglais.
  • [18]
    Ibidem.
  • [19]
    Annual report, Nord Anglia, 2016, p. 28, traduit de l’anglais.
  • [20]
    Les expressions utilisées en anglais sur le site, ont été ici traduites de manière assez transparente : personalized education, academic excellence, global awareness, global campus.
  • [21]
    Le rapport annuel de Nord Anglia précise en 2016 que la plupart des écoles Nord Anglia « ne sélectionnent pas les élèves sur la base de leur compétence académique » [Annual report, Nord Anglia, 2016, p. 28, traduit de l’anglais].
  • [22]
    Ibidem.
  • [23]
    Édités par l’institut britannique Quacquarelli Symonds, les classements QS et en particulier le QS World University Rankings sont devenus l’un des acteurs majeurs de la mise en classement international des universités, avec celui de Shanghai (ARWU) et celui du Times Higher Education, ancien partenaire de QS.
  • [24]
    Nous transcrivons ici les propos du PDG Andrew Fitzmaurice sur le site de Nord Anglia « Nous continuons à œuvrer sur un terrain vierge d’opportunités [on an expanding pipeline of greenfield opportunities] ». Andrew Fitzmaurice, article « British International School of Chicago Opens New South Loop Campus », http://ir.nordangliaeducation.com, consulté le 20 novembre 2015.
  • [25]
    Ce n’était pas le cas des pensionnats de jeunes filles, très souvent dirigés par des femmes, qui louaient les bâtiments, villas et châteaux à des propriétaires locaux et où très peu de cas de transmission intergénérationnelle du commerce de pensionnat ont pu être recensés.
  • [26]
    À partir du début des années 1970, de nombreuses écoles internationales qui ne disposent pas d’internat s’ouvrent dans la région.
  • [27]
    Ce dont témoignent certains directeurs et les organisations patronales qui représentent les écoles privées suisses. Archives cantonales vaudoises, Bureau de l’enseignement privé, KXIII/1-15. Procès-verbaux des séances de la commission consultative de l’enseignement privé (1938-1982).
  • [28]
    Les noms ont été modifiés.
  • [29]
    Il s’agit ainsi d’un statut national particulier au sein de l’équipe de direction de Nord Anglia découpée en cinq directions régionales (Chine, Europe, Moyen-Orient, Amérique du Nord, Asie du Sud-Est).
  • [30]
    La légitimité britannique du prefect system est par ailleurs nouvellement appropriée par Nord Anglia, puisque le groupe ne détenait auparavant pas d’école privée en Grande-Bretagne ni de pensionnat.
  • [31]
    Sur le site de l’école pris en charge par Nord Anglia, on peut lire que « la petite taille de notre communauté d’internat nous place à part parmi les autres pensionnats suisses. Nous avons une forte atmosphère familiale. Nous connaissons chacun de nos étudiants en tant qu’individus et pouvons les aider à grandir en tant que membres de notre famille et en tant que citoyens mondiaux », site internet de l’Institut, consulté le 11 juin 2014.
Français

Comment la fabrique du profit s’exprime-t-elle dans le secteur de l’éducation ? L’article explore la financiarisation des écoles à but lucratif et en particulier des écoles dites internationales. La concentration financière de l’éducation à but lucratif, notamment dans l’enseignement secondaire, a jusqu’à présent conduit à peu de travaux. En analysant les trajectoires socio-historiques de trois écoles internationales détenues par une multinationale de l’éducation, cet article examine les configurations spatiales et régionales des phénomènes financiers dans l’enseignement secondaire. Il analyse la façon dont de multiples acteurs définissent dans un contexte de reprise financière ce qu’est une « école » et leur école, en tant que bien qui se construit et s’échange. Les enjeux de requalification financière et entrepreneuriale des activités et des légitimités éducatives, mais aussi le maintien d’un capital associé à l’ancrage en Suisse de ces écoles y sont étudiés.

  • financiarisation
  • enseignement privé
  • firmes multinationales
  • requalification des activités
  • éducation internationale
  • Suisse

Bibliographie

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    • Presse économique et généraliste citée dans l’article : The Guardian, The New Statesman.
Mis en ligne sur Cairn.info le 28/11/2019
https://doi.org/10.3917/rfse.023.0097
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