CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 – Introduction : sociologie et crédit

1Depuis la chute du mur de Berlin en 1989 et la disparition du modèle soviétique, les théories critiques du capitalisme se déploient principalement sur un plan théorique, étant caractérisées par la séparation entre production intellectuelle et stratégie politique [Keuchayan, 2013]. À l’écart de ce travail théorique, qui est majoritairement produit par des universitaires, des formes de critique pratique se développent, qui visent une transformation sociale fondée sur la remise en cause concrète des formes de domination et d’exploitation imposées par le système capitaliste. Parmi celles-ci, il en est une qui entend s’opposer à ce qui constitue le cœur du capitalisme dans sa phase actuelle de financiarisation [Baud et Chiapello, 2015] : elle se déploie au sein d’établissements qui revendiquent leur appartenance à une finance alternative.

2Un tel projet pose cependant un problème : est-il possible de mettre en œuvre des pratiques financières qui, dans les principes qui les guident, sont une critique du fonctionnement du capitalisme en général, et de la banque capitaliste en particulier ? C’est cette possibilité de critiquer le capitalisme en menant une activité bancaire que cet article voudrait examiner à partir des données empiriques recueillies lors d’une enquête de terrain de longue durée conduite au sein de trois organisations de finance alternative : la coopérative financière MAG6 de Reggio Emilia et la banque Banca Etica en Italie ; la coopérative financière la Nef en France. L’objet de cette enquête était de comprendre si et dans quelle mesure des organisations qui remplissent les conditions exigées pour offrir des services tels que dépôts d’épargne et octroi de prêts peuvent déployer des pratiques qui sont, en elles-mêmes, une critique de l’activité bancaire tournée vers le profit.

3Les analyses présentées dans cet article s’inscrivent, en partie, dans le cadre de la sociologie de la finance et, plus précisément, de la sociologie du crédit. Elles se situent dans la perspective ouverte par ces auteurs contemporains qui, tout en reconnaissant le caractère dominant des techniques de credit scoring, ont mis l’accent sur l’encastrement social du crédit, en soulignant le rôle que jouent les réseaux de sociabilité dans la décision d’octroi de prêts. Les travaux menés dans cette veine mettent en évidence la différence entre les modalités de calcul du risque de crédit par les grandes banques commerciales et les établissements bancaires enracinés dans le tissu social de leurs emprunteurs [Ferrary, 2002 ; Moiso, 2011].

4D’autres approches en sociologie du crédit continuent à souligner le rapport de domination qui sous-tend la relation prêteur-emprunteur [Bourdieu et al., 1963 ; Bourdieu, 2000], en s’appuyant sur le double constat de la dissymétrie d’expertise au sujet du fonctionnement du crédit et du déploiement de modes d’évaluation qui excluent une partie de la population des services bancaires [Gloukoviezoff, 2004]. Ces travaux ont de plus montré que les modalités d’octroi du crédit bancaire produisent une augmentation des inégalités, parce que les emprunteurs qui ne remplissent pas les standards des banques se trouvent soumis à une contrainte de justification supplémentaire, afin d’obtenir la confiance du conseiller bancaire et donc réussir « l’épreuve du crédit » [Lazarus, 2009].

5Mais c’est surtout aux travaux qui mettent l’accent sur l’analyse détaillée des conditions dans lesquelles s’accomplit une activité pratique que se rattache cet article [Ogien, 2011]. Pour ce qui concerne l’activité bancaire, Wissler [1989] a montré, en utilisant les catégories d’analyse proposées par Boltanski et Thévenot [1991], l’existence de plusieurs régimes d’action mobilisés dans l’activité de crédit déployée par le Crédit Mutuel de Bretagne. D’autres critères que ceux de la réduction du risque et de la maximisation des profits interviennent dans la décision d’octroi d’emprunt, dont des critères moraux renvoyant à la conduite des emprunteurs vis-à-vis de leur famille et de la communauté. Si l’importance accordée à cette dimension morale s’inscrit dans l’histoire d’un établissement qui valorise les éléments non économiques de l’activité bancaire, le Crédit Mutuel n’en est pas moins exposé aux tensions qui naissent entre les exigences en apparence contradictoires de l’économie et de la morale catholique [Moulévrier, 2002].

6C’est à travers la description ethnographique et l’analyse des méthodes de travail utilisées dans MAG6, Banca Etica et la Nef que cet article entend approcher la manière dont opère, au niveau des pratiques quotidiennes, la distinction entre logique financière des banques capitalistes et logique des organisations de finance alternative. Sur la base de cette distinction, l’enquête a cherché à saisir comment les salariés résolvent, dans le quotidien des opérations qu’ils réalisent, le problème politique que pose leur engagement dans un établissement de ce genre : démontrer qu’il est possible d’exercer l’activité bancaire d’une façon suffisamment différente de celle des banques capitalistes. En rapportant certaines données de l’enquête, l’article se demandera, en conclusion, si la mise en œuvre de ces pratiques de crédit alternatives peut être conçue comme remplissant la fonction critique que leur confèrent ceux qui les mettent en œuvre.

7D’un point de vue méthodologique, les données ont été collectées dans les années 2011-2013 à la faveur de longues périodes d’observation (six mois pour MAG6, deux mois pour Banca Etica, six mois pour la Nef) et de 49 entretiens semi-directifs avec les salariés, les sociétaires et les clients des organisations mentionnées. En particulier, j’ai pu assister aux réunions hebdomadaires des chargés de crédit, à des rencontres avec les porteurs de projets, les emprunteurs, les clients, et aux assemblées des sociétaires. Qui plus est, afin de mieux comprendre les procédures d’analyse des demandes de prêt, j’ai fait un stage à la Nef pendant six mois en tant que chargée de crédits ; suite à cette période, j’ai été embauchée dans cette coopérative pour un remplacement sur le poste de Responsable Vie Coopérative avec CDD de trois mois.

8Les contacts avec les salariés et les sociétaires de MAG6, Banca Etica et La Nef sont restés constants même après la conclusion de l’enquête : les données concernant le fonctionnement des trois instituts ont ainsi été actualisées.

2 – La finance alternative en Italie et en France

2.1 – MAG6, Banca Etica et la Nef

9MAG6, Banca Etica et la Nef remplissent les fonctions fondamentales qu’une banque doit assurer, à savoir collecte de l’épargne et octroi de prêts. Elles ont un statut de coopératives, mais diffèrent entre elles selon le type d’agrément qui en réglemente l’activité. C’est ainsi que Banca Etica est une banque de plein exercice alors que MAG6 et la Nef [1] ne le sont pas. Elles se différencient également quant à leur dimension : petite structure à vocation locale MAG6, organisations couvrant tout le territoire national Banca Etica et la Nef.

2.1.1 – MAG6

10La première MAG (Mutua Auto Gestione) naquit en 1978 à Vérone, dans le cadre de la loi de 1886 relative aux Società di Mutuo Soccorso. Les premiers projets financés concernaient l’autogestion ouvrière d’une usine en train de fermer et la fondation d’une entreprise agricole pour répondre aux problèmes d’emploi des travailleurs licenciés [Cantonetti, 2004]. La MAG de Vérone, née comme Società Operaia di Mutuo Soccorso, fonda ensuite la coopérative MAG-FIN, dans l’idée que cette forme juridique pouvait mieux répondre aux exigences financières de son territoire de référence. Le modèle pour les MAG constituées par la suite, dont MAG6, sera précisément celui coopératif [Prette, 2001].

11Au cours des années 1980, des initiatives similaires à celles de MAG Verona surgirent dans plusieurs régions du Nord Italie : certaines de ces MAG ont aujourd’hui cessé de fonctionner, ayant intégré Banca Etica après la naissance de cette dernière en 1999 (comme c’est le cas pour MAG3 de Padoue et CTM-MAG de Bolzano) ou ayant estimé que leur action n’était plus nécessaire avec la naissance d’une banque éthique sur le territoire italien (comme l’a fait Autogest d’Udine). En septembre 2013, une nouvelle MAG à Florence a obtenu l’agrément de la Banque d’Italie lui permettant de s’inscrire dans la liste des intermédiaires financiers autorisés, tandis qu’une autre MAG est en cours de création à Rome : les deux projets ont été suivis et accompagnés par MAG6 en particulier.

12Du point de vue juridique, les MAG se présentent aujourd’hui comme des Operatori di finanza mutualistica e solidale, soumis à l’article 111 du décret législatif du 1er septembre 1993/385 qui encadre le micro-crédit. La finance mutualiste et solidaire y est définie comme une catégorie à part entière, autorisée à bénéficier de dérogations aux normes qui s’imposent aux établissements de micro-crédit. Ce cadre normatif est toutefois récent (17 octobre 2014) : auparavant, les MAG étaient définies comme des intermédiaires financiers soumis au cadre législatif fixé par les décrets 143 et 197 du 1991 (lois anti-blanchiment).

13Puisque la réforme du TUB (Testo Unico Bancario) du 1993 avait réservé la collecte de l’épargne des personnes physiques uniquement aux banques [Prette, 2001], les MAG se virent obligées de modifier en profondeur leur structure opérationnelle. En particulier, MAG6 choisit de convertir les dépôts d’épargne en capital social et de garder la possibilité de financer à la fois des personnes physiques et juridiques : bien que la plupart des prêts octroyés soient de type professionnel, et donc voués au soutien d’une activité économique plutôt qu’au financement de projets personnels, ils peuvent être accordés à des entreprises individuelles également. Pour ce qui relève de l’épargne qu’il est possible de déposer à MAG6, il existe en revanche une seule forme de dépôt, qui formellement n’est pas considérée comme étant un type de collecte de l’épargne, à savoir l’achat de parts de capital social. Or le nouveau cadre juridique de 2014 pose des limites supplémentaires à l’activité de crédit de la MAG tout en privilégiant le financement d’entreprises en voie de création ou start-up : par exemple sont exclues les organisations ayant un produit annuel brut supérieur à 200 000 euros ou un endettement complexif qui dépasse les 100 000 euros.

14Aujourd’hui [2], MAG6 compte presque 1 500 sociétaires, que la coopérative tient à engager dans plusieurs initiatives telles que les assemblées et des rencontres de formation et échange axés sur des thèmes économiques et de création d’entreprise tout comme sur des aspects de développement personnel (pensée créative, relations au travail, etc.).

15Le capital social de MAG6 s’élève à 2,5 millions d’euros, dont la quasi-totalité est investie dans l’activité de crédit : par souci de transparence, les bilans et la liste des projets financés sont publiés sur le site de la coopérative.

2.1.2 – Banca Etica

16En ce qui concerne l’histoire de Banca Etica, il faut tout d’abord préciser qu’elle est étroitement liée à celle des MAG et à celle de MAG3 en particulier, fondée en 1986 à Padoue. Cette coopérative se spécialisa dans le commerce équitable et fonda en 1989 la coopérative d’épargne sociale CTM-MAG : l’argent collecté était utilisé pour préfinancer les producteurs du Sud [Spadaro, 2013]. La constitution de Banca Etica est parfois présentée comme le couronnement de l’activité des MAG : bien que plusieurs MAG aient poursuivi leur activité même après la naissance de la banque, il est vrai que le cadre normatif de 1993 imposait plus des contraintes à l’activité financière des MAG et, par conséquent, la mise en place d’une institution – telle que Banca Etica – en mesure de garantir à la fois une collecte et un emploi de l’épargne souples et adaptés à des exigences diverses s’avérait une donnée importante pour tout le monde de référence des MAG.

17Dès sa fondation comme Banque Populaire à statut coopératif, Banca Etica commença à bâtir ses liens avec les sociétaires locaux, le plan de collecte du capital social étant axé sur un modèle de maillage. En effet, des groupes de sociétaires actifs dans les différents territoires, et en particulier dans le Nord de l’Italie, s’engageaient à promouvoir le projet de Banca Etica. L’importance du réseau social et de la participation des sociétaires à la vie coopérative de la banque reste l’un de ses éléments distinctifs, tout comme les critères de sélection des projets à financer (critères non seulement finaciers mais aussi environnementaux, sociaux et culturels) et la transparence (le bilan social et la liste des projets financés étant publiés sur le site internet [3]).

18Depuis l’ouverture du premier guichet à Padoue en 1999, la banque s’est développée dans tout le pays et compte aujourd’hui [4] presque 42 000 sociétaires (personnes physiques et juridiques), 17 agences en Italie et une à Bilbao (Espagne), 296 salariés et une collecte de l’épargne qui dépasse les 1 372 millions d’euros, tandis que le montant des financements octroyés s’élève à 1 115 millions d’euros.

2.1.3 – La Nef

19Actuellement, le discours institutionnel de la Nef porte sur l’importance de financer des projets ayant une utilité sociale, écologique et/ou culturelle, tandis que ses origines puisent dans l’exigence de soutenir des initiatives n’obtenant pas de prêts auprès des banques traditionnelles. Ainsi, le premier projet soutenu par l’association pour la Nouvelle économie fraternelle (Nef) en 1980 fut l’installation d’une exploitation agricole en biodynamie – à l’époque considérée comme étant un secteur « alternatif ». Pendant ses dix premières années d’activité, l’association La Nef se fonda sur le travail des bénévoles et sur une proximité à la fois géographique et institutionnelle, enrichie du partage de valeurs communes [Chauvin et al., 2011] : parmi celles-ci, il faut mentionner deux sources principales d’inspiration, à savoir l’anthroposophie de Steiner et le mouvement coopératif, surtout pour ce qui touche au secteur agricole [Grange, 2011, p. 251].

20À partir de 1984, suite à l’approbation d’une nouvelle loi bancaire, l’association fut contrainte d’assumer un statut de coopérative et, en 1988, naquit la Société financière anonyme coopérative de la Nef. Comme le souligne Chauvin [2010], les éléments décisifs pour l’accès de l’association au statut d’établissement financier renvoient, d’une part, à la collecte de capital de la banque allemande GLS et, d’autre part, au soutien du Crédit Coopératif, encore indépendant à l’époque. La coopérative de la Nef propose aujourd’hui des produits d’épargne et de financement, tout en se présentant comme une banque « différente » [5] : éthique (octroi de prêts uniquement à des projets sociaux, écologiques ou culturels), transparente (publication du bilan social et de la liste des prêts professionnels débloqués [6]) et humaine (étude des dossiers de prêts impliquant des rencontres salariés-porteurs de projet et animation de groupes locaux de sociétaires qui s’engagent autour des thèmes de la finance éthique).

21La Nef compte une délégation des particuliers et quatre délégations crédit axées sur les prêts professionnels : l’une hébergée au siège même de la Nef, à Lyon, et trois autres à Paris, Nantes et Toulouse. Les quatre délégations crédit sont des équipes de petite taille (de cinq à huit salariés) incluant des conseillers en finance éthique (dénommés « chargés de crédit » à l’époque de l’enquête), une ou plusieurs CAC (coordinatrice administrative et comptable), un(e) ou deux banquiers itinérants (à savoir des conseillers basés dans d’autres villes du territoire de compétence de la délégation) et un(e) délégué(e) régional(e), responsable de la délégation. Suite à une réorganisation récente, l’équipe d’animation de la vie coopérative, en charge des relations avec les sociétaires, est basée au siège de la Nef, tandis qu’au moment de l’enquête un(e) responsable de la vie coopérative était intégré(e) dans chaque délégation.

2.2 – Banques et non-banques

22Une mise au point est indispensable autour de la distinction entre banques de plein exercice et organisations n’ayant pas obtenu cet agrément. Cette différence renvoie aux contours de l’espace juridique à l’intérieur duquel opèrent les différents établissements : le fait de disposer de l’agrément de banque de plein exercice ouvre des possibilités et impose des contraintes qui ne sont pas celles en vigueur pour les établissements d’intermédiation financière.

23Tout d’abord, une banque a le droit de prêter l’épargne qu’elle collecte sous forme de comptes courants ou de dépôts à terme ; en revanche, les coopératives financières comme MAG6 octroient des crédits utilisant leurs fonds propres, les sociétaires de la coopérative pouvant uniquement déposer leur argent sous forme de capital social.

24Tandis que la Nef a entamé depuis plusieurs années un processus pour devenir une banque de plein exercice, MAG6 a tenu à conserver sa position d’extériorité par rapport au marché bancaire. En particulier, les personnes engagées à MAG6 valorisent l’organisation du travail autogérée et non hiérarchique de la coopérative, qui emploie six sociétaires-travailleurs. Un autre élément qui se dégage des observations et entretiens renvoie aux normes moins contraignantes qui s’appliquent à cette coopérative, comparées à celles concernant les banques. Par exemple, les MAG peuvent ne pas signaler les dettes douteuses à la Centrale Rischi Banca d’Italia, qui est un service mis en place par la Banque d’Italie pour tracer les informations que les banques et sociétés financières fournissent au sujet de leurs débiteurs. En outre, les MAG octroient des prêts en l’absence de garanties patrimoniales, privilégiant plutôt des réseaux de caution pour soutenir chaque projet.

25Cependant, il faut souligner que l’approche de Banca Etica semble plus souple que celle d’autres banques quant aux garanties demandées pour l’octroi des prêts. Par exemple, au cours de ma période d’observation, un salarié m’expliquait que chez Banca Etica il n’y a pas de normes rigides au sujet des « travailleurs atypiques », dépourvus de CDI :

26

Quand je travaillais à la banque X, le système [informatique] me demandait d’indiquer si le client avait un contrat à durée indéterminée et, si la réponse était « non », il m’obligeait à sortir du programme. Ici [à Banca Etica], au contraire, il y a une marge d’action du point de vue relationnel. Par exemple, la semaine dernière j’ai ouvert un prêt immobilier pour un couple de travailleurs atypiques […]. Ils n’avaient pas des garants extérieurs, mais lui, il travaille dans un domaine proche de celui de Banca Etica et dans le passé il a même travaillé avec des associations qui font partie du réseau de la banque, ils avaient un bon capital de départ (preuve qu’ils sont capables d’épargner) et ils pouvaient documenter une certaine continuité de travail dans les huit dernières années. Alors, je me suis dit qu’au fond leur cas n’était pas très différent de celui de petits entrepreneurs qui demandent un prêt personnel.

27En tout cas, accepter des demandes de prêts en l’absence de garanties patrimoniales relève plutôt de l’exceptionnel à Banca Etica, tandis que cette pratique représente la règle pour les MAG, et pour MAG6 en particulier, où les garanties prennent la forme d’engagements « solidaires et illimités » de la part d’un réseau de personnes prêtes à soutenir, y compris financièrement, le projet.

28Si les enquêtés travaillant à MAG6 soulignent les limitations qu’impose un agrément de banque, ceux engagés à la Nef signalent au contraire les opportunités connexes au fait de devenir une banque de plein exercice, notamment par rapport à la possibilité de « gérer le court terme », à savoir les comptes courants et les prêts de courte durée, qui au moment de l’enquête étaient accordés seulement à des emprunteurs Nef, et de façon exceptionnelle. En effet, leur mise en place s’avérait très coûteuse pour la coopérative, dont les procédures d’étude des demandes de prêt étaient plus adaptées aux crédits moyen-long terme. En outre, les banques bénéficient d’une relation plus régulière avec leurs clients, pouvant notamment offrir plusieurs services. Ainsi, les salariés de la Nef observent régulièrement qu’il serait plus simple de garder les emprunteurs à la Nef si la coopérative gérait leurs comptes également : cela faciliterait les analyses des demandes de prêts en allégeant le nombre des documents demandés aux porteurs de projet, puisque leur situation financière serait déjà connue.

29En effet, depuis le lancement des comptes courants professionnels en mars 2016, la Nef a l’ambition de développer une offre de financement de court terme de plus en plus large et complète, incluant des autorisations de découvert, des crédits de campagne et d’autres crédits relais (TVA, subvention), dans l’idée d’aller vers un accompagnement au quotidien des professionnels.

30Un autre argument mobilisé par les acteurs engagés dans Banca Etica et la Nef pour vanter les avantages d’un agrément bancaire renvoie à une dimension plus politique : démontrer qu’il est possible d’associer banque et éthique, en élargissant l’offre bancaire tout en permettant aux clients de choisir une banque en cohérence avec leurs propres valeurs. Les salariées et sociétaires de MAG6 valorisent cet élément de cohérence que les banques alternatives rendent possible ; néanmoins, ce qui pour eux reste prioritaire est le fait de pouvoir mettre en question des pratiques que les banques, y compris éthiques et solidaires, donnent pour acquises, comme le fait de devoir définir les taux d’intérêt en fonction du risque de crédit. Chez MAG6, au contraire, une politique du taux unique pour tous les crédits est en vigueur [cf. § 3.2].

2.3 – Alternative à quoi ?

31En quoi les pratiques financières mises en place par ces organisations se distinguent-elles de celles des banques capitalistes telles qu’elles fonctionnent à l’heure du capitalisme financiarisé ? Aux États-Unis comme en Europe au cours des années 1990, les titrisations ont marqué le passage du modèle originate to hold (OTH) au modèle originate to distribute (OTD) : tandis que le premier implique le fait que l’établissement créditeur conserve le risque des crédits octroyés, le deuxième permet la cession des prêts, et des risques correspondants, à d’autres acteurs. Cette liquéfaction des relations de crédits sur les marchés financiers est précisément l’un des aspects du modèle capitaliste que contestent MAG6, Banca Etica et la Nef.

32Comme en attestent presque tous les entretiens des salariés ayant eu une expérience professionnelle dans le secteur bancaire classique, ce sont surtout les pressions commerciales en vue de vendre des produits à forte rentabilité qui représentent le principal élément de frustration dans ce secteur – phénomène que confirment d’autres recherches portant sur des banques commerciales [Palmisano, 2006]. C’est ce qui ressort des propos d’un salarié de Banca Etica ayant travaillé dans une grande banque commerciale :

33

Le travail à la banque me dérangeait certainement… parce que… il n’y avait pas d’humanité vis-à-vis des personnes, les personnes étaient des chiffres.
En quel sens il n’y avait pas d’humanité ?
Au sens où tu ne devais pas te poser le problème d’avoir une personne en face. Tu devais te poser – parce que c’était ce qu’ils te demandaient – le problème de combien cette personne te faisait gagner. Et à moi, cette chose-là ça ne m’a jamais plu.
Donc concrètement, par exemple, qu’est-ce que… ?
Concrètement : tu devais vendre le produit D plutôt que l’assurance à tous ceux que t’avais en face… si c’était une personne de 90 ans ou un garçon de 20 ans, ça ne changeait rien : tu devais vendre. Et ça c’était une attitude que moi… je ne partageais absolument pas.

34Bien sûr, la réalité s’avère plus complexe et nuancée – ce qui est souligné au cours des entretiens également – que cette présentation du secteur bancaire. Notamment, certains travaux [Lazarus, 2012a ; Moiso, 2011 ; Moulévrier, 2012] mettent l’accent sur la coexistence de pratiques professionnelles hétérogènes et de conceptions différenciées du métier de banquier, même parmi les banques non alternatives. Cependant, les récits des personnes interviewées convergent sur certains aspects, tels que la déploration de la relation client tournée vers le profit qui s’avérait, sinon imposée, du moins fortement encouragée par leurs anciens employeurs. En effet, ils évoquent tous l’exaspération engendrée par des politiques de vente qui poussent les employés à placer des produits financiers afin d’atteindre les budgets prévus ; les produits à vendre étant définis a priori, et non pas sur la base des besoins de chaque client.

35Vouloir pratiquer l’activité bancaire d’une façon suffisamment différente de celle mise en œuvre par les banques qui ont suivi la vague de la financiarisation pose une question pratique aux organisations de finance alternative : comment identifier des marges de liberté dans une activité professionnelle qui reste fortement réglementée dans un sens contraire à la vocation critique qu’elles se donnent ? Autrement dit : comment peuvent-elles refuser certains aspects du capitalisme, tels que le fait de subordonner l’activité économique à la maximisation des profits, tout en endossant certains de ses principes, comme la liberté d’entreprendre et l’importance accordée à la rentabilité des activités économiques [7] ?

36Pour saisir la manière dont les pratiques de la finance alternative se distinguent de celles de la finance capitaliste, la démarche que j’ai adoptée a consisté, d’un côté à analyser les descriptions que les personnes engagées dans MAG6, Banca Etica et la Nef donnent de ces organisations [cf. § 2.4] et, de l’autre, à examiner en détail ce qui forme le cœur de toute activité bancaire : les procédures de traitements des prêts [cf. § 3]. Ce choix a été guidé par une hypothèse : si on veut approcher la nature alternative de l’activité mise en œuvre dans les organisations mentionnées, et la façon dont elle est appréhendée par l’ensemble de personnes engagées dans la relation débiteur-créditeur (employés, emprunteurs, épargnants), la manière la plus efficace consiste à étudier l’accomplissement pratique de ces procédures. C’est en effet dans l’instruction des dossiers de prêts que se dévoilent, de la façon la plus sensible, les enjeux de la critique, telle qu’elle est formulée par les tenants de la finance alternative, et la façon dont ils sont mis à l’épreuve dans l’activité courante. Les observations de terrain ont confirmé la pertinence de cette hypothèse en démontrant que les décisions concernant l’octroi des crédits sont souvent l’occasion de rappeler ce qui devrait distinguer une activité bancaire de type capitaliste de celle qui se présente comme sa critique en acte.

2.4 – Les frontières symboliques de la finance alternative

37On peut, à partir du matériau de terrain, établir des frontières symboliques à l’intérieur du secteur financier (cf. figure 1) entre organisations déployant une finance alternative et les établissements ressortissant de la finance capitaliste. En particulier, sont mentionnées les banques entrant le plus souvent en relation avec MAG6, Banca Etica et la Nef.

38Comme il a déjà été souligné, il faut préciser que des différences non négligeables existent à l’intérieur du champ que j’ai ici désigné comme celui de la finance capitaliste.

Figure 1

Le champ de la finance alternative

Figure 1

Le champ de la finance alternative

39L’analyse des descriptions recueillies en entretien permet de construire un tableau dans lequel on observe que, si les financements octroyés par certains établissements – notamment le réseau des Banche di Credito Cooperativo (BCC) et Banca Prossima en Italie, tout comme le Crédit Coopératif en France – sont généralement envisagés comme orientés vers les mêmes domaines que ceux accordés par les organisations de finance alternative, l’activité de crédit de MAG6, Banca Etica et la Nef se caractérise par l’exclusivité des critères de sélection des demandes de prêt. Les financements sont uniquement accordés à des projets produisant un impact positif du point de vue environnemental, social ou culturel. C’est ce qui permet d’affirmer qu’elles ne conçoivent pas « le social comme à part, venant après pour corriger (une forme palliative) », mais l’imaginent comme « intrinsèquement lié à l’économie et intervenant en amont des processus d’exclusion (une forme préventive en quelque sorte) » [Glémain, 2008, p. 42].

40En effet, le réseau des BCC – bien que chacune possède ses propres spécificités – finance souvent des entreprises opérant sur les territoires de référence, mais qui ne sont pas forcément sensibles aux aspects socio-environnementaux. De la même manière, le Crédit Coopératif peut financer des entreprises classiques à côté de sa « clientèle d’élection », à savoir les organisations de l’économie sociale et solidaire. Quant à Banca Prossima, elle se présente effectivement comme une institution créée pour le monde à but non lucratif laïque et religieux ; par conséquent, elle se positionne en concurrence directe avec Banca Etica. Néanmoins, la plupart de mes interlocuteurs soulignent qu’il s’agit d’une « concurrence faussée », puisque Banca Prossima est une « émanation directe » du groupe Intesa Sanpaolo, à son tour très fortement financiarisé et actif à l’international. Parmi les personnes interrogées, même celles qui considèrent plutôt positivement la présence de Banca Prossima dans le marché bancaire voué au tiers secteur tracent une frontière nette entre elle et Banca Etica, en mobilisant l’argument de l’appartenance à un grand groupe bancaire. Ce dernier est également cité par les enquêtés de la Nef pour justifier le fait de ne pas considérer le Crédit Coopératif comme étant une banque éthique, en raison de son rattachement au groupe Banques Populaires et Caisses d’Épargne (BPCE).

41Un autre aspect mis en avant comme élément de spécificité du champ de la finance alternative est la dimension coopérative. Elle s’exprime dans l’importance accordée aux liens avec la base sociale : en effet, la participation active des sociétaires s’avère centrale pour MAG6, Banca Etica et La Nef, et constitue un élément de spécificité par rapport aux banques mutualistes « banalisées ». Pour les organisations de finance alternative, cette dimension se décline dans une gouvernance démocratique, où les sociétaires peuvent faire entendre leur voix à la fois dans les assemblées générales et à travers les réseaux de groupes locaux, qui rencontrent les salariés de façon régulière pour discuter de propositions diverses concernant le fonctionnement de la banque.

42D’autres éléments distinctifs de la finance alternative, évoqués à la fois au cours des entretiens et pendant les périodes d’observation, renvoient à la transparence (qui consiste dans le fait de publier sur les sites internet les bilans et la liste des prêts octroyés) et la traçabilité de l’argent. Ce dernier critère est également présent dans la publication des rapports annuels, détaillant la façon dont les fonds collectés ont été utilisés.

3 – Donner du sens à l’argent : l’activité de crédit

3.1 – L’analyse des dossiers chez Banca Etica et la Nef

43On peut maintenant essayer de comprendre en quoi les critères utilisés chez MAG6, Banca Etica et la Nef dans l’analyse des dossiers de prêt renvoient à une dimension alternative, de critique du capitalisme.

44Tout d’abord, il faut souligner que c’est le fait d’intervenir dans des secteurs bien ciblés, en opérant une sélection en fonction de l’objet des financements, qui représente la spécificité, l’essence même de l’activité financière déployée dans le champ de la finance alternative. Grâce aux prêts octroyés, ces organisations prétendent « donner du sens à l’argent » [8], puisqu’il sert à soutenir économiquement des projets cohérents avec la mission de solidarité et protection de l’environnement que se donnent ces banques et coopératives financières. Cette démarche se fonde sur la prise de conscience que les fonds prêtés appartiennent aux clients et sociétaires – ce qui renvoie à la fonction de simples intermédiaires que revendiquent la Nef, MAG6, Banca Etica.

45Chez Banca Etica, les personnes chargées d’analyser la cohérence entre les demandes de prêts et les valeurs de la banque sont les évaluateurs sociaux, à savoir des sociétaires actifs dans une circonscription territoriale donnée, et membres d’un GIT (Groupe d’Initiative Territoriale). Les évaluateurs sociaux collaborent avec la banque de façon bénévole, après avoir suivi un parcours de formation spécifique et avoir été enregistrés sur une liste officielle. Dans l’ensemble, les personnes en charge des décisions au sujet de l’octroi des prêts comprennent : les salariés de la banque (qui sélectionnent les demandes de financement au préalable, en transmettant aux évaluateurs sociaux seulement celles qui, à premier examen, semblent viables) ; les évaluateurs sociaux et les membres du GIT (bénévoles) ; l’Ufficio Fidi (le bureau crédits) de l’agence de référence et, en dernière instance, celui du siège de la banque à Padoue. Dans des cas de doutes, le comité d’éthique peut être également sollicité.

46Pendant ma période d’observation, j’ai pu accompagner une évaluatrice sociale, Federica [9], à la rencontre des aspirants emprunteurs de Banca Etica. Le rendez-vous a eu lieu un après-midi ensoleillé, sur la terrasse d’un petit café juste en face d’une prison. Le projet était porté par la coopérative Insieme, de type B – forme juridique qui s’apparente aux sociétés d’insertion françaises, puisque ce genre de coopératives doit inclure parmi ses employés des personnes désavantagées, soit parce que porteuses de handicap, soit à cause de leur histoire (par exemple, des anciens détenus) ou condition socio-économique. Or, le travail de la coopérative Insieme était précisément axé sur l’inclusion professionnelle des détenus de la prison face à laquelle nous nous trouvions, afin de les orienter vers les métiers de la torréfaction du café.

47Au rendez-vous avec Federica étaient présentes la présidente et une sociétaire de la coopérative. Après qu’elle eut précisé qu’elle n’était pas une employée de Banca Etica, mais une sociétaire bénévole, et après avoir entendu leur récit concernant l’histoire de la création de Insieme et la présentation des objectifs sociaux de la coopérative, Federica posa des questions relatives à l’organisation du travail des détenus et aux différentes étapes du processus aboutissant au produit fini, de façon à vérifier que l’entière filière soit cohérente avec les principes de Banca Etica. En particulier, le projet en question prévoyait l’importation du café de certaines régions d’Afrique et d’Amérique centrale : par conséquent, pour Federica il était essentiel de s’assurer que les producteurs de ces pays soient équitablement rémunérés. D’autres questions posées concernaient la formation des détenus au métier qu’ils allaient exercer et les relations d’Insieme avec d’autres coopératives déjà actives dans le même secteur, dont certaines que Federica connaissait déjà. En général, le ton de la discussion était très cordial, Federica avait échangé avec la présidente avant de la rencontrer et était déjà au courant du genre d’activité menée par la coopérative.

48Après le rendez-vous, Federica rédigea un rapport (nommé Report dell’istruttoria socio-ambientale), dans lequel elle décrivit l’organisation demandeuse du financement ainsi que le déroulé de la rencontre avec ses représentantes, tout en évaluant le projet proposé d’après les critères suivants : transparence, égalité des chances et non-discrimination, protection de l’environnement, type de clients/usagers, santé et sécurité du lieu de travail, contrats et horaire de travail, responsabilité sociale, type de fournisseurs, contacts avec d’autres acteurs sur le territoire. Pour chacun de ces neuf critères, l’évaluation s’articule en deux parties, l’une discursive et l’autre numérique, consistant en une note de 0 à 5. Le rapport finalisé avait été transmis aux membres du GIT, à savoir aux personnes élues par les sociétaires inscrits dans la circonscription territoriale de référence (dans ce cas, il s’agissait de neuf personnes). Une fois l’accord entre les membres du GIT obtenu, le rapport fut envoyé aux salariés de Banca Etica pour qu’ils poursuivent l’analyse du dossier d’un point de vue financier.

49Ainsi, la dimension alternative se déploie à la fois dans le fait d’intégrer une étude socio-environnementale du dossier et dans la valorisation des relations humaines, s’exprimant dans la rencontre entre les sociétaires bénévoles de la banque et les porteurs de projet.

50En ce qui concerne la Nef, le formulaire pour la constitution d’un dossier de demande de prêt [10] implique de préciser la destination exacte du crédit éventuellement obtenu. Cette démarche repose sur l’idée qu’il serait possible de « marquer » [Zelizer, 2005] l’argent en fonction de l’usage qui en est fait. Cela représente également un élément de différence entre les financements « non affectés » qui se sont peu à peu diffusés dans les banques classiques [11]. D’autres informations à fournir renvoient au(x) domaine(s) d’activité du projet (l’écologie, le social ou la culture) et aux voies de prises de contact avec la Nef, le formulaire se concluant avec la question : « Pourquoi vous adressez-vous plus particulièrement à la Nef ? » Il s’avère essentiel pour les salariées de la Nef de s’assurer que leurs interlocuteurs soient motivés par des raisons autres que celles liées aux taux ou aux garanties requises. Par conséquent, il ne suffit pas de présenter un projet en soi éligible, mais il faut également montrer que l’on accorde une importance non secondaire au caractère éthique de son partenaire bancaire, y compris – du point de vue de la Nef – pour limiter les risques d’abandon des dossiers au profit d’établissements concurrents, parfois en mesure de proposer des conditions plus avantageuses et notamment, dans certaines conjonctures, des taux d’emprunt moins élevés.

51Chaque dossier doit être accompagné de certains documents supplémentaires tels qu’une étude prévisionnelle de faisabilité du point de vue économique, s’il s’agit d’un projet de création, auquel s’ajoutent les comptes passés de l’entreprise, si elle existe déjà. Une fois le dossier reçu et une fois vérifié que, dans les grandes lignes, il peut entrer dans les champs d’intervention de la Nef, le salarié en charge de la zone géographique dans laquelle va se déployer le projet se plonge dans une analyse plus approfondie des éléments à la fois financiers et éthiques (à savoir les impacts socio-environnementaux du projet, le parcours et les motivations des porteurs du projet…). Après une première évaluation de ces aspects, s’il estime pouvoir aller plus loin dans l’étude, il envoie aux porteurs de projet une proposition commerciale, avec explicitation des conditions du prêt (durée, taux et garanties), qu’ils doivent accepter s’ils souhaitent faire avancer leur dossier.

52L’enquête que j’ai pu mener au sein de la Nef, et le stage en particulier, permettent d’appréhender le fait que même les procédures d’analyse financière des dossiers peuvent relever d’une critique du capitalisme financiarisé. En effet, à la Nef les modalités sous lesquelles la note d’étude doit être complétée tout comme le type d’informations requises revoient à des pratiques non standardisées. Ainsi l’analyse des demandes de prêt s’apparente-t-elle à celle qui était « la tâche noble du banquier d’avant la financiarisation » [Lazarus, 2012a, p. 268], à savoir l’octroi de crédits, qui s’est ensuite « progressivement délocalisé vers des “centrales” informatiques, entrepôts de données sur les clients, programmées pour effectuer des calculs et prendre des décisions » [ibid.]. Bien que la Nef mette en place certaines pratiques similaires à celles d’autres banques (telles que l’analyse des comptes et le fait d’interroger les fichiers de la Banque de France informant sur les clients défaillants), les rôles tenus par la personne qui conduit l’étude et par le/la responsable de sa délégation de rattachement restent centraux, alors que dans plusieurs établissements bancaires les décisions concernant l’octroi des prêts ont été désormais déléguées aux méthodes informatiques standardisées.

53Par exemple, l’étude menée par Baud et Chiapello [2015] portant sur la financiarisation du crédit bancaire dans une petite banque mutualiste française montre que, avant la financiarisation, cet établissement se fondait sur un réseau de professionnels de terrain qui travaillaient de façon relativement autonome. En revanche, les nouvelles méthodes d’analyse du risque de crédit introduites dans le cadre des accords de Bâle II s’appuient sur un système de notation interne. Un moteur de notation informatique attribue à chaque client une note, qui est supposée indiquer la probabilité que le prêt entre en défaut dans l’année suivante. Or, pour la plupart des PME, la notation fournie par le système informatique ne peut pas être modifiée manuellement, car la réglementation requiert un traitement en masse des clients retail, engagés auprès de la banque pour des sommes inférieures à un million d’euros.

54Comme le soulignent Baud et Chiapello [2015], suite à l’introduction de la méthode des notations internes, les bases d’informations utilisées par la banque n’incluent pas la connaissance qu’ont pu acquérir les chargés de crédit sur leurs clients. En outre, les nouvelles bases d’informations concernent surtout la situation et le comportement passés de l’entreprise, les perspectives et les projets futurs étant exclus du calcul. En général, les critères et les pondérations qui se répercutent dans la note émise par le moteur s’avèrent opaques : les salariés n’ont pas accès aux informations concernant les facteurs qui produisent son amélioration ou sa dégradation. Ainsi, le système informatisé de notation se place en fort contraste vis-à-vis du mode de calcul des risques impliquant des analyses effectuées à partir d’un travail de terrain, en contact avec les clients, et sur la base d’un dialogue avec les supérieurs hiérarchiques.

55Néanmoins, les procédures non standardisées soulèvent elles aussi des questionnements. Tout d’abord, elles peuvent ajouter à l’exclusion sociale l’exclusion bancaire ; en outre, un refus formulé d’après des méthodes non standardisées peut s’avérer plus violent qu’un refus émis par une machine, entraînant une violence sociale qui s’ajoute à la violence économique. De plus, la distinction entre banques qui octroient les prêts sur la base de procédures standardisées et celles qui adoptent des méthodes non standardisées serait à nuancer, puisque même dans les grandes banques commerciales des relations personnalisées sont prévues, bien qu’elles concernent uniquement les clients qui « le méritent » [Moiso, 2011, p. 205], à savoir la clientèle aisée ou bien les clients très fidèles, qui entretiennent une relation de longue date avec la banque. Dans ces cas, des dérogations aux procédures standardisées sont possibles, ce qui peut permettre aux clients d’accéder à des crédits qui seraient en revanche refusés par le logiciel, ou bien d’obtenir des conditions d’emprunt plus avantageuses.

56L’analyse des demandes de prêt à la Nef (tout comme à MAG6 et à Banca Etica) ressemble précisément à ce mode traditionnel d’évaluation du risque de crédit, aujourd’hui très rare parmi les banques conventionnelles. Or en quoi les critères d’évaluation non standardisés pointent-ils vers une critique du capitalisme ? Les pratiques bancaires d’avant Bâle II, appuyées sur une connaissance de proximité, participaient-elles d’une finance alternative ? Il faut répondre là par la négative puisque la centralité des relations humaines n’est que l’un des éléments qui fondent la démarche de MAG6, Banca Etica et la Nef. Comme il a déjà été évoqué, un autre aspect essentiel réside dans les critères de sélection des demandes de prêt, d’où l’importance accordée à l’analyse sociale et environnementale des dossiers.

3.2 – La politique du taux unique chez MAG6

57Dans le modèle de traitement des dossiers de prêts adopté à MAG6, les sociétaires-travailleurs conduisent en même temps l’analyse financière et socio-environnementale ; et c’est le conseil d’administration (CdA) qui est chargé des décisions finales concernant l’octroi des crédits. Ce conseil se réunit presque toutes les semaines, normalement les lundis après-midi. En font partie la quasi-totalité des travailleurs, tout comme certains sociétaires bénévoles, élus par l’assemblée générale des sociétaires. Pendant les réunions du CdA dans lesquelles une demande de prêt est discutée, le salarié qui a mené l’analyse du dossier présente le projet à la fois du point de vue financier et socio-environnemental – le projet n’est pas complètement nouveau pour les autres membres du conseil puisque le rapport (istruttoria) leur a été transmis au préalable. Ensuite, le sociétaire de la MAG qui remplit le rôle de référent moral du prêt peut intervenir et ajouter des compléments d’information. Sa fonction consiste à assurer le lien de confiance entre la coopérative et les emprunteurs, en garantissant en quelque sorte la fiabilité de ces derniers vis-à-vis de MAG6 et vice versa.

58Concernant les critères sur lesquels se fonde l’analyse socio-environnementale, il convient de souligner que ceux employés à MAG6 et à la Banca Etica sont très proches, les principaux secteurs d’intervention étant : l’agriculture biologique et biodynamique, l’habitat écologique et les énergies renouvelables, la solidarité sociale, l’art et la culture, le commerce équitable. Les différences fondamentales entre les deux approches se découvrent dans les garanties requises qui manifestent, chez MAG6, une plus forte orientation vers le soutien de dossiers que les banques traditionnelles refuseraient, en raison du manque de patrimoine et de revenus stables.

59Un autre élément de spécificité concerne la politique des taux : tandis que la Nef et Banca Etica prévoient des différenciations dans les intérêts chargés sur les prêts en fonction du risque de crédit, MAG6 pratique une politique du taux unique pour tous les financements accordés, tout en exprimant par là une critique ultérieure du capitalisme. Or, comment les intérêts chargés sur les crédits sont-ils définis ? Une description fournie par une sociétaire-travailleuse pendant un entretien donne des indications à ce sujet :

60

Les taux sont définis désormais seulement sur la base des coûts de la structure, depuis quatre ans ils sont restés à 8,5. Si on compte les taux bas des autres banques (lorsqu’elles octroient encore du crédit, évidemment)… nous nous avérons peu intéressants. En fait, il y a des coopératives qui, lorsque nous les financions, étaient… comment dire… vraiment minables… après, en revanche, elles ont bien marché, ont grandi, sont rentrées dans des consortia, etc., qui peut-être ont des conventions avec des banques qui font des taux favorables, peut-être 4 %… ben, ces coopératives, devenues entre-temps des « bonnes clientes » pour les banques, nous disent que nous sommes trop chers. Sans même se rendre compte que leurs usagers, des sujets désavantagés, n’obtiendraient aucun prêt des banques, ils ne seraient même pas pris en considération !

61Si un taux d’intérêt de 8,5 % peut effectivement sembler très élevé, les travailleurs et administrateurs, confrontés aux critiques que MAG6 reçoit parfois à cet égard, mobilisent l’argument du caractère problématique de la comparaison : « Élevé par rapport à quoi ? » En effet, la plupart des projets financés par MAG6 auraient essuyé un refus en banque, y compris chez Banca Etica, notamment par le type de garanties mobilisées ou par le fait que la MAG – grâce au fait qu’elle n’est pas une banque – n’exclut pas les personnes « fichées » par la Banque d’Italie, ne pouvant pas accéder au crédit bancaire. Qui plus est, même lorsque les acteurs financés par MAG6 pourraient bénéficier d’un prêt accordé par d’autres établissements, cela se ferait souvent à des taux bien plus élevés que 8,5 %. Ainsi, les travailleurs et administrateurs de MAG6 invitent leurs sociétaires à adopter une attitude « critique » vis-à-vis des politiques, y compris relatives aux intérêts, mises en place par les banques : si quelqu’un a le droit d’emprunter à un taux très bas, d’autres vont forcément devoir payer très cher. Sans compter que, si les grands groupes bancaires peuvent proposer une tarification des crédits compétitive, c’est aussi parce qu’ils font du profit ailleurs, notamment sur les marchés financiers, au moyen d’opérations spéculatives.

62Au lieu de distinguer les emprunteurs en fonction du risque de crédit et d’appliquer des tarifications différentes aux prêts qu’elle accorde, MAG6 a donc opté pour un taux unique. Ce choix se justifie d’après un principe de solidarité : les projets qui jouissent d’une meilleure situation économique (et qui pourraient obtenir des financements ailleurs à un taux plus bas) paient un peu plus cher, mais ce sacrifice est fait pour permettre à ceux qui n’auraient pas droit aux prêts bancaires d’avoir accès au crédit à un taux raisonnable. Ainsi, au lieu de creuser les inégalités (certains paient très peu, d’autres sont exclus de l’accès au crédit ou bien paient très cher), la coopérative vise à les réduire.

4 – Conclusion : repolitiser les relations financières

63Par leur activité de crédit, fondée sur une analyse à la fois financière et socio-environnementale de chaque dossier et sur des procédures non standardisées, MAG6, Banca Etica et la Nef remettent en cause la « dépolitisation » [de Goede, 2004] des relations financières propres au capitalisme actuel. C’est-à-dire la tendance à considérer les questions qui pourraient faire l’objet de décisions politiques comme ressortissant de l’ordre de la fatalité ou bien de la technique – envisagée comme procédé neutre et objectif [Ogien, 1995 ; Borghi, 2014]. Lorsque les méthodes utilisées pour le calcul et la gestion des risques sont objectivées au moyen d’une quantification, les principes d’action qui les informent, et qui sont de nature plus proprement politique et anthropologique, semblent disparaître [Beck, 1992 ; Ogien, 2013]. La dépolitisation concerne donc les pratiques d’identification et de classification qui servent à s’assurer contre les différents risques vendus et achetés sur les marchés financiers, en ignorant le fait que ces pratiques reposent sur des jugements normatifs portant sur « quel genre de vie mérite d’être préservée et protégée, et quels dangers sont les plus urgents à étudier et à rejeter » [de Goede, 2004, p. 205].

64Ainsi, à partir de l’examen de la situation à l’intérieur de laquelle se déploie l’activité de crédit de MAG6, Banca Etica et la Nef, on peut finalement se poser la question de savoir s’il s’agit bien là d’un cadre d’alternative politique au système capitaliste actuel. On peut partiellement répondre par l’affirmative à cette question, à la condition de préciser qu’il ne faut pas entendre, sous le terme d’alternative, une altérité radicale, ce qui serait le cas si ces banques et coopératives financières refusaient de s’aligner sur les normes imposées par les banques centrales en choisissant, par exemple, d’agir à l’intérieur d’une communauté fermée, avec sa propre monnaie et ses règles spécifiques.

65MAG6, Banca Etica et la Nef se présentent comme une alternative tout en s’inscrivant au sein du modèle qu’elles contestent. Dans cette situation un peu paradoxale, la possibilité de déployer une activité bancaire différente est une tâche qui reste toujours à négocier, à conquérir, à inventer, en profitant des fissures et des fractures des institutions financières capitalistes. Bien évidemment, lorsqu’on évalue cette alternative à l’aune de l’effondrement et du remplacement du système économique actuel, les raisons de tomber dans le pessimisme ne manquent pas. Mais ce serait ignorer l’ambition que se donnent les acteurs de la finance alternative. Lorsqu’on les écoute, on constate qu’ils visent également à contribuer à un changement du regard que les citoyens ordinaires portent sur la réalité sociale, en leur permettant de voir comment – bien que de façon partielle et marginale – une activité financière parvient à exister hors de l’emprise du capitalisme.

Notes

Français

Une banque peut-elle critiquer le capitalisme, tout en respectant les normes imposées par les banques centrales et tout en restant viable économiquement ? Comment cette critique peut-elle se déployer ? Quel est le mode d’évaluation de son succès ? Pour apporter des réponses à ces questions, l’article analyse l’activité de crédit de trois organisations bancaires actives dans le secteur de la finance alternative : MAG6 et Banca Etica pour l’Italie ; la Nef pour la France.

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  • capitalisme
  • crédit
  • critique
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Arianna Lovera
Forum per la Finanza Sostenibile, Senior Programme Officer
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 28/11/2019
https://doi.org/10.3917/rfse.023.0161
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