CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 – Introduction

1Depuis la fin de l’Union soviétique, l’Ukraine connaît une instabilité économique chronique. Dans les années 1990, l’hyperinflation et des dévaluations monétaires participent à l’effondrement de l’appareil productif, et avec lui de la société salariale. Malgré une période de croissance au début des années 2000, l’Ukraine renoue avec la crise après la déflagration financière internationale de 2008, puis après la crise politique et militaire de 2013. Le taux d’inflation repart à la hausse, dépassant les 60 % en avril 2015. Le cours de la monnaie nationale, la hryvnia, s’effondre : de 10 UAH pour un dollar à la fin de l’année 2014 à 30 UAH pour un dollar au printemps 2015.

2Dans ces circonstances, comment s’organisent et se maintiennent des pratiques financières et comptables ordinaires ? Dans les nombreuses recherches décrivant les pratiques économiques des maisonnées [2] après la fin de l’URSS, l’accent est mis sur les pratiques productives privées ou la mobilisation des réseaux [3]. Mais les pratiques comptables domestiques n’y sont presque jamais prises pour objet. Or elles revêtent une importance cruciale en temps de crise. D’une part, la raréfaction du travail et l’irrégularité des revenus obligent à des efforts constants pour avoir accès à des liquidités et réguler ses dépenses. D’autre part, à distance des institutions financières déclarées qui pourraient garantir la valeur du capital économique, au moins en partie, les brusques changements du cours de la devise nationale et des prix rendent impossible toute épargne monétaire sur le long terme. Les pratiques comptables, c’est-à-dire la mise en place de cloisonnements budgétaires, le marquage social de certaines recettes, la conversion d’une partie des revenus en dollars ou sa réification sous diverses formes sont alors autant de manières de faire face à l’instabilité économique.

3Les seules recherches portant sur les budgets domestiques dans les espaces postsocialistes sont statistiques et concernent des ménages urbains [Clarke, 2002a ; Ibragimova et Guseva, 2015]. La présente recherche porte sur des espaces ruraux et s’appuie sur des matériaux ethnographiques (voir encadré ci-dessous). Dans les villages, les emplois locaux sont plus rares et les migrations de travail vers les centres urbains plus fréquentes [Skryzhevska et Karacsonyi, 2012]. De plus, la production agricole domestique y prend une place conséquente. Enfin, l’offre de services financiers déclarés y est moins implantée qu’en ville. À la différence de l’enquête statistique, la recherche ethnographique ne présuppose pas les limites des unités comptables. Elle s’intéresse aux manières indigènes de penser, de compter et de classer. Une telle approche permet ici de mettre au jour le rôle déterminant des femmes dans la régulation des dépenses dans les maisonnées. Ce rôle repose à la fois sur leur travail de production domestique, invisible et non compté, et sur leur engagement extensif dans des circuits d’échanges non déclarés. De leur position dans ces cercles dépend leur accès à l’endettement et, par là, à la liquidité en cas de besoin. L’approche ethnographique montre alors la place de ces pratiques comptables dans les inégalités sociales face à la crise, et complète ainsi la compréhension de ces phénomènes perceptibles dans les données macro-économiques.

4Après avoir rappelé, dans un premier temps, comment les crises économiques successives des 25 dernières années ont favorisé le recul des services financiers déclarés, publics et privés, nous décrivons dans un second temps le système comptable domestique et, en particulier, le rôle des femmes dans la régulation des dépenses. Or cette régulation, interne à la maisonnée, ne peut se comprendre en dehors des relations de dettes contractées à l’extérieur. Dans la dernière partie, à partir de deux cas d’endettement, nous montrons comment de cet endettement dépendent les inégalités face à la crise.

Encadré : Le cadre de l’enquête

Cet article s’inscrit dans une recherche en cours sur la recomposition du marché du travail et les pratiques économiques dans les mondes ruraux ukrainiens après la fin de l’URSS. La commune d’enquête, Fuktivka (2 000 habitants), est située dans un oblast du centre de l’Ukraine [4]. Durant la période soviétique, les activités économiques tournent essentiellement autour de la production de fruits dans la ferme d’État, de deux silos à grains et d’une gare. Aujourd’hui, les emplois locaux ont en partie disparu. Les silos et l’entreprise agricole n’embauchent plus que quelques équipes de travail. Une grande partie des hommes partent en migration de travail sur des chantiers de construction dans les grandes villes. Mis à part les emplois dans l’école ou l’administration du village, les femmes exercent rarement un emploi salarié tout au long de l’année. Elles s’occupent des lopins potagers autour des maisons. Elles intègrent, à la saison, des équipes de cueilleuses de fruits dans les exploitations locales.
Les données ont été récoltées lors de plusieurs séjours au cours des années 2014 à 2016 (neuf mois cumulés). Les matériaux se composent de notes d’observations menées dans l’espace domestique et sur les lieux de travail (5 entreprises agricoles et une petite scierie, ainsi que des activités de ventes sur les marchés des villes voisines), d’entretiens [5] et de consultations des archives. Dix-huit maisonnées ont ainsi pu être enquêtées de manière détaillée auxquelles s’ajoutent plusieurs autres récits de vie. Sont exploitées aussi des bases de données de l’Ukrainian Longitudinal Monitoring Survey.
[Lehmann, Muravyev et Zimmermann, 2012]

2 – Les crises économiques et les rapports aux banques en Ukraine

5Un bref retour sur l’histoire des crises économiques successives que connaît l’Ukraine, dans les années 1990, puis à partir de 2008, est nécessaire pour comprendre les transformations des pratiques comptables domestiques, et notamment le recul du recours aux institutions financières déclarées.

2.1 – Des années 1980 aux années 1990 : de « l’épargne forcée » aux paiements en nature

6La dernière moitié du xxe siècle en Union soviétique a vu l’expansion du modèle salarial aux espaces ruraux. Les salaires dans le secteur agricole ont rattrapé progressivement ceux du secteur industriel [Tkačenko, 2015]. Le déploiement du salariat s’est accompagné d’une généralisation du compte bancaire, et la majorité des travailleurs en possédaient un dès le milieu des années 1970. En URSS, les services bancaires aux particuliers, proposés par l’unique banque nationale, se réduisaient à la possibilité d’épargner [6]. Durant les années 1980, cette épargne a crû rapidement sous l’effet d’une double contrainte. D’une part, la pénurie en biens de consommation limitait la possibilité de dépenser l’argent gagné [Kornai, 1992]. D’autre part, les retraits étaient limités par la banque centrale d’URSS. Dans un système où les entreprises et la banque étaient propriété de l’État, cette « épargne forcée » servait à financer les déficits publics et les besoins du système de production [Conway, 1995]. Les conséquences de ces mécanismes financiers se sont fait sentir à l’échelle locale. Dans une allocution, au début de l’année 1991, le maire du village de Fruktivka s’inquiétait à la fois de la rareté des produits et de l’accroissement des dépôts bancaires. Il s’exprimait ainsi : « Une situation difficile est apparue récemment dans la sphère des services à la population, notamment dans l’approvisionnement des biens de consommation de la population. Le marché des consommateurs, qui se trouve précipitamment sous la pression d’une masse monétaire croissante reste extrêmement faible […]. Maintenant les gens laissent leur épargne à la banque en grande quantité, tout ce qui était dans les bas de laine. Dans le rajon, les dépôts atteignent 200 millions. Soit en moyenne 3 000 roubles [7] par personne [8]. »

7Sous l’effet de cette augmentation de la masse monétaire, avec les réformes de la Perestroïka à partir de 1985, la progressive libéralisation des prix s’est traduite par une explosion de l’inflation. Après la dissolution de l’Union soviétique en 1991, les premiers changements de monnaie dans l’Ukraine indépendante avaient pour objectif de limiter cette augmentation des prix. Mais les dévaluations monétaires successives et l’hyperinflation des prix, atteignant un taux de 500 % en 1995 en Ukraine, ont eu raison des sommes épargnées [9]. Lûdmila, 50 ans, employée de l’administration, se souvient de la confusion qui régnait alors : « Nous ne comprenions pas grand-chose […]. Et d’ailleurs les sous qu’on avait sur le compte, nous n’avions même pas idée que nous pouvions les retirer et acheter quelque chose. Et quand l’inflation a commencé, la plupart des gens n’ont même pas pensé à les retirer et à les mettre (vklasti) quelque part, acheter quelque chose. […] on a un compte d’épargne, mais il n’y a rien dessus. Si, il y a les vieux sous [10], ceux qui ne valent plus rien » (E, 29/01/2015).

8Cette disparition de l’épargne a été d’autant plus difficile à supporter qu’elle est survenue à un moment, où l’accès aux moyens de paiement devenait crucial pour se procurer biens et services sur les marchés. À partir des années 1990, les maisonnées ont dû faire face à une augmentation des dépenses, pour payer leurs charges, le logement, les études et les soins, jusque-là très subventionnés par l’État soviétique. Ces besoins ont augmenté la « dépendance monétaire » [Orléan, 2008] des salariés à leurs employeurs, c’est-à-dire les entreprises nouvellement privatisées. Faute d’une monnaie stable, les transferts entre les entreprises et leurs employés se faisaient en nature [Clarke, 2000]. Dans les années 1990, les campagnes ont ainsi vu se généraliser des paiements en céréales, dont la part s’était réduite depuis les années 1960 [Humphrey, 1998].

2.2 – La crise de 2008 et le recul des institutions financières

9La croissance économique des années 2000 est surtout due au développement du secteur tertiaire dans les centres urbains. Elle s’accompagne d’une remonétisation de l’économie, liée à la stabilisation de l’inflation et à l’augmentation des investissements étrangers après la « Révolution orange » de 2004 qui amène au pouvoir une coalition libérale favorable à l’ouverture vers l’Europe et les États-Unis [Mykhnenko et Swain, 2010]. Mais cette ouverture vers les capitaux étrangers rend l’économie ukrainienne très dépendante des fluctuations économiques internationales. Les conséquences de la crise financière de 2008 s’en font d’autant plus ressentir. Elles touchent, au premier chef, les banques commerciales privées qui se sont développées en lieu et place de la Banque nationale soviétique [Bojcun, 2011].

10Alors que les années 1990 avaient déjà réduit à néant l’épargne accumulée par les particuliers durant la période précédente, la crise de 2008 provoque un recul net du taux de bancarisation des ménages. Ce recul est perceptible dans les données de l’Ukrainian Longitudinal Monitoring Survey. Cette enquête longitudinale, menée en partenariat par la Banque mondiale et l’Institut pour l’étude du travail de Bonn, porte sur un échantillon représentatif de ménages ukrainiens. Elle comporte un volet consacré aux budgets domestiques. Les différences observées entre les vagues de 2007 et de 2012 permettent de saisir l’influence de la crise sur les pratiques financières. Dans la base de 2007, le taux de ménages, dont au moins un des membres possède un compte bancaire, est de près de 53 %. Il n’est plus que de 38 % dans la base de 2012 [11]. Cette évolution est plus importante encore pour les seuls ménages ruraux (voir le tableau ci-dessous). Ces données témoignent d’un recul de l’intermédiation bancaire dans des espaces ruraux, où les banques restaient présentes avant 2008.

Tableau

Taux de bancarisation des ménages dans les vagues successives de l’enquête ULMS (2007 et 2012)

Ménages possédant un compte bancaire
Vagues d’enquêteULMS 2007ULMS 2012
Espaces ruraux (ER)Effectifs réels655333
Pourcentage ER pondéré60,6 %30,2 %
Espaces urbains (EU)Effectifs réels1 025889
Pourcentage EU pondéré49,8 %42,5 %
TotalEffectifs réels1 6801 222
Pourcentage total pondéré52,9 %38,1 %

Taux de bancarisation des ménages dans les vagues successives de l’enquête ULMS (2007 et 2012)

Note : le calcul des pourcentages est fait à partir des coefficients de pondération attribués aux ménages dans chaque base de données. La base ménage ULMS 2007 compte 3 101 observations en tout et la base ménage ULMS 2012 en compte 3 142.

11Comment interpréter cette diminution ? Le recul du recours aux banques n’est pas simplement le résultat d’une contraction de l’offre de services après la crise. Sur le terrain d’enquête, les agences de différentes banques privées sont facilement accessibles dans la petite ville du centre du rajon à 25 minutes en bus. De plus, un terminal bancaire est encore en fonctionnement dans le village. Il sert notamment à la distribution des pensions de retraite et des salaires des personnels des services publics au village. La possession d’un compte bancaire est souvent associée à l’exercice d’un emploi déclaré ou au versement d’une allocation de l’État. Après 1990, en Ukraine, comme en Russie, le développement du marché de la carte de crédit est passé par des accords entre des banques privées et l’État ou les entreprises [Guseva, 2010]. Ainsi, la différence entre espaces ruraux et urbains serait la conséquence d’un recul plus important des activités salariées déclarées dans les campagnes. Des cartes de crédit [12] sont également proposées aux allocataires des aides sociales. Aussi les maisonnées les plus modestes se sont-elles déjà vu proposer des offres de services financiers. La distance au système bancaire n’est donc pas simplement le résultat d’une exclusion. Elle doit être rapportée aux expériences propres aux « carrières économiques » [13] des personnes, plus ou moins à distance du salariat déclaré ou des catégories bénéficiant des aides sociales.

12Le recul des services financiers déclarés s’explique en partie par la défiance à l’égard de la monnaie nationale. Les maisonnées, dont un des membres reçoit un salaire ou une allocation sur un compte courant, réduisent leur usage des offres financières à leur portion congrue. La banque sert uniquement d’intermédiaire de versement. Le salaire ou l’allocation est retiré en intégralité dès son versement. Le retrait systématique des sommes gagnées, c’est-à-dire le refus d’une épargne bancaire, provient des usages réservés à la monnaie nationale. Cette dernière sert aux dépenses du quotidien et n’est jamais thésaurisée. Pour cause, les souvenirs de la perte de l’épargne soviétique et des dévaluations successives du rouble, puis de la hryvnia sont encore très présents dans les histoires familiales.

13De la même manière, l’offre de crédits des banques est soigneusement évitée. La préférence pour des formes d’endettements non déclarés tient à un sentiment de perte de contrôle de ses dettes face aux pratiques commerciales des banques, considérées comme agressives [14]. Les clauses incompréhensibles ou l’augmentation imprévue des taux d’intérêt dans les crédits bancaires déclarés sont régulièrement rappelées dans les entretiens pour justifier la méfiance à leur encontre. L’expérience d’Oleg et Natalâ met bien en évidence la façon dont les interactions avec la banque renvoient à un sentiment d’incompétence et pourquoi un endettement vis-à-vis de la famille, mieux maîtrisé dans ses tenants et aboutissants sociaux, peut être préféré à un crédit bancaire. Oleg et Natalâ, 30 et 26 ans, sont sans emploi fixe. Natalâ travaille de manière saisonnière dans les exploitations agricoles voisines, et Oleg est employé dans les chantiers de construction, en ville ou dans les environs. Lors de la naissance de leur fille, Natalâ accepte d’ouvrir un compte bancaire pour recevoir les aides sociales liées à cet événement. Faute de ressources régulières, elle fait un usage fréquent du crédit à l’aide de sa carte. Natalâ dit avoir fermé ce compte en 2013. Mais en 2015, le couple reçoit un avis de la banque les enjoignant à verser 450 UAH en paiement de pénalités pour crédit non remboursé (CT, 29/06/2015). Dans l’incompréhension, les conjoints décident de payer en empruntant la somme dans la famille. Ils craignent non seulement l’expropriation de leur maison, mais également la mobilisation militaire d’Oleg dans le conflit où se trouve engagée l’armée ukrainienne depuis 2014 à l’est du pays (CT, 01/07/2015). Ces craintes paraissent irréalistes au regard de la somme due, mais elles témoignent d’une appréhension liée aux relations avec le système bancaire, assimilées aux relations à l’État [15]. Natalâ se rend donc à la banque. Elle rapporte une attitude peu amène de ses interlocuteurs. Elle a le sentiment d’avoir été flouée. Elle ne connaît ni le fonctionnement de la banque ni les ressorts juridiques de sa situation [16]. Elle n’a pas les moyens de se défendre contre une demande inattendue de paiement. Dans ces circonstances, le crédit bancaire est conçu comme le dernier recours, lorsqu’aucune solution n’a pu être trouvée dans les circuits financiers non déclarés. La situation des espaces ruraux ukrainiens diffère en cela d’autres régions du monde, où les institutions de crédits, crédits bancaires ou crédits à la consommation pénètrent largement les pratiques quotidiennes des milieux populaires et participent à la régulation comptable domestique [17].

14La crise de 2008, par son effet sur le système bancaire et sur l’emploi salarié, contribue ainsi à creuser l’écart entre les classes populaires des espaces ruraux et les institutions financières déclarées. Cet écart ne signifie pas pour autant que les maisonnées n’épargnent pas ou n’ont pas recours à l’endettement. Bien au contraire, les pratiques comptables et financières domestiques s’avèrent d’autant plus importantes pour réguler les dépenses, ce que montrent les résultats de l’enquête ethnographique exposés dans la section suivante.

3 – Réguler la dépense : les cloisonnements budgétaires dans la maisonnée

15Déconstruire « l’unité financière non problématique » des maisonnées pour mettre au jour « le système de gestion de l’argent » entre leurs membres [Pahl, 2000, p. 503] permet de saisir des pratiques comptables à distance des institutions financières. S’appuyant sur une critique des conceptions instrumentales de la monnaie, nous montrons comment est organisé et accepté un « marquage social de l’argent » dans l’espace domestique [Zelizer, 2005]. L’efficacité des séparations monétaires dépend de divers modes de mise à distance des dépenses. Dans les maisonnées observées, le contrôle de la comptabilité domestique est à la charge des femmes.

3.1 – Séparer les « petits sous » des « gros sous »

16L’entrée d’argent liquide dans la maison est habituellement l’occasion de faire les comptes : faire le point sur les sommes dues, c’est-à-dire les dettes contractées depuis la dernière entrée conséquente d’argent, et les dépenses futures, pour lesquelles ces recettes étaient attendues. Les moments d’écriture comptable représentent une situation privilégiée pour observer les modes d’évaluation et les normes propres aux enquêtés dans le contrôle de leurs dépenses. Ils sont d’autant plus cruciaux que les revenus monétaires conséquents sont surtout saisonniers : lors des ventes de produits agricoles ou lors des retours de migration des hommes [18].

17Partons de la description d’une telle situation. La scène qui suit se déroule après la vente de framboises [19] cueillies l’après-midi même dans le potager d’Irìna, 36 ans. « Nous retournons dans la cuisine. Irìna est assise à table. Elle demande à Jana (sa fille, 13 ans) de lui donner le cahier de notes, “celui des framboises” […]. Elle prend un porte-monnaie large, dans un autre placard et commence à y glisser la somme gagnée, classant les billets en fonction de leur valeur. […] Irìna explique qu’ils prennent note pour savoir combien ils gagnent. Avant, ajoute-t-elle, ils notaient seulement les sommes gagnées par Mìša, son mari, lors de ses migrations de travail sur les chantiers de construction. Elle demande ensuite à Jana de se servir de 60 UAH. Jana demande qu’elle lui donne aussi de l’argent pour les chaussures et pour le sac. Irìna est pensive, elle récapitule ce qu’il faut pour la rentrée scolaire : “Après, il faut que je mette de côté pour les dettes” (celles de la voiture et de la plomberie de la maison). Jana demande 400 pour les chaussures. Irìna dit que non, 300 c’est assez : “Tu as encore des sous à toi.” Elle l’engage ensuite à prendre 300 en plus pour le sac. Jana doit aller l’acheter le lendemain au marché de M., village où vit la grand-mère. Irìna ne veut pas devoir de l’argent à sa mère et ne pas savoir le lui rendre. À propos des revenus de Mìša, Irìna explique : “Les gros sous (velikì grošì), il nous les apporte et on lui laisse les petits (malen’kì).” Mìša travaille essentiellement dans le voisinage en ce moment. Il garde pour les petits trucs, le gazole et les cigarettes. Quand il conduit une voisine à la gare et qu’elle lui paye 70 UAH, il les garde. Irìna s’exclame : “Et il faut encore que je paye 200 pour l’électricité !” » (CT, 15/08/2016).

18L’écriture comptable opère une distinction entre différentes recettes : les « petits sous » (malen’kì grošì) et les « gros sous » (velikì grošì). Petits et gros sous le sont par leurs montants, mais aussi par leur origine et leur rythme d’encaissement. Les gros sous, ceux que l’on note et que l’on ne laisse pas traîner dans la poche, sont les revenus prévus, attendus au retour d’une migration ou d’une récolte de fruits. Ils sont aussi jugés comme les mieux gagnés, ceux pour lesquels le travail est le mieux payé au regard des efforts fournis, notamment les salaires acquis en migration par les hommes. Ils s’opposent aux petits sous, qui ne sont pas écrits. Ceux-ci viennent compléter les recettes principales, mais n’en sont pas moins essentiels pour le budget. Ils correspondent notamment aux petits appoints de Mìša, lorsqu’il aide la voisine. Ils incluent aussi les salaires journaliers d’Irìna (100 à 150 UAH), lorsque celle-ci va cueillir les pommes dans une exploitation voisine.

19Cette séparation est associée à des cloisonnements comptables : à certaines recettes correspondent certaines dépenses. Les « petits sous » de Mìša sont considérés comme de l’argent de poche et servent à payer ses cigarettes. D’autres recettes ne sont pas notées parce que la dépense est établie au préalable. De ses salaires et de ses gains, lorsqu’elle coiffe des voisines, Irìna déclare : « Ça tombe bien, ça suffit pour la nourriture (na hlìb, littéralement pour le pain) et parfois pour des suppléments (do hlìba) » (CT, 13/08/2016). À l’instar de situations observées sur d’autres terrains, les revenus de femmes, ici leurs « petits sous », servent surtout à des dépenses collectives, quand les « petits sous » des hommes renvoient avant tout à des dépenses personnelles et sociales [20]. De fait, les revenus des femmes sont généralement dédiés aux dépenses de la vie courante, et notamment au règlement des charges (gaz, eau, électricité). À l’inverse, les « gros sous » sont consacrés aux dépenses moins régulières, liées à des travaux dans la maison, au paiement de dettes ou à la rentrée scolaire des enfants. Les moments comme celui décrit ont leur importance pour éloigner les « gros sous » d’une dépense immédiate. Ils permettent de faire accepter collectivement ce marquage des recettes.

3.2 – Les entraves à la dépense des « gros sous »

20Les cloisonnements budgétaires sont des éléments essentiels des pratiques comptables, qui sont à la fois une gestion des biens, mais aussi un contrôle de soi, c’est-à-dire de sa propre tentation à dépenser. Ils classent les besoins en fonction de priorités définies et partagées dans la maisonnée. Ils donnent ainsi une prise sur le temps, alors que les rythmes d’encaissement ne sont pas réguliers et surtout ne correspondent pas au rythme des dépenses. Pour garantir leur efficacité, ils reposent en partie sur l’hétérogénéité des devises et des divers circuits monétaires, où les maisonnées se trouvent engagées. La hryvnia, monnaie nationale, est utilisée pour le paiement des salaires locaux, notamment les travaux saisonniers dans l’agriculture. Elle sert dans les échanges quotidiens dans le village, les achats ou les ventes de denrées alimentaires. Elle est l’unité de compte des « petits sous ». À l’inverse, le dollar, gagné en migration ou acheté localement au marché noir, sert au règlement de biens durables : logement, voiture ou télévision. Il est l’unité de compte des « gros sous ». Enfin, les céréales continuent à servir de moyen de paiement privilégié des loyers de la terre par les entreprises agricoles aux résidants des espaces ruraux qui sont devenus propriétaires depuis la privatisation des années 1990.

21Le dollar est la monnaie privilégiée d’une thésaurisation en espèce. Il n’est pas touché par les dévaluations et garantit la valeur de l’argent accumulé. À Fruktivka, le cours du dollar par rapport à la hryvnia est sujet d’attention et de discussions récurrentes. Alors que les dates précises, ne serait-ce que l’année, de telle ou telle expérience de travail ne sont plus en mémoire de mes interlocuteurs, ceux-ci précisent : « C’est quand le dollar était à 5 [UAH] », c’est-à-dire avant la crise financière de 2008, ou « à l’époque, le dollar était encore à 8 [UAH] », avant la hausse de 2014. Le niveau de taux de change comme support mémoriel témoigne de l’importance du recours à la conversion de l’argent, notamment des « gros sous » gagnés en migration. Mais cette stabilité n’est pas la seule vertu comptable du dollar. L’achat de devises étrangères rend l’argent moins facile à dépenser localement. Si ce n’est pour l’achat d’un bien immobilier, aucune dépense dans le village ne se règle en dollars. L’achat ou la vente de cette devise implique d’ailleurs de se déplacer dans le centre du rajon, où la vente de devise s’organise de manière non déclarée autour de la gare routière. Les « billets verts » ou la « collection des portraits du président des États-Unis » sont des signes de richesse [Lemon, 1998], un véritable patrimoine, parfois montré à l’enquêteur lorsqu’il est proche de la famille.

22D’autres processus de mise à distance passent par la réification de l’épargne. Lûdmila, dans l’entretien cité plus haut, mentionne ainsi la construction progressive d’une nouvelle pièce dans leur logement avec une somme initialement accumulée pour les études de sa fille aînée. Alors que la banque ne fait plus partie des recours possibles au moment où l’argent est nécessaire ou disponible pour être stocké, ils décident de « mettre » [21] leur argent dans la construction. De la même manière, la maison d’Irìna et Mìša est en perpétuels travaux. Grâce à la vente des framboises, Irìna vient de finir de rembourser un crédit fait lors de l’achat des nouveaux radiateurs. La réification de l’épargne peut également consister en l’achat de plants de framboisiers ou de fraisiers. Ces investissements reportent non une dépense, mais une recette. Une grosse somme investie assure des revenus à chaque cueillette durant cinq ans, à condition de maîtriser un processus de production et les dépenses qu’il induit, c’est-à-dire d’être sûr de disposer d’autres apports plus liquides pour acheter de l’engrais ou des pesticides au besoin. Elle contribue ainsi à discipliner d’autres dépenses dans le temps.

23La place comptable du blé ou du bétail montre comment le faible accès aux crédits, les pénuries d’argent et de biens en URSS, ainsi que la démonétisation des échanges locaux des années 1990 ont marqué les pratiques financières. L’élevage fait partie d’un cloisonnement comptable sanctuarisé et allant de soi : les revenus en céréales servent à alimenter le bétail. Il reste en marge des écritures comptables. Un cochon ou une vache constitue une véritable épargne. Dans les campagnes russes, Douglas Rogers montre comment le dollar est considéré comme « moins liquide » même qu’un cochon ou un mouton, qui peut être tué à tout moment pour le vendre [Rogers, 2005, p. 74]. Les produits de l’élevage entrent dans les consommations quotidiennes, mais aussi les célébrations annuelles de Pâques et du Nouvel An. Durant la période soviétique déjà, l’engraissement d’un jeune taureau (bidlo) est utilisé en prévision d’un mariage ou de l’achat d’une maison [22]. Cette pratique demeure aujourd’hui. Dans le cas d’Irìna et Mìša, les deux vaches sont vendues pour pouvoir acheter la voiture. En cela, le bétail s’oppose aux investissements productifs en arbustes fruitiers. À ce propos, considérer l’élevage domestique comme une forme d’épargne nuance les analyses de la société rurale postsoviétique comme une société paysanne et la conception du bétail comme un « capital productif » [Wegren et al., 2006]. L’élevage domestique est jugé comme non rentable au vu du coût des aliments, si ceux-ci doivent être achetés. La corrélation entre le revenu et la présence de bétail se fait dans le sens inverse : l’achat d’un porcelet ou d’un veau correspond à un moment d’entrée de « gros sous ». Le bétail sert alors à l’encaissement des revenus en blé.

24Ainsi, les pratiques comptables à distance des institutions financières deviennent un instrument de régulation des dépenses. Or les femmes jouent un rôle central dans l’instauration de telles pratiques.

3.3 – La place de kassir : un rôle de femme

25L’étude des pratiques comptables apporte un nouvel éclairage sur la reproduction et la transformation des rapports de genre après la fin de l’URSS. Les recherches portant sur les arrangements économiques durant la crise des années 1990 constatent une perpétuation de la place des femmes assignées à l’espace domestique, suivant les normes induites par le système de production socialiste [Ashwin, 2000]. Dans le secteur agricole, les décalages de salaires entre hommes et femmes perdurent après 1991 [Deffontaines, 2017 ; Wegren et al., 2010]. De plus, les postes de travail qu’occupaient principalement des femmes dans les fermes d’État, élevage et maraîchage [Bridger, 1988] sont les plus durement touchés par la chute de la production agricole des entreprises [23]. L’exclusion des femmes du marché du travail est accentuée par la mise en place des expédients autour de l’espace domestique, face à la baisse des aides publiques, à l’apparition du chômage ou aux retards de salaire [Ashwin et Lytkina, 2004 ; Burawoy et al., 2000]. Ces expédients ne valent pas seulement par ce qu’ils apportent en valeur monétaire. Ils prennent aussi un sens comptable dans l’instauration des cloisonnements budgétaires.

26Dans les cas observés, la charge de la comptabilité domestique est en grande partie assumée par les femmes. Le modèle de gestion budgétaire correspond à une mise en commun du budget et à une prise de décision conjointe concernant les dépenses importantes, ce qui va dans le sens des observations des budgets de ménages russes [Clarke, 2002a ; Ibragimova et Guseva, 2015]. Seuls quelques cas de gestion indépendante des budgets respectifs des conjoints ont été observés. Ils correspondent au développement par les hommes d’une activité agricole ou artisanale indépendante dans le village. Alors, les besoins en investissements, induits par les achats propres à l’activité agricole, sont pris sur les revenus de cette entreprise, à l’origine d’un nouveau cloisonnement budgétaire. Mais, dans tous les cas, la régulation et le rythme des dépenses domestiques collectives reviennent in fine aux femmes, avec la même irrégularité des revenus. Dans la situation évoquée ci-dessus, Irìna joue un rôle social de garante contre la dépense, en marquant et classant les recettes des framboises. Ce rôle est perceptible dans l’interaction avec sa fille, qui se voit opposer des résistances quand elle demande un peu plus d’argent pour s’acheter des accessoires pour la rentrée [24]. Irìna régule aussi les dépenses de son mari. Mìša a longtemps eu des problèmes d’addiction à l’alcool. La régulation de son argent fait partie intégrante de la régulation de sa consommation. Cette régulation est le produit d’un compromis entre Irìna et Mìša après de durs conflits l’année précédente. Dans les entre-soi masculins que procurent par exemple les collectifs de travail, le contrôle des conjointes sur les dépenses et l’usage du salaire est un sujet récurrent de blagues. Pour autant, savoir contenir sa dépense et rapporter son salaire à la maison est valorisé comme le signe d’une maîtrise de soi. Le terme de kassir est parfois utilisé avec humour pour décrire ce contrôle comptable exercé par les femmes. Il renvoie à la terminologie des entreprises d’État soviétiques, dans l’organigramme desquelles il désigne le poste des encaissements et des paiements, en charge du versement des salaires des travailleurs.

27Mais l’efficacité des cloisonnements budgétaires ne peut pas être seulement comprise comme le résultat d’un compromis matériel entre les conjoints. Comme le souligne Isabelle Guérin [2008, p. 60], les pratiques comptables renvoient à un ensemble de rôles sociaux et d’obligations assumés à l’extérieur de l’espace domestique. Les études en termes de stratégies face à la crise (household, coping, survival strategies), récurrentes sur le terrain postsocialiste [Wallace, 2002], insistent sur les pratiques de débrouille des maisonnées. Elles manquent alors le caractère institué des relations d’obligation à l’intérieur de l’unité comptable et ce qu’elles doivent aux engagements sociaux de leurs membres à l’extérieur. De fait, le marquage des recettes tient dans le temps par l’imbrication de ces derniers dans des circuits d’échanges et d’endettement directement liés à la sociabilité féminine.

28Les femmes jouent un rôle central dans l’imposition des normes comptables de par la place qu’elles occupent dans ces divers circuits financiers. Elles sont tenues par des dettes et des échanges, où elles engagent la réputation de leur maisonnée. Cette responsabilité est accrue par l’absence régulière des conjoints partis en migration de travail. Durant leurs absences, les femmes assument l’intendance domestique à l’aide de leur production potagère, des « petits sous » : les revenus qu’elles tirent de la vente de leurs produits ou d’activités saisonnières rémunérées. Elles ont également recours à des dettes contractées auprès des commerçants locaux ou des proches, ou, en cas de besoin, auprès de prêteurs plus éloignés de leurs cercles de sociabilité, des créanciers pratiquant des taux d’intérêt élevés. Ces pratiques leur permettent de tenir le temps qu’une entrée d’argent importante survienne : le salaire du conjoint ou la vente d’une récolte. Elles assurent aussi l’efficience des cloisonnements budgétaires dans l’espace domestique, puisqu’elles engagent en amont une partie des salaires des hommes. De cette manière, alors qu’Irìna a fini de rembourser une dépense, elle met de côté la somme gagnée par la vente de framboises pour rembourser la voiture, achetée d’occasion pour 1 000 $. Inversement, pour Irìna, donner de l’argent à sa fille évite un endettement auprès de sa mère qu’il faudrait ensuite rembourser.

29Cet endettement régulier et sans interruption – à une dette succède une autre dette – reproduit un cloisonnement comptable dans le temps. Il le renforce par l’obligation sociale à rembourser le créancier. L’endettement est d’autant plus obligeant pour les hommes que leur embauche dans les équipes de travailleurs dépend de leur réputation dans les cercles locaux d’interconnaissance. En effet, une grande partie des emplois exercés ne sont pas déclarés. Les salaires et la pérennité des relations de travail reposent sur une négociation entre travailleurs et avec des employeurs localement ou à distance du village. La situation financière de la maisonnée et sa réputation déterminent alors les marges de manœuvre des travailleurs dans ces négociations. Par l’obligation qu’il implique, l’endettement devient une manière de réguler la dépense [Guérin et al., 2011, p. 105].

30La place des femmes dans les pratiques comptables résulte donc moins « d’un repli » sur l’espace domestique que d’une insertion extensive dans des relations d’échanges dans le village, y compris des relations d’emploi et de dettes [25]. Cette insertion constitue la base institutionnelle et matérielle des relations d’obligation entre les membres d’une même unité comptable. De cette insertion dépend aussi la capacité des maisonnées à faire face aux difficultés économiques.

4 – Endettement et dévaluation monétaire : les inégalités face à la crise

31Comprendre ces pratiques comptables et financières domestiques permet de saisir comment la crise affecte les maisonnées. Les conséquences économiques des événements politiques et militaires de 2014 mettent à nouveau à l’épreuve les pratiques comptables ordinaires. La montée du chômage et la baisse des rémunérations, notamment celles des hommes partis en migration, diminuent les entrées de « gros sous ». Elles font ainsi basculer le poids de l’endettement sur les circuits financiers locaux, surtout entretenus par les femmes. Les inégalités face à la crise reposent alors sur la capacité de ces dernières à pouvoir s’endetter dans les meilleures conditions. Pour saisir ces inégalités, nous comparons ici deux maisonnées prises dans des relations de dettes en dollars datant d’avant la crise. La dévaluation monétaire a eu un effet démultiplicateur sur ces dettes par l’effondrement de la hryvnia face au dollar.

4.1 – Maša, son potager et ses dettes

32Maša a 48 ans en 2016. Viktor, son mari, travaille depuis plus de 20 ans dans les chantiers de construction à Moscou, puis Kiev. De ses quatre enfants, seul Oleg, dont il est question plus haut, est resté au village. En l’absence de son mari, Maša dispose de ses propres salaires journaliers lors de la saison de cueillette des pommes et de la vente occasionnelle de quelques kilogrammes de framboises et d’ail. La production domestique de Maša en légumes (50 ares) et en viande, grâce à quelques volailles, assure les besoins quotidiens de la famille en nourriture. Les productions domestiques de Maša sont à l’origine d’échanges avec ses enfants et ses parents. Une partie de ses poules et canards ont été achetés par son frère en échange d’une volaille adulte à terme. Elle reçoit des aides monétaires en hryvnia de ses parents qu’elle aide dans leurs vieux jours. Enfin, elle s’endette auprès de son employeur saisonnier pour obtenir de lui du blé, nécessaire à l’alimentation de sa basse-cour. L’endettement régulier comble ainsi les hiatus entre les besoins d’argent et l’entrée de « gros sous » au gré des allers-retours de Viktor. Ce dernier est souvent mal à l’aise à l’égard de ces arrangements qu’il ne maîtrise pas : « Moi, je n’essaie pas de comprendre ! C’est une histoire de businessmen, c’est pas mon affaire ! », dit-il à propos de sa femme (CT, 02/07/2016).

33Dans cette configuration comptable, le soudain besoin d’une importante somme en monnaie en 2013 pour payer l’hospitalisation de Maša et de Natalâ, sa belle-fille, implique la contraction d’une dette en dollars. Maša emprunte 1 000 $, à l’un des collègues de son frère, par l’intermédiaire de ce dernier, petit commerçant ambulant dans la ville voisine. Ce créancier propose des prêts courts en échange de taux mensuels de 14 % de la somme empruntée, tant que celle-ci n’est pas remboursée. Le paiement de ces mensualités ne faisait pas difficulté, lorsque Viktor gagnait des salaires en dollars sur les chantiers de construction. Bien qu’il n’engage aucune garantie, ce crédit oblige Maša par son frère, qui a lui-même recours à cet emprunteur pour renouveler son stock commercial. Avec les difficultés de Viktor à trouver un travail bien rémunéré, et tenus par les échéances, Maša et Viktor tentent d’obtenir un prêt de la banque en août 2014, en vain. Début 2015, au manque de ressources liées à l’absence d’emploi salarié s’ajoute l’envolée du coût du dollar : les traites deviennent insoutenables. Sans emploi au début de l’année 2015, Viktor exprime sa fatigue en ces termes : « Ce que tu gagnes, tu le donnes pour rembourser, tu le donnes toujours. Encore une année, une année seulement, une saison où je pourrais travailler à Kiev et je rembourse mes dettes. Je ne veux plus aller nulle part. Je ne veux plus ces gros salaires (veliki zarobìtkì), je ne veux plus ces sous-là. J’en ai assez avec un petit peu » (E, 25/01/2015).

4.2 – Lûba, son petit magasin et ses dettes

34Lûba a la cinquantaine en 2016. Elle tient un petit kiosque (9 m²) en face de l’école du village, où elle vend des produits du quotidien. À cette activité s’ajoute la vente de viande au petit marché du village le samedi matin et la vente des fruits d’un petit verger (1 ha). Sa fille cadette apporte aussi à la maisonnée son salaire de comptable dans l’exploitation agricole de la commune voisine. Le mari de Lûba n’a pas d’activité stable. Au moment de l’enquête, il est alité depuis plusieurs mois à la suite d’un accident domestique. Par son activité, Lûba se trouve intégrée à de multiples relations de dettes et de crédits, qui lui donnent accès régulièrement à de l’argent liquide. Comme elle le dit : « Chez nous, l’argent ne s’épargne pas (skladatisâ), on en a toujours besoin pour quelque chose » (E, 03/08/2016). Lûba met en place une comptabilité au fil de l’eau, faite de circulations entre les différentes activités et les différents postes de dépenses de la maisonnée. La comptabilité officielle du magasin est tenue de manière indicative, avec des ordres de grandeur, lorsqu’il faut rendre compte de son activité à l’administration fiscale. Elle note pour elle-même les dettes de ses clients auxquels elle vend à crédit et les dettes contractées auprès de ses fournisseurs. Son activité quotidienne consiste à manier ces diverses dettes. À l’été 2016, par exemple, alors que l’activité du magasin tourne au ralenti durant la période estivale, elle négocie avec ses fournisseurs le report des paiements des produits.

« Lûba : “Écris [ce que je te dois] et je te donnerai plus tard si je peux.
Valêra, fournisseur : Ah bah zut ! Donne-moi [ce que tu me dois] !
L : Je n’ai rien, regarde, j’ai 50 UAH.” Elle montre sa caisse vide. Elle explique qu’elle va bientôt réclamer les paiements des dettes de ses clients. Elle attend 10 000 UAH. “Je n’ai rien, Valêra, et même si j’en avais, je ne donnerais rien.
V : Et pourquoi ?
L : Parce qu’il me faut de l’argent pour demain (le paiement du loyer de son emplacement de vente). […] Je ne sais même pas où je vais le trouver.” ».
(E, 08/08/2016)
Malgré ces négociations, l’été paraît difficile à tenir pour Lûba. La maisonnée doit rembourser une dette de 10 000 $ contractée auprès de l’ancien propriétaire d’une maison achetée pour la fille cadette, en 2014 [26] : « C’était 80 000 (UAH) et maintenant (en 2016) c’est 250 000 ! » (E, 03/08/2016). Ce crédit, dont les échéances sont mensuelles, ne fait l’objet d’aucun contrat. Lûba achète régulièrement des dollars pour assurer ce remboursement : elle extrait une partie de l’argent liquide de la circulation des dépenses et recettes quotidiennes. Elle s’appuie sur des dettes dont les échéances sont négociables et jamais complètement soldées avec des fournisseurs de produits. De même, elle presse ses débiteurs de régler une partie de leur dette pour pouvoir payer les siennes. Sa position lui donne accès à d’autres formes d’endettement. Elle a ainsi obtenu un prêt de l’enseignante d’anglais du village, qui passe quotidiennement au kiosque en période scolaire.

4.3 – Dévaluation et solvabilité des maisonnées

35Ces deux configurations comptables montrent le rôle de l’endettement dans la tenue des comptes domestiques. Assurer l’intendance quotidienne revient à jongler entre divers types de dettes [Guérin, 2014]. Les positions des deux femmes dans les cercles financiers locaux déterminent leur capacité à s’endetter et leur pouvoir de négociation sur leurs échéances de remboursements.

36Ici, deux types de dettes peuvent être distingués en fonction des cloisonnements budgétaires qu’elles impliquent. Les premières mobilisent le travail des femmes, un travail non compté et non rémunéré, et engagent leurs « petits sous ». L’utilité économique de ces relations de dettes est inséparable de l’intégration des femmes à un réseau d’échanges autour de leurs maisonnées respectives. La capitalisation matérielle, ici production potagère ou stock dans le petit kiosque, est liée à une capitalisation sociale par les relations qu’elle autorise et qui peuvent être sollicitées en cas de besoin. S’il importe de s’acquitter de ces dettes pour ne pas se retrouver complètement exclu des relations d’échanges, tout solde ou remboursement partiel n’est que le prélude à un nouveau délai de paiement entre les parties. Il en va ainsi des crédits que fait Lûba à sa clientèle ou des échanges de produits agricoles de Maša avec ses proches.

37D’autres dettes sont contractées à l’occasion de paiements plus exceptionnels (logement, soins, achats de bien durable). Elles participent du cloisonnement budgétaire comprenant les « gros sous ». Comme ces derniers, les sommes sont calculées en dollars. Elles sont empruntées auprès de personnes n’appartenant pas aux mêmes cercles sociaux : une connaissance d’un autre village, un inconnu rencontré par un intermédiaire, ou un employeur local. Les remboursements en dollars sont une garantie monétaire pour le créancier, quand ils ne s’accompagnent pas d’un taux d’intérêt explicite. Ils sont réguliers et seront versés jusqu’au solde de la dette. Ils s’apparentent ainsi à un crédit bancaire, devant être soldé en monnaie auprès d’un tiers distant. La tentative de substitution de cette dette par un emprunt auprès de la banque par Maša et Viktor montre bien en quoi cette dette se distingue de la première. Le recours à la banque est envisagé comme un moyen de s’extraire de l’obligation vis-à-vis d’un proche, lorsque le remboursement monétaire de la dette devient difficile.

38Les deux maisonnées se distinguent dans leur manière de faire face aux remboursements après la montée du cours du dollar. En l’absence d’entrée de « gros sous » dans un avenir proche, le poids de la dette repose sur les circuits financiers locaux. Lûba et Maša doivent trouver les moyens de payer des échéances en dollars d’une dette peu flexible, contractée en dehors de leurs cercles sociaux, que ce soit auprès de l’ancien propriétaire de la maison achetée ou d’un créancier. Pour ce faire, Lûba occupe une position privilégiée. Elle est en effet prise dans de multiples relations de dettes, où elle est parfois débitrice et parfois créancière. Face à la nécessité de payer les mensualités en dollars, elle a alors la capacité de négocier les échéances d’autres créances plus flexibles pour extraire la monnaie nécessaire à des remboursements peu négociables. Elle doit faire accepter à ses créanciers la hiérarchie de ses dettes, mais ne pas dévoiler complètement ses difficultés pour rester une débitrice crédible, comme dans son interaction avec un fournisseur décrite ci-dessus. L’activité de vente est particulièrement efficace pour justifier d’une solvabilité à venir. À l’inverse, Maša est dans l’incapacité de négocier d’autres échéances. La dette est contractée grâce à son frère auprès d’un prêteur auquel lui-même a régulièrement recours. Pour Maša, faillir à son obligation de rembourser est socialement bien plus coûteux. Elle s’exclurait par là de son premier cercle d’échanges, duquel dépend son activité agricole domestique. De plus, elle se trouve forcée d’accepter un emprunt avec des taux d’intérêt élevés, puisqu’elle n’a pas les moyens de faire la preuve de sa solvabilité, ni même de garder une part de son endettement secret.

39De la distinction entre ces deux positions ressort une caractéristique des cercles financiers locaux. Les cercles d’interconnaissance restreints ne suffisent pas à assurer une confiance réciproque dans les échanges routiniers [Laferté, 2010]. Les relations de dettes reposent sur des relations d’obligations et une circulation de l’information qui distribue inégalement les accès à la monnaie. La solvabilité d’un débiteur ne s’y mesure pas seulement au patrimoine ou à la quantité de ses revenus, dont la valeur est d’ailleurs très instable à cause des dévaluations touchant la monnaie nationale. Elle tient à une réputation acquise par la publicité des flux d’échanges, où sont engagées les maisonnées [27]. Cet avantage propre à faire circuler l’argent, comme le décrit Lûba, et à s’engager dans de multiples relations d’échanges se retrouve dans le terme ukrainien krutitisâ, littéralement « tourner », et qui signifie « se démener », « s’en sortir », non pas par l’accumulation, mais en s’engageant plus avant dans des relations d’échanges et d’endettement.

5 – Conclusion

40Les approches relationnelles de la monnaie, dont nous nous sommes inspirés, permettent de montrer la continuité du rôle social des dettes, par-delà les transformations postsocialistes. L’analyse des pratiques comptables face à la crise actuelle en Ukraine invite alors à réinterroger les études des pratiques économiques des années 1990. La débrouille et la mise en place d’expédients autour de l’espace domestique ne peuvent se comprendre seulement en termes d’agency des individus dans les suites de la destruction des institutions centralisées soviétiques. Elles tiennent à des mécanismes sociaux propres aux circuits financiers locaux, déjà en place dans les campagnes avant 1991, et qui se développent avec les crises monétaires successives, le recul des institutions financières et le développement d’échanges en dollars. Les cercles d’interconnaissance fonctionnent comme de véritables institutions, ouvrant ou limitant les possibilités d’accès à des ressources, ici à une monnaie stable, et reproduisant des inégalités sociales. Le capital économique ne peut y être pris simplement pour argent comptant au sens propre, indépendamment des relations d’obligations et des flux où il circule.

41La crise économique actuelle affecte non seulement les relations d’emploi, mais aussi les relations financières. Elle accroît la dépendance monétaire privée envers des circuits financiers plus ou moins élargis. Insister sur les pratiques comptables et montrer les configurations d’endettement évite de réduire les expédients trouvés en marge du travail salarié à une simple extension de la sphère domestique. Ces pratiques impliquent un véritable travail et un positionnement social bien au-delà de la maisonnée. En détaillant les formes de « l’informel », c’est-à-dire de ce qui est non déclaré du point de vue de l’État et de ses administrations, nous sommes à même de rendre justice à des activités de production et d’échanges, exercées essentiellement par les femmes, et qui ont leur importance dans la structuration des rapports sociaux locaux.

Notes

  • [1]
    Nous remercions l’ensemble des lecteurs des versions antérieures de cet article pour leurs précieuses remarques, en particulier Thomas Dallery, Hélène Ducourant, Hadrien Saiag et les relecteurs anonymes de la RFSE. L’auteur garde l’entière responsabilité des propos tenus ici.
  • [2]
    Le terme « maisonnée » est emprunté à l’anthropologie contemporaine pour désigner l’unité pratique de vie quotidienne. Elle permet de ne pas présumer que l’unité comptable effective corresponde à une famille nucléaire, à une adresse ou à un « ménage » statistique. Le terme « ménage » n’est d’ailleurs utilisé que lorsqu’il est question d’enquêtes ou de données qui l’utilisent.
  • [3]
    Sur ces stratégies localisées, voir notamment le recueil de recherches édité par Pine et Bridger [1998].
  • [4]
    Un oblast est une échelle administrative équivalente aux régions françaises. Un oblast comprend plusieurs rajonì. Les noms des lieux et des personnes sont modifiés pour assurer leur anonymat.
  • [5]
    Le renvoi aux matériaux est mentionné ainsi : CT pour les notes d’observation, et E pour les entretiens.
  • [6]
    Les particuliers sont entendus ici par opposition aux entreprises d’État. Le système financier soviétique se composait en effet de deux circuits monétaires distincts. La monnaie scripturale et les crédits sont réservés aux entreprises par l’intermédiaire du plan, tandis que les salariés n’ont accès qu’à la monnaie fiduciaire [Motamed-Nejad et Ould-Ahmed, 2007].
  • [7]
    Le salaire moyen atteint 248,4 roubles/mois en 1990.
  • [8]
    Discours du 30/01/1991, Archive du rajon, dossier des « protocoles de la 4e, 5e, 6e, 7e session du 21e mandat du conseil de village », 1991.
  • [9]
    Cette épargne perdue des années 1990 revient encore aujourd’hui dans le débat public. Elle est un sujet de propositions et de tentatives de calcul des compensations par l’État. Voir le site du ministère de la Justice : http://old.minjust.gov.ua/4388 (accès janvier 2017).
  • [10]
    Les karbovancì, monnaie qui précède les hryvnia, mise en place pour lutter contre l’inflation en 1992.
  • [11]
    Le taux d’attrition entre 2007 et 2012 est de 17 % des observations de la base ménage ULMS 2007. Ainsi, la grande majorité des ménages interrogés sont les mêmes dans les deux bases, ce qui renforce le résultat de l’observation.
  • [12]
    À distinguer des cartes de débit, dont les retraits ne peuvent excéder les fonds disponibles. La carte de crédit autorise, dans une certaine limite, son détenteur à des dépenses au-delà de ses dépôts sous la forme d’un crédit avec taux d’intérêt contracté, auprès de la banque.
  • [13]
    « Carrière » est ici à entendre dans un sens large emprunté à Howard Becker [Perrin-Heredia, 2009].
  • [14]
    Malgré la distinction théorique que proposent Michel Aglietta et André Orléan [Aglietta et Orléan, 2002], dans la pratique, la confiance hiérarchique, envers la monnaie et in fine envers l’État comme institution émettrice, est inextricable d’une confiance méthodique, celle fondée sur les échanges concrets, ici avec les agents d’une institution financière.
  • [15]
    De fait, les liens entre les autorités politiques et le système bancaire apparaissent récurrents dans les affaires médiatisées. Ainsi, par exemple, la PrivatBank, la plus importante du pays, détenue par un parlementaire, est rachetée par l’État en décembre 2016 pour éviter un défaut de paiement.
  • [16]
    Cette disqualification culturelle des classes populaires face à la banque en France est bien décrite par Pierre Bourdieu et ses co-auteurs [1963].
  • [17]
    Voir les études de cas relevé dans [Guérin et al., 2011 ; Stenning et al., 2010].
  • [18]
    Bien que nous ayons cherché à observer des pratiques financières, nous n’avons jamais dû provoquer des moments d’écriture comptable comme le suggère la méthode de l’ethnocomptabilité [Cottereau et Mohatar Marzok, 2012]. Un tel choix méthodologique nous prive d’une information exhaustive sur l’ensemble des transferts opérés par les enquêtés, mais donne accès aux modes de classement indigène entre les différentes ressources en situation et au rôle régulateur de ces moments comptables.
  • [19]
    570 UAH, 22 € au moment de la transaction. Le salaire minimum mensuel est de 1 218 UAH en 2016.
  • [20]
    Jan Pahl et Carolyn Vogler notent le poids des besoins de la maisonnée sur l’argent personnel des femmes à propos du Royaume-Uni des années 1980 [Vogler et Pahl, 1994]. Hadrien Saiag évoque une opposition entre « monnaie masculine » et « monnaie féminine » sur son terrain argentin [Saiag, 2015].
  • [21]
    Racine des mots sklasti et vklasti, utilisés en ukrainien pour parler de l’épargne sur un compte ou d’un investissement.
  • [22]
    Bidlo servait alors de monnaie d’échange d’unité de compte pour qualifier le prix d’un bien durable (E, 02/11/2015). Les bouteilles de vodka pouvaient aussi jouer ce rôle pour les échanges quotidiens [Hivon, 1998].
  • [23]
    Dans le cas ukrainien, voir le Rapport sur l’agriculture, 2015, Comité statistique d’Ukraine, figure 2.12.
  • [24]
    Les dépenses de rentrée, vêtements et sacs, sont des marqueurs sociaux forts. Elles constituent donc un poste de dépense important.
  • [25]
    Frances Pine ne dit pas autre chose lorsqu’elle parle de retreat to the household [Pine, 2003]. Elle reprend cette idée de repli aux femmes polonaises qu’elle interroge, affectées par la perte de leur emploi salarié et par le déploiement d’expédients dans leur entourage proche évoquant leur vécu de l’opposition public/privé. Or le repli sur la maisonnée et la coupure avec les sociabilités antérieures, notamment liées au travail, sont très relatifs. Le décalage entre les représentations et les places effectives des conjoints a déjà été souligné sur de nombreux terrains (voir notamment [Rao, 2012 ; Thorsen, 2002]). Il participe à la construction des normes de genre et cache une partie de la réalité du travail des femmes.
  • [26]
    Au moment de l’enquête, une partie de la somme a déjà été remboursée, même si nous n’en connaissons pas le montant.
  • [27]
    À partir des données quantitatives sur la Russie, Simon Clarke montre que les ménages dont les revenus sont plus importants ont plus de chance de recevoir des ressources de leur entourage [Clarke, 2002b, p. 188] Pour autant, il ne met pas en évidence les mécanismes sociaux qui expliquent cette différence.
Français

Les pratiques comptables ordinaires revêtent une importance cruciale en temps de crise. D’une part l’irrégularité des revenus oblige à des efforts constants pour avoir accès à des liquidités. D’autre part, à distance des institutions financières déclarées, les brusques changements du cours de la devise nationale et des prix rendent difficile toute épargne monétaire sur le long terme. À partir de cas observés dans les espaces ruraux ukrainiens, l’enquête ethnographique montre comment ces pratiques s’intègrent aux activités de production et d’échanges, travail assumé par les femmes dans le cas étudié, et qui participe à la structuration des inégalités sociales face à la crise.

Mots-clés

  • monnaies
  • dette
  • inégalités sociales
  • genre
  • espace postsoviétique

Bibliographie

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Pierre Deffontaines
Université de Bourgogne, INRA
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Mis en ligne sur Cairn.info le 26/11/2018
https://doi.org/10.3917/rfse.021.0007
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