CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Jérémie Bastien, Le football professionnel européen dans un système capitaliste financiarisé en crise : une approche régulationniste des facteurs de changement institutionnel, Thèse de sciences économiques, dirigée par Jean-Jacques GOUGUET, Professeur émérite, Université de Limoges, et Gilles RASSELET, Professeur émérite, Université de Reims Champagne-Ardenne, soutenue le 5 décembre 2017 à l’Université de Reims Champagne-Ardenne

1Jury composé de Wladimir ANDREFF, Professeur émérite, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (Président) ; Christophe DURAND, Professeur des universités, Université de Caen Normandie (Rapporteur) ; Thomas LAMARCHE, Professeur des universités, Université Paris Diderot-Paris 7 (Rapporteur) ; Sandrine MICHEL, Professeure des universités, Université de Montpellier.

2L’idée selon laquelle le football professionnel en Europe est en crise financière fait très largement consensus parmi les économistes du sport. Dans notre thèse, nous montrons que ce diagnostic néglige un certain nombre d’éléments constitutifs de l’inscription du football dans le monde économique. C’est pourquoi nous défendons que, loin d’être en crise, le football professionnel européen est, depuis les années 1980, dans une phase de très forte croissance.

3Pour ce faire, nous adoptons une démarche mésoéconomique régulationniste et procédons à une analyse systémique et multi-niveaux du football professionnel européen. Nous aboutissons ainsi à la caractérisation d’un régime économique de fonctionnement que nous qualifions de financiarisé compte tenu de l’instrumentalisation du football par des intérêts financiarisés (investisseurs, groupes de médias, firmes multinationales) et de leur influence sur les stratégies des acteurs traditionnels du football (joueurs, clubs, agents de joueurs, instances dirigeantes). Cette financiarisation du football engendre une forte instabilité de son régime – au sens de la théorie de la régulation – puisque l’activité des clubs implique du déficit et du surendettement. En effet, l’incitation à la performance sportive (ligue ouverte), le fort pouvoir de négociation des joueurs (hold-up) et la souplesse de l’environnement réglementaire du football conduisent les clubs à des niveaux de dépenses élevés. Au contraire des « petits » clubs qui cherchent à diminuer leurs déséquilibres financiers principalement grâce aux revenus issus des droits télévisés, cette situation n’est pas problématique pour les « grands » clubs, puisqu’ils sont soutenus par des agents à forte capacité de financement et tirent des revenus élevés de leur participation aux compétitions supranationales.

4Dans ce contexte, la durabilité du régime est assurée par la succession et la superposition de nouveaux compromis entre les différents acteurs qui modifient les dispositifs institutionnels existants et rendent ainsi pérenne la logique de croissance en vigueur. Il y a donc régulation – dans l’acception de la théorie de la régulation – du football. Si elles réduisent temporairement l’instabilité du régime, il reste toutefois que ces modalités de régulation conduisent à accroître les inégalités entre les clubs sous la pression concurrentielle et institutionnelle des plus grands d’entre eux, et que cela pourrait, à terme, amener à une crise économique majeure du football professionnel européen.

5Jérémie BASTIEN, chargé d’études économiques, Centre de droit et d’économie du sport (CDES) de Limoges, jrm.bastien@gmail.com

Simon Bittman, Des loan sharks aux banques. Croisades, construction et segmentation d’un marché du crédit aux États-Unis, 1900-1945, Thèse de sociologie réalisée sous la direction de Claire LEMERCIER, Directrice de recherche CNRS, Centre de sociologie des organisations, Institut d’études politiques de Paris, et Marion FOURCADE, Professor of Sociology, University of California, Berkeley, soutenue le 18 mai 2018 à l’Institut d’études politiques de Paris, Centre de sociologie des organisations

6Jury composé de Gilles LAFERTÉ, Directeur de recherche, INRA, Centre d’économie et de sociologie appliquées à l’agriculture et aux espaces ruraux (Rapporteur) ; Pap NDIAYE, Professeur des universités en histoire nord-américaine, Institut d’études politiques de Paris ; David STARK, Professor of Sociology, Columbia University ; Sylvie TISSOT, Professeure de science politique, Université Paris 8 (Rapporteure).

7Si de nombreux travaux soulignent l’existence d’une segmentation de l’offre de crédit aux États-Unis, entre un marché primaire occupé par les banques et un marché secondaire constitué d’agences de crédit allant des payday lenders aux agences de crédit immobilier subprime, peu de recherches s’intéressent précisément à la mise en place d’une telle segmentation ou à ses origines historiques. Cette thèse propose une telle généalogie à partir de l’histoire d’un type de crédit spécifique, sous forme de prêts de petites sommes d’argent, lors des quatre premières décennies du xxe siècle.

8Elle étudie tout d’abord le déploiement d’un système de crédit au début du xxe siècle : ces prêts aux salariés sont offerts par des réseaux d’agences de crédit de petite taille, implantées dans les villes industrielles du pays et permettent à nombre de travailleurs des classes populaires d’emprunter sur la base de leurs revenus futurs ou sur la propriété de biens mobiliers. À partir de deux études de cas portant sur le Sud et le Midwest, nous proposons une nouvelle conceptualisation, intersectionnelle, de la relation de crédit en soulignant les différentes formes d’encastrement de ce système d’échange ; dans le procès de travail, le système judiciaire et la ségrégation raciale.

9La thèse analyse dans une deuxième partie la construction d’une offre légitime de crédit des salariés, à travers l’étude des « croisades » et des controverses autour de ces entreprises étiquetées comme des loan sharks. Que signifie la création d’un marché, d’un business, d’un champ économique ? Peut-on repérer l’émergence de telles entités à partir de pratiques et de leur diffusion, ou s’agit-il de catégories mobilisées par les acteurs économiques pour penser et organiser l’activité économique ? Cette thèse distingue trois niveaux d’expérience du marché – comme ensemble de transactions, comme ensemble d’idées relatives à l’organisation des échanges et comme objet de l’action publique ou du droit – et analyse certains rapports possibles entre ces niveaux. À l’aide d’une étude quantitative portant sur une centaine de « croisades » et d’une analyse qualitative des mouvements menés à Atlanta, Chicago et New York, nous montrons que les élites mobilisées sont avant tout issues de milieux d’affaires, de professions juridiques ou de la philanthropie et qu’elles cherchent à lutter contre les usuriers simultanément sur le terrain du droit et du marché. Pour ces entrepreneurs de morale, il faut notamment construire une offre de crédit morale, et cela nécessite de porter le problème public local à l’agenda des assemblées d’États, chargées de la régulation des taux d’usure. La thèse étudie le processus qui conduit à une vague nationale de réforme du crédit, puis l’incorporation de la critique et du référentiel politique au sein des pratiques des agences dans les années 1920 et 1930.

10Enfin, nous décrivons la construction, par les banques commerciales, d’une offre de prêts personnels à partir du milieu des années 1930 : la volonté d’ouvrir les portes du crédit bancaire aux consommateurs donne lieu à un conflit de juridiction entre banquiers et prêteurs régulés, conflit dont la résolution conduit à une nouvelle segmentation du marché au début des années 1940. Celle-ci s’observe aussi bien dans le type de prêts offerts, du type de clients y ayant accès et des espaces géographiques couverts. La thèse se conclut par l’étude des déterminants de classe, de race et de genre de cette segmentation : le marché primaire (bancaire) est alors en grande partie restreint aux hommes blancs de classes moyennes. Cette analyse permet in fine de mieux comprendre l’émergence des mouvements de consommateurs à la fin des années 1960, menés avant tout par des femmes et des Afro-Américains, qui réclament l’accès à ce marché primaire du crédit. Ce travail de sociologie économique cherche à comprendre comment la résolution d’un problème public et le droit, ainsi que les cadres normatifs dans lesquels puise l’action politique, peuvent affecter le fonctionnement et la structure du marché.

11Simon BITTMANN, ATER en sociologie au Collège de France, simon.bittmann@gmail.com

Alexia Blin, Politiser l’entreprise. Une histoire des coopératives dans le Wisconsin (années 1870 - années 1930), Thèse d’histoire et civilisation, réalisée sous la direction de François WEIL, Professeur associé, EHESS, soutenue le 18 novembre 2017 à l’EHESS

12Jury composé de Marie-Emmanuelle CHESSEL, Directrice de recherche CNRS, CSO-Sciences Po ; Pierre GERVAIS, Professeur, Université Sorbonne-Nouvelle-Paris 3 (Rapporteur) ; Romain HURET, Directeur d’études, EHESS ; Évelyne PAYEN-VARIERAS, Maîtresse de conférences, Université Sorbonne-Nouvelle-Paris 3 ; Olivier ZUNZ, Professeur, Université de Virginie (Rapporteur).

13Cette thèse explore l’histoire des entreprises coopératives dans l’État étatsunien du Wisconsin entre les années 1870 et les années 1930 et les manières dont différents groupes d’acteurs les mobilisent pour défendre leurs intérêts. En croisant les questionnements de l’histoire des entreprises et de l’histoire politique, elle analyse le recours aux coopératives dans le contexte du capitalisme étasunien.

14Le premier résultat de ce travail est de montrer que les coopératives font constamment partie de l’horizon réformateur, à travers trois moments de l’histoire politique du pays – les luttes antimonopolistes de la fin du xixe siècle, le mouvement progressiste et le New Deal. En étudiant dans un même ensemble les coopératives dans différents secteurs (quoique les organisations agricoles, en particulier laitières, constituent la plus grande partie du corpus), il met en lumière l’attraction qu’exerce cette forme d’entreprise démocratique. Les coopérateurs étudiés ne parviennent jamais à construire un « mouvement » ou un « système » économique en mesure de servir d’alternative au capitalisme industriel dominé par les grandes entreprises, mais ils dessinent tout de même avec succès les contours d’une entreprise différente, plus démocratique, et dont le modèle est relativement bien identifié à la fin des années 1930.

15Afin de comprendre les mécanismes d’institutionnalisation des coopératives dans le Wisconsin, les différents chapitres présentent les manières dont leurs membres – en premier lieu des fermiers, mais également des consommateurs, et dans une moindre mesure des ouvriers – les mobilisent et se les approprient. Le rôle de l’État, dont les agents sollicitent les coopératives et en font des outils de politique publique, fait également l’objet d’une attention particulière. Ainsi, et c’est là son deuxième apport, la thèse étudie les nombreuses interactions entre sphère entrepreneuriale et sphère politique, et met en évidence la porosité des frontières entre les deux champs.

16Enfin, l’analyse de ces mobilisations est constamment replacée dans l’environnement au sein duquel les coopérateurs évoluent, en mesurant l’écart qui distingue les coopératives d’autres organisations économiques. Si les coopérateurs créent leurs entreprises contre d’autres organisations (les compagnies de chemin de fer, les compagnies laitières ou les chaînes de magasins), l’étude de cas spécifiques permet de montrer qu’ils subissent néanmoins l’influence de ces entreprises et tentent même de les concurrencer sur leur propre terrain. Loin d’être le chant du cygne d’acteurs économiques nostalgiques d’un âge d’or révolu, les coopératives se révèlent souvent être des outils modernes et témoignent de la capacité d’adaptation de leurs membres à des changements auxquels ils contribuent eux-mêmes. Penser les coopératives dans leur environnement signifie également interroger l’importance des territoires dans lesquels elles s’inscrivent, en particulier la spécificité des zones rurales, lieu privilégié du développement des coopératives étatsuniennes à cette période. Il ne s’agit cependant pas de considérer les expériences du Wisconsin de manière isolée, puisque la thèse les replace constamment dans un contexte régional, national, voire international.

17Ce travail propose donc une contribution à l’étude des tensions entre démocratie et entreprise, ancrée dans un terrain précis dans les États-Unis de la fin du xixe et du début du xxe siècle.

18Alexia BLIN, ATER Université Sorbonne Nouvelle Paris 3, associée à l’UMR Mondes américains, alexia.blin@gmail.com

Thérèse Bru, Circulations scientifiques. Les naturalistes et leurs données entre les mondes britannique et français (1700-1836), Thèse d’histoire, réalisée sous la direction de Philippe MINARD, Professeur, Université Paris 8 et Directeur d’études, EHESS, soutenue le 5 décembre 2017 à l’Université Paris 8

19Jury composé d’Éric BRIAN, Directeur d’études, EHESS (rapporteur) ; Richard DRAYTON, Professeur, King’s College (Rapporteur) ; Lissa ROBERTS, Professeure, Université de Twente ; Isabelle LABOULAIS, Professeure, Université de Strasbourg ; François REGOURD, Maître de conférences, Université Paris-Nanterre.

20Croisant histoire des sciences, histoire globale et histoire de l’information, cette thèse reconstitue la circulation des données en sciences naturelles entre les savants de deux puissances rivales, la Grande-Bretagne et la France. Si l’accumulation d’information est devenue un enjeu de projection étatique et impériale dans le monde du long dix-huitième siècle, sa collecte et son traitement à grande échelle mobilisent des réseaux savants nécessairement transnationaux. Cette tension entre l’accumulation d’information comme stratégie nationale et sa nécessaire circulation entre des sphères scientifiques concurrentes constitue le cœur du sujet. Appuyée sur une base des transferts de données entre naturalistes britanniques et français, la thèse recourt à la modélisation et l’analyse de réseaux pour reconstituer leurs échanges.

21La première partie est centrée sur les conditions d’échange et les mutations des régimes d’information. La mutuelle dépendance des naturalistes britanniques et français en matière de collecte de matériaux (chapitre 1) sous-tend la structure transnationale de réseaux d’échange largement autonomes vis-à-vis des institutions centrales (chapitre 2). L’émergence de ce marché d’information (chapitre 3) est accélérée dans les dernières décennies du xviiie siècle par l’apparition d’une presse commerciale indépendante (chapitre 4). L’ensemble de ces transactions de données, menées à l’échelle individuelle, échappe largement à la supervision des États.

22La deuxième partie explore les rapports des États aux circulations de données. Que le financement des données soit étatique ou privé, l’information percole d’une sphère à l’autre (chapitre 5). Quels qu’en soient les canaux d’extraction, l’accumulation d’information devient une préoccupation centrale des États (chapitre 6), alors que leur rivalité pour atteindre une masse critique d’information se déploie aussi sur le terrain impérial (chapitre 7). La difficulté à délimiter des régimes de propriété étatiques sur les matériaux scientifiques renforce l’accélération des circulations à la charnière du siècle (chapitre 8), porteuse de conséquences dans le champ scientifique.

23La troisième partie examine les circulations comme infrastructure de traitement de l’information. Les circulations relient plusieurs bassins d’extraction de matériaux dans le monde, ouvrant la voie à de nécessaires recoupements et comparaisons qui incitent à l’interconnexion des données, centrale dans l’émergence de nouvelles théories (chapitre 9). Les circulations impliquent aussi des mutations dans les formats des données qui favorisent leur exploitation sérielle (chapitre 10). La reconfiguration des savoirs, disciplines et professions scientifiques en fin de période peut ainsi être analysée sous l’angle de la mécanique de circulation de l’information (chapitre 11). Dans les années 1830, ces nouveaux régimes de circulation offrent une capacité de maîtrise de l’information nouvelle, qui rend désormais viable le travail à l’échelon individuel sur des masses de données globales : en témoigne Darwin (chapitre 12).

24La thèse éclaire sous l’angle de concurrences à multiples échelles (individus, réseaux, nations) l’accumulation historique de l’information, et met à la disposition du chercheur la première reconstitution d’ensemble du graphe des échanges entre naturalistes britanniques et français.

25Thérèse BRU, IDHE.S UMR CNRS 8533, therese.bru@gmail.com

Sarah Kolopp, Le Trésor et ses mondes (1966-1995). Contribution à une sociologie relationnelle de l’État, Thèse de sociologie politique, réalisée sous la direction de Michel OFFERLÉ, Professeur émérite de science politique, ENS de Paris, soutenue le 30 novembre 2017 à l’ENS de Paris

26Jury composé de Valérie BOUSSARD, Professeure, Université Paris Nanterre ; Herrick CHAPMAN, Associate Professor, New York University ; Jean-Michel EYMERI-DOUZANS, Professeur, Sciences Po Toulouse (Rapporteur) ; Pierre FRANÇOIS, Directeur de recherches, CNRS (Rapporteur) ; Brigitte GAÏTI, Professeure, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

27À la croisée de l’histoire du capitalisme, de la sociologie des élites et de la sociologie de l’État, cette thèse saisit une direction d’état-major financier (la direction du Trésor) par ses frontières et dans ses relations avec d’autres institutions. Elle replace la direction du Trésor au sein de ses « mondes », i.e. de l’espace d’interdépendances qui s’organise autour d’elle, et s’attache à analyser les dispositifs, échanges, relations qui font tenir ensemble les mondes du Trésor, du milieu des années 1960 au milieu des années 1990 – à un moment de transformation majeure du système financier français. La thèse est organisée selon un principe de réduction sociologique progressive, et étudie des économies relationnelles à un niveau macrosociologique (celui des alliances du Trésor dans l’État, du Plan à la place), mésosociologique (celui des échanges interinstitutionnels dont la direction est partie prenante, et des contextes dans lesquels ils prennent sens), et microsociologique (celui des trajectoires trésoriennes, entre État et affaires). L’enquête sur les mondes du Trésor est menée avec plusieurs sources : entretiens biographiques, bases de données prosopographiques, archives institutionnelles (de la direction du Trésor, de grandes banques françaises, du FMI) et personnelles (notamment, fonds Jean-Yves Haberer), matériel documentaire (articles, essais, dossiers de presse consacrés à la direction et à ses hommes).

28Quatre grandes contributions peuvent être dégagées du travail. À la sociologie du capitalisme d’État en France dans la seconde partie du xxe siècle, d’abord. Le travail montre que le supposé « tournant des années 1980 » a été préparé par des mutations plus anciennes et en particulier, au Trésor, par des déplacements organisationnels et générationnels.

29À la sociologie de l’institution, ensuite, que la thèse fait dialoguer avec la sociologie de la fabrique de l’excellence. Le travail montre que la direction du Trésor trouve prise sur ses agents, et organise ses mondes, en créant continûment de la sélection, de la hiérarchie et de la segmentation. Il met également en avant le rôle de la mobilité comme opérateur de distinction dans cet espace.

30À la sociologie de l’« influence », encore. La thèse montre que les liens et les échanges entre les hauts fonctionnaires et leurs mondes ne relèvent pas de rapports de clientèle ou de rapports collusifs, mais de rapports de socialisation, et que les loyautés, au sein des mondes du Trésor, sont diffuses, décentralisées et non particularisées, du fait notamment de la mobilité constante qui caractérise les hauts fonctionnaires de la direction.

31À la sociologie des sommets de l’État, enfin. La thèse montre comment se construit de la différence entre hauts fonctionnaires également titrés pour l’accès aux positions éminentes au carrefour de l’État et des affaires, et met en avant l’économie de la reconnaissance, les logiques d’obligation et d’endettement qui travaillent les sommets de l’État en France.

32Sarah KOLOPP, chercheure post-doctorale, IDHES, ENS Paris-Saclay, sarah.kolopp@gmail.com

Renaud Metereau, Mouvement Coopératif Paysan et SYAL au Nicaragua : leviers d’écodéveloppement ?, Thèse d’économie politique du développement, réalisée sous la direction de Catherine FIGUIÈRE, Maître de conférences HDR, Université Grenoble-Alpes, soutenue le 21 octobre 2016 à l’Université Grenoble-Alpes

33Jury composé de Laurence ROUDART, Professeure, Université Libre de Bruxelles (Rapporteure) ; Bruno BOIDIN, Maître de conférences HDR, Université de Lille (Rapporteur) ; Denis REQUIER-DESJARDINS, Professeur émérite, Institut d’Études Politiques de Toulouse ; Emmanuelle GEORGE-MARCELPOIL, Ingénieure, Directrice de l’unité Développement des Territoires Montagnards HDR, Institut National de Recherche en Sciences et Technologies pour l’Environnement et l’Agriculture de Grenoble (Rapporteure) ; Jean-Christophe DISSART, Professeur, Institut d’Urbanisme de Grenoble (Rapporteur).

34Cette thèse d’économie politique du développement porte sur les contours théoriques et les modalités pratiques de programmes qui seraient compatibles avec la double perspective de l’écodéveloppement et de la souveraineté alimentaire. Sur la base d’une étude du mouvement coopératif paysan au Nicaragua, la thèse propose de questionner l’organisation des systèmes agroalimentaires en relation avec leur rôle dans les processus de développement et en tant qu’interfaces privilégiées entre société et nature.

35Le premier chapitre consiste en une étude économique et socio-historique approfondie du secteur agricole et du coopérativisme paysan au Nicaragua. Dans sa forme actuelle et dans le contexte de confrontation des économies rurales latino-américaines au processus de globalisation néolibérale excluante, le coopérativisme agraire est présenté comme le résultat d’un mouvement socio-politique porteur d’un projet alternatif de société.

36Les deux chapitres suivants restituent la recherche qualitative de terrain et ses principaux résultats empiriques. Cette recherche visait à faire progresser la compréhension de l’engagement coopératif paysan et des pratiques associées. Renforcée par la confrontation à des observations de terrain ainsi qu’à la littérature grise « locale », l’analyse de contenu thématique des entretiens semi-directifs réalisés au Nicaragua révèle trois axes qui structurent la motivation à l’engagement coopératif : des motivations d’ordre « strictement économique », qui font référence à des aspects de valorisation, d’accès au marché, d’emploi, etc. ; des motivations d’ordre « socio-politique », qui correspondent à des objectifs plus généraux de développement ; des motivations transversales d’ordre « organisationnel », qui instituent la forme coopérative comme une motivation en soi, par adhésion aux valeurs et à l’histoire du coopérativisme.

37Le quatrième chapitre procède au basculement normatif de cette thèse. Celui-ci s’opère en deux temps. L’interprétation à l’aune du concept de Système Agroalimentaire Localisé (Syal) de certaines dynamiques territoriales permet d’abord de qualifier la réalité observée. Les motivations à l’organisation en coopérative, les représentations du système agroalimentaire ainsi que les pratiques agricoles et organisationnelles concourent à la définition de stratégies collectives à l’échelle de territoires spécifiques et en lien direct avec l’implantation et l’action des réseaux coopératifs paysans. En proposant la notion de « Syal-Coopérative », l’auteur entend favoriser la prise en considération de l’adossement de ces dynamiques à un mouvement socio-politique et des spécificités que cela induit.

38Parmi ces spécificités, l’agroécologie intervient autant dans la définition des stratégies collectives que dans l’évolution des pratiques. À la fois science intégrative, approche et mouvement social, l’agroécologie questionne les processus de développement rural local et leur durabilité. Le bouclage des flux de matière et d’énergie devient central au sein de socio-écosystèmes fondés sur la multiplication des coopérations, des complémentarités, voire des synergies. Par ce biais, une voie de rapprochement est ouverte avec des réflexions menées en France en écologie industrielle et en écologie territoriale. La thèse amorce alors un bouclage réflexif autour du rôle de l’organisation des systèmes agroalimentaires dans les processus de développement, de structuration des sociétés industrielles modernes et, in fine, dans l’amorce de trajectoires de réencastrement socio-écologique.

39Renaud METEREAU, chercheur affilié au Centre de Recherche en Économie de Grenoble (CREG), renaud.metereau@univ-grenoble-alpes.fr

Thomas Mollanger, Le déséquilibre du pouvoir : réputation et régulation. Comment les stratégies de marque des négociants charentais ont reconfiguré les enjeux réputationnels au sein des chaînes de distribution d’eaux-de-vie de Cognac, fin xviiie-début xxe siècle., Thèse de sciences économiques, réalisée sous la direction de Hubert BONIN (GREThA – Université de Bordeaux), soutenue le 15 février 2018 à l’Université de Bordeaux

40Jury composé de Teresa DA SILVA LOPES, Professeure, York Management School (Rapporteure) ; Marguerite FIGEAC-MONTHUS, Professeure, Université Bordeaux-Montaigne (Rapporteure) ; Bertrand BLANCHETON, Professeur, Université de Bordeaux ; Eugénie BRIOT, Maître de conférences, Université Paris Est - Marne-la-Vallée ; Christophe LUCAND, Maître de conférences, Université de Bourgogne ; Sylvie VABRE, Maître de conférences, Université de Toulouse.

41À la croisée des sciences économiques et de l’histoire, cette thèse porte sur la façon dont l’adoption de stratégies de marque par des négociants producteurs a contribué à modifier l’équilibre du pouvoir et à reconfigurer les enjeux liés à la confiance et à la réputation au sein des chaînes de distribution. L’étude a été centrée sur le marché des eaux-de-vie de Cognac, jusque-là principalement étudié sous l’angle de la géographie, sans s’interdire des comparaisons avec d’autres alcools. À partir du dépouillement d’archives de négociants en eaux-de-vie de Cognac, notamment celles de la maison Jas. Hennessy & Co, d’archives de distributeurs étrangers (Royaume-Uni, États-Unis), d’archives d’institutions (chambres de commerce), d’archives juridiques et de plusieurs fonds de presses spécialisées et généralistes (Royaume-Uni, États-Unis, Australie), cette étude essaie de comprendre comment le nouveau contexte institutionnel de la seconde moitié du xixe siècle, avec les nouvelles régulations sur la qualité, sur la propriété intellectuelle, a permis à certains négociants charentais d’adopter des stratégies de marque afin de prendre le pouvoir au sein des chaînes de distribution d’eaux-de-vie de Cognac.

42Une analyse chronologique en deux temps a été adoptée afin d’identifier un avant et un après. Au cours de la première moitié du xixe siècle, les produits étaient principalement commercialisés sous les marques des détaillants ou sous des marques collectives. Les consommateurs, pour choisir leurs eaux-de-vie, s’appuyaient sur les réputations individuelles des distributeurs. Les réputations des producteurs n’étaient pas connues, sauf exceptions, au-delà des acteurs situés directement en aval au sein des chaînes de distribution. Une fois les eaux-de-vie réceptionnées par le distributeur, ce dernier était libre de les commercialiser comme il l’entendait. Le contexte institutionnel n’offrait pas la possibilité aux négociants charentais de poursuivre en justice les grossistes et les détaillants, très majoritairement étrangers, qui se livraient à de telles opérations.

43Au cours de la seconde moitié du xixe siècle, une nouvelle forme de coordination apparut, beaucoup moins individualisée, fondée sur une forme impersonnelle : les marques. La reconnaissance des droits de propriété intellectuelle dans l’arène marchande était la conséquence d’un nouveau contexte commercial « mondialisé » qui requit de nouvelles règles du jeu, de nouvelles formes de régulation. La question de la qualité des produits et celle des marques firent l’objet d’attentions accrues et de régulations massives au cours du dernier tiers du xixe siècle. Elles offrirent la possibilité aux producteurs d’adopter des stratégies de marque.

44Les producteurs prirent en main des fonctions de distribution et de commercialisation qui faisaient partie intégrante du travail des intermédiaires de la distribution. La publicité, la fixation des prix, l’embouteillage ou la standardisation des alcools permirent aux producteurs d’établir un lien direct avec les consommateurs, en poussant leurs noms en face des yeux de ces derniers. Le rôle des intermédiaires de commerce, grossistes et détaillants, fut remis en question et reconfiguré par le poids grandissant des marques de producteurs au sein des chaînes de distribution. On passa d’un modèle fondé sur la confiance personnelle, individuelle, à un modèle caractérisé par une confiance impersonnelle.

45Thomas MOLLANGER, docteur en sciences économiques, Université de Bordeaux, thomas.mollanger@gmail.com

Marie Piganiol, Quartiers de reconnexion. Genèse et production d’un nouveau modèle urbain, Thèse de sociologie, réalisée sous la direction de Sophie DUBUISSON-QUELLIER, Directrice de recherche CNRS, CSO, soutenue le 20 novembre 2017 à l’Institut d’études politiques de Paris

46Jury composé de Patrick LE GALÈS, Directeur de recherche CNRS, CEE ; Renaud PAYRE, Professeur, Institut d’études politiques de Lyon (Rapporteur) ; Philippe STEINER, Professeur, Université Paris-Sorbonne ; Sylvie TISSOT, Professeure, Université Paris VIII Vincennes Saint-Denis ; Pascale TROMPETTE, Directrice de recherche CNRS, Pacte (Rapporteure).

47Cette recherche part de deux constats énigmatiques. Le premier est celui d’un développement général et concomitant en France de nouveaux quartiers, réalisés ex nihilo sur d’anciens lieux industriels en ville, dans la seconde moitié des années 2000. Le deuxième est celui du caractère réformateur que prennent progressivement ces quartiers, lancés à l’origine pour accroître le pouvoir des gouvernements locaux et devenant, en cours de production, les modèles de ville mixte, durable et inclusive du xxie siècle, répondant désormais au nom d’« écoquartier ». Cette thèse entend répondre à ces deux énigmes en retraçant la genèse et la production de ces quartiers, saisis aux différents stades de leur réalisation. L’hypothèse centrale est que le développement et la mise en modèle de ces quartiers sont inséparables des forces économiques et politiques qui motivent leur production.

48La thèse s’appuie pour cela sur l’approche de la valuation développée en sociologie économique. Il s’agit de comprendre comment, au fil des interventions de différents acteurs et au cours d’épreuves et de conflits, ces nouveaux quartiers endossent différentes valeurs économiques, sociales et symboliques concourant à en extraire un nouveau modèle urbain, généralisable à toutes les villes de France et, même, exportable à l’étranger. Une approche « par cas » (trois « écoquartiers » d’Île-de-France) a été combinée à l’étude de la circulation de ce modèle urbain au niveau national (par la constitution de labels, notamment) et international (à l’occasion de la COP21). 86 entretiens avec différents acteurs, publics et privés, locaux et nationaux ont été menés, auxquels se sont ajoutés une douzaine de terrains d’observations, dont deux d’un an chacun, l’analyse de données quantitatives (sociodémographiques et de marché), ainsi que l’étude de documents de travail internes, de dispositifs techniques et de documents iconographiques au long d’un terrain effectué tout au long de la thèse, de 2011 à 2017.

49En mobilisant les outils de la « nouvelle sociologie économique », la thèse revisite ainsi deux questions centrales de la sociologie urbaine. La première est celle de la « production de la ville » saisie du point de vue des acteurs et de leur rationalité. La deuxième est celle des « modèles » et des catégories de perception de la ville, dont la construction processuelle est analysée à travers ses circulations (entre milieux économiques, politiques, administratifs, scientifiques et militants, ainsi qu’entre les échelles locales, nationales et internationales). Ces deux questions, traitées de manière séparée dans la sociologie urbaine, sont au contraire appréhendées ensemble dans cette thèse. L’analyse croisée de la genèse et de la production du modèle révèle ainsi que le succès des « écoquartiers » en France est le résultat de « reconnexions » multiples et comprises de manière polysémique : entre les multiples acteurs de la production urbaine ; entre des espaces urbains jusqu’alors tenus séparés par la présence d’industries à l’intérieur des villes ; entre classes sociales mais aussi entre les habitants et la nature à l’intérieur des nouveaux quartiers.

50Marie PIGANIOL, post-doctorante, Max Planck Institute for the Study of Societies, marie.piganiol@gmail.com

Victor Potier, La fabrique des « Serious Games » : activité, normes, usages du jeu dans les rouages de l’innovation pédagogique, Thèse de sociologie, réalisée sous la direction de Michèle LALANNE, Professeure, Institut National Universitaire J.-F. Champollion d’Albi, et Franck COCHOY, Professeur, Université Toulouse Jean Jaurès, soutenue le 20 octobre 2017 à l’Université Toulouse Jean Jaurès

51Jury composé d’Anne MONJARET, Directrice de recherche, EHESS, Paris (Rapporteure) ; Dominique VINCK, Professeur, Université de Lausanne, Suisse (Rapporteur) ; Sylvie MONCHATRE, Maître de conférences HDR, Université de Strasbourg ; Pierre LAGARRIGUE, Professeur des universités, Institut National Universitaire J.-F. Champollion d’Albi.

52Les « serious games » connaissent aujourd’hui un succès retentissant sur le plan marchand, scientifique et pédagogique. En 2010, leur marché est estimé avoir généré 40 millions d’euros dont la moitié est issue de subventions publiques, pour une croissance annuelle moyenne estimée à 16,4 %. Dispositifs pédagogiques reprenant l’apparence des jeux vidéo, ils proposent une innovation tant technique que culturelle : transposer une activité de jeu, présumée futile, en travail d’apprentissage utile et sérieux.

53Mise en lien avec une appétence générationnelle à l’utilisation du jeu et d’outils numériques, cette transposition n’a pourtant rien d’évident : le jeu sérieux est un dispositif qui n’existe que par la coordination de plusieurs mondes sociaux, issus des secteurs publics et privés, et qui opère des médiations techniques et normatives bien en amont de son usage en classe. Comment alors s’opèrent ces médiations pour que le « serious game » devienne le point de repère de l’action des acteurs qui portent l’innovation par le jeu ?

54Cette thèse, cofinancée par la région Midi-Pyrénées et l’INU J.-F. Champollion d’Albi, propose de mettre en concordance les sociologies de l’activité, des usages, des politiques publiques et des marchés pour analyser le développement et les usages d’un jeu sérieux, Mecagenius, développé à Albi par l’équipe SGRL. Elle privilégie une approche méthodologique multidisciplinaire structurée par l’analyse vidéo-ethnographique des usages, l’usage d’entretiens semi-directifs, la passation de questionnaires et l’analyse documentaire.

55L’analyse de la mise en marché du jeu sérieux montre que le marché public du jeu sérieux n’est pas si « marchand » que cela. La multitude des acteurs en présence en justifie l’analyse en sa qualité d’agencement marchand, dans lequel les enseignants sont à la fois producteurs, concepteurs, expérimentateurs et consommateurs de l’innovation. Les sphères économiques privées et publiques s’interpénètrent au rythme des épreuves d’intéressement et des opérations de traduction. Au sein de ce réseau, le jeu sérieux sert alors une fonction d’organisation sociotechnique, mais il ne débouche pas systématiquement sur les innovations pédagogiques attendues et espérées.

56L’innovation par le jeu sérieux ne tient pas seulement au développement d’un outil, mais à l’élaboration d’un système de normes techniques, économiques et politiques sur l’usage éducatif du jeu vidéo. Les acteurs élaborent une normativité ludique au fil de leurs processus de traduction qui, une fois en classe, est pourtant appropriée par élèves et enseignants à l’aune de pratiques pédagogiques plus classiques. Cette rupture de la norme à l’usage est directement corrélée à des transformations professionnelles du métier d’enseignant ou à des processus de socialisation parmi les étudiants. En ce sens, le social ne rencontre pas nécessairement la technique lors de l’élaboration du cadre d’usage du « serious game », et parfois ne subsiste de jeu que son nom.

57Victor POTIER, membre du Centre d’Étude et de Recherche Travail Organisation Pouvoir (CERTOP), victor.potier@univ-tlse2.fr

Camille Trémeau, S’informer, s’indigner, réclamer, revendiquer ou non en entreprise. Les jeunes salariés à l’épreuve de leurs droits, Thèse de sociologie, réalisée sous la co-direction de Jean-Noël RETIÈRE, Professeur, Université de Nantes, et Hélène MICHEL, Professeure, Université de Strasbourg, soutenue le 29 mars 2017 à l’Université de Nantes

58Jury composé de Jérôme PELISSE, Professeur, Sciences Po (Rapporteur) ; Olivier SCHWARTZ, Professeur émérite, Université Paris Descartes (Rapporteur) ; Marie CARTIER, Professeure, Université de Nantes ; Yasmine SIBLOT, Professeure, Université Paris 8.

59Cette thèse interroge les savoirs, les usages et les perceptions qui caractérisent le rapport au droit du travail de jeunes salariés employés dans trois secteurs d’activité : le BTP, la coiffure-esthétique, l’informatique. À la croisée des sociologies du travail, du droit et de la socialisation, elle s’appuie sur une enquête « par le bas » et « par cas » articulant des entretiens approfondis et réitérés, une exploitation d’archives personnelles et une ethnographie de jeunes salariés ayant saisi les Prud’hommes.

60La thèse montre que loin de résulter d’une socialisation juridique « hors-sol », la propension des jeunes salariés à s’informer, s’indigner, voire défendre leurs droits repose sur l’activation de dispositions croisées résultant, à des degrés divers, de leurs socialisations familiales, scolaires et salariales. Une entrée par les relations tissées avec l’employeur et/ou le supérieur hiérarchique permet d’interroger plus directement les usages que font (ou non) les jeunes salariés de leurs droits. Dans tous les cas, c’est l’ambivalence des relations de travail qui ressort de l’analyse, et qui pose la question des conditions de possibilité de la confrontation. Or les secteurs d’activité enquêtés sont marqués par l’absence ou la présence discrète de syndicats, ainsi que par différents mécanismes d’individualisation des relations de travail. Principale conséquence : les « voies du collectif » restent peu explorées par les enquêtés, de par leur inscription dans des entreprises, des secteurs d’activité et/ou des statuts ne favorisant pas plus le recours aux instances représentatives du personnel et aux syndicats qu’incitant à faire grève. Dans ce contexte, si les salariés peuvent échanger entre eux, s’informer, se concerter, la confrontation avec l’employeur demeure individuelle. Au sein de chaque secteur et entreprise, les jeunes salariés apparaissent dès lors inégalement « armés » pour faire face à leur employeur. C’est en partie ce qui explique que le sentiment d’être exploité ou lésé ne donne qu’inégalement lieu à des pratiques revendicatives.

61Analyser conjointement le poids des socialisations et des configurations professionnelles dans lesquelles sont pris les jeunes salariés s’avère d’autant plus nécessaire lorsque l’on s’intéresse aux recours à la justice prud’homale. Ce n’est qu’à cette condition que l’on peut comprendre la genèse des sentiments d’injustice qui ont encouragé certains à emprunter la voie prud’homale, tout en ne négligeant pas ces cas où de jeunes salariés n’ont envisagé l’action en justice qu’en ultime recours, quand la dégradation des relations de travail ne laissait plus espérer qu’une fin de contrat. Enfin, la thèse éclaire les effets socialisateurs de l’épreuve judiciaire, puisque l’expérience prud’homale a consacré, pour l’ensemble des justiciables rencontrés, l’existence d’intérêts antagoniques entre employeur et salarié.

62Camille TREMEAU, docteure au Centre nantais de sociologie (CENS), camille.tremeau@univ-nantes.fr

Kevin Troch, « Ne pas grever l’avenir au bénéfice du présent ». Une histoire environnementale de l’extraction du charbon en Belgique et dans le nord de la France de la seconde moitié du 18e siècle à l’Entre-deux-guerres : un développement non soutenable. L’exemple du Couchant de Mons et du Valenciennois, Thèse d’histoire, réalisée sous la co-direction de Béatrice TOUCHELAY, Professeure, Université de Lille, et Isabelle PARMENTIER, Professeure, Université de Namur, soutenue le 2 février 2018 à l’Université de Lille

63Jury composé de Geneviève MASSARD-GUILBAUD, Directrice d’études, EHESS (Rapporteure) ; Laurent HONNORE, Docteur en histoire et Chef de service aux Archives de l’État à Mons (Rapporteur) ; Judith RAINHORN, Professeure, Université Paris-I Sorbonne ; Thomas LE ROUX, Chercheur CNRS, EHESS.

64Cette thèse d’histoire environnementale porte sur les dégradations environnementales causées par l’extraction du charbon du xviiie siècle aux années 1930 en Belgique et en France, en prenant comme terrains d’enquête les deux bassins frontaliers du Borinage et du Valenciennois. Elle tend à montrer que les impacts des activités minières constituaient un problème de société dès les débuts de l’exploitation du charbon à l’échelle industrielle et que ces impacts ont eu une influence capitale dans l’histoire économique des charbonnages belges et français. Dans certains cas, c’est l’incapacité des charbonnages à pouvoir supporter le coût des dégâts miniers qui a entraîné l’arrêt de l’activité.

65Pour démontrer cela, la thèse mobilise de nombreuses sources et procède à une étude comparative entre les deux régions choisies pour l’enquête.

66La première partie aborde la période antérieure aux années 1870. Elle envisage d’abord les conditions juridiques, économiques, scientifiques et culturelles qui entraînent la promotion du charbon comme moteur de la croissance industrielle et les premières préoccupations environnementales liées aux dégâts miniers (1er chapitre). Ensuite, une typologie des dégradations environnementales causées par les charbonnages est proposée (2e chapitre). Cette typologie permet au lecteur d’avoir une vue d’ensemble des impacts engendrés par l’activité extractive.

67La seconde partie se centre sur la période 1870-1940 et sur les problèmes rencontrés par les charbonnages pour faire face aux dégâts et aux mouvements de contestation menés par une partie des habitants des bassins houillers. Entre 1870 et 1914, les premières inquiétudes surgissent et mènent à l’adoption de plusieurs lois en faveur de la protection de l’environnement. Toutefois, bien que le caractère destructeur de l’extraction du charbon soit reconnu, le système minier n’est pas remis en question car le charbon est le sang qui irrigue la société industrielle. De plus, une science des dégâts miniers, mêlant géologie, droit et économie se développe afin de soutenir la politique extractiviste de la Belgique et de la France (3e chapitre). Enfin, la thèse analyse l’Entre-deux-guerres (4e chapitre) et montre que c’est durant cette période que l’extraction atteint des volumes jusque-là inédits engendrant des dégradations tellement importantes qu’elles entraînent, dans certains cas, la fermeture de charbonnages et risquent de compromettre la poursuite de l’activité minière. C’est aussi pendant ces deux décennies que les gouvernements belge et français adoptent des mesures urgentes pour réguler ces problèmes environnementaux.

68Cette contribution ouvre donc la voie à une histoire environnementale comparée des activités extractives prenant en compte la « dette écologique » accumulée par les activités industrielles et minières. La thèse a montré qu’en prenant en considération le coût des externalités minières, une relecture critique de l’histoire charbonnière belge et française est possible et bouleverse considérablement les travaux antérieurs.

69Kevin TROCH, chercheur affilié à l’IRHiS (ULille) et au PolleN (UNamur), kevin.troch85@gmail.com

  1. Jérémie Bastien, Le football professionnel européen dans un système capitaliste financiarisé en crise : une approche régulationniste des facteurs de changement institutionnel, Thèse de sciences économiques, dirigée par Jean-Jacques GOUGUET, Professeur émérite, Université de Limoges, et Gilles RASSELET, Professeur émérite, Université de Reims Champagne-Ardenne, soutenue le 5 décembre 2017 à l’Université de Reims Champagne-Ardenne
  2. Simon Bittman, Des loan sharks aux banques. Croisades, construction et segmentation d’un marché du crédit aux États-Unis, 1900-1945, Thèse de sociologie réalisée sous la direction de Claire LEMERCIER, Directrice de recherche CNRS, Centre de sociologie des organisations, Institut d’études politiques de Paris, et Marion FOURCADE, Professor of Sociology, University of California, Berkeley, soutenue le 18 mai 2018 à l’Institut d’études politiques de Paris, Centre de sociologie des organisations
  3. Alexia Blin, Politiser l’entreprise. Une histoire des coopératives dans le Wisconsin (années 1870 - années 1930), Thèse d’histoire et civilisation, réalisée sous la direction de François WEIL, Professeur associé, EHESS, soutenue le 18 novembre 2017 à l’EHESS
  4. Thérèse Bru, Circulations scientifiques. Les naturalistes et leurs données entre les mondes britannique et français (1700-1836), Thèse d’histoire, réalisée sous la direction de Philippe MINARD, Professeur, Université Paris 8 et Directeur d’études, EHESS, soutenue le 5 décembre 2017 à l’Université Paris 8
  5. Sarah Kolopp, Le Trésor et ses mondes (1966-1995). Contribution à une sociologie relationnelle de l’État, Thèse de sociologie politique, réalisée sous la direction de Michel OFFERLÉ, Professeur émérite de science politique, ENS de Paris, soutenue le 30 novembre 2017 à l’ENS de Paris
  6. Renaud Metereau, Mouvement Coopératif Paysan et SYAL au Nicaragua : leviers d’écodéveloppement ?, Thèse d’économie politique du développement, réalisée sous la direction de Catherine FIGUIÈRE, Maître de conférences HDR, Université Grenoble-Alpes, soutenue le 21 octobre 2016 à l’Université Grenoble-Alpes
  7. Thomas Mollanger, Le déséquilibre du pouvoir : réputation et régulation. Comment les stratégies de marque des négociants charentais ont reconfiguré les enjeux réputationnels au sein des chaînes de distribution d’eaux-de-vie de Cognac, fin xviiie-début xxe siècle., Thèse de sciences économiques, réalisée sous la direction de Hubert BONIN (GREThA – Université de Bordeaux), soutenue le 15 février 2018 à l’Université de Bordeaux
  8. Marie Piganiol, Quartiers de reconnexion. Genèse et production d’un nouveau modèle urbain, Thèse de sociologie, réalisée sous la direction de Sophie DUBUISSON-QUELLIER, Directrice de recherche CNRS, CSO, soutenue le 20 novembre 2017 à l’Institut d’études politiques de Paris
  9. Victor Potier, La fabrique des « Serious Games » : activité, normes, usages du jeu dans les rouages de l’innovation pédagogique, Thèse de sociologie, réalisée sous la direction de Michèle LALANNE, Professeure, Institut National Universitaire J.-F. Champollion d’Albi, et Franck COCHOY, Professeur, Université Toulouse Jean Jaurès, soutenue le 20 octobre 2017 à l’Université Toulouse Jean Jaurès
  10. Camille Trémeau, S’informer, s’indigner, réclamer, revendiquer ou non en entreprise. Les jeunes salariés à l’épreuve de leurs droits, Thèse de sociologie, réalisée sous la co-direction de Jean-Noël RETIÈRE, Professeur, Université de Nantes, et Hélène MICHEL, Professeure, Université de Strasbourg, soutenue le 29 mars 2017 à l’Université de Nantes
  11. Kevin Troch, « Ne pas grever l’avenir au bénéfice du présent ». Une histoire environnementale de l’extraction du charbon en Belgique et dans le nord de la France de la seconde moitié du 18e siècle à l’Entre-deux-guerres : un développement non soutenable. L’exemple du Couchant de Mons et du Valenciennois, Thèse d’histoire, réalisée sous la co-direction de Béatrice TOUCHELAY, Professeure, Université de Lille, et Isabelle PARMENTIER, Professeure, Université de Namur, soutenue le 2 février 2018 à l’Université de Lille
Mis en ligne sur Cairn.info le 26/11/2018
https://doi.org/10.3917/rfse.021.0209
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