1Jens Beckert est professeur de sociologie économique et directeur du Max Planck Institute for the Study of Societies à Cologne (Allemagne). Ses recherches analysent le fonctionnement des marchés et des institutions économiques dans les sociétés capitalistes. Il est l’auteur de nombreux travaux consacrés à la théorie sociologique, à l’héritage, aux marchés illégaux, au problème de la qualité et de la valeur et à l’encastrement moral des marchés. Son ouvrage, Imagined Futures. Fictional Expectations and Capitalist Dynamics, porte sur le rôle des anticipations dans l’action économique. Il est paru en 2016 à Harvard University Press. Jens Beckert a reçu en 2018 le prix Gottfried Willhelm Leibniz, la plus haute distinction de recherche en Allemagne.
2L’interview a été menée en janvier 2018. Une bibliographie indicative a été reconstituée a posteriori à partir de l’entretien (en laissant de côté les « géants » et les « classiques » cités). Elle constitue un support de travail pour ceux qui s’intéressent à la question des futurs économiques.
31. La question du futur est au cœur de votre dernier livre. Comment en êtes-vous venu à travailler sur ce sujet ?
4L’idée trouve son origine dans deux recherches conduites précédemment : l’une sur le marché de la loterie et l’autre sur l’héritage. Dans le projet consacré au marché de la loterie, nous nous sommes demandé pourquoi des joueurs dépensent de l’argent pour un bien qui a une utilité espérée négative. L’étude que nous avons conduite a montré que les joueurs avaient une imagination débordante concernant la manière dont leur vie allait changer une fois que « leurs » numéros auraient été tirés. Dans leur imagination, ils vivent déjà la vie des riches. Dans le cadre du projet sur l’héritage, j’ai également croisé, de façon répétée, des récits de testateurs qui imaginaient précisément la manière dont la distribution de leur richesse après leur décès allait affecter la vie future de leurs héritiers. Dans les deux cas, ce sont des représentations du futur qui motivent les actions présentes.
5J’ai aussi été influencé par le travail d’Albert Hirschman, même si la portée de cette influence ne m’est apparue avec évidence qu’après avoir commencé à travailler sur mon livre. Prenant pour terrain les luttes politiques européennes du milieu du xxe siècle – dans lesquelles il a lui-même été personnellement impliqué –, A. Hirschman s’intéresse à l’engagement des individus dans des actions non rationnelles. Il voit clairement que les résultats anticipés des luttes peuvent constituer une force de motivation pour que des acteurs s’engagent dans des activités a priori non rationnelles. Anticiper l’atteinte de l’objectif motive les acteurs et les aide à faire face aux difficultés rencontrées dans le présent.
6Une fois que j’eus compris qu’une action présente peut être motivée par un futur imaginé, il était assez facile de trouver d’autres exemples dans la vie économique contemporaine. En réalité, les exemples sont tellement nombreux que j’ai estimé que cela devait être un élément central de l’économie et je me suis demandé pourquoi ce sujet attirait aussi peu l’attention en sociologie économique et en économie politique. Quand on s’intéresse aux futurs imaginés, les décisions d’investissement sont les premières choses qui viennent à l’esprit. Il suffit d’ouvrir les pages économie d’un journal pour s’en rendre compte : une fusion d’entreprises est annoncée, de nouvelles actions sont émises lors de l’introduction en bourse d’une société, un PDG parle de la croissance future de son entreprise, etc. Si l’idée paraît assez évidente, elle ne figure pas à ce jour en bonne place parmi les questions qui intéressent la sociologie économique. Il existe cependant quelques exceptions notables, comme le travail d’Elena Esposito sur les marchés financiers. J’ai pu constater le potentiel énorme de cette idée pour renouveler l’analyse des décisions économiques. C’est seulement plus tard, notamment en lisant le travail de Pierre Bourdieu sur l’Algérie, qu’il est devenu clair pour moi que cette approche ouvrait également la voie à une perspective innovante pour expliquer le caractère dynamique du capitalisme. La dynamique renvoie à l’incroyable croissance des économies capitalistes durant les deux derniers siècles, mais aussi aux crises récurrentes connues par ces économies pendant cette période.
72. Que sont les « anticipations fictionnelles » ?
8Les anticipations fictionnelles sont des représentations d’états futurs du monde et de relations causales qui viennent éclairer les prises de décision des acteurs. Le terme est directement lié à la notion d’incertitude et à la vision du futur comme ouvert, c’est-à-dire comme permettant différentes possibilités dont l’occurrence effective ne peut être prévue. Le terme fictionnel ne signifie pas que les décisions des acteurs économiques reposent sur des imaginaires débridés qui n’auraient pas pour fondement l’analyse minutieuse de la réalité. Au contraire, l’usage de ce terme est une manière de prendre au sérieux les conditions épistémologiques dans lesquelles les décisions sont prises en situation d’incertitude. Si nous partons du principe que le futur n’est pas l’ombre statistique du passé – du fait de l’irruption permanente de nouveautés –, il en résulte qu’on ne peut pas savoir, même en termes probabilistes, à quoi ressemblera l’avenir. De ce constat découle une question : comment conceptualiser les décisions prises dans de telles conditions ? Les acteurs sont très soucieux des conséquences de leurs décisions et veulent éviter de se tromper. Il n’y a cependant pas de moyen déterministe et rationnel de savoir quel est le bon choix. Je défends la thèse que, dans ces conditions, la meilleure façon d’envisager les anticipations est de les considérer comme fictionnelles. Elles créent une réalité qui leur est propre, une image de l’état futur du monde. Si les acteurs sont convaincus de la véracité de cette image, si elle leur paraît crédible, ils agissent « comme si » l’image conçue était véritablement l’état futur du monde. L’image devient ce que l’anthropologue états-unienne du droit Annelise Riles a appelé un « substitut » (placeholder). Encore une fois, cela ne signifie pas que les acteurs ne vont pas très scrupuleusement étudier la situation. De fait, ils essaient de rassembler toute l’information pertinente qu’ils peuvent recueillir et de prendre les meilleures décisions possible. Cependant, si le futur est incertain en raison de son ouverture, les acteurs ne peuvent jamais savoir, même pas en termes probabilistes, si leurs considérations sont correctes ou complètement fausses. Cela ne peut être connu que de manière rétrospective, et encore.
9Le concept d’anticipation fictionnelle s’oppose à celui d’anticipation rationnelle qui est au cœur des fondations microéconomiques de la macroéconomie contemporaine. Comme le reconnaissent les défenseurs de la théorie des anticipations rationnelles eux-mêmes, cette théorie n’est pas valide en situation d’incertitude knightienne. Robert Boyer et André Orléan ont très minutieusement développé ce point. Il me semble que mettre l’accent sur le caractère contingent et non déterministe des anticipations permet de comprendre de très nombreux phénomènes économiques qui semblent déconcertants quand on se place dans la perspective des anticipations rationnelles.
103. Pourquoi les anticipations fictionnelles sont-elles caractéristiques de la modernité ?
11Aux différents ordres sociaux correspondent différents rapports au temps des acteurs. Cette idée a été développée par Pierre Bourdieu dans son travail sur l’Algérie et, plus encore, par l’historien allemand Reinhart Koselleck. Ce dernier considère que l’on peut observer historiquement une rupture du rapport au temps des individus à partir du début de l’époque moderne. Les sociétés médiévales et, plus généralement, les sociétés traditionnelles ont une représentation cyclique du temps. Le futur est perçu comme la répétition d’événements passés. Compte tenu des fondements agraires de ces sociétés, cela n’a rien de surprenant. Il est à ce titre symptomatique que de nombreuses langues vernaculaires n’aient pas de mot pour désigner le « futur ». Pour autant, cela ne veut pas dire que ces sociétés ne se représentent pas le futur. Elles ont conscience des dangers des sécheresses, des tremblements de terre et autres désastres naturels, et elles prennent en conséquence des précautions pour assurer leur survie. Certaines ont en outre une compréhension eschatologique du futur. Considérant que le monde évolue dans une direction prédéterminée, elles estiment que l’histoire s’achèvera par une apocalypse.
12Par contraste, les sociétés modernes se représentent le futur comme ouvert et indéterminé. Une telle représentation implique que le futur peut être modifié par des décisions et suppose l’existence d’opportunités mais aussi de risques. Le processus historique est donc long et sans doute jamais totalement achevé. Dans ces conditions, les anticipations fictionnelles peuvent devenir d’importants points de repère pour les acteurs et motiver leurs décisions.
13Au cours de l’histoire du capitalisme, le changement culturel du rapport au temps s’est accompagné de transformations institutionnelles, en particulier le développement de la concurrence. La concurrence force les acteurs à penser le futur comme différent du présent. Ces derniers savent en effet que d’autres acteurs vont essayer de les dépasser. Mettre les anticipations fictionnelles au centre d’une théorie des dynamiques du capitalisme revient ainsi à considérer qu’il s’agit à la fois d’une théorie culturelle et d’une théorie institutionnelle.
14Dans le livre, j’explore le rôle des futurs imaginés dans la dynamique de la modernité capitaliste. Un rapport au temps similaire caractérise les sociétés socialistes. Les mouvements de travailleurs et les organisations syndicales ont toujours essayé d’inciter leurs membres à s’engager dans l’action collective en leur donnant à voir un avenir meilleur, comme on le voit très clairement dans les paroles des chants socialistes. Cependant, à la différence des représentations du futur caractéristiques des sociétés capitalistes, les pensées socialistes ont un point d’arrivée prédéfini : la société socialiste. Le capitalisme ne dispose pas d’un tel point d’arrivée car la logique de l’accumulation capitaliste est sans fin : que l’on considère la question sous l’angle de l’individu ou de la société, il est toujours possible de devenir plus riche.
154. Comment les représentations concurrentes du futur – que vous nommez « futurs imaginés » ou « anticipations fictionnelles » – sont-elles produites ? Comment deviennent-elles légitimes ? La production de futurs économiques est-elle nécessairement liée à un calcul ?
16Imaginer le futur est une caractéristique propre aux hommes, peut-être la plus importante qui soit. Le théoricien de la littérature allemand Wolfgang Iser a inventé le terme « Fiktionsfähigkeit », qui peut se traduire par « capacité fictionnelle ». Les êtres humains sont la seule espèce capable de créer des images du futur et d’y projeter un monde complètement différent de celui dans lequel ils vivent. Des représentations du futur ont toujours existé : il suffit de penser aux eschatologies religieuses. Cependant, c’est seulement à partir de l’époque moderne que des sociétés entières se mettent à projeter des futurs économiques alternatifs et aspirent à les faire advenir. Ceci illustre bien le changement culturel du rapport au temps que j’ai décrit précédemment.
17La question de la légitimité des anticipations fictionnelles renvoie selon moi à celle de leur crédibilité. Pour pouvoir influencer les décisions présentes, les futurs imaginés doivent être crédibles : les acteurs doivent croire qu’il existe une probabilité réelle que ces futurs finissent effectivement par devenir leur présent. Ce qui rend les représentations crédibles est une question cruciale qui nécessite d’être davantage étudiée. Pour l’instant, je ne peux présenter que des intuitions. Les récits sur le futur doivent remplir une série de critères formels : ils doivent être cohérents, plausibles et prendre en considération les faits établis. La crédibilité est également socialement inscrite dans des tropes culturels (par exemple, celui du « rêve américain ») et dans des réseaux sociaux. Elle dépend en outre des structures institutionnelles en place et de la position dans le champ de celui qui énonce le récit. Cet élément renvoie au pouvoir de crédibilité des futurs imaginés, comme le montre la célèbre déclaration de Mario Draghi : « Croyez-moi, ce sera suffisant. » Si cette phrase a été vue comme une description crédible du futur de l’euro par les marchés financiers, elle le doit au pouvoir de son locuteur, président de la Banque centrale européenne. Le point de départ pour théoriser la crédibilité des anticipations fictionnelles est de ne pas oublier l’ancrage social de cette crédibilité et son caractère non strictement individuel.
18La question de la diffusion des anticipations fictionnelles, qui est directement liée à celle de la crédibilité, invite à prendre davantage en considération le rôle des médias de masse. De ce point de vue, le travail de Robert Shiller consacré aux liens entre les bulles financières et le développement de la presse écrite et des autres médias de masse est particulièrement intéressant.
19Venons-en maintenant à la dernière partie de votre question, qui portait sur le rôle du calcul. Les modèles économiques et les techniques de prévision, qui sont les principaux instruments du calcul économique, sont absolument essentiels pour la crédibilité des futurs imaginés. Il existe d’ailleurs une concomitance historique intéressante : le calcul des probabilités sur lequel se fondent les modèles économiques a émergé au xviie siècle, c’est-à-dire au moment même où le capitalisme moderne a pris son essor. Les projets risqués entrepris par les explorateurs avaient besoin du calcul des risques engagés afin d’assurer les investissements. Le calcul rationnel a permis d’estimer la probabilité de certains événements futurs. Aujourd’hui, le calcul est le seul outil légitime pour justifier les choix d’investissements. S’il peut y avoir des débats pour savoir quels sont les meilleurs modèles financiers, tout le monde s’accorde en revanche pour reconnaître que les décisions doivent reposer sur l’évaluation calculée des résultats anticipés. Partant de ce constat, je formule la thèse suivante : alors que les instruments de calcul sont capables de calculer des résultats dans des situations risquées, ils ne peuvent pas le faire dans les situations que Frank Knight définit comme incertaines. Or, lorsqu’il s’agit de prendre des décisions économiques, les situations d’incertitude sont souvent traitées comme si elles relevaient de la catégorie du « risque ». De ce fait, le calcul repose sur une fiction et joue le rôle d’un substitut venant pallier notre incapacité à connaître à l’avance le futur.
205. Dans quels domaines de la vie économique les anticipations fictionnelles jouent-elles un rôle ?
21Les anticipations fictionnelles jouent un rôle dans tous les domaines de la vie économique dans lesquels les acteurs sont confrontés à de l’incertitude. Dans le livre, je concentre mon analyse sur quatre domaines au cœur de l’économie capitaliste : la monnaie et le crédit, l’investissement, l’innovation et la consommation. Cette liste n’est pas exhaustive et j’aurais d’ailleurs aimé écrire un chapitre supplémentaire consacré à la production et au travail. C’était néanmoins trop pour ce livre qui était déjà long. Avancer que les anticipations fictionnelles sont importantes dans tous les domaines essentiels du capitalisme permet de montrer leur centralité et la potentialité du concept pour bâtir une théorie du capitalisme.
22Pour autant, cela n’implique pas que toutes les décisions prises dans ces domaines reposent sur des anticipations fictionnelles. Beaucoup d’entre elles sont prises en situation de risque et le concept d’anticipations fictionnelles n’est alors pas opérant. Par exemple, lorsqu’une compagnie d’assurance-vie doit calculer les primes qu’elle facture, elle peut le faire à partir de l’analyse statistique des tables de mortalité et des informations dont elle dispose sur le souscripteur de l’assurance. La loi des grands nombres s’applique. La situation est en revanche fort différente pour le souscripteur. Pour savoir si l’assurance est pertinente pour lui, il aura besoin de savoir combien de temps il lui reste à vivre, quels seront les besoins financiers de ses ayants droit au moment de son décès et si la compagnie d’assurance existera encore à ce moment-là. L’ensemble de ces éléments peut uniquement faire l’objet de spéculations de sa part. Acheter une assurance se fonde donc sur des anticipations fictionnelles. La manière dont les compagnies d’assurance-vie font la publicité de leurs produits le confirme : elles essaient de convaincre leurs clients de l’intérêt d’acheter l’assurance en dessinant des images de la situation dans laquelle se trouvera leur famille au moment de leur décès. Elles stimulent donc la production de futurs imaginés.
236. Dans votre théorie, les idées sont la force motrice du capitalisme. Comment vous situez-vous par rapport au retour des approches matérialistes pour expliquer les dynamiques du capitalisme ?
24Dans la tradition de Max Weber, je conçois l’action économique comme une forme d’action sociale. Max Weber définit l’action sociale comme étant guidée par le sens visé subjectivement et dirigée par rapport au comportement d’autrui. Dans cette perspective, l’action économique se fonde nécessairement sur l’interprétation de la situation dans laquelle se trouve l’acteur. Ce travail d’interprétation est une activité herméneutique par laquelle les acteurs acquièrent une compréhension particulière de la situation, de leurs objectifs et des moyens à leur disposition. Selon moi, le sens que les acteurs donnent à une situation doit être au cœur de la sociologie des activités économiques. Voilà pourquoi la notion d’anticipation me semble plus éclairante que celle d’idées – même si, bien sûr, les idées sont un outil permettant de donner du sens au monde social.
25Il me semble cependant important de considérer les anticipations comme ancrées socialement. Elles ne sont pas strictement individuelles ni ne résultent des structures complexes du cerveau ou des outils de calcul qui déterminent ce que seront les anticipations rationnelles. Les anticipations sont liées à des institutions sociales, à des réseaux sociaux et à des cadres normatifs et cognitifs. Par exemple, le fait que les acteurs s’attendent à ce que la monnaie reste stable dépend largement des institutions du système monétaire, et notamment de l’indépendance de la banque centrale. Le fait que les anticipations concernant la stabilité monétaire varient radicalement d’un pays à l’autre – par exemple entre la France et l’Argentine – est lié aux différences de régulation institutionnelle de la monnaie et aux expériences différentes de l’inflation. Les instruments de calcul jouent un rôle similaire. Par exemple, sur le marché des dérivés, les anticipations stables concernant le prix « correct » des options n’ont pu émerger qu’avec le développement de modèles de fixation des prix des options issus des mathématiques financières. Les anticipations sont également ancrées dans les réseaux, lesquels contribuent à renforcer certaines croyances et à exclure toute une série d’autres possibilités. Le défi est alors de parvenir à développer une compréhension systématique de la formation des anticipations qui articule les facteurs « matériels » dans lesquels sont pris les acteurs et la liberté qu’ont ces derniers d’interpréter la situation. Une telle théorie doit également accorder une place importante à l’influence des médias et à leur fonction dans la diffusion de représentations du futur. Elle doit en outre prendre en considération le pouvoir des acteurs. La crédibilité provient souvent, en effet, de la capacité perçue d’un acteur à réellement faire advenir le futur envisagé. Toutefois, la créativité de l’action humaine et l’incertitude du futur – tout aussi importantes en matière d’anticipation que les influences sociales – vont à l’encontre du déterminisme des approches matérialistes.
267. Les chercheurs en sciences sociales ont l’habitude de dire que « l’histoire compte ». Dans votre livre, vous renversez la perspective en disant que « le futur compte aussi ». Comment ces deux affirmations peuvent-elles être articulées ?
27Je trouve frappant que presque tous les modèles explicatifs en sociologie, mais aussi en science politique et en anthropologie, soient orientés vers le passé. Des notions comme celles de dépendance au sentier, de trajectoire, de culture ou d’institution supposent de regarder en arrière. En un sens, c’est logique : si l’on pense en termes de causalité, un événement s’explique par un phénomène qui lui est antérieur. Il s’agit aussi, bien sûr, de la logique du raisonnement statistique, y compris lorsqu’il sert à faire des prédictions. Les régularités observées dans le passé et les probabilités calculées sont extrapolées au futur. Ainsi, c’est l’ombre statistique du passé qui explique non seulement les situations présentes mais aussi celles qui adviendront dans le futur.
28Je ne nie pas le fait que le passé compte. Les structures sociales que j’ai mentionnées précédemment sont des sédimentations du passé. Cependant, il me semble évident que les décisions prises dans le présent sont aussi motivées par des représentations de ce à quoi ressemblera ou devrait ressembler le futur. Ce constat est si évident qu’il en est presque trivial et l’on peut seulement se demander pourquoi la prise en considération du rôle du futur occupe une place aussi marginale dans le raisonnement sociologique – à quelques exceptions notables près, il est vrai.
29L’économie est la seule discipline des sciences sociales qui a bien compris l’importance des représentations du futur dans l’explication des décisions. Des concepts comme celui d’« ombre du futur » (shadow of the future) utilisé en théorie des jeux, ou de « coûts irrécupérables » (sunk costs), qui doivent être ignorés si l’on suit le raisonnement économique, témoignent de l’orientation vers le futur du raisonnement dans les recherches en sciences économiques. Les progrès des technologies d’actualisation constituent certainement le développement conceptuel le plus important dans ce domaine. L’analyse des flux actualisés résulte de la représentation des flux de trésorerie futurs desquels on déduit leur valeur présente. Les travaux de Liliana Doganova et Fabian Muniesa retracent l’histoire du développement de ces technologies en économie. Amener la capitalisation, au sens de processus par lequel des choses sont transformées en capital, au cœur de l’analyse du capitalisme me semble complètement justifié.
30Comme je l’ai dit précédemment, l’orientation vers le futur de l’action économique est un trait central du capitalisme moderne. Les disciplines académiques qui l’ignorent passent à côté de l’un des aspects les plus importants de la société contemporaine. En ce sens, l’économie est une discipline plus moderne que la sociologie.
31Accorder une place aussi centrale au futur n’implique pas que le passé n’est pas pertinent. Les expériences passées peuvent jouer un rôle crucial dans la formation des anticipations. Des études ont ainsi montré que les gens qui ont vécu les crises économiques et financières du début du xxe siècle ont gardé des attitudes différentes de celles des générations suivantes à l’égard de l’inflation, leurs anticipations concernant le futur n’étant pas les mêmes. C’est un exemple de formation d’anticipations fondées sur l’expérience. Toutefois, le trait spécifique des économies contemporaines est que le passé n’est pas un bon guide pour prévoir le futur. De nos jours, les anticipations sont moins informées par les expériences passées qu’elles ne l’étaient dans les économies antérieures. Comprendre comment le passé, que ce soit en tant qu’expérience ou comme structure sociale, contribue à nourrir les perceptions du futur est une question de recherche très importante pour les sociologues de l’économie qui s’intéressent au futur. En Allemagne, les historiens de l’économie ont pris conscience du caractère extrêmement fécond de ce sujet de recherche.
328. Les théories économiques et la prévision économique sont présentées comme des moyens de calcul et des instruments au service de l’imagination. Cela fait écho aux débats sur la performativité des sciences économiques. Quelle place ces débats ont-ils dans votre travail ?
33Si on considère que le futur ne suit pas une trajectoire prédéfinie, qu’il est au contraire ouvert et indéterminé, alors il s’ensuit que les décisions que nous prenons façonnent le « futur présent ». En ce sens, nos perceptions de l’avenir sont pertinentes pour savoir à quoi ressemblera le futur.
34Cette idée simple montre l’affinité entre le concept de futur imaginé, la notion de performativité et la notion mertonienne plus ancienne de prophétie auto-réalisatrice. Ma théorie diffère cependant de celle de la performativité. Dans sa version la plus radicale, la théorie de la performativité postule en effet que la réalité économique tend à ressembler de plus en plus à la théorie économique mise en application par les acteurs. Cette conception me semble à la fois trop forte et trop faible. Elle est trop forte, car elle considère que la réalité se conforme aux modèles. Or la complexité des situations empiriques aboutira presque toujours à ce que les modèles soient en partie « déjoués ». Il existe en effet des variables qui ne sont pas intégrées au modèle, mais qui sont pertinentes causalement et qui conduisent de facto à rendre imprévisibles les résultats. La théorie de la performativité est en même temps trop faible dans la mesure où elle considère les théories économiques comme étant l’unique dispositif cognitif capable de produire des effets sur les résultats économiques. En réalité, toutes sortes d’idées et de croyances peuvent influencer les décisions et, par conséquent, le futur présent. Les prévisions économiques et les scénarios technologiques en sont des exemples, mais c’est également le cas des croyances concernant les opportunités économiques. En outre, il ne faut pas oublier que la production de prévisions peut susciter des actions visant à empêcher la réalisation de ce futur. Les scénarios relatifs au changement climatique cristallisent ce type de motivations normatives : ils sont destinés à susciter des décisions qui, si elles sont prises et ont les effets escomptés, vont rendre la prédiction fausse. En résumé, à l’instar des travaux mobilisant la notion de performativité, je pense que la manière dont on pense l’économie peut avoir une influence sur celle-ci, mais qu’on ne peut en revanche pas prédire quelle sera cette influence.
359. L’idée que les conventions sont un guide pour l’activité économique est au cœur de l’économie hétérodoxe, et en particulier de l’économie des conventions. Comme vous, les tenants de ces approches questionnent la pertinence des anticipations rationnelles. Comment positionnez-vous votre théorie par rapport à la leur ?
36Le livre L’Empire de la valeur, publié récemment par André Orléan, m’a beaucoup influencé. Après l’avoir lu, il m’a semblé qu’André Orléan avait en fait élaboré une théorie sociologique de la valeur qui aurait pu être écrite par un sociologue. Pour répondre plus directement à votre question, je dirais que je partage complètement sa critique de la théorie des anticipations rationnelles, qui prend elle aussi sa source dans les problèmes associés à l’incertitude radicale. Je souhaite également mentionner ici Robert Boyer, qui a développé dans ses récents écrits une économie politique fondée sur une critique de la théorie des anticipations rationnelles. Celle-ci mentionne le rôle des récits du futur qui prévalent parmi les acteurs économiques.
37Concernant plus spécifiquement l’économie des conventions, je vois d’importants points communs avec ma théorie, mais également un point de divergence notable. Le point commun renvoie à la manière de partir du problème de l’incertitude pour penser l’action économique, en abandonnant l’idée qu’il existe un acteur « rationnel » universel et anhistorique. Dans une recherche précédente, j’ai montré – tout comme l’économie des conventions – que les acteurs font face à l’incertitude en s’appuyant sur des conventions. La notion d’anticipations fictionnelles va cependant plus loin : elle met l’accent sur la manière dont les acteurs orientent leurs actions par rapport au futur, sur leur créativité et sur leur capacité à sortir des sentiers battus. D’une certaine manière, l’économie des conventions décrit la figure du manager schumpétérien tandis que la notion d’anticipations fictionnelles fait davantage référence à l’entrepreneur schumpétérien. Toute économie capitaliste comporte à la fois des actions conventionnelles et des anticipations fictionnelles.
3810. Le livre suggère l’existence de « politiques des anticipations », pouvez-vous expliquer ce que vous entendez par là ?
39Si, comme je l’avance, les anticipations ne sont pas prédéterminées mais contingentes, il s’ensuit qu’elles peuvent être influencées et manipulées. Les acteurs peuvent stratégiquement essayer d’influencer les anticipations des autres, de manière à atteindre leurs propres objectifs dans un contexte de lutte concurrentielle. C’est ce que j’entends par « politique des anticipations ». Par exemple, pour s’assurer du financement de leurs activités (pas encore) rentables, les entreprises technologiques influencent les anticipations des investisseurs potentiels : elles produisent des récits montrant à quel point le produit sera rentable une fois qu’il sera mis en vente. Si leur histoire semble crédible, les entreprises reçoivent les fonds, lesquels permettront de savoir si le produit imaginé pourra effectivement être développé et s’il aura du succès sur le marché. Ni l’entreprise ni l’investisseur n’est en mesure de savoir à l’avance si ce sera le cas. Il faut d’ailleurs garder en tête que la plupart des innovations aboutissent à un échec. Cependant, en l’absence d’influence des anticipations des investisseurs, on n’aurait jamais les moyens de le savoir. Évidemment, lorsqu’une entreprise tente d’influencer les anticipations d’un investisseur, ce processus s’inscrit dans un contexte concurrentiel dans lequel d’autres entreprises produisent des récits rivaux. Influencer les anticipations constitue à mon avis l’un des aspects les plus importants de la lutte concurrentielle dans les économies contemporaines.
40La notion de « politique des anticipations » permet aussi d’analyser à nouveaux frais la tromperie en économie, comme les cas du système de Ponzi bâti par Bernard Madoff ou des manipulations comptables de l’entreprise Enron au début des années 2000. Mon livre n’a pas pour thème central la question de la fraude, mais c’est un sujet extrêmement pertinent dont l’analyse peut être reliée à la notion d’anticipation fictionnelle. Brooke Harrington est une chercheuse influente qui s’intéresse spécifiquement à cette question de la fraude économique.
41Les politiques monétaires des banques centrales au cours des 30 dernières années peuvent également être prises comme exemple pour comprendre l’intérêt de la notion de politique des anticipations. À travers leurs « lignes directrices », les banques centrales essaient d’influencer les anticipations relatives à l’inflation. En procédant de cette manière, elles entendent orienter les décisions économiques afin de rapprocher l’économie de l’objectif d’inflation fixé par elles-mêmes.
42La notion de politique des anticipations montre clairement que les récits relatifs aux développements futurs de l’économie entretiennent des liens avec les pouvoirs économiques et politiques. Un récit qui est perçu comme crédible est un outil extrêmement puissant. Les recherches de Jenny Andersson sur le développement d’instruments de prospective depuis la Seconde Guerre mondiale montrent bien cela.
43Considérer les anticipations comme des outils utilisés par les acteurs pour atteindre leurs objectifs va à l’encontre de la théorie des anticipations rationnelles. L’implication politique principale de la théorie des anticipations rationnelles est en effet l’affirmation que les acteurs ne peuvent pas être trompés par des anticipations fausses. C’était un message puissant à l’encontre de l’interventionnisme politique keynésien. Ma thèse est que non seulement les anticipations peuvent être influencées et manipulées, mais aussi que les acteurs, dans une situation où le futur est imprévisible, ne savent même pas eux-mêmes si leurs projections sont effectivement « correctes ». Ce qui structure les processus économiques, ce sont des récits dont la valeur de vérité reste souvent inconnue. Cette situation n’est pas très rassurante, mais elle décrit assez fidèlement le fonctionnement de notre économie. Si vous lisez des articles d’Andrew Haldane ou de Mervyn King, tous deux économistes à la Banque d’Angleterre, vous verrez à quel point cette analyse est proche de l’expérience des banques centrales.
4411. Comment la sociologie économique du capitalisme peut-elle intégrer la question de l’orientation des acteurs vers l’avenir ? Y a-t-il des sociologues qui travaillent déjà dans cette perspective ?
45Je remarque qu’il existe de plus en plus de recherches en sociologie économique qui s’intéressent aux perceptions du futur. Si on voulait en trouver le point de départ, au moins en termes de théorisation conceptuelle, je dirais que le travail d’Elena Esposito sur les marchés financiers mérite d’être reconnu comme pionnier. En 2009, Richard Bronk a publié une histoire fascinante du rôle de l’imagination dans la pensée économique depuis le xviiie siècle. Ces dernières années, cet intérêt s’est diffusé en sociologie économique. Des recherches, adoptant souvent une approche historique, ont été consacrées au rôle des différents contextes institutionnels et instruments de calcul grâce auxquels le futur est évalué en économie. Les instituts de prévision ont par exemple été étudiés par Werner Reichmann, Olivier Pilmis et Walter Friedman. Martin Giraudeau a réalisé une étude fascinante des business plans au xixe siècle et des entreprises de capital-risque au xxe siècle. Benjamin Braun s’intéresse quant à lui aux banques centrales et Leon Wansleben a enquêté sur les perceptions du futur suscitées par le concept de BRICS au début des années 2000. On peut également citer le travail de Liliana Doganova et de Fabian Muniesa sur la capitalisation. En « sociologie des anticipations », les prévisions technologiques ont été placées au centre des enquêtes sur les processus d’innovation. Harro van Lente est un chercheur important qui s’inscrit dans cette perspective.
46Les perceptions du futur et leur rôle pour l’action ont également suscité de l’intérêt au-delà de la sociologie économique. Le travail d’Ann Mische, consacré aux scénarios environnementaux, en est un exemple. Bien évidemment, tous ces travaux reposent sur les épaules de géants : Pierre Bourdieu, Niklas Luhmann, Reinhart Koselleck, Anthony Giddens, Alfred Schutz, Paul Ricœur, John Dewey, pour n’en citer que quelques-uns. En économie, John Maynard Keynes, Frank Knight et George L.S. Shackle sont des auteurs qui avaient une parfaite compréhension de l’importance des perceptions du futur et de leur caractère contingent du fait de l’incertitude.
47En revanche, c’est seulement maintenant qu’émerge une nouvelle manière de se représenter les différents domaines de projections du futur, considérés désormais comme les pièces d’un puzzle bien plus grand, comme des éléments essentiels du capitalisme. Démontrer cela est peut-être la contribution la plus importante de mon livre. Pour ce faire, je m’appuie sur des éléments du travail d’autres chercheurs, comme Fabian Muniesa, qui adopte lui aussi une perspective large sur la capitalisation. Autre exemple, Jonathan Levy : cet historien de l’économie de Chicago écrit actuellement un livre sur le développement du capitalisme américain ayant pour point de départ la notion de capitalisation et la question de l’orientation vers le futur des acteurs.
48L’histoire est un point d’entrée évident des recherches sur ce sujet. La disposition temporelle de l’orientation vers le futur peut être étudiée en examinant les projections faites par le passé et en les comparant ensuite aux évolutions réelles. Cependant, les recherches ne nécessitent pas forcément une approche historique. On n’a pas besoin de connaître le résultat effectif d’événements pour déterminer la pertinence des anticipations fictionnelles comme motif de décisions présentes, ainsi que le montre l’exemple d’organisations où de telles projections futures sont institutionnalisées. C’est le cas des services de comptabilité, de budgétisation des investissements, de planification stratégique et de marketing.
4912. Précédemment, vous avez travaillé sur la question de la valuation. Quel lien faites-vous entre ce travail et votre intérêt actuel pour les anticipations fictionnelles ?
50Il existe un lien très fort entre les deux sujets, mais je ne m’en suis rendu compte qu’en commençant à travailler sur le projet « Imagined Futures ». Lorsque l’on s’intéresse au rôle des anticipations fictionnelles dans les processus d’investissement, d’innovation ou de confiance dans la monnaie, le sujet est en réalité celui de l’évaluation de valeurs futures. Un investisseur financier doit être convaincu de la valeur future de son placement. Choisir entre différentes opportunités de placements revient à choisir entre des représentations de valeurs futures associées à différentes opportunités d’investissement. En se concentrant sur l’orientation vers l’avenir de la fixation de la valeur et en envisageant la valeur comme fondée sur des représentations qui changent sans cesse, le concept de futurs imaginés enrichit l’étude des processus de valuation.
51Néanmoins, la notion de valuation est plus large que celle de capitalisation. Tous les aspects de la valuation en économie n’ont pas cette orientation vers le futur. Dans le domaine de l’art contemporain par exemple, la valeur artistique est attribuée aux artistes et aux œuvres par le biais de l’évaluation de leur travail par des acteurs reconnus dans le champ, lesquels peuvent être des commissaires d’exposition, des galeristes, des critiques d’art, etc. De telles manières d’établir des valeurs n’ont pas l’orientation vers le futur caractéristique des processus de valuation des investissements. C’est seulement lorsque l’art est considéré comme une forme d’investissement que l’orientation vers le futur de la valuation passe au premier plan. Un constat similaire peut être fait pour le marché du vin et pour l’ensemble des marchés dans lesquels les produits sont valorisés en vertu de caractéristiques qui ne sont pas inhérentes aux objets, mais fondées sur des valeurs symboliques.
5213. Les instruments impliqués dans la production des anticipations fictionnelles (prévisions, théories et modèles économique) semblent pertinents pour expliquer les futurs imaginés des économistes professionnels. Qu’en est-il de la production d’anticipations fictionnelles par les consommateurs ordinaires ? Peut-elle être expliquée par ces mêmes instruments ?
53Les « instruments d’imagination » jouent également un rôle important dans la création des anticipations fictionnelles en économie du côté des consommateurs. L’instrument central, qui est à l’interface avec les consommateurs, est le marketing. J’aurais de fait aimé ajouter un chapitre à la troisième partie du livre pour traiter du marketing en tant qu’instrument d’imagination. Michel Callon en parle brièvement dans l’introduction de son livre The Laws of the Markets, en 1998. À l’exception de Franck Cochoy en France, les sociologues de l’économie n’ont pas fait du marketing un champ d’investigation important. Les chercheurs qui s’intéressent à la question de la performativité ont surtout enquêté sur les modèles économiques.
54Pourtant, le marketing est crucial. Pour avoir envie d’acheter des biens, les consommateurs doivent développer une image positive de la satisfaction future qu’ils tireront de l’achat du produit. Le travail de Georg Simmel sur la valorisation discute de manière stimulante cette dimension temporelle de l’achat de biens par les consommateurs. Pour Simmel, la valeur provient de la distance entre l’objet et l’acteur qui le désire. Cette distance a une dimension temporelle au moment où les consommateurs ne possèdent pas encore le produit. Pour créer des images de satisfaction future à même de susciter le désir, les entreprises utilisent les instruments du marketing. Il n’y a qu’à voir la manière dont Apple présente ses nouveaux produits afin de susciter chez les consommateurs le désir de les acquérir ; ou encore les bandes-annonces de films, parfois disponibles sur Internet un an avant la sortie du film. Les exemples sont sans fin. Tout le marketing vise à créer des sensations de satisfaction future de manière à pousser à l’achat.
55J’ajouterais que même les instruments destinés principalement aux experts économiques et aux décideurs politiques ont une pertinence économique au-delà de ces cercles. Prenez les prévisions macroéconomiques du taux de chômage ou du taux de croissance : elles contribuent, selon le cas, à un optimisme ou un pessimisme de la population pouvant avoir des répercussions politiques directes. Le président français François Hollande (2012-2017) a ainsi essayé de s’assurer du soutien des Français en s’appuyant sur des prévisions macroéconomiques qui annonçaient, pour l’année suivante, une croissance en hausse et un chômage en baisse. La question reste de savoir dans quelle mesure un tel récit est perçu comme crédible par les électeurs et s’il influence leur loyauté envers le gouvernement. Dans son cas, il y avait manifestement un manque de crédibilité du récit. Cependant, son successeur Emmanuel Macron tente lui aussi aujourd’hui de proposer une histoire similaire du futur fondée sur les projections macroéconomiques des experts. Son objectif est identique : s’assurer du soutien de la population en créant des futurs imaginés.