CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Claire Auzuret, Analyse des processus de sortie de la pauvreté. Pauvre un jour, pauvre toujours ?, Thèse de sociologie, réalisée sous la direction de Martine MESPOULET, professeure de sociologie à l’Université de Nantes, CENS, soutenue le 7 décembre 2017 à l’Université de Nantes

1 Jury composé de Gilles MOREAU, Professeur des Universités, Université de Poitiers (rapporteur), GRESCO ; Éric VERDIER, Directeur de recherche CNRS, Université Aix-Marseille (rapporteur), LEST ; Cécile LEFÈVRE, Professeure des Universités, Université Paris Descartes, CERLIS ; Pascale MOULÉVRIER, Professeure des Universités, Université de Nantes, CENS.

2 Dans un contexte de mutations du travail et des statuts d’emploi, de transformations des structures familiales et d’apparition de nouveaux risques socio-économiques, cette thèse a pour objet l’étude des trajectoires de sortie de la pauvreté et les facteurs qui peuvent agir sur cette extraction, en particulier l’environnement économique, social et territorial des individus et des ménages vivant en milieu urbain. Cette recherche vise aussi à expliciter la place que tient la trajectoire individuelle et familiale des ménages dans ces processus.

3 Le travail s’efforce de renouveler la problématique des sorties de la pauvreté en inscrivant l’objet de la recherche dans une approche à la fois multidimensionnelle, dynamique et contextualisée de la pauvreté. Cette triple approche permet d’appréhender la sortie de la pauvreté comme un processus, d’aller au-delà des critères conventionnels définis par les instituts de statistiques et d’étudier les conditions de vie des individus et des ménages et leur expérience effective, tant d’un point de vue objectif que subjectif. Elle offre aussi la possibilité d’interroger ce phénomène au regard des spécificités du territoire dans lequel vivent les personnes.

4 Pour répondre au questionnement, le dispositif d’enquête allie un suivi quantitatif, basé sur des données chiffrées (enquête longitudinale sur quatre ans à partir des données retravaillées des bases CAF), à un suivi qualitatif, qui s’appuie sur trente et un entretiens semi-directifs à caractère biographique. Avec la combinaison de ces deux méthodes, la complexité des processus liés à la pauvreté est mise en évidence. Le travail d’enquête met en lumière trois grands parcours de pauvreté. Ces derniers relèvent d’une combinaison de facteurs de différente nature : des parcours de sortie de la pauvreté, des parcours faits d’expériences temporaires mais répétées de la pauvreté et des parcours d’installation dans la pauvreté.

5 La reconstruction du premier type de parcours aide à comprendre qu’un retour à l’emploi, la constitution d’un couple et la solidarité familiale, articulés à la perception d’aides institutionnelles dessinent une configuration de facteurs favorables à une sortie de la pauvreté. Le second type de parcours se caractérise par la précarité professionnelle et l’instabilité économique des personnes et des ménages, à cause de l’existence de freins à l’emploi et de ressources relationnelles insuffisantes dans le cas de celles et de ceux qui en font l’expérience. Les freins à l’emploi identifiés recoupent les principales discriminations à l’embauche et dans l’emploi que l’on trouve dans la société française. Grâce à la reconstruction du troisième type de parcours, quatre obstacles à la sortie de cette situation sont identifiés : la maladie, la monoparentalité, une faible participation à l’activité productive et l’isolement social.

6 Enfin, à rebours des discours qui portent sur l’assistanat, ce travail montre que les pauvres ne sont pas passifs face aux difficultés économiques et sociales qu’ils rencontrent. Au contraire, grâce à la mise en place de pratiques et d’adaptations dans leur vie quotidienne, ils développent en permanence un travail de gestion et d’ajustement des différentes dimensions de leur situation, afin d’éviter que celle-ci ne se dégrade davantage. Par ces pratiques, ils invitent à faire reconnaître une capacité créatrice de la part des « petits ».

7 Claire AUZURET, chercheuse au CENS, claire.auzuret@etu.univ-nantes.fr

Laurent Beduneau-Wang, Valeur de l’eau et indicateurs de performance : tensions stratégiques et organisationnelles dans les métiers de l’eau (1853-2017), Thèse de sciences de gestion, réalisée sous la direction d’Éric GODELIER, Professeur à l’École Polytechnique, soutenue le 8 décembre 2017 à l’École Polytechnique

8 Jury composé de Franck AGGERI, Professeur, Mines ParisTech (rapporteur), Florence ALLARD-POESI, Professeure, Université Paris-Est Créteil (rapporteure), Bernard BARRAQUE, Directeur de Recherche émérite, AgroParisTech, Jean-Philippe DENIS, Professeur, Université Paris-Sud, Ann LANGLEY, Professeure, HEC Montréal.

9 Quelle est la valeur de l’eau ? Certains y répondent avec plus ou moins de pertinence sur la base d’un arsenal chiffré, modélisé. La thèse a moins pour objet de calculer une valeur que de mener une enquête sur les catégories qui la définissent en amont.

10 Point de départ : en 2006, un syndicat des eaux en région parisienne remet en cause la continuité contractuelle en vigueur depuis 1923 avec son opérateur historique auquel a été déléguée la gestion de l’eau. Au terme d’une mise en concurrence, le même opérateur remporte l’appel d’offres. Par contre, le tarif de l’eau est revu à la baisse (-19,5 %). S’ensuit pour une partie des employés une crise de sens sur ce qu’il pense être la « bonne » valeur de l’eau. Or, dans le cadre de ce nouveau contrat, un système de 168 indicateurs de performance (IP) devient structurant. La bonne atteinte des IP par l’opérateur contribue directement à sa rémunération. Les IP dans le contrat cristallisent la nouvelle relation entre l’opérateur et le syndicat. Dès lors, il devient naturel de se demander : d’où vient le système d’IP ? pourquoi échoue-t-il à répondre à la crise de sens ? quelle est sa fonction ?

11 L’enquête s’appuie sur une recherche-action au sein de l’entreprise couplée à un dépouillement d’archives publiques (communales, intercommunales, de l’Académie de médecine, etc.) et privées (opérateur, banque, etc.) sur 165 ans. À travers une observation ethnographique (2012-2017), 100 entretiens auprès d’employés d’usine jusqu’aux membres du conseil de surveillance, et l’élaboration d’une généalogie du système d’IP (1853-2017), la thèse revient sur la construction des IP et en analyse l’évolution.

12 Un IP naît face à un problème à résoudre. Au fur et à mesure, les IP s’accumulent et certains en contredisent d’autres. Au-delà des chiffres, des comptes, pour en saisir le sens, il importe d’en conter l’histoire. Inspirée de Foucault, la généalogie des IP met en évidence trois régimes d’acteurs, de savoirs et de pratiques : hygiéniste et scientifique, technique et d’ingénierie, managérial et bureaucratique. Un régime fonde, renouvelle ou renforce l’idée pour les pouvoirs publics de faire appel aux opérateurs privés pour gérer l’eau. Dans la longue durée, les fonctions des IP apparaissent imbriquées dans des processus qui les dépassent. Dans quelle mesure cette nouvelle perspective permet-elle de reconsidérer la fonction des IP ? Ainsi, les IP jouent une triple fonction : cognitive, médiatrice, organisatrice. Ils produisent des savoirs, des connaissances. Ils jouent les intermédiaires entre différents acteurs tout en médiatisant, en visibilisant un pan de l’activité du service de l’eau. Parce qu’ils sont constitutifs et constitués par des liens entre les différents acteurs de la gestion de l’eau, ils légitiment et renouvellent en permanence ce qu’est la bonne gestion de l’eau, sa valeur, ses valeurs. Ainsi, la crise de sens au sein de l’opérateur est le symptôme d’une période de transition où les savoirs, les pratiques et les acteurs sont en cours de renouvellement conjointement à l’émergence d’un nouveau régime de la valeur sur un territoire élargi au Grand Paris.

13 Laurent BÉDUNEAU-WANG, Chercheur associé, i3-CRG, École polytechnique, CNRS, Université Paris-Saclay, laurent.beduneau-wang@polytechnique.edu

Pierre Blavier, Les manifestations socio-économiques du chômage de masse et les réaménagements des budgets de ménage pour y faire face. Le cas de la Grande Récession espagnole (2008-2015), Thèse de sociologie, réalisée sous la codirection de Jérôme BOURDIEU (Directeur de recherche à l’INRA) et Frédéric LEBARON (Professeur à l’ENS-Paris-Saclay) et soutenue le 9 novembre 2017 à l’EHESS

14 Jury composé d’Agnès GRAMAIN, Professeure à l’Université de Lorraine (rapporteure) ; Susana NAROTZKY, Professeure à l’Université de Barcelone (rapporteure), Alain COTTEREAU, Directeur d’Études à l’EHESS et Jérôme GAUTIÉ, Professeur à l’Université Paris-I Sorbonne.

15 À la croisée des sciences économiques et de la sociologie du travail et de la consommation, cette thèse porte sur les manifestations socio-économiques des récessions et du chômage de masse, à travers le cas de la crisis espagnole de 2008. Elle se centre sur la manière dont celle-ci a modifié les horizons temporels des ménages et conduit à des réaménagements en termes de sources de revenus, de trajectoires d’activité des chômeurs, de pratiques de consommation, ou de marché du travail dit « informel ». Dans ce contexte, c’est le statut même de chômeur qui se trouve remis en question. Pour investiguer cela, la thèse met en regard une enquête de terrain approfondie avec des traitements de données issues du système de la statistique publique espagnole et européenne.

16 La première partie procède d’abord à analyse empirique de l’évolution des inégalités de revenus en Espagne consécutivement à la récession de 2008 (1er chapitre), qui conduit à s’intéresser aux trajectoires d’activité des chômeurs (2e chapitre) et à les relier à leurs ancrages socio-démographiques (3e chapitre). Cette typologie permet de décomposer le chômage, qui est souvent considéré de manière assez agrégée.

17 La seconde partie se centre sur les budgets de famille et sur les réaménagements auxquels recourent les ménages confrontés au « chômage de récession » pour faire face à leurs difficultés économiques, en termes de formes de solidarité (4e chapitre), de « boulots de chômeurs » (5e chapitre), et de consommation (6e chapitre). L’enquête a notamment été conduite selon la méthode dite de l’ethnocomptabilité, qui consiste à faire des relevés (monétaires mais aussi temporels ou alimentaires) avec les ménages concernés pour documenter l’évaluation qu’ils portent sur leur budget. Cette démarche conduit à plusieurs résultats marquants quant aux changements sociaux qu’entraînent les récessions sur les sociétés contemporaines d’Europe occidentale, en particulier quant aux budgets de famille ou à la temporalité sur plusieurs années qu’implique ce type de choc macroéconomique : nette augmentation du chômage de très longue durée et fragmentation des trajectoires, progressif épuisement des divers canaux de solidarité, difficultés pour trouver des alternatives durables, importance accrue des réseaux personnels pour trouver un emploi, consommation marquée par une multiplicité d’arrangements pratiques et de restrictions. Enfin, tout au long de la thèse les observations de terrain sont mises en regard avec les catégories et les données des grandes enquêtes de la statistique publique. Celles-ci sont très utiles pour embrasser la diversité des cas, tout en apparaissant parfois assez déconnectées de l’expérience des intéressés.

18 Cette contribution ouvre donc la voie à une comparaison raisonnée et empiriquement étayée des pratiques budgétaires et des conditions de vie à l’échelle européenne, et à une reconnexion de cet aspect de la vie sociale avec les changements politiques contemporains.

19 Pierre BLAVIER, chercheur affilié au LSQ, CREST, pierre.blavier@ens.fr

Florent Castagnino, Les chemins de faire de la surveillance. Une sociologie des dispositifs de sécurité et de sûreté ferroviaires en France, Thèse de sociologie, dirigée par Valérie NOVEMBER, directrice de recherche CNRS, LATTS, soutenue publiquement à l’École des Ponts ParisTech le 17 novembre 2017

20 Jury composé de Mathilde BOURRIER, Professeure ordinaire, Université de Genève (rapporteure) ; Dominique CARDON, Professeur associé, Sciences Po ; Anne-Cécile DOUILLET, Professeure des universités, Université Lille 2 ; Cédric MOREAU DE BELLAING, Maître de conférences à l’École Normale Supérieure ; Valérie NOVEMBER, Directrice de recherche CNRS-LATTS ; Gwenaële ROT, Professeure des universités, Sciences Po (rapporteure).

21 Les dispositifs de surveillance (contrôle d’accès, profilage commercial ou sécuritaire, mais aussi capteurs de matières dangereuses, de polluants atmosphériques, etc.) sont l’objet de fortes critiques, que ce soit pour en dénoncer les effets nocifs ou pour réclamer leur renforcement. Cette thèse contribue à expliquer ces gestes critiques différenciés qui participent à l’actualisation de nos sociétés de surveillance et du risque. Elle propose une analyse qui réinscrit les pratiques de surveillance dans leurs contextes organisationnels, sociaux et pratiques, à partir de deux dispositifs : la prévention des accidents (dite sécurité) et la prévention des actes de malveillance (dite sûreté) dans le milieu ferroviaire en France.

22 La recherche montre qu’en dépit de l’éloignement des problèmes considérés, les professionnels devant surveiller sont confrontés à des enjeux pratiques similaires. La thèse éprouve ce résultat d’abord d’un point de vue historique, en montrant que les premiers gestionnaires ferroviaires du XIXe siècle ont géré ces deux problèmes à partir d’un même dispositif disciplinaire. Après une spécification de ces enjeux au XXe siècle, l’analyse sociologique des pratiques actuelles souligne ensuite un rapprochement des mondes professionnels de la sécurité et de la sûreté ferroviaires, autour de la « gestion du risque ». La thèse démontre ainsi que les pratiques de surveillance – en se centrant sur le travail des mainteneurs des voies, des encadrants de conducteurs et du service de sûreté interne de la SNCF – dépendent de la problématisation que des groupes professionnels font des enjeux, personnes ou processus surveillés. Dans les deux cas, les pratiques de surveillance doivent respecter un principe de pondération : elles doivent s’inscrire dans des processus de production qu’elles ne doivent pas freiner et ne pas entraver les droits des usagers et des travailleurs. La conséquence pratique de ce principe est que l’une des activités principales des professionnels de la sécurité et de la sûreté est de se séparer de certaines données, collectées dans leurs pratiques de surveillance. En analysant des cas où la surveillance est fortement remise en cause (l’accident de Brétigny de 2013 et l’attaque du Thalys en 2015), la thèse souligne les effets d’ignorance et de définition des données écartées, et in fine leur potentialité critique.

23 À partir de ces résultats, la thèse se propose de renouveler pour partie l’analyse des pratiques de surveillance. L’attention que la plupart des travaux sur la surveillance portent aux processus d’accumulation des données, et leurs effets politiques et sociaux, masque de fait les processus d’omission, de mise à l’écart ou de destruction de données. La thèse plaide alors pour une attention aux deux processus, d’accumulation et de séparation, pour mieux comprendre et pouvoir renouveler la critique des pratiques de surveillance.

24 Florent CASTAGNINO, chercheur associé au LATTS, ATER à l’Université Paris Est Marne-la-Vallée, florent.castagnino@enpc.fr

Joël Jornod, La conquête des clients. Les magasins Gonset et la Suisse occidentale (1920-1960), Thèse de sociologie et d’histoire, réalisée en cotutelle sous la direction de Franck COCHOY, Professeur de sociologie à l’Université Toulouse – Jean Jaurès, et de Laurent TISSOT, Professeur d’histoire à l’Université de Neuchâtel (Suisse), soutenue le 5 mai 2017 à Neuchâtel

25 Jury composé de Ludovic CAILLUET, Professeur, EDHEC (rapporteur) ; Marie-Emmanuelle CHESSEL, Directrice de recherche CNRS, CSO Sciences Po (rapporteur et présidente) ; Jean-Marc OLIVIER, Professeur, Université Toulouse – Jean Jaurès ; François VALLOTTON, Professeur, Université de Lausanne.

26 L’histoire du commerce de détail et de la consommation ne s’est pratiquement pas aventurée au-delà des grandes villes. Cette thèse propose d’explorer les territoires méconnus. Elle vise à comprendre comment la chaîne de magasins Gonset cherche à conquérir les clients de Suisse occidentale, dont le tissu urbain se compose principalement de petites villes et de villages. La période considérée court de 1920 à 1960 : ces années voient le développement des chaînes dans les petites localités du pays, et permettent d’aborder la « conquête des clients » dans des contextes économiques variés, de crise, de guerre et d’abondance. La notion de conquête des clients désigne deux activités fondamentales du commerce de détail. La première est de mettre les marchandises à la disposition des consommateurs : c’est la fonction principale du secteur, selon les économistes. La seconde consiste à capter les consommateurs, c’est-à-dire d’avoir prise, d’attirer vers soi, de garder ce ou ceux que l’on a attiré(s).

27 Pour analyser ces activités, les archives privées de la société Gonset ont été étudiées. Des sources supplémentaires ont permis de restituer les stratégies de la concurrence et le contexte socio-économique : des fonds d’entreprises, des revues professionnelles, des ouvrages d’économistes de l’époque, ainsi que les archives de l’association de commerçants connue aujourd’hui sous le nom de Swiss Retail Federation. C’est ainsi que les trajectoires de plusieurs entreprises se dessinent, à partir du point de vue de Gonset. Il y a d’abord d’autres chaînes qui s’installent dans les petites villes et les villages. Les détaillants indépendants ensuite, de même que les grands magasins qui y créent des succursales ou y envoient des catalogues de vente par correspondance. Les nouveaux formats enfin, qui apparaissent au fil de la période : les magasins à prix unique en 1929, le libre-service en 1948 et les supermarchés en 1950.

28 Cette histoire centrée sur la Suisse occidentale traite aussi d’enjeux qui dépassent le cadre envisagé, et répond à des questions qui se posent pour d’autres pays. Elle montre qu’en dehors des grandes villes s’épanouissent des entreprises qui échappent aux catégories habituelles. Ni boutique ni grand magasin ou géant du succursalisme, la société Gonset atteint une dimension intermédiaire rarement mise en évidence pour ce secteur. Elle combine les approches pour approvisionner les clients : elle emploie des voyageurs de commerce, envoie des articles par correspondance et, surtout, crée des points de vente de différentes tailles, adaptés aux lieux d’implantation. Les localités choisies présentent des profils variés : certaines sont très industrialisées, d’autres davantage centrées sur les services, presque toutes s’inscrivent dans un environnement agricole. S’adresser à un public aussi diversifié n’est pas banal, du point de vue de la littérature : les grands magasins par exemple, objets d’une très longue bibliographie, privilégient les classes moyennes. Pour capter sa clientèle bigarrée, Gonset joue sur plusieurs dispositions des consommateurs, par l’intermédiaire d’une multiplicité de dispositifs : elle mise sur l’habitude (en reprenant les codes de la boutique), tente d’éveiller les désirs et les envies (par l’architecture, la mise en scène des produits, les catalogues), fait appel à la raison (en mettant en avant des prix bas et la qualité des produits).

29 Joël JORNOD, responsable du CEJARE (Centre jurassien d’archives et de recherches économiques), jornodj@gmail.com

Nicolas Klein, Face aux mutations de la vente. Orange, ses vendeurs et le devenir d’un métier, Thèse de sociologie, réalisée sous la direction de Pascal UGHETTO, Professeur, Université Paris-Est Marne-la-Vallée, LATTS, soutenue le 12 octobre 2017 à l’Université Paris-Est

30 Jury composé de Sandrine BARREY, Maîtresse de conférences, Université Toulouse Jean Jaurès ; Marie BENEDETTO-MEYER, Maîtresse de conférences, Université Versailles Saint-Quentin ; Gérald GAGLIO, Professeur, Université Nice Sophia Antipolis ; Alexandre MALLARD, Directeur de recherche, Mines ParisTech (rapporteur) ; Frédéric NEYRAT, Professeur, Université de Rouen (rapporteur).

31 Le commerce électronique, dont l’essor est observable depuis le début des années 2000, transforme en profondeur les modalités de relation sur le marché des télécommunications. Ses développements récents, permis par le raffinement toujours plus poussé des technologies de l’information et de la communication, amènent les entreprises à reconsidérer les orientations de leurs stratégies commerciales. Où et comment s’adresser aux clients afin d’assurer la performance économique de l’entreprise ; telles sont aujourd’hui les questions au cœur des transformations de l’organisation. Or, si la présence de professionnels au contact des clients ne semble a priori pas remise en cause, la nature de leur activité fait débat. La thèse explore les évolutions de l’activité commerciale au sein de l’entreprise Orange afin de questionner l’existence, et le devenir, d’un métier de vendeur au sein de l’entreprise.

32 Confrontée à de profondes transformations de son environnement économique (évolution de la concurrence, part de plus en plus importante des échanges réalisés en ligne, etc.), l’entreprise a entrepris une réorientation de sa stratégie commerciale depuis le tournant des années 2010 ; passant d’une stratégie d’acquisition de nouveaux clients (marquée par une injonction managériale à la réalisation d’un chiffre d’affaires immédiat, priorisant la vente d’offres onéreuses vis-à-vis de leurs adéquations aux usages des clients) à une stratégie de fidélisation de sa clientèle, reposant notamment sur le service et l’idée de complémentarité entre les plateformes numériques et les espaces traditionnels de relation de service (boutique, téléphone) dans la conduite des échanges marchands. Ce changement de stratégie implique une diffusion de la logique commerciale à l’ensemble des activités en relation au client (assistance, réclamation, intervention technique), mais également un déplacement à la fois de la vente vers les espaces numériques automatisés, et des professionnels de la relation marchande vers des activités de service et de conseil. Ces évolutions sonnent-elles le glas du métier de vendeur, devenu aujourd’hui « conseiller client » ? Tout en reconnaissant la réalité et la profondeur des transformations touchant l’organisation commerciale de l’entreprise, la thèse fait l’hypothèse de la subsistance d’un métier de vendeur en son sein.

33 La thèse repose sur une enquête menée dans le cadre d’une convention CIFRE signée avec Orange. Elle représente une centaine d’entretiens et une trentaine de journées d’observation, et vise à combiner le suivi de projets managériaux de transformation de l’organisation commerciale avec une ethnographie des lieux de vente de l’entreprise (boutiques, plateaux téléphoniques, plateformes numériques). L’enquête de terrain cherche ainsi à mettre à jour les relations entre trois niveaux de l’entreprise – de la stratégie, de l’organisation et de l’activité de travail – dans l’élaboration des logiques organisationnelles et professionnelles.

34 La première partie de la thèse cherche à nous dégager des certitudes les plus communes au sujet de la vente, en présentant d’abord comment celle-ci est présente dans la littérature sociologique, puis en présentant trois monographies d’activité : la boutique, le plateau téléphonique et le webconseil. Ces monographies tendent à montrer que les interactions marchandes n’occupent pas la même place au sein de ces trois espaces, amenant leurs professionnels à adopter des points de vue distincts vis-à-vis de la vente. La seconde partie de la thèse porte sur la construction de l’organisation commerciale de l’entreprise et sur le rôle attribué aux vendeurs. Il s’agit de comprendre comment la stratégie actuelle s’inscrit dans l’histoire de l’entreprise tout autant dans une rupture vis-à-vis du plan stratégique NExT des années 2000 que dans la continuité de son évolution depuis la fin des années 1980 ; et s’incarne dans des projets managériaux révélant des logiques managériales concurrentes quant à la place de la vente dans une entreprise de services. La dernière partie de la thèse s’intéresse plus directement aux acteurs de l’organisation commerciale, à la fois managers et vendeurs. Elle montre comment ces derniers tentent de donner du sens aux évolutions de leur environnement organisationnel et, en s’appuyant sur ces logiques concurrentes, contribuent à la sauvegarde des caractéristiques constitutives, à leurs yeux, du métier de vendeur (identification des « états » du client et des opportunités commerciales, capacité à orienter les clients dans leurs choix marchands, etc.). Au final, la thèse entend montrer comment le métier de vendeur dévoile une épaisseur permettant à ces membres de faire face aux évolutions de leur environnement de travail. Ce faisant, la thèse entend ainsi proposer une sociologie des vendeurs et de la vente, contribuant à la sociologie du travail marchand, de la relation de service et de l’organisation.

Boris Menard, Parcours des étudiants de l’université : les files d’attente pour l’éducation et l’emploi à l’aune de Sen et Bourdieu, Thèse de sciences économiques, réalisée sous la direction de Philippe LEMISTRE, Ingénieur de recherche Céreq, Université Toulouse Jean Jaurès, soutenue le 5 décembre 2017 au Conservatoire national des Arts et Métiers

35 Jury composé de Christine ERHEL, Professeure, CNAM (rapporteure) ; Jérôme GAUTIE, Professeur, Université Panthéon-Sorbonne (rapporteur) ; Jean-François GIRET, Professeur, IREDU (président) ; Josiane VERO, Ingénieure de recherche, Céreq ; Bénédicte ZIMMERMANN, Directrice d’études, EHESS.

36 Cette thèse a pour objet l’analyse des inégalités appliquées d’une part aux parcours éducatifs des jeunes vers et dans l’enseignement supérieur français et, d’autre part, à leurs répercussions sur l’accès à l’emploi. L’intérêt pour une analyse en termes de trajectoires apparaît de plus en plus légitime en regard de la variété croissante des parcours, y compris pour accéder à un même diplôme du supérieur. En effet, les inégalités à l’insertion s’accentuent, non seulement entre détenteurs de diplômes distincts, mais aussi comparables. Ainsi, les déterminants et composantes des parcours éducatifs ont une influence sur les débuts de carrière bien au-delà du seul diplôme final. Pour expliquer cette diversité et les déterminants des choix individuels, une approche socio-économique originale est mobilisée pour décrire les espaces d’opportunités dans un contexte institutionnel marqué par une file d’attente vers les meilleures places dans l’enseignement supérieur puis sur le marché du travail.

37 Une telle démarche nécessite dans une première partie une revue critique des théories usuelles de l’offre. Les théories de la demande de la file d’attente et de la segmentation offrent une prise en compte plus complète des caractéristiques des emplois, mais sont limitées pour expliquer le rôle des parcours éducatifs et de leurs déterminants sur l’accès à l’emploi. Dans le cadre d’une approche inspirée de travaux anglo-saxons récents, les conceptualisations de l’économiste Amartya Sen et du sociologue Pierre Bourdieu sont associées pour pallier ces limites. Cette association permet de situer le rôle de l’éducation dans un système plus large d’inégalités d’accès, pour expliquer les situations de reproduction sociale comme de non-reproduction.

38 Dans une deuxième partie, les investigations empiriques pour opérationnaliser l’approche se concentrent sur le système éducatif. Les analyses s’intéressent en premier lieu aux parcours des diplômés d’une université scientifique à l’issue de l’obtention de la licence générale. La pondération par les capitaux économiques et culturels des parcours du secondaire et du premier cycle du supérieur permet de caractériser les éléments de parcours qui contrecarrent ou renforcent une reproduction qui n’en demeure pas moins dominante. Les investigations sur les parcours sont ensuite prolongées autour de la question du décrochage dans le premier cycle universitaire, à partir des données de l’enquête Génération 2010. Une lecture à l’aune des capabilités permet d’illustrer le caractère protéiforme du décrochage qui ne résulte pas seulement de problèmes d’orientation et d’échec.

39 La dernière partie de la thèse élargit la perspective seno-bourdieusienne à la transition entre l’enseignement supérieur et le marché du travail. La pondération sociale est cette fois appliquée aux trajectoires de sortie de l’enseignement supérieur et permet de montrer que la trajectoire de sortie ne produit pas les mêmes effets sur les « capabilités pour l’emploi » et sur les aspirations professionnelles suivant le milieu social. In fine, les investigations sur les dispositifs d’accompagnement à l’insertion mis en place après la loi relative aux libertés et responsabilités des universités suggèrent que, s’ils peuvent faciliter les transitions professionnelles, ces derniers peinent à réduire les inégalités de capabilités, étant donné la moindre participation des jeunes issus de milieux modestes.

40 Boris MÉNARD, chercheur associé au CERTOP/Université Toulouse Jean Jaurès et chargé d’études au ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, boris.menard@enseignementsup.gouv.fr

  1. Claire Auzuret, Analyse des processus de sortie de la pauvreté. Pauvre un jour, pauvre toujours ?, Thèse de sociologie, réalisée sous la direction de Martine MESPOULET, professeure de sociologie à l’Université de Nantes, CENS, soutenue le 7 décembre 2017 à l’Université de Nantes
  2. Laurent Beduneau-Wang, Valeur de l’eau et indicateurs de performance : tensions stratégiques et organisationnelles dans les métiers de l’eau (1853-2017), Thèse de sciences de gestion, réalisée sous la direction d’Éric GODELIER, Professeur à l’École Polytechnique, soutenue le 8 décembre 2017 à l’École Polytechnique
  3. Pierre Blavier, Les manifestations socio-économiques du chômage de masse et les réaménagements des budgets de ménage pour y faire face. Le cas de la Grande Récession espagnole (2008-2015), Thèse de sociologie, réalisée sous la codirection de Jérôme BOURDIEU (Directeur de recherche à l’INRA) et Frédéric LEBARON (Professeur à l’ENS-Paris-Saclay) et soutenue le 9 novembre 2017 à l’EHESS
  4. Florent Castagnino, Les chemins de faire de la surveillance. Une sociologie des dispositifs de sécurité et de sûreté ferroviaires en France, Thèse de sociologie, dirigée par Valérie NOVEMBER, directrice de recherche CNRS, LATTS, soutenue publiquement à l’École des Ponts ParisTech le 17 novembre 2017
  5. Joël Jornod, La conquête des clients. Les magasins Gonset et la Suisse occidentale (1920-1960), Thèse de sociologie et d’histoire, réalisée en cotutelle sous la direction de Franck COCHOY, Professeur de sociologie à l’Université Toulouse – Jean Jaurès, et de Laurent TISSOT, Professeur d’histoire à l’Université de Neuchâtel (Suisse), soutenue le 5 mai 2017 à Neuchâtel
  6. Nicolas Klein, Face aux mutations de la vente. Orange, ses vendeurs et le devenir d’un métier, Thèse de sociologie, réalisée sous la direction de Pascal UGHETTO, Professeur, Université Paris-Est Marne-la-Vallée, LATTS, soutenue le 12 octobre 2017 à l’Université Paris-Est
  7. Boris Menard, Parcours des étudiants de l’université : les files d’attente pour l’éducation et l’emploi à l’aune de Sen et Bourdieu, Thèse de sciences économiques, réalisée sous la direction de Philippe LEMISTRE, Ingénieur de recherche Céreq, Université Toulouse Jean Jaurès, soutenue le 5 décembre 2017 au Conservatoire national des Arts et Métiers
Mis en ligne sur Cairn.info le 25/05/2018
https://doi.org/10.3917/rfse.020.0301
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