CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Sebastian Billows, Le marché et la règle. L’encadrement juridique des relations entre la grande distribution et ses fournisseurs, Thèse de sociologie, réalisée sous la direction de Claire LEMERCIER, Directrice de recherche CNRS, CSO, soutenue le 31 janvier à l’Institut d’études politiques de Paris. Jury composé de Philippe BEZÈS, Directeur de recherche CNRS, CEE ; Sylvain LAURENS, Maître de conférences, EHESS ; Pascale TROMPETTE, Directrice de recherche CNRS, Pacte (rapporteure) ; Robin STRYKER, Professor, The University of Arizona ; Laurent WILLEMEZ, Professeur, Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines (rapporteur)

1La grande distribution française constitue un oligopsone avec six grandes centrales d’achat qui contrôlent le marché. Cette structure de marché permet aux distributeurs d’imposer leurs conditions commerciales à leurs fournisseurs, qui n’ont cessé de demander l’intervention de l’État pour remédier à cette situation. Cette intervention a finalement pris la forme du titre IV du livre IV du Code de commerce, un ensemble de règles juridiques encadrant les négociations commerciales annuelles entre distributeurs et fournisseurs. Entre 1996 et 2014, le Parlement a légiféré six fois et le titre IV a vu sa taille passer de 2230 à 7614 mots. À partir de la fin des années 2000, malgré toutes ces normes juridiques, les distributeurs sont parvenus à contourner le titre IV et à imposer leurs conditions commerciales à leurs fournisseurs.

2Comment expliquer l’échec de ce projet de régulation ? Pour répondre à cette question, l’enquête a retracé l’élaboration et la mise en œuvre du titre IV. Au-delà des usages de ce droit, il s’agit de comprendre comment ce corps de règles se transforme sous l’effet des débats politiques, du travail de la direction générale de la Consommation, de la Concurrence et de la répression des Fraudes (DGCCRF, administration du ministère chargée d’appliquer le titre IV) et de leur appropriation par les enseignes de la grande distribution. L’élaboration du titre IV et ses usages par les entreprises privées ne constituent pas deux dimensions séparées : c’est en effet la manière dont la grande distribution s’est approprié ce droit qui explique sa transformation et sa perte d’efficacité. Une première partie du recueil de données a eu lieu au sein de la direction juridique d’une grande enseigne de la grande distribution française. Cette observation participante, sous la forme d’un stage, a été complétée par des entretiens avec des professionnels du droit et des « opérationnels » travaillant pour d’autres enseignes. La deuxième partie du recueil de données a porté sur le travail de la DGCCRF et de certains cabinets ministériels qui ont participé à l’élaboration du titre IV. Pour cela, des archives institutionnelles et la littérature « grise » ont été dépouillées.

3Les résultats montrent comment la grande distribution a exploité les normes juridiques dirigées contre elle pour accroître son autonomie vis-à-vis de l’État. Conformément à la théorie de l’« endogénéisation » du droit, élaborée par la sociologie néo-institutionnaliste étatsunienne, la grande distribution a progressivement imposé une lecture procédurale des règles protégeant les fournisseurs. Dès la fin des années 1990, les distributeurs se sont dotés de services juridiques spécialisés dans le titre IV. L’interaction entre ces juristes et les fonctionnaires de la DGCCRF a contribué à rendre le droit plus technique. Au cours de ce processus de rationalisation formelle du titre IV, les notions de « loyauté » ou de « juste prix » ont été mises de côté au profit de notions juridiques plus abstraites et plus autoréférentielles. Par ailleurs, la DGCCRF a été victime de la concurrence d’acteurs politiques et bureaucratiques qui mettaient en avant la perte de « pouvoir d’achat » que le titre IV aurait fait subir au consommateur. Votée en 2008, la loi LME affaiblit indirectement le titre IV et consacre la montée en puissance de l’Autorité de la concurrence au détriment de la DGCCRF.

4Sebastian BILLOWS, chercheur affilié, Centre de sociologie des organisations, sebastian.billows@gmail.com

Hervé Champin,,Construire un espace ferroviaire européen intégré. Politique commune des transports et européanisation des relations professionnelles dans le secteur des chemins de fer, Thèse de sociologie, réalisée sous la direction de Claude DIDRY, Directeur de recherche au CNRS, CMH, soutenue publiquement le 2 mai 2017 à l’École normale supérieure Paris-Saclay. Jury composé d’Élodie BETHOUX, Maîtresse de conférences, École normale supérieure Paris-Saclay ; Marnix DRESSEN, Professeur, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines ; Stéphane de LA ROSA, Professeur, Université de Valenciennes et du Hainaut-Cambrésis (rapporteur) ; Arnaud MIAS, Professeur, Université Paris-Dauphine (rapporteur) ; Georges RIBEILL, Directeur de recherche honoraire à l’École nationale des ponts et chaussées

5Au-delà de ses implications économiques, l’intégration de l’espace ferroviaire européen, « utopie permanente » depuis le XIXe siècle, est devenue aujourd’hui un enjeu environnemental. La fragmentation du système ferroviaire de l’Union – qui correspond à l’héritage de rivalités historiques entre États européens, cristallisées dans des systèmes techniques et des institutions – constitue en effet en Europe l’un des handicaps du rail dans la concurrence qui l’oppose aux autres modes de transports.

6La thèse aborde cette question de l’intégration ferroviaire à partir d’une approche centrée sur les relations professionnelles communautaires, très développées, qui se sont nouées dans le rail entre représentants des salariés, des employeurs et des institutions publiques. Ce faisant, elle propose de contribuer à l’étude de l’européanisation des relations professionnelles, qui a pour enjeu l’adaptation des régulations du travail et de l’emploi à l’intégration internationale des économies mais également, au travers de l’émergence d’un espace public communautaire, la démocratisation du système politique de l’Union.

7Pour conduire l’analyse, la thèse adopte une démarche socio-historique, adaptée à la temporalité longue des processus étudiés. Elle s’attache par ailleurs à ne pas aborder les activités des acteurs des relations professionnelles isolément, afin de mettre en évidence leur imbrication dans un travail juridique communautaire plus large, impliquant également des experts et des acteurs politiques. À cette fin, elle s’appuie sur trois types de matériaux complémentaires : des documents et bases de données publiques, une enquête de terrain par entretien et par observation, et le dépouillement d’archives. Ces différentes sources permettent de reconstituer sur la période 1986-2016 la dynamique du dialogue social européen « chemins de fer », ainsi que différents processus d’élaboration de normes sociotechniques sectorielles européennes, pour proposer une analyse de l’interdépendance entre les dimensions économiques, technologiques et sociales de la politique ferroviaire communautaire.

8Dans une première partie, la thèse souligne que les évolutions du dialogue social « chemins de fer » ne peuvent pas être comprises indépendamment de la dynamique du dialogue social européen interprofessionnel, qui explique les évolutions du dialogue social sectoriel dans son ensemble (chap. 1), du cadre institutionnel du dialogue et des acteurs sociaux du rail (chap. 2) ainsi que des produits et des thématiques de ce dialogue à partir du début des années 2000 (chap. 3). Dans une seconde partie, nous montrons cependant que les activités les plus significatives conduites dans le rail s’ancrent dans des enjeux sectoriels. Elles ont en effet participé à la fois à une mise en débat des orientations générales de la politique ferroviaire européenne (chap. 4) et à la construction d’un espace ferroviaire européen plus intégré : les acteurs ont ainsi contribué à l’élaboration d’une législation communautaire dans le domaine de la certification professionnelle des cheminots mobiles (« permis de conduire » européen) (chap. 5), tout en menant plusieurs initiatives marquant l’émergence d’une négociation collective européenne, au premier rang desquelles figure la signature d’un accord mis en œuvre par directive sur les conditions de travail des cheminots mobiles en interopérabilité (chap. 6).

9Le développement de l’interopérabilité technique et économique du système ferroviaire a donc débouché dans le rail sur la construction d’une interopérabilité sociale : les acteurs européens ont réussi à y développer, avec un fort degré d’autonomie par rapport aux institutions publiques, des initiatives visant à limiter le risque de mise en concurrence des régimes sociaux dont est porteuse la construction du marché unique. Pour y parvenir, ils n’ont pas conduit un pur jeu de négociation, mais se sont engagés dans des processus délibératifs, visant à identifier des solutions nouvelles aux problèmes nouveaux nés de l’européanisation et du développement de la concurrence dans le secteur, tout en ancrant le dialogue social dans les caractéristiques du travail des cheminots. Ils ont ainsi contribué à définir et à instituer ce travail dans ses dimensions transnationales.

10Hervé CHAMPIN, Docteur en sociologie, ATER, Université de Valenciennes et du Hainaut-Cambrésis, herve.champin@gmail.com.

Nathalie Magne,Quelle égalité dans les SCOP ? Analyse quantitative et qualitative de la distribution des salaires et de la flexibilité de l’emploi, Thèse d’économie, réalisée sous la direction de Bernard BAUDRY, Professeur, Université Lumière Lyon 2, soutenue le 7 décembre 2016 à l’Université Lumière Lyon 2. Jury composé de Fathi FAKHFAKH, Maître de conférences HDR, Université Paris 2 Panthéon Assas ; Jérôme GAUTIE, Professeur, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne ; Yannick L’HORTY, Professeur, Université Paris-Est Marne-la-Vallée (rapporteur) ; Antoine REBERIOUX, Professeur, Université Paris 7 Diderot (rapporteur) ; Nadine RICHEZ-BATTESTI, Maîtresse de conférences HDR, Aix-Marseille Université

11Le premier objectif de cette thèse est la meilleure compréhension d’une forme d’entreprise qui se caractérise à la fois par une profondeur historique et une grande modernité. Il s’agit d’enrichir la connaissance empirique du modèle de la SCOP (Société Coopérative et Participative) quant à ses implications pour le travail et l’emploi. Mais l’étude de ce type d’organisation est également traitée comme un moyen pour une réflexion autour de l’égalité à l’intérieur de l’entreprise et dans les relations de travail, et plus généralement une étude approfondie des effets de la gouvernance sur les relations de travail dans toutes les entreprises.

12La question centrale de la thèse est la suivante : les relations de travail sont-elles plus égalitaires dans les SCOP que dans les entreprises conventionnelles (EC) ? La réponse est loin d’être évidente. Certes, les statuts des SCOP reflètent un objectif d’égalité (une personne vaut une voix, la répartition des bénéfices assure une certaine égalité dans la distribution des richesses créées). Pour autant, le principe hiérarchique et la subordination qui définissent le rapport salarial ne sont pas a priori abolis dans les SCOP. L’égalité au travail est abordée sous deux angles : la hiérarchie des salaires et la sécurité de l’emploi.

13La particularité méthodologique de la thèse est une articulation entre méthodes quantitative et qualitative, mises au service d’une compréhension fine des objets étudiés. L’analyse quantitative permet une comparaison systématique entre SCOP et EC au moyen d’un traitement économétrique utilisant les données de l’INSEE, les DADS (Déclarations Annuelles de Données Sociales). L’analyse qualitative, à travers des entretiens réalisés dans quarante SCOP de la région Rhône-Alpes, sert à la fois de terreau pour formuler des hypothèses précises ensuite testées économétriquement, mais aussi d’outil pour comprendre l’hétérogénéité des SCOP et réintégrer la subjectivité des acteurs dans l’analyse.

14Concernant les salaires, les résultats montrent des inégalités plus faibles dans les SCOP que dans les EC, principalement en haut de la distribution. Ce sont les écarts entre PCS (notamment entre cadres et non-cadres) qui sont réduits dans les SCOP, tandis que les écarts dus au genre et à l’âge ne le sont pas. L’analyse du discours des membres des SCOP à travers le prisme de l’économie des conventions montre que ceux-ci sont porteurs d’une forte préférence pour l’égalité, interprétée dans le cadre de la Cité Civique, qui sert de référence pour juger des inégalités justes et injustes – même si certains référents issus d’autres Cités sont perceptibles.

15Les ajustements en termes d’emploi, d’heures travaillées et de salaires sont comparés pour les SCOP et les EC faisant face à un même choc de conjoncture (grâce à des estimations utilisant l’appariement des DADS avec la base de données FICUS-FARE). Il en ressort que les salaires sont plus flexibles dans les SCOP. En revanche, les variations de l’emploi ne sont pas significativement différentes entre les SCOP et les EC, ce qui peut être attribué à une grande hétérogénéité des SCOP (notamment en termes de taux de sociétariat). Le discours des acteurs sur les critères d’accession au statut de sociétaire permet alors d’élargir la réflexion sur l’étendue de la démocratie en entreprise.

16Nathalie MAGNE, Docteure rattachée au laboratoire Triangle, ATER, ENS de Lyon, nathalie.magne@univ-lyon2.fr

Mathilde Mondon-Navazo,Les Travailleurs Indépendants Économiquement Dépendants (TIED) en France et au Brésil : analyse comparative d’une zone grise d’emploi, Thèse de sociologie et d’économie, réalisée sous la direction de Cinara LERRER ROSENFIELD, Professeure, Universidade Federal do Rio Grande do Sul, PPGS, et de Patrick DIEUAIDE, Maître de conférences HDR, Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3, ICEE, soutenue le 5 décembre 2016 à l’Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3. Jury composé de Patrick CINGOLANI, Professeur, Université Paris-Diderot, LCSP ; Claude DIDRY, Directeur de recherche CNRS, ENS Cachan, IDHES (rapporteur) ; Bernard GAZIER, Professeur émérite, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, CES ; Marc ZUNE, Professeur, Université Catholique de Louvain, IACCHOS (rapporteur)

17Cette recherche porte sur une catégorie spécifique de travailleurs, les Travailleurs Indépendants Économiquement Dépendants (TIED), qui associent une indépendance juridique à une dépendance économique vis-à-vis d’un seul client. En cumulant des caractéristiques typiques des deux catégories classiques que sont les salariés et les travailleurs indépendants, les TIED s’inscrivent dans une zone grise du marché du travail. À partir d’une étude qualitative menée auprès de TIED français et brésiliens du secteur des Technologies de l’Information (TI), nous nous interrogeons sur la signification sociale de cette forme d’emploi hybride et sur la façon dont elle émerge sur des marchés du travail aussi différents que ceux de la France et du Brésil.

18La première partie de la thèse est consacrée à la construction et l’analyse de la catégorie étudiée, grâce notamment à une revue de littérature sur les TIED, à un examen des questions juridiques posées par cette forme de travail hybride et à une discussion des spécificités du secteur des TI dans les deux pays.

19La seconde partie s’appuie sur un corpus de quarante entretiens semi-directifs réalisés auprès de TIED de Paris et Porto Alegre. L’étude des conditions de travail des enquêtés permet dans un premier temps de situer les TIED sur un continuum entre salariat déguisé et véritable travail indépendant et de distinguer deux profils-types : les prestataires intégrés à la structure commanditaire et les indépendants en transition. Pour étudier les trajectoires professionnelles de ces travailleurs, nous mobilisons ensuite l’approche par les capabilités d’Amartya Sen (2000) : nous montrons que les parcours des TIED – privés des protections du droit du travail par leur indépendance juridique – reposent sur des processus d’accumulation et de conversion de différents types de ressources en libertés réelles (ou capabilités). Si l’approche de Sen permet d’expliquer les différences de capabilités observées au sein de notre échantillon, nous avons été conduits à enrichir son cadre d’analyse afin de l’adapter à l’étude de trajectoires socioprofessionnelles.

20Les analyses réalisées nous conduisent enfin à distinguer deux groupes d’enquêtés : les « TIED réticents », plus nombreux au Brésil, expriment un attachement fort au salariat, alors que les « TIED épanouis » voient dans la position de TIED une façon d’échapper à des emplois décevants et trouvent avantage à une situation qui leur offre plus d’autonomie que le salariat et plus de confort que la véritable indépendance. En nous appuyant sur les travaux de Fraser (2010) et Boltanski et Chiapello (2011), nous montrons que le positionnement des TIED épanouis contribue indirectement à la remise en cause du rôle de l’État social.

21Les TIED apparaissent en définitive comme une figure emblématique d’un processus ambivalent d’individualisation qui contribue à l’émergence d’un sujet en quête d’autonomie, délié de ses appartenances traditionnelles, tout en favorisant une confrontation directe de l’individu avec le marché qui accroît les inégalités. Si les désirs d’émancipation et d’autonomie des TIED épanouis nous semblent devoir être pris au sérieux, une réflexion s’impose sur les réponses susceptibles d’étendre les capabilités des individus tout en luttant contre l’exacerbation des inégalités et en préservant un système de mutualisation des risques fondé sur la solidarité.

22Mathilde MONDON-NAVAZO, Chercheure associée au LCSP, Université Paris-Diderot, mathilde.mondon@wanadoo.fr

Nadia Okbani,Institutionnaliser l’évaluation au sein d’une organisation : enjeux, pratiques, usages dans une caisse d’allocations familiales, Thèse de science politique réalisée sous la direction de Thierry BERTHET, Directeur de recherche CNRS, et de Robert LAFORE, Professeur, Sciences Po Bordeaux, soutenue le 2 décembre 2016 à Sciences Po Bordeaux. Jury composé de Philippe WARIN, Directeur de recherche CNRS, Sciences Po Grenoble ; Anne-Cécile DOUILLET, Professeure, Université de Lille (rapporteure) ; Patrick HASSENTEUFEL, Professeur, Université de Versailles Saint-Quentin (rapporteur) ; Ariel MENDEZ, Professeure, Université Aix-Marseille ; Sandrine RUI, Maître de conférences, Université de Bordeaux

23La thèse analyse pourquoi et comment l’évaluation s’institutionnalise à l’échelle d’une organisation, indépendamment d’incitation externe, et interroge les changements que cette pratique introduit dans l’organisme et dans la conduite de l’action publique. Partant du cas de la CAF de la Gironde, elle entend saisir les normes, les règles, les rôles et le travail institutionnel des acteurs qui donnent sens et consistance à la pratique de l’évaluation. La recherche se base sur une ethnographie de quatre ans et sur quatre-vingt-seize entretiens.

24La première partie montre en quoi le déploiement du nouveau management public et de ses instruments de gestion n’est pas nécessairement synonyme du développement de l’évaluation de politiques. Il tend plutôt à s’y substituer en focalisant l’attention des dirigeants sur l’atteinte d’objectifs de gestion et de réduction des dépenses, au détriment parfois de leurs finalités politiques et de leurs effets sociaux. Cette tendance contribue à expliquer la faible institutionnalisation de cette « norme floue » au sein des organismes de sécurité sociale voire des administrations publiques.

25La deuxième partie analyse le processus institutionnel de l’évaluation à la CAF sur une vingtaine d’années. Elle révèle que l’évaluation fait l’objet d’appropriations stratégiques de la part d’acteurs se positionnant dans une logique d’influence politique. Son institutionnalisation ne procède pas de façon linéaire. Elle prend forme dans la durée, à travers différentes étapes imprégnées d’investissement d’acteurs, de luttes symboliques et de jeux de pouvoir.

26La troisième partie démontre que l’institutionnalisation de l’évaluation, sa pratique, ses usages mais aussi les changements incrémentaux qu’ils introduisent sont conditionnés et contraints par des intérêts d’acteurs qui en négocient les normes en fonction de leur contexte organisationnel et politico-administratif d’inscription. Instrument de connaissance et de reconnaissance, l’évaluation tend à reconfigurer les rapports sociaux dans l’organisation et en dehors, tout en réintroduisant des dynamiques bottom-up dans l’élaboration des politiques. Elle permet aux acteurs de définir la nature des problèmes à résoudre et des changements à conduire, mais aussi de renforcer leurs propres positions. L’évaluation constitue ainsi un instrument politique de régulation des rapports sociaux et de l’action publique locale.

27La quatrième partie montre que les évolutions de la pratique évaluative au fil du temps, les résistances, les reconfigurations organisationnelles et les processus d’apprentissage participent à la production de l’institution, à sa routinisation, à sa stabilisation et finalement à sa pérennité.

28Nadia OKBANI, ATER, Université Paris Descartes, Chercheure associée au Centre Émile Durkheim, nadiaokbani@yahoo.fr

Antoine Pietri,L’analyse économique des conflits à la lumière de la « Contest Theory », Thèse d’économie, réalisée sous la codirection de Mehrdad VAHABI, Professeur, Université Paris 13, et Claude MÉNARD, Professeur émérite, Université Paris 1, soutenue le 8 décembre 2016 à l’Université Paris 1. Jury composé de Francis BLOCH, Professeur, Université Paris 1 – PSE ; Bertrand CRETTEZ, Professeur, Université Paris 2 (rapporteur) ; José DE SOUSA, Professeur, Université Paris-Saclay (rapporteur) ; Petros SEKERIS, Professeur associé, Montpellier Business School

29Cette thèse porte sur la question du conflit et s’inscrit dans le champ institutionnaliste de l’économie. Le conflit est au cœur de la notion de propriété dans le sens où il peut permettre la création d’un droit de propriété, son transfert mais aussi sa destruction. En cela, le conflit correspond à une institution, disposant de règles propres influençant le comportement des agents économiques. Pour replacer le conflit et la violence au cœur de l’activité économique, la thèse traite de modèles d’arbitrage « beurre-canons » initiés par Hirshleifer. Dans ces modèles, les agents économiques peuvent allouer leurs ressources à deux types d’activité : la production (« beurre ») et l’appropriation (« canons »).

30En premier lieu, la thèse établit un lien entre la redéployabilité des actifs et la modalité d’utilisation de la force. Plus les actifs détenus par la population sont redéployables (capital financier) et moins les « protecteurs » utilisent la violence pour accroître leurs zones de domination. Cela constitue un nouvel élément pour expliquer l’apparition parallèle du système capitaliste et des institutions démocratiques modernes.

31La thèse propose aussi de traiter des incitations poussant des agents ayant des intérêts militaires antagonistes à commercer des armes. Ce travail montre que la vente d’armes entre deux ennemis peut être mutuellement avantageuse. Ce résultat nécessite que le vendeur soit plus productif dans le secteur non militaire et qu’il produise des canons plus efficaces sur le champ de bataille. Dans ces conditions, les agents peuvent trouver un contrat améliorant la situation des deux cocontractants. Ainsi, un surplus peut être généré par la vente d’armes à son ennemi.

32Enfin, la thèse propose de tester empiriquement les prédictions des modèles « beurre-canons » en recourant au monde virtuel pour pallier le manque de fiabilité des données historiques (données manquantes, biais liés à l’interprétation de l’historien, phénomène du « vainqueur écrit l’Histoire »). La thèse recourt à des données issues de 2 000 batailles dans EVE Online – un jeu vidéo en ligne massivement multi-joueurs. En effet, des travaux récents en psychologie montrent une certaine proximité entre les comportements des joueurs et leurs agissements réels. Ces données virtuelles offrent une granularité beaucoup plus fine permettant d’étudier les déterminants d’une victoire militaire. L’étude empirique suggère que la fonction mathématique ayant les prédictions les plus fiables est la Contest Success Function de forme « ratio », initialement proposée par Tullock. Cela contribue au débat sur la manière la plus adaptée de modéliser un conflit en économie.

33Antoine PIETRI, Chercheur, Institut de Recherche Stratégique de l’École Militaire (IRSEM), apietri.pro@gmail.com

  1. Sebastian Billows, Le marché et la règle. L’encadrement juridique des relations entre la grande distribution et ses fournisseurs, Thèse de sociologie, réalisée sous la direction de Claire LEMERCIER, Directrice de recherche CNRS, CSO, soutenue le 31 janvier à l’Institut d’études politiques de Paris. Jury composé de Philippe BEZÈS, Directeur de recherche CNRS, CEE ; Sylvain LAURENS, Maître de conférences, EHESS ; Pascale TROMPETTE, Directrice de recherche CNRS, Pacte (rapporteure) ; Robin STRYKER, Professor, The University of Arizona ; Laurent WILLEMEZ, Professeur, Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines (rapporteur)
  2. Hervé Champin,,Construire un espace ferroviaire européen intégré. Politique commune des transports et européanisation des relations professionnelles dans le secteur des chemins de fer, Thèse de sociologie, réalisée sous la direction de Claude DIDRY, Directeur de recherche au CNRS, CMH, soutenue publiquement le 2 mai 2017 à l’École normale supérieure Paris-Saclay. Jury composé d’Élodie BETHOUX, Maîtresse de conférences, École normale supérieure Paris-Saclay ; Marnix DRESSEN, Professeur, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines ; Stéphane de LA ROSA, Professeur, Université de Valenciennes et du Hainaut-Cambrésis (rapporteur) ; Arnaud MIAS, Professeur, Université Paris-Dauphine (rapporteur) ; Georges RIBEILL, Directeur de recherche honoraire à l’École nationale des ponts et chaussées
  3. Nathalie Magne,Quelle égalité dans les SCOP ? Analyse quantitative et qualitative de la distribution des salaires et de la flexibilité de l’emploi, Thèse d’économie, réalisée sous la direction de Bernard BAUDRY, Professeur, Université Lumière Lyon 2, soutenue le 7 décembre 2016 à l’Université Lumière Lyon 2. Jury composé de Fathi FAKHFAKH, Maître de conférences HDR, Université Paris 2 Panthéon Assas ; Jérôme GAUTIE, Professeur, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne ; Yannick L’HORTY, Professeur, Université Paris-Est Marne-la-Vallée (rapporteur) ; Antoine REBERIOUX, Professeur, Université Paris 7 Diderot (rapporteur) ; Nadine RICHEZ-BATTESTI, Maîtresse de conférences HDR, Aix-Marseille Université
  4. Mathilde Mondon-Navazo,Les Travailleurs Indépendants Économiquement Dépendants (TIED) en France et au Brésil : analyse comparative d’une zone grise d’emploi, Thèse de sociologie et d’économie, réalisée sous la direction de Cinara LERRER ROSENFIELD, Professeure, Universidade Federal do Rio Grande do Sul, PPGS, et de Patrick DIEUAIDE, Maître de conférences HDR, Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3, ICEE, soutenue le 5 décembre 2016 à l’Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3. Jury composé de Patrick CINGOLANI, Professeur, Université Paris-Diderot, LCSP ; Claude DIDRY, Directeur de recherche CNRS, ENS Cachan, IDHES (rapporteur) ; Bernard GAZIER, Professeur émérite, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, CES ; Marc ZUNE, Professeur, Université Catholique de Louvain, IACCHOS (rapporteur)
  5. Nadia Okbani,Institutionnaliser l’évaluation au sein d’une organisation : enjeux, pratiques, usages dans une caisse d’allocations familiales, Thèse de science politique réalisée sous la direction de Thierry BERTHET, Directeur de recherche CNRS, et de Robert LAFORE, Professeur, Sciences Po Bordeaux, soutenue le 2 décembre 2016 à Sciences Po Bordeaux. Jury composé de Philippe WARIN, Directeur de recherche CNRS, Sciences Po Grenoble ; Anne-Cécile DOUILLET, Professeure, Université de Lille (rapporteure) ; Patrick HASSENTEUFEL, Professeur, Université de Versailles Saint-Quentin (rapporteur) ; Ariel MENDEZ, Professeure, Université Aix-Marseille ; Sandrine RUI, Maître de conférences, Université de Bordeaux
  6. Antoine Pietri,L’analyse économique des conflits à la lumière de la « Contest Theory », Thèse d’économie, réalisée sous la codirection de Mehrdad VAHABI, Professeur, Université Paris 13, et Claude MÉNARD, Professeur émérite, Université Paris 1, soutenue le 8 décembre 2016 à l’Université Paris 1. Jury composé de Francis BLOCH, Professeur, Université Paris 1 – PSE ; Bertrand CRETTEZ, Professeur, Université Paris 2 (rapporteur) ; José DE SOUSA, Professeur, Université Paris-Saclay (rapporteur) ; Petros SEKERIS, Professeur associé, Montpellier Business School
Mis en ligne sur Cairn.info le 04/12/2017
https://doi.org/10.3917/rfse.019.0249
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