1Le titre de l’ouvrage de Bruno Karsenti et Cyril Lemieux, Socialisme et sociologie, interrogera à l’évidence celles et ceux qui se drapent dans la neutralité axiologique pour prétendre mettre à distance toute forme d’engagement dans leurs recherches [1]. D’autres y verront la confirmation du caractère non scientifique de la sociologie, du moins d’une certaine sociologie. D’autres, enfin, y chercheront les assises philosophiques de leurs positions politiques. Au-delà des praticien.ne.s des sciences sociales, nul.le ne pourra rester indifférent.e à la démonstration proposée, tant le malaise politique et épistémologique qu’analysent les deux auteurs est un trait saillant du moment présent, celui d’une crise de la gauche européenne et d’une remise en cause de la scientificité de la sociologie [2]. Le diagnostic des deux auteurs est cependant plus général, puisqu’il porte sur l’ensemble des sciences sociales : « Dans la configuration épistémologique qui domine désormais, on ne néglige pas du tout les phénomènes sociaux, mais on prétend les prendre en compte à l’aide de démarches inaptes à cette fin » [p. 23 (les auteurs soulignent)] [3]. Le prisme individualiste induit par l’économie et la psychologie s’impose, prisme ontologique et non seulement méthodologique. Celui-ci est redoublé par les discours politiques, l’ensemble contribuant à la production d’un sens commun tout autant scientifique qu’idéologique. Pour ce qui est de la gauche européenne, les auteurs ajoutent que le renoncement « à la volonté de connaître sociologiquement la réalité » s’accompagne de « la volonté inverse : celle de ne surtout pas penser sociologiquement les rapports sociaux » [ibid.]. En bref, en lieu et place d’une compréhension sociologique de la réalité sociale, les prismes économique (suivant lequel la crise économique agit sur les rapports sociaux) et psychologique (l’angoisse devant la mondialisation) se sont imposés. Mais, et cet élément n’est pas véritablement pris en compte dans l’ouvrage, certains agents, dans le champ économique et dans le champ politique notamment, ont un intérêt à voir l’individualisme ontologique triompher. Il conviendra donc de ne pas négliger la dimension politique, y compris dans la volonté de savoir sociologique.
De la sociologie dans le socialisme et réciproquement
2Le philosophe Bruno Karsenti et le sociologue Cyril Lemieux, tous deux directeurs d’études à l’EHESS, expliquent cette situation en analysant les différentes idéologies les unes par rapport aux autres, en accord avec le geste sociologique [4]. Le libéralisme, historiquement premier, justifie le désencastrement de l’économie. Il suscite une première réaction, le nationalisme, selon lequel il faut revenir à une communauté nationale antérieure à l’économie désencastrée. Si le socialisme appelle également à un réencastrement, il ne dissout cependant pas chaque individu dans une totalité, mais proclame l’égale participation au tout de chacun, tout en faisant apparaître les intérêts divergents des différents groupes sociaux en présence. Au nom de la division du travail social et de la solidarité organique qui en découle, il implique une égalité individuelle. L’analyse des deux auteurs est ainsi marquée par deux phénomènes qui caractérisent selon eux les deux siècles précédents, le désencastrement de l’économie et la division du travail social, ce qui explique l’attention particulière qu’ils portent à Karl Polanyi et à Émile Durkheim. Il s’agit d’« irriguer la politique de connaissances sociologiques, mais également [de] comprendre la politique […] sociologiquement » [p. 51]. En Europe notamment, le triomphe annoncé ou contesté du libéralisme, quelle que soit la forme de celui-ci, le retour du nationalisme réactionnaire et xénophobe ou bien encore l’émergence de contestations nouvelles, dont la tonalité est socialiste, doivent être saisis comme des faits sociaux. Toutefois, cette analyse sociologique ne saurait être réduite à la seule critique, sauf à nier ce qui fait que la sociologie n’est pas, d’abord, une science empirique. Comme le rappelait récemment Francesco Callegaro, « la délimitation des frontières du social, en tant qu’objet propre assignable à une science nouvelle, ne peut se comprendre que si l’on y voit à l’œuvre une intention déjà politique : dégager le social comme objet de science, cela voulait dire aussi repenser cette même “association civile” que la science politique moderne avait posée au fondement de son discours de légitimation de l’État, avant que l’économie politique ne le reprenne à son propre compte, pour s’y fonder à son tour » [5]. De ce point de vue, comme l’implique l’affirmation d’Émile Durkheim à propos de la philosophie politique de Hobbes, la sociologie ne peut être qu’une science politique autre, une science qui affirme désormais que l’individu est la production d’un collectif [6].
3Ce geste initial repose à nouveaux frais la question de la liberté, question moderne s’il en est, puisqu’il s’agit dorénavant de l’autonomie de la personne, c’est-à-dire d’une liberté – également distribuée – des individus inscrite définitivement dans une totalité sociale. Comme l’observait Émile Durkheim, l’émancipation ne s’entend pas comme un arrachement à la société, mais comme une autre attache à la société [7]. Autrement dit, l’association humaine précède l’association politique [8]. Cette métaphysique réaliste – au sens où elle considère que l’être humain est une abstraction s’il n’est pas saisi dans le social qui le constitue – est néanmoins politique de part en part. En rendant compte de l’association humaine, la sociologie met en lumière les institutions qui, hic et nunc, composent la totalité sociale [9] ; en les saisissant depuis le social, elle réfléchit dans le même geste aux conditions de transformation du monde social considéré. C’est cette double perspective qui structure l’ouvrage de Bruno Karsenti et Cyril Lemieux, et c’est ce qui explique qu’ils commencent par délimiter le social dont ils entendent rendre compte sociologiquement. De ce fait, ils rompent avec le libéralisme et le nationalisme, car « dans les deux cas, on se focalise sur l’identité politique, parce que l’on prend pour point de départ soit les individus abstraitement considérés, soit la nation envisagée en tant qu’individu collectif » [p. 15]. Les deux auteurs rappellent alors tout l’intérêt qu’il y a à utiliser la réflexion de Marcel Mauss au sujet de la nation [10]. Pour ce dernier, l’universalisme libéral abstrait, parce qu’il institue l’individu comme dernière instance, ne peut rendre compte de la nation entendue comme la forme que prennent les rapports sociaux et donc des individualités qui en procèdent. Il en va de même du nationalisme qui réduit la dimension sociale de la nation à une substance dont découleraient directement les caractéristiques des individus et du groupe qu’ils composent, faisant de chaque partie une réplique parfaite du tout.
4Il faut donc saisir, et même ressaisir, l’objet nation, en le considérant ni comme l’effet d’un « plébiscite de tous les jours » ni comme une ethnie. Pour Marcel Mauss, parce que la nation se compose de rapports sociaux, elle ne peut être saisie que par l’histoire et comme une chose sociale ; elle n’est donc pas une essence. Dès lors, le nationalisme efface la socialisation, il empêche même de la penser. Enfin, parce qu’elles sont constituées par des rapports sociaux, toutes les nations sont de même nature. Elles n’existent que les unes par rapport aux autres, dans la saisie d’elle-même que chacune réalise à la lumière des autres. En comprenant la nation comme une forme de société, Marcel Mauss agit pleinement en sociologue, mais il agit politiquement, expliquant scientifiquement le présent et dessinant du même coup le cadre dans lequel penser des perspectives d’avenir, perspectives qui ne relèvent a priori d’aucune doctrine. Le socialisme maussien se trouverait dans cette articulation spécifique entre théorie et pratique, l’une menant à l’autre, ou, pour reprendre les termes de Bruno Karsenti et Cyril Lemieux, dans « cet attachement de la volonté d’agir à la volonté préalable de savoir » [p. 21, nous soulignons].
5Cette antériorité de la sociologie par rapport au socialisme peut se comprendre aisément. Seul un diagnostic scientifique de la réalité permet d’agir efficacement sur le réel. Cyril Lemieux va toutefois plus loin encore quand il affirme : « Pour un sociologue, se reconnaître dans l’idée socialiste n’est pas une décision subjective, mais une conséquence objective de son activité professionnelle » [p. 125]. Il ne méconnaît pas l’inférence principale de cette affirmation. Celles et ceux qui se revendiquent du socialisme ne peuvent « se contenter de voir dans la sociologie une forme d’expertise parmi d’autres, qui doit être mise au service de leur art politique et de leurs projets, au même titre, sinon moins, que les connaissances fournies par les analystes de l’opinion publique, les économistes et les spécialistes du droit » [p. 129]. La sociologie occuperait ainsi une place à part tant sur le plan scientifique que sur le plan politique. Dans cette optique, elle n’est pas une science sociale, mais elle est la science du social. Il n’est toutefois pas inutile de rappeler qu’historiquement, c’est le socialisme qui est antérieur à la sociologie. Ce rappel permet de douter de la possibilité – sinon en général, du moins lorsqu’il s’agit de science sociale – de distinguer le constat des faits empiriques et le jugement sur lesdits faits [11]. Le diagnostic à l’origine du geste sociologique, ce « cri de douleur et, parfois, de colère, poussé par les hommes qui sentent le plus vivement notre malaise collectif [12] », pour reprendre une définition durkheimienne du socialisme, est politique. Comme le rappelle Francesco Callegaro au sujet du cours que Durkheim consacre au socialisme en 1895-1896, « le socialisme, s’il a d’abord exprimé une passion sociale, n’en a pas moins éveillé la réflexion, parce qu’il a posé des problèmes qui demandaient, pour être résolus, de lancer des enquêtes sur le social et ses pathologies [13] ». Envisagé comme un fait social, le socialisme apparaît comme un ensemble de doctrines qui précède la sociologie, laquelle, en retour, doit lui donner une assise scientifique et, dans le même temps, lui signifier ce qu’il est, en l’inscrivant dans le monde social qui le voit émerger. Le regard sociologique révèle ainsi que la colère qu’incarne le socialisme n’est pas une idéologie, mais une expérience du monde social que font certains groupes sociaux [p. 50] : la séparation de l’économie et de la société. Toutes les variantes du socialisme ont en effet pour point commun de réclamer « le rattachement de toutes les fonctions économiques, ou de certaines d’entre elles qui sont actuellement diffuses, aux centres directeurs et conscients de la société » [14]. Pour qu’une telle demande de politisation de l’économie soit faite, il faut qu’un diagnostic sur la désocialisation préalable de cette dernière ait pu être dressé, diagnostic qui doit lui-même être relié à la position sociale occupée par celles et ceux qui l’établissent. En ce sens, il ne peut être que politique, puisqu’il témoigne d’un intérêt qui ne peut être reconduit à l’intérêt général ni à une volonté de savoir, même sociologique.
6Quoi qu’il en soit, il n’en demeure pas moins que le socialisme et la sociologie ne peuvent émerger que dans des sociétés connaissant un certain degré de division du travail social [15]. C’est à ce stade de leur raisonnement que Bruno Karsenti et Cyril Lemieux, conjointement et isolément, invoquent Émile Durkheim, dont la thèse publiée s’intitule De la division du travail social, et Karl Polanyi, en particulier son maître ouvrage, La Grande Transformation. Cette double référence éclaire un même phénomène, matrice commune du socialisme et de la sociologie, l’autonomisation de l’économie par rapport aux autres activités sociales, soit son désencastrement (disembeddedness) pour reprendre la terminologie polanyienne. Elle leur permet aussi de penser la situation actuelle décrite en ces termes : « L’Europe a franchi une étape nouvelle dans le désencastrement de l’économie, avec la création de nombreux nouveaux marchés. » [p. 95]. Il reste néanmoins à rendre compte de ce fait social dans sa double dimension. En effet, il s’agit d’analyser aussi bien le désencastrement de l’économie au xixe siècle que l’Union européenne du début du xxie siècle. Émile Durkheim et Karl Polanyi fournissent-ils tous les outils conceptuels pour décrire ce fait social dans toute son extension ? Pour être plus précis, quelle approche du changement social développaient-ils ? Quelle causalité engageaient-ils pour expliquer cette dynamique sociale qu’ils observaient ? Peut-elle être reprise telle quelle pour décrire la mondialisation, même rapportée à l’échelle européenne ? Cette interrogation est d’autant plus déterminante que Bruno Karsenti et Cyril Lemieux considèrent que « la rupture mentale qu’appelle la pensée socialiste […] consiste à apercevoir que la politique n’est pas déterminée par des principes a priori, sur un mode dogmatique, mais par une pensée régulatrice, adéquate à un mouvement déjà à l’œuvre dans le réel, mais détourné de son sens » [p. 112, nous soulignons]. L’articulation entre socialisme et sociologie a donc en arrière-plan une prise de position sur la réalité, en l’occurrence l’extension de la logique marchande qu’il s’agit d’inscrire dans une totalité sociale, sans en perdre la nature dynamique. Le risque est alors grand de naturaliser le phénomène déjà à l’œuvre dans le réel.
L’irréductible dimension politique de la division du travail et du désencastrement
7Le geste est à l’évidence durkheimien, Durkheim notant en 1900 pour le contester le fait que « chaque science étudiait les phénomènes de son ressort comme s’ils n’étaient reliés à aucun système social » [16]. Dans sa « Leçon d’ouverture à la faculté de Bordeaux », en 1887, il souligne le problème que posait l’économie [17]. S’il reconnaît aux économistes de son temps le mérite d’avoir mis en évidence l’existence de lois sociales aux côtés des lois naturelles, il insiste sur la faiblesse initiale de leur raisonnement : son fondement anthropologique, « le triste portrait de l’égoïste en soi » [18]. Il dénonce cette « construction abstraite de l’esprit » qui ne peut conduire qu’« à démontrer logiquement des possibilités métaphysiques, non à établir des lois » [19]. Il affirme au contraire que la société « ne peut exister en dehors des individus qui lui servent de substrat ; elle est pourtant autre chose. Un tout n’est pas identique à la somme de ses parties, quoique sans elles il ne soit rien [20]. » De cette considération, il déduit une conséquence épistémologique. « Les phénomènes moraux, juridiques, économiques, politiques » sont pris dans un « consensus universel » (Auguste Comte) ; ils ne peuvent donc être étudiés séparément et constituent autant de « faces différentes d’une même réalité vivante, la société » [21]. Récusant tout recours à des causes individuelles et psychologiques, il critique en particulier l’économie politique selon laquelle le besoin individuel d’accroître sans cesse son bonheur serait l’explication première de la division du travail social [22]. Il oppose une causalité sociologique [23]. La pression croissante sur les ressources naturelles, ce qu’Émile Durkheim nomme la lutte pour la vie, pousse à la spécialisation, la rivalité étant compensée par l’extension du marché portée par celle des interactions sociales d’une part et par l’accroissement des spécialités d’autre part. L’interdépendance renforcée qui en résulte renforce à son tour la division du travail. Pris dans sa lutte contre l’économie et la psychologie, Durkheim est ainsi conduit à récuser toute intervention humaine dans le phénomène social étudié [24]. Or, si cette récusation prend sens dans le contexte intellectuel de cette fin du xixe siècle, elle ne doit pas conduire à négliger que le renforcement des logiques marchandes dans une société est un phénomène politique.
8Il consacre plusieurs développements à l’extension du marché, phénomène qu’il décrit comme un processus naturel lié à la division du travail : « La fusion des divers segments les uns dans les autres entraîne celle des marchés en un marché unique, qui embrasse à peu près toute la société. Il s’étend même au-delà et tend à devenir universel ; car les frontières qui séparent les peuples s’abaissent en même temps que celles qui séparaient les segments de chacun d’eux [25]. » Il en déduit la conséquence suivante : « Le producteur ne peut plus embrasser le marché du regard, ni même par la pensée ; il ne peut plus s’en représenter les limites, puisqu’il est pour ainsi dire illimité. Par suite, la production manque de freins et de règles ; elle ne peut que tâtonner au hasard, et, au cours de ces tâtonnements, il est inévitable que la mesure soit dépassée, tantôt dans un sens et tantôt dans l’autre [26]. » Dans ce cas, l’État ne doit pas freiner la division du travail, ici l’extension illimitée du marché, mais intervenir par des règles afin de ne pas la dénaturer [27]. Inversement, il peut exister des contraintes ou des règles qui sont à l’origine de formes pathologiques. « La contrainte ne commence que quand la réglementation, ne correspondant plus à la nature vraie des choses et, par suite, n’ayant plus de base dans les mœurs, ne se soutient que par la force [28]. » Durkheim décrit ensuite la situation idéale : « Le travail ne se divise spontanément que si la société est constituée de manière que les inégalités sociales expriment exactement les inégalités naturelles [29]. » Il est donc nécessaire que la société soit organisée selon la justice, entendue comme rencontre entre le social et le naturel [30]. Pour ce faire, le regard sociologique est indispensable et constitue dans cette perspective un préalable au socialisme [31].
9Cyril Lemieux en déduit une double implication : la nécessité d’« un organe de réflexion, de délibération et d’action publique [séparé] de la société », d’« un État qui s’autonomise du corps social » ; et, pour éviter le despotisme étatique, l’existence de multiples corps intermédiaires délibérant et communiquant avec « l’État conçu comme l’organe réflexif de la société [32] ». Il conclut que « la sociologie, sur la base de la production de savoirs positifs sur la société, a pour tâche d’éclairer sans cesse militants ou gouvernants sur la nécessité de démocratiser l’État [33] ». Or, l’articulation entre l’État et les structures sociales fait problème dans la pensée durkheimienne [34]. Dans De la division du travail social, Émile Durkheim reconnaît que, certes dans des situations pathologiques quand le consensus spontané n’est plus réalisé, l’État peut être associé à la contrainte, sans pour autant s’interroger sur l’origine sociale d’une telle contrainte [35]. Cette force étatique ne traduit-elle pas les intérêts de certains groupes sociaux au détriment des autres ? Dans les Leçons de sociologie, la contrainte disparaît et l’État reçoit pour fonction essentielle de penser ; il est neutre, c’est-à-dire qu’il est au-dessus des intérêts particuliers [36]. L’une des conséquences est que tous les fonctionnaires, dont les professeurs d’université, ne peuvent être que des agents de l’État, donc apolitiques [37]. Cette conception témoigne que la logique conduisant à considérer la sociologie comme antérieure au socialisme est politique. Comment dès lors envisager une critique de l’État lorsque celui-ci constitue la légitimité de l’économie dite de marché ou celle d’économistes revendiquant leur neutralité pour imposer leur idéologie néolibérale [38] ? Le geste sociologique impose au contraire de comprendre l’État comme un point de vue des points de vue se présentant, pour le sens commun, comme un point de vue sans point de vue [39]. C’est précisément dans cette supposée neutralité du point de vue étatique que s’exprime le monopole de la contrainte (Zwang) légitime, pour reprendre une définition wébérienne de l’État [40].
10S’interrogeant également sur l’autonomisation de l’économie, Karl Polanyi en propose une analyse différente [41]. Tout d’abord, il n’associe nullement la division du travail au développement du marché [42]. Ensuite, loin de voir ce désencastrement comme un phénomène naturel, il en explique l’origine par l’émergence de la pensée économique : « Les origines du cataclysme résident dans l’entreprise utopique par laquelle le libéralisme économique a voulu créer un système de marché autorégulateur [43]. » Précisément, parce qu’il considère l’économie de marché comme une utopie, elle ne saurait s’inscrire dans l’ordre des choses ; elle est au contraire le produit de décisions. Pour cette raison, Karl Polanyi consacre un chapitre aux débats savants qui aboutissent à cette vision économique de la société, insistant notamment sur la naturalisation des lois gouvernant l’économie de marché [44]. Dans la Grande Transformation donc, l’émergence du marché (« One Big Market ») est la conséquence d’une idéologie, le libéralisme économique, mise en application dans le droit [45]. Le désencastrement de la sphère économique relève d’une construction juridique et politique assise sur une vision du monde, le libéralisme économique [46]. Pour Karl Polanyi, une vision erronée qu’il qualifie à l’occasion de « religion séculière » ou d’« illusions » a produit une singularité historique, la société de marché, c’est-à-dire une société dont l’ordre est régi par la mentalité de marché [47]. Il s’est agi, comme il l’écrit dans son dernier ouvrage, de « faire advenir dans la pratique ce [que l’économisme] avait préconisé comme un idéal [48] ». S’il considère que cette expérience est achevée, celle-ci n’en aurait pas moins faussé le regard sur ce qu’est l’économie. Plus généralement, elle aurait occulté l’importance « du changement délibéré dans les institutions humaines » [49]. Le désencastrement de l’économie ne peut donc être seulement reconduit à ses effets destructeurs sur la société, il doit aussi être envisagé comme un processus politique.
De la politique avant toute chose, et pour cela préfère la sociologie !
11À cette aune, il est possible d’utiliser ce double regard sur l’autonomisation de l’économie pour penser la situation actuelle en Europe. L’économie désencastrée n’existe pas, elle ne peut s’appréhender que depuis la division du travail social, c’est-à-dire depuis une totalité sociale. Mais, comme le rappelle l’analyse polanyienne, la croyance en un marché autorégulateur ne peut pas seulement être lue – et dénoncée – comme une erreur au nom de la vérité première de la sociologie durkheimienne. Elle est aussi une force agissante, c’est-à-dire qu’elle informe des décisions politiques prises. Dès lors, l’« augmentation sans précédent du désencastrement des activités économiques » au cours des 30 années précédentes en Europe doit être expliquée politiquement, et non seulement en invoquant la division du travail, aussi bien internationale que nationale [50]. Cette lecture politique ne s’oppose en rien à une lecture sociologique, du moins si l’action proprement politique « vise à produire et à imposer des représentations (mentales, verbales, graphiques ou théâtrales) du monde social qui soient capables d’agir sur ce monde en agissant sur la représentation que s’en font les agents » [51]. En rappelant que toute subversion politique suppose au préalable une subversion cognitive, Pierre Bourdieu pouvait mettre en évidence la tension existant entre d’une part « le discours hérétique [qui] doit non seulement contribuer à briser l’adhésion au monde du sens commun en professant publiquement la rupture avec l’ordre ordinaire, mais aussi produire un nouveau sens commun » et d’autre part les dominants qui « travaillent à annuler la politique dans un discours politique dépolitisé, produit d’un travail de neutralisation ou, mieux, de dénégation, qui vise à restaurer l’état d’innocence originaire de la doxa et qui, étant orienté vers la naturalisation de l’ordre social, emprunte toujours le langage de la nature » [52]. De ce fait, en réencastrant l’économie dans une totalité sociale, la sociologie combat tout autant politiquement que scientifiquement le libéralisme économique [53].
12Par ailleurs, nombre de disciplines, dont certaines, comme l’histoire, se flattent pourtant de voisiner avec les sciences sociales, prennent pour assise le geste fondateur du libéralisme, l’individualisme méthodologique, qui n’est qu’une manière euphémisée de nommer l’individualisme ontologique [54]. Si consensus il y a, il est avant tout libéral, comme en témoignent les trois messages que les dirigeants européens utilisent comme viatique commun pour rendre compte de la situation actuelle [55]. Le premier provient de la science économique, associant difficultés économiques et montée du nationalisme réactionnaire. Le deuxième, teinté de psychologie, réduit les nationalismes à une poussée de fièvre. Le troisième, juridique, sanctuarise les traités et défend l’Union européenne comme une construction indépassable. Toutefois, en particulier en 2005 lors du référendum français sur le traité constitutionnel européen, une autre lecture a été proposée, ce qu’auraient dû rappeler Bruno Karsenti et Cyril Lemieux. Le projet européen, qui n’est pas seulement une construction juridique, visait à constitutionnaliser des politiques économiques, c’est-à-dire à en neutraliser le caractère politique. La lecture libérale des dirigeants européens apparaît alors dans ce cadre comme le discours politique dépolitisé évoqué ci-dessus. L’évidence dont elle se targue doit aussi être comprise sociologiquement. À cet égard, la construction du marché de la maison individuelle en France étudiée par Pierre Bourdieu présente un cas remarquable [56]. Loin d’être le produit d’une division du travail ne cessant de s’approfondir, elle résulte d’une politique délibérée. Il faut rendre propriétaire le côté gauche de l’espace social, les détenteurs de capital culturel. « L’attachement à l’ordre social passe par l’adhésion à la propriété, et faire adhérer à l’ordre établi le côté gauche de l’espace social, c’est opérer un changement considérable [57]. » Ce programme est à l’origine des règlements qui permettent la constitution d’un marché « de toutes pièces ». En promettant naguère une société de propriétaires, Nicolas Sarkozy tirait la conclusion de cette politique. Dès lors, la nature du social est un enjeu politique. Bien plus, les décisions politiques influent sur la perception que les agents sociaux ont de leur monde social et des possibilités d’actions politiques. Pierre Bourdieu a bien souligné ce paradoxe en évoquant la politique économique menée depuis le début des années 1980. « La politique économique de l’État […] produit le marché qui dépossède l’État de son pouvoir en matière de politique économique [58]. »
13Aujourd’hui, le problème se pose au niveau de l’Union européenne. Alain Supiot en a proposé la lecture suivante : « L’Union [européenne] n’exerce sur les peuples qu’un pouvoir indirect, qui requiert la médiation des États qui se reconnaissent ses vassaux. Sa caractéristique essentielle est d’inféoder les États membres, et cette inféodation revient à les soumettre à une entité juridique qui est elle-même privée de l’essentiel des attributs de la souveraineté sur ses propres citoyens [59]. » Le droit constitue alors un voile destiné à masquer des décisions politiques d’extension de la logique marchande, et ce d’autant plus que la centralité de la norme juridique est affirmée [60]. La science économique peut aussi venir au secours du droit lorsque ce dernier demeure trop marqué par cette autre manière de faire du droit qu’est le droit social, comme en témoigne l’exemple des demandes européennes de « réformes » du droit du travail. Quand tant d’institutions, nationales, européennes et internationales, viennent confirmer par leurs analyses et leurs verdicts la vision libérale du monde, qui s’étonnera de la force sociale du libéralisme [61] ? Si l’autodéfense de la société évoquée par Bruno Karsenti est nécessaire, si elle suppose un « point de lucidité » : que la société sache qu’elle existe, rien ne permet de penser qu’il en est ainsi aujourd’hui [62]. Bien plus, la libéralisation à marche forcée qu’encourage l’Union européenne et que des dirigeants mettent en œuvre consciemment doit être perçue comme un obstacle majeur dans l’émergence d’un « socialisme de second degré », expression de Bruno Karsenti désignant un socialisme qui s’inspire du mode de pensée sociologique en adoptant un point de vue sur la totalité sociale, immanent à cette dernière [63]. Elle contribue en effet à forger des individus dont la vérité première est le libéralisme. L’insistance mise sur la réforme des systèmes éducatifs témoigne également que le contenu de l’éducation est désormais un enjeu politique majeur [64]. Le refus récent en France de créer une section au CNU dans laquelle la science économique serait envisagée comme une science sociale montre que le problème est parfaitement identifié.
14À l’évidence, comme y invitent Bruno Karsenti et Cyril Lemieux, une bataille intellectuelle doit être menée, ce qui suppose de recourir aux « mots inusuels de la sociologie. […] Il nous faut repenser, avec les mots de la sociologie, aussi bien notre réalité économique et nos institutions politiques que nos penchants psychologiques » [p. 30, nous soulignons] [65]. Mais il faut ajouter que cet affrontement doit aussi être politique, non pas tant parce qu’il est un prélude au socialisme, que parce qu’il a pour enjeu les conditions sociales permettant la diffusion de la réflexion sociologique, à l’école aussi bien qu’à l’Université, c’est-à-dire les conditions par lesquelles le discours sociologique pourrait bénéficier de la force du social. Cette dimension, pourtant éminemment sociologique, demeure un point aveugle de la démonstration proposée par Bruno Karsenti et Cyril Lemieux, même s’ils insistent sur l’importance de l’éducation. Devant l’ampleur de la tâche, et parce que l’action envisagée est reconduite au geste sociologique, il est impératif d’agir dans des collectifs, en particulier ceux dévolus à l’enseignement, sans rien ignorer du processus de Bologne qui a inscrit l’Université dans la marchandisation du savoir, l’un des obstacles majeurs à la diffusion de la critique. Au-delà de la revendication d’une présence renforcée et généralisée de cette science du social qu’est la sociologie, objectif qui suscitera inévitablement de fortes résistances politiques, il faut d’ores et déjà porter le fer contre la neutralité supposée de la science en attestant, à la suite de Bruno Karsenti et Cyril Lemieux, la dimension politique de la sociologie, c’est-à-dire l’affirmation que l’existence de quelque chose comme le social n’épuise pas son interprétation [66].
15Un retour à Max Weber s’impose ici [67]. À rebours de la vulgate concernant son injonction à la « neutralité axiologique », ce dernier avait parfaitement conscience du soutien décisif que le pouvoir spirituel – celui notamment des intellectuels – pouvait apporter au pouvoir temporel, en raison d’un intérêt commun à la préservation de l’ordre établi, ceci d’autant plus que le savant se pense hors du monde dont il prétend dire le vrai [68]. Il soulignait cet effet de position en opposant les « penseurs préoccupés [du] sens [de la vie] » aux « hommes engagés dans l’action pratique et impliqués dans les tâches de la vie » [69]. Précisément parce que l’intellectuel.le a un point de vue, il ou elle ne saurait prétendre imposer ses valeurs depuis sa chaire. Mais, précisait Max Weber, cette « non-imposition des valeurs » (Wertfreiheit) est la conséquence du point de vue magistral de l’enseignant.e. Autrement dit, d’autres dispositifs pédagogiques peuvent autoriser des prises de position extérieure à tous les ordres établis. La lutte intellectuelle doit aussi être envisagée du point de vue pratique et être associée à une réflexion sur les institutions universitaires. À cette condition, il est possible d’être authentiquement critique en étant sociologue, c’est-à-dire un ou une scientifique du social, sans abandonner l’engagement propre à cette science, politique de part en part, socialiste sans imposer le socialisme. S’il s’agit d’enseigner les faits qui dérangent les partis pris et si le libéralisme domine les esprits, alors les faits sociologiques enseignés ont de bonnes chances d’être socialistes, l’objectivation du sujet de l’objectivation garantissant la Werfreitheit [70].
16En rappelant l’irréductible dimension politique des sciences sociales, loin d’affaiblir leur scientificité, Bruno Karsenti et Cyril Lemieux en soulignent l’importance dans la période actuelle. Toutefois, un ouvrage ne saurait suffire à donner à la sociologie une légitimité nouvelle, sauf à espérer dans la force du charisme personnel ou institutionnel [71]. L’intervention intellectuelle doit aussi se nourrir du geste sociologique et envisager les conditions d’un engagement tout autant scientifique que politique afin d’« universaliser les conditions d’accès à l’universel » [72]. Elle requiert de situer explicitement « le point d’Archimède vis-à-vis des conventions sociales » à partir duquel elle est menée afin de permettre d’en saisir l’originalité [73]. Il ne suffit pas de se réclamer de la sociologie pour se voir reconnaître la légitimité d’informer les militant.e.s des raisons de leurs engagements. De ce point de vue, la thèse défendue dans cet ouvrage aurait gagné en force si elle avait été complétée plus explicitement par les considérations politiques qui sont manifestement à son origine. Néanmoins, ce livre a le mérite de rappeler que toutes les luttes sociales mènent à la nécessité politique de refaire de la sociologie.
Notes
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[*]
Je remercie Alain Policar et les relecteurs de la revue pour leurs remarques.
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[1]
Nous considérons l’ouvrage comme un tout, même s’il est composé d’une première étude rédigée à quatre mains, « Le socialisme et l’avenir de l’Europe » [p. 11-122], d’une deuxième étude, « La politique sociologique selon Durkheim » [p. 123-150], écrite par Cyril Lemieux, et d’une troisième étude, « Il faut que la société se défende » [p. 151-188] rédigée par Bruno Karsenti.
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[2]
Sur ce dernier point, cf. l’ouvrage récent de B. Lahire, Pour la sociologie, Paris : La Découverte, 2016.
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[3]
Sur ce point, voir aussi les remarques de B. Lahire dans Monde pluriel. Penser l’unité des sciences sociales, Paris : La Découverte, 2012, p. 319-351.
-
[4]
Pour eux, « les idéologies sont des perspectives déterminées sur le tout social. Leur partialité ne s’explique pas par réduction aux particularités individuelles de leurs porteurs et de leurs déterminations matérielles, mais par la nature des idéaux qu’elles formulent et par les tendances à l’action et à la pensée propres à certains groupes » [p. 36-37].
-
[5]
La science politique des modernes. Durkheim, la sociologie et le projet d’autonomie, Paris : Economica, 2015, p. 10.
-
[6]
É. Durkheim, Hobbes à l’agrégation, Paris : Éditions de l’EHESS, 2011, p. 59 avec Fr. Callegaro, op. cit., p. 11.
-
[7]
É. Durkheim, « De la détermination du fait moral » [1906], in Id., Sociologie et philosophie, Paris : PUF, 1996, p. 106.
-
[8]
Cf. La science politique des modernes, op. cit., p. 13. Cette préséance implique qu’il n’y a jamais une création de société politique, mais seulement la politisation d’une société réelle (cf. Br. Karsenti, Moïse et l’idée de peuple. La vérité historique selon Freud, Paris : Cerf, 2012, en particulier p. 24 ; l’introduction, p. 11-58, met en lumière la différence entre société et peuple, expliquant l’articulation du social avec la politique).
-
[9]
Il faut ici donner à institutions la définition de Paul Fauconnet et Marcel Mauss, « ensemble d’actes ou d’idées tout institué que les individus trouvent devant eux et qui s’impose plus ou moins à eux ». Ils précisent : « Nous entendons donc par ce mot aussi bien les usages et les modes, les préjugés et les superstitions que les constitutions politiques ou les organisations juridiques essentielles ; car tous ces phénomènes sont de même nature et ne diffèrent qu’en degré » (« La sociologie : objet et méthode » [1901], in M. Mauss, Essais de sociologie, Paris : PUF, 1971, p. 16-17).
-
[10]
Ils renvoient notamment à l’édition récente de Marcel Mauss, La nation. Éléments de politique moderne, Paris : PUF, 2013, comportant des inédits.
-
[11]
Sur cette distinction, cf. M. Weber, Essai sur la théorie de la science, Paris : Plon, 1965, p. 416-417.
-
[12]
É. Durkheim, Le socialisme, Paris : PUF, 1992, p. 137 (cité p. 49 n° 5).
-
[13]
Fr. Callegaro, « La chose socialiste. Durkheim et l’origine de la sociologie », Incidence, n° 11, 2015, p. 31.
-
[14]
É. Durkheim, op. cit., p. 49 (nous soulignons) avec les remarques de Fr. Callegaro, « La chose socialiste », op. cit., p. 36-38.
-
[15]
C’est une différence majeure avec le communisme qu’Émile Durkheim comme Marcel Mauss définissaient comme une doctrine demandant la propriété collective, déjà attestée dans l’Antiquité (cf. les remarques de J. Terrier, « Pour le peuple, avec le peuple. Socialisme, démocratie et sociologie chez Marcel Mauss », Incidence, n° 11, 2015, p. 162-163).
-
[16]
É. Durkheim, « La sociologie et son domaine scientifique » [1900], in Id., Textes 1 : Éléments d’une théorie sociale, Paris : Minuit, coll. « Le sens commun », 1975, p. 32. Cf. aussi Id., De la division du travail social, Paris : F. Alcan, 1902, p. 359.
-
[17]
É. Durkheim, « Cours de science sociale », in Id., La science sociale et l’action, Paris : PUF, 2010, p. 85-117.
-
[18]
Ibid., p. 92.
-
[19]
Ibid., p. 93.
-
[20]
Ibid.
-
[21]
Ibid., p. 94-95. L’idée du consensus est reprise dans É. Durkheim, De la division du travail social, Paris : PUF, 1902, p. 351.
-
[22]
É. Durkheim, De la division…, op. cit., p. 2. Le titre de l’ouvrage ne doit pas induire en erreur. Social se rapporte à travail, non à division, l’ensemble signifiant que la division du travail est prise comme un phénomène social (cf. Ph. Besnard, M. Borlandi, P. Vogt (dir.), Division du travail et lien social. La thèse de Durkheim, un siècle après, Paris : PUF, 1993, p. 3).
-
[23]
Sur ce point, voir É. Durkheim, De la division…, op. cit., en particulier p. 237-318 avec les remarques de P.-M. Blau et R.-L. Milby, « Faits sociaux et structure sociale », in Ph. Besnard et al., op. cit., p. 143-145.
-
[24]
Les formes anormales ou pathologiques du phénomène social qu’il décrit sont autres : cf. ibid., livre III. Cyril Lemieux en tire un tableau très clair [p. 136].
-
[25]
Ibid., p. 361.
-
[26]
Ibid., p. 362.
-
[27]
Ibid., p. 364.
-
[28]
Ibid., p. 370 (nous soulignons).
-
[29]
Ibid.
-
[30]
Ibid., p. 381-382.
-
[31]
Cf. la deuxième étude de Cyril Lemieux, « La politique sociologique selon Durkheim » [p. 123-150].
-
[32]
Ibid., p. 149-150.
-
[33]
Ibid., p. 150.
-
[34]
Cf. l’article de P. Birnbaum, « La conception durkheimienne de l’État : l’apolitisme des fonctionnaires », Revue française de sociologie, vol. 17, n° 2, 1976, p. 247-258.
-
[35]
Cf. aussi É. Durkheim, Hobbes, op. cit., p. 51-52.
-
[36]
Cf. aussi Id., « L’État », in Id., Textes, t. III, Paris, 1976, p. 177 notamment.
-
[37]
Il faut ici préférer Max Weber (cf. infra n° 84). Rémi Lenoir, « Durkheim et la famille : entre sociologie et politique », in J. Heilbron, R. Lenoir, G. Sapiro (dir.), Pour une histoire des sciences sociales. Hommage à Pierre Bourdieu (Paris : Fayard, 2004, p. 27-45) a bien montré les conséquences de cette conception sur la sociologie durkheimienne de la famille.
-
[38]
Le livre de Pierre Cahuc et André Zylberberg, Le négationnisme économique. Et comment s’en débarrasser (Paris : Fayard, 2016), donne un exemple saisissant de ce que peut produire l’invocation de la neutralité scientifique.
-
[39]
Nous reprenons ici P. Bourdieu, Sur l’État. Cours au Collège de France (1989-1992), Paris : Seuil et Raisons d’agir, 2012, en particulier p. 53.
-
[40]
Cf. la préface de Catherine Colliot-Thélène in M. Weber, Le savant et le politique, Paris : La Découverte, 2003, p. 36 (cette traduction n’est pas reprise par Jean-Pierre Grossein in M. Weber, Concepts fondamentaux de sociologie, Paris : Gallimard, 2016, p. 161).
-
[41]
Celle-ci est rappelée par Bruno Karsenti dans la troisième étude, « Il faut que la société se défende ».
-
[42]
K. Polanyi, La Grande Transformation. Aux origines politiques et économiques de notre temps, Paris : Gallimard, 1983 [1944], p. 78-79, considération qu’il faut lire avec, en regard, É. Durkheim, De la division, op. cit., p. 351.
-
[43]
K. Polanyi, op. cit., p. 53-54 (nous soulignons).
-
[44]
Ibid., p. 155-177, en particulier p. 172.
-
[45]
Ce point est moins clair par la suite : cf. K. Polanyi, « La mentalité de marché est obsolète ! » [1947], in Id., Essais, Paris : Seuil, 2008, p. 505-519 et « Faut-il croire au déterminisme économique ? », in Id., Essais, op. cit., p. 522.
-
[46]
Il parle d’un voile qui empêche de voir ce qu’est la société (ibid., p. 123). La comparaison entre la situation anglaise qu’il décrit et le cas français analysé par Robert Castel est de ce point de vue éclairante (Les métamorphoses de la question sociales. Une chronique du salariat, Paris : Fayard, 1995).
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[47]
Cf. K. Polanyi, Grande Transformation, op. cit., p. 188 et Id., La subsistance de l’homme. La place de l’économie dans l’histoire de la société, Paris : Flammarion, 2011, p. 37.
-
[48]
Id., Subsistance, op. cit., p. 43. Br. Karsenti et C. Lemieux proposent une lecture différente de l’analyse polanyienne sur ce point [cf. p. 37-39].
-
[49]
Ibid., p. 30-31 (nous soulignons).
-
[50]
« Cette cause est plutôt à chercher dans l’accroissement de la division du travail, tant au niveau international (processus dit de “mondialisation” qu’au niveau de la différenciation interne des sociétés (spécialisation accrue des activités, apparition d’intermédiaires, externalisation de la production) » (p. 96).
-
[51]
P. Bourdieu, « Décrire et prescrire. Note sur les conditions de possibilité et les limites de l’efficacité politique », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 38, 1981, p. 69.
-
[52]
Ibid., p. 70 et 71.
-
[53]
Pour les auteurs, cette affirmation ne fait pas consensus, y compris parmi les sociologues (cf. notamment p. 69-74 et 87-94).
-
[54]
Ce point est développé p. 59-74.
-
[55]
Cf. p. 99-100.
-
[56]
P. Bourdieu, Sur l’État, op. cit., en particulier p. 35-44 et 47-54, et Id., Les structures sociales de l’économie, Paris : Seuil, 2000, p. 27-232.
-
[57]
P. Bourdieu, Sur l’État, op. cit., p. 43.
-
[58]
Id., Les structures sociales, op. cit., p. 277.
-
[59]
A. Supiot, La gouvernance par les nombres. Cours au Collège de France (2012-2014), Paris : Fayard, 2015, p. 311.
-
[60]
Cf. en particulier ibid., p. 284-288 et Id., « Les voies d’une vraie réforme du droit du travail », in Id., Au-delà de l’emploi, Paris : Flammarion, 2016, p. II-VI.
-
[61]
Pour une analyse sociologique du droit, cf. P. Bourdieu, « La force du droit. Éléments pour une sociologie du champ juridique », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 64, 1986, p. 3-19.
-
[62]
Cf. p. 177-178.
-
[63]
Cf. p. 154-157.
-
[64]
Sur l’importance de l’éducation, voir en particulier p. 47.
-
[65]
Pour un exemple récent particulièrement éclairant du recours aux mots de la sociologie, cf. G. Truc, Sidérations. Une sociologie des attentats, Paris : PUF, 2016.
-
[66]
A. Supiot, Gouvernance, op. cit., p. 136-139.
-
[67]
Il faut suivre ici la lecture d’Isabelle Kalinowski, « Leçons wébériennes sur la science et la propagande », in M. Weber, La science, profession et vocation, Marseille : Agone, 2005, en particulier p. 191-240.
-
[68]
Cf. M. Weber, Hindouisme et bouddhisme, Paris : Flammarion, 2003 (trad. I. Kalinowski avec la collaboration de R. Lardinois), p. 133-134.
-
[69]
Ibid., p. 307.
-
[70]
Cf. M. Weber, La science, op. cit., p. 43.
-
[71]
Sur le charisme, cf. à présent I. Kalinowski, « Max Weber et la nature du charisme », Sensibilités. Histoire, critique & sciences sociales, n° 1, 2016, p. 12-24.
-
[72]
P. Bourdieu, « Pour un savoir engagé » (Chicago, décembre 1999), in Id., Contre-feux 2. Pour un mouvement social européen, Paris : Seuil, 2001, p. 39.
-
[73]
M. Weber, Sociologie de la religion, Paris : Flammarion, 2006 (trad. I. Kalinowski), p. 277.