1Les enjeux croissants de sécurité alimentaire, d’environnement, de changement climatique, de lutte contre les pauvretés ou de (re)localisation des activités économiques remettent l’agriculture et l’alimentation au cœur des débats publics, des stratégies de firmes et des agendas politiques. Les manières de produire, d’échanger et de consommer les biens alimentaires sont en effet à la fois mises en cause dans l’aggravation de ces problèmes globaux et désignées, débattues comme solutions pour les résoudre.
2– Face à la croissance démographique mondiale, l’objectif de « produire plus pour nourrir le monde » est réaffirmé par une partie des agriculteurs et firmes agroalimentaires, alors que des ONG, soutenues par de nombreuses études, insistent au contraire sur les inégalités d’accès à la nourriture ou la montée de maladies liées à l’excès alimentaire, comme l’obésité ou le diabète [FAO, 2014]. Faut-il alors produire plus ou différemment pour la sécurité alimentaire ?
3– L’agriculture est aussi pointée comme l’un des secteurs qui contribuent le plus à l’érosion de la biodiversité et aux émissions de gaz à effet de serre, du fait de ses impacts sur la déforestation, de l’usage croissant d’engrais et pesticides ou du développement de l’élevage [McIntyre et al., 2009]. Mais, en même temps, elle est vue comme une solution pour restaurer une partie de cette biodiversité et fixer du carbone par une meilleure gestion des sols et des intrants, par l’introduction de légumineuses ou encore par la diffusion de systèmes alternatifs comme l’agroforesterie [Torquebiau, 2015].
4– Les questions économiques et sociales restent prégnantes dans les pays du Sud où la faiblesse des revenus des agriculteurs est une cause majeure des migrations [Bosc et al., 2015]. Elles sont aussi remises en avant à l’occasion de crises dans plusieurs filières agricoles en Europe (lait, porc…), entraînant une disparition plus rapide des exploitations agricoles et la persistance de la pauvreté en milieu rural [Blancard et al., 2016]. Mais l’agriculture attire aussi de nouvelles vocations qui s’installent « hors cadre familial », veulent engager de nouveaux liens avec la nature et les consommateurs, en particulier en zone périurbaine, et développer l’agriculture biologique.
5Ces enjeux globaux sont au cœur des transformations sociales de l’agriculture, débattus par ses acteurs économiques et politiques, et réinvestis par des chercheurs de différentes disciplines [Allaire et Daviron, 2017]. La Revue française de socio-économie se fait aussi l’écho de ce renouvellement de travaux qui s’attachent autant à la critique des évolutions récentes de l’agriculture qu’à l’analyse de formes innovantes plus ou moins radicales qui participent à ce que l’on peut nommer globalement « transition agroécologique ».
1 – Modèle agro-industriel vs systèmes agricoles et alimentaires alternatifs
6Le point de départ de nombreux travaux, et en particulier des articles présentés dans ce numéro, est une analyse critique d’un modèle agro-industriel qui vise à produire des aliments à prix réduit et à assurer une qualité standardisée pour des marchés de masse, en mobilisant des intrants industriels et en s’appuyant sur des économies d’échelle et des processus de spécialisation agricole régionale. Ce modèle a favorisé la modernisation d’une partie de l’agriculture familiale, avant tout dans les pays du Nord. Sa mise en œuvre a permis une forte croissance de la production et des productivités agricoles durant la seconde moitié du xxe siècle, mais elle s’avère responsable en premier lieu des effets négatifs de l’agriculture sur l’environnement, l’emploi ou même la sécurité alimentaire [Touzard et Fournier, 2014]. À l’échelle mondiale, l’extension de ce modèle montre aussi aujourd’hui des limites productives, car les rendements des principales productions agricoles stagnent depuis les années 1990, malgré le développement des biotechnologies dans de nouvelles régions agricoles, comme la pampa argentine et brésilienne.
7L’article de Pascale Phélinas et Valéria Hernandez donne précisément à voir les formes et conséquences de l’agriculture industrielle du soja OGM en Argentine, destiné à l’exportation pour nourrir les élevages industriels d’autres pays. Le succès de la « sojatization » de l’agriculture argentine est indéniable au regard de la croissance de sa production et de profits records, mais sa soutenabilité sociale, économique et environnementale est très largement questionnée.
8En France, ce sont d’autres limites du modèle agro-industriel qui sont présentées dans ce numéro. Tout d’abord les verrouillages technologiques et institutionnels qui soutiennent son développement, comme le montre l’article de Marie-Benoît Magrini et al. Les choix de R&D, d’investissements techniques ou de soutien politique ont en effet entraîné une spécialisation du système agro-industriel en faveur des céréales et en défaveur des légumineuses à graines, alors que celles-ci peuvent répondre aux enjeux de durabilité (en particulier en limitant les fertilisations azotées de synthèse et les émissions de gaz à effet de serre). Une autre limite se trouve dans la transmission du capital accumulé par les exploitations agricoles et l’accès au foncier qu’exige leur agrandissement. C’est ce que montrent Samuel Pinaud et Stéphanie Barral dans les « Hauts-de-France » où les reprises de terres en fermage sont l’objet d’échanges monétaires importants et limitent l’entrée de nouveaux agriculteurs dans la profession.
9La critique des évolutions récentes du modèle agro-industriel en Argentine ou en France est aussi portée par les acteurs de modèles agricoles alternatifs, développés à partir de formes antérieures domestiques (jardins familiaux, agriculture paysanne) ou artisanales et de qualité (produits de terroirs notamment)… mais aussi à partir d’initiatives plus originales apparues en réaction aux limites du modèle agro-industriel, à l’image de l’agriculture biologique ou de nouvelles formes d’agriculture urbaine. Deux exemples sont présentés dans ce numéro : les circuits courts agroalimentaires, dont Yuna Chiffoleau retrace les différentes étapes de développement, sont pour partie l’héritage d’une agriculture paysanne « préindustrielle », mais ils sont devenus le support de nouveaux modèles agroalimentaires visant à rapprocher producteurs et consommateurs et à redonner du sens à l’alimentation, à l’image des AMAP (Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne). Pour autant, la croissance de ces circuits attire de nouveaux opérateurs liés au monde agro-industriel (organisations agricoles, groupes de la distribution, acteurs de politiques publiques…) et pose la question de leur « conventionnalisation ». Autre exemple, l’abandon des techniques de labour, étudié par Claude Campagnone et Justine Pribetich, s’est développé initialement en opposition au modèle agricole intensif. Mais, dans ce cas également, le succès de ces nouvelles pratiques pose la question de leur maintien au sein de systèmes alternatifs (intégration dans l’agriculture biologique) face à leur « récupération » par des agriculteurs et firmes liés au modèle agro-industriel prônant « l’agriculture raisonnée », ou plus directement, l’usage d’herbicides pour compenser l’abandon du labour.
2 – De la confrontation à la coexistence pour des transitions agroécologiques
10Mais les évolutions contemporaines de l’agriculture, illustrées dans ce numéro, invitent à dépasser des visions trop simplistes d’une opposition entre un modèle agro-industriel qui serait devenu hégémonique et des systèmes alternatifs qui le combattraient frontalement. Une telle analyse duale a été développée en Amérique du Nord au regard de premiers mouvements sociaux visant à reconnecter les urbains avec une agriculture plus écologique et locale [Goodman, 2003]. En Amérique du Sud, des travaux ont remobilisé l’analyse du dualisme entre petits producteurs et grands propriétaires, puis agribusiness, en y intégrant la question écologique [Altieri et al., 2012]. En France, cette approche s’est d’abord focalisée sur les confrontations ou contradictions au sein d’une agriculture familiale organisée (paysanne vs entrepreneuriale) pour intégrer plus tardivement les initiatives et contestations portées par de nouveaux acteurs d’origine non agricole [Hervieu et Purseigle, 2015]. Les travaux actuels, sans évacuer l’analyse des enjeux et confrontations politiques au sein de l’agriculture, mettent surtout en évidence la diversité de ses acteurs et trajectoires pour interroger les conditions de leur coexistence et de leur contribution à la transition agroécologique.
11Cette diversité s’observe d’abord dans les évolutions des agricultures associées au modèle agro-industriel. Certes, en Argentine, l’analyse proposée par Phélinas et Hernandez souligne l’hégémonie prise par les nouveaux entrepreneurs du soja et leurs alliés, sans grande divergence sur les orientations productives, si ce n’est… un redéploiement vers d’autres cultures OGM ou différents niveaux d’implication dans le territoire. Dans le cas de la France, différentes formes d’« écologisation » des pratiques agro-industrielles sont en cours, allant d’une agriculture à fort contenu technologique qui vise une optimisation de l’usage des intrants (engrais, eau, herbicides, pesticides…), jusqu’à des agricultures « raisonnées » adoptant des pratiques de lutte intégrées contre les ravageurs, ou abandonnant des techniques comme le labour, décrit dans l’article de Compagnone et Pribetich. Ces évolutions suggèrent que la transition agroécologique se joue aussi à partir d’innovations dans l’agriculture industrielle, incluant optimisation et contrôle des flux, écologisation ou retrait de pratiques, mais aussi d’innovations portées par la bioéconomie et les industries agroalimentaires [Galliano et Nadel, 2016].
12La diversité de trajectoires de l’agriculture et de ses filières s’observe bien entendu aussi dans l’ensemble des situations désignées comme « alternatives », et plus directement associées à la transition agroécologique. L’agriculture biologique a longtemps représenté le principal mode de production alternatif et la croissance forte de ses marchés témoigne de sa reconnaissance par les consommateurs postmodernes. Mais cette agriculture biologique est aujourd’hui en tension, traversée par plusieurs orientations possibles entre les tenants du maintien des principes originels et ceux qui visent un assouplissement des règles pour atteindre une production à plus grande échelle. En même temps, elle se trouve contestée par des formes plus radicales d’agriculture revendiquant un rapport plus intense à la nature, à l’image pour la viticulture des productions de vins « nature » ou issus de la biodynamie. La diversité des agricultures alternatives s’exprime aussi à travers les modes de commercialisation, notamment l’émergence de nouvelles formes de circuits courts qui associent des innovations marchandes et sociales, mais aussi des nouvelles technologies favorisant l’information et la logistique pour les consommateurs. La montée en puissance tant de l’agriculture biologique que des circuits courts se traduit donc à la fois par des formes de conventionnalisation industrielle et marchande, et par l’émergence de nouvelles formes qui revendiquent des engagements plus importants pour répondre aux enjeux du développement durable.
13La question de la coexistence de différentes trajectoires agricoles devient alors centrale et doit être spécifiée pour chaque situation selon l’espace dans lequel elle est considérée et la nature des interactions qui la fondent. Elle se joue en particulier à l’échelle de territoires où différentes formes d’agriculture sont en concurrence pour l’accès à des ressources, en premier lieu le foncier comme le montre l’article sur les Hauts-de-France. La coexistence se joue aussi à l’échelle d’un secteur ou d’une filière, avec des agricultures qui entrent en concurrence pour la commercialisation de leurs produits (bio vs conventionnel). Mais étudier cette coexistence suppose de dépasser la vision économique d’agents en concurrence, pour repérer ses conditions dans les autres dimensions de la société. Ces conditions s’inscrivent bien sûr dans le champ politique où les différentes agricultures se confrontent pour orienter les règles de production et d’échange, accéder aux soutiens publics, définir des standards ou lutter contre l’influence de l’agro-industrie. C’est dans ce domaine de l’action publique, la question de la coexistence a été la plus explicitée ces dernières années. Si dans des pays comme l’Argentine ou le Brésil elle est réglée par un dualisme des politiques agricoles (ministère de l’Agribusiness vs du Développement rural). En revanche, en France la coexistence d’une diversité d’agricultures est avancée par les derniers ministres de l’Agriculture et les Régions comme indispensable à une transition large vers l’agroécologie [Hervieu et Purseigle, 2015). Les conditions de cette coexistence touchent aussi des aspects symboliques, notamment la construction d’une identité professionnelle, comme le montre l’article de Compagnone et Pribetich. Elle peut s’appuyer également sur des complémentarités techniques ou fonctionnelles, au niveau des entreprises agricoles (vendre sur plusieurs circuits, valoriser différents types de sols ou compétences…), des acteurs de la distribution (diversification de gamme), mais aussi des consommateurs qui combinent de plus en plus des achats venant de différents types d’agriculture (par exemple produits de base vs de qualité, venant de circuits courts vs longs…). Enfin, la coexistence d’une diversité de modèles agricoles et alimentaires apparaît étroitement liée aux processus d’innovations qui transforment l’ensemble de l’agriculture [Touzard et Labarthe, 2016] : des innovations développées par un type d’agriculture (alternative ou conventionnelle) peuvent en effet être intégrées par d’autres, ou conduire à l’émergence de formes hybrides, à l’image de l’agriculture de conservation ou de la « conventionnalisation » des circuits courts et de l’agriculture biologique.
3 – Renouveler les travaux sur les acteurs et processus des transformations de l’agriculture
14L’analyse de la diversité des formes d’agriculture, des conditions de leur coexistence et de leurs contributions à la transition agroécologique constitue un champ de recherche stimulant pour les sciences sociales, en particulier l’économie institutionnelle, la sociologie, les sciences politiques ou l’histoire… Plusieurs de ces transformations contemporaines de l’agriculture avaient été perçues dès le milieu des années 1990, exposées notamment dans l’ouvrage de synthèse La grande transformation de l’agriculture coordonné par Gilles Allaire et Robert Boyer [1995]. Si les lectures régulationnistes et conventionnalistes des « crises et recompositions de l’agriculture du fordisme » étaient alors privilégiées, les travaux qui les ont suivies se sont concentrés sur les trajectoires émergentes, rejoignant ceux qui en sociologie ou en sciences politiques étudiaient l’évolution des rapports des activités agricoles au développement territorial, à l’écologie ou aux demandes de qualités différenciées [Touzard et Labarthe, 2016]. Vingt ans plus tard, un colloque [1] a fait à nouveau un bilan de ces recherches attachées à l’analyse des transformations économiques et sociales de l’agriculture, donnant lieu à un nouvel ouvrage de synthèse [Allaire et Daviron, 2017]. Les perspectives de recherche se sont de fait considérablement élargies en considérant l’évolution des agricultures dans une économie-monde plus complexe, médiatique et libérale, dont les limites ont été révélées par la crise de 2007-2008. La nécessité de mieux étudier ces transformations à l’échelle internationale se traduit par un regain d’intérêt pour des travaux issus des sciences politiques comme l’approche multiniveau des transitions [Geels, 2010] ou l’analyse historique des « food regimes » [Friedman, 2005]. L’ouverture croissante des questions agricoles aux enjeux d’environnement, d’alimentation ou de santé appelle aussi des rapprochements avec des travaux de l’« Ecological Economics » ou des « food studies » [Galliano et Nadel, 2016]. L’attention accordée aux dynamiques d’innovations a également rapproché l’économie agricole institutionnaliste ou la sociologie rurale de recherches inscrites dans les communautés scientifiques des « Innovation Studies » ou de la « Sociologie des sciences et techniques » [Touzard et al., 2015]. Mais la recherche d’une meilleure compréhension des transformations en cours dans l’agriculture redonne aussi une place importante à des travaux empiriques centrés sur les interactions entre acteurs. C’est dans cette perspective que se situent clairement les articles de ce dossier de la Revue française de socio-économie.
15Les travaux de recherche rassemblés dans ce dossier s’attachent en effet à l’analyse fine des jeux d’acteurs dans les transitions de l’agriculture en considérant leurs interactions, leurs pratiques et les connaissances, normes et identités sociales qu’ils construisent. Les cinq articles s’appuient tous sur des enquêtes de terrain, auxquelles sont généralement associées des analyses de discours, des participations à des groupes de discussion et des investigations historiques pour inscrire les faits observés dans un contexte de longue période : celui du développement du soja en Argentine, celui des verrouillages des filières de légumes secs, celui des différentes étapes du renouveau des circuits courts… La notion d’acteur est généralement elle-même vue dans une perspective interactionniste, renvoyant à des jeux entre différentes formes de collectifs, depuis les collectifs de production constitués dans la pampa par les agro-entrepreneurs ou autour des « nouvelles » techniques sans labour, jusqu’aux agriculteurs insérés dans les réseaux familiaux ou professionnels organisant la transmission de l’accès au foncier dans les Hauts-de-France, ou encore les réseaux des interactions marchandes portées par les différentes formes de circuits courts. L’analyse de ces acteurs et réseaux est alors associée à deux entrées complémentaires, nécessaires à la compréhension des transitions agricoles : d’une part les changements de pratiques techniques pour le travail du sol, la commercialisation, l’introduction de légumineuses, appelant des collaborations avec des agronomes… ; d’autre part l’évolution des identités professionnelles, selon les origines agricoles ou non des acteurs et leurs engagements personnels, mais surtout selon leurs rapports à la nature et aux consommateurs. En enquêtant et étudiant des acteurs en interaction dans des situations concrètes de transition où se modifient pratiques et identités (ainsi que les institutions auxquelles ils se réfèrent), les recherches de ce dossier sont de fait très marquées par la sociologie, mais de manières différentes, ce qui offre un éventail original des options de recherches actuelles.
16La synthèse proposée par Yuna Chiffoleau sur l’évolution des circuits courts dans l’agriculture s’ancre pleinement dans les évolutions récentes de la sociologie économique, en mobilisant notamment les apports d’Harrisson White [White, 2002]. Emblématiques du renouvellement des formes alternatives pour l’agriculture, les circuits courts alimentaires concernent aujourd’hui une diversité d’acteurs, de logiques, mais surtout d’identités collectives et de formes de coordination, présentées selon la grille d’analyse de White. Le changement d’échelle des circuits courts est ici décrit à partir d’une analyse des positions et réseaux des participants aux groupes qui se sont succédé pour piloter leur développement au niveau national. Cette approche originale permet d’avoir une vision globale qui complète des études de cas déjà réalisées sur des réseaux et identités de circuits courts alimentaires.
17Plus directement dans le prolongement des travaux de la sociologie rurale, l’article de Claude Compagnone et Justine Pribetich s’appuie sur une enquête en Bourgogne auprès d’agriculteurs qui abandonnent les techniques du labour en étant engagés dans trois modes de production différents : l’agriculture de conservation, l’agriculture biologique et l’agriculture raisonnée. L’analyse de leurs discours et arguments montre comment l’abandon du labour interroge les manières d’être agriculteur et comment la construction de ces représentations dans l’espace professionnel participe aux transitions agroécologiques de l’agriculture.
18Le développement du soja OGM en Argentine est étudié par Pascale Phélinas et Valéria Hernandez à partir de plusieurs séries d’enquêtes dans deux régions de la pampa, en suivant une approche anthropologique et historique. La collecte d’informations sur les dynamiques quotidiennes des acteurs agricoles et leur participation à la scène sociale, politique, économique et culturelle conduit à repérer trois grands groupes d’acteurs : entrepreneurs agricoles gérant les pools de ressources nécessaires, sous-traitants multiples et propriétaires fonciers devenus rentiers. Les auteurs restituent à partir de l’analyse des logiques de ces acteurs, les conflits et impacts dans les territoires.
19Dans les Hauts-de-France, Samuel Pinaud et Stéphanie Barral ont conduit 90 entretiens auprès de différentes catégories d’agriculteurs concernés par les modalités d’échange du foncier, pour s’installer ou quitter l’agriculture. L’accent est là aussi mis sur l’analyse des pratiques sociales et des relations familiales, socioprofessionnelles ou personnelles qui vont orienter les reprises de fermages et expliquer le recours systématique au pas-de-porte. La combinaison d’une analyse de la sociologie des échanges (fonciers) et d’une sociologie de la profession (agricole) est revendiquée pour montrer que l’accès à la profession agricole n’est pas ouvert à tous dans les mêmes conditions. Devenir agriculteur, accéder au foncier et s’engager dans un modèle productif plus ou moins écologique est une construction à la fois politique et inscrite dans différentes sociabilités.
20Enfin, l’article coordonné par Marie-Benoît Magrini associe une approche historique avec la mobilisation du cadre théorique évolutionniste pour analyser les facteurs à l’origine de rendements croissants d’adoption d’innovation en faveur des céréales, et les verrouillages technologiques et institutionnels qui empêchent le développement des cultures de légumes secs. Le repérage des différents facteurs concrets du verrouillage interroge alors les perspectives de déverrouillage. L’approche interdisciplinaire de cette recherche, incluant agronomes et nutritionnistes, permet d’explorer comment des changements à l’aval des filières peuvent contribuer à un nouveau paradigme fondé sur une plus forte diversité agricole cultivée, une des conditions de la transition agroécologique.
Notes
-
[1]
La grande transformation de l’agriculture 20 ans après, Montpellier, 16-17 juin 2014.