CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 – Introduction

1Les circuits courts alimentaires suscitent un regain d’intérêt depuis la fin des années 1990 dans les pays du Nord [Van der Ploeg et al., 2000]. Si certains de ces circuits ne sont pas nouveaux et s’ancrent au contraire dans la tradition rurale de plusieurs pays, dont la France, d’autres modes de vente tels que ceux promus par les AMAP [1] sont apparus dans la période récente [Maréchal, 2008]. Le foisonnement des initiatives suscite toutefois de vifs débats, liés notamment à l’entrée de la grande distribution dans ces marchés, et qui ne sont pas sans rappeler les controverses autour de l’agriculture biologique ou du commerce équitable [Le Velly, 2009] : récupération marketing ou démocratisation ? L’objectif de cet article est de proposer un éclairage des diverses logiques à l’œuvre en France dans le changement d’échelle des circuits courts alimentaires. Nous nous appuyons sur des apports de la sociologie économique et des réseaux pour revenir sur l’histoire récente de ces circuits à travers l’analyse longitudinale du positionnement des principaux organismes concernés, en termes d’alliances, d’innovations promues et de « discipline » orientant les actions. Nous fondons notre analyse sur le suivi, en immersion, des dynamiques des organisations et des institutions liées au renouveau de ces circuits en France depuis 2005 ; nous approfondissons ici les discours et pratiques développés dans le cadre de différents dispositifs de politiques publiques en soutien aux circuits courts. Sur cette base, nous proposons d’aller au-delà d’une vision binaire opposant modèles alternatif et néolibéral pour considérer un jeu complexe entre différentes façons de concevoir et d’organiser les circuits courts au sein d’un domaine-réseaux [White, 1992] formé par les organismes qui participent à la construction de ce marché et des politiques associées. En intégrant les institutions publiques dans le champ étudié, cette recherche permet dans le même temps d’élargir les travaux en sociologie économique et des réseaux, prenant peu en compte ces acteurs dans l’analyse des activités économiques.

2Dans une première partie, nous présentons le contexte du renouveau des circuits courts au niveau international et de leur changement d’échelle en France. Nous cadrons ce contexte par différents travaux ayant cherché à caractériser la diversité et la dynamique des circuits courts, et plus largement des systèmes alimentaires « alternatifs ». En deuxième partie, nous présentons l’approche des dynamiques sociales proposée par Harrison White, auteur majeur de la sociologie économique et des réseaux, sur laquelle nous fondons notre analyse. En mobilisant les apports de White, nous visons autant à décrire la diversité des logiques en cours qu’à saisir leurs interactions. Nous précisons ensuite les différents dispositifs et matériaux à partir desquels nous construisons notre analyse. Dans une troisième partie, nous montrons comment ce cadre permet d’identifier en France différentes « identités » par rapport aux circuits courts, associées chacune à des profils relationnels et d’innovation spécifiques. Nous décrivons leur coévolution à travers quatre périodes de l’histoire récente des circuits courts. Dans une dernière partie, nous discutons les conditions de leur coexistence en pointant quelques leviers et paradoxes des politiques publiques, et revenons sur l’intérêt des circuits courts au regard des questions ouvertes par l’approche de White et, plus largement, dans la sociologie économique et des réseaux.

2 – Les circuits courts alimentaires, du renouveau au changement d’échelle : diversité et débats

2.1 – Les origines du renouveau

3Les circuits courts alimentaires, rapprochant producteurs et consommateurs, s’ancrent dans l’histoire rurale et du commerce en France, notamment à travers le marché de plein vent combinant, depuis ses origines, des objectifs économiques et de cohésion sociale [Margairaz, 1988]. Le développement de l’agriculture au xxe siècle repose toutefois sur une accentuation de la division des tâches et l’allongement des chaînes entre production et commercialisation, couplée, à partir des années 1960, à une logique d’intensification et d’industrialisation [Allaire et Boyer, 1995]. Tandis que la grande distribution se développe sur ce modèle agro-industriel, la vente directe traditionnelle est considérée comme une forme obsolète, portée par les producteurs exclus de la modernisation de l’agriculture [Jégouzo et al., 1998].

4À cette même période, dans d’autres pays, la vente directe devient par contre un vecteur de contestation de l’industrialisation de l’agriculture et des activités économiques en général. Au Japon, la multiplication des pollutions des rizières par des effluents d’origine industrielle suscite la mise en place, par des citadins, de premiers contrats directs avec des producteurs aux abords des villes, avec engagement d’achat sur la durée en échange de produits sains. Les « teikei » (« mettre un visage derrière le nom du producteur »), créés dans les années 1960, préfigurent à la fois un nouveau type d’échange économique et de rapport à la nature [Amemiya, 2011]. Ils sont suivis par un mouvement équivalent en Amérique du Nord, à travers les Community-Supported Agriculture (CSA) initiés dans les années 1970. Ces initiatives en rupture avec le modèle de marché dominant suscitent un nombre croissant de travaux cherchant à décrire et souvent à soutenir des systèmes qualifiés de « réseaux » ou « systèmes (agro)alimentaires alternatifs » [Deverre et Lamine, 2010].

5La crise de la vache folle en Europe à la fin des années 1990 élargit l’audience de ces alternatives. Suscitant ou renforçant la méfiance à l’égard du modèle agro-industriel et des filières longues, la crise sanitaire fait émerger, chez un nombre croissant de consommateurs, de nouveaux critères de qualité intégrant des références à la santé et au développement durable [Codron et al., 2006]. Directement inspirée des CSA, la première AMAP naît en France en 2001, tandis que la demande en produits biologiques s’accroît et que les circuits d’approvisionnement des consommateurs se diversifient, redonnant une visibilité aux formes de vente « de proximité » [Moati et al., 2005]. Ces évolutions poussent les acteurs du secteur agricole et les décideurs publics à modifier leurs stratégies et agendas.

2.2 – Mise à l’agenda politique et données de cadrage en France

6La France émerge, à la fin des années 2000, comme un des pays européens les plus actifs dans l’appui institutionnel aux modes de vente rapprochant producteur et consommateur [Kneafsey et al., 2013]. Jusqu’à cette période, ceux-ci étaient soutenus principalement à travers la politique européenne de développement rural (dont Programme Leader) et dans une moindre mesure, pour la cohésion sociale (via le FSE, Fonds social européen), à l’initiative d’associations de développement [Dumain et Maurines, 2012]. La notion de « circuit court » de commercialisation apparaît dans l’« Observatoire européen Leader des actions innovantes » à partir de 1997. Elle fait référence aux modes de vente mobilisant au plus un intermédiaire entre producteur et consommateur, sans indication de distance géographique, mais souvent associée aux « produits fermiers » ou « artisanaux » [François, 2000].

7En 2008, les Assises de l’Agriculture en France font des circuits courts un « enjeu national », pouvant « aider à renouer le lien entre producteur et consommateur [2] » (ministère de l’Agriculture). La même année, le Grenelle de l’Environnement fait émerger ces circuits comme « un des moyens, parmi d’autres, de l’agriculture durable ». Le ministre de l’Agriculture, Michel Barnier, mandate fin 2008 des experts du CGAAER [3] pour circonscrire ce « phénomène émergent » et confie à son cabinet la mise en place d’un groupe de travail devant réunir les principales organisations et institutions publiques concernées par ce thème. L’objectif est de faire un état des lieux de ces circuits, mais aussi de définir un plan d’action pour soutenir leur développement. Les circuits courts changent de statut : « Ils font partie du projet de modernisation de l’agriculture et de l’agroalimentaire dont le président de la République nous a passé commande. »

8Nous développerons plus loin le déroulement du « groupe Barnier » et ce qu’il révèle en termes de positions par rapport à ces modes de vente. Pour cadrer le contexte ici, nous retenons que la définition issue du groupe a conservé l’idée du nombre d’intermédiaires, les fixant à un maximum, et que le plan d’action a consisté notamment à intégrer ces circuits dans le recensement agricole, se limitant jusque-là à dénombrer les agriculteurs déclarant pratiquer la vente directe sans indication de volume ou de chiffre d’affaires. Le recensement de 2010 montre ainsi qu’un agriculteur sur cinq en moyenne vend tout ou partie de sa production en circuit court (Agreste). Les chiffres varient toutefois selon les filières et les régions : le miel, les fruits et les légumes d’une part, les DOM-TOM, le Sud-Est et la Corse d’autre part, sont les plus concernés. Les circuits courts représentent une vingtaine de modalités de vente différentes, entre 0 et 1 intermédiaire, et incluent formes individuelles et collectives, vente à proximité et à distance [Chiffoleau, 2008]. Si les AMAP et l’approvisionnement local de la restauration collective sont les plus médiatisés, la vente à la ferme et sur les marchés représente les deux principaux débouchés pour les producteurs. Parallèlement, la première enquête nationale sur les consommateurs montre en 2013 que ces circuits sont utilisés par 42 % des Français [François et al., 2014]. Elle révèle aussi que, si les personnes au niveau de revenu et/ou d’éducation élevé sont majoritaires parmi les utilisateurs de ces circuits, celles les fréquentant depuis moins d’un an sont principalement issues des classes sociales moins élevées, témoignant de la diffusion de ces modes de vente au sein de la population.

2.3 – Une diversité menacée ?

9À côté de ces chiffres montrant un nombre non négligeable de producteurs et consommateurs concernés par les circuits courts, l’importance croissante donnée dans la période récente à l’« agriculture de proximité » dans les projets des collectivités [Guiomar, 2011], ainsi que dans les stratégies marketing des opérateurs des circuits longs [Rouget et al., 2014], confirme le changement d’échelle de ces modes de vente. Celui-ci n’est pas sans inquiéter les pionniers des systèmes alternatifs, qui y voient le risque d’une dérive privilégiant la dimension économique de ces circuits au détriment de leurs enjeux sociaux et environnementaux. Les craintes s’appuient notamment sur les analyses de la trajectoire de l’agriculture biologique aux États-Unis : Guthman [2004] montre sa « conventionnalisation » à travers son appropriation par le secteur marchand, qui réduit les marges pour les producteurs et influence les décideurs politiques pour en baisser les standards. S’ensuit une bifurcation entre un grand secteur dominé par l’agri-business et bénéficiant des politiques agricoles d’un côté, un secteur résiduel de petites entreprises soutenu par les acteurs et politiques de développement rural de l’autre. La diffusion des circuits courts implique-t-elle la même évolution ?

10Encore faudrait-il qu’il y ait, dans le cas des circuits courts, une unité des logiques sous-jacentes. Dans une revue récente des travaux sur les systèmes agro-alimentaires alternatifs (S3A), Deverre et Lamine [2010] montrent que si ceux-ci visent à répondre aux manques ou aux impasses du système agroalimentaire globalisé, leurs objectifs varient selon les contextes : les analyses en France font par exemple ressortir le rôle des S3A dans le lien entre agriculture et gastronomie, mais aussi dans la défense du modèle d’agriculture paysanne, à travers le nombre important de publications sur les AMAP. En comparaison, les travaux en Grande-Bretagne présentent les S3A comme des systèmes redonnant confiance aux consommateurs, dans un contexte très marqué par la crise de la vache folle. Au-delà des différences nationales, les S3A sont analysés comme recouvrant à la fois des formes d’engagement modeste, mais à large échelle, à l’instar de la vente de produits locaux en supermarché, et des formes davantage reliées aux mouvements sociaux et politiques, mais touchant un faible public, illustrées en particulier par les AMAP. Partant de la définition des systèmes alimentaires comme « la façon dont les hommes, dans l’espace et dans le temps, s’organisent pour obtenir et pour consommer leur nourriture » [Malassis, 1994], Fournier et Touzard [2014] montrent que ceux-ci reposent, dans les faits, sur la coexistence entre plusieurs « modèles alimentaires ». Cinq modèles sont identifiés, à partir des variables structurelles, institutionnelles et cognitives (conventions de qualité) caractérisant les activités de production et d’échange alimentaire [Colonna et al., 2013]. La catégorie des modèles « alternatifs » regroupe les modèles de proximité, de qualité différenciée et domestique. Si les circuits courts sont associés au modèle de proximité en première approche, ceux-ci peuvent néanmoins être caractérisés et questionnés en tant que formes concrètes hybridant plusieurs modèles, y compris le modèle agro-industriel [Dubuisson-Quellier et Le Velly, 2008], ou bien selon le type de proximité (géographique, organisationnelle…) en jeu [Praly et al., 2014].

11La diversité de ces circuits peut aussi s’analyser à travers les façons dont ils sont conçus et mis en œuvre par les organisations et institutions impliquées dans leur développement. À partir d’un inventaire européen réalisé en 2010 à la demande du Comité des Régions, Jouen et Lorenzi [2014] identifient trois représentations politiques-types de circuits courts, selon les visions portées sur la place et le rôle de ces circuits dans l’économie, la société et les territoires : néolibérale, traditionnelle-ruraliste et alternative-écologiste. Dans la première, les circuits courts restent une solution marginale destinée aux producteurs et consommateurs exclus des marchés et que l’action publique appuie alors par des innovations techniques et logistiques. Dans la deuxième, ces circuits sont vus comme des sources de revenus et d’approvisionnement complémentaires aux autres, intégrées dans des stratégies de développement de plus en plus régionales et urbaines. Dans la troisième, ils sont portés par des groupes locaux aux fortes exigences environnementales, visant l’autonomie alimentaire et un commerce plus équitable. La diversité des contextes nationaux en Europe au regard des circuits courts [Kneafsey et al., 2013] appelle toutefois à questionner la pertinence de ces représentations pour un pays donné. Tout en conservant la perspective de Jouen et Lorenzi, nous proposons d’examiner le cas de la France, en nous appuyant sur les apports de la sociologie économique et des réseaux.

3 – De la diversité des circuits courts à l’interaction entre identités : cadre d’analyse et démarche

3.1 – Un cadre d’analyse fondé sur la sociologie économique et des réseaux

12Le renouveau des circuits courts alimentaires repose à la fois sur la valorisation des liens interpersonnels et la promotion ou la critique de certaines innovations [Maréchal, 2008]. Nous proposons alors de mobiliser la sociologie économique et des réseaux pour questionner ces deux dimensions dans la façon dont les organisations et institutions concernées conçoivent et mettent en pratique ces circuits en France (ce que nous avons appelé jusqu’ici « position »), depuis leur mise à l’agenda politique en 2009 et au-delà des seules formes s’affichant en tant qu’alternatives.

13La sociologie économique et des réseaux est surtout connue en France à travers les travaux de Mark Granovetter sur le rôle des liens faibles dans la recherche d’un emploi [Granovetter, 1974]. Elle part du principe que les activités économiques sont « encastrées » dans les structures sociales, notamment dans les réseaux sociaux, qui contribuent à les façonner et conditionnent leur efficacité [Steiner, 1999]. Les circuits courts alimentaires se prêtent bien à ce type d’analyse et ont fait l’objet de nombreux travaux étudiant leur encastrement dans les relations interpersonnelles, valeurs morales et/ou institutions, notamment à l’échelle des territoires [Deverre et Lamine, 2010]. Les apports d’Harrison White, à l’origine de la sociologie économique et des réseaux [4], peuvent aider à approfondir l’analyse : White considère que la société est un magma d’interactions dans lesquelles se forment, temporairement et du fait d’efforts de contrôle, des « identités » [White, 1992]. Très critique à l’égard de la théorie de l’acteur rationnel, White pense d’abord ces identités comme collectives, la personne n’étant qu’un cas particulier d’identité et en aucun cas le point de départ des sociétés. Une identité est encastrée dans les relations qui la fondent et la lient avec l’extérieur ; elle est surtout le résultat d’un « découplage », c’est-à-dire d’une autonomisation d’une entité par rapport à ces relations, due aux efforts de contrôle et matérialisée à travers une façon de se présenter aux autres, de se comporter avec eux, ou bien encore par des activités spécifiques et des préférences [Grossetti et Godart, 2007]. Elle n’en reste pas moins instable, soumise à la dynamique des réseaux et des identités individuelles qui la composent, et évolue à travers ses interactions avec les autres identités, qu’elle cherche aussi à contrôler pour assurer sa propre stabilité.

14White identifie trois formes remarquables de coordination des échanges dans les réseaux d’interactions, contribuant au découplage d’identités : l’interface, le conseil et l’arène. L’interface articule un processus à un objectif de qualité visant l’extérieur du réseau concerné, elle domine dans le cas de l’entreprise. Le conseil est une logique de rassemblement destinée à permettre la vie collective, identifiable dans le cas des partis politiques. L’arène consiste à sélectionner ceux qui font partie du réseau en fonction de certains critères, dont le partage facilite la coordination en interne, comme dans l’exemple des grandes écoles [Degenne, 1997]. Les identités peuvent tendre vers une discipline (attracteur) ou en combiner plusieurs, elles peuvent aussi rester au stade de réseau ; elles traversent différents univers dans lesquels elles interagissent, aussi appelés « domaines-réseaux » [White, 1992]. En langage d’analyse de réseaux, une identité constitue à la fois une « clique », à savoir un ensemble de personnes davantage liées entre elles qu’avec les autres, et un « bloc » ou profil relationnel, c’est-à-dire que ces personnes ont le même type de liens avec le même type d’autres [Degenne et Forsé, 1994]. Dans cette perspective, les identités représentent aussi un ensemble d’acteurs développant ou soutenant les mêmes innovations, du fait de ressources et contraintes identiques liées aux réseaux, mais aussi d’une tendance à s’imiter préférentiellement pour conserver le même statut [Burt, 1987]. En considérant les circuits courts comme un domaine-réseaux en évolution, quelles identités peut-on en dégager, à partir des disciplines visées ou sous-jacentes, des profils relationnels qui s’y forment et co-évoluent, des innovations promues ou rejetées ?

3.2 – Une analyse en immersion dans le domaine

15Notre analyse ici se fonde tout d’abord sur notre participation au groupe de travail sur les circuits courts mis en place par le ministère de l’Agriculture début 2009 (« groupe Barnier »), puis au groupe restreint sur le projet de charte nationale qui en est issu. L’animation du groupe Agriculture et alimentation du Réseau rural français de mi-2009 à fin2011, chargé de capitaliser les initiatives autour des circuits courts et de fédérer les organismes associés, a facilité le suivi de ces derniers. Nous avons également participé au jury du programme Casdar [5] Innovation et partenariat qui a financé plusieurs projets de recherche-développement sur les circuits courts à partir de 2009, dans lesquels nous avons mené des travaux, notamment sur les « circuits courts portés par des acteurs des circuits longs ». Enfin, nous avons contribué à la structuration d’un RMT [6] sur ce thème et participé en 2015 au groupe d’experts formé dans le cadre du Partenariat européen à l’Innovation.

16Cette immersion dans le domaine a permis à la fois d’identifier les discours des organismes impliqués et de suivre leur évolution, les actions mises en œuvre et la dynamique des liens entre eux. Nous avons renforcé l’analyse en demandant aux représentants des 100 organismes impliqués dans le groupe du Réseau rural, incluant des institutions publiques, avec quel autre organisme le sien (ou son service) avait collaboré formellement autour des circuits courts avant son entrée dans le groupe (avant 2009) et quelles relations de coopération allaient se poursuivre après la clôture du groupe fin 2011. Les données recueillies par cette technique du générateur de noms, utilisée en analyse de réseaux [Degenne et Forsé, 1994], ont été croisées avec la liste des partenariats formalisés dans les projets Casdar. L’approche a été complétée sur la période la plus récente par la lecture des résumés des auditions réalisées dans le cadre de la mission parlementaire sur ces circuits [7] et la participation à des conférences.

17Le traitement de ce matériau très riche a toutefois été rendu complexe par la mouvance du domaine et le rôle direct que nous avons joué dans son évolution. La prise de recul est favorisée ici par le cadre d’analyse, amenant à identifier des identités, des alliances et des innovations promues ou rejetées au-delà des personnes et des organismes déjà constitués, que nous ne citerons donc pas directement dans notre analyse.

4 – Formation et coévolution des identités dans les circuits courts

4.1 – Période 1 : deux disciplines « attracteurs » dans un domaine-réseaux en construction

18Les circuits courts de commercialisation ne sont pas nouveaux en France, mais le directeur du cabinet du ministère de l’Agriculture au lancement du groupe de travail, début 2009, reconnaît qu’il est « un peu nouveau qu’on s’intéresse à ces phénomènes ». Il déclare aussi que l’objectif est de réaffirmer le rôle du ministère de l’Agriculture dans ce domaine, car depuis le Grenelle, « beaucoup pensent que circuit court égale agriculture durable et l’associent au ministère de l’Écologie, or pour nous, c’est d’abord de l’agriculture ». Les experts du CGAAER présentent leur rapport [8] et mettent en avant trois composantes de ces circuits : la valorisation d’actifs immatériels (« la manière de vendre est plus importante que le produit »), l’hétérogénéité des acteurs et la créativité. Ils rapportent leur « impression d’un fantastique potentiel économique et social, mais pas à maturité » et interrogent la capacité des acteurs concernés à « tisser des liens et faire masse pour gagner en visibilité et structurer leur représentation ». Les experts soulignent toutefois la « tension entre développer, massifier et perdre son âme », reconnaissant que « la demande intense suscite un dévoiement ». Ils évoquent deux pistes de développement : le « circuit court territorial à base sociale » et le « circuit court économique » appuyé sur la vente par Internet, dont « certains qui n’ont rien à voir avec l’agriculture s’emparent déjà ».

19Le groupe est composé de 61 personnes représentant 45 organisations et institutions publiques, qui couvrent l’ensemble du domaine, depuis les organisations professionnelles et syndicats agricoles jusqu’aux associations de développement rural ou issues de la société civile, en passant par les associations d’élus, les organisations liées au commerce, les organismes de recherche et les services concernés des ministères de l’Agriculture et de l’Écologie. S’il regrette l’absence de représentants de la grande distribution, invités à participer, le ministère se félicite de la forte participation aux trois réunions du groupe. Dans nos discussions avec les participants, beaucoup s’étonnent qu’un sujet « encore si marginal hier soit aussi mobilisateur aujourd’hui ».

20Le débat fait rapidement émerger deux positions contrastées, révélant à la fois un type de discipline privilégié, un ensemble spécifique d’alliances, mais aussi de « non-relations » [Plessard, 2014] au sein du domaine-réseaux, ainsi qu’une cible d’innovations. La première consiste à penser qu’« il ne faut pas opposer les agricultures », que « les circuits courts sont d’abord des modes de distribution, adaptés à certaines situations et pour certaines filières », mais qu’en tant que forme de « diversification », ils peuvent « réconcilier le consommateur français avec l’agriculture de son terroir ». Les circuits courts sont un nouveau moyen de rassembler pour « la défense d’un métier menacé », de s’allier à la société à travers les consommateurs qui « recherchent du savoir-faire et de l’authenticité ». En ce sens, les circuits courts doivent rester sous la maîtrise des agriculteurs professionnels : l’entrée des nouveaux venus, non issus du milieu agricole, « pose plus de problèmes » et au-delà de la vente directe, qui est « la forme la plus adaptée », il faut « faciliter le regroupement de l’offre, créer des plates-formes contrôlées par les producteurs pour gagner de nouveaux marchés », notamment « la restauration scolaire où sont les consommateurs de demain ». Rassembler suppose toutefois de ne pas rajouter de contraintes, notamment par rapport à la qualité des produits, et de simplifier la réglementation, en particulier pour accéder aux marchés publics.

21La seconde position s’apparente davantage à celle mise en avant dans les travaux sur les systèmes alternatifs : « Les circuits courts, c’est d’abord un projet de société », qui soutient « ceux qui s’engagent pour l’agriculture durable ». En ce sens, « pas de circuit court sans exigences sur les méthodes de production et la taille des fermes », la logique est celle de sélectionner, mais dans un espace par contre ouvert à de nouveaux venus adhérant au projet : les circuits courts sont présentés comme un « moyen d’installation économe en foncier », de « sécuriser les revenus » pour « tous ceux qui veulent rester ou devenir paysan ». L’alliance avec les consommateurs urbains sensibilisés est essentielle aux démarches, de même qu’avec les élus des villes, alors que la non-relation avec les grandes surfaces est revendiquée. L’enjeu est d’adapter, plutôt que de simplifier, la réglementation aux petits contingents, notamment le paquet hygiène et le code des marchés publics ; il est aussi de faire reconnaître, à côté de la certification par tierce partie, des systèmes de garantie participatifs (SGP) basés sur un contrôle des pratiques associant producteurs et consommateurs [Lemeilleur et Allaire, 2014]. Contrairement à ce qui est avancé parfois [Benezech, 2011], les acteurs des systèmes alternatifs ne rejettent donc pas l’encastrement institutionnel de leurs pratiques, le contrat des AMAP est par exemple un des facteurs clés du développement de ce nouveau modèle [Lanciano et Saleilles, 2009].

22Dans le cadre du groupe, la première position est revendiquée par les organisations agricoles majoritaires, déclarant qu’ils coopèrent déjà entre eux pour la mettre en pratique ; la seconde est portée par des associations de la société civile et les syndicats agricoles minoritaires. À côté de ces deux identités collectives, quelques voix, peu entendues, regrettent le privilège donné à la vente directe. L’ensemble des participants partage néanmoins plusieurs attentes, notamment produire des données sur ces circuits et cadrer leur développement foisonnant. Le plan d’action proposé par le ministre intègre ces enjeux et une dizaine d’organismes, dont des représentants des deux identités, sont invités ensuite à discuter d’un projet de charte nationale.

Tableau 1

Période 1 : les deux identités remarquables du groupe Barnier

Tableau 1
Identité « Métier » « Durabilité » Discipline « attracteur » Conseil Arène Orientation et objectif pour les circuits courts Vente directe/Diversification, nouveau débouché Vente directe/Installation, sécurisation des revenus Alliances Agriculteurs professionnels, société Consommateurs urbains, élus des villes, porteurs de projet non issus du milieu agricole Innovations promues/engagées Plates-formes de regroupement de l’offre Contrat producteur-consommateur, SGP Changement institutionnel revendiqué Assouplissement de la réglementation (code marchés publics, paquet hygiène) Adaptation de la réglementation Évolution des statuts agricoles Reconnaissance des SGP

Période 1 : les deux identités remarquables du groupe Barnier

4.2 – Période 2 : vers deux nouvelles identités

23« Tant que c’était une niche, on n’avait pas de problème, mais avec l’engagement des consommateurs, les rapaces arrivent et se disent on va gagner des sous, comment éviter que ça dérape ? » (élu agricole, identité Métier). Le débat sur la charte s’ouvre fin 2009 dans un climat tendu : la multiplication des paniers vendus par Internet, associant des produits de différentes origines, et surtout le succès commercial et médiatique de la Ferme du Sart, créée fin 2005 par une grande enseigne de distribution, inquiètent la plupart des organismes invités. Jusque-là, l’implication de la grande distribution dans les circuits courts se limitait à la mise en valeur de quelques produits locaux achetés directement, notamment des fruits et légumes. Installée près de Lille, la Ferme du Sart inaugure un type de circuit court inédit, supermarché de produits locaux à la fois pratique, accessible en prix et valorisant les produits de l’agriculture périurbaine [Rouget et al., 2014].

24Alors que les organismes n’arrivent pas à se mettre d’accord sur les critères à respecter pour s’afficher en circuit court, divergeant notamment sur le fait d’introduire ou non des exigences au niveau des méthodes de production, la plupart, par contre, déclarent que la Ferme du Sart n’est pas un circuit court. Le magasin affiche pourtant 70 % de produits achetés en direct. Au-delà de l’appellation contestée de « ferme », deux critères sont mis en avant : la propriété du capital par des actionnaires non agricoles, le manque de transparence dans l’achat-revente. En lui donnant une telle place, le groupe valide l’émergence d’une nouvelle identité au sein du domaine-réseaux circuit court, revendiquant une « démocratisation des bienfaits des circuits courts » (site Internet Ferme du Sart). Alliée à des actionnaires et valorisant les nouvelles technologies de l’information (NTIC), celle-ci introduit aussi la discipline interface dans un domaine encore peu problématisé sous l’angle économique et logistique à cette période. Dans le même temps, le débat sur la charte intègre les résultats d’une consultation du groupe du Réseau rural, qui fait émerger une nouvelle orientation, portée par des associations de développement rural et des collectivités locales. L’enjeu est de valoriser, à travers les circuits courts, les démarches bottom-up et de progrès, contribuant à l’appropriation de l’agriculture et de l’alimentation par les acteurs des territoires, dans la perspective d’une « gouvernance alimentaire locale ». Il ne s’agit pas tant de définir une norme pour les circuits courts que d’encourager la transparence et la participation autour de ces modes de vente, pouvant d’ailleurs impliquer plusieurs intermédiaires si nécessaire, dans le cas des produits transformés ou de la restauration collective notamment. La discipline « attracteur » est aussi celle de l’interface, mais se combine à celle du conseil, initiant de nouveaux enjeux au rassemblement.

Tableau 2

Période 2 : vers deux nouvelles identités

Tableau 2
Identité « Entreprise » « Projet » Discipline « attracteur » Interface Interface-conseil Orientation et objectif pour les circuits courts Circuit court 1 intermédiaire/Stratégie marketing Système alimentaire territorial, nombre limité d’intermédiaires / Développement local Alliances Classes moyennes, actionnaires non agricoles Acteurs des territoires Innovations promues/engagées NTIC, logistique Transparence, participation Changement institutionnel revendiqué Soutien à la gouvernance alimentaire locale

Période 2 : vers deux nouvelles identités

4.3 – Période 3 : coévolution et nouveaux leaders

25Le groupe du Réseau rural permet aux organismes impliqués dans le développement des circuits courts d’identifier leurs positions respectives et de construire ou de renforcer leurs alliances : l’analyse des relations de collaboration formelles entre ces organismes fin 2011 montre trois cliques représentant respectivement les identités Métier, Durabilité et Projet (voir figure 1). Les thèmes de coopération témoignent toutefois de l’évolution de celles-ci par l’intégration de composantes issues de l’identité Entreprise, n’ayant pas participé au groupe, mais observée par ailleurs : l’identité Métier s’oriente vers le soutien aux drives et e-commerce, qui permettent à la fois de satisfaire les consommateurs et de confirmer l’intérêt du progrès technique en agriculture ; l’identité Durabilité s’inquiète de l’exclusion des consommateurs moins aisés et multiplie les expériences de circuits solidaires ; l’identité Projet donne un rôle plus important aux intermédiaires économiques, y compris aux coopératives, jusque-là peu considérées. Les identités Durabilité et Projet se rapprochent (expérimentation des SGP avec les collectivités…) et entrent plus fortement en concurrence avec l’identité Métier pour capter les partenariats avec les collectivités territoriales.

Figure 1

Relations de coopération entre organismes impliqués dans le Réseau rural, fin 2011

Figure 1

Relations de coopération entre organismes impliqués dans le Réseau rural, fin 2011

26La représentation des liens de collaboration fin 2011 révèle aussi des organismes à l’intersection de plusieurs identités et réseaux (voir figure 1 ci-dessous). Cette centralité d’intermédiarité, en langage de réseaux, se traduit dans les faits observés par deux postures contrastées : médiation ou contrôle, confirmant les résultats d’autres travaux sur le rôle des acteurs en position de « trou structural » dans l’évolution d’un domaine-réseaux [Burt, 1992]. Si certains de ces organismes sont déjà des interlocuteurs privilégiés des pouvoirs publics, d’autres, par contre, n’étaient pas identifiés comme possibles leaders ou experts du champ.

27Chaque cercle représente un organisme et chaque trait représente une relation formelle de coopération. La morphologie du réseau révèle trois cliques représentant chacune une identité et des organismes à centralité d’intermédiarité élevée.

28La publication de la morphologie des réseaux (rendus anonymes), comme indicateur d’impact du Réseau rural, encourage les organismes qui prennent conscience de leur position d’intermédiaire à revendiquer le leadership sur le thème, confirmant la dimension stratégique de l’analyse de réseaux [Cross et al., 2007] et des nouveaux indicateurs de richesse [Gadrey et Jany-Catrice, 2012] dans l’évolution des marchés et des politiques publiques.

4.4 – Période 4 : vers de nouveaux ennemis communs ?

29À partir de 2012, le développement des circuits courts est confié aux régions, notamment dans le cadre des déclinaisons régionales du Programme national de l’Alimentation et du Réseau rural. Ces espaces régionaux reflètent souvent les identités repérées à l’échelle nationale, au vu des projets et alliances mis en œuvre. Les élus des villes ou des métropoles viennent renforcer l’identité Projet, cherchant aussi par là à affirmer leur capacité de médiation et leur autonomie dans un contexte de réforme territoriale [Bonnefoy et Brand, 2014].

30Dans le même temps, l’identité Entreprise progresse et, du fait de moyens conséquents, met en œuvre des innovations qui s’inspirent d’expérimentations menées dans les autres identités : stratégie de name-dropping, valorisant nom, photo et savoir-faire des producteurs dans la logique Métier, parrainage d’installations de nouveaux venus dans la perspective Durabilité, animation de communautés de consommateurs et affichage de la marge réalisée dans la lignée Projet. Elle contribue aussi à faire émerger une nouvelle identité qui hybride les quatre logiques : l’identité « collaborative », portée ou soutenue par des acteurs de l’économie sociale et solidaire, découplée à travers les outils et organisations de l’entrepreneuriat social. Encastrée dans des liens avec une diversité d’acteurs impliqués dans les circuits courts, aussi bien urbains que ruraux, elle ne revendique aucune non-relation. Cette identité, encore en construction en 2015, capte des ressources institutionnelles variées, notamment celles destinées à l’innovation sociale en région, et suscite de vives controverses, à l’instar d’autres collectifs se positionnant dans l’économie collaborative [Robert et al., 2015]. Illustrant bien cette nouvelle logique, la Ruche-qui-dit-oui, combinant groupement d’achat et circuit court avec l’appui des NTIC, est par exemple critiquée par les autres identités de par la marge élevée prise par les fondateurs sur chaque système local, l’origine actionnariale des investissements ou le statut à la fois rémunéré et précaire des intermédiaires locaux organisant les échanges. Pourtant, au-delà de sa dimension Entreprise, ce modèle partage certains principes et objectifs avec les identités Projet (appropriation de l’économie par les citoyens), Métier (fixation du prix par les producteurs) et Durabilité (volonté de concilier accessibilité des produits et rémunération décente du producteur). À ce titre, pour ces trois identités, un acteur associatif de l’identité Projet estime que « la vraie récupération, elle ne vient pas des supermarchés pour qui ça restera du marketing, mais de ces entrepreneurs qui sont très proches de nous par certains côtés tout en profitant à fond du système ».

5 – Des circuits courts aux enjeux sectoriels, politiques et scientifiques

5.1 – Des innovations révélatrices des tensions et des inerties dans le monde agricole

31Les circuits courts alimentaires, sujet marginal jusqu’à récemment, suscitent un intérêt qui ne peut s’expliquer seulement par les opportunités économiques qu’ils peuvent générer pour les producteurs ou les réponses qu’ils peuvent apporter aux consommateurs. L’analyse du positionnement des organismes concernés par rapport à ces circuits montre en quoi, à travers ces modes de vente, se confrontent différentes visions pour l’agriculture et le lien agriculture-alimentation, associées à des types spécifiques d’innovation. La lutte pour le leadership sur ces circuits, notamment dans le cadre de la structuration du RMT, illustre les efforts de contrôle inter-identités [White, 1992] pour, plus largement, maîtriser ou réorienter le secteur agricole et son lien avec la société. Dans le RMT aujourd’hui en place, nous pouvons observer comment les identités Métier, Durabilité et Projet cherchent à en exclure les identités Entreprise et Collaborative, tout en veillant à produire les discours nécessaires pour renforcer leur cohésion interne. Plus qu’un segment de marché, les circuits courts révèlent les tensions qui traversent le monde agricole, notamment au sujet de l’ouverture aux nouveaux venus, non issus du milieu agricole, et aux coopérations intersectorielles et avec des consommateurs [Hervieu et al., 2010]. Ces circuits illustrent aussi les inerties autour de l’agriculture, telles que la difficulté d’accéder au foncier pour les petites fermes ou bien encore la réticence des banques face aux projets atypiques (« quand vous êtes en vente directe, à la banque, on vous prend pour un poète », reconnaît un élu agricole de l’identité Métier), dans un contexte où les aides publiques à l’installation restent accordées sur la base d’une surface minimum et non à partir de la valeur ajoutée générée par un système d’activités diversifié. La portée symbolique et politique des circuits courts va donc bien au-delà de leur dimension économique.

5.2 – De la France à l’Europe, quelles identités pour quelles politiques publiques ?

32Les identités repérées en France autour des circuits courts enrichissent l’analyse européenne de Jouen et Lorenzi, notamment au regard de la représentation traditionnelle-ruraliste, qui, dans le cas de la France, comprend selon nous deux orientations différentes : Métier et Projet. La Commission européenne s’inscrit a priori davantage dans l’identité Projet, définissant les circuits courts comme « des circuits d’approvisionnement impliquant un nombre limité d’opérateurs économiques engagés dans la coopération, le développement économique local et des relations géographiques et sociales étroites entre les producteurs, les transformateurs et les consommateurs » (Commission européenne, 2011, révisé par le Parlement européen, 2013). Si cette définition limite a priori l’éventuelle conventionnalisation de ces marchés liés à leur changement d’échelle, l’enjeu reste toutefois de préserver la diversité et la complémentarité des approches à travers les instruments de politiques publiques. Le Programme de développement rural (PDR) 2014-2020 renforce le soutien à ces circuits en les mentionnant explicitement dans plusieurs articles au regard de différents enjeux (compétitivité, inclusion sociale…) et en donnant la possibilité aux régions d’ouvrir un sous-programme thématique dédié pour bénéficier d’un supplément d’aide. Parallèlement, fin 2014, des experts sont invités, dans le cadre du Partenariat européen à l’innovation, à « identifier les modèles de circuits courts qui améliorent substantiellement les revenus des producteurs et ont un potentiel de changement d’échelle ». Si les experts retenus sont issus d’organisations aux projets contrastés, le cadrage du travail met clairement en avant le modèle néolibéral. La présentation de la situation en France contribue à montrer différentes approches complémentaires, tant du point de vue du consommateur que du producteur : alors que les organisations et institutions défendent leur statut en revendiquant d’abord une identité spécifique, les producteurs en circuits courts combinent souvent différentes logiques [Bellec-Gauche et Chiffoleau, 2015]. Des discussions restent toutefois en cours pour trouver le moyen de contrebalancer, dans les textes comme dans les instruments, l’accent mis sur l’identité Entreprise, qui implique a minima le soutien public.

33En France, les mêmes contradictions sont observées : les discours politiques prônent la diversité des agricultures et l’introduction des « Projets alimentaires territoriaux » dans la Loi d’Avenir de 2014 est un signal important en ce sens. Cet instrument n’est toutefois pas pourvu de moyens spécifiques et sera financé par le PDR, donc soumis aux négociations entre DRAAF [9] et Régions. Surtout, les abattoirs de proximité disparaissent, ne pouvant être adaptés aux normes sanitaires des abattoirs agro-industriels qui leur sont soumises, alors que leur activité, les volumes traités et risques associés sont très différents. D’autres pays d’Europe n’appliquent d’ailleurs pas la même réglementation selon le type d’équipement, sans transiger pour autant avec la sécurité sanitaire [10]. Le manque de flexibilité de la France à ce niveau, mis en avant par toutes les identités du Réseau rural comme une des limites majeures au développement des circuits courts, s’explique sans doute davantage par l’encastrement de sa politique économique dans des alliances peu favorables à une telle évolution. La décision de confier à des organismes révélés en tant qu’intermédiaires (voir figure 1), et se déclarant proches de l’identité Projet, la charge de capitaliser et de fédérer les différentes approches des circuits courts dans le RMT, pour faire avancer des questions réglementaires notamment, semble en revanche aller dans le sens inverse. La tâche n’en reste pas moins un défi au regard de la faiblesse des moyens accordés, de la concurrence entre identités et au vu des discours recueillis dans le cadre de la mission parlementaire, poussant à la surenchère entre organismes dans la présentation de leurs actions et alliances autour de ces circuits.

5.3 – Un domaine-réseaux au croisement de différentes sphères, retour sur la sociologie économique

34Les circuits courts font l’objet d’un nombre croissant de travaux, au niveau international et en France, depuis leur renouveau. Les analyses vont toutefois dans deux directions principales : soit elles portent sur les acteurs de ces marchés, en particulier producteur et consommateur, soit elles s’intéressent au rôle de l’action publique dans le développement de ces circuits, à travers la commande publique durable ou la mise en œuvre de politiques alimentaires [Sonnino, 2009]. Nous montrons ici comment acteurs, organisations et institutions interagissent dans la construction de ce marché et des politiques associées. Son approche étant basée sur l’analyse de situations anglo-saxonnes, Harrison White intègre peu le rôle des institutions politiques dans la construction des identités, notamment lorsque celles-ci sont étudiées dans le cadre des marchés [Fligstein, 1996 ; White, 2002]. Les circuits courts forment ainsi un cas intéressant pour intégrer de nouveaux nœuds dans le domaine-réseaux associé aux marchés et montrer l’interaction de ce domaine avec d’autres domaines-réseaux : celui lié aux politiques publiques, mais aussi ceux où se construit la reconnaissance sociale des identités individuelles impliquées. Au vu de nos observations, le positionnement de certains organismes dans ce marché, y compris de certaines institutions publiques, se comprend en effet aussi comme une quête de statut de la part des individus qui les représentent [Podolny, 2008].

35Tout en élargissant le champ des acteurs impliqués, les circuits courts en tant que marché confirment par ailleurs une autre hypothèse de White [2002] : finalement, les consommateurs concrets jouent encore un rôle limité dans la façon dont se positionnent les organismes, au-delà de l’identité Durabilité impliquant des « consom’acteurs » [Pleyers, 2011]. Les autres identités, comme le montraient les discours au sein du groupe Barnier et comme le confirme la mission parlementaire, se réfèrent à un consommateur idéel « à la recherche de produits locaux », souhaitant « participer à l’évolution de son système alimentaire ». Nous constatons, comme le montre White, que c’est moins l’observation du consommateur que celle des concurrents qui impacte la façon dont les acteurs du marché se positionnent, en s’imitant ou se différenciant pour conserver ou renforcer le statut des organismes qu’ils représentent ou leur propre statut. Ce résultat appelle à mieux prendre en compte le jeu des identités individuelles dans la dynamique des identités collectives. Nos analyses doivent aussi être élargies pour dépasser les limites de nombreux travaux sur l’encastrement relationnel des activités économiques, réduisant les relations inter-organisationnelles aux relations inter-individuelles [Lazega et al., 2015] et tenant peu compte du rôle des objets et des dispositifs matériels dans la dynamique des relations [Grossetti, 2008].

6 – Conclusion

36Les circuits courts suscitent un intérêt croissant dans les pays du Nord depuis la fin des années 1990, qui s’est traduit en France par leur diversification et diffusion au sein du secteur agricole et de la population avec le soutien des politiques publiques. En nous appuyant sur la sociologie économique et des réseaux et les apports d’Harrison White en particulier, nous mettons en évidence, dans ce changement d’échelle, cinq identités collectives autour de ces circuits, à travers les innovations, les alliances et la discipline orientant les actions des organisations et institutions publiques associées à leur développement. Sans prétendre à l’exhaustivité, nous montrons comment ces identités s’affirment ou émergent, mais aussi coévoluent, marquant quatre périodes dans l’histoire des circuits courts en France depuis 2009. Dans cette perspective, l’intérêt des organismes pour les circuits courts se comprend pour partie comme la volonté de contrôler l’évolution d’un domaine qui questionne plus largement leurs pratiques et alliances. Ces modes de vente révèlent ainsi certains blocages, contradictions et concurrences au sein du secteur agricole et des politiques publiques. À travers les identités qui les portent, ils présentent aussi des innovations et alliances a priori complémentaires pour une transition vers des systèmes alimentaires plus durables. En rendre compte peut encourager les décideurs publics à s’intéresser concrètement aux conditions de coexistence des différentes agricultures, au-delà de prôner la diversité des modèles. Des travaux supplémentaires sont bien sûr nécessaires pour approfondir les pratiques mises en œuvre et évaluer leurs performances dans les différentes dimensions de la durabilité [Brunori, 2014]. Toutefois, en faisant le lien avec les identités qui les portent, l’évaluation des circuits courts peut plus largement aider à construire une nouvelle approche des performances et de leur évaluation, tenant compte des visions associées aux pratiques [Jany-Catrice, 2012].

Notes

  • [1]
    Association pour le maintien d’une agriculture paysanne, système d’échange entre un producteur et des consommateurs, qui s’engagent, par contrat et pour une période donnée, à acheter les produits de la ferme, devant respecter les principes de l’agriculture paysanne.
  • [2]
    Les citations figurant dans ce texte entre guillemets sont des extraits de discours recueillis dans le cadre des dispositifs mis en place autour des circuits courts à partir de 2009.
  • [3]
    Conseil général de l’Agriculture, de l’Alimentation et des Espaces ruraux.
  • [4]
    H.C. White, professeur émérite à l’Université de Columbia, a formé plusieurs étudiants devenus célèbres, dont M. Granovetter, qui ont contribué à faire connaître certains de ses apports, riches et complexes, en les appliquant à des situations plus restreintes. Leurs travaux marquent les frontières de la sociologie économique et des réseaux, ou Nouvelle sociologie économique, en tant que courant spécifique au sein du champ composite de la sociologie économique [Steiner, 1999].
  • [5]
    Compte d’affectation spécial pour le développement agricole et rural.
  • [6]
    Réseau mixte technologique, dispositif mis en place par le ministère de l’Agriculture en 2006 pour favoriser le rapprochement entre les acteurs de la recherche, de la formation et du développement.
  • [7]
    Allain B., « Et si on mangeait local… », Assemblée nationale, rapport d’information n° 2942, octobre 2015.
  • [8]
    CGAAER, Rapport de mission sur les circuits courts de commercialisation, décembre 2008.
  • [9]
    Direction régionale de l’Agriculture, l’Alimentation et la Forêt, relayant l’autorité de l’État à l’échelle régionale.
  • [10]
    Selon la Direction générale Agriculture de la Commission européenne.
Français

Renouvelés par des systèmes alternatifs, les circuits courts alimentaires concernent aujourd’hui une diversité d’acteurs et de logiques. L’article, fondé sur les apports de la sociologie économique et des réseaux, met en évidence différentes identités collectives autour de ces circuits et montre leur coévolution, à partir de l’analyse des discours et des projets des institutions et organisations concernées en France. Ces résultats questionnent les conditions de leur coexistence et permettent d’intégrer le rôle des institutions dans les travaux en sociologie économique.

Mots-clés

  • circuits courts alimentaires
  • identités collectives
  • coévolution
  • politiques publiques
  • réseaux sociaux

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Yuna Chiffoleau
INRA UMR Innovation
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Mis en ligne sur Cairn.info le 27/04/2017
https://doi.org/10.3917/rfse.018.0123
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