1La notion de classes populaires « fait-elle encore sens dans la France contemporaine » (p. 7) ? Si les auteurs du livre s’attachent avant tout à répondre à cette question, ils ne se contentent pas, pour ce faire, de mobiliser en 300 pages la somme de connaissances disponibles sur les groupes sociaux que recouvre l’expression « classes populaires ». Ils les organisent à partir d’un point de vue qu’il importe de préciser d’emblée. Celui-ci tient, pour l’essentiel, aux propositions avancées par Olivier Schwartz dans le texte de son mémoire d’habilitation à diriger des recherches, publié depuis dans une version électronique plus succincte, mais plus facilement accessible, sous le titre : « Peut-on parler des classes populaires ? » [2011]. Ainsi, « le maintien des inégalités sociales et des rapports de domination place[rait] toujours un pan très important de la société française dans une situation subalterne » (p. 8) alors que « la séparation culturelle [des classes populaires d’] avec les classes moyennes et supérieures a[urait] en effet changé de nature sous l’effet d’un ensemble de transformations structurelles […] qui ont modifié les rapports d’une grande partie des ouvriers et des employés aux formes traditionnelles de la culture populaire […] » (ibid.). Les auteurs du livre proposent de mettre cette hypothèse à l’épreuve en prenant appui sur « des résultats d’enquêtes » (p. 10) menées en France pour l’essentiel, éventuellement ailleurs, et qui ont porté avant tout sur la période ouverte par la « crise économique des années 1970 » (ibid.). Le point de vue choisi préside à la structure du livre : si, à la lecture de la table des matières, l’ouvrage se présente comme la succession de sept chapitres de statut équivalent, les deux premiers inscrivent la question des classes populaires à la fois dans l’histoire – celle de la sociologie comme l’histoire sociale française – et dans leur actualité plus récente, alors que les cinq autres abordent les classes populaires sous divers aspects, des situations de travail et d’emploi aux rapports avec les institutions ou la politique, en passant par les conditions d’existence et les pratiques culturelles, en usant du cadre théorique posé dans les deux premiers chapitres.
2La sociologie française, des années 1950 aux années 1970, se serait ainsi intéressée avant tout à ce qu’elle désignait alors comme la classe ouvrière, qu’elle a abordée essentiellement en focalisant sur deux aspects complémentaires : les conditions du travail industriel, d’une part, les manifestations du mouvement ouvrier sur les scènes sociales et politiques, d’autre part. Cette orientation majeure aurait ainsi contribué à lui donner un caractère « ouvriériste » (p. 17) prononcé. Deux ouvrages, publiés en France dans les années 1970, se donnent à lire comme « une réaction à ce penchant » (p. 18), en ce qu’ils mobilisent tous deux « de façon volontariste la notion de “classes populaires” » (ibid.) : La culture du pauvre. Étude sur le style de vie des classes populaires en Angleterre, de Richard Hoggart, paru en Angleterre en 1957 sous le titre The Uses of Literacy: Aspects of Working-Class Life et traduit en français en 1970 seulement, et La distinction. Critique sociale du jugement, de Pierre Bourdieu, paru en 1979. Ces deux ouvrages auraient « donné [à la notion de classes populaires] une épaisseur à la fois empirique et analytique » (p. 23) qui aurait contribué à « renouveler le regard sur les groupes dominés du fait d’une triple démarche » (ibid.). Celle-ci combine une approche des classes populaires qui « tient ensemble l’analyse des situations professionnelles et celle des modes de vie » (ibid.), le souci de cerner « les liens entre les différentes composantes des classes populaires » (ibid.) et la volonté de « mettre en lumière les traits culturels » propres aux classes populaires (ibid.). L’abandon progressif de la notion de classe ouvrière au profit de la notion de classes populaires aurait attiré l’attention sur les processus de recomposition de la structure sociale dans un contexte marqué par le recul progressif du groupe ouvrier et une croissance continue du groupe des employés. « Un glissement du regard s’opère ainsi, que ce soit de façon insensible ou plus explicite, de la “classe ouvrière” vers les univers de vie et de travail des “classes populaires” » (p. 27). Si de nombreux travaux portant sur les transformations du monde ouvrier témoignent de cette évolution, d’autres visent, par ailleurs, à conforter la thèse d’un rapprochement entre ouvriers et employés. Ces changements, qui affectent tant les regards portés sur elle que la structure sociale elle-même, permettent-ils pour autant de fonder la notion de classes populaires et d’en légitimer l’usage ? Cette question fait référence à deux débats, l’un portant sur la moyennisation qui caractériserait la société française d’après-guerre et l’autre, plus récent, qui alerte sur les risques induits par l’exclusion dont certaines catégories sociales feraient l’objet. Si l’hypothèse d’une fragmentation des classes populaires ne peut être esquivée, les auteurs du livre conviennent d’opter pour cette posture : « Plutôt que de considérer ces processus de façon disjointe […], il faut s’efforcer de penser ensemble ces divisions et rapports de domination et d’appréhender leur articulation au sein d’un espace social à plusieurs dimensions… » (p. 38). En d’autres termes : « penser ensemble [dans la perspective ouverte par Hoggart et Bourdieu et conformément aux propositions d’O. Schwartz] différentes composantes des mondes populaires, leur condition dominée commune et les spécificités de leurs pratiques culturelles et modes de vie » (p. 39) pour s’interroger « sur la diversité et l’unité internes du groupe en termes de pratiques culturelles, de modes de vie ou de représentations » (p. 40). C’est « à quoi invite[rait] la notion de “classes populaires” » (p. 36).
3Si le premier chapitre a ainsi permis de poser le cadre problématique global, le deuxième tente de cerner, d’un point de vue macrosocial, les classes populaires aujourd’hui. Les auteurs se proposent de montrer comment les classes populaires sont « découpées » [P. Bourdieu] dans l’espace social, à partir de quelles catégories, pour présenter ensuite « un tableau statistique des “classes populaires” » (p. 43), articulé à certaines « inégalités fortes et durables », et cerner les dynamiques à l’œuvre en leur sein, du fait des « mobilités sociales, géographiques et migratoires » (ibid.) qui les façonnent et des processus d’unification ou de fragmentation qui les traversent. La démarche prend appui sur les catégories proposées par la statistique d’État : il apparaît que les ouvriers et les employés, au sens des Professions et catégories socioprofessionnelles (PCS), forment un ensemble, majoritaire dans la société française, qui regroupe des salariés « occupant les positions professionnelles subalternes » (pp. 48-49). Certaines fractions appartenant à d’autres catégories socioprofessionnelles, dont certains indépendants, petits agriculteurs, artisans ou commerçants notamment, sont susceptibles d’être agrégées aux classes populaires, mais « il [serait devenu] usuel de se centrer sur les salariés d’exécution pour étudier les composantes populaires de la population active et donc sur les “ouvriers” et les “employés” » (p. 47). Ainsi constituées, les classes populaires présentent toutefois « une forte spécificité par rapport au reste de la population active où la mixité progresse, notamment chez les cadres : ces catégories sont clivées du point de vue du genre » (p. 50). Leur clivage est contrebalancé par « les très fortes proximités dans la vie conjugale et familiale, puisqu’ouvriers et employés sont bien souvent conjoints et qu’ils se rapprochent sur de nombreuses scènes de la vie sociale » (ibid.). Ces constats invitent à ne pas concentrer l’attention exclusivement sur les personnes, mais à prendre en compte les ménages dans leur ensemble : la fréquence des ménages liant ouvriers et employés tend ainsi à conforter le rapprochement entre les deux catégories au sein des classes populaires. D’autres facteurs jouent en faveur de ce rapprochement, le fait en particulier qu’« employés et ouvriers ont en commun de plus faibles ressources économiques, qui les placent en situation dominée au sein de l’espace social » (p. 53), inégalité à laquelle se surajoutent les inégalités de patrimoine, mais aussi celles qui affectent le corps et la santé des personnes, « sans aucun doute la manifestation la plus frappante des inégalités de classes dans notre société » (p. 55). S’il paraît ainsi possible de tirer argument de l’existence de certaines inégalités sociales en faveur de l’existence des classes populaires, il convient de ne pas ignorer les inégalités persistantes entre ouvriers et employés. Ainsi des inégalités d’accès à la propriété du logement : la proportion d’ouvriers propriétaires de leur habitation reste supérieure à celle des employés, même si les ménages populaires « restent dans l’ensemble moins souvent propriétaires » (p. 61) et sont aussi plus souvent locataires du secteur social que les autres. S’il convient de noter un rapprochement entre ouvriers et employés du point de vue des mobilités professionnelles (p. 64), « même si les destins sociaux des enfants d’employés demeurent plus favorables que ceux des enfants d’ouvriers » (p. 66), les migrations spatiales n’ont pas gommé l’inégale répartition des ouvriers et des employés sur le territoire (p. 75). Prenant ainsi appui sur des données statistiques disponibles, ce deuxième chapitre propose « tout autant une synthèse qu’une exploration empirique du questionnement sur l’unité ou la fragmentation des groupes populaires contemporains » (p. 86). Il ne permet pourtant pas « de trancher ni dans un sens ni dans l’autre, mais ouvre de nombreux questionnements » (ibid.). Celui-ci en particulier : qu’est-ce qui, « au-delà de ces proximités et disparités observées […] “fait classe” au sein de ces groupes » (p. 87) ? C’est la question à laquelle tentent de répondre les chapitres suivants.
4Ces trois chapitres abordent successivement la condition salariale des classes populaires (chapitre 4), les processus de socialisation qui les caractérisent (chapitre 5) et la spécificité de leurs pratiques culturelles (chapitre 6). Particulièrement denses et remarquablement documentés, ils se confrontent tous les trois à la question des proximités et des disparités au sein des classes populaires, qui renvoie, in fine, à celle de leur cohésion ou de leur dispersion. Ainsi, « la mise à jour d’une condition au travail commune aux salarié-e-s subalternes, qu’ils soient ouvriers ou employés, ne signifie pas qu’ils forment un ensemble parfaitement unifié » (p. 105). Et de poursuivre : « Bien au contraire, ce salariat est traversé par de fortes inégalités internes, notamment celle liée au caractère plus ou moins protecteur des conditions d’emploi » (ibid.). Des conditions de travail similaires n’excluraient donc pas, au sein des classes populaires, la persistance sinon l’aggravation d’inégalités entre stables et précaires (pp. 105-108), qualifiés et non qualifiés (pp. 108-110), hommes et femmes (pp. 110-112), nationaux et immigrés (pp. 112-115), ou encore entre les générations (pp. 124-126). Le travail n’en constituerait pas moins une valeur centrale des classes populaires, « source de dignité et de réalisation de soi » (p. 119) et « un espace essentiel de relations sociales » (p. 122), deux aspects qui expliquent certainement l’investissement dans le travail, même si « faiblesse du salaire, horaires incommodes, poids de la hiérarchie et manque d’autonomie, difficulté des contacts avec les clients/usagers expliquent l’insatisfaction et la propension au “retrait” des salarié-e-s subalternes » (p. 117). Que conclure de ces observations ? « Si cette condition salariale commune est loin d’alimenter un sentiment d’appartenir à une même classe sociale, tant les inégalités […] introduisent précisément des clivages et tensions dans les relations de travail, elle empêche[rait] cependant de conclure à un éclatement du salariat subalterne. » (p. 129). Les deux chapitres suivants débouchent sur la même incertitude. Le quatrième, qui aborde la socialisation des classes populaires, prend appui sur « le modèle hoggartien », défini par les trois termes : « familialisme, localisme et distance à l’école » (p. 131). L’exposé s’organise autour de ces trois thèmes : le familialisme ouvrier perdure-t-il (pp. 132-151) ? La recherche d’un entre-soi n’aurait-elle pas subi les effets, notamment, de la gentrification des quartiers populaires ou de la ségrégation spatiale qui caractérise de plus en plus les grands ensembles (pp. 151-164) ? Quels sont les effets d’une démocratisation scolaire relative et des moindres ambitions scolaires des milieux populaires (pp. 164-176) ? Si « les comportements familiaux, résidentiels et scolaires des classes populaires montrent leur fragmentation » (p. 176), les auteurs n’en déduisent pas moins que « la force de ces processus ne permet pas de conclure à un éclatement des classes populaires contemporaines » (p. 177). L’incertitude demeure… Le cinquième chapitre interroge la spécificité des pratiques culturelles des classes populaires. La démarche des auteurs s’inscrit dans la perspective du débat suscité par la publication de La distinction de P. Bourdieu, ouvrage auquel C. Grignon et J.-C. Passeron ont, dans Le savant et le populaire, apporté une contribution décisive. Les auteurs invitent, ainsi, « à penser les cultures populaires dans leur ambivalence, à la fois en termes de domination et en termes d’autonomie symbolique » (p. 189), et leur démarche les amène à interroger « la différenciation des goûts et des loisirs populaires », voire, plus largement, « l’hétérogénéité des styles de vie des ouvriers et des employés » (p. 203). Si « l’inégalité du capital économique et du capital culturel façonne toujours les goûts et les usages du temps libre » (p. 219), ouvriers et employés n’en forment pas pour autant « un bloc homogène » (p. 220). L’incertitude sur l’homogénéité ou la dispersion des classes populaires perdure donc…
5Les deux derniers chapitres s’intéressent aux rapports des classes populaires à l’État (chapitre 6) et à la politique (chapitre 7). Les classes populaires ont recours à l’État – aux institutions de l’État social en particulier – et sont davantage contrôlées par lui, du fait de cette dépendance, mais aussi parce que certaines fractions des classes populaires peuvent être perçues comme menaçantes sinon dangereuses pour l’ordre public, certaines fractions des jeunesses populaires en particulier. D’où les deux raisons pour lesquelles les auteurs ont jugé bon de consacrer un chapitre aux rapports entre les classes populaires et l’État : les institutions joueraient « un rôle central dans les processus d’unification ou a contrario de fragmentation des classes populaires » (p. 221) et les rapports que les classes populaires entretiennent avec elles conduisent « à reposer la question de leur autonomie et de leur domination culturelle et symbolique » (p. 221). « Alors que la mise en place de l’État social a contribué à l’unification – même si relative et idéalisée – des classes populaires jusqu’aux années 1970 du fait des ressources matérielles ou symboliques octroyées, ses recompositions depuis les années 1980 s’accompagnent de la réaffirmation d’une opposition entre “bons pauvres” et “mauvais pauvres”, que les politiques répressives comme les politiques d’assistance viennent entériner » (p. 223). L’État aurait ainsi contribué à la constitution de la classe ouvrière et la remise en cause de la société salariale tendrait à disperser les classes populaires entre celles qui continuent de bénéficier du système assurantiel et celles qui sont contraintes à recourir aux formes territorialisées d’assistance (p. 225). Par-delà les ambiguïtés des rapports des classes populaires aux institutions (p. 239), des jeunes en particulier, se renforcerait le clivage entre « ceux qui s’en sortent » (p. 255) et « ceux qui, plus dépendants de l’État, sont de plus en plus dénoncés comme des “incapables”, des “cas sociaux” » (ibid.). Le rapport à la politique, abordé dans le dernier chapitre, serait-il en mesure de restaurer l’unité menacée des classes populaires ? Longtemps porté par une fraction du groupe ouvrier, le mouvement ouvrier, après la phase d’activisme intense des années 1930 au milieu des années 1970, s’est défait. Sa désagrégation progressive laisse place à des recompositions : parmi les fractions stables des classes populaires se développerait la conscience « d’un “nous” pris en étau, fondée sur la distance avec ceux du “haut”, mais aussi un rejet de ceux du “bas”, les étrangers comme les plus pauvres, conscience sociale qui peut être au fondement d’un vote FN » (p. 282), selon une thèse formulée notamment par Olivier Schwartz et Annie Collovald. Si le retrait des classes populaires des formes de vie politique institutionnelle et des organisations traditionnelles du mouvement ouvrier, partis et syndicats en particulier, est avéré, il ne signifierait pas pour autant la fin de toute conflictualité sur les lieux de travail (pp. 286-290) tandis que le quartier pourrait, selon une thèse avancée par Denis Merklen, être « devenu le lieu majeur de mobilisation des classes populaires, face aux institutions notamment » (p. 290). Ces formes de mobilisation sont-elles, pour autant, susceptibles d’organiser les classes populaires en classe pour elle-même, consciente de ses revendications communes et susceptible de mettre en œuvre les moyens de les atteindre ? La question reste, pour le moins, ouverte.
6Ce trop rapide compte rendu ne restitue certainement pas à sa juste mesure l’étendue du propos tenu par les auteurs et la belle rigueur des argumentations qu’ils développent : le livre présente en effet une synthèse dense des éléments de connaissance épars, mobilisables pour dresser un tableau ample et détaillé des classes populaires, tout en l’inscrivant dans des questionnements élaborés et circonstanciés, sur fond de ces deux questions : « Quels sont aujourd’hui les contours des groupes dominés au sein de la société française ? Peut-on dégager des traits communs à ces groupes, en particulier sur le plan culturel, ce qui rendrait pleinement opératoire la notion de classes populaires ? » (p. 299). Or la conclusion du chapitre 5, qui portait précisément sur les pratiques culturelles et de loisirs des classes populaires, insistait, après avoir relevé « la désagrégation des pratiques populaires traditionnelles » et l’ouverture à une « culture de masse » (p. 219), sur le fait que « les ouvriers et les employés ne forment pas un bloc homogène » (p. 220). Faut-il donc, malgré les incertitudes sur lesquelles débouchent, comme nous l’avons vu, non seulement le chapitre consacré aux pratiques culturelles ou de loisirs, mais l’ensemble des chapitres 2 à 7 du livre, souscrire à la conclusion des auteurs qui affirment qu’il existe une « condition laborieuse » (ibid.) commune aux classes populaires ? Cette condition laborieuse serait le produit de l’expérience multiforme de la subordination – au travail en particulier – vécue par les classes populaires. « Cette condition laborieuse est-elle populaire, au sens où elle serait vécue et redéfinie au moyen de pratiques, de valeurs et de significations partagées, forgées dans la séparation et l’autonomie culturelle par rapport aux classes moyennes et supérieures ? » (p. 300). « À de nombreux égards, non », répondent les auteurs immédiatement après avoir posé la question, ce qui laisse certes place à des arguments en faveur de cette condition populaire… Mais les incertitudes sont décidément nombreuses ! Ne résulteraient-elles pas d’une démarche volontariste qui, partant d’une classe sur le papier, cherche désespérément les preuves décisives de sa constitution en classe sociale et se heurte continuellement aux ambiguïtés d’un agrégat statistique ? À moins qu’il ne faille plutôt interroger la démarche en ce que, bien qu’inscrite dans l’histoire de la sociologie et articulée à des données d’enquêtes variées, elle néglige peut-être trop l’histoire économique et sociale, se révélant du coup trop peu soucieuse des effets de la mise en place puis de l’effritement de la société salariale [Castel, 1995] ? Il nous semble en effet que les clivages relevés dans le chapitre 3, entre stables et précaires, qualifiés et non qualifiés, nationaux et immigrés en particulier ont produit des failles profondes dans les classes populaires, que les différentes formes de ségrégations, spatiale ou résidentielle en particulier, ont morcelées encore davantage et qu’il est peut-être temps de prendre en compte la distance entre ceux qui profitent encore des protections instituées par la société salariale et ceux qui en sont déjà privés.
7Ces interrogations n’enlèvent rien à l’immense qualité de ce livre nécessaire, d’une lecture d’autant plus agréable qu’il est toujours captivant, et qui propose une remarquable introduction à la sociologie des classes populaires. Elles pointent plutôt le fait que l’ouvrage ne s’adresse pas seulement à un public étudiant, mais interpelle fortement la communauté de tous ceux qui, à un titre ou un autre, s’intéressent aux transformations et recompositions en cours dans la société française actuelle.