CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 – Introduction

1La sociologie économique a abordé la question du lieu marchand principalement à travers l’étude des points de vente [Cochoy, 2005 ; Canu et Mallard, 2006]. Plus rares sont les travaux qui ont pris pour objet les places de marché, c’est-à-dire les regroupements de différents offreurs et demandeurs. Marie-France Garcia [1986] a proposé une contribution de ce type en étudiant le marché au cadran de Fontaines-en-Sologne [2] : alors que, dans certains cas, la place de marché est évitée [Trompette et Boissin, 2000], en ce qui concerne le cas de la vente des fraises de bouche, le regroupement entre acheteurs et vendeurs est au contraire encouragé et, en l’espèce, il résulte d’une volonté politique.

2Nous souhaitons pointer ici les cas où les places de marché sont impulsées par des acteurs économiques spécialisés dans la création de tels espaces. L’activité de ces créateurs de lieux est tout à fait spécifique et son analyse apporte une contribution nouvelle aux travaux sur les professionnels du marché [Cochoy et Dubuisson-Quellier, 2000].

3La création économique des places de marché implique une dimension tripartite (acheteur/vendeur/créateur) qui n’a pas encore fait l’objet d’une investigation particulière par la sociologie économique. De son côté, la théorie des marchés bifaces en économie tente de rendre compte de telles situations [Rochet et Tirole, 2003, 2004]. La place de marché y est envisagée comme une plateforme visant à mettre en relation les différents types d’utilisateurs (des faces) que sont les acheteurs et les vendeurs. Dans cette littérature, le succès économique d’une plateforme – et de son créateur – dépend de sa capacité à concentrer un nombre assez important d’utilisateurs de chaque type. À cette condition, chacun peut espérer y trouver de nombreux partenaires d’échange et est disposé à payer l’accès à cette interface de mise en relation.

4Ce type d’analyse peut théoriquement s’appliquer aux deux places de marché que nous proposons d’étudier ici : les centres commerciaux et les salons de professionnels où s’échangent des programmes de télévision. Les premiers sont conçus par des sociétés immobilières dont l’objectif est de rassembler en un lieu des consommateurs et des enseignes commerciales en vue de facturer des loyers à ces dernières. Dans les seconds, un organisateur invite des exposants à louer des stands dans le but de présenter leurs offres à d’autres entreprises réunies pour l’occasion. Ces deux types de places marchandes sont ainsi façonnés par des configurations tripartites associant des vendeurs, des acheteurs, mais aussi des organisateurs qui tentent de faire payer l’accès aux lieux. Si les centres commerciaux et les salons témoignent de la pluralité de lieux marchands regroupés sous la notion de place de marché, nous souhaitons ici insister sur les dimensions communes de leur processus d’émergence.

5Il convient dès lors de remarquer que, dans les deux cas, la création de la place s’inscrit dans un problème d’action collective. Si les vendeurs gagnent à ce qu’il y ait beaucoup d’acheteurs, et inversement, alors se pose un problème initial de participation. Comment faire adhérer des occupants potentiels quand leur venue dépend de celle des autres ? Analyser la création d’une place de marché revient alors à interroger les processus par lesquels les participants ont été « embarqués » par l’action du créateur. Si pour la théorie des marchés bifaces, il suffit à l’organisateur de fixer des prix d’entrée pour enclencher le mécanisme d’enrôlement des participants, dans les faits, son activité dépasse largement la question tarifaire. Nous proposons d’explorer l’étendue de ce travail marchand.

6Pour le cas des centres commerciaux comme pour celui des salons de professionnels, les organisateurs sont les agents d’une coordination dont la mise en œuvre s’appuie sur les hiérarchies de statut qui ordonnent les participants. Contrairement à ce que pose la théorie des marchés bifaces, il n’existe pas un seul type de vendeurs ou d’acheteurs. Préexiste à la place de marché une échelle de prestige que l’activité du créateur ne peut ignorer. Dans les faits, le travail d’élaboration des places de marché est une activité séquentielle qui consiste à engager d’abord les participants les plus prestigieux en mobilisant d’autres leviers que les prix.

7Dans un premier temps, nous détaillerons le contenu de la théorie des marchés bifaces et la réponse qu’elle propose au problème de coordination rencontré par les places de marché. En insistant sur le rôle des hiérarchies de statut, nous montrerons alors que cette réponse basée sur le prix ne saurait suffire à résoudre l’enjeu de coordination (Partie 2). En mobilisant une enquête de terrain sur l’élaboration des centres commerciaux [3] (Partie 3), puis une seconde sur les salons de professionnels [4] (Partie 4), nous montrerons que l’action des organisateurs est inséparable d’un processus de définition des normes et des représentations sociales. Enfin, nous terminerons par une comparaison des deux cas, visant à insister sur les régularités repérées dans la construction de deux places de marché, différentes de prime abord (Partie 5).

2 – La plateforme à l’épreuve du statut

2.1 – La notion de plateforme en économie des marchés bifaces

8La science économique a récemment développé une série de travaux centrée sur l’étude des marchés bifaces [Roson, 2005]. Cette littérature montre que la particularité de certains marchés est de faire intervenir un support, appelé « plateforme », dont le rôle est de mettre en relation différentes catégories d’agents économiques. Pour qu’il y ait un marché « biface », il faut qu’au moins deux types d’agents (appelés utilisateurs) interagissent par l’intermédiaire d’une interface. Une console de jeux vidéo peut par exemple être envisagée comme la plateforme d’un marché biface. Elle est le support par lequel des éditeurs de jeux entrent en interaction avec des joueurs qui utilisent ces jeux. Chaque catégorie d’acteurs constitue alors une « face » de la plateforme.

9Mais s’il suffisait qu’un support permette la rencontre entre des agents économiques, la plupart des marchés seraient bifaces. C’est ainsi que la théorie insiste sur une autre particularité de ces marchés : le succès économique de la plateforme dépend de sa capacité à « garder à bord » un nombre important d’utilisateurs de chaque type [Rochet et Tirole, 2004]. Il est intéressant pour un éditeur de produire un jeu vidéo pour une console donnée si le nombre de joueurs utilisant cette console est assez grand. Mais en retour, l’intérêt pour un joueur d’acheter une console pour laquelle peu de jeux sont disponibles est assez faible. On peut finalement dire que l’utilité des agents d’un groupe est fonction du volume d’acteurs de l’autre groupe présent sur la plateforme. L’arrivée d’un éditeur de jeu supplémentaire augmente l’utilité des joueurs possédant la console. Dans un langage économique, on dira que les marchés bifaces présentent des externalités de réseaux intergroupes. La décision de participation d’un agent entraîne une externalité pour les agents situés sur l’autre face.

10L’émergence des plateformes bifaces (ou multifaces) est donc liée à un mécanisme économique cumulatif. Plus la présence d’un type d’utilisateurs est massive, plus la présence pour les agents d’un autre type devient bénéfique. Leur décision de participation viendra en retour augmenter l’incitation pour les utilisateurs de l’autre face à s’y engager. C’est en réunissant en quantité suffisante plusieurs types d’agents que la plateforme va apporter une valeur ajoutée aux utilisateurs. Parvenant à cela, elle peut capter une partie du surplus économique qu’elle apporte aux différents agents, car ils seront enclins à verser une certaine somme pour y accéder. Avec Caillaud et Trégouët [2006], on peut finalement conclure qu’il y a un marché multiface à chaque fois : qu’il existe une plateforme qui organise les interactions entre au moins deux faces d’un marché ; que ces interactions produisent des externalités de réseaux intergroupes ; et qu’il existe un gain économique à organiser ces interactions (à internaliser ces externalités croisées), bref, un intérêt pour un acteur économique à piloter cette plateforme.

2.2 – Le dilemme initial des plateformes et sa résolution théorique par le prix

11La présence d’externalités de réseaux intergroupes autour des plateformes implique un enjeu spécifique pour leurs créateurs. Si la participation des uns est utile seulement au regard de celle des autres, alors la plateforme se trouve dans un dilemme initial de coordination. L’émergence de ces interfaces repose sur une énigme. En effet, pour attirer une face, il faut aussi que la plateforme ait déjà attiré l’autre, qui elle-même ne s’implique qu’avec la présence de la première. Une situation que les économistes ont résumée en évoquant l’image de la poule et l’œuf [Caillaud et Julien, 2003] ou un dilemme de circularité [Trégouët, 2009].

12Pour la théorie économique, ce problème initial pourra être dénoué par la détermination d’un système de prix adéquat [Hagiu, 2006]. Afin de capter des revenus, les plateformes se doivent d’instaurer un prix à la participation. Mais pour résoudre le dilemme de circularité, les gestionnaires vont mettre en place des stratégies tarifaires capables d’orchestrer la coordination entre les différents participants. Ces stratégies sont de type « diviser pour régner » et s’établissent en deux temps [Trégouët, 2009]. D’abord, il s’agit de subventionner la participation d’une des faces afin de l’attirer. Au lieu de répartir le prix de participation sur tous les agents, le créateur de la plateforme le baissera volontairement pour un type d’acteurs particulier (il le rendra parfois même nul ou négatif). L’octroi de cette subvention donne à ce groupe d’acteurs des raisons d’être présent. Pour un prix de participation très bas ou négatif, les agents de cette face du marché peuvent retirer une utilité de leur présence sur la plateforme même si le nombre d’agents de l’autre face est très réduit ou nul. C’est alors que, dans un deuxième temps, la subvention va fonctionner comme un signal. L’information véhiculée par le prix sera interprétée par la face du marché qui n’est pas subventionnée. Anticipant que le prix entraînera la présence massive des agents appartenant au côté subventionné, l’autre face du marché obtient aussi du système de prix une raison de participation. Même si pour eux l’accès est payant, supposant qu’ils pourront y trouver de nombreux partenaires potentiels d’échange, ils anticiperont une utilité positive à leur participation et décideront d’adhérer à la plateforme. Cette tarification différenciée impulse un phénomène de croissance cumulative.

13On voit donc que les modèles économiques accordent une importance particulière à la variable prix. Le système de tarification génère une information qui permet aux différents acteurs de forger des anticipations. Une anticipation se traduit par une participation si le volume attendu des agents appartenant aux autres faces est assez grand et si le prix que fixe la plateforme pour la participation n’est pas trop haut. La structure tarifaire asymétrique devient dès lors une condition d’existence de la plateforme et au final du marché [Wauthy, 2008]. Le rôle du créateur est tout entier contenu dans sa capacité à taxer de façon appropriée chaque groupe d’utilisateurs [Caillaud et Julien, 2003 ; Rochet et Tirole, 2003, 2004].

2.3 – Questionner les plateformes avec la notion de statut

14En résumé, selon la théorie économique : 1) l’émergence des plateformes s’enracine dans un problème de coordination, mais, 2) celui-ci peut être dépassé par la mise en place d’une structure de prix adaptée. Un tel raisonnement suppose que 3) les agents de chaque face correspondent à des entités homogènes et interchangeables. En effet, le processus cumulatif n’est envisagé qu’en fonction d’un volume de participants dans chacune des faces, mais jamais à travers leurs caractéristiques. Or, si le premier de ces trois postulats constitue un cadre intéressant pour comprendre les conditions d’émergence des plateformes, l’homogénéité des faces est une hypothèse rarement vérifiée d’un point de vue empirique. La prise en compte d’une réalité marchande hiérarchisée ne saurait alors être sans effet sur la deuxième hypothèse de coordination par une simple et unique structure de prix.

15La sociologie a plusieurs fois insisté sur l’effet structurant des échelles de positions dans les univers économiques. Les travaux de Pierre Bourdieu sur l’industrie de la mode montrent par exemple que la hiérarchie reconnue et entretenue par les couturiers dans leur milieu détermine à la fois leur façon de produire et de vendre, mais aussi leurs débouchés [Bourdieu et Delsaut, 1975]. Plus récemment et dans une tout autre perspective, Joël Podolny [1993, 2008] a proposé une réflexion sur la hiérarchie en partant du marché et non plus du champ de la production. Il mobilise la notion de statut qu’il définit comme la qualité perçue des produits d’un offreur par rapport à la qualité perçue des produits de ses concurrents. Pour Podolny, la qualité émane des acheteurs, mais ne dérive pas d’un usage des produits. Elle se construit à travers un jugement fondé sur les relations sociales que les producteurs entretiennent dans leur univers économique. Selon le type d’acheteurs qui compose sa clientèle, ou les entreprises avec lesquelles il noue des partenariats, un offreur pourra être reconnu pour son prestige par les consommateurs.

16Si la définition que propose Podolny du statut peut faire l’objet d’un débat [5], l’intérêt de ses travaux est de questionner les avantages économiques qui découlent de ces hiérarchies. Dans le secteur de l’investissement qu’il étudie [1993], il montre qu’à qualité égale vis-à-vis des concurrents, la reconnaissance d’une supériorité statutaire engendre des revenus supplémentaires pour les entreprises en fonctionnant comme un signal qui diminue les risques pour le demandeur et augmente sa propension à l’achat. Toujours en tant que signal, le statut permet de réduire les coûts de production. Les entreprises devront par exemple développer moins d’efforts pour légitimer la validité de leur discours commercial. Bref, le statut hiérarchise les acteurs économiques et permet à certains de produire à des coûts inférieurs tout en dégageant des revenus plus élevés.

17Dans le cas des plateformes, on peut penser que le statut s’établit dans une configuration originale puisque tripartite. Si une forme de hiérarchie structure l’émergence de ces interfaces, c’est celle qui se forme aux yeux de leurs créateurs et qui correspond à l’attractivité supposée de chacun des participants sur les autres. En replaçant la définition de Podolny dans cette configuration, on peut faire l’hypothèse qu’un participant sera crédité d’un statut élevé si les relations qu’il entretient dans son univers économique laissent supposer une large capacité d’attraction. Ces relations peuvent correspondre aux liens avec des acteurs de l’autre face (contrats commerciaux) ou avec des acteurs de la même face (collaborations). Il peut s’agir aussi des relations qu’entretient un participant avec d’autres plateformes. S’il est présent sur des plateformes jugées pertinentes par l’organisateur, ce dernier pourra y voir le signe d’une certaine capacité d’attraction. Mais l’ancrage relationnel du statut a toutes les chances, ici, de s’accompagner d’une prise en compte de la taille (au sens large) des participants. Le niveau perçu d’attractivité d’un acteur économique peut par exemple se fonder sur l’étendue de son chiffre d’affaires ou de son pouvoir d’achat. Ainsi, prestige et poids se combinent. De tels éléments forment en effet des indicateurs du niveau de popularité d’un acteur auprès des participants de l’autre face. De par leur taille ou leurs relations, certains acteurs peuvent donc disposer d’un statut qui rend leur participation à la place de marché en cours de construction incontournable.

18Il faut dès lors postuler que ce différentiel hiérarchique conditionnera la formation des prix proposés par les plateformes. La plupart de ces interfaces contiennent effectivement une face taxée et une autre subventionnée. Mais la façon dont sont élaborées ces taxes et ces subventions ne saurait être liée à une décision unique qui engendre une participation instantanée et inconditionnelle. Bien au contraire, la structure tarifaire doit être le fruit d’un véritable processus de négociation au cours duquel les organisateurs de plateformes interagissent d’abord avec les participants potentiels les plus prestigieux. Alors, la position avantageuse occupée par ces acteurs les incline à bénéficier d’une inflexion de la structure de prix. Tout semble réuni aussi pour les amener à redéfinir d’autres caractéristiques comme leur visibilité sur la plateforme ou ses règles de fonctionnement.

2.4 – Au fondement des places de marché : un travail marchand avec le statut

19À bien des égards, les centres commerciaux et les salons d’échange de programmes de télévision que nous proposons d’étudier ici peuvent s’apparenter à des plateformes. En effet, l’enjeu de ces lieux est de mettre en interaction deux types d’acteurs. Un centre commercial vise à réunir un nombre suffisant de consommateurs et d’enseignes commerciales. Il est donc ce support de rencontre entre des détaillants et des acheteurs orchestré par un tiers qui tente de capter des revenus en facturant des loyers aux commerçants. Le salon en est un autre exemple. Il est cette interface mise en place par un organisateur en vue de susciter la rencontre entre des fournisseurs de programmes et des chaînes de télévision. Ces deux types de lieux présentent par ailleurs une asymétrie tarifaire. Certains utilisateurs sont subventionnés alors que d’autres sont appelés à contribuer. Dans un centre commercial, si les commerçants monnayent leur présence à travers un loyer, les consommateurs y ont un accès gratuit et facilité par la mise en place de navettes ou de parkings. De même, sur les salons, les prix payés par les acheteurs sont faibles, voire nuls, contrairement au coût de location d’un stand pour le vendeur qui se révèle relativement élevé.

20Malgré tout, nous privilégierons ici le terme de « places de marché » plutôt que celui de « plateformes ». Ce glissement terminologique permet de conserver les apports heuristiques du concept forgé par la science économique tout en ayant la liberté de l’associer à des processus empiriques plus complexes. Nous souhaitons en effet montrer que la création de ces espaces de mise en relation est le fruit d’un véritable travail marchand mené par le créateur [Cochoy et Dubuisson-Quellier, 2000] et que celui-ci, en s’imbriquant dans les logiques de statut, arbore à chaque fois un caractère séquentiel, qui dépasse alors une simple modulation des prix.

21Une première enquête de terrain sur les centres commerciaux et une seconde sur les salons d’échange de programmes de télévision montrent en effet que la hiérarchie imprègne l’ensemble des activités de construction de ces places et influence directement la structure de prix censée orchestrer leur émergence. Mais elles montrent aussi que le prix n’est pas la seule ressource que le statut façonne ni que les créateurs mobilisent. L’enjeu des parties suivantes (3 et 4) est ainsi de montrer que les structures tarifaires sont nécessaires, mais non suffisantes pour résoudre le problème de coordination initialement rencontré par les places de marché. Pour ce faire, nous explorons en détail les séquences du travail mené par les créateurs de centres commerciaux et de salons. Cette analyse, portant sur deux places de marché aux caractéristiques différentes (tableau 1), révèle de grandes régularités dont nous essayons de rendre compte dans une dernière partie (5).

Tableau 1

Caractéristiques des places de marché étudiées

Tableau 1
Centres commerciaux Salons de professionnels Participants Enseignes/Consommateurs Fournisseurs de programmes/Chaînes de télévision Caractéristiques des participants Professionnels et particuliers Professionnels uniquement Temporalité de la place de marché Permanente Temporaire

Caractéristiques des places de marché étudiées

3 – Construire un centre commercial avec le statut et le territoire

22L’élaboration d’un centre commercial est assurée par des opérateurs immobiliers dont l’activité se centre sur la conception et la réalisation de ces édifices marchands. L’analyse d’un projet de centre commercial révèle à quel point le processus par lequel les différents participants sont embarqués consiste en une succession de séquences façonnées par la hiérarchie de statut. Une telle analyse montre aussi que le prix n’est pas un élément suffisant pour garantir ces adhésions et qu’il s’accompagne d’une mobilisation des caractéristiques du territoire retenu pour le projet.

3.1 – La hiérarchie de statut entre enseignes commerciales

23L’échelle de statut qui structure le processus de conception d’un centre commercial est celle qui ordonne les détaillants. Alors que les consommateurs forment une masse qui ne peut être discernée qu’à travers des dispositifs de représentation de la demande [Barrey, Cochoy et Dubuisson-Quellier, 2000], les enseignes commerciales sont relativement peu nombreuses et composent, avec les opérateurs immobiliers, un véritable milieu économique dans lequel les interactions sont fréquentes et personnalisées. Le statut des différentes enseignes de vente au détail fonctionne comme une représentation partagée par les opérateurs qui s’accordent sur l’importance relative de chacun de leurs locataires potentiels.

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« Quand vous avez un Auchan ou un Carrefour, ça a du sens. Là vous commencez à voir les autres moyennes surfaces, H&M, Darty, Zara, la FNAC, et puis après vous finissez par les boutiques. »
(Ex-directeur général d’une société immobilière)

25Cette citation montre à la fois que les différentes enseignes commerciales ne bénéficient pas d’un même statut auprès des opérateurs, que ce différentiel préexiste à la création de la place de marché, et qu’il devient constitutif de son processus d’élaboration.

26L’échelle de positions se fonde d’abord sur un critère de taille : celui des surfaces de vente. Les enseignes d’hypermarchés sont reconnues comme prépondérantes, puis viennent les « moyennes surfaces » et enfin les « boutiques » plus restreintes. Si la taille des magasins influence le statut, c’est que la vision gravitaire de l’espace qui caractérise ce milieu économique encourage ses membres à penser que les grands points de vente attirent les consommateurs de loin. Mais la citation montre aussi qu’à surfaces comparables toutes les enseignes ne bénéficient pas du même prestige. Comme l’a repéré Podolny [1993] pour d’autres milieux économiques, les relations formelles qu’entretiennent les détaillants dans leur univers économique entrent dans l’évaluation de leur statut. Si l’enseigne H&M bénéficie à ce jour d’un très haut niveau de prestige, c’est notamment parce que ce détaillant en prêt-à-porter propose régulièrement des collections réalisées avec des grands noms de la haute couture (Karl Lagerfeld, Sonia Rykiel, Versace). Cette animation régulière des ventes laisse présager une capacité constante à attirer de nombreux consommateurs. Dans le milieu de l’immobilier commercial, cette hiérarchie est incorporée et façonne les logiques d’actions :

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« Il y a un paramètre, c’est que les enseignes sont suiveuses. Quand tu signes avec H&M, il y a de grandes chances pour que tu signes avec les autres, donc il faut H&M. Et c’est simple, sur le projet qu’on fait actuellement, on lui paye ses travaux, et on fait un loyer seulement proportionnel au chiffre d’affaires sur les premières années. On amorce la pompe, on met de l’eau. »
(Directeur d’une société immobilière)

28L’expression « amorcer la pompe » fait directement référence au problème de coordination rencontré par les places de marché. L’embarquement des participants est un processus cumulatif qui rend très incertaines les premières adhésions. La citation montre alors comment ce processus est déverrouillé par les opérateurs immobiliers. Il ne s’agit pas de fixer une structure unique de prix en vue de générer un signal favorable à la participation. Les promoteurs immobiliers évoquent au contraire une activité séquentielle qui consiste à embarquer d’abord les enseignes bénéficiant d’un statut capable de susciter l’adhésion des autres détaillants. La présence des vendeurs prestigieux impulse la participation des autres vendeurs, ce qui dispose finalement la place de marché à attirer des acheteurs. Une analyse détaillée du travail marchand des opérateurs immobiliers permet de spécifier le déroulement de ces séquences.

3.2 – Les trois séquences du travail de commercialisation

29L’activité consistant à recruter les enseignes commerciales en scellant leur participation par un bail locatif est appelée la commercialisation. Menée par les commercialisateurs, elle intervient dans les projets de centres commerciaux après l’acquisition d’un terrain constructible et la réalisation d’une esquisse architecturale. Au terme de cette intervention, chacun des emplacements locatifs prévus doit être associé à une enseigne commerciale.

30Pour mener à bien ce recrutement, les commercialisateurs distinguent trois étapes. Une commercialisation s’élabore d’abord par le choix d’une grande surface. Généralement alimentaire, elle dépasse habituellement 2 500 mètres carrés de surface. La structure des marges dans le commerce alimentaire implique pour les sociétés immobilières de concéder ici des loyers relativement faibles lorsqu’on les rapporte au mètre carré. Bien souvent, il décidera de vendre le local au groupe de distribution plutôt que d’en faire un locataire. En parallèle de cette vente, la deuxième partie de son activité consiste à recruter des moyennes surfaces (situées entre 400 et 2 500 mètres carrés). Ces enseignes, du domaine de l’habillement ou de l’équipement de la maison, disposent de marges commerciales suffisantes pour soutenir des loyers unitaires plus élevés. Mais surtout, les plus prestigieuses d’entre elles seront, avec l’hypermarché, des ambassadeurs de choix pour le centre commercial en projet.

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« Les moyennes surfaces, c’est le nerf de la guerre. C’est elles qui conditionnent l’attractivité du centre. Aujourd’hui, il n’y a pas de centre commercial réussi sans un H&M ou un Zara […] c’est d’elles que dépend le reste de la commercialisation. »
(Commercialisatrice dans une société immobilière)

32La réalisation des deux premières étapes conditionne le déroulement de la troisième séquence, celle qui consiste à embarquer le reste des détaillants et notamment les plus petits. Les enseignes qui développent des petits formats sont nombreuses. Elles forment la majorité du contenu commercial d’un centre et aussi la plus grande partie de ses revenus locatifs.

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« On met un loyer plus fort sur les petites boutiques parce qu’en valeur absolue c’est pas beaucoup, mais comme tu multiplies par le nombre de petites boutiques, alors tu rattrapes ça par le nombre. D’où l’intérêt de faire des gros centres. »
(Directeur d’une société immobilière)

34La présence des boutiques est donc indispensable pour l’organisateur de la place de marché. Mais elle est conditionnée par la venue d’acteurs plus prestigieux. Les premiers voient en effet dans la présence des seconds l’accès à des externalités positives dues à une localisation conjointe [Scitovsky, 1954]. L’émergence d’un centre commercial dépend donc au final de la capacité des commercialisateurs à obtenir l’adhésion des quelques enseignes disposant d’un niveau de statut élevé, aussi appelées les « locomotives ».

3.3 – Embarquer les « locomotives » avec le territoire

35Comment obtenir la venue de ces quelques acteurs économiques qui débloqueront l’ensemble du processus cumulatif ? Le prix est une première possibilité. En effet, l’importance statutaire de ces enseignes les dispose à obtenir des conditions tarifaires avantageuses. Les commercialisateurs financent généralement l’aménagement de leurs magasins, mais surtout leur accordent des réductions de loyers [6]. Alors qu’ils s’appuient habituellement sur des formules comptables pour évaluer les loyers, ils avouent ne pas y avoir recours pour ceux des locataires prestigieux. Comme Dallery et ses co-auteurs [2009] l’ont montré sur le terrain des restaurateurs lillois, le prix résulte plus d’un rapport de force entre participants que d’un ajustement entre une offre et une demande. Dans notre cas, ce rapport de force oppose les enseignes locomotives et la société immobilière. Le cas des centres commerciaux montre ainsi que les places de marché n’émergent pas de la coordination portée par la fixation d’un prix de participation auprès de chaque face. Une structure de prix complexe s’instaure en fonction des différents niveaux de statut.

36Mais cette pratique qui, en termes économiques, consiste à subventionner aussi une partie de la face taxée n’est pas suffisante. Les sociétés immobilières devront souvent accorder à ces moyennes surfaces les locaux commerciaux les mieux situés, alors même qu’une localisation différente aurait pu entraîner une meilleure répartition des flux de clientèle sur le site [7]. Pour les attirer, les commercialisateurs sont ici disposés à sacrifier une part de l’efficacité globale de leur projet. Mais même sans loyer et au meilleur emplacement, l’ouverture d’un magasin commercialement inefficace représente un coût rédhibitoire pour l’enseigne. Ce coût est logistique, salarial, comptable. Il est aussi symbolique par la publicité négative que pourrait générer une fermeture de magasin.

37Les commercialisateurs doivent donc apporter les éléments permettant à ces acteurs économiques d’anticiper la participation des consommateurs. Si la venue des autres détaillants dépend de leur présence, la leur s’enracine dans d’autres mécanismes d’anticipation. Ce n’est pas le prix qui forme un signal. La gratuité d’un lieu de commerce pour le consommateur ne peut suffire à garantir sa présence, surtout dans une situation de maturité du parc commercial. En pratique, le recrutement des locomotives est le résultat d’un processus au cours duquel le territoire d’accueil du projet est mobilisé. Pour les attirer, les commercialisateurs vont mettre en avant des choix précis de localisation géographique. Les discussions entre l’opérateur immobilier et les locomotives n’émergent que si le premier est en mesure de présenter un projet territorialement établi au second.

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« Vous savez, c’est toujours pareil, on a à notre disposition les mêmes enseignes, donc d’abord c’est le terrain qui fait le projet, si c’est un petit terrain, un moyen ou un gros. Est-ce qu’il est très bien placé ? »
(Directeur au sein de la fédération professionnelle de l’immobilier commercial en France)

39C’est sur la base de la proposition territoriale que l’enseigne, compte tenu de sa présence déjà effective sur un territoire et du volume de clients potentiels que représente l’espace environnant le projet, pourra élaborer ses anticipations et valider sa participation. C’est ici que la notion de « zone de chalandise » est mobilisée par les commercialisateurs. Ils connaissent le chiffre d’affaires que les différentes enseignes prestigieuses doivent être susceptibles de réaliser pour qu’elles valident une ouverture de magasin. Ils savent donc qu’entrer en discussion avec elles nécessite de disposer des arguments territoriaux permettant d’espérer ce résultat.

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« Quand il y a des grands centres commerciaux majeurs et qu’on est absent, on sait qu’il faut y être et il n’y a pas besoin de faire d’études pour savoir. […] Par contre, sur des projets, on va regarder des études un peu plus poussées sur les données économiques de la ville. »
(Responsable du développement d’une grande enseigne de prêt-à-porter)

41Les enseignes établissent des anticipations sur la participation des clients. Mais les anticipations qui auront une influence effective sur le développement de la place de marché émanent des enseignes qui disposent d’un statut supérieur. Ces anticipations ne peuvent être seulement formées sur l’information que diffusent les prix. Elles émergent, en pratique, d’une représentation sociale attachée à un territoire. En sélectionnant des sites géographiques propices à l’adhésion des locataires prestigieux ou en produisant des dispositifs qui orientent la lecture du territoire, les commercialisateurs agissent sur la formation de ces représentations. L’importance de la notion de « zone de chalandise » dans ce milieu économique illustre ce point. En mettant en avant le pouvoir d’achat ou la densité des résidents d’un territoire, elle peut aider les commercialisateurs à façonner, auprès des locomotives, une représentation commercialement positive du territoire et à sceller leur engagement dans le futur centre commercial.

42On constate que le processus d’élaboration d’une place de marché résulte d’un travail marchand façonné par le statut et allant bien au-delà de la fixation d’une structure de prix. On voit aussi combien le traitement des anticipations par la théorie des marchés bifaces est restrictif. La création d’une place de marché consiste précisément en leur mise en forme.

4 – Construire un salon de professionnels avec le statut et la norme

43Des logiques comparables ont lieu sur des places de marché telles que les salons de professionnels. Les entreprises qui organisent ces événements ont pour objectif de réunir, sur un même lieu et durant quelques jours, des acheteurs ainsi que des vendeurs ayant accepté de louer un stand pour profiter de cette mise en relation. Comme nous l’avons déjà repéré avec l’exemple des centres commerciaux, pour embarquer les participants, l’organisateur doit mettre en œuvre un travail séquentiel articulé autour des logiques de statut.

4.1 – Les hiérarchies de statut sur un salon d’échange de programmes de télévision

44Nous développons ici le cas d’un salon d’échange de programmes de télévision organisé annuellement par une entreprise privée pendant trois jours dans un hôtel luxueux d’une capitale d’Europe centrale. Sur ce salon, deux types d’acheteurs désirant acquérir des programmes sont présents : les chaînes de télévision qui souhaitent les diffuser et les acheteurs indépendants qui souhaitent les revendre ultérieurement. Contrairement au cas précédent, ces acheteurs sont identifiables (et identifiés) par les vendeurs et les organisateurs. En conséquence, la hiérarchie de statut intervenant sur la place de marché les concerne aussi. Certains acheteurs, notamment les chaînes de télévision réalisant de fortes audiences, sont particulièrement courtisés par les vendeurs. En effet, les niveaux d’audience déterminent les recettes (publicitaires) de ces chaînes et donc leur pouvoir d’achat. La hiérarchie de statut entre acheteurs est basée sur cette question des budgets d’acquisition. Dans l’ordre décroissant de l’échelle de prestige, il y a : les chaînes de télévision privées, les chaînes de télévision publiques, les chaînes de télévision par satellite et les acheteurs indépendants.

45Face à ces acheteurs, le salon regroupe des vendeurs, provenant de plusieurs continents et se divisant en trois catégories : les producteurs, les distributeurs et les groupes médias. Les producteurs sont des acteurs dont le cœur de métier est la production de programmes audiovisuels. Les distributeurs sont ceux qui revendent les droits d’exploitation de certains programmes qu’ils ont acquis pour une durée et un territoire spécifiques. Enfin, il y a les groupes médias dont les activités sont multiples et traversent la chaîne de valeur de l’audiovisuel. En louant des stands sur le salon, ce sont ces vendeurs qui constituent la principale source de revenus pour l’organisateur. Cependant, comme pour le cas des centres commerciaux, tous les vendeurs n’ont pas la même importance, car ils n’ont pas la même capacité d’attraction supposée sur les autres participants. Cette hiérarchie préexiste à la conception de la place de marché et se révèle structurante pour son élaboration.

46En l’occurrence, quelques groupes médias attirent l’attention. Ils sont américains et sont appelés « majors » dans le milieu. Il s’agit de : Walt Disney, News Corporation, Viacom, Sony Pictures, Time Warner et NBC Universal. Si ces vendeurs sont prestigieux aux yeux des organisateurs c’est d’abord parce qu’ils sont ceux qui participent le plus aux différents salons dans le monde [8]. Mais surtout, c’est parce qu’ils sont reconnus pour entretenir des liens avec une clientèle particulière. En effet, comme nous l’avons précisé, dans le cas d’un salon de professionnels, la demande est identifiable et connue. Ainsi, plus un vendeur est réputé pour signer des contrats avec les acheteurs prestigieux, plus il accumulera du prestige aux yeux de l’organisateur du salon. Les majors correspondent à ces vendeurs. L’ampleur de leurs chiffres d’affaires en atteste. Ceci n’est pas lié au fait que leur catalogue est important et permet de remplir beaucoup de cases horaires [9], ou encore qu’il est d’une qualité certifiée par les festivals et les experts ; la réalité est que les chaînes locales considèrent que les programmes des majors ont le pouvoir de réaliser de fortes audiences pour les cases horaires nobles. Cela a pu se vérifier avant ou sur d’autres territoires.

47C’est ainsi que le statut des majors, aux yeux des organisateurs, est fonction des liens qu’ils ont pu nouer avec d’autres lieux et avec une clientèle spécifique. Cette situation en fait des interlocuteurs stratégiques pour l’élaboration d’un salon audiovisuel.

48

« J’ai toujours été contre les studios [majors], mais ce n’est pas de ma faute si les acheteurs veulent acheter cela aujourd’hui. »
(Organisateur du salon étudié)

49Leur présence conditionne celle des acheteurs prestigieux et elle conditionne aussi celle des autres vendeurs. Concernant un autre salon d’échange de programmes de télévision (le MIP), une acheteuse hongroise d’animation déclarait :

50

« Le fait qu’à un moment donné les majors, les studios américains, ont décidé de ne plus venir au MIP […] certains ont décidé de ne plus venir. Ceci a eu comme conséquence que beaucoup d’indépendants ou des petits pays ne sont plus venus. »
(Acheteuse hongroise)

51Un salarié de ce salon nous expliquait comment il avait dû communiquer en 2012 auprès des acheteurs, mais aussi des vendeurs, pour leur assurer la présence d’un major qui n’était pas venu sur le salon [10] en 2011. Pour cette année-là, il estimait la perte de chiffre d’affaires entre 5 et 10 %. Mais, à ses yeux, l’absence renouvelée de cette entreprise en 2012 aurait eu des conséquences bien plus vastes du fait d’une désaffiliation massive.

52

« Quand Warner ne vient pas, c’est leur problème. Mais cela aurait été grave s’ils avaient reconduit leur décision de ne pas venir. Pour l’image, il faut les avoir. On n’a pas le droit de les perdre. Les majors et les chaînes, c’est important. »
(Organisateur du MIP)

53Ainsi, la présence des majors est essentielle pour assurer celle des acheteurs importants, mais aussi, de façon indirecte, celle des autres vendeurs. Les propos de l’organisateur du salon d’Europe de l’Est illustrent ce phénomène d’engagement successif en fonction du statut :

54

« J’entends dire par certains de mes clients : “C’est chiant, les acheteurs ils ne vont voir que les Américains, ils viennent que pour les Américains.” Je dis : “Ben, j’en suis pas sûr, mais si c’est le cas, voilà, au moins ils viennent.” Donc moi je ne peux pas garantir non plus… voilà, mon objectif c’est de les faire venir ces acheteurs. »
(Organisateur du salon étudié)

4.2 – Les trois séquences du travail de recrutement des participants

55Il y a donc du côté des acheteurs et des vendeurs au moins deux niveaux d’acteurs. Le travail de construction de la place de marché repose sur ces hiérarchies de statut et s’établit selon plusieurs étapes. Comme dans le cas des centres commerciaux, l’étape initiale consiste à obtenir la participation des vendeurs dotés d’un statut supérieur. Pour cela, l’organisateur d’un salon tente d’obtenir des rendez-vous avec ces quelques entreprises. Ces rencontres peuvent avoir lieu lors de l’édition précédente du salon ou sur d’autres salons dans le monde. C’est un travail ciblé qui se déroule six à huit mois avant l’événement. Ce qui est fondamental pour l’organisateur, c’est d’obtenir une première liste de présence comprenant l’adhésion de quelques majors. Cette liste constitue un argument essentiel pour entamer des discussions avec le groupe des acheteurs disposant d’un pouvoir d’achat significatif.

56Le travail se concentre alors, dans un deuxième temps, sur une activité intense de prise de contact avec les acheteurs. Pour convaincre ceux qui bénéficient d’un statut élevé, le discours de l’organisateur s’appuie sur l’argument de présence des majors. Or, bien souvent, ces discussions interviennent alors même que les majors n’ont pas encore confirmé leur présence. L’ajout sur la liste de présence de quelques acheteurs prestigieux conditionne pourtant le déroulement de la troisième étape qui consiste à contacter les vendeurs disposant d’un statut moins élevé. Alors, l’argument pour les convaincre est celui de la présence d’acheteurs prestigieux. Là encore, bien souvent, cet argument est avancé alors même que ceux-ci n’ont pas encore confirmé leur venue. Un second élément peut aussi être mis en avant pour convaincre cette catégorie de vendeurs très nombreux. Il consiste à revendiquer la présence d’acheteurs moins prestigieux tels que les chaînes numériques. En effet, bien que l’espoir de commercer avec les acheteurs reconnus motive leur participation, les vendeurs disposant d’un moindre statut voient dans cette autre catégorie de clients des partenaires plus certains :

57

« [Les vendeurs moins prestigieux] ils se disent : “Ben voilà, on n’a pas des produits aussi bons que ceux-là, mais néanmoins, on va venir et on va essayer de les vendre.” Et à partir du moment où il y a des acheteurs sur place, ils vont en profiter. »
(Organisateur du salon étudié)

58Pour que la place de marché émerge, le travail de l’organisateur articule donc plusieurs étapes successives. Ces étapes suivent la hiérarchie de statut de façon descendante et alternent le côté des offreurs et des demandeurs. L’enjeu premier est d’attirer les vendeurs prestigieux. Ceux-ci permettent d’attirer des acheteurs importants, condition de la présence des vendeurs et des acheteurs de moindre statut. Tout se résume alors à assurer la venue des majors.

4.3 – Embarquer les majors avec la norme de localisation

59Comment obtenir la venue de ces quelques vendeurs qui permettront de débloquer l’ensemble du processus cumulatif de participation ? L’organisateur du salon peut d’abord agir sur le prix. Il accordera généralement des ristournes aux majors. Il dépassera aussi le cadre du service initial en proposant des prestations annexes. L’organisateur se charge par exemple de réserver des chambres dans les hôtels ou des billets dans les avions, et parfois même en paye les frais.

60L’analyse des rapports concrets entre l’organisateur et les majors montre cependant que ces privilèges restent insuffisants. Si le prix est un élément important, les majors ne choisissent pas de participer au salon selon ce seul critère. L’organisateur doit apporter les éléments permettant à ces entreprises d’anticiper la participation d’une demande significative. Cela concerne avant tout la présence des chaînes disposant d’un pouvoir d’achat important. Or, au stade de négociation avec les majors, cette présence est encore incertaine. S’enclenche alors un travail sur les anticipations. Les représentations sociales concernant l’état de la demande future sur le salon vont faire l’objet d’une mise en forme par l’organisateur. Concrètement, il peut rappeler que la présence de ces chaînes a été assurée lors des éditions précédentes. Ce qu’il fera surtout, c’est de mettre en place une technique de « gonflage des listes » de présence. Le démarrage du phénomène cumulatif d’adhésion tente d’être catalysé par des productions éditoriales et discursives évoquant la présence des grandes chaînes alors que celle-ci est encore en cours de négociation. Cette stratégie de « gonflage des listes » est attestée par la différence entre la population annoncée le matin du premier jour sur le salon et celle qui est effectivement venue retirer son badge. Par exemple, pour l’année 2010, parmi les 1 219 participants annoncés la veille du salon, 92 ne sont pas venus (dont 81 % d’acheteurs).

61Cette technique s’ajoute à un autre mécanisme, plus fondamental, d’inflexion des normes de fonctionnement de la place de marché en faveur des majors. Il s’agit en l’occurrence de l’octroi d’un privilège quant à la norme de localisation. Nous avons déjà vu, dans le cas des centres commerciaux, qu’il est censé exister un emplacement pour les vendeurs prestigieux, profitable à l’ensemble des participants. Nous avons vu aussi que cette norme était rompue pour faciliter l’enrôlement de ces acteurs particuliers. Ce phénomène est aussi repérable dans le cas des salons de professionnels, mais il prend ici une dimension nouvelle. De manière informelle, les majors vont être autorisés, non pas seulement à avoir les meilleurs emplacements du salon, mais à se positionner aussi à l’extérieur du salon. Ils vont pouvoir mener leurs rendez-vous commerciaux dans un autre hôtel à côté de celui où est organisée la place de marché. L’organisateur va aussi fermer les yeux lorsqu’ils planifient des projections pendant la durée de l’événement dans des cinémas de la ville.

62Ce comportement fait écho aux procédures de captation qui caractérisent d’autres marchés comme celui des pompes funèbres [Trompette, 2005]. Elles permettent aux majors de canaliser la demande. Ils peuvent accaparer les acheteurs les plus prestigieux en dehors de l’espace du salon et ainsi se soustraire aux mécanismes concurrentiels de la place de marché. De fait, les acheteurs consacrent la plupart de leur temps et de leur budget d’acquisition aux relations avec ces vendeurs prestigieux et déviants. Il s’agit clairement d’un cas de passager clandestin, puisque les majors profitent du fait que les organisateurs du salon fassent venir les acheteurs sur place, sans payer le prix de cette venue. S’il n’est pas difficile juridiquement de poursuivre l’entreprise ayant ce type de comportement, il faut différencier les situations selon la taille de celle-ci. Pour favoriser l’implication des majors, ces pratiques de captation spatiale sont tolérées par l’organisateur, car leur régulation remettrait en cause la participation de ces acteurs et donc la survie du salon :

63

« J’ai eu un scandale avec X [un major]. Tu es un acheteur, il fallait que tu viennes à l’hôtel juste à côté de là où on fait le salon. […] On l’a trouvé. On a porté plainte. Enfin, on n’a pas porté plainte, mais on a écrit au chargé du mec, on a fait une lettre comme il faut. Bien sûr. Ils se sont défendus à mort hein. Parce que c’est X, c’est quand même des grosses boîtes tu vois. Tu fais gaffe […] Le mec nous a dit : “Écoutez, on a le droit de faire ce que l’on veut.” Et à la fin de la journée, c’est vrai. »
(Organisateur du salon étudié)

64Cette tolérance sur la norme n’est plus de mise quand le rapport de force est inversé. Si un privilège de localisation est accordé aux majors, la norme est strictement appliquée pour les autres vendeurs. À propos de l’un d’eux, l’organisateur évoque :

65

« Une fois, le pire que j’aie fait, j’ai viré un mec d’une suite. Un jour, il a pris une suite au sixième étage, voilà, planqué, et puis je voyais des acheteurs aller au sixième. Je monte, le mec je l’ai sorti, physiquement. […] Et moi, mon rôle, c’est aussi de faire la police, parce que sinon, à ce moment-là je ne suis plus du tout respecté. »
(Organisateur du salon étudié)

66L’organisateur accepte donc ce type de comportement uniquement pour les majors, car leur non-participation à l’événement mettrait en péril l’existence même du salon. Le problème de coordination auquel fait face la place de marché est donc résolu par un travail minutieux de l’organisateur qui mobilise une pluralité de mécanismes dépassant la fixation d’une structure de prix. Il vise avant tout à devancer les anticipations et les décisions des différents acteurs dans un enchaînement complexe de séquences de recrutement qui ont pour origine la venue des majors à qui est octroyé un ensemble d’avantages monétaires et normatifs.

5 – Ce que révèlent les centres commerciaux et les salons de professionnels

67L’étude de ces deux cas laisse apparaître certaines régularités. Que ce soit pour le cas des centres commerciaux ou pour celui des salons de professionnels, il existe un organisateur qui tente d’embarquer plusieurs types de participants. Un problème de coordination émerge alors, puisque pour attirer des vendeurs il faut aussi attirer des acheteurs, et inversement. Afin de résoudre ce dilemme, le créateur de lieu peut pratiquer une structure de prix asymétrique dont la logique consiste à subventionner les acheteurs et taxer les vendeurs. Cependant, une analyse précise du travail d’élaboration des places de marché révèle des mécanismes bien plus complexes, mais assez comparables sur les différentes places. Au sein de la face taxée, il existe une hiérarchie de statut préexistante et reconnue par les acteurs. Ces différentiels de prestige débouchent sur un travail séquentiel qui débute dans les deux cas par le recrutement des vendeurs bénéficiant du statut le plus élevé. Tout le travail de l’organisateur consiste finalement à repérer et à engager ce groupe d’acteurs exerçant un pouvoir d’attraction sur le reste des utilisateurs.

68Dès lors, pour attirer des vendeurs conscients de leur capacité de séduction vis-à-vis des acheteurs, le créateur de la place peut appliquer une politique tarifaire spécifique. Les deux enquêtes de terrain mobilisées révèlent en effet une tendance de l’organisateur à modifier à la baisse le prix appliqué aux vendeurs prestigieux. Un trait particulier des places de marché apparaît ici. Les acteurs les plus courtisés ne sont pas ceux qui génèrent l’essentiel du revenu. Ce manque tente ensuite d’être récupéré par une facturation rigoureuse de l’accès aux vendeurs de statut inférieur.

69Mais, dans les deux cas développés ici, le travail sur le prix ne saurait suffire à assurer la venue des vendeurs prestigieux. Les organisateurs de places vont, premièrement, façonner une image de la demande future favorable aux attentes de ces offreurs. Un véritable travail de construction sociale de la figure du client [Cochoy, 2002] est nécessaire car, sans anticipation d’une demande suffisante, le groupe de vendeurs prestigieux ne saurait s’engager dans le processus d’affiliation. Ils vont aussi, deuxièmement, renforcer la construction de ces anticipations favorables par un jeu sur la norme de localisation, laissant le champ libre aux pratiques de captation [Trompette, 2005].

70Les différences entre ces deux terrains ne concernent donc pas la nature des leviers mobilisés, mais la forme que prend chacun d’eux (tableau 2). Dans la mesure où le salon est temporaire, la participation des acteurs économiques est sans cesse remise en cause. Ne pas autoriser les majors à négocier la règle du jeu impliquerait un risque de désaffiliation de leur part lors de prochaines éditions. D’un autre côté, les techniques de gonflage des listes restent crédibles dans la mesure où le salon concerne uniquement des professionnels et qu’il est alors possible d’entretenir des relations personnalisées avec chacun des acheteurs. Du point de vue des majors, la sortie des frontières est aussi permise parce que les acquéreurs sont peu nombreux et identifiables et qu’ils peuvent être contactés avant la tenue du salon.

Tableau 2

Mécanismes mis en œuvre pour attirer les participants prestigieux\

Tableau 2
Centres commerciaux Salons de professionnels Participants prestigieux Moyennes surfaces Majors Prix Baisse du loyer Baisse du prix des stands Norme de positionnement spatial Meilleurs emplacements dans le centre commercial Autorisation de s’extraire des frontières du salon Représentation sociale de la demande future Incarnation de la clientèle dans une « zone de chalandise » Gonflage des listes

Mécanismes mis en œuvre pour attirer les participants prestigieux\

71Pour un centre commercial, les leviers de coordination prennent une forme différente. Dans la mesure où il est permanent, le centre commercial se confronte de façon plus directe aux sphères sociales en présence sur les territoires. La législation sur l’urbanisme commercial rend par exemple impossibles des stratégies de localisation en périphérie du lieu. En visant le regroupement d’entreprises et d’individus, le développeur de centre commercial doit orchestrer le processus de coordination sans pouvoir s’appuyer sur des rapports personnalisés avec la demande. Le consommateur constitue une réalité abstraite qu’il convient d’incarner pour résoudre le problème de coordination. Pour construire cette représentation de la demande future, l’organisateur ne peut façonner une liste de présence. Il se centre dès lors sur des choix géographiques permettant de mobiliser par la suite des images du territoire en phase avec les attentes des enseignes prestigieuses.

6 – Conclusion

72Dans cette contribution, nous avons montré que le travail d’élaboration d’une place de marché relève d’une véritable construction et correspond à une activité séquentielle. Elle est menée par un organisateur et consiste à engager des participants de statuts différents en respectant l’échelle des positions. Si le prix est un élément mobilisable pour attirer les acteurs les plus courtisés, les exemples traités ici (centres commerciaux et salons de professionnels) montrent que cette activité s’appuie sur d’autres mécanismes : le positionnement des participants sur la place de marché, ou encore la mise en forme d’une représentation sociale favorable concernant la demande.

73Cette étude empirique révèle alors l’importance du tiers. Elle montre que la coordination nécessaire à la conduite de l’action économique [Beckert, 2009] passe, dans certains cas, par la présence d’un acteur organisateur. Alors que, dans le cas évoqué par Marie-France Garcia [1986], le tiers est issu du monde politique et façonne le lieu en fonction d’une idéologie économique, dans nos cas d’étude, le tiers est un acteur marchand dont l’activité doit assurer la survie de la place et la constitution d’un gain. Cette contrainte de profit se traduit par des pratiques tarifaires différentes selon la taille des acteurs, mais aussi par la nécessité d’attirer beaucoup d’acteurs de second rang afin de compenser le manque à gagner résultant des avantages accordés aux plus forts. Bien évidemment, et surtout dans le cas des centres commerciaux, le cadrage politique de la place de marché n’est jamais très loin, notamment du fait des règles d’urbanisme. Néanmoins, nous souhaitions ici isoler les spécificités d’une construction économique des places marchandes.

74Si nos analyses montrent que ce soubassement économique de la place de marché implique à chaque fois des mécanismes d’enrôlement comparables, plusieurs différences ont cependant pu être relevées. Dans le dernier point, nous avons relié ces différences aux caractéristiques des participants ciblés (professionnels versus consommateurs) et à la temporalité de ces espaces marchands (temporaires versus permanents). D’autres études sur le même thème permettraient de confirmer ces hypothèses et de mieux isoler l’influence de chacune de ces deux dimensions. Que ce soit sur des places de marché permanentes, mais entre professionnels (e.g. les marchés de gros) ou sur des places temporaires, mais associant des professionnels et des consommateurs (e.g. les brocantes).

Notes

  • [1]
    Nous tenons à remercier Fabien Éloire, Guillaume Favre, Mohamed Oubenal et Alzbeta Mullerova pour leurs commentaires. Nous remercions aussi la Fondation Palladio et l’Agence nationale pour la recherche (enquête Multi-Level Social Network) pour leur soutien. Nous tenons également à remercier les deux rapporteurs pour leurs remarques stimulantes.
  • [2]
    Les travaux de Clifford Geertz [2003] sur le souk, le numéro d’Études rurales consacré aux marchés ruraux [Chiva, 1980] ou l’étude de Michèle de La Pradelle (1996) sur le marché de Carpentras forment d’autres références sur les places de marché. Néanmoins, le processus de création n’est pas l’objet central de l’analyse.
  • [3]
    Elle se compose de 43 entretiens semi-directifs (enseignes commerciales, sociétés immobilières, consommateurs, élus locaux) et d’un travail d’archive sur quatre projets de centres commerciaux en France.
  • [4]
    Elle se compose de 50 entretiens semi-directifs (organisateurs de salons, chaînes de télévision, distributeurs et producteurs de programmes de télévision), d’un travail d’observation pour six salons du secteur et de six mois d’observations non participantes aux bureaux parisiens de l’organisateur de plusieurs salons de ce secteur.
  • [5]
    Pierre Bourdieu [2000] fonde sa définition sur la concentration de différents capitaux, d’autres auteurs préfèrent l’envisager en termes de déférence [Gould, 2002], d’allégeance à des autorités [Lazega, 1992], de centralité récursive [Bonacich, 1987] ou à travers les instances de consécration [Karpik, 2000].
  • [6]
    Un centre commercial d’une grande ville de Bourgogne comprend par exemple 5 moyennes surfaces et 115 boutiques. Les moyennes surfaces représentent 40 % de la superficie mais seulement 16 % des loyers. Le loyer au mètre carré facturé à l’enseigne ZARA y est 2,1 fois inférieur à la moyenne des autres magasins de prêt-à-porter, et son taux d’effort (rapport du loyer sur le chiffre d’affaires) est inférieur de 25 % à la moyenne.
  • [7]
    Idéalement, la littérature professionnelle préconise de placer les éléments attractifs dans les parties profondes et de les éloigner les uns des autres afin de répartir les flux sur l’ensemble du site.
  • [8]
    Parmi les 20 salons les plus importants de la filière en 2012, les majors ont participé en moyenne à 9,22 salons, alors que les autres vendeurs sur le salon étudié n’ont été présents qu’à 5,14 salons en moyenne.
  • [9]
    Les spécialistes de feuilletons et de telenovelas vendent par exemple des packages avec des milliers d’heures.
  • [10]
    En plus des appels téléphoniques et supports publicitaires, un nombre important des pages dans le catalogue de présentation de l’édition en 2012 avait pour filigrane le logo de ce major. Une manière d’insister sur sa présence.
Français

Nous explorons le travail de construction des places de marché. Assurée par des acteurs économiques spécifiques, cette activité se compose de plusieurs séquences consistant à embarquer des participants en s’appuyant sur le statut dont ils disposent. Le travail de création se concentre finalement sur la venue de quelques participants prestigieux. À travers le cas des centres commerciaux et des salons de professionnels, nous montrons que si, comme l’affirme la théorie économique, le prix est mobilisé dans cette quête, d’autres mécanismes sont sollicités. L’émergence des places de marché dépend d’un processus de définition des normes et des représentations sociales en faveur de ces quelques participants prestigieux.

Mots-clés

  • marché
  • place
  • statut
  • plateforme
  • centre commercial
  • salon

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Julien Brailly
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IRISSO, Université Paris-Dauphine, PSL Research University
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Mis en ligne sur Cairn.info le 25/02/2016
https://doi.org/10.3917/rfse.016.0161
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