CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Pierre Bourdieu a cherché à élaborer une « théorie alternative pour comprendre l’action économique » [Bourdieu, 2000a, p. 11]. Selon lui, la science économique s’est organisée autour d’une abstraction, l’isolement de certaines pratiques de l’ordre social, alors même que la pratique économique est un fait social total. Il insiste ainsi d’une part sur l’importance des changements de langage (raisonnable et non plus rationnel) pour sortir de la théorie néoclassique implicite de l’action et, d’autre part, sur l’histoire, niée par certains économistes qui appliquent indifféremment leur modèle à des réalités historiques diverses. Tout ce que la théorie économique dominante tient pour inné est un acquis. Prenant appui sur son expérience ethnologique en Algérie, où il pense avoir assisté à la découverte de l’économie par les Kabyles, il pointe l’ethnocentrisme de l’économie qui postule l’universalité de l’éthos économique. Cette théorie alternative suppose la réintroduction d’une dimension chronologique pour comprendre « la genèse des dispositions économiques de l’agent économique » et celle du « champ économique lui-même, c’est-à-dire faire l’histoire du processus de différenciation et d’autonomisation qui aboutit à la constitution de ce jeu spécifique : le champ économique comme cosmos obéissant à ses propres lois et conférant de ce fait une validité (limitée) à l’autonomisation radicale qu’opère la théorie pure en constituant la sphère économique comme univers séparé » [Bourdieu, 2000a, p. 16-17]. C’est alors que s’impose l’esprit de calcul contre la dénégation du calcul, caractéristique de l’économie domestique. Dans le même mouvement, dit-il, le champ de la production culturelle s’autonomise, sur la base du désintéressement, et l’élaboration d’une vision scolastique du monde devient possible, en particulier l’anthropologie de l’homo œconomicus et la théorie de l’action rationnelle. L’autonomisation du champ économique accompagne la naissance de l’État, ce qui implique que ce dernier exerce sur le premier une influence pérenne. La conclusion de Pierre Bourdieu est nette. En dernière analyse, étudiant « l’économie des conditions de production et de reproduction des agents et des institutions de production et de reproduction économique, culturelle et sociale », la science économique ne peut être que la sociologie, à partir du moment où elle a quitté « l’air raréfié de la théorie pure » [Bourdieu, 2000a, p. 25-26].

2Si Pierre Bourdieu a surtout étudié le fonctionnement des sociétés contemporaines capitalistes, il n’en a pas moins décrit parfois, le plus souvent de manière incidente, la genèse des dispositions économiques, ainsi que celle du champ économique proprement dit. Son raisonnement s’inscrit dans deux directions. La première est celle de l’émergence de l’État [Bourdieu, 1994, p. 99-145 ; 2012, en particulier p. 300-324], lequel résulte « d’un processus de concentration des différentes espèces de capital, capital de force physique ou d’instrument de coercition (armée, police), capital économique, capital culturel ou mieux informationnel, capital symbolique, concentration qui, en tant que telle, constitue l’État en détenteur d’une sorte de métacapital, donnant pouvoir sur les autres espèces de capital et sur leurs détenteurs » [Bourdieu, 1994, p. 109]. La seconde est celle de l’intéressement et du désintéressement, en particulier en analysant la genèse de la disposition scolastique [Bourdieu, 2003, notamment p. 31-42] qui « incline à mettre en suspens les exigences de la situation, les contraintes de la nécessité économique et sociale, et les urgences qu’elle impose ou les fins qu’elle propose » [Bourdieu, 2003, p. 27]. La pensée scolastique aurait été créée par Platon qui opposait ceux qui prononcent « des discours en paix et à loisir » à ceux qui « parlent toujours dans l’urgence parce que l’eau qui coule n’attend pas » [Théétète, 172-176c]. La philosophie consiste à jouer sérieusement (spoudaios paizein), « à s’occuper sérieusement de questions qu’ignorent les gens sérieux, simplement occupés et préoccupés par les affaires pratiques de l’existence ordinaire » [Bourdieu, 2003, p. 28].

3Cette disposition scolastique implique l’ignorance du monde de la pratique, de la politique, de la nécessité économique et « l’ignorance de cette ignorance ». Elle libère et mutile tout à la fois. « L’ambiguïté fondamentale des univers scolastiques et de toutes leurs productions – acquisitions universelles rendues accessibles par un privilège exclusif – repose sur le fait que la coupure scolastique avec le monde de la production est à la fois rupture libératrice et séparation, déconnexion, qui enferme la virtualité d’une mutilation. » [Bourdieu, 2003, p. 30] La disposition scolastique n’a pas les mêmes probabilités de survenue dans toutes les sociétés. Néanmoins, la diversité des expériences historiques est inscrite dans un schéma général, la division du travail social, notamment la séparation des champs de production symbolique de l’univers économique. Ce faisant, Pierre Bourdieu introduit une contradiction chronologique. Observant que la disposition scolastique apparaît pour la première fois au ve siècle av. J.-C., avec l’émergence d’un champ philosophique s’autonomisant par rapport au champ politique et au champ religieux, soit le désintéressement, il ne décrit l’émergence de l’intéressement qu’au xviiie siècle, en reprenant partiellement le modèle de la Grande Transformation[2]. Ces deux approches décrivant l’autonomisation du champ économique, la genèse de l’État d’une part et la genèse de la disposition scolastique d’autre part, s’inscrivent dans le modèle général de la différenciation en champs des sociétés, autrement dit la division du travail social, mais sans une chronologie précise. Ce grand modèle pose au moins deux grandes questions à un(e) historien(ne) des mondes grecs anciens : l’universalité du processus de différenciation des activités sociales ; la pertinence du concept de champ pour décrire les sociétés anciennes. Après avoir discuté ces deux problèmes, il conviendra de développer le paradoxe implicite contenu dans la description de l’émergence de la disposition scolastique, autrement dit du désintéressement, au sein d’un espace social dans lequel il n’existerait pas de champ économique, d’intéressement économique, en revenant sur l’économie à la grecque, l’oikonomia.

1 – De la division du travail social et de l’existence des champs dans le monde grec ancien

4Le corollaire de l’existence d’un phénomène général de différenciation des activités sociales est que les sociétés anciennes connaîtraient une division du travail faible, voire inexistante. Le modèle général en sociologie est donc celui d’une hétérogénéité croissante. Mais la description des sociétés indifférenciées ne va pas sans poser de sérieuses questions épistémologiques. Durkheim en proposait le tableau suivant : « [Dans ces sociétés], la religion comprend tout, s’étend à tout. Elle renferme dans un état de mélange confus, outre les croyances proprement religieuses, la morale, le droit, les principes de l’organisation politique et jusqu’à la science, ou du moins ce qui en tient lieu. Elle réglemente même les détails de la vie privée. » [Durkheim, 1991, p. 105] Il y a quelque paradoxe à utiliser des catégories comme l’économie ou la politique qui sont une conséquence de la différenciation pour décrire l’indifférenciation (cf. par exemple Lahire [2012, p. 67-68]).

5Mais cette historicisation ne suffit pas. Les catégories elles-mêmes doivent être historicisées. Il faut donc envisager la possibilité de sociétés différenciées autrement, qu’il s’agit de décrire à l’aide des catégories indigènes d’entendement et non avec les catégories d’entendement scolastiques. Pierre Bourdieu a montré toute l’importance de ce qu’il nomme l’« inconscient d’école » et de la nécessité de son objectivation. « Il faut historiciser les modes de pensée, non pour les relativiser, mais, paradoxalement, pour les arracher à l’histoire. » [Bourdieu, 2000b, p. 5] Dans l’Année sociologique, Marcel Mauss, ne disait pas autre chose. « Au fond, nous sommes encore dans l’ornière de l’abstraction et du préjugé, impuissants à sortir des classifications étroites que nous imposent les sciences déjà anciennes de l’économie, du droit, de la religion, etc., sciences respectables sûrement, mais encore dans l’enfance ; nos divisions qui les suivent sont, comme elles, sûrement fautives. Nous ne sommes pas sûrs enfin qu’elles épuisent la réalité. » En outre, ajoutait-il, ces catégories portent « profondément la marque de notre temps, celle de notre subjectivité. Elles cadrent mal avec la vie des sociétés qui ont divisé autrement leur travail ou avec celle des sociétés qui le diviseront un jour autrement que nous le faisons » [Mauss, 1969, p. 204 ; nous soulignons].

6Il faut toutefois aller plus loin. Le discours politique fait exister des groupes en énonçant un principe de classement rassemblant certaines propriétés distinctives des membres, annulant d’autres. La lutte porte donc avant tout sur le principe légitime de construction des groupes. « [L’action proprement politique] vise à produire et à imposer des représentations (mentales, verbales, graphiques ou théâtrales) du monde social qui soient capables d’agir sur ce monde en agissant sur la représentation que s’en font les agents. » [Bourdieu, 1981, p. 69] Derrière le dire, il y a le prescrire. De ce fait, la connaissance du monde social ne peut être qu’une lutte dans laquelle la science joue un rôle majeur, en créant des effets de théorie puisqu’elle transforme les représentations du monde social, donc le monde social lui-même. La lutte des classes n’existe que dans les sociétés ayant élaboré une théorie de la lutte des classes. « C’est dans les luttes qui font l’histoire du monde social que se construisent les catégories de perception du monde social et du même coup les groupes construits selon ces catégories. » Dès lors, la science n’a pas à trancher ces débats en fonction du réalisme des différentes positions, mais à retracer l’espace des luttes ; « ce qui fait que l’histoire (et en particulier l’histoire des catégories de pensée) constitue une des conditions de la prise de possession de la pensée politique par elle-même » [Bourdieu, 1981, p. 72 avec n. 6]. Les catégories et la catégorisation constituent des enjeux politique et scientifique majeurs.

7Est-il alors possible d’accorder aux champs un statut ontologique ? Pierre Bourdieu ne semble pas l’avoir fait, qualifiant ce concept de « pense-bête » [Bourdieu, 1992, p. 200]. Pourtant, c’est précisément la validité universelle de leur application qui a été critiquée [Lemieux, 2011 ; Lahire, 2012, p. 143-223]. Dans un article récent, Cyril Lemieux affirme que si les concepts d’habitus ou de capital ont « une portée anthropologique universelle », il n’en va pas de même pour celui de champ [Lemieux, 2011, p. 75]. Les champs sont en effet corrélés à la division du travail social, un phénomène habituellement considéré comme tardif sur le plan chronologique. Cyril Lemieux plaide de ce fait pour « un usage résolument restrictif » du concept de champ [Lemieux, 2011, p. 76], d’autant que Pierre Bourdieu n’évoque pas ce dernier au même moment que les concepts d’habitus, de capital symbolique et de stratégie [cf. toutefois Bourdieu, 1992, p. 71-73]. Cyril Lemieux propose donc comme notion de portée universelle le jeu social, une « modalité organisatrice de toute existence humaine » [Lemieux, 2011, p. 77]. Il invite à distinguer jeux sociaux et champs, seuls les premiers apparaissant comme universels, présents dans toute société. Or cette distinction a été énoncée par Pierre Bourdieu ainsi : « [L]e champ est un jeu dans lequel les règles du jeu sont elles-mêmes mises en jeu. » [Bourdieu, 1997, p. 22 ; cf. aussi Bourdieu, 1992, p. 73-75.]

8Plus fondamentalement, il faut revenir à l’utilité heuristique de la notion de champ [Pinto, 1998, p. 79-108]. Celle-ci a d’abord servi pour élaborer une analyse sociologique des producteurs de vérité. Ainsi, selon cette démarche, l’œuvre littéraire est le produit d’une stratégie. Celle-ci est particulière du fait du champ littéraire, défini en 1966 comme « système de relations sociales » [Bourdieu, 1966]. L’écrivain agit en s’ajustant, par une série d’actions et de réactions, en fonction d’autres agents et de signes (succès, échecs, etc.). Il fallait ensuite expliquer l’intériorisation du champ par les agents, ce qui supposait un « inconscient culturel », conçu comme une part de l’habitus. Le fonctionnement du champ consiste dès lors à « soumettre les créateurs à un enjeu spécifique, la conquête de la forme de légitimité associée au champ » [Pinto, 1998, p. 84]. Par la mise au jour de l’autonomie des pratiques littéraires, il devenait possible de ne plus recourir à des facteurs externes, ou du moins d’en retarder le recours. « Notion critique, le champ est moins une “thèse” qu’une méthode permettant de maîtriser les conditions et les limites d’usage du raisonnement causal. » [Pinto, 1998, p. 86] Elle a été élaborée pour sortir de l’opposition entre structuralisme et marxisme, ces deux options amenant à privilégier soit l’œuvre (sans l’auteur), soit sa fonction sociale (justifier les intérêts des classes dominantes). L’accord sur les désaccords s’opérait sur « l’exclusion mutuelle de la superstructure et de l’infrastructure, du culturel et du social, du symbolique et de l’économique » [Pinto, 1998, p. 92]. La sortie implique d’associer conceptuellement l’autonomie et l’homologie. C’est par des effets de structure que les positions occupées dans chaque champ se répondent. Mais les intérêts s’expriment dans des termes qui s’appliquent à un champ donné, sans qu’il soit nécessaire de les rabattre sur les seuls rapports de sens. Par ailleurs, le champ permet de comprendre les divisions internes, les conflits et les impensables ; par l’homologie, il rend intelligibles les relations entre l’intérieur et l’extérieur. « Un champ de production remplit des fonctions sociales externes, notamment de légitimation d’un ordre social, du seul fait qu’il obéit à sa logique propre. » [Pinto, 1998, p. 98]

9Cette sociologie de la littérature amène donc à lire les textes comme des gestes (modus operandi) plutôt que comme des œuvres faites (opus operatum). Prendre « le point de vue l’auteur » suppose donc de considérer la perception, socialement conditionnée, que celui-ci a de ses possibles littéraires, de ses dispositions et de sa position, dans une approche relationnelle, c’est-à-dire par rapport aux oppositions existant dans les trois espaces considérés, dispositions, positions et prises de position. Ces derniers n’ont pas la même importance, l’espace des positions étant déterminant parce qu’il relève de structures objectives, par exemple la hiérarchie des genres, la hiérarchie des formes et des thèmes dans chaque genre. Si la notion de champ implique avant tout un mode de pensée relationnel, elle suppose aussi de déterminer la forme d’autonomie particulière qui caractérise le champ étudié. Celle-ci n’est pas fondée sur un ordre juridique ; elle est un enjeu de lutte. L’autonomie implique seulement de chercher la reconnaissance selon la loi du champ. Au xixe siècle, le champ littéraire se caractérise par un rejet de toute norme de nature économique, même si son autonomisation qui se traduit par la théorie de l’art pour l’art n’empêche pas d’autres positions et prises de position à l’intérieur du champ.

10Qu’en est-il alors in fine de l’application aux sociétés grecques de l’Antiquité de la théorie des champs ? D’une part, de nombreux indices laissent penser que ces dernières connaissaient une division du travail social, même si les catégories permettant de l’établir doivent être historicisées. Vincent Azoulay a ainsi mis en avant des raisons qui permettent d’envisager l’existence, au ive siècle av. J.-C., d’un champ intellectuel à Athènes : spécialisation des activités sociales, existence d’un groupe social structuré autour du savoir [Azoulay, 2007]. Il opposait cette division à l’indifférenciation du ve siècle, arguant notamment de l’absence de différenciation entre les activités intellectuelles et d’autres activités humaines comme l’activité politique par exemple : le législateur athénien du vie siècle Solon est également un poète. Il notait toutefois le changement intervenant dans la seconde moitié du ve siècle avec l’arrivée des sophistes à Athènes, sans leur reconnaître le statut de groupe, car ils ne partageraient pas les mêmes opinions. Et Vincent Azoulay concluait : « S’il est possible de repérer de nombreux groupes d’intellectuels au sein de la cité, ceux-ci ne sont pas assez cohérents, ni suffisamment différenciés pour fonctionner comme un authentique champ, au sens sociologique du terme, avec ce que cela suppose d’autonomie, de différenciation et de hiérarchisation internes. » [Azoulay, 2007, p. 177] Il ajoutait : « Ainsi n’existe-t-il pas de définition claire des savoirs dispensés par ceux que l’on regroupe parfois sous le terme de sophistes ou de sophoi [c’est-à-dire sages]. » [Ibid., p. 178]

11Mais il semble que cette impression soit surtout le fait de la prise de position de Platon [cf. infra]. Comme l’affirme Marie-Pierre Noël, les sophistes « sont avant tout des sophoi, qui revendiquent une sophia [c’est-à-dire sagesse] dans une certaine mesure nouvelle : comme l’indiquent les nombreux termes qui servent à caractériser cette dernière dans les Nuées, elle est liée essentiellement à l’activité de la pensée. À ce registre nouveau de la sophia, correspond le terme sophistês, le suffixe -tês indiquant en effet qu’il s’agit d’une catégorie particulière et d’un nom d’agent, composé sur le verbe sophizomai : le sophos – tout homme compétent dans une branche ou l’autre du savoir, y compris du savoir technique –, est devenu celui dont l’activité consiste à rechercher activement la sophia par la pensée, le sophiste. Cette activité a pu être également nommée philosophia » [Noël, 2012, p. 302-303]. Ce n’est qu’au ive siècle que la distinction entre sophiste et philosophe prend le sens qui lui est donné le plus souvent encore aujourd’hui. Par ailleurs, le fait que le contenu de la sophia fasse débat au ve siècle parmi les sophistes n’est pas contradictoire avec la notion de champ ; ces discussions sont doivent plutôt être vues comme une manifestation de la possible existence d’un champ intellectuel dès cette époque. Tout champ est un champ de lutte, une lutte qui porte aussi sur « la définition de la pratique légitime, pour constituer par exemple en essence éternelle et universelle une définition historique d’un art ou d’un genre correspondant aux intérêts spécifiques des détenteurs d’un certain capital spécifique » [Bourdieu, 1987, p. 171]. La pièce d’Aristophane, Les Nuées, constitue à l’évidence un indice supplémentaire quant à l’existence de ce champ dès la seconde moitié du ve siècle [Laks, Saetta Cottone, 2013 ; Pébarthe, 2013]. Dès lors, l’Économique de Xénophon pourrait être lu comme une prise de position sur l’oikonomia dans un champ intellectuel déjà constitué. Telle est du moins la démarche entreprise ici, recourir à cette notion de la sociologie de Pierre Bourdieu pour obtenir une meilleure intelligibilité d’un texte, l’Économique, et d’une notion antique, l’oikonomia. « La notion de champ est un instrument de recherche qui a pour fonction principale de permettre de construire scientifiquement des objets sociaux. » [Bourdieu, 1995, p. 7]

12D’autre part et plus généralement, il faut convenir que toute science sociale se fonde sur une ontologie, dont la fonction est « de rendre possibles des descriptions d’expérience ; elle invente des fictions – des assignations d’existence – qui ne trouvent leur fondement que dans la production d’effets d’intelligibilité, de prévisibilité ou d’anticipation et non pas dans le fait d’être définissables en termes d’expérience » [Gautier, 2012, p. 68]. Cette conception de l’ontologie ne verse pas in fine dans un scepticisme radical. Bien qu’à l’origine des schèmes conceptuels, partie « fondamentale » de ces derniers, une ontologie particulière n’interdit pas la communication avec une autre ontologie, à partir du moment où les deux entretiennent une proximité avec l’expérience. Le débat doit porter sur des ontologies concurrentes puisqu’il ne saurait être question de reprocher à telle science son ontologie, sauf à considérer qu’il existe une science humaine/sociale sans ontologie, qui pourrait n’être qu’une phénoménologie. À l’opposé de cette idée, nous proposons ici de mettre au jour l’articulation existant entre démarche historique et ontologie sociale et de confronter les énoncés présupposant des existences, en l’occurrence les champs et notamment le champ intellectuel, aux comptes rendus d’expérience historique, ici un texte l’Économique de Xénophon.

2 – L’oikonomia, entre champ économique et champ philosophique ?

13Pour Pierre Bourdieu, l’émergence de l’économie économique se traduit par l’autonomisation d’un champ dans lequel l’euphémisation n’a plus cours, dans lequel le donnant-donnant est la règle explicite, au contraire de l’économie domestique qui oppose la logique de l’amour, même si la première n’en est pas absente et tend à détruire la seconde. Mais ce modèle téléologique reposant sur la découverte d’un système social intégré ne peut expliquer historiquement la naissance du capitalisme. Ce n’est qu’en l’abandonnant qu’il devient possible de trouver dans les sources antiques un modèle historique dans lequel les principales catégories que la science économique utilise apparaissent dans un agencement singulier. La théorie ne s’y oppose pas à la pratique. La production des richesses n’est pas indifférente à la morale et à la politique, elle en est une composante. Et pour autant, les échanges se déroulent dans un cadre marchand, sans rapport avec une quelconque économie du don ou de la redistribution [cf. par exemple Bresson, 2007-2008 et Pébarthe, 2008]. Mais, n’y a-t-il pas des sources qui disent le mépris du travail, des activités économiques, en particulier de l’artisanat, au profit de l’apologie de l’action politique dans une cité démocratique ? N’y avait-il pas une claire répartition des rôles sociaux entre l’homo politicus d’un côté et l’esclave, la femme et l’étranger de l’autre ?

14L’Économique de Xénophon est souvent convoqué comme preuve irréfutable de cette opposition entre activités artisanales et citoyenneté antique. Il est possible toutefois d’en faire une autre lecture. L’approche proposée par Pierre Bourdieu consistant à appliquer la théorie des champs à la lecture des œuvres amène à considérer que l’œuvre exprime le champ de production intellectuelle dans sa totalité, positions et prises de position [Bourdieu, 1987, p. 132-143 ; 1994, p. 59-97]. Lue à cette aune, l’oikonomia, ce savoir concernant l’administration du patrimoine, ne saurait être réduite à la version qu’en donne Xénophon. Elle apparaît au contraire comme une question politique et philosophique majeure de ce temps. Quelle place accorder à la production et aux échanges de richesse ? Peut-on être citoyen et travailleur en même temps ? La réflexion sur la production de richesse et sur le profit peut-elle être qualifiée de savoir (épistémè), alors même que son caractère pratique (technê) ne fait pas problème ? Cette lecture avec Bourdieu de l’Économique de Xénophon pourrait ainsi permettre de faire apparaître une science économique impure qui ne repose pas sur « la coupure sociale et l’abstraction pratique » [Bourdieu, 2003, p. 18], antérieure donc à la disposition scolastique ou doxa épistémique décrite dans les Méditations pascaliennes.

2.1 – De l’Économique à l’oikonomia : Xénophon au champ, hors champ ou dans le champ ?

15Lire l’Économique de Xénophon avec Pierre Bourdieu commence au titre même de l’ouvrage, c’est-à-dire à sa traduction. À bien des égards, il est vertigineux de nommer Économique un texte consacré à l’oikonomia que d’aucuns considèrent comme autre chose que l’économie. Tout se passe comme si les Grecs avaient le mot et non la chose. En grec, si l’on en croit la tradition, le titre original était oikonomikos, dont l’étymologie permet de dissocier la racine oikonomos du suffixe -ikos qui est une marque de la sophistique. Le parallèle qu’il est possible d’établir avec d’autres écrits de Xénophon permet de comprendre la place qu’occupait l’Économique dans la réflexion de son auteur. Ses autres textes en effet (Hipparchicos, Kunêgetikos et Turannikos) cherchent à établir respectivement les qualités d’un bon commandant de cavalerie, d’un bon chasseur et d’un bon tyran. Ce dialogue visait donc à décrire le bon oikonomos, l’individu versé dans l’oikonomia, l’administration (nemein) de l’oikos, que nous traduisons ici par patrimoine et non par domaine ou maison. Les commentateurs en sont le plus souvent restés là, discutant avec une grande érudition les évolutions supposées du mot oikos. Ce faisant, ils versaient dans le philologisme [Bourdieu, 1987, p. 134]. Le lecteur, pris dans son rapport théorique avec le texte, oublie – c’est un inconscient épistémique – que le sens des mots est souvent l’enjeu de luttes politiques. Dans le cas présent, les premières lignes de ce dialogue invitent pourtant à se garder de tout philologisme. Critobule et Socrate y débattent de la définition de l’oikonomia et du mot oikos, ce qui laisse supposer que la notion faisait débat, du moins que les principaux penseurs du temps souhaitaient imposer leur définition. De fait, pas moins de dix ouvrages, dont les mentions sont connues, sont consacrés à l’oikonomia, chacun attribué à un maître d’école philosophique. Récemment, Raymond Descat a montré que les origines de cette tradition intellectuelle oikonomique remontaient loin dans le ve siècle [Descat, 2010, notamment p. 406-408]. Surtout, prenant appui sur le premier Économique connu, celui d’Antisthène (vers 380 av. J.-C.), dont nous ne connaissons que le titre, Peri nikês. Oikonomikos, c’est-à-dire Sur la victoire. Économique, il a proposé l’hypothèse suivante. Cet ouvrage associerait stratégie militaire et gestion rationnelle des ressources. Autrement dit, l’oikonomia trouverait son origine dans l’administration de la cité et non dans celle d’un oikos. Dès lors, le traité de Xénophon doit être lu comme une prise de position dans un débat séculaire.

16Ce constat invite à lire l’Économique à l’aune de la théorie des champs, c’est-à-dire à définir la position de Xénophon dans le champ intellectuel. Pourtant, l’historiographie s’en est bien gardée, pour deux raisons corrélatives. La première tient à l’interprétation biographique de la composition de ce traité. Au début du ive siècle, dans les années 390, Xénophon est exilé d’Athènes en raison de son soutien aux Spartiates. Son ami Agésilas, l’un des deux rois de Sparte, lui donne un domaine à Scillonte au sud d’Olympie que son nouveau propriétaire doit abandonner après l’attaque des Éléens en 371 [Xén., Anab., 5.3 ; Diogène Laërce 2.52 ; Pausanias 5.6.5]. Sarah Pomeroy, commentatrice de l’ensemble du dialogue, situe au cours de cette vingtaine d’années l’écriture de l’Économique. « Disgust with politics, service as a mercenary rather than as a citizen-soldier, and life as an exile debarred from political activity may have induced him to turn away from the public sphere for some time to a consideration of the private realm, and inspired him to begin work on the Oeconomicus. » [Pomeroy, 1994, p. 5] Xénophon livrerait donc dans ce dialogue les considérations que son expérience de fermier lui aurait inspirées.

17C’est alors la structure du texte qui interroge, et l’identité des protagonistes. L’Économique est composé de deux dialogues. Le premier met en scène Socrate et Critobule (I-VI), le second Socrate et Ischomaque (VII-XXI). Plus exactement, alors que Critobule demande conseil sur la bonne administration d’un patrimoine à Socrate, ce dernier, après avoir avoué son ignorance à ce sujet, répond à la question en lui rapportant la conversation qu’il a eue naguère avec Ischomaque. Comme le note Louis-André Dorion, « la structure narrative de l’Économique est donc plus complexe et plus intéressante que les rudimentaires mises en scène des Mémorables, et elle peut même se comparer à celle des dialogues socratiques de Platon » [Dorion, 2010, LXXVIII]. Mais, la comparaison s’arrête là, le commentateur ne concédant qu’une parenté de forme. Le fond supposé reprend très vite le dessus, avec la phrase suivante à vrai dire. « Cela dit, le projet même de l’Économique paraît difficilement compatible avec la représentation commune que l’on se fait de Socrate. On peine à imaginer, en effet, que Socrate ait sincèrement pu s’intéresser aux différents moyens de conserver et de faire fructifier un riche patrimoine agricole. » [Dorion, 2010, p. LXXVIII-LXXIX]

18La tentation est alors grande de voir là une transposition, c’est-à-dire l’incarnation par Socrate ou d’autres personnages du dialogue de thèmes chers à Xénophon. « Il est d’autant plus tentant d’identifier Ischomaque à l’auteur de l’Économique que la propriété agricole du premier rappelle irrésistiblement le domaine de Scillonte où Xénophon a mené la vie de ‘gentleman-farmer’ pendant plusieurs années, et qu’il décrit dans l’Anabase. » [Dorion, 2010, p. LXXXI, n. 3] Louis-André Dorion semble ainsi in fine convaincu par la transposition, au regard de la cohérence et de l’homogénéité qu’il lit dans les Mémorables, le Banquet, l’Apologie et l’Économique [Dorion, 2011, p. 110]. Les principaux traits du Socrate de Xénophon se retrouvent dans des personnages apparaissant dans les autres écrits de cet auteur, Cyrus, Simonide, Agésilas et Lycurgue (Cyropédie, Hiéron, Agésilas, République des Lacédémoniens). Le modèle d’inspiration de Xénophon ne serait autre que lui-même. « Le personnage de Socrate ne serait ainsi qu’une projection ou un avatar, parmi d’autres, d’un idéal dont Xénophon reproduit inlassablement les traits dans tous ses écrits. » [Dorion, 2011, p. 111] Telle est la forme la plus raffinée de l’interprétation biographique de la composition de l’Économique.

19La non-inscription de Xénophon dans le champ philosophique ou intellectuel de son temps tient aussi à une évolution historiographique amorcée au début du xixe siècle au sujet de Socrate. Dans une conférence prononcée en 1815 et publiée en 1818, le philosophe allemand Schleiermacher s’attaque à la question socratique, c’est-à-dire à la question de la possibilité de reconstruire le personnage historique et surtout le contenu de la doctrine socratique. Jusque-là, il ne faisait pas de doute que le Socrate historique se trouvait dans les Mémorables de Xénophon. Les arguments qui valaient alors étaient simples. Xénophon est un historien, il a vécu longuement auprès de Socrate et a écrit quelques années seulement après la mort de son maître, il était donc bien informé et s’en tenait aux faits [Dorion, 2010, p. X-XI]. L’argument le plus fort, celui qui fut le plus repris au cours du xxe siècle encore, concerne la qualité de Xénophon. Un historien est nécessairement plus impartial qu’un philosophe… Le rappel de ce truisme montre l’importance du genre littéraire et de l’identité de l’auteur dans la lecture d’une œuvre, sans parler des présupposés disciplinaires. L’argumentaire était donc parfaitement réversible. Schleiermacher objecta ainsi que Xénophon, parce qu’il n’était pas philosophe, ne pouvait pas comprendre parfaitement Socrate. La voie d’un discrédit généralisé était ouverte. Un siècle plus tard, la conclusion fut tirée, le rejet du témoignage de Xénophon. Désormais, seule la version platonicienne faisait autorité et correspondait au Socrate historique.

20Le témoignage de Xénophon fut aussi attaqué plus subtilement à l’aune de considérations sur les genres littéraires, et plus précisément sur le caractère fictionnel des dialogues socratiques (logoi sokratikoi). Ces derniers sont des œuvres littéraires et philosophiques, chacun étant irréductible aux autres. En outre, parce qu’il n’était pas témoin des dialogues qu’il rapportait, Xénophon se serait contenté de recopier d’autres socratiques, Antisthène et Platon notamment. Certes, comme l’a rappelé récemment Louis-André Dorion, Xénophon semble s’être inspiré du Banquet et de l’Apologie platoniciens, deux textes considérés comme antérieurs. Mais il serait erroné de voir dans cette inspiration un plagiat. L’auteur de l’Économique entend donner sa version de la pensée socratique et, pour ce faire, n’hésite pas à corriger ses prédécesseurs. En dépit de certains emprunts faits au corpus platonicien, faibles en nombre, le Socrate de Xénophon est un personnage original, qui doit être compris ainsi, non comme une pâle et mauvaise copie du Socrate platonicien.

21Les considérations qui précèdent montrent combien la notion de champ est décisive pour lire l’Économique de Xénophon. Ce dernier débat et prend des positions par rapport à ses prédécesseurs et à ses contemporains, selon la position qu’il occupe. La réduction biographique ne permet pas de comprendre ce texte, sinon comme le témoignage d’un homme exilé, seul, cherchant à décrire comment vivre bien sur son domaine à l’aune de son expérience.

2.2 – Un champ, mais quel champ ?

22Si le projet de lire l’Économique de Xénophon avec Pierre Bourdieu, c’est-à-dire avec la théorie des champs, s’impose comme le résultat d’une réflexion et ne doit pas être compris comme un postulat théorique, il convient de déterminer quel est le champ pertinent pour mener une telle lecture, c’est-à-dire historiciser les catégories permettant de délimiter les différents univers sociaux entre 450 et 350 av. J.-C., soit restituer les débats auxquels la saisie intellectuelle de la division du monde social donnait lieu. Si les textes de Platon sur la skholè et la caverne constituent l’une des meilleures expressions de l’illusion scolastique, ils sont aussi des prises de position. Mais on ne saurait les réduire à cette seule logique. En se proclamant philosophe et en définissant la philosophie comme un champ de réflexion autonome, Platon réalise lui aussi un coup de force qui ne s’apprécie vraiment qu’en le situant au niveau des catégories permettant de penser la division du travail social [3]. Cette entreprise n’est pas facile à déconstruire en raison même de l’ambition platonicienne, à savoir établir un rapport nouveau à l’acte de connaître reposant sur une définition nouvelle du savoir, et de sa postérité contemporaine dont la conséquence première est le découpage disciplinaire. Tout comme l’État, la philosophie de Platon se veut « point de vue sur les points de vue » et « un point de vue sans point de vue » [Bourdieu, 2012, p. 53]. Or, au cours du temps, les possibles non réalisés s’effacent et le possible réalisé tend à apparaître comme une nécessité. La tautologie est alors de règle. La philosophie, c’est la philosophie. Dès lors, cette lecture de l’Économique de Xénophon peut être aussi vue comme un exercice de pensée génétique. Il faut pour cela inscrire l’auteur dans un champ intellectuel considéré comme un champ de production culturelle, sans le réduire au champ philosophique [cf. Bourdieu, 1987, p. 167-177 ; et plus généralement Bourdieu, 1994, p. 59-97]. Il est alors possible de ne plus lire l’œuvre comme un texte, dans une perspective interne et anhistorique. Cette approche permet aussi d’éviter la réduction au seul contexte, lire l’œuvre comme le reflet de la sociologie de l’auteur ou de celle des récepteurs. Plus généralement, elle met à distance des catégories préconstruites, écrivains, écoles, genres, etc., reprenant le plus souvent des classements découlant d’un procès en canonisation.

23Lisant l’Économique de Xénophon avec Pierre Bourdieu, il faut donc aussi le lire avec Platon, c’est-à-dire en tenant compte du fait que la dimension polémique de la définition de la philosophie que celui-ci énonce est masquée par la mise en scène de l’opposition entre les philosophes et les sophistes (cf. Tell [2011] qui, du reste, fait référence à la sociologie de Pierre Bourdieu). Ce faisant, il scinde la catégorie de sophistai en deux groupes, l’un connoté positivement et l’autre négativement. Les sources ont gardé trace de la polémique qu’une telle prise de position impliquait. Dans la Métaphysique [A.1-2], Aristote affirme que la philosophie commence avec Thalès, une affirmation dont il indique par ailleurs qu’elle ne fait pas l’unanimité, sans en dire plus. Selon les commentateurs, une opinion divergente aurait été exprimée par Hippias d’Élis qui, dans sa Synagogê, a dressé un état des lieux des pensées contemporaines et anciennes, remontant à Homère et Hésiode. Par ce choix, Aristote imposait une définition de ce qu’était et de ce que n’était pas la philosophie, de qui était et de qui n’était pas philosophe. Comme Platon avant lui, il combat la position d’Hippias. Cette stratégie s’accompagne de la construction d’un groupe homogène, celui des sophistes.

24Ce groupe que Platon construit et condamne, c’est-à-dire construit pour les condamner et faire advenir la philosophie comme seul champ intellectuel dont il serait le nomothète, ne reçoit du reste pas de définition consensuelle au cours de la période classique. Le terme fait débat et la polémique porte aussi sur le sens corrélatif à donner à philosophia et philosophos. L’usage du mot sophiste risque d’introduire dans la réflexion le biais platonicien, c’est-à-dire la connotation péjorative qu’il mettait dans ce mot. L’historien n’a pas à entériner la victoire interprétative, tardive en outre, de Platon et à la transformer en vérité historique. Ou alors, il faut entendre derrière les mots sophistes et sophistique, intellectuels et vie intellectuelle. Autrement dit, Platon ne cherche pas à discréditer les opinions de tout le monde. Sa réflexion comme celle de Xénophon relève du champ intellectuel qui naît avec le mouvement sophistique, c’est-à-dire de l’émergence d’un groupe d’individus, voyageant de cité en cité et pouvant s’adresser au plus grand nombre, imposant non pas tant un corpus d’idées qu’une attitude par rapport à la connaissance, l’acte de savoir en tant que pratique sociale autonome. Par son coup de force intellectuel, Platon cherche à imposer l’indépendance du champ philosophique, c’est-à-dire à inclure le champ politique dans une relation hiérarchique inférieure, alors même que ceux qu’ils nomment les sophistes revendiquent une sophia dont la finalité est politique.

2.3 – L’Économique de Xénophon est un traité philosophique

25Cette affirmation ne surprendra que ceux qui acceptent comme immanentes les catégories platoniciennes. Les autres se contenteront de lire les premières lignes de l’Économique : « Je l’ai entendu aussi tenir un jour ces propos sur l’oikonomia. Dis-moi, Critobule, demandait-il, l’oikonomia est-elle vraiment le nom d’un savoir comme celui du médecin, du forgeron, du charpentier ? » Ce, certes rapide, « Je l’ai entendu » signe un genre, celui des discours socratiques (logoi sokratikoi). Que Platon ait donné à certaines de ses introductions un caractère plus littéraire importe peu ; du reste, certains dialogues socratiques platoniciens n’ont pas d’introduction. Quoi qu’il en soit, le choix du genre doit être compris comme une prise de position de Xénophon dans le débat intellectuel du moment.

26Le dialogue commence en tenant pour acquis que l’oikonomia est un domaine propre de connaissances, épistémè en grec. Ce point n’est pas discuté par les protagonistes. Vient ensuite une autre affirmation plus débattue. « De même que nous pouvons dire pour chacune de ces tekhnai la pratique qui en procède, pouvons-nous dire pour l’oikonomia la pratique qui en procède. » Dès lors, Critobule peut substituer l’oikonomos à l’oikonomia. « Le bon oikonomos est celui qui administre bien son oikos. » [1.2] Ainsi, la définition d’un savoir, épistémè, suppose une capacité d’action (tekhnê) associée et in fine une pratique (ergon). Pour le résumer en une formule, tout domaine de connaissances est associé épistémologiquement à un ensemble de pratiques humaines. Une précision est ensuite apportée, accentuant de ce fait la dépolitisation. Un individu détenteur de cette capacité d’action sur le monde peut agir pour lui-même ou pour le patrimoine d’un autre. Implicitement, la cité n’est pas placée au même niveau. En revanche, tout le dialogue suppose que l’oikonomia soit une tekhnè acquise, donc qu’elle s’enseigne. En ce sens, Xénophon ne dit pas autre chose que Protagoras.

27Dès lors, l’Économique apparaît comme un dialogue socratique visant à définir ce qu’est un bon oikonomos, ce qui implique de définir l’oikonomia. Il n’est en rien un traité pratique, pas plus qu’il ne s’adresse aux seuls dominants. L’oikonomia donne une tekhnè, une capacité d’accomplir une tâche productive. L’oikonomos est celui qui est capable d’administrer tout oikos, qu’il en possède un ou non. Que signifie ici administrer ? « Payer les dépenses, faire des économies et accroître l’oikos », telle est la réponse de Critobule [1.4]. Socrate lui-même résume ainsi les principaux acquis de la discussion : « [I]l nous a semblé que l’oikonomia soit le nom d’un savoir, que ce savoir permet aux humains d’accroître les oikoi, que cet oikos regroupait l’ensemble des possessions ; nous avons dit que ce patrimoine était composé de ce qui était utile à la vie et qu’était utile tout ce qu’on savait utiliser. » [6.4] Le deuxième interlocuteur de Socrate, chronologiquement le premier, précise que cet accroissement doit se faire de façon honorable et juste [Xén., Ec., 7.15]. Cette considération éthique est-elle la marque d’une réduction à l’agriculture ? Non, car l’oikos est défini comme l’ensemble des biens, y compris les biens meubles, l’argent possédé. Donc, en toute logique, gagner de façon honorable et juste de l’argent relève de l’oikonomia. Du reste, l’évaluation de la croissance est monétaire [Xén., Ec., 2.3]. Ce passage laisse deviner une rationalité économique, débouchant sur la possibilité intellectuelle d’une comptabilité à partie double. Il vient confirmer ce qu’Alain et François Bresson avaient cherché à démontrer à partir du taux d’intérêt présent dans le seul contrat commercial du ive siècle parvenu jusqu’à nous [Bresson, Bresson, 2004].

28D’autres éléments présents dans l’Économique permettent de reconstituer un raisonnement économique rationnel. L’accroissement d’un oikos suppose un savoir (oikonomia) et un capital (aphormai) [Xén., Ec., 1.16]. Cet investissement suppose un calcul, mettant en regard les dépenses liées à la bonne marche de l’oikos et les revenus que ce dernier produit, soit une comptabilité à partie simple [Xén., Ec., 20.21]. Le bénéfice éventuel dépend de ce fait de la quantité de travail ; le deuxième facteur de production apparaît [Xén., Ec., 20.22]. Un exemple concret est fourni, celui du père d’Ischomaque. Le procédé est simple. Il consiste à acheter des terres non cultivées, après en avoir estimé la capacité productive, grâce à l’acquisition d’une compétence oikonomique [Xén., Ec., 16.3-5 et 16.10-11]. La finalité est explicitement économique. Le père d’Ischomaque ne cherche qu’à gagner plus d’argent encore, par la revente des terres qu’il est parvenu à rendre cultivables [Xén., Ec., 20.22-26]. Du reste, Socrate le compare à un commerçant de grain cherchant à acquérir le blé au plus bas prix et à le revendre au plus haut [Xén., Ec., 20.27-28]. Il apparaît donc que la décision d’investir repose sur une estimation du profit à venir, calcul qui ne requiert qu’une comptabilité à partie simple. Pour qu’il y ait comptabilité à partie double, il faut que l’investissement apparaisse dans deux comptes, comme dépense et comme recette, celle-ci correspondant à la valeur du bien acquis. La rentabilité de l’investissement dépend de l’amortissement, c’est-à-dire du rapport entre la dépense et les gains qu’elle entraîne au cours du temps. Or il ne fait pas de doute que les protagonistes du dialogue sont à chaque instant capables de calculer la valeur de l’oikos ou des biens qui le composent, valeur qui correspond au prix d’une vente éventuelle [Xén., Ec., 1.10-12 et 2.3]. De ce fait, une dépense est en même temps une recette.

29Mais, si la maîtrise de l’oikonomia implique la rationalité économique, il serait erroné de la réduire à la recherche du profit. L’accroissement du patrimoine peut avoir une autre finalité que l’augmentation de la richesse privée. Au père d’Ischomaque et aux marchands de grain, il est possible d’opposer Critobule. Socrate a beau jeu de souligner ironiquement sa pauvreté en rappelant la masse des contributions qui pèse sur son interlocuteur [Xén., Ec., 2.5-8]. Autrement dit, la richesse privée n’est que le prélude à l’enrichissement commun. Plus fondamentalement, la compétence oikonomique est une compétence civique. Dans les Mémorables, Xénophon rapporte une rencontre fortuite entre Socrate et un certain Nicomachidès qui donne lieu à une conversation sur ce qu’est un bon magistrat militaire (strategos). Un certain Antisthénès vient d’être élu à cette fonction, avec neuf autres citoyens, et Nicomachidès s’étonne du choix d’un individu qui n’a aucune expérience militaire, sa seule compétence étant de gagner de l’argent. La discussion se poursuit et sa conclusion est sans appel : un bon oikonomos est aussi un bon strategos. Dès lors, la figure de Socrate apparaît comme paradoxale. En refusant de s’enrichir comme Critobule, il refuse d’être un citoyen actif exerçant des magistratures, même si par son savoir – il ne fait pas de doute qu’il connaît l’oikonomia – il en conserve la possibilité. Comme son enseignement en témoigne néanmoins dans l’œuvre de Xénophon, les affaires de la cité lui importent. Dans ce dialogue, il s’agit surtout de définir ce qu’un citoyen peut faire de l’oikonomia. À l’évidence, tous les enrichissements ne se valent pas, comme la dénonciation de certaines activités artisanales et commerciales le rappelle. Ainsi, l’oikonomia est un savoir à finalité privée et civique qui dessine plusieurs vies bonnes possibles. De ce point de vue, elle relève de la politique.

30La conception contemporaine défendue par Platon permet de comprendre les enjeux du débat et, par voie de conséquence, ceux de la naissance du champ philosophique par le coup de force platonicien. Elle sera réduite ici au seul Politique, dialogue qui appartient à la dernière partie de l’œuvre et dans lequel il est possible de lire « la trajectoire, la problématique, les apories et les antinomies de la trajectoire » [Castoriadis, 1999, p. 29]. Dans ce texte, Platon définit ce qu’est une science politique (politikê épistémè) [Castoriadis, 1999 ; Brisson, Pradeau, 2005]. Cette définition s’inscrit dans une réflexion plus ample autour du sophiste et du philosophe. Ce dialogue entend expliciter ce qu’est un aner politikos, c’est-à-dire un citoyen capable de s’occuper des affaires de la cité. Il est l’épistémôn, celui qui sait, celui qui sait ce qui doit être fait [Plat., Pol., 292a-300c]. Il ordonne à chacun ce qu’il doit faire. Cette conception est cohérente avec la métaphore utilisée du tissage et du tisserand. Que tisse alors le citoyen politique ? La réponse est suggérée, il tisse toutes les techniques indispensables à la vie humaine. La conséquence est de reconnaître à la science politique un statut particulier ; elle n’est pas « astreinte à des tâches pratiques, mais elle doit avoir autorité sur les sciences qui sont en mesure d’accomplir ces tâches, car elle peut déterminer quel est le moment opportun ou non pour commencer et lancer dans la cité les activités les plus importantes, et les autres n’ont qu’à exécuter ses ordres » [305c-305d]. La politikê épistémè est donc une « épistémè du tout » [Castoriadis, 1999, p. 170]. Elle est gnôstikê, purement cognitive, et se distingue des sciences pratiques. Comme elle est aussi bien science royale, science politique ou science oikonomique (oikonomikê), comme elle permet d’ordonner aux commerçants, agriculteurs et boulangers, elle ne se confond avec l’oikonomia qu’au niveau épistémique [Plat., Pol., 259c-d et 267e-268a]. Désormais, le citoyen oikonomikos qui accroît son oikos n’est pas un politikos. Il respecte le précepte énoncé dans la République : « [L]a justice consiste à s’occuper de ses tâches propres et à ne pas se disperser dans des tâches diverses. » Un peu plus haut, il était rappelé : « [N]ous avons posé en effet […] que chacun devait exercer une fonction particulière parmi celles qui concernent la cité, celle-là même en vue de laquelle la nature l’a fait le mieux doué. » [Platon, Rép., 4.433a, trad. Leroux ; avec Castoriadis, 1999, p. 22 ; 2002, p. 322-326.]

31Platon choisit Parménide et s’oppose à Héraclite, Démocrite et aux sophistes pour lesquels il n’existe pas de savoir total. Selon la formule de Protagoras, l’humain est la mesure de toute chose. Cette conception irrigue l’Oraison funèbre de Périclès. Selon ce discours rapporté par Thucydide, un citoyen peut s’occuper tout à la fois de ses biens (oikeia) et des affaires communes (politika). Même ceux qui sont pris par des tâches productives (erga) demeurent aptes aux affaires de la cité [Thucydide 2.40.2]. Toutefois, les qualités civiques n’impliquent pas la richesse : « [a]ucun homme, alors qu’il est pauvre et qu’il est disposé à accomplir une bonne action pour la cité, n’est empêché par une considération invisible. » [Thucydide 2.37.1] La pauvreté n’est pas pour autant une valeur : « Il n’y a de honte pour personne à convenir de sa pauvreté, il y en a à ne pas chercher à s’en échapper par son action. » [Thucydide 2.40.1] Et pour sortir de la pauvreté, aucune activité n’est exclue a priori. Là où l’Économique de Xénophon reproche aux artisans de ne pas consacrer assez de temps à leurs amis et à leur cité (4.3), là où leur exclusion de la citoyenneté est recommandée, car seuls les propriétaires ont le souci de la défense du territoire civique (4.6-7), Périclès défend une autre conception qui met en avant la paternité : « [c]ar ils ne peuvent délibérer dans un esprit d’égalité et de justice ceux qui n’amènent pas des enfants dans le même péril. » [Thucydide 2.44.3] Les citoyens sont tous égaux, tous politikoi et tous oikonomikoi. Il en va de même pour la philosophie, tous philosophes. Telle est en effet l’affirmation forte de l’Oraison funèbre : « Nous aimons sans extravagance la beauté et nous philosophons sans mollesse. » [Thucydide 2.40.1 avec Castoriadis, 2008, p. 161.]

32En somme, le débat entre Périclès, Xénophon et Platon autour de l’oikonomia, c’est-à-dire sur la capacité à produire des richesses, est certes un débat intellectuel, mais il est un débat politique avant tout. En expulsant la pratique du savoir politique et philosophique, Platon proposait une reconfiguration à l’intérieur du champ du pouvoir dans lequel désormais le capital acquis dans le champ philosophique devenait un capital donnant du pouvoir sur le capital, dans lequel régnait le philosophe-roi, le double du citoyen politique [4]. La pensée platonicienne constitue une sublimation philosophique de la tyrannie [5]. Sans disqualifier le comportement intéressé, mais en contestant l’autonomie du champ économique, l’Économique de Xénophon constituait une autre voie, une autre configuration du champ du pouvoir dans lequel il n’y avait d’autre roi que le citoyen-propriétaire, là où la citoyenneté liée à la naissance à Athènes suffisait dans la conception péricléenne. Aux ve et ive siècles donc, l’intéressement est démocratique et le désintéressement philosophique platonicien apparaît en regard comme tyrannique. La différence s’articule autour de la place reconnue à la pratique, aux activités productives.

33Si ce débat se déroule dans le champ intellectuel et dans le champ philosophique naissant, et s’il est même l’un des enjeux principaux de la constitution de ce dernier, comme le rappelle Pierre Bourdieu, « à travers des oppositions comme celle de la théorie et de la pratique, c’est tout l’ordre social qui est présent dans la pensée même de cet ordre » [Bourdieu, 2003, p. 119]. Autrement dit, la place reconnue aux activités productives dans le monde social détermine la hiérarchie qui a cours dans le champ politique athénien, en raison même de la structure du champ du pouvoir. Là où les Athéniens du ve siècle, sous l’influence des sophistes, ne voyaient pas d’opposition entre une activité économique et l’action politique, ceux du ive siècle envisagent de possibles contradictions entre les deux. C’est ici qu’intervient le jugement du Socrate de l’Économique sur certaines activités artisanales présentées comme indignes pour les citoyens ou celui du Socrate des Mémorables de Xénophon sur une assemblée dominée par des artisans et des commerçants [respectivement Éc., 4.2-3 et Mém., 3.7.6]. De ce fait, le débat oikonomique est un débat politique tout autant qu’un débat économique. Peut-être alors faut-il considérer la focalisation de la recherche en histoire ancienne sur l’émergence ou l’existence d’un champ économique dans le monde grec comme la manifestation, au sein du champ scientifique, de l’illusio propre au champ économique actuel, de cette « croyance fondamentale dans la valeur des enjeux et dans le jeu lui-même » en l’occurrence économiques, qui veut que l’économie soit « le principe de toutes les pratiques et de tous les échanges » [Bourdieu, 2000a, p. 18 et 21]. À cette première historicisation, il est possible d’en ajouter une deuxième, qui consiste à ne pas prendre une prise de position philosophique et politique pour une vérité légitime sur le monde social athénien. La notion de champ, notamment celle de champ du pouvoir, permet précisément de faire apparaître dans le monde grec ancien les relations existant entre le champ intellectuel/philosophique et le champ politique, relation que la philosophie platonicienne cherche à masquer en raison de la sublimation à laquelle elle procède. Il reste à interroger à présent l’importance qu’il convient d’accorder aux inégalités sociales, procédant des activités inscrites dans le champ économique, donc de la place occupée par l’économie dans le champ du pouvoir athénien, autrement dit à envisager une histoire de l’État athénien.

Notes

  • [1]
    Je souhaite remercier vivement les deux relecteurs pour leurs précieuses remarques qui ont largement contribué à améliorer cet article, dont les conclusions n’engagent cependant que leur auteur. Cet article a été rédigé avant la parution du n° 200 d’Actes de la recherche en sciences sociales consacré à la théorie du champ.
  • [2]
    Dans son cours Sur l’État, évoquant La grande transformation de Polanyi, il confie : « [U]ne de mes grandes admirations. » [Bourdieu, 2012, p. 319]
  • [3]
    Nous empruntons la notion de coup de force à Bourdieu [1988, p. 57], qui l’appliquait à l’œuvre de Martin Heidegger.
  • [4]
    « Le champ du pouvoir se définit comme l’espace des positions à partir desquelles s’exerce un pouvoir sur le capital sous ses différentes espèces. Il faut en effet distinguer entre la simple possession de capital (économique ou culturel par exemple) et la possession d’un capital conférant un pouvoir sur le capital, c’est-à-dire sur la structure même d’un champ, donc, entre autres choses, sur les taux de profit, et par là, sur l’ensemble des détenteurs ordinaires de capital. » [Bourdieu, 2011, p. 128]
  • [5]
    Nous établissons ici un parallèle avec Martin Heidegger et le nazisme [Bourdieu, 1988, p. 11].
Français

Dans la sociologie de Pierre Bourdieu, l’économie de marché est associée à l’existence d’un champ économique, dans lequel règne l’intéressement, distinct d’autres champs, le champ philosophique notamment, qui ont pour loi le désintéressement. Or, si la philosophie apparaît au ve siècle av. J.-C. avec Socrate et Platon, Pierre Bourdieu ne conçoit l’autonomisation du champ économique qu’au xviiie siècle. Une lecture renouvelée de l’Économique de Xénophon (première moitié du ive siècle av. J.-C.), menée en inscrivant ce dernier dans le champ intellectuel de son temps, permet d’envisager autrement la division du travail social et de montrer que la société athénienne ancienne est une société différenciée.

Mots-clés

  • Xénophon
  • oikonomia
  • philosophie
  • économie antique
  • division du travail social

Bibliographie

  • En ligneAzoulay V. (2007), « Champ intellectuel et stratégies de distinction dans la première moitié du ive siècle : de Socrate à Isocrate », in J.-C. Couvenhes et S. Milanezi (dir.) Individus, groupes et politique à Athènes de Solon à Mithridate, Université François Rabelais, Tours, coll. « Perspectives historiques », p. 171-199.
  • Bourdieu P. (1966), « Champ intellectuel et projet créateur », Les Temps modernes, n° 246, p. 865-906.
  • Bourdieu P. (1980), Le sens pratique, Minuit, Paris, coll. « Le sens commun ».
  • En ligneBourdieu P. (1981), « Décrire et prescrire. Note sur les conditions de possibilité et les limites de l’efficacité politique », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 38, p. 69-73.
  • Bourdieu P. (1987), Choses dites, Minuit, Paris, coll. « Le sens commun ».
  • Bourdieu P. (1988), L’ontologie politique de Martin Heidegger, Minuit, Paris, coll. « Le sens commun ».
  • Bourdieu P. (1992), Réponses. Pour une anthropologie réflexive (avec L. J. D. Wacquant), Seuil, Paris, coll. « Libre examen ».
  • Bourdieu P. (1994), Raisons pratiques. Sur la théorie de l’action, Seuil, Paris, coll. « Points essais ».
  • Bourdieu P. (1995), Champ politique, champ des sciences sociales, champ journalistique, Lyon, CNRS, Université Lumière, ENS, Lyon.
  • Bourdieu P. (2000a), Les structures sociales de l’économie, Seuil, Paris, coll. « Liber ».
  • En ligneBourdieu P. (2000b), « L’inconscient d’école », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 135, p. 3-5.
  • Bourdieu P. (2003), Méditations pascaliennes, Seuil, Paris, coll. « Points essais ».
  • En ligneBourdieu P. (2011), « Champ du pouvoir et division du travail de domination », texte manuscrit inédit ayant servi de support de cours au Collège de France, 1985-1986, Actes de la recherche en sciences sociales, n° 190, p. 126-139.
  • Bourdieu P. (2012), Sur l’État. Cours au Collège de France (1989-1992), Seuil/Raisons d’agir, Paris, coll. « Cours et travaux ».
  • En ligneBresson A. et Bresson F. (2004), « Max Weber, la comptabilité rationnelle et l’économie du monde gréco-romain », Cahiers du centre de recherches historiques, n° 34, p. 91-114.
  • Bresson A. (2007-2008), L’économie de la Grèce des cités. T. 1 et 2, Armand Colin, Paris, coll. « U histoire ».
  • Brisson L. et Pradeau J.-F. (2005), « Introduction », in Platon, Politique, Flammarion, Paris, coll. « GF », p. 9-65.
  • Castoriadis C. (1999), Sur Le Politique de Platon, Seuil, Paris, coll. « La couleur des idées ».
  • Castoriadis C. (2002), Sujet et vérité dans le monde social-historique. Séminaires 1986-1987. La création humaine I, Seuil, Paris, coll. « La couleur des idées ».
  • Castoriadis C. (2008), Ce qui fait la Grèce, 2. La cité et ses lois. Séminaires 1983-1984. La création humaine 3, Seuil, Paris, coll. « La couleur des idées ».
  • En ligneCastoriadis C. (2011), Thucydide, la force et le droit. Ce qui fait la Grèce 3, Séminaires 1984-1985. La création humaine IV, Seuil, Paris, coll. « La couleur des idées ».
  • En ligneDescat R. (2010), « Thucydide et l’économie, aux origines du logos oikonomikos », in V. Fromentin, S. Gotteland, P. Payen (dir.) Ombres de Thucydide. La réception de l’historien depuis l’Antiquité jusqu’au début du xxe siècle, Ausonius, Bordeaux, coll. « Études », p. 403-409.
  • Dorion L.-A. (2010), « Introduction générale », in Xénophon, Mémorables tome 1, Les Belles Lettres, Paris, p. I-CCCXXXII.
  • En ligneDorion L.-A. (2011), Socrate, Presses universitaires de France, Paris, coll. « Que sais-je ? ».
  • Durkheim É. (1991), De la division du travail social, Presses universitaires de France, Paris, coll. « Quadrige ».
  • Gautier Cl. (2012), La force du social. Enquête philosophique sur la sociologie des pratiques de Pierre Bourdieu, Cerf, Paris, coll. « Passages ».
  • Lahire B. (2012), Monde pluriel. Penser l’unité des sciences sociales, Seuil, Paris, coll. « La couleur des idées ».
  • Lemieux C. (2011), « Le crépuscule des champs. Limites d’un concept ou disparition d’une réalité historique ? », in M. de Fornel, A. Ogien (dir.) Bourdieu, théoricien de la pratique, EHESS, Paris, coll. « Raisons pratiques », p. 75-100.
  • Mauss M. (1969), « Divisions et proportions des divisions de la sociologie », in Id., Œuvres 3. Cohésion sociale et division de la sociologie, Minuit, Paris, coll. « Le sens commun », p. 178-245.
  • Noël M.-P. (2012), « Orateurs, logographes et sophistes dans l’Athènes du ve et du début du ive siècle », in A. Macé (dir.) Choses privées et chose publique en Grèce ancienne, Jérôme Millon, Grenoble, coll. « Horos », p. 301-340.
  • Pébarthe C. (2008), Monnaie et marché à Athènes à l’époque classique, Belin, Paris, coll. « Belin sup histoire ».
  • Pébarthe C. (2012), « Le mot et la chose. De la possibilité du marché en Grèce ancienne », in K. Konuk (dir.) Stephanèphoros. De l’économie antique à l’Asie mineure. Hommages à Raymond Descat, Ausonius, Bordeaux, coll. « Mémoires », p. 125-138.
  • Pébarthe C. (2013), « Compte rendu d’A. Laks et R. Saetta Cottone, dir., Comédie et philosophie. Socrate et les ?Présocratiques? dans les Nuées d’Aristophane, Paris, 2013 », Revue des études anciennes, n° 115, p. 690-695.
  • Pinto L. (1998), Pierre Bourdieu et la théorie du monde social, Albin Michel, Paris.
  • Pomeroy S. (1994), Xenophon Oeconomicus. A Social and Historical Commentary, Clarendon Press, Oxford.
  • Tell H. (2011), Plato’s Counterfeit Sophists, Harvard University, Center for Hellenic Studies, Cambridge, MA.
Christophe Pébarthe
AUSONIUS, Université Bordeaux Montaigne
christophe.pebarthe@u-bordeaux3.fr
Mis en ligne sur Cairn.info le 30/05/2014
https://doi.org/10.3917/rfse.013.0067
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour La Découverte © La Découverte. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...