Pierre Chancerel, Le marché du charbon en France pendant la Première Guerre mondiale (1914-1921), Thèse d’Histoire, réalisée sous la direction de Michel LESCURE, Professeur émérite, Université de Paris Ouest Nanterre La Défense, soutenue le 12 novembre 2012 à l’université Paris Ouest Nanterre
1Jury composé d’Alain BELTRAN, Directeur de recherche, CNRS, IRICE ; Gérard CHASTAGNARET, Professeur émérite, Université d’Aix-Marseille ; Clotilde DRUELLE-KORN, Maître de conférences, Université de Limoges ; Jean-François ECK, Professeur émérite, Université Lille 3 ; Michel MARGAIRAZ, Professeur, Université de Paris 1 Panthéon Sorbonne ; Philippe NIVET, Professeur, Université de Picardie Jules Verne.
2Le déclenchement de la Première Guerre mondiale engendre une forte pénurie de charbon en France. En effet, la moitié des mines du Nord de la France sont envahies, de nombreux mineurs sont mobilisés et le pays perd l’importation belge et allemande. Le conflit accentue aussi les écarts de prix entre les régions françaises. Pour remédier à ces dérèglements du marché charbonnier, l’État et les organisations patronales interviennent pour assurer une meilleure distribution du combustible sur l’ensemble du territoire. Après l’échec du ministre des Travaux publics Marcel Sembat en 1916, ce sont Maurice Viollette et surtout Louis Loucheur qui améliorent l’approvisionnement en charbon de la France à partir de 1917. Ils y parviennent en organisant un Bureau national des charbons (BNC) chargé de fixer les prix et de répartir les tonnages disponibles entre les catégories de consommateurs.
3La thèse se fonde avant tout sur les archives de cet organisme et interroge son fonctionnement et les objectifs de la politique charbonnière du gouvernement. L’examen du rôle des différents acteurs permet de montrer que l’action de l’État s’appuie sur les groupements de producteurs et de consommateurs. Les organismes patronaux d’avant-guerre (Comité des Houillères et Syndicat des importateurs) conseillent et relaient les décisions ministérielles et sont complétés par des groupements qui fédèrent les consommateurs par catégories professionnelles. Mais de nouvelles administrations destinées à exécuter les décisions gouvernementales sont également créées.
4La Première Guerre mondiale a en effet été marquée par un foisonnement d’institutions dont l’étude s’avère nécessaire. Le Bureau des Charbons constitue un exemple de ces innovations administratives improvisées pendant la guerre et dont les missions sont assurées par un personnel d’ingénieurs mobilisés comme officiers. L’État met en place de nouvelles règles destinées à encadrer le marché du charbon. Le transport, le prix, la destination, les quantités et les qualités du charbon vendu sont étroitement réglementés par l’administration qui a ainsi la capacité d’orienter le marché.
5L’étude du BNC permet alors d’interroger les objectifs et les modalités d’une politique charbonnière à même de favoriser certaines catégories de consommateurs. Pendant la guerre, celui-ci garantit un approvisionnement minimal des établissements travaillant pour la Défense nationale et assure à la population un tonnage minimal. Par ailleurs, il instaure des mécanismes de « péréquation » qui suppriment les écarts de prix entre les consommateurs d’une même catégorie, tout en établissant un prix plus modéré pour le charbon domestique. La thèse montre que la question charbonnière a contribué à renforcer la solidarité interalliée puisque l’importation et l’activité des intermédiaires sont réglementées par des accords franco-britanniques.
6Après l’armistice, la politique charbonnière suscite un débat entre les partisans d’un prix identique pour tous les consommateurs français et ceux qui préconisent l’établissement d’un prix similaire à l’échelle des régions et au sein d’un secteur économique. Enfin, la thèse met l’accent sur la sortie de guerre économique. Le BNC n’est démantelé qu’en 1921, ce qui montre que le processus de « démobilisation du charbon » est long et que l’intervention de l’État a durablement influencé le marché du charbon.
7Pierre CHANCEREL, ATER, Université de Picardie Jules Verne, pierre.chancerel@u-picardie.fr
Perrine Hanicotte, Valorisation du travail et travail de valorisation : le mythe de l’entrepreneuriat de soi dans l’hôtellerie de chaîne, Thèse de Sociologie, réalisée sous la direction de Claude GIRAUD, Professeur émérite, Université Lille 1, et Sébastien FLEURIEL, Professeur, Université Lille 1, soutenue le 20 mars 2013, à Lille 1
8Jury composé de Régine BERCOT, Professeur, Université Paris 8 (rapporteure) ; Charles GADEA, Professeur, Université de Versailles, Saint-Quentin-en-Yvelines (rapporteur) ; Pascal UGHETTO, Maître de conférence, HDR, Université Paris-Est, Marne-la-Vallée ; Mélanie BURLET, Docteur, Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail.
9D’une manière générale, la nécessité de valoriser les activités professionnelles se comprend au regard de la place du travail dans la construction et l’inscription sociale des individus. Elle se comprend également au regard des demandes organisationnelles d’investissement dans le travail adressées aux individus. Cette nécessité est d’autant plus prégnante que, pour cette thèse, nous nous situons dans le cadre de l’hôtellerie de chaîne caractérisée par sa proximité avec la domesticité, tant du point de vue des activités exercées que des représentations associées.
10L’enquête qualitative, réalisée au sein d’hôtels appartenant à un même groupe, montre qu’au-delà de cette proximité, les activités dans ces filiales présentent des caractéristiques a priori incompatibles, posant la question de leur valorisation : conditions difficiles de travail et d’emploi susceptibles d’être interprétées comme autant d’épreuves à surmonter, forte hiérarchie entre les activités, standardisation du service imposant une normalisation et un contrôle exogène du travail, place centrale accordée à l’individualité dans les processus de valorisation. Ces caractéristiques expliquent le rôle prépondérant de l’organisation dans la production et la mesure de la valeur accordée aux activités.
11Les processus de valorisation s’articulent en effet à un ethos à l’égard du travail marqué par l’entrepreneuriat de soi, positionnant l’individu entrepreneur de lui-même et de son devenir comme modèle. Le rapport ambivalent entre l’hôtellerie de chaîne et l’ethos de l’entrepreneuriat de soi, fait de distance et de recherche de proximité, dessine un continuum de valorisation sur lequel sont positionnées les activités professionnelles. Les dispositifs organisationnels et professionnels dessinent des systèmes de raisons différenciés à l’origine de ces positionnements et de logiques d’actions individuelles et collectives variées. Ces dernières prennent sens au regard des situations de travail, de la position occupée dans l’organisation, ainsi que du parcours social, du genre ou encore de la situation familiale des individus. Ainsi, femmes de chambre et réceptionnistes n’entretiennent pas le même rapport à cet ethos : alors que pour les premières, il sera limité par une interprétation associée à une promesse d’intégration dans le salariat, pour les seconds il prendra sens à partir d’une promesse de carrière verticale ou indépendante. Ces logiques d’actions bénéficient d’un écho social fonction de leur correspondance avec le modèle de l’individu entrepreneur de lui-même et de son parcours professionnel. De cette correspondance dépend la place occupée dans la hiérarchie des métiers.
12À travers le rôle du gouvernement des organisations, des dispositifs associés et des logiques d’actions dans la construction de ces hiérarchies, les processus de valorisation mettent en avant un monde social marqué par le mythe de l’entrepreneuriat de soi. Derrière une homogénéité apparente, se révèle une mosaïque sociale qui interprète différemment cet ethos et montre la force de sa diffusion, la pluralité des modalités de sa mise en œuvre et sa plasticité.
13L’étude de ces organisations nous donne finalement à voir des évolutions du monde du travail contemporain marquées par la prégnance des logiques organisationnelles dans la construction des hiérarchies fondées sur l’ethos de l’entrepreneuriat de soi.
14Perrine HANICOTTE, Chargée de mission, Association régionale pour l’amélioration des conditions de travail du Nord-Pas-de-Calais, p.hanicotte@anact.fr
Gérard Marty, Sociologie des institutions marchandes : le cas de la mise en vente des bois publics en Lorraine, Thèse de Sociologie, réalisée sous la direction de Pierre DEMEULENAERE, Professeur, Université Paris Sorbonne, soutenue le 5 février 2013 à l’Université de Paris Sorbonne
15Jury composé de Franck COCHOY, Professeur, Université de Toulouse 2 – Le Mirail (Rapporteur) ; Claude DIDRY, Directeur de recherche au CNRS, IDHE ENS Cachan (Rapporteur) ; Marie-France GARCIA-PARPET, Chargée de recherche, INRA – RITME ; Raphaële PREGET, Chargée de recherche, INRA – LAMETA ; Philippe STEINER, Professeur, Université de Paris-Sorbonne & IUF.
16À travers cette thèse, nous apportons un éclairage sociologique au débat engagé depuis plus de trente ans sur la problématique de la mise en vente des bois publics, à l’origine, selon plusieurs rapports publics, d’une baisse significative de la compétitivité de la filière bois.
17Pour cela, nous étudions, dans la première partie de la thèse, le système d’enchères qui reste le principal mode de vente utilisé par l’Office national des forêts (ONF). Nous identifions tout d’abord les conditions d’encastrement de ces ventes, considérant que les comportements des participants sont déterminés par l’interaction complexe de facteurs économiques, socio-structuraux, politiques, cognitifs, institutionnels formels et informels. Puis, prenant pour référence la métaphore goffmanienne du théâtre, nous relatons la mise en scène des ventes aux enchères. Nous y décrivons tout d’abord les « équipes » d’acteurs en présence dans les régions postérieures et antérieures de la vente. Puis, nous présentons l’ensemble des dispositifs cognitifs et sociotechniques mobilisés par l’ONF pour orienter les comportements des acheteurs et créer une ambiance propice à la vente. Nous poursuivons l’étude de la mise en scène par l’analyse de l’influence significative du « chant » du crieur sur l’état émotionnel des enchérisseurs dans le cas des enchères orales descendantes. Une fois ce décor planté, nous examinons alors les modalités de résolution de l’intrigue marchande qui consiste, pour les acheteurs, à définir de façon collective un prix « juste » et obtenir, sur le plan personnel, la reconnaissance d’un savoir-faire dans l’obtention de lots à des prix proches de ceux proposés par le reste de la communauté.
18Dans la deuxième partie de la thèse, nous analysons l’évolution récente du cadre institutionnel appliqué aux ventes de bois publics en nous appuyant sur les notions de construction sociale des institutions et de dépendance au chemin. Nous y démontrons, à partir de notre propre « modèle d’embranchement institutionnel » que, malgré le verrouillage institutionnel organisé autour de l’enchère pendant plusieurs siècles, le développement des contrats d’approvisionnement, à la suite des tempêtes de 1999 et de l’action concertée d’une partie de la filière bois, marque l’émergence d’un embranchement institutionnel en matière de vente de bois publics.
19La présentation des facteurs économiques et non économiques mis en avant par les partisans de chacun des deux modes de vente nous amène à émettre l’hypothèse que la double trajectoire institutionnelle (enchères/contrats d’approvisionnement) en train de se stabiliser devrait permettre de répondre plus facilement aux différentes problématiques d’approvisionnement des industriels. Elle est, enfin, pour nous, l’occasion de souligner le manque de pertinence de la notion même de filière bois, tant les intérêts entre les acteurs qui la composent apparaissent contradictoires.
20Gérard MARTY, Chercheur associé, Laboratoire d’économie forestière, INRA – AgroParisTech, gerard.marty@nancy.inra.fr
Stéphanie Barral, Le nouvel esprit du capitalisme agraire : les formes de l’autonomie ouvrière dans les plantations de palmier à huile en Indonésie, Thèse de Sociologie, réalisée sous la direction de Serge PAUGAM, Directeur de recherche, CNRS et Directeur d’études, EHESS, soutenue le 18 décembre 2012, à l’École des hautes études en sciences sociales à Paris
21Jury composé de Romain BERTRAND, Directeur de recherche, CERI, Sciences-Po (rapporteur) ; Robin BOURGEOIS, Chargé de recherche, CIRAD (co-directeur de thèse) ; Ève CHIAPELLO, Professeur, HEC ; François PURSEIGLE, Maître de conférences, ENSAT-INP (rapporteur) ; Olivier SCHWARTZ, Professeur, Université Paris-Descartes.
22Le salariat agricole est un objet de recherche dont les sciences sociales s’emparent peu, alors que son importance croît au niveau mondial, avec l’expansion d’une agriculture hautement capitalistique. Notre thèse interroge les conditions sociales du développement du capitalisme agraire, en articulant une sociologie du travail fondée sur la caractérisation de l’autonomie, de la sécurité et du bien commun des ouvriers de plantations de palmier à huile en Indonésie. Elle propose une double mise à l’épreuve de la notion d’« esprit du capitalisme » de Luc Boltanski et Ève Chiapello, en l’appliquant tout d’abord à des ouvriers – et non à des cadres –, et en la mobilisant dans une société à faible régime de protection généralisée. Elle développe également des pistes de réflexion visant à enrichir la connaissance du capitalisme agraire contemporain.
23L’enquête de terrain réalisée repose sur un corpus collecté pendant plus d’une année d’immersion dans le lieu de vie de familles ouvrières de six grandes plantations du pays. Les résultats, confrontés à un idéaltype historique du capitalisme de plantation, mettent en évidence un changement d’état de ce capitalisme à partir des années 1970 : alors que le conflit fut le mode de régulation du travail pendant le premier siècle de son développement, le démantèlement de certaines protections sociales, associé à l’octroi d’une autonomie nouvelle sous forme de liberté d’entreprendre, entraîne la paix sociale. Les familles ouvrières, confrontées à la nécessité de constituer par elles-mêmes un capital financier en prévision de la retraite, s’investissent dans des trajectoires d’accumulation économique et foncière. Deux formes d’autonomie, l’une contrôlée et l’autre conquise, se dessinent, déterminées par le contexte foncier régional. Si un processus marqué d’ascension sociale caractérise les familles ouvrières des plantations récentes installées dans des régions forestières, il n’en va pas de même dans les plantations d’héritage colonial où les ouvriers luttent pour épargner et anticiper les besoins de la retraite.
24L’approche monographique de la vie privée des ouvriers indique toutefois une empreinte forte de la domination hiérarchique : les sessions d’observation participante au sein d’habitations de plantation montrent comment le cadre de vie des ouvriers et de leur famille est défini par les supérieurs hiérarchiques. Les maisons sont le lieu d’une politique hygiéniste associée aux valeurs de travail et de salut qui orientent les comportements dans un objectif productiviste, mais aussi de négociations informelles des ouvriers qui adoucissent l’encadrement. La liberté d’entreprendre des ouvriers est subtilement associée à un contrôle prononcé, accepté et négocié : l’autonomie nouvelle qui leur est accordée renforce l’acceptation des tutelles paternalistes, montrant alors comment les valeurs libérales de l’entrepreneuriat s’accordent avec le traditionalisme du paternalisme, appuyant ainsi le développement du capitalisme de plantation.
25Stéphanie BARRAL, Chercheure associée au Centre Maurice Halbwachs (CNRS/EHESS/ENS), phanette.barral@gmail.com
Marion Lefebvre, Qualité(s) de l’emploi dans les services à la personne : entre régulations publiques et professionnelles, Thèse d’Économie, réalisée sous la direction de Florence JANY-CATRICE, Professeur, Université Lille 1, soutenue le 13 décembre 2012 à Lille 1
26Jury composé de Nicolas FARVAQUE, Directeur, Pôle Emploi et Territoires, ORSEU Lille ; Jacques FREYSSINET, Professeur émérite, Université Paris 1 ; Philippe MÉHAUT, Directeur de recherche CNRS, LEST, Université Aix-Marseille (rapporteur) ; Henry NOGUÈS, Professeur émérite, Université de Nantes (rapporteur) ; Robert SALAIS, Directeur de recherche honoraire CNRS, Chercheur associé, IDHE ENS Cachan ; Nicolas VANEECLOO, Professeur, Université Lille 1.
27Les services à la personne regroupent un ensemble d’activités réalisées au domicile de particuliers et massivement soutenues par différentes politiques publiques : politiques sociales d’une part, en tant qu’élément central du maintien à domicile des personnes en perte d’autonomie, et politiques d’emploi d’autre part, champ qui constitue depuis la fin des années 1980 une cible privilégiée. Quelle est la qualité de ces emplois ? Observe-t-on des formes différenciées de qualité d’emploi au sein de ce groupement d’activités ? Comment se construisent les « compromis de qualité », et sur quelles justifications se basent-ils ? Voici en substance les questions auxquelles s’attache cette thèse. Pour y répondre, elle propose une analyse de la qualité des emplois articulée à celle de la construction des régulations publiques et professionnelles – ces dernières participant largement à façonner les emplois et leurs caractéristiques.
28Un premier temps est consacré à l’étude de la construction historique des professions d’aide à domicile et d’employés de maison, des acteurs collectifs (syndicaux et patronaux), et des régulations publiques. Nous y montrons que ces deux professions se sont construites de façon parallèle et indépendante, puis ont été rapprochées à partir du début des années 1990 sous l’impulsion des politiques publiques. L’étude de la structuration des relations professionnelles au niveau des branches professionnelles et de leurs périmètres (les champs conventionnels), menée à partir d’une enquête qualitative auprès des négociateurs des conventions collectives, témoigne de cette construction parallèle puis de sa remise en cause. Elle décrit les enjeux que représente la détermination de ces « frontières » entre branches professionnelles : enjeux d’ordre professionnel, salarial, économique institutionnel. L’analyse des régulations publiques et professionnelles permet ainsi d’identifier des problématiques, de poser des hypothèses et de constituer, in fine, une grille de lecture institutionnaliste de la qualité des emplois dans les services à la personne.
29C’est à l’aune de cette grille de lecture que sont analysées dans un second temps les formes de qualité d’emploi observées à partir des investigations statistiques. La manière dont la notion de « qualité de l’emploi » est abordée dans la thèse est d’abord précisée, à partir d’une analyse épistémologique et théorique autour de cette notion. Elle y est examinée dans ses multiples dimensions économiques et sociales (rémunération, sécurité de l’emploi, conditions de travail…) à partir d’une approche par les écarts à la norme de l’emploi en France. La mobilisation et le traitement des données de deux enquêtes nationales font ressortir que ces écarts à la norme ont tendance à se cumuler sur plusieurs dimensions dans les professions de services à la personne. Le « cumul de contraintes » dans l’emploi est donc important, comparativement au reste du marché du travail, mais les situations sont hétérogènes : de multiples configurations coexistent au sein de ce champ. Sont alors analysés des « compromis » différenciés de qualité d’emploi, encastrés dans les régulations publiques et professionnelles, s’appuyant sur des registres de justifications spécifiques, où la reconnaissance sociale du travail effectué et la convention de mesure du temps de travail jouent un rôle essentiel.
30Marion LEFEBVRE, Docteur en Économie, Clersé-CNRS, marion-lefebvre@live.fr
Mathieu Hocquelet, Les ressorts du consentement serviciel dans le nouveau capitalisme commercial, Thèse de Sociologie, réalisée sous la direction de Jean-Pierre DURAND, Professeur, Université d’Évry, soutenue le 7 décembre 2012, à l’Université d’Évry
31Jury composé de Béatrice APPAY, Chargée de recherche CNRS, CERLIS, Université Paris Descartes (rapporteur) ; Stéphane BEAUD, Professeur, CMH, École normale supérieure Paris ; Stephen BOUQUIN, Professeur, CPN, Université d’Évry ; Enrico COLLA, Professeur, Marketing et Distribution internationale, Novancia Business School, Paris (rapporteur) ; Philippe MOATI, Professeur, Université Paris Diderot.
32Interrogeant la nature du lien entre ressorts du consentement des employés de la grande distribution au travail, renforcement du pouvoir financier et remise en question du régime d’accumulation d’une branche particulièrement exposée au public, cette thèse s’appuie sur une enquête qualitative réalisée dans une trentaine de magasins de neuf enseignes, tout formats et structures confondus, situés dans les principales agglomérations françaises avec, en contrepoint, un regard sur les salariés de Wal-Mart en périphérie de Chicago, Los Angeles et Miami. Elle repose d’une part sur les données recueillies à l’issue d’une centaine d’entretiens semi-directifs menés auprès de salariés des sièges et des magasins, de dirigeants et de représentants des salariés locaux, nationaux et internationaux. D’autre part, cette thèse s’appuie sur trois ans d’observations in situ au sein d’instances de négociation et d’information nationales et européennes, d’assemblées générales des actionnaires, de délégations syndicales de branche ; sur quatre mois d’observations participantes en tant qu’employé de rayon en supermarché et hypermarché et sur l’analyse de vingt ans d’archives internes liées aux modalités de gestion de la main-d’œuvre (évaluation, formation, communication).
33L’analyse des permanences et des changements idéologiques, techniques et organisationnels survenus dans la branche depuis les années 1950 permet d’identifier en tout premier lieu une restructuration des normes d’emploi et de travail face aux remises en question de la grande surface en libre-service et à l’influence croissante des acteurs financiers et des logiques gestionnaires. L’examen diachronique de la mise en récit de cette crise par les directions permet ensuite de souligner les tentatives de reconfiguration idéologique du capitalisme commercial, du cadre sociétal au cadre organisationnel. Ces discours de justification, accompagnant les mutations du procès de travail, signent l’effacement du travail et de ses acteurs par la mobilisation des parties prenantes toujours plus nombreuses (clients, « communautés financières », pouvoirs publics, médias, ONG) comme l’imbrication instrumentale, par les directions, des enjeux entrepreneuriaux et sociétaux (RSE, NRE : usage du reporting social, élaboration des réunions d’information et de consultation). Enfin, la confrontation d’une telle rhétorique des directions avec le travail quotidien révèle une exacerbation des contrôles et tensions au sein des magasins tout en laissant moins de prise à la critique par l’enfermement de ces derniers sur eux-mêmes.
34Cette thèse souligne les spécificités d’un consentement propre aux salariés de la grande distribution, au sein d’une organisation à la fois de plus en plus ouverte au public (rôles du client dans l’organisation) et de plus en plus isolée du pouvoir stratégique (centralisation des décisions, cloisonnement de l’information). Face à des restructurations qui favorisent un brouillage des frontières spatiales, temporelles, statutaires et qui opacifient les rapports entre le capital et le travail, ce consentement s’appuie au sein des magasins sur la cohabitation entre d’anciens salariés porteurs de l’ethos traditionnel de branche et de nouveaux profils de salariés particulièrement corvéables. Par ailleurs, il se fonde à la fois sur une diversification et un élargissement du registre de ressources sociales mobilisées (carrières morales, vulnérabilités) et non valorisées par les directions (« habiletés »). Cependant, si l’on assiste à un cloisonnement statutaire et à un enfermement du monde du travail des salariés autour du rayon, voire du magasin, la diversification des profils laisse entrevoir des formes inédites d’appropriation du travail comme l’élaboration de formes de résistance, éloignées des indicateurs hérités du fordisme (grèves et conflits ouverts).
35Mathieu HOCQUELET, Post-doctorant, Centre Maurice Halbwachs, et Chercheur associé au Centre Pierre Naville, mathocquelet@aol.com