1 – Introduction
1Au cours des derniers trois quarts de siècle, à l’instar des autres entreprises du secteur public, la SNCF (Société nationale des chemins de fer français) s’est transformée en profondeur [1]. L’entreprise s’est réorganisée en branches autonomes, transformant presque les activités de transport de voyageurs, de fret ferroviaire, d’entretien du réseau et les gares en sociétés indépendantes. L’entreprise publique a également multiplié la création de filiales, elle a en outre refondu à plusieurs reprises les principes de sa tarification pour se rapprocher d’un « authentique » « prix de marché » (au sens de la théorie économique) et tend, lentement, à remettre en cause le statut d’emploi et le modèle de rémunération qui faisaient jusqu’alors des cheminots des quasi-fonctionnaires. Ce bouleversement sans précédent du secteur ferroviaire français résulte d’une intensification de la régulation marchande, dont on peut essayer de saisir les causes profondes : c’est l’objet de notre thèse de sociologie. Nous avons été logiquement amené à interroger des acteurs impliqués, de près ou de loin, dans les réorientations marchandes du secteur ferroviaire français – d’actuels ou d’anciens dirigeants de la SNCF, des économistes de RFF (Réseau ferré de France), des lobbyistes favorables à l’ouverture du marché ferroviaire, des syndicalistes au contraire opposés aux restructurations des chemins de fer, des hauts fonctionnaires du ministère des Transports, etc. – afin d’obtenir un premier éclairage sur les transformations économiques telles qu’elles ont été vécues de l’intérieur.
2Différentes explications nous ont été proposées, certaines insistant sur le cheminement naturel de la SNCF en direction du modèle de l’entreprise privée, d’autres soulignant le rôle de la Commission européenne dans les restructurations néolibérales du secteur ferroviaire français des années 1990-2000, d’autres encore insistant sur le rôle essentiel de la théorie économique et des économistes dans les transformations organisationnelles des chemins de fer en France. Ainsi, nous a-t-on dit avec beaucoup d’assurance que « la libéralisation ferroviaire en Europe, c’est William Baumol [2] », que « la politique des transports en France doit beaucoup à Maurice Allais » ou encore que « les idées des hommes politiques à propos des réformes de la SNCF sont souvent des idées véhiculées par des experts et des économistes ». Cette dernière proposition qu’il nous a paru intéressante de tester n’est pas sans rappeler un célèbre passage à la fin de la Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie de John Maynard Keynes, affirmant que « les idées, justes ou fausses, des philosophes de l’économie et de la politique ont plus d’importance qu’on ne le pense généralement » [Keynes, 1936, p. 192].
3Peut-on dire que les économistes et la théorie économique font l’économie ferroviaire [3] ? N’est-ce pas là accorder trop d’importance aux intentions des acteurs et expliquer les évolutions majeures d’un secteur à partir du pouvoir supposé de quelques individus, en faisant fi des contraintes qui encadrent leurs actions [Chartier, 1985] ? Précisons d’abord que les économistes ne sont évidemment pas les seuls à intervenir dans les débats relatifs aux chemins de fer. Les cheminots, par le biais des syndicats, mais aussi les dirigeants de la SNCF, les élites politico-administratives nationales et européennes, ou encore les voyageurs, par le biais d’associations d’usagers, sont autant d’acteurs impliqués dans les restructurations, présentes et passées, du secteur. Il nous semble néanmoins légitime de répondre à la question, d’autant que le secteur est réputé avoir intéressé de longue date nombre d’économistes célèbres, notamment Léon Walras (1834-1910), Clément Colson (1853-1939), ou encore Maurice Allais (1911-2010). Tous ont donné leur point de vue sur les règles de bonne administration des chemins de fer français. Une étude portant sur le rôle des économistes, considérés de manière globale, sur le secteur ferroviaire nous a semblé à ce stade trop ambitieuse et difficile à tenir, au regard des contraintes de place et de la dimension résolument empirique inhérente à toute démarche sociologique. C’est pourquoi nous avons fait le choix de nous restreindre aux contributions de la « théorie du rendement social » de Maurice Allais, un économiste qui a joué un rôle éminent dans les restructurations de la SNCF, en particulier celles qui débutent au début des années 1960 et s’intensifient à la fin des Trente Glorieuses.
4Étudier le rôle de la théorie économique et des économistes dans le fonctionnement de l’activité économique n’est pas une thématique nouvelle pour la sociologie. Citons l’étude de Marie-France Garcia [1986] sur les « effets de théorie » de l’économie néoclassique sur un marché de fraises en Sologne ou les travaux de Michel Callon [1998] et ses continuateurs réinterprétant le principe, issu de la linguistique, de « performativité » [4]. Les tenants de la théorie de l’acteur-réseau soulignent que, loin de se contenter de décrire le monde, les sciences économiques contribuent aussi à le constituer, à le transformer, en particulier par le biais des équipements technologiques et matériels (logiciels, algorithmes, architecture de l’espace où l’offre et la demande se rencontrent, etc.) qui le composent. Si le principe de « performativité » revêt un intérêt évident, notre article ne mobilise pas cette notion [5]. Il s’agit plutôt pour nous d’interroger les conditions sociales, au sens large, qui expliquent que certaines des propositions avancées par Maurice Allais aient des airs de prophétie auto-réalisatrice. Partisan d’une démarche explicative pluraliste, nous montrons que tout processus social s’inscrit dans un espace socialement et historiquement situé, qui limite le pouvoir des acteurs [6]. La parole d’un économiste (ou d’un groupe d’économistes) s’inscrit dans un contexte singulier qui mêle à la fois de l’économique, du politique, du technique, de l’idéologique, etc., ce qui nous rappelle que toute pratique doit être traitée comme un fait social total [Bourdieu, 2000, p. 11]. Elle doit aussi être resituée dans un champ de forces particulier ; ici, celui du secteur ferroviaire. Dans ce cas, comme on pourrait le montrer pour d’autres, Maurice Allais et les économistes « allaisiens » ne disposent que d’une prise limitée sur un espace social dans lequel des acteurs aux intérêts divergents luttent pour défendre et imposer leur vision du monde.
5Dans cet article, nous présentons d’abord les idées de Maurice Allais en matière ferroviaire à travers l’étude d’un article qu’il a consacré à la coordination rail-route en France. Nous tentons alors, d’une part, de déterminer précisément dans quelle mesure les recommandations qu’il a faites pour la SNCF correspondaient aux transformations des chemins de fer français au cours des décennies d’après-guerre, d’autre part, d’évaluer ce que l’entreprise publique doit effectivement à la théorie de cet économiste. Dans un deuxième temps, nous interrogeons les conditions sociales de réalisation du discours. La crise du secteur ferroviaire, concurrencé par la route, la légitimation de la connaissance économique comme outil d’action publique et l’évolution des catégories de pensée au sein des hautes sphères de l’État sont autant de facteurs sur lesquels Maurice Allais et ses élèves ont eu peu de prise, mais qui, durant les Trente Glorieuses, ont favorisé le développement de la pensée marginaliste comme outil d’analyse et d’intervention dans l’administration et les entreprises contrôlées par l’État. Enfin, dans une troisième partie, nous portons un regard plus spécifique sur les propriétés sociales des acteurs et les jeux de lutte dans le secteur ferroviaire. Le « pouvoir symbolique » [Bourdieu, 1994] qu’Allais doit à son appartenance à un grand corps de l’État, ainsi que les relations privilégiées qu’il entretient avec une frange de la direction de l’entreprise ont sans aucun doute participé à légitimer la théorie du rendement social. Mais l’apparente efficacité de sa théorie doit également beaucoup à l’évolution des rapports de force dans la SNCF qui, du fait de la moindre combativité des syndicats et d’une lente transformation de l’état-major de l’entreprise, a favorisé l’orientation libérale de la gestion du secteur.
2 – Quelle influence de la théorie du rendement social ?
6L’« ingénieur-économiste [7] » Maurice Allais (1911-2010) est l’auteur d’une importante contribution ayant pour objet la question de l’allocation optimale des ressources. Sa théorie du rendement social (ou théorie de l’efficacité maximale), pour laquelle il obtiendra un « prix Nobel » en 1988, est pour la première fois formulée en 1943 dans son ouvrage À la recherche d’une discipline économique, puis à nouveau en 1945 dans Économie pure et rendement social. Cette théorie « pure » de portée générale, qui étudie les moyens d’allouer de manière optimale les ressources de la société, doit servir de guide pour l’organisation de l’économie réelle [Diemer, 2011]. Allais dégage ainsi de ses travaux une série de recommandations pour différents secteurs de l’économie française. Il faut, selon l’économiste, se défaire du vieux libéralisme manchestérien qui prône coûte que coûte le laisser-faire [Allais, 1945a]. Mais il faut aussi écarter l’idéologie planiste en pleine expansion depuis au moins les années 1930 et qui tend à prévaloir dans les entreprises publiques [Kuisel, 1984]. Selon Maurice Allais, le meilleur régime économique, en particulier dans le contexte où la France tente difficilement de se relever et de réparer les dommages causés par la guerre, est la « planification concurrentielle », c’est-à-dire la « concurrence par les prix » sous contrôle de l’État [Diemer, 2011]. Cette analyse ne signifie pas pour autant que les entreprises publiques doivent disparaître. L’économiste distingue en effet clairement la propriété du capital (public/privé) de la technique de marché (prix administrés/prix libres) et rappelle que certains secteurs sont « naturellement » monopolistiques [8]. En revanche, rien n’interdit à l’État de simuler le marché dans les entreprises dont il a la propriété ; bien au contraire. C’est dans ce dessein qu’Allais propose de « soumettre les entreprises nationalisées au même régime de concurrence que les entreprises privées dans des conditions d’égalité et leur appliquer strictement les mêmes règles de gestion » [Allais, 1947, p. 613], afin de maximiser le rendement social, qui est pour l’économiste synonyme d’intérêt général [Allais, 1948].
2.1 – La coordination rail-route selon Maurice Allais
7Maurice Allais avance, dans un long article intitulé « Le problème de la coordination des transports et la théorie économique » publié en 1948 dans la Revue d’économie politique (désormais noté REP), une série de propositions visant à résoudre les problèmes de gestion des chemins de fer en France [9]. Dans cet article, Maurice Allais rappelle que le rail est un secteur où « l’optimum de production » est atteint quand une seule entreprise est présente sur le marché. Concrètement, il est moins coûteux de construire un réseau avec une seule compagnie que plusieurs réseaux parallèles gérés par une multitude d’entreprises privées. Maurice Allais est donc favorable au monopole de la SNCF, mais une telle organisation économique du secteur produit des effets indésirables. Rappelant que « l’optimum de gestion est automatiquement réalisé dans une économie concurrentielle […] où les entreprises recherchent à chaque instant le revenu maximum et se font concurrence » [REP, 1948, p. 215], il soutient que le défaut de concurrence provoque un manque d’émulation au sein de l’entreprise publique. La SNCF est selon lui « une structure autoritaire qui paralyse l’initiative et l’effort » [ibid., p. 219]. C’est pourquoi il serait souhaitable de la réformer en profondeur. Maurice Allais propose en ce sens d’adopter trois types de mesures. La première concerne la politique tarifaire. Il faut autoriser la SNCF à fixer ses prix en fonction de ses « coûts marginaux [10] » et abandonner la tarification actuelle qui, selon Maurice Allais, n’est basée sur aucun fondement économique et ruine l’entreprise. La SNCF est en effet concurrencée par les transporteurs routiers qui s’emparent des marchés les plus rentables et abandonnent à l’entreprise les autres lignes [11]. Dès lors, il en résulte un nouvel équilibre pour chaque segment, selon que les coûts d’exploitation sont supérieurs ou pas à ceux du transport routier : soit le ferroviaire disparaît totalement, soit le transport routier s’efface, soit un équilibre entre les deux modes de transport est atteint. La seconde mesure, qui fait l’objet d’un moindre développement dans l’article d’Allais, mais qui est directement liée à la première proposition, concerne l’organisation interne de l’entreprise : la SNCF a besoin d’une « réforme des structures », qui passerait par la constitution à l’intérieur de la SNCF d’« unités administratives indépendantes ayant chacune leur existence propre » en vue de « réaliser une concurrence artificielle » [ibid., p. 218]. Puisque le secteur ferroviaire est « naturellement » monopolistique, il faut simuler le marché en mettant en concurrence les différentes branches ou activités de l’entreprise. Enfin, Maurice Allais propose de réformer le modèle de rémunération de la SNCF, qu’il juge inadapté et entravant la bonne gestion du secteur. L’économiste recommande d’introduire une part variable dans le salaire, qui serait basée sur les résultats de l’entreprise ou du service où travaille chaque salarié [12]. La proposition fait l’objet d’une courte réflexion en début d’article, mais est peu étayée dans la suite du texte.
2.2 – L’influence de la théorie d’Allais, un phénomène difficile à saisir
8Reprenons chacune de ces trois propositions afin de déterminer dans quelle mesure l’on peut repérer des réformes à la SNCF qui pourraient avoir été inspirées par Maurice Allais. En matière tarifaire, on observe effectivement de profondes transformations au cours des décennies d’après-guerre qui s’apparentent aux propositions de l’article de l’économiste. Au cours des années 1950-1960, le prix du transport ferroviaire de marchandises, qui est depuis au moins le début du xxe siècle calculé ad valorem – c’est-à-dire à partir de la valeur des marchandises –, est lentement remplacé par une tarification basée sur le coût marginal [13]. Pour le transport des voyageurs, le principe d’un prix kilométrique uniforme (système de « péréquation ») prévaut durant les Trente Glorieuses. Mais au cours des années 1970, la SNCF décide de moduler les tarifs des billets des trains nationaux de manière à ce que le prix payé se rapproche davantage des coûts marginaux [14].
9En ce qui concerne l’organisation interne de l’entreprise, il existe une analogie évidente entre les propositions d’Allais et le processus de filialisation des activités de la SNCF qui a débuté il y a maintenant plus de quarante ans. Dans le cadre de la réforme de structure de 1969, la SNCF choisit de reporter une partie de ses activités comme la Sernam (Service national de messagerie), la SCETA (transport routier) ou encore la Stef (transport ferroviaire de denrées périssables) qui viennent concurrencer les activités de la société-mère et permettent de souligner les différences de coûts pour un même service rendu. Cette stratégie, qui prévaut toujours aujourd’hui, a donné lieu dans les années 2000 à la création de nouvelles sociétés privées de transport ferroviaire de marchandises (VFLI, Naviland Cargo) et de voyageurs (iDTGV) dont la SNCF est l’unique propriétaire. Mais les propositions de Maurice Allais s’apparentent encore davantage au redécoupage de la SNCF en activités, dont il fut question dans les années 1970 [Ribeill, 1984, p. 43], mais qui ne fut institué que très récemment. Aujourd’hui, le « groupe SNCF » – c’est-à-dire à la fois l’établissement public et les filiales de droit privé dont il est propriétaire – est organisé en branches autonomes, de telle sorte qu’il est possible de déterminer précisément ce que coûte et rapporte chaque activité.
10En matière de salaires, il est en revanche plus difficile de repérer des réformes à la SNCF se conformant aux recommandations de Maurice Allais. Alors que pour l’économiste, « il ne devrait pas y avoir d’obstacle à ce que l’on puisse faire fortune dans une carrière fer, aussi bien que dans une carrière du secteur concurrentiel » [REP, p. 219], jusqu’à très récemment, la logique de rémunération qui s’appliquait à la SNCF est à peu près celle qui prévalait déjà dans l’immédiat après-guerre. Proche du modèle de calcul de la paie des fonctionnaires, le salaire des cheminots est obtenu en multipliant un indice (qui dépend de la qualification, de la position et de l’échelon occupés dans l’entreprise) par la valeur du point d’indice [Andolfatto et al., 2012]. Il est vrai que la SNCF instaura des « primes de rendement » dans les années 1950. Mais elles furent limitées, dénoncées par les syndicats car reposant sur des critères obscurs, puis abandonnées rapidement [Ribeill, 1984, p. 80]. Ce n’est qu’à partir du milieu des années 1990 que la SNCF a véritablement favorisé le développement de la culture du résultat et, en ce sens, a promu les parts variables basées sur le mérite individuel. Celles-ci représentent aujourd’hui une part relativement symbolique pour les agents de l’exécution, mais croissent au fur et à mesure que l’on monte dans la hiérarchie et peuvent atteindre 50 % de la rémunération des cadres dirigeants de l’entreprise ferroviaire [Andolfatto et al., 2012, p. 3].
11Un bilan nuancé peut être tiré de la comparaison fine entre les propositions de Maurice Allais et les transformations concrètes de l’entreprise ferroviaire. Tandis que certaines analogies sont évidentes – c’est par exemple le cas pour la tarification et, dans une moindre mesure, pour la réorganisation interne de la SNCF –, d’autres sont moins flagrantes et doivent sans doute être analysées à la lumière de mécanismes différents. À notre avis, il faut ainsi comprendre l’introduction du salaire variable à la SNCF comme le résultat du développement du new public management dans les administrations et les entreprises publiques à partir des années 1990 [Bezes, 2009] et non comme l’expression d’un quelconque pouvoir d’influence direct de Maurice Allais [15]. De la même manière, si les réorganisations récentes de la SNCF évoquent par certains aspects les recommandations d’Allais, il faut peut-être aussi y voir une réaction de la SNCF visant à faire face à la libéralisation européenne du secteur ferroviaire ayant débuté dans les années 1990. On comprend ici qu’étudier les mutations d’une entreprise publique comme la SNCF à la lumière du pouvoir d’influence pose la question de l’historicité des changements. À la fin des années 1980, lorsqu’il obtient le prix Nobel d’économie, Maurice Allais n’est déjà plus « dans le jeu » de l’économie [16]. Dès lors, peut-on dire qu’il fait l’économie ferroviaire, quand bien même les idées qu’il a insufflées plusieurs décennies auparavant ont mûri, ont été retravaillées et modifiées par certains de ses « disciples » comme Jean Tirole [17], et ont fini par prendre vie, sous des formes hybrides, à la SNCF ? Étudier empiriquement le pouvoir indirect de transformation du monde d’un individu est particulièrement ardu. C’est pourquoi nous préférons nous contenter d’étudier l’influence directe de Maurice Allais sur l’économie ferroviaire.
12Ce parti pris épistémique ne résout néanmoins que partiellement le problème auquel nous sommes confrontés, car s’il existe des similitudes établies entre les recommandations de Maurice Allais et les transformations de la gestion de la SNCF, rien ne prouve d’emblée que ces dernières résultent effectivement d’une application de la théorie du rendement social. Pour le dire autrement et nuancer notre propos, l’isochronie du discours porté par Allais et de certaines transformations économiques dans le secteur ferroviaire ne permet pas de déterminer le poids précis de l’économiste dans le processus de prise de décision qui amène au changement. D’autres acteurs (économistes libéraux ou keynésiens, hauts fonctionnaires, personnel politique, groupes de pression, etc.) émettent des idées qui peuvent être semblables, analogues ou différentes de celles d’Allais, mais qui, en tout cas, pèsent elles aussi, d’une manière ou d’une autre, sur les choix stratégiques de la SNCF. Le passage de l’idéel au réel, de la théorie à la pratique, n’est donc en rien mécanique, et ses modalités ne sont pas évidentes à saisir. D’où la nécessité de rompre avec le sens commun et d’examiner avec précaution les analyses spontanées des acteurs du secteur ferroviaire qui ramènent tout ou presque à l’influence de quelques économistes de renom, pourvu que leurs idées concordent avec la stratégie de la SNCF, à une époque ou une autre.
13Nous reconnaissons volontiers que la place à accorder à Maurice Allais dans l’histoire des chemins de fer français est singulière. D’une part, ses principales contributions à l’économie appliquée concernent le secteur des transports et celui de l’énergie [Boiteux, 2010, p. 215]. D’autre part, plusieurs témoignages attestent de l’« influence considérable » [Etner, 1987, p. 267] de sa pensée sur le mode de gestion des entreprises publiques. Marcel Boiteux souligne à ce titre que « la principale contribution de Maurice Allais à la théorie économique […] est peut-être d’avoir formé au calcul économique toute une série d’élèves » [Boiteux, 2010, p. 215] amenés à occuper des postes importants dans les ministères et les entreprises publiques, dont la SNCF [Boiteux, 1993]. Mais l’influence de la théorie du rendement social ne s’est pas construite ex nihilo. Pour comprendre le pouvoir qu’a pu exercer Allais sur le secteur ferroviaire, il faut examiner l’état de la demande ; ou, pour le dire autrement, le contexte de réception des idées de l’économiste par la société civile et le pouvoir politique.
3 – Le contexte économico-idéologique des restructurations de la SNCF
14La théorie du rendement social de Maurice Allais doit a minima être replacée dans un triple « contexte », notion qui est « à la fois l’une des plus floues et l’une des plus utiles » [Lahire, 1996, p. 390] en sciences sociales : une crise du ferroviaire face au développement d’un autre mode de transport, l’imposition d’un nouveau référentiel idéologique en matière de « services publics », et la diffusion de la discipline économique dans le corps social et les sphères de l’État. Ces trois dimensions ne sont pas de simples éléments qui viendraient tempérer ou renforcer l’action de l’économiste. Elles constituent au contraire la structure qui permet, au même titre que l’action des individus, de s’enquérir de « la raison des choses », c’est-à-dire de « connaître non pas seulement comment les choses sont, mais pourquoi elles sont de telle façon plutôt que d’une autre » [Cournot, 1851, p. 21]. Dans notre raisonnement, la nature même d’une action ne peut donc être comprise en dehors du contexte qui la rend possible.
3.1 – Concurrence de la route et crise du ferroviaire
15Si la théorie de Maurice Allais trouve un écho dans le secteur ferroviaire, c’est d’abord parce qu’elle réussit à apporter un remède à un problème jugé insoluble pour la SNCF. Alors que, depuis au moins la fin du xixe siècle, les chemins de fer détiennent le quasi-monopole des transports, on assiste à partir des années 1940 à un déclin – relatif pour les voyageurs et même absolu pour le fret – de l’activité ferroviaire [Crozet, 2004, p. 13], au profit du transport routier. En difficulté du fait de la remise en cause de son monopole en matière de transport, mal protégée par la loi de 1949 sur la coordination des transports et incapable de faire face aux groupes de pression représentant les intérêts de la route [Thouzeau, 2004], la SNCF se trouve confrontée à de graves déficits budgétaires, d’autant que, comme pour les autres « industries de réseau » (électricité, gaz, télécommunications, postes, etc.), le secteur ferroviaire se caractérise par des coûts fixes élevés et par des rendements croissants.
16La concurrence routière se fait en deux temps. Elle concerne initialement le transport de marchandises, le parc de camions passant ainsi de 7 900 unités en 1920 à 480 000 en 1934 [Bessay, 1989, p. 6]. À de nombreux points de vue, le secteur ferroviaire est en effet moins compétitif que le transport par camion. Obligée de suivre le tracé du réseau, il est par exemple difficile pour la SNCF de proposer des services de porte-à-porte rapides et à des prix inférieurs à ceux de la route. Par ailleurs, conformément aux règles définies par son cahier des charges, l’entreprise publique est contrainte de respecter les principes d’égalité de traitement (quels que soient les prix de revient) et d’obligation de transporter (même si l’entreprise perd de l’argent en proposant le service). Le développement de l’automobile de masse dans les années 1950-1960 affecte également le transport ferroviaire de voyageurs, renforçant la crise de financement de l’entreprise. Les réponses proposées par Maurice Allais, qui visent à révéler les prix du transport ferroviaire en tarifant au coût marginal, à abandonner un segment de transport aux transporteurs routiers dès lors que les coûts d’exploitation sont trop élevés ou, à la rigueur, à développer de nouvelles filiales, sur route ou sur rail, afin de récupérer les activités abandonnées par la SNCF, ont pu être perçues comme un moindre mal par les pouvoirs publics.
3.2 – Dépenser sans compter ? Un tournant « modernisateur » dans l’administration française
17L’adoption des réformes proposées par Maurice Allais est aussi liée à l’évolution des catégories de pensée de la sphère politico-administrative et à ses effets sur la définition d’un « service public » de transport. Revenons au sortir de la Seconde Guerre mondiale, lorsque tous les efforts du système productif sont tournés vers la reconstruction et l’expansion économique du pays, emmenée par l’« apôtre de la productivité » Jean Fourastié [Boulat, 2008]. Dans le cadre de la politique de planification, des investissements massifs sont engagés dans quelques secteurs stratégiques, dont les chemins de fer [Kuisel, 1984, p. 384]. À l’époque, la SNCF propose des services de transport indépendamment (ou presque) de toute sanction du marché, et sans se soucier véritablement de l’équilibre budgétaire de l’entreprise, ce qui implique des déficits d’exploitation importants. Et d’ailleurs, il est difficile de gérer l’entreprise autrement, compte tenu de l’indigence de sa comptabilité qui est à l’image de la comptabilité nationale de l’époque [Fourquet, 1980]. Ce qui compte alors, c’est de proposer un service de transport de qualité – c’est-à-dire régulier et assurant la sécurité des voyageurs – et de faire circuler chaque année davantage de trains. On comprend ici pourquoi, à cette époque, la thèse de Maurice Allais selon laquelle tarifer au coût marginal et filialiser l’entreprise permet de mieux allouer les ressources de l’entreprise et évite ainsi l’« abaissement du niveau de vie national » [REP, p. 238] n’est pas écoutée [18]. La plupart des hauts fonctionnaires du ministère des Transports, ainsi que les ingénieurs de la SNCF semblent alors s’accommoder de cette politique de rendement. Et seules quelques voix, issues principalement du Commissariat général au Plan et du Service des études économiques des financières (SEEF) du ministère des Finances, s’élèvent contre l’organisation des entreprises et administrations publiques, qu’ils jugent bureaucratiques, routinières et « antiéconomiques » [Terray, 2002] [19].
18La lente pénétration des idées « modernisatrices » – ou « néolibérales [20]» – au sein de l’administration et l’extension de l’aire d’influence du ministère des Finances sur les ministères techniques (dont le ministère des Transports) au cours des années 1960 changent néanmoins la donne. Loin d’être un phénomène isolé, le processus de rationalisation des coûts et d’introduction des mécanismes de marché à la SNCF s’inscrit dans les mutations plus larges qui touchent les entreprises publiques et l’appareil administratif. L’État, dit-on, doit être plus efficace et, en ce sens, contraindre les entreprises publiques à assainir leurs comptes, à s’autonomiser financièrement et à assouplir leurs statuts. C’est également dans ce contexte politique que le modèle classique de planification est ébranlé et que l’État contractualise ses rapports avec les grandes entreprises publiques, dont la SNCF.
19Le contrat État-SNCF, qui couvre la période 1969 à 1973, procède ainsi à une diminution des subventions tout en consentant à une plus grande liberté tarifaire, l’objectif étant le retour à l’équilibre budgétaire de l’entreprise ferroviaire [Bessay, 1989, p. 16]. Le contrat de programme signé en 1970 par Électricité de France (EDF) marque pour le secteur électrique un tournant similaire : l’autonomie de gestion d’EDF est accrue et l’entreprise est incitée à développer une politique commerciale, en jouant sur les tarifs et en s’appuyant sur des campagnes de promotion en faveur du « tout électrique » [Dubois, 1974, p. 62 ; Picard et al., 1985, p. 218-226]. Les PTT (Postes, télégraphes et téléphones), administration publique réputée rigide et inefficace, font également l’objet de profondes mutations. Entre 1968 et 1973, ses activités commerciales sont développées, de nombreux bureaux de poste en zone rurale sont fermés et les receveurs des Postes sont incités financièrement à adopter un comportement commercial à l’égard des « usagers » [Join-Lambert, 2001, p. 180-205].
3.3 – Diffuser le « savoir économique » : l’apprentissage du marché
20La transformation, lente mais profonde, de la politique économique des transports n’aurait pu se faire sans une évolution des mentalités du personnel politique et administratif [21]. « L’apprentissage de l’économie et, à travers celui-ci, […] la socialisation aux “mécanismes de marché” » [Lebaron, 2009, p. 277] est ainsi au cœur du processus de transformation de l’ordre symbolique qui prévaut au sein de l’État. Maurice Allais, très lucide, soulignait à ce titre « l’éducation économique insuffisante des cadres politiques » [REP, p. 251] en France et la nécessité préalable de les former à la théorie économique pour faire passer ses idées. La culture économique tend cependant à se diffuser à partir des années 1950, à la fois par l’intermédiaire du développement des politiques de planification et par le biais de l’action pédagogique de quelques technocrates et hommes politiques. L’ouvrage La science économique et l’action de Pierre Mendès-France, alors président du Conseil, et Gabriel Ardant, inspecteur général des Finances et commissaire général à la productivité, publié en 1954 sous l’égide de l’Unesco, témoigne de ce travail de vulgarisation de la théorie économique [22]. L’objectif explicite du livre est d’« enseigner au grand public » [Mendès-France, Ardant, 1954, p. 11] ce qu’est l’économie [23]. En effet s’il importe évidemment que les dirigeants soient imprégnés de ces idées, « dans un monde démocratique, on ne peut convaincre les chefs si l’on ne persuade pas d’abord ceux dont ils dépendent » [op. cit., p. 230]. Bien que ne faisant pas appel aux outils mathématiques, les analyses économiques de Mendès-France et Ardant concernant les entreprises publiques sont proches de celles d’Allais et viennent amplifier le message porté par l’ingénieur-économiste. Les nationalisations d’après-guerre sont ainsi vivement critiquées : protégées de toute sanction du marché, les entreprises publiques ne cherchent pas à réaliser des profits et, ce faisant, fixent leur prix de vente indépendamment de toute base rationnelle, ce qui est particulièrement néfaste pour l’économie du pays. C’est pourquoi les deux économistes suggèrent d’« analyser les différents mécanismes de l’économie libérale et (de) rechercher, pour chacun d’eux, comment il est possible de le remplacer » dans les entreprises publiques, pour reconstituer « une sorte de concurrence entre les usines ou les ateliers » [op. cit., p. 216].
21D’autres économistes, en particulier Jean Fourastié [Boulat, 2008] et Alfred Sauvy, ont contribué à la promotion de la théorie économique comme « savoir de base » en France. Ce faisant, ils ont rendu compréhensibles et potentiellement acceptables les implications de la théorie du rendement social [24]. Ce phénomène fut par ailleurs favorisé, dans les années 1960-1970, par une alliance entre les ingénieurs des grands corps et certains économistes-mathématiciens, lesquels réussirent à imposer auprès des pouvoirs publics leur expertise et leurs experts en matière de politique des transports [Thoenig, Despicht, 1975, p. 400]. On voit donc comment, loin d’être isolées, les propositions de Maurice Allais participent d’un mouvement plus large de constitution d’un nouveau savoir reposant sur « la théorie économique » et au service de la décision politique. Il faut donc admettre ici que l’ingénieur-économiste Allais a peu de prise sur ce nouvel ordre du monde, quand bien même il serinerait son message ad infinitum. D’une certaine manière, on peut donc dire que, en matière économique, « les structures sociales sont plus puissantes que les acteurs qui les portent » [Vatin, 1990, p. 8]. Mais nous pensons aussi que ces « structures » constituent une condition nécessaire mais non suffisante pour expliquer le changement : les acteurs et le jeu social qui résulte de leur interaction concourent pleinement à transformer les différentes sphères d’activité, dont le secteur ferroviaire. D’où la nécessité de se pencher sur les conditions sociales de l’efficacité du discours d’Allais dans le « champ ferroviaire ». Nous montrons dans la troisième partie que l’influence de la théorie du rendement social peut être saisie au regard des propriétés sociales de l’ingénieur-économiste ainsi que de celles des dirigeants de la SNCF. Les rapports de force dans l’entreprise – entre les forces syndicales et la direction, mais aussi au sein même de ces deux groupes sociaux – doivent par ailleurs être pris en compte.
4 – Pouvoir symbolique d’Allais et rapports de forces à la SNCF
4.1 – Grandes écoles, esprit de corps et habitus polytechnicien : les fondements du pouvoir symbolique de l’ingénieur Allais
22Si l’activité de production théorique constitue sans aucun doute l’aspect le plus valorisé du travail des économistes académiques, il nous semble pour autant important de considérer également le travail de « persuasion » en aval, moins visible mais tout aussi essentiel dès lors que l’on veut comprendre comment la discipline économique peut modifier la réalité sociale. Le pouvoir d’influence des économistes n’est pas également distribué. Il dépend au contraire de leur autorité et de leur légitimité sociale dans le champ académique, ainsi que dans les autres espaces sociaux où ils sont amenés à intervenir : champ du pouvoir économique et champ du pouvoir étatique. D’où la nécessité d’examiner les trajectoires et les ressources matérielles, relationnelles et symboliques de Maurice Allais.
23L’auteur de la théorie du rendement social est diplômé de l’École polytechnique (X), la plus illustre des écoles d’ingénieurs dans le « champ des grandes écoles » [Bourdieu, 1989]. Il est aussi ingénieur du corps des Mines (Mines), qui est le corps technique le plus prestigieux – devant les Ponts et Chaussées (Ponts) – dans la hiérarchie éminemment symbolique de la haute fonction publique. Le pouvoir qu’Allais tire de l’excellence de son parcours scolaire lui assure l’accès à des tribunes de premier choix pour diffuser sa théorie. Il fut ainsi professeur d’analyse économique à l’École des mines à partir de 1944 ; un poste particulièrement stratégique si l’on sait, d’une part, que le passage par les grandes écoles est la voie d’accès obligée pour atteindre les sommets de l’État ou bien diriger une entreprise publique, et que, d’autre part, une fois engagés dans leurs carrières au sein de l’administration ou de l’industrie, les étudiants formés par les professeurs agissent souvent en large conformité avec l’enseignement qu’ils ont reçu [Kuisel, 1984, p. 36]. Maurice Allais bénéficia par ailleurs de la crise de la vieille économie libérale, professée par Clément Colson puis par son élève François Divisia dans les grandes écoles d’ingénieurs. La nouvelle génération d’économistes polytechniciens est à la recherche d’une théorie moins « idéologique », plus mathématique, qu’ils trouvèrent dans la théorie du rendement social. Allais constitua ainsi très vite autour de lui un petit groupe de jeunes auxquels il communiqua son enthousiasme pour l’économie « néomarginaliste » et qui, à leur tour, propagèrent la parole du maître dans les administrations et les entreprises publiques. Marcel Boiteux, élève de Maurice Allais, vante ainsi dès les années 1950 à l’École nationale des ponts et chaussées les vertus de la tarification au coût marginal dans les monopoles publics. La diffusion de la théorie du rendement social, se fait aussi par l’intermédiaire du Groupe de recherches économiques et sociales (GRECS), un séminaire qu’il fonde en 1945 et où se côtoient des dirigeants d’entreprises, des hommes politiques, des hauts fonctionnaires, des syndicalistes, mais aussi des étudiants qui conversent de grandes questions économiques d’après-guerre, notamment de la politique des transports et de la SNCF [Laudereau, Diemer, 2010].
24Être polytechnicien du corps des Mines, c’est aussi être doté d’un « capital social » – que l’on peut définir comme l’ensemble des ressources utiles qu’un individu peut mobiliser par le biais de son réseau relationnel [Bourdieu, 1980] – particulièrement volumineux. Socialisés à l’occasion de leur passage dans les grandes écoles, les polytechniciens et, plus encore, les membres de l’« aristocratie » X-Mines se connaissent, se fréquentent, font preuve d’un esprit de camaraderie et d’une certaine forme de solidarité [Bourdieu, 1989]. L’esprit de corps des ingénieurs des grands corps techniques et les liens interpersonnels que Maurice Allais entretient avec d’anciens camarades de classe, devenus depuis hauts fonctionnaires ou grands patrons de sociétés publiques ou privées, facilitent indéniablement le travail de diffusion de la théorie du rendement social [Denord, 2007, passim] [25]. Dans les années 1950, son ami et camarade de promotion Roger Hutter (X-Mines), qui occupe alors un poste de directeur à la SNCF, et son élève Roger Guibert (X-Ponts), ingénieur en chef à la direction commerciale, recommandent ainsi en interne l’adoption d’une tarification au coût marginal et souligne la nécessité pour l’entreprise d’opérer un vrai tournant commercial [26].
25Il existe par ailleurs entre Maurice Allais et ses élèves qui l’aident à diffuser ses idées d’une part, et les dirigeants de la SNCF d’autre part, une forme d’homologie de leurs propriétés sociales qui facilita probablement la diffusion de la théorie du rendement social. Au cours des décennies d’après-guerre, la compagnie ferroviaire est en effet tenue par des ingénieurs, formés la plupart du temps à l’École polytechnique ; et l’appartenance au corps des Mines ou à celui des Ponts et Chaussées est une condition sine qua non pour accéder à l’état-major de l’entreprise. Il existe à ce titre un système de dispositions commun aux ingénieurs-cheminots de la SNCF et aux ingénieurs-économistes, que l’on peut qualifier d’« habitus polytechnicien », dont l’une des caractéristiques est le souci de formaliser les questions techniques ou économiques en vue de leur résolution par le calcul. Et l’on peut supposer que de telles dispositions communes favorisèrent la pénétration des idées d’Allais à la SNCF, de la même manière qu’elles trouvèrent un écho dans l’EDF des années 1950, entreprise peuplée d’ingénieurs des grands corps [Picard et al., 1985] et qui bénéficiait d’un relais in situ par l’intermédiaire des directeurs Pierre Massé et Gabriel Dessus, deux ingénieurs-économistes allaisiens.
4.2 – Crise du syndicalisme et nouveaux dirigeants : le tournant technocratique de la SNCF
26Pour autant, l’introduction d’une tarification des transports ferroviaires au coût marginal et la réorganisation interne de la SNCF ne se sont pas imposées d’emblée dans l’entreprise. Comme le constate Maurice Allais lui-même, d’un bout à l’autre de la hiérarchie de la SNCF, il existe à la fin des années 1940 une opinion dominante relativement hostile aux recommandations qui découlent de la théorie du rendement social. L’instauration de telles réformes concourt en effet à remettre en cause la « tranquillité » et la « prospérité » de l’entreprise. Elle ébranle la « doctrine de la SNCF » [REP, p. 259 sq.]. Et quand bien même les dirigeants de la SNCF partageaient majoritairement ses analyses et ses recommandations, comme l’affirme l’économiste – ce qui reste à prouver [27] –, toute tentative de réforme doit faire face à une hostilité de la part des cheminots. Les agents de la SNCF jugent en effet immuable le principe d’égalité de traitement des usagers face au service public de transport (péréquation) que viendrait remettre en cause la tarification au coût marginal ; ils sont par ailleurs opposés à toute forme de concurrence, fût-elle artificielle, comme c’est le cas avec la filialisation des activités de l’entreprise. Cette objection de principe aux recommandations de la théorie allaisienne est l’expression d’une culture cheminote, particulièrement prégnante dans l’entreprise, qui s’est construite contre le modèle du marché de libre concurrence. Elle est renforcée par la puissance du syndicalisme dans le secteur ferroviaire. Réputés combatifs, les cheminots ont largement contribué à l’histoire du mouvement ouvrier [Jacquet, 1967], et en 1953, près de 40 % des agents de la SNCF sont syndiqués à la CGT (Confédération générale du travail) [Ribeill, 1984, p. 111]. Les dirigeants de la SNCF sont conscients de la capacité d’action des cheminots, lesquels n’hésitent pas à exprimer leur mécontentement à travers de grands mouvements de grève, comme ceux qui jalonnent la fin les années 1940.
27Pourtant, doucement, les transformations du secteur ferroviaire se sont imposées, sans doute favorisées par le double mouvement d’érosion du taux de syndicalisation et de transformation du personnel dirigeant de la SNCF – qui s’inscrit plus largement dans le processus de renouvellement de la direction des entreprises publiques en faveur des ingénieurs-économistes et des promoteurs du calcul économique [Etner, 1987]. Le renouvellement de la stratégie d’entreprise de la SNCF débute timidement en 1949 avec l’arrivée d’une nouvelle équipe, dirigée par Pierre Tissier (président) et Louis Armand (directeur général), qui marque le début d’un tournant technocratique à la SNCF [Ribeill, 1984]. Les ingénieurs ferroviaires nouvellement promus à la tête de l’entreprise restent, comme leurs prédécesseurs, intéressés par la résolution de problèmes techniques liés à la traction, à l’adhérence des roues sur les rails ou à l’entretien du ballast. Mais la direction met désormais un point d’honneur à présenter les enjeux stratégiques de l’entreprise sous un jour plus économique. C’est cependant à partir de la fin des années 1960, après que Roger Guibert a accédé à la direction générale de la SNCF et Roger Hutter au poste de directeur général adjoint, que s’impose véritablement à la SNCF une nouvelle génération de dirigeants intéressés par le calcul économique et soucieux de revoir en profondeur la stratégie de l’entreprise [Finez, 2012]. La direction de l’entreprise publique bénéficie en outre de la crise du syndicalisme touchant une corporation jusqu’alors fortement organisée [28]. La remise en cause de la puissance des syndicats, qui résulte de multiples facteurs (tendance générale à la désyndicalisation tous secteurs confondus, mais aussi renouvellement des profils du personnel recruté d’un bout à l’autre de la hiérarchie de l’entreprise), autorise les partisans de la réforme libérale à réorganiser la SNCF, donnant à certains l’illusion que Maurice Allais a fait l’économie ferroviaire en la disant. Une étude de cas précise témoigne en réalité de logiques plus complexes, que l’on ne peut comprendre si l’on détache les actions et les idées de Maurice Allais des contextes et des rapports sociaux dans lesquels elles se déploient.
5 – Conclusion
28En partant de l’étude des mutations de la SNCF d’après-guerre et d’une série de recommandations édictées par l’économiste Maurice Allais dans un article de la Revue d’économie politique, nous avons tenté de comprendre dans quelle mesure et à travers quels mécanismes un économiste (ou un groupe d’économistes) peut transformer la réalité économique. Après un premier examen, force est de constater que tout se passe comme si Allais avait été écouté et avait réussi à transformer le modèle de gestion de l’entreprise ferroviaire. Les restructurations de la SNCF, cas exemplaire du pouvoir d’influence des théories économiques ? Maurice Allais, principal instigateur des transformations d’une entreprise publique ? Un processus social est en réalité un fait social difficile à analyser et qui, pour différentes raisons, ne peut se résumer à une simple constatation des correspondances historiques entre la réalité sociale et la théorie normative d’un économiste. Cette assertion prend d’autant plus de sens si l’on sait que d’autres économistes réclamaient, à la même époque, des réformes similaires ; si l’on sait également qu’Allais s’inscrit lui-même dans la continuité de travaux préexistants [29], lesquels ont pu participer par sédimentation à accoutumer le pouvoir politique et les ingénieurs des chemins de fer aux recommandations de la théorie du rendement social.
29Pour analyser un processus social, il existe par ailleurs un impératif contextuel : les transformations du secteur ferroviaire français se déploient dans des configurations sociales spécifiques. Car s’il existe bien un « champ » ferroviaire, avec ses règles, ses acteurs et ses propres enjeux, l’autonomie de ce microcosme social par rapport aux autres sphères sociales, en particulier vis-à-vis de l’État, est toute relative : la SNCF est une entreprise publique, dirigée par des ingénieurs issus de la haute administration, composée de cheminots dont le statut d’emploi, le modèle de carrière et le système de rémunération sont proches de ceux des fonctionnaires. On ne s’étonnera donc pas que la diffusion de l’idéologie néolibérale et le rôle croissant des élites technocratiques au sein de l’appareil d’État aient des conséquences directes sur la gestion de l’entreprise. Le devenir de la SNCF est en outre dépendant de l’évolution du régime technologique du secteur des transports. Le développement des infrastructures routières, la croissance du nombre de véhicules motorisés, mais aussi la puissance du lobby routier et l’absence d’une réelle politique de coordination du rail et de la route sont des facteurs ayant contribué à la crise des chemins de fer en France et, ce faisant, à la popularisation de la théorie du rendement social. Ajoutons que les idées d’Allais sont d’autant mieux accueillies au sein de l’État et de la SNCF que, les années passant, la dimension économique tend à devenir l’élément structurant de tout débat sur les politiques publiques.
30Quadriller ainsi la réalité sociale, en précisant les conditions historiques, politiques, idéologiques, économiques, mais aussi techniques, qui rendent possibles les recommandations d’Allais, rappelle que l’objet de la sociologie est bien de produire des « modèles à déictiques » [Passeron, 2001]. Ce n’est donc qu’après avoir replacé l’objet dans son contexte que l’on peut véritablement comprendre comment un économiste a réussi, dans une certaine mesure, à peser sur le devenir d’un secteur entier. Le processus de diffusion de la théorie du rendement social à la SNCF a, semble-t-il, bénéficié du capital social d’Allais, mais aussi d’un certain attrait des ingénieurs ferroviaires à l’égard d’une théorie économique formulée dans un langage mathématique. Bien que la SNCF soit une véritable maison d’ingénieurs, les tentatives successives de réforme durent faire face à des formes de résistance de la part des cheminots, très attachés à l’autonomie de l’entreprise publique vis-à-vis de la sphère marchande. Et ce n’est qu’avec le lent renouvellement de la direction de la SNCF que la voix de Maurice Allais semble enfin être en partie écoutée. En 1962, une importante réforme tarifaire pour le transport de fret est mise en place. À partir de 1969, la SNCF procède à une profonde réorganisation interne de ses structures et multiplie la création de filiales. Puis elle abroge le système de péréquation tarifaire durant les années 1970. En revanche, ce n’est qu’à partir des années 1990, c’est-à-dire bien après l’« âge d’or » de la théorie du rendement social, que l’entreprise ferroviaire procède à une individualisation de la politique salariale par le biais d’une croissance des rémunérations variables. Ce dernier élément incite ainsi à relativiser l’influence d’Allais sur la question, mais aussi à interroger le pouvoir d’autres économistes et d’autres théories – notamment issus du monde anglo-saxon – sur l’organisation actuelle de la SNCF et du secteur ferroviaire français.
Notes
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[1]
Nous remercions Irène Berthonnet, Benoît Desmarchelier, Fabien Éloire et Léo Touzet, ainsi que le comité de sélection du prix et les deux rapporteurs anonymes pour leurs précieuses remarques et suggestions sur une première version de cet article.
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[2]
Les acteurs interviewés se réfèrent ici au livre de William Baumol, John Panzar et Robert Willig, Contestable Markets and the Theory of Industry Structure, publié en 1982. La théorie des « marchés contestables » aurait ainsi permis de remettre en cause ou de légitimer la remise en cause, au niveau européen, de l’organisation de secteurs historiquement en situation de monopole, comme l’énergie, les transports, les postes et télécommunications.
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[3]
La formulation fait écho à l’ouvrage Do Economists Make Markets? [MacKenzie et al., 2007]
-
[4]
Pour un panorama des travaux récents sur la performativité/performation, voir Muniesa et Callon [2009].
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[5]
Il existe une tendance actuelle à utiliser de manière générique le terme « performativité » pour désigner toutes les formes d’influence que peut exercer la connaissance sur la réalité sociale. Nous pensons a contrario que la notion a besoin d’une définition précise et restreinte, qui peut bien sûr varier d’un auteur à l’autre [Muniesa, Callon, 2009], afin de ne pas transformer le concept en simple cri de ralliement à l’heuristique limitée, comme tendent parfois à le devenir les notions d’« encastrement » ou de « dispositif » en sociologie économique.
-
[6]
Le pouvoir peut être défini comme « la production d’effets voulus » [Russell, 1938, p. 35], c’est-à-dire comme la capacité d’un acteur à contraindre autrui.
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[7]
C’est ainsi que l’on nomme généralement les économistes formés dans les « grandes écoles » d’ingénieurs : Allais est diplômé de l’École polytechnique et membre du corps des Mines.
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[8]
À la suite de Jules Dupuit, les économistes qualifient un secteur de « monopole naturel » lorsqu’il existe des rendements d’échelle croissants et que, par conséquent, la concurrence génère « naturellement » le monopole.
-
[9]
L’article paru dans la Revue d’économie politique est une version remaniée d’un rapport commandé en 1945 par Raoul Dautry, alors ministre de la Reconstruction et de l’Urbanisme. Nous retenons l’article de la REP car il résume parfaitement la position de Maurice Allais sur la question des chemins de fer et constitue, par ailleurs, un exemple particulièrement remarquable d’application de la théorie du rendement social, cité d’ailleurs comme tel par de nombreux économistes contemporains [Etner, 1987 ; Baumstark, Bonnafous, 2000 ; Tirole, 2003]. L’historien des chemins de fer Georges Ribeill insiste en outre sur l’importance de l’article publié dans la REP pour comprendre les transformations de la SNCF durant les Trente Glorieuses [Ribeill, 1984, p. 43].
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[10]
D’un point de vue théorique, le coût marginal correspond au coût de production d’une unité supplémentaire : selon le cadre de l’économie néoclassique, en situation de concurrence pure et parfaite et à l’équilibre, le prix d’une marchandise ou d’un service est égal à son coût marginal. Tarifer au coût marginal revient donc à simuler un marché concurrentiel. D’un point de vue pratique, « faire payer chaque service ce qu’il coûte effectivement » [REP, 1948, p. 232] dépend à la fois des variables de coût considérées (main-d’œuvre, énergie, matières premières, amortissement des installations fixes, charges d’intérêts, etc.) et de la manière dont on impute les coûts mesurés dans les prix. Si la détermination d’un coût marginal peut paraître simple au premier abord, elle implique en réalité des problèmes inattendus et des calculs techno-économiques complexes du fait du caractère plus ou moins imprévisible de la demande de transport et de la discontinuité des coûts : l’« apologue du voyageur supplémentaire » [Boiteux, 1951] ou « paradoxe du voyageur de Calais » [Boiteux, 1993] – exemple classique repris par de nombreux traités français d’économie politique et dont, semble-t-il, on peut attribuer la paternité à Gabriel Dessus [Boiteux, 1993, p. 52] ou à Maurice Allais – rappelle à ce titre que le coût de transport d’un voyageur supplémentaire peut donner lieu à des évaluations très variables. Certains considéreront que le coût de transport d’un voyageur se présentant quelques minutes avant le départ d’un train Paris-Calais est relativement bas. Il correspond à quelques grammes de combustible nécessaire à la traction de son poids, à la légère usure de la banquette, ainsi qu’aux éventuels frais de nettoyage et de contrôle supplémentaires. D’autres rappelleront a contrario que, compte tenu de la faible élasticité des installations de transport et parce que la SNCF est tenue de répondre à la demande de transport, le coût marginal est potentiellement infini : s’il ne reste plus de place disponible, il faudra rajouter un nouveau wagon ; si la charge de ce wagon est trop lourde pour la locomotive, on fera rouler un nouveau train ; si le réseau est saturé, il faudra doubler la ligne, etc.
-
[11]
Selon Allais, du fait de la mauvaise gestion des transports, les pertes de la SNCF s’élevaient pour l’année 1946 à plusieurs dizaines de milliards de francs [Etner, 1987, p. 270].
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[12]
« Les agents aux différents échelons devraient être puissamment intéressés, sous forme, par exemple d’une participation donnée de pourcentage fixé pendant une durée déterminée, aux économies réalisées, à abaisser au maximum les coûts moyens. Ces primes ne devraient comporter aucun maximum » [REP, p. 219].
-
[13]
Sont ainsi désormais pris en compte les modalités de chargement et la densité de la marchandise, le choix des gares d’expédition et de destination, ainsi que l’intensité de trafic de la ligne empruntée.
-
[14]
La SNCF module d’abord le prix des billets de train selon les segments du réseau (les lignes les moins fréquentées étant plus chères que les lignes à fort trafic), puis elle introduit des variations horaires et saisonnières de ses tarifs, de manière à « rappeler » aux voyageurs que les trafics en « période de pointe » sont coûteux (achat supplémentaire de matériel et mobilisation ponctuelle de la main-d’œuvre).
-
[15]
Il est vrai que Maurice Allais et ses élèves (notamment Marcel Boiteux, Pierre Massé, Jacques Lesourne et Edmond Malinvaud) ont porté certaines idées constitutives de la doctrine du new public management – par exemple, la promotion du calcul comme élément central de l’économie publique. Mais rappelons qu’il existe une rupture – de « nature » et d’acteurs – entre la théorie du rendement social et les préceptes du nouveau management public. Soulignons par ailleurs que le calcul économique plonge a minima ses racines dans le xixe siècle et que les économistes allaisiens n’en ont donc nullement la paternité : Bernard Grall montre ainsi que les ingénieurs des Ponts et Chaussées usèrent du calcul d’utilité publique pour résoudre des problèmes pratiques de gestion des transports. Ceci fut particulièrement vrai et nécessaire pour optimiser l’usage des routes, un bien utile dont la valeur ne peut être déterminée par le marché, parce qu’en dehors du circuit monétaire [Grall, 2003].
-
[16]
Ceci pour des raisons évidentes d’âge ; rappelons ici qu’Allais est né en 1911.
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[17]
Certains objecteront que, si Jean Tirole se réfère à la théorie du rendement social et à l’article d’Allais sur la coordination rail-route [Tirole, 2003] par exemple, il n’est pas à proprement parler un de ses élèves et il a constitué son propre cadre analytique et ses propres recommandations concernant la régulation des industries de réseau. Néanmoins, un disciple n’est pas un élève qui imite, mais plutôt un successeur qui construit sa propre voie en s’inspirant de manière critique du travail du maître [Dardot, Laval, 2012, p. 82 sq.].
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[18]
Selon l’économiste, « tout se paie, et d’autant plus cher que les méthodes utilisées ont pour effet, conscient ou non, de masquer les dépenses réelles et effectives que doit supporter finalement le pays » [Allais, 1948, p. 238].
-
[19]
Le commissaire au Plan Jean Monnet n’hésite pas à affirmer que « le cheminot, endormi dans (sa) sécurité », est un « fardeau pour l’économie » [Kuisel, 1984, p. 402].
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[20]
Si le « néolibéralisme » à la française ne constitue pas une idéologie unifiée durant la période d’après-guerre [Denord, 2007], on peut a minima désigner par ce terme l’ensemble des doctrines opposées à la fois au libéralisme traditionnel et au socialisme collectiviste et qui, telle la « planification concurrentielle » de Maurice Allais, sont favorables à une régulation de l’économie par la concurrence, sous le contrôle de l’État.
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[21]
Et, réciproquement, c’est parce que les catégories de pensée de la sphère politico-administrative tendent à valoriser le savoir économique comme une compétence nécessaire à l’exercice du pouvoir que de plus en plus d’individus familiarisés avec l’économie, dont des ingénieurs-économistes proches de Maurice Allais comme Pierre Massé (commissaire général au Plan de 1959 à 1966), sont recrutés ou promus au sein de l’élite de l’État [Dulong, 1996]. Il existe donc une relation dialectique entre les deux dimensions.
-
[22]
Si, compte tenu des éléments dont nous disposons, il nous est difficile de déterminer précisément l’influence de l’ouvrage de Mendès-France et Ardant, soulignons cependant que de nombreux travaux portant sur la diffusion de la théorie économique dans la société française et au sein du pouvoir économique en ont fait l’écho [Fourquet, 1980 ; Kuisel, 1984 ; Dulong, 1996 ; Fourcade, 2009].
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[23]
Il faut sans doute comprendre ici par « grand public » la recherche d’un lectorat qui dépasserait les frontières de l’université et de la sphère restreinte des hauts fonctionnaires en charge de l’économie.
-
[24]
Parfois ont-ils même tenté d’approfondir la théorie du rendement social, à l’instar d’Alfred Sauvy qui, en réponse à l’article de Maurice Allais, apporte l’année suivante, dans la Revue d’économie politique, sa propre contribution au débat sur la coordination rail-route et la gestion du secteur ferroviaire [Sauvy, 1949].
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[25]
Comme le souligne Marion Fourcade [2009, p. 205], les nationalisations et, plus généralement, la politique interventionniste d’après-guerre ont renforcé le pouvoir des grands corps jugés « compétents » en matière économique : corps des Mines, corps des Ponts et Chaussées et Inspection des finances.
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[26]
Dans les travaux sur les chemins de fer qu’ils publient, Guibert et Hutter se réfèrent explicitement à la théorie du rendement social, citent l’article de la REP et estiment souhaitable de réformer l’entreprise ferroviaire conformément aux recommandations d’Allais [Hutter, 1950 ; Guibert, 1956].
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[27]
Au sortir de la guerre, la direction de la SNCF est, semble-t-il, divisée quant à l’orientation économique que l’entreprise doit prendre. En 1947, le président de la SNCF Marcel Flouret reproche à son directeur général Maurice Lemaire d’être proche des milieux communistes et d’avoir une attitude bienveillante à l’égard des syndicats hostiles aux réformes de la SNCF [Chevandier, 2002, p. 265].
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[28]
S’il est difficile de fournir des données robustes sur l’évolution des effectifs syndicaux, Georges Ribeill indique que la fédération CGT des cheminots perd entre 1953 et 1982 près de la moitié de ses adhérents [Ribeill, 1984, p. 111].
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[29]
Par exemple ceux de Léon Walras à la mémoire duquel il dédie notamment l’ouvrage À la recherche d’une discipline économique [Allais, 1943] et les Prolégomènes à la reconstruction économique du monde [Allais, 1945b].