CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 – Introduction

1Étudier la relation entre un client et un « banquier »  [1] revient à observer ce qui fonde en pratique ce rapport commercial tissé autour de la nécessité pour l’individu de détenir un compte bancaire, des moyens de paiement et d’accès au crédit et pour l’agent bancaire de vendre ces services. Cet échange marchand, mettant en jeu la solvabilité financière de l’emprunteur et un ratio de risques établi par des banques prises dans un espace régulé de calcul d’intérêts, n’en reste pas moins une relation sociale. Celle-ci n’existe pas en périphérie de l’acte économique, mais s’impose comme structurante de ce marché de l’argent. Le capital social des individus (clients et banquiers) et a fortiori des institutions financières qui ont en charge la gestion du budget des particuliers et règlent les pratiques d’épargne et de crédit joue « à plein » dans la construction de la relation marchande comme relation sociale. Par exemple, la population des petits épargnants qui constitue, aujourd’hui et en majorité, la clientèle du Crédit mutuel maintient, dans ses positions et dispositions économico-financières, un mode d’accès à la banque qui permet à l’identité mutualiste de se pérenniser [Moulévrier, 2002].

2Il ne s’agit pas pour autant d’opposer la dureté, la fermeture, l’autonomie du monde marchand à la souplesse, l’ouverture du monde de l’économie sociale auxquelles se réfèrent souvent les banques mutualistes. La relation bancaire? [2], même lorsqu’elle se donne à voir comme rapport financier, est tout autant une relation socialement réglée où ce qui permet la rencontre relève alors d’une conception entendue entre banquier et client de l’activité bancaire : ce que l’un et l’autre échangent ici s’apparente à une volonté partagée de performance financière permise par la professionnalité de l’un, le capital et le souci de la gestion rationnelle de l’autre. De la même façon, une relation bancaire qui s’affiche en ambition comme éducative, soucieuse de fins humanistes est une relation économique mais incarnée par la rencontre d’un banquier et d’un client plutôt disposés à la gestion « raisonnable » [Bourdieu, 1964] du budget domestique.

3L’article propose de rendre compte des modalités différenciées de l’exercice du métier de « banquier » à partir des pratiques professionnelles et des discours des employés des agences bancaires. Dans un premier temps, il s’agira de revenir sur la construction de l’hypothèse de l’hétérogénéité du champ bancaire (1), préalable à l’exposition du processus de positionnement spécifique des différents établissements dans l’espace bancaire et des effets de ces histoires sociales sur les choix organisationnels et les intentions proclamées. Il s’agira du même coup de porter au jour les rapports étroits qui existent entre attributs sociaux des « banquiers », pratiques professionnelles et conceptions du métier. En ce sens, notre approche « cherche à relier les trajectoires d’acteurs aux institutions en vigueur, diverses et concurrentes, et à l’existence de rapports de forces qui caractérisent le capitalisme et le distinguent d’une idéale et fantasmatique économie de marché » [Postel, 2009].

4De la revendication de l’excellence et de la compétence financière (2) à la nécessité d’un ancrage socio-éducatif de l’activité bancaire (3), les institutions et leurs agents sont disposés à des pratiques et portés à des stratégies dont les variations ne sont pas non plus étrangères au type de clientèle à laquelle ils sont confrontés. Ce marché de l’argent domestique, considéré également comme marché de l’emploi bancaire, alors même que le processus de bancarisation des ménages est aujourd’hui massif? [3], continue de se renouveler, notamment autour des enjeux de financement / endettement des catégories les moins convoitées par les banques traditionnelles, comme le montre l’examen des structures de finances solidaires et des établissements de crédit (4).

2 – Enquêter dans la banque : découvrir des banquiers

5La sociologie de la relation bancaire soulève la question pratique pour le chercheur de l’accès à la banque et à ses agents commerciaux. Poser l’hypothèse que la relation au client varie en fonction de l’agence bancaire nécessite de mener des entretiens auprès des chargés de clientèle des agences locales des différents réseaux.

Arrêt sur enquêtes

Des entretiens sont menés depuis janvier 2002 auprès des chargés de clientèle et des directeurs d’agences [N=80] – ces derniers ayant systématiquement en charge un portefeuille de clients – de banques mutualistes à savoir les Caisses d’Épargne, les Banques populaires, le Crédit mutuel, et le Crédit agricole ; de banques commerciales à savoir la Société générale, la BNP, le CIC, la LCL, et enfin de la Poste devenue Banque postale, le tout principalement dans les Pays-de-la-Loire. Ce dispositif complète des enquêtes antérieures conduites d’une part auprès des agents du Crédit mutuel (1995-2000) [N = 112] et d’autre part auprès de commerciaux bancaires [N = 20] dans le cadre d’une étude (2002-2004) visant à interroger le rapport des populations à très faible revenu à leur « banquier » [Lazuech et Moulévrier, 2008]. Des travaux engagés depuis 2007 sur les institutions de microcrédit ont permis de recueillir les discours des chargés de crédit « solidaire » [N = 20], et d’analyser via les dossiers de demandes de prêts les ressorts de l’octroi. Une dizaine d’entretiens a été parallèlement conduite avec des salariés des établissements de crédit à la consommation. À ces entretiens viennent s’ajouter de nombreuses observations dans les agences permettant de consigner les interactions quotidiennes de l’agent bancaire avec ses clients, ses collègues, ses hiérarchiques, ou bien encore d’appréhender les relations des commerciaux avec les services centraux et les usages des outils informatiques. Enfin, l’étude de cinq promotions d’étudiants inscrits en licence professionnelle banque-assurance entre 2005 et 2010 [N = 250] constitue un dispositif d’enquête complémentaire susceptible d’objectiver, à côté d’entretiens conduits auprès de jeunes diplômés de master banque-finance ou de spécialité dans les grandes écoles [N = 25], le lien entre type de banque et type de « banquier ». Notre démonstration est donc construite à partir de l’analyse des trajectoires, des pratiques et des discours des « banquiers » confrontés aux positions des banques, elles-mêmes appréhendées eu égard aux histoires sociales, juridiques, économiques des établissements via la consultation d’archives juridiques, de travaux – historiques et sociologiques principalement – consacrés aux banques, de documents institutionnels (archives d’entreprises, statuts, comptes rendus de réunions, supports commerciaux notamment). Cette entrée par les « banquiers » ne doit pas faire oublier les processus de distribution sociale des clientèles (régulièrement enquêtées par ailleurs dans les travaux précités) dans les différentes banques que ni l’homogénéisation des services bancaires ni les phénomènes – relatifs – de multibancarisation ne viennent totalement remettre en cause. Cette distribution renvoie à l’existence de types de clientèle et de disparités en termes d’« accès et d’usages » à la banque, à ses services et à ses produits [Gloukoviezoff, 2011].

6Ces enquêtes ont donné lieu à maintes reprises à des demandes effectuées, dans les sièges nationaux, régionaux et départementaux, auprès des responsables de réseaux ou des directeurs commerciaux, en position de traduire la demande auprès de leur hiérarchie et de délivrer l’autorisation d’enquêter dans les agences. Ces considérations empiriques prennent tout leur sens dans le cadre de l’accueil différencié qui a été fait à ces demandes.

2.1 – L’effet révélateur des obstacles

7Les demandes effectuées pour l’accès au terrain dès 1995, celles renouvelées dans le cadre d’enquêtes plus récentes, suscitent des réticences du côté des banques commerciales et entraînent l’adhésion rapide des banques coopératives, mutualistes et des institutions financières spécifiques comme La Poste. Les groupes bancaires les plus disposés au dévoilement de leurs pratiques professionnelles sont ceux qui historiquement et symboliquement ont gagné leur place financière sur le marché d’une relation bancaire revendiquée comme moins exclusivement marchande, plus franchement éducative.

8Dans les réseaux mutualistes, les dirigeants fédéraux ont donné leur accord en quelques semaines. Dans les banques commerciales, l’accès aux chargés de clientèle est le résultat d’un parcours ardu de négociations avec plusieurs niveaux hiérarchiques. Organisées autour d’un siège national, ces banques ont, au niveau des régions ou des départements, des délégations derrière lesquelles les responsables se retranchent pour éviter de prendre la décision : les directeurs contactés à l’échelon local ont systématiquement invoqué « Paris » comme seul niveau compétent pour répondre à une telle demande. Les contacts sont réitérés et la multiplication des niveaux et des interlocuteurs a pour conséquence immédiate de noyer la demande dans un imbroglio institutionnel que le chercheur doit a minima comprendre pour en dénouer l’écheveau. Il doit surtout faire preuve de pugnacité tout en évitant de déroger, dans un premier temps, aux règles du processus hiérarchique d’attribution des agréments d’enquêtes.

9Les échanges avec les assistantes de direction, dont il est important de se faire des alliées, permettent dans une seconde étape de donner la preuve du sérieux de notre entreprise. Ainsi, au moment où les directeurs nationaux ont a priori la décision entre leurs mains, nous expédions aux directions régionales les documents nécessaires (rapports scientifiques du laboratoire, curriculum vitae, présentation des recherches, grilles d’entretien) non pas seulement à une meilleure compréhension de nos objectifs, mais valant pour caution de la recherche et du chercheur. S’ajoute ici l’étape de la rencontre avec l’interlocuteur régional (directeur des ressources humaines, directeur régional, responsable des chargés de clientèle, directeur du marketing, etc.), temps privilégié où le « banquier » fait partiellement état de ses réticences et où le chercheur tente de convaincre du bien-fondé de sa démarche. Elle se concrétise en général par l’obtention d’un entretien sociologique avec la personne rencontrée ou avec un de ses collègues de même niveau hiérarchique, qui « prennent sur eux »? [4] pour nous donner des informations sur leurs activités. Ces entretiens sont précieux au titre de matériau disponible pour l’analyse sociologique de la relation bancaire et parce qu’ils sont un moyen en acte de faire la preuve de la compétence du sociologue et de poursuivre le processus de consolidation de la relation d’enquête, relation sociale s’il en est. Alors seulement se dessinent les contours d’une investigation possible auprès des conseillers commerciaux qui devront être préalablement informés par la hiérarchie, « triés » sans doute aussi en amont et mis à notre disposition (sur la base du volontariat que nous réclamons) sur des périodes où « les campagnes commerciales sont moins offensives », où le contexte boursier, et plus largement économique, est « favorable », où « les syndicats sont peu véhéments », où les « fusions ne sont pas d’actualité »? [5]. Les possibilités offertes sont très maigres et l’accord, arraché, continuellement à repréciser? [6]. Le sociologue n’a pas d’autre choix que de sortir partiellement du protocole hiérarchique pour multiplier les entretiens, en mobilisant des alliés déjà intégrés dans les agences bancaires. Afin de contourner les aléas des autorisations officielles, des étudiants en licence professionnelle banque / assurance, stagiaires en alternance dans les agences bancaires, ont par exemple été formés chaque année depuis 2005 à l’entretien sociologique et ont interrogé leurs collègues au motif de la préparation d’un dossier à produire pour la validation de leur diplôme.

2.2 – L’effet en trompe-l’œil de l’uniforme

10Passée la première impression d’un monde stéréotypé où les clients sont reçus autour d’un « pôle accueil », de plus en plus réduit à une sorte de stèle informatisée? [7], par un(e) jeune conseiller(ère) en costume ou tailleur, s’imposent au regard des différences dans les aménagements d’agence en fonction de leur zone d’implantation? [8] et des manières de faire avec le décor, les codes vestimentaires et finalement les clients, assez variables d’un réseau à l’autre, d’un type d’agence à l’autre. Dans les agences rurales, et plus encore dans les points de vente ouverts quelques jours dans la semaine, les guichets se maintiennent, les banquiers (officiant en équipe réduite de deux à trois salariés) ne mettent « la cravate que quand ils ont une réunion ou reçoivent un gros client »? [9] et les clients dérogent souvent à la règle de la prise de rendez-vous. Dans les agences de centre-ville des grandes métropoles, les aménagements intérieurs ont systématisé la rencontre « personnalisée » en bureau au détriment du guichet et les commerciaux ont progressivement abandonné la fonction d’accueil aux stagiaires ou aux plus anciens salariés moins disposés à une carrière commerciale.

11L’hypothèse de l’hétérogénéité du champ bancaire s’est donc confortée progressivement, en comprenant ces discours, ces pratiques, ces trajectoires de « banquier » comme autant de données susceptibles de mettre au jour les stratégies organisationnelles, managériales et financières des institutions bancaires. Sans remettre en cause le processus visible de rationalisation de l’activité bancaire, de spécialisation des tâches, de transformation des rapports entre clients et banquiers [Moulévrier, 2002 ; Lazarus, 2009, p. 145-146], les réalités observées ne renvoient que partiellement à l’uniformisation produite par l’imposition progressive d’une logique généralisée du plus grand profit. S’il est indéniable que les chargés de clientèle sont progressivement devenus des vendeurs de services bancaires, qu’ils attachent, contraints par des objectifs de rentabilité, grâce aux logiciels de scoring et plus généralement à l’outil informatique, leurs clients à des profils d’emprunteurs, d’investisseurs, d’épargnants plus ou moins risqués et plus ou moins rentables, leurs pratiques effectives ne traduisent pas avec la même aisance les consignes de vente face à des clients eux-mêmes plus ou moins dociles à leurs propositions et plus ou moins au fait des attendus bancaires. La « traduction » [Lazarus, 2009, p. 252-268] par le commercial des attributs et volontés du client en profil et projet, par le client des critères de la banque en modalités spécifiques de présentation de soi, de ses besoins et envies, invite à fouiller la question des modalités d’apprentissage du métier de « banquier ». D’un banquier qui commente la file d’attente au guichet en précisant que « ceux qui sont les plus souvent ici ne sont pas forcément ceux que l’on voudrait voir » à l’autre qui ne « fonctionne pas par rapport au niveau de revenu » et qui parle de « vécu » avec ses clients? [10], nous retenons que « tout n’est pas contractuel dans le contrat » [Durkheim, 1967].

12Ainsi, l’histoire sociale des banques, les particularités relatives à leur appartenance au secteur privé lucratif, au « monde » coopératif et mutualiste ou au secteur public, la diversité de leur rapport à l’État sont autant de critères déterminants des conceptions du risque ou de la confiance et des pratiques qui en découlent? [11]. Le découpage indigène, établi tant par les banques que par les pouvoirs publics, et qui distingue quatre grandes catégories d’établissements bancaires – les banques commerciales (BNP, Société générale, LCL et CIC pour ne citer que les plus importantes), les banques mutualistes et coopératives (Crédit mutuel, Caisses d’Épargne, Crédit agricole, Crédit coopératif, Banques populaires)? [12], les institutions publiques ou fortement liées historiquement à l’État (la Banque postale, les Crédits municipaux) et enfin les organismes financiers de prêts (tel Cetelem, par exemple) –, ne révèle que partiellement la diversité des positions et des intérêts des différentes banques [Moulévrier, 2002, p. 97-99]? [13]. Les difficultés évoquées par les « banquiers », les interactions observées dans les agences permettent de comprendre que la relation bancaire, notamment quand elle s’observe comme conflictuelle ou impossible, suppose des ajustements. Les réticences – pour le commercial à ouvrir un compte à un Rmiste, à octroyer un crédit à une famille de chômeurs ou, pour le client, à économiser, à confier son argent, à utiliser des moyens de paiement – sont liées à des manières différentes d’appréhender l’argent. Ces écarts entre des « mentalités économiques » [Weber, 1964] possiblement divergentes sont à la fois les conséquences des positions institutionnelles des banques, des parcours professionnels et plus largement sociaux de leurs commerciaux et enfin des types de clientèles. À cet égard, ce sont six types d’institutions bancaires renvoyant à trois registres de positions, d’intérêts et de contraintes qu’il faut distinguer? [14] : les banques commerciales (BNP, Société générale, LCL)? [15] ; le Crédit agricole ; le Crédit mutuel, les Banques populaires et le Crédit coopératif ; les Caisses d’Épargne et la Banque postale ; les établissements de finance solidaire ; et les organismes de crédit à la consommation.

3 – Les banques commerciales ou l’ethos de la finance

3.1 – « Les trois grandes c’est nous »? [16]

13Pour tenir leur rang et pérenniser leur entreprise, les banques commerciales ont intérêt au maintien d’une clientèle plutôt aisée et disposée à la finance, au crédit, à l’investissement et sont peu enclines à la prise en charge d’une clientèle moins fortunée et plus proche des logiques de l’économie domestique (petits épargnants). Dans cette perspective, la relation bancaire est globalement envisagée par l’ensemble des acteurs comme une relation professionnelle définie autour de logiques de compétences financières. La mobilité des commerciaux s’impose en ce sens comme emblématique des dispositifs participant à l’excellence professionnelle de ces banques et de leurs agents et devient principe de rentabilité. Qu’il s’agisse des relations entre les commerciaux d’une même agence ou des relations entre les commerciaux et les clients, la mobilité garantit l’existence de relations commerciales débarrassées a priori de contenu affectif ou de considérations psychologiques et sociales. Un directeur commercial de la Société générale, huit fois muté dans sa carrière, avoue se « lasser vite d’avoir la même tapisserie devant les yeux » et explique aujourd’hui à ses commerciaux que « l’aspect proximité enlève du potentiel à l’animation commerciale » et que « seul le résultat compte ».

14Dans ces banques, le calcul du risque est au centre de l’activité bancaire, et s’affirme, à côté de la solvabilité de l’emprunteur et des « perspectives de l’individu » comme l’argument décisif dans l’accord d’un prêt? [17]. La maîtrise de ce risque prévaut par rapport à tout autre type de considérations car il est entendu comme étant au principe du développement de l’institution bancaire mais aussi du bien-être de l’emprunteur ainsi responsabilisé comme homme économique : « L’insistance mise sur la prolifération des risques va de pair avec une célébration de l’individu détaché des appartenances collectives, « désenchâssé » selon l’expression de Giddens. Dès lors, cet individu est comme un porteur de risques qui navigue à vue au milieu des écueils et doit gérer lui-même son rapport aux risques. » [Castel, 2003, p. 63] La relation entre un client et un conseiller commercial est ici définie à partir du « calcul de ratio de risques » qui, comme l’indique une majorité des commerciaux, va « permettre de mesurer [nos] marges de manœuvre »? [18].

15Justifiant de faire son « boulot du mieux possible », un salarié de la Société générale, 50 ans, ayant démarré sa carrière en Région parisienne comme chargé de clientèle en 1987 et ayant « traversé plusieurs fois la France » pour finalement diriger depuis trois ans une équipe commerciale dans une agence urbaine en province, résume son métier : « Développer le produit net bancaire en prenant le moins de risques possible ». Ses représentations sont à relier avec l’antériorité des banques commerciales dans la profession. Accompagnant dès le xixe siècle le financement du développement industriel et marchand, elles acquièrent progressivement mais durablement leur statut de « vraies banques » par opposition aux réseaux coopératifs qui n’entreront vraiment dans le champ bancaire que par la loi de 1984. À l’occasion des entretiens, des salariés rappellent que « le Crédit mutuel ou les Caisses d’épargne ne sont pas de vraies banques ». La distinction entre les « petites » et les « grandes » fonctionne comme marque symbolique d’appartenance des banques commerciales à un monde de valeurs partagées portées par l’habitus commercial de leurs salariés et les incitations managériales à la performance individuelle (tableaux de bord des potentiels commerciaux, 10 % de la rémunération des vendeurs calculée en fonction de leur performance commerciale).

3.2 – Le Crédit Agricole : les bénéfices de l’entre-deux

16Dans l’espace bancaire français, le Crédit Agricole donne à voir deux réseaux quasi parallèles : l’un constitué d’agences rurales lui permettant de conserver un maillage territorial comparable aux autres réseaux mutualistes, l’autre plus urbain, national et international, constitué d’agences plus modernes et plus diversifiées en termes de services bancaires, lui assurant la captation d’une clientèle plus panachée en termes de niveaux de revenus et d’attentes. Par cette double réalité, le Crédit Agricole est rapidement devenu le leader bancaire français en termes de dépôts des ménages et le leader des banques de détail européennes par ses revenus et le nombre de ses agences? [19]. La banque emprunte, pour son réseau urbain, à ses concurrentes commerciales, des modes de management et d’organisation (mobilité, objectifs individuels, etc.) visant avant tout à maintenir son niveau d’excellence bancaire. Elle conserve, dans son réseau rural, des logiques organisationnelles proches des « vieilles mutualistes », restreignant le turn-over des commerciaux attachés à une relation bancaire plus localisée, plus humaine, plus affective et garante, sur ces espaces, de fidélisation de la clientèle. Ainsi, en fonction des lieux d’investigation – petites agences rurales versus moyennes à grandes agences urbaines – les discours recueillis, les pratiques observées, les attributs sociaux et trajectoires professionnelles des salariés s’avèrent plus ou moins emblématiques de l’une ou l’autre réalité de cette banque à deux vitesses.

17Il est important de noter que le Crédit Agricole doit sa place à part – ni tout à fait marchande, ni tout à fait mutualiste – et son fort niveau de rentabilité, à l’intervention de l’État [Ducourant, Rousseau, 2009]. Cette banque n’incarne cependant plus aujourd’hui une mission socio-économique de financement des catégories populaires. Grâce au crédit symbolique et aux bénéfices réels qu’elle tire de sa solidité financière, elle recouvre les moyens de maintenir un réseau dense de petites et moyennes agences et conserve les marques de son attachement aux valeurs traditionnellement portées par les banques coopératives. Sur son site, la banque insiste sur son rôle de « leader européen à dimension mondiale […] dans le respect de ses engagements mutualistes », par un « développement axé sur la croissance responsable, au service de l’économie réelle » ; le « développement durable » rénovant le rapport particulier de la banque à l’agriculture, au rural, au « vert ». On songe notamment à l’une des récentes campagnes d’affichage du groupe qui propose aux clients la constitution d’une épargne retraite « verte ». Composés de produits classiques de placements financiers, ces services suggèrent les contours d’une relation bancaire « labellisée ». L’excellence bancaire autorise le Crédit agricole à faire des origines agricoles un outil de promotion de sa spécificité, surtout à un moment où la question environnementale redonne une nouvelle légitimité à la référence à la terre.

3.3 – « Travailler dans une vraie banque »? [20]

18Les logiques différenciées de management et d’organisation des banques, leurs histoires respectives, leurs lieux d’implantation, les pratiques et les représentations des commerciaux, sont à rapprocher des profils des agents bancaires, de leurs compétences et aspirations. Considérer le « banquier » au travers de sa trajectoire sociale et professionnelle montre que la relation bancaire se différencie aussi et peut-être surtout du fait des attributs sociaux de ceux qui la mettent en œuvre. Sur des postes équivalents (chargés de clientèle, conseillers commerciaux), les niveaux de diplômes et les types d’expérience professionnelle varient en fonction des banques. Les dispositions à la mise en œuvre d’une finance plus ou moins éducative, plus ou moins lucrative, trouvent leurs racines dans les origines et les trajectoires sociales des commerciaux, eux-mêmes recrutés sur des places spécifiques du marché de l’emploi bancaire. En comparant les lieux de stage des étudiants inscrits d’une part dans les licences professionnelles « banque assurance » (Bac + 3) et d’autre part en master « banque finance » à l’université ou en fin de cursus des écoles de commerce, on observe que la majorité des premiers se déroulent à plus de 90 % d’entre eux au Crédit agricole en zone plutôt rurale, au Crédit mutuel, dans les Caisses d’Épargne et les Banques populaires, alors que la quasi-exclusivité des stages des seconds a lieu à la BNP, à la Société générale, au CIC, à la LCL, dans les grandes agences urbaines du Crédit agricole? [21] ou dans les banques commerciales régionales ou européennes. Ces disparités s’expliquent d’abord par les politiques de partenariat mises en place à la fois par les écoles et par les groupes bancaires, qui privilégient pour les uns telles banques, pour les autres telles formations. Elles se comprennent aussi par le recrutement social des étudiants : la grande école capte plutôt des élèves issus de catégories sociales supérieures à fort capital économique. Plus de la moitié de ces étudiants, dans l’un ou l’autre des cas, obtient son premier emploi dans les banques dans lesquelles ils ont effectué leur stage. Alors même qu’ils obtiennent des postes aux intitulés souvent comparables, ils n’y arrivent dotés ni des mêmes ressources ni des mêmes « goûts » [Bourdieu, 1979] pour la chose économique, ni des mêmes aspirations professionnelles.

19Les jeunes étudiants en cursus long développent un goût prononcé pour une carrière rapidement ascendante – seule susceptible de leur octroyer un niveau de revenus conforme à leurs ambitions – et une attirance vers les banques commerciales, globalement assimilées aux seules « vraies banques ». Ces hauts diplômés permettent aux établissements bancaires qui les recrutent d’ajuster leurs préoccupations d’excellence bancaire et les modalités managériales qui les accompagnent – parmi lesquelles la mobilité, la pression commerciale par les objectifs individuels – aux aspirations, aux dispositions et aux mentalités économiques de ces aspirants « banquiers ». Même s’il existe dans les banques commerciales des recrutements de diplômés moins dotés, elles cumulent toutes les conditions pour attirer à elles les mieux placés scolairement et socialement sur le marché du travail bancaire, plus proches des clientèles de ces banques (ces banques sont aussi très souvent celles de leurs parents, la leur, suscitant chez eux un sentiment de familiarité).

4 – « Vieilles mutualistes » et « nouvelles » banques : les équilibristes de la finance

4.1 – Le mutualisme en héritage ou le recodage permanent de l’ancrage solidaire

20Par sa faiblesse financière? [22] sur l’espace national et du fait de ses difficultés à intégrer profitablement le marché supranational, le Crédit mutuel construit sa pérennité en marge des seules préoccupations financières symboliquement déniées. À la fin du xixe siècle, il s’apparente à un mouvement catholique d’épargne et de crédit, destiné à faciliter l’accès à la propriété des petits épargnants et à collecter les capitaux populaires. À partir des années 1960, il s’impose comme banque mutualiste. Fort d’un réseau aussi solide que celui du Crédit agricole, construit sur la même période, le Crédit mutuel a cumulé pourtant deux handicaps : l’identité catholique affirmée des initiateurs a empêché l’État républicain et laïc, d’une part, de légitimer des pratiques localisées de financement et, d’autre part, de soutenir financièrement une organisation attachée à son indépendance. Cette banque fondée par et pour les Catholiques obtient en 1958 un statut légal spécial de banque mutualiste et va entamer un recodage de ses pratiques pour un passage négocié de « l’œuvre » à la banque. Les années 1960-1980 vont intégrer des professionnels rémunérés au sein d’agences Crédit mutuel qui remplacent petit à petit les bénévoles qui jusqu’alors recevaient les emprunteurs à la mairie, à la cure ou chez eux. Autant d’éléments qui peuvent dans cet équilibre entretenu entre le marchand et le social, entre le privé et le public (le Crédit mutuel se voit confier par l’État une mission d’intérêt général) permettre à la banque de tenir une place forte sur le double terrain de la rentabilité financière et de la solidarité économique mais qui exclut d’emblée un positionnement trop visiblement marchand. Ainsi, dans le même temps le Crédit mutuel défend l’image de « la banque de la famille et du particulier », du « chargé de clientèle non commissionné » et s’impose sur le marché financier français grâce à l’accumulation d’un capital (via l’épargne populaire) progressivement compétitif. La banque continue aujourd’hui d’exister dans cette ambivalence fondatrice à la fois par le maintien d’une clientèle acquise et attachée de petits épargnants, de familles populaires, par la réalité contraignante et protectrice du statut coopératif, par la permanence dans les mots et les usages d’une conception éducative du crédit et de l’épargne, par la rentabilité financière et symbolique d’une économie moralisée. N’aimant pas « être prise pour une imbécile », Madame L., 40 ans, entrée au Crédit mutuel en 1986 avec un DUT techniques de commercialisation et directrice d’agence depuis 3 ans, fille d’ouvrier, revendique l’égalité de traitement entre les clients aux revenus et aux situations différentes, en privilégiant comme principal régulateur de l’échange la bonne foi des emprunteurs et leur consentement au conseil. Elle ne « fonctionne pas en niveau » et peut « très bien refuser un prêt à quelqu’un qui a 2 000 euros par mois s’il n’est pas franc ou se ment à lui-même et qu’il ne sera pas capable de rembourser ». Si le contrat marchand structure bien l’échange, la relation bancaire reflète des postures moins inspirées des logiques financières et proches dans les faits d’une éducation des individus à des usages normés de l’argent. Les commerciaux utilisent souvent un vocabulaire à connotation largement éducative pour parler de leur relation au client. Contrairement aux salariés des banques commerciales, les conseillers clientèle adoptent volontiers, en rendez-vous clientèle, un discours débarrassé du jargon bancaire et de ses références techniques pour parler des projets, des difficultés ou, tout au plus, de l’usage possible des produits financiers qu’ils vendent.

21Un rapport spécifique s’établit entre un client disposé à être conseillé, à se livrer, à attester de sa bonne foi et un commercial qui, tout en respectant les règles bancaires qui font sa compétence, est prêt à l’écoute, à l’accompagnement, à transmettre les principes rationnels d’une économie domestique marchandisée. Cet accord tacite repose souvent sur des homologies sociales de parcours entre clients et salariés? [23] et sur des croyances produites sur des espaces de socialisation étrangers à la banque, et en même temps recodées par elle, à l’aune des exigences financières de sa pérennité.

22À côté du Crédit mutuel, les Banques populaires et le Crédit coopératif occupent, dans l’espace bancaire, la place des vieux réseaux mutualistes que les résultats amènent à développer des stratégies organisationnelles, financières et symboliques assez comparables. La spécificité historiquement construite autour de la captation d’une clientèle de petits entrepreneurs introduit chez les salariés des attentes plus fortes en termes de responsabilisation du client.

4.2 – Les Caisses d’épargne et la Banque postale : devenir une banque

23Depuis la loi du 20 janvier 2000, les Caisses d’épargne sont devenues une banque mutualiste et ont donc acquis un statut d’entreprise privée conservant, notamment par la mission d’intérêt général qui lui est assignée? [24], un lien particulier avec l’État. On peut parler d’une forme de mutualisation spécifiquement française à une époque où les réseaux bancaires coopératifs européens optent plutôt pour une démutualisation : tout en devant réunir les moyens de sa compétitivité marchande, la banque est en situation d’inventer les formes d’un mutualisme par le haut, fort différent des coopératives locales dont sont aujourd’hui héritières les agences Crédit mutuel et Crédit agricole. Le statut coopératif récemment acquis pas les Caisses d’épargne est, pour ses agents, avant tout l’opportunité de devenir enfin une banque et, comme le précise Monsieur C., 52 ans, en poste dans un quartier populaire en province, « de se bagarrer par rapport au déficit d’image que les points de vente peuvent avoir ».

24Pour autant, le passage au statut de banque mutualiste s’opère dans le maintien d’une clientèle populaire à faible revenu (bénéficiaires de minima sociaux notamment), obligeant le commercial à des pratiques bancaires d’accompagnement. Les salariés des Caisses d’épargne sont plutôt dans une prise en charge à la fois bureaucratique du client, où le dossier à remplir pour obtenir l’argent peut fonctionner comme rempart à la possible compassion, et en même temps envisagée sur le mode égalitaire. « Un client est un client » est une formule souvent utilisée par les salariés qui entendent insister sur leur souci de lutter contre les discriminations. Ce qui devient singulier, c’est que cet ethos du service public va imprégner la relation commerciale, voire en cautionner les principes, c’est-à-dire permettre au commercial de justifier les sanctions financières de l’entreprise auxquelles aucun client débiteur ne peut échapper, qu’il soit riche ou pauvre. Le rôle du conseiller devient, dans les cas de litiges, un rôle d’explication des règles : « Nous avons des stratégies d’entreprise qu’on doit expliquer. Il y a des tarifications qui se font automatiquement au niveau de l’entreprise quand le client a dépassé son découvert, et là on explique? [25]. » La petite entreprise publique d’épargne populaire s’essaie en même temps à une pratique plus ouvertement bancaire. Portée par de nombreuses campagnes commerciales lancées depuis la « mutualisation », l’activité des conseillers est orientée « business » et les résultats plus directement évalués. Les transformations observables dans les Caisses d’épargne ne sont pas sans rappeler les étapes de rationalisation? [26] du travail bancaire décrites par David Courpasson [1995].

25De son côté, la Poste, Banque postale depuis 2006, autonomise progressivement les activités bancaires des services postaux tout en maintenant un espace commun d’exercice de leur mission respective : le bureau de poste. Longtemps restée une banque sans crédit – empêchée juridiquement d’octroyer des prêts et également peu crédible comme acteur bancaire aux yeux de ses concurrents –, l’établissement financier développe aujourd’hui toutes les conditions pour devenir elle aussi une banque (personnel dédié aux finances, services et produits bancaires). Le groupe professionnel des conseillers financiers incarne de façon emblématique ce processus de professionnalisation bancaire de la Poste, entamé pourtant dès 1953 [Vezinat, 2010]. La rationalisation de l’activité financière de la Poste conduit les conseillers financiers à jongler, à la manière des Caisses d’épargne au même moment, entre la nécessité d’accueillir tous les clients sur le mode du « service minimum » dont symboliquement la Banque postale revendique l’héritage et la logique commerciale qui s’impose à eux comme l’outil premier de la construction de leur identité professionnelle de « banquier » vis-à-vis de leurs collègues postiers, de leurs clients et de leurs concurrents. La relation bancaire à la Banque postale se décline dans une configuration particulière : bureau de poste, proximité et prédominance des agents des services postaux, dépendance des conseillers financiers au receveur, contexte de marchandisation d’un service public, et maintien d’une clientèle modeste. Ces contraintes amènent les conseillers financiers (groupe hétérogène en termes de statut – fonctionnaires, contractuels – d’ancienneté, de diplômes) à inventer une forme de pratiques bancaires commercialement rentables mais « centrées sur l’humain ». On a là un cas exemplaire de transposition de pratiques bureaucratiques en pratiques commerciales, de réinvestissement de l’argument démocratique dans le commerce jusqu’à observer ce que l’on pourrait appeler un commerce bureaucratisé à vocation démocratique. Comme le précise ce conseiller financier, « ce n’est pas qu’on ne s’intéresse plus aux pauvres, c’est qu’on ne fait pas de différence. Ce qui compte c’est le besoin du client ». Le compte bancaire est entendu comme un droit au même titre que les services qui y sont associés. C’est à partir de cette relation droit/devoirs, et sur une double logique privée et publique, que va finalement se dessiner une relation « bancaire » particulière entre un client et son « postier ».

4.3 – Des carrières modestes dans de « petites banques »

26Les banques mutualistes privilégient les conventions de stage avec les structures préparant plutôt aux BTS force de vente et aux licences professionnelles banque-assurance. Ces stages peuvent prendre la forme de contrats de professionnalisation ou d’apprentissage. Ils donnent régulièrement la possibilité aux étudiants de décrocher leur premier emploi dans les réseaux au sein desquels ils sont déjà en partie insérés – c’est le cas de près de 70 % des 250 étudiants de licence professionnelle suivis depuis 2005. Le découpage régional les conduit qui plus est, la plupart du temps, à intégrer un emploi localement, c’est-à-dire dans la région de leur formation qui est aussi très souvent leur région d’habitation voire de naissance.

27A contrario des diplômés des grandes écoles ou des masters universitaires, plus souvent issus des classes supérieures, les filières courtes concentrent un public issu majoritairement des classes populaires et moyennes. Ceux qui, le plus souvent titulaires d’un diplôme bac +2 à bac +3, entrent dans les banques coopératives trouvent dans les agences locales – qui plus est quand elles sont rurales ou périurbaines – des espaces propices à des carrières accordées et à la rencontre avec une clientèle ajustée. Une des premières réticences énoncées par ces postulants « banquiers », au moment de l’insertion professionnelle, est la mobilité. La majorité des étudiants refuse de quitter la région dans laquelle ils ont passé leur adolescence, leur début de vie d’adulte et où, très souvent, résident leur famille et leurs amis, autant d’arguments qu’ils placent avant la carrière. Les banques commerciales qui ont très souvent des clauses de mobilité et concentrent leurs agences dans les centres urbains ne les séduisent et ne les retiennent que rarement.

28Même si certains, des garçons surtout, rêvent de monter les échelons et convoitent les postes les plus valorisés dans la profession bancaire – conseiller patrimoine, conseiller pro, directeur d’agence –, leurs ambitions s’incarnent dans des trajectoires locales. Il est fréquent qu’ils enchaînent deux années en alternance dans la même enseigne voire la même agence, ce temps long de « compagnonnage » favorisant un attachement précoce à l’enseigne qui leur « a mis le pied à l’étrier ».

29La Banque postale, dont les réseaux denses dans les campagnes et dans les zones d’habitat populaire pourraient attirer le même type de profil, continue de susciter en revanche les sarcasmes de la part de ces jeunes diplômés, pâtissant de son image d’administration postale peu propice à l’exercice du métier. L’établissement, pris dans des contraintes de restructuration interne de son personnel (nombre de conseillers financiers étant des « promus » de l’entreprise publique) et privilégiant la formation interne, ne dispose pas par ailleurs des mêmes canaux de recrutement que les mutualistes.

5 – Les « banques » solidaires et les établissements de crédit à la consommation : à la marge du marché bancaire ?

5.1 – L’exclusion bancaire : une place à (re)prendre

30Le microcrédit professionnel et social se développe en France depuis la fin des années 1980 au sein d’un espace relativement hétérogène d’organisations le plus souvent associatives et dont les prêts sont fréquemment garantis par des banques partenaires? [27]. La genèse de ces institutions (l’ADIE, le FONDES, la NEF, etc.) et les dispositifs juridiques qui leur sont associés (Fonds de cohésion sociale notamment) peuvent laisser croire à un positionnement marqué de ces « nouveaux » métiers du côté de l’action sociale, de la lutte contre la pauvreté. Pourtant, l’analyse de leurs activités financières d’octroi de crédits ancre plutôt leurs activités dans le champ bancaire proprement dit [Moulévrier, 2010]. L’étude de dossiers de prêts instruits par le Crédit municipal de Nantes et les agences dédiées au microcrédit des Caisses d’épargne des Pays de la Loire a d’ailleurs montré que 31 % des crédits servent à financer les fins de mois difficiles ou à rembourser les mensualités d’un crédit revolving [Glémain, 2010] à la marge des exigences du Plan de cohésion sociale? [28] qui interdit tout financement de trésorerie. Confrontées à la diversité des demandes de sa clientèle et en situation de conforter leur place dans un marché de l’argent où les crédits aux plus pauvres leur sont partiellement abandonnés, les associations de finance solidaire sont conduites à diversifier leurs activités bancaires dont elles font, elles aussi, leur profession? [29]. La loi de juillet 2010 sur le crédit à la consommation, auquel le microcrédit est dorénavant associé, les plonge d’ailleurs un peu plus directement dans le champ bancaire concurrentiel. Pour autant, l’ambition solidaire de ce type d’institutions offre aux chargés de crédit et aux responsables des structures la possibilité de revendiquer un positionnement alternatif. Cet espace du crédit solidaire, en tant qu’il s’est notamment vu confier une mission d’intérêt général, instaure entre le « banquier solidaire » et son client un rapport plus distancié à la question de la rentabilité? [30].

31Les Crédits municipaux s’immiscent également progressivement sur ce marché solidaire du crédit aux pauvres et, à côté du maintien des prêts sur gage, opèrent, dans un contexte de restructuration de leurs activités et de rénovation de la mission « bancaire » des collectivités locales, une reconversion présentée comme légitime. Le « tiers secteur » apparaît comme le plus à même d’accompagner l’abandon des activités bancaires traditionnelles du Crédit municipal – parmi lesquelles les prêts aux fonctionnaires – sans pour autant faire directement écho aux compétences commerciales des salariés et à leurs attentes. Au contraire des banques mutualistes ou de la Banque postale sur des périodes variables, le Crédit municipal est confronté non pas au passage à la banque mais plutôt à l’abandon partiel de son métier de « banquier » au profit d’un programme à vocation plus sociale, permettant de « répondre efficacement aux problèmes d’endettement? [31] ».

5.2 – Le crédit à la consommation pour tous

32Dénoncés par de nombreux commerciaux bancaires, notamment les plus éloignés d’une conception exclusivement commerciale de la banque, les établissements spécialisés de crédit (Cetelem, Sofinco, etc.? [32]) ont acquis une pleine autonomie en tant qu’acteurs financiers [Ducourant, 2009]. Spécialistes du crédit à la consommation, ils ont développé à partir des années 1950, puis des années 1980 pour le crédit revolving, l’accès au petit capital destiné à la dépense immédiate ou à la « soudure ». Les sommes empruntées demeurent à chaque contrat peu importantes, les délais de remboursement sont courts et les taux d’intérêt élevés. Ces conditions particulières réduisent pour l’entreprise le risque, puisque la marge financière est conséquente, et lui permettent de renoncer à un certain nombre de précautions (caution, vérification des relevés de comptes bancaires, niveau d’endettement, etc.) sans entamer ses capacités de rentabilité. Le système apparaît aux individus les plus surveillés dans les agences bancaires (les plus pauvres et/ou les moins « dociles »), qu’elles soient commerciales ou mutualistes, comme doté d’une liberté attractive. Dans leur célébration de l’individu marchand, ces institutions couvrent un besoin quasi identitaire de consommer et la relation commerciale, construite autour d’un « crédit désencastré » [Ducourant, 2009], ouvre au client un espace où il est non seulement autorisé à exprimer ce désir, mais où l’échange s’appuie sur sa capacité, plus ou moins retrouvée, à acheter. La relation bancaire se structure autour du vide laissé par les autres établissements bancaires : celui du « crédit pour le crédit » débarrassé des formes de justification traditionnelle auxquelles sont soumis les ménages quand ils ont à faire à leur « banquier ». Dans ces conditions, les conseillers commerciaux rechignent moins que leurs homologues bancaires à mettre en avant la logique « produits ». Profitant de la demande souvent urgente du client, ils participent avec lui à alimenter un idéal de la consommation au sein duquel la possession d’argent devient le rouage exclusif. Une cliente Cetelem, 22 ans, serveuse à mi-temps dans un restaurant pour un salaire de 654 euros mensuels, revendique son « droit d’acheter, son droit de consommer, son droit à la consommation » que seul le recours fréquent au crédit à la consommation lui permet d’exercer. De leur côté, les vendeurs de crédit se présentent souvent comme des « vendeurs de rêve » [conseiller Cetelem], des « facilitateurs » [conseillère dans la grande distribution] d’accès à l’argent.

5.3 – Des espaces plus ou moins convoités d’insertion professionnelle

33Ce qui rapproche ces deux types de structures, que dans les représentations spontanées tout oppose, ce sont les logiques de carrières professionnelles. Dans les établissements de finance solidaire, il est aujourd’hui fréquent de croiser des diplômés de grandes écoles, assez proches de leurs homologues rencontrés dans les banques commerciales. Pour autant, une bifurcation de dernière minute, opérée le plus souvent en quatrième ou cinquième année du cursus, dans des options en « alternative management », en « gestion des entreprises d’économie sociale et solidaire », en « entreprenariat social », conduit ces étudiants à envisager les structures de microcrédit comme débouché professionnel [Moulévrier, 2010]. Pour autant, et même si les premiers temps dans l’entreprise, par le biais là encore des stages, emportent l’adhésion de ces militants nouvelle vague à une grande cause, les conditions d’emploi, les faibles niveaux de rémunération, l’étroitesse des perspectives de carrière les attachent rarement très longtemps à l’entreprise. On assiste alors au départ rapide de ces nouvelles recrues, soit vers les institutions internationales (ONG notamment) soit vers les entreprises classiques, en particulier dans les services « développement durable » ou dans des fonctions liées à la mise en place de la responsabilité sociale des entreprises (RSE). Les chargés de crédit, titulaires d’un bac +3 à bac +4 en sciences économiques, sciences de gestion, banque-finance, ont souvent mis un terme rapide à leur projet initial de formation. Ils ont été poussés par des contraintes matérielles à accéder rapidement à l’emploi (leurs parents appartiennent plutôt aux catégories populaires) ; dès lors, ils s’orientent vers un secteur professionnel qui leur apparaît en adéquation avec des compétences, eu égard à l’interruption des études (en licence, maîtrise ou Master 1), partiellement acquises. Pour eux, travailler dans les finances solidaires mobilise moins de savoirs technico-financiers attendus dans les banques ou les entreprises financières classiques, savoirs qu’ils auraient pu acquérir dans des masters professionnels. Le « monde de l’économie sociale et solidaire » leur apparaît comme un espace professionnel moins économique, moins financier, un espace où d’autres qualités – apparentées à des compétences sociales – peuvent être mobilisées.

34Faire du phoning ou travailler dans un grand magasin pour le compte d’un établissement de crédit n’est pas non plus le projet initial de diplômés des spécialités banque-assurance des cycles courts. En effet, le phoning devient le « choix » de diplômés de bac à bac +2, ayant parfois revu leur projet de formation à la baisse, du fait de difficultés scolaires redoublées par les incitations des proches à « gagner vite sa vie ». Ces conseillers « sont souvent de jeunes femmes, jeunes mamans avec enfants, parfois issues de l’immigration, avec des expériences antérieures dans la vente » [Cousin, 2002 ; Ducourant, 2009]. Une des étudiantes interrogées, ayant interrompu sa licence professionnelle banque-assurance au bout d’un mois parce qu’elle en « a marre des études », a fait un essai de vente par téléphone de crédits revolving : « Ils me proposent un CDI tout de suite et comme je vais me marier, c’est pas loin de chez moi et les horaires c’est plutôt cool. Et puis moi j’aime bien. Évidemment, c’est pas la banque, c’est sans doute moins varié, mais quand t’aimes vendre, c’est déjà pas mal. Et puis mes collègues sont sympas, il y a une bonne ambiance. »

35Les établissements des finances solidaires et de crédit à la consommation constituent finalement une sorte de sous-marché de l’emploi bancaire : les premiers attirent des diplômés du supérieur – pour les plus jeunes générations de salariés – [Moulévrier, 2010] convertis de façon plus ou moins contrainte à des ambitions sociales plus ajustées à leurs ressources mais peu prometteuses en termes de rémunération et de carrière [Hély, 2009], les seconds recrutent principalement des jeunes femmes formées rapidement à la vente qui trouvent là un espace d’insertion en adéquation avec leur volonté de sortir de l’école, de se stabiliser professionnellement et d’envisager un projet de construction familiale.

6 – Conclusion

36Le marché de l’argent sur lequel les banques prennent et pérennisent une place, en séduisant historiquement des clientèles plus ou moins captives sur le long terme, en bénéficiant de politiques financières plus ou moins favorables à leur développement, en multipliant la gamme de leurs produits et de leurs services finalement banalisés tout en revendiquant des conceptions différenciées de la relation bancaire, doit également être envisagé comme un marché de l’emploi bancaire hiérarchisé. Les commerciaux des agences bancaires sont finalement là où ils sont socialement attendus, ce qui n’est pas sans effet sur les manières socialement construites qu’ils ont d’être avec leurs clients.

Notes

  • [1]
    Le terme de « banquier » désigne tous les intitulés de postes rencontrés dans les agences bancaires, variant en fonction des périodes considérées et des réseaux bancaires (conseillers clientèle, chargés de clientèle, conseillers commerciaux, directeurs d’agence, conseillers patrimoine, etc.). Tous sont en situation de rencontrer des clients et de leur proposer des produits et services bancaires.
  • [2]
    La relation bancaire est envisagée dans cet article dans sa double dimension : à la fois elle s’apparente aux interactions concrètes entre le client et le banquier au sein des agences bancaires, bureau fermé et espace ouvert, aux échanges téléphoniques et électroniques entre eux, qui sont autant de situations observables ou interrogées en entretien. Mais cette relation, prise dans des logiques institutionnelles qui participent à la codifier et comprise comme le produit de la rencontre de trajectoires individuelles, est également envisagée comme révélatrice de logiques sociales plus générales.
  • [3]
    En 2002, la population française est « désormais presque entièrement bancarisée », c’est-à-dire que plus de 98 % des individus détiennent au moins un compte bancaire [Daniel, Simon, 2002 ; Lazarus, 2009].
  • [4]
    Directeur du service commercial d’une banque commerciale, responsable départemental des conseillers commerciaux.
  • [5]
    Responsables départementaux ou régionaux de services des banques commerciales.
  • [6]
    Les premiers entretiens avec les salariés des agences permettent de lever en partie le défi du terrain, les réserves s’estompant généralement dans l’intimité d’une relation anonyme garantie, les personnes interrogées ouvrant souvent l’accès à leur réseau professionnel dans lequel elles comptent des collègues également amis.
  • [7]
    Les services, les produits et les coûts bancaires sont devenus, notamment depuis l’application de la Loi bancaire de 1984, relativement homogènes dans l’ensemble du secteur.
  • [8]
    Certaines banques sont absentes de certaines zones d’implantation qui recoupent par exemple des quartiers d’habitat social, ou bien des espaces ruraux. De ce fait, les banques ont des stratégies d’aménagement de leurs agences qui renvoient en partie à leurs différences d’implantation, elles-mêmes révélatrices des écarts en termes de caractéristiques sociales de leur clientèle. Ces disparités s’estompent lorsque les agences des différentes banques sont implantées dans les mêmes types d’endroits (notamment les grands centres urbains). Les banques coopératives et la Banque postale sont plus systématiquement implantées dans les zones rurales et les quartiers populaires que les banques commerciales.
  • [9]
    Gérant d’un point de vente rattaché à une caisse locale d’un réseau mutualiste, implanté dans une commune rurale de 2?500 habitants, occupant le poste depuis plus de vingt ans au sein d’une équipe composée au plus de trois salariés.
  • [10]
    Conseillers commerciaux et directeurs d’agences bancaires de Nantes.
  • [11]
    On pense notamment à la Banque postale et à ses récents conseillers financiers dont les pratiques bancaires relèvent de stratégies spécifiques dans la mesure où ils n’ont obtenu que tardivement la possibilité de vendre des prêts à la consommation, qu’ils sont restés longtemps de « simples agents du bureau de Poste, chargés de collecter l’argent des usagers », et qu’ils sont en situation d’inventer progressivement les conditions d’exercice d’un métier commercial dans la filiale privée d’une entreprise publique, dans des bureaux dédiés au sein de l’emblématique espace de La Poste [Vezinat, 2010 ; Moulévrier et Vezinat, 2011].
  • [12]
    Depuis novembre 2000, un nouvel organisme professionnel commun (FBF – Fédération bancaire française) aux banques AFB – Association française des banques – et aux réseaux coopératifs et mutualistes représente et défend les positions de l’ensemble des établissements bancaires en France. À cette occasion, les missions de l’organisation professionnelle du secteur bancaire, assurées jusqu’à maintenant par l’AFB, ont été réparties : la FBF assure l’ensemble des missions d’organisme professionnel (relations extérieures, étude et analyse des questions bancaires, etc.) pour tous les réseaux bancaires ; l’AFB assure une mission de syndicat patronal, sur le champ de la convention collective de la banque de janvier 2000, pour les banques dites commerciales et le Groupe Banque populaire.
  • [13]
    En marge de cette classification apparaît un dernier groupe d’organisations – associatives très souvent – qui proposent des microcrédits aux plus démunis (tels l’Adie, le Fondes, etc.).
  • [14]
    Des établissements, qui maintiennent des enseignes propres, ont certes fusionné (comme c’est le cas des Caisses d’Épargne et des Banques populaires), ont parfois racheté un concurrent (c’est le cas du Crédit mutuel propriétaire du CIC [Moulévrier, 2003], du Crédit agricole propriétaire de LCL) ou, pour le moins, créé des filiales communes leur permettant de mutualiser des services et donc des coûts. Pour autant, et même s’il ne s’agit en aucun cas d’amoindrir les effets de ces rapprochements avant tout financiers, ces banques se donnent également les moyens, en maintenant des réseaux autonomes, de conserver leur clientèle.
  • [15]
    Sont considérées ici les principales banques commerciales françaises, auxquelles il est possible d’ajouter des établissements de plus petite taille tels le CIC ou les banques commerciales régionales.
  • [16]
    Directeur commercial (BNP).
  • [17]
    Les travaux de Martha Poon ont montré comment les outils de scoring, développés pour mesurer le risque, sont utilisés à des fins de profit, notamment pour affiner les niveaux de rentabilité des clients [Poon, 2009].
  • [18]
    La plupart des « banquiers » se défendent de considérer le client à partir de son seul potentiel financier. En même temps qu’ils expliquent la force de l’indicateur « ratio de risques » dans l’aide à la décision (d’octroi des prêts notamment), les banquiers condamnent « l’étiquetage » : « Il n’y a pas de gens qui ont une étiquette du genre “personne à problèmes”, non. »
  • [19]
    Sources : données Crédit Agricole, 2009.
  • [20]
    Entretien avec un jeune diplômé d’une école de commerce de province qui en confiant ses ambitions d’insertion professionnelle hiérarchise les établissements : « Si vraiment j’ai un peu de mal à trouver un boulot, je pourrai toujours postuler dans des cabinets comptables, oui je crois que je préférerais bosser dans un grand cabinet que de me retrouver au Crédit mutuel ou dans les Caisses d’Épargne. Ce que je vise d’abord ce sont les vraies banques genre BNP, voire même les banques d’affaires européennes. »
  • [21]
    Au Crédit Agricole, les salariés des grandes agences, des sièges sociaux, de l’international, sont assez proches de ceux que l’on rencontre dans les banques commerciales, la place de leader du Crédit agricole et ses politiques de management attirant à lui de jeunes générations de diplômés du supérieur pour qui l’établissement est une « vraie banque ».
  • [22]
    Faiblesse relative puisque le Crédit mutuel est aujourd’hui la troisième banque de détail française, depuis notamment le rachat du CIC en 1998.
  • [23]
    Dans ce type de réseaux, des « petits banquiers », moins diplômés que dans les banques commerciales et moins carriéristes, rencontrent des « petits clients » aux caractéristiques sociales, aux revenus et aux conditions de vie comparables aux leurs.
  • [24]
    Depuis 2008, cette mission d’intérêt général a été remplacée par une obligation de financer des projets d’intérêt général en pourcentage de leur bénéfice.
  • [25]
    Directeur d’une agence de centre-ville en province.
  • [26]
    Les Caisses d’épargne, comme le Crédit mutuel et la Banque postale, ont fait appel à McKinsey, cabinet de consultants amené à accompagner ses stratégies de développement. Ainsi, quelle que soit la banque, on observe plus ou moins tardivement en fonction des contraintes qui pèsent sur elle, des orientations organisationnelles, managériales et financières assez comparables [Vezinat, 2010].
  • [27]
    Certaines ont des activités qui dépassent largement le seul microcrédit – c’est le cas de la NEF. Pour autant, on peut repérer des invariants de positions et de modes de fonctionnement, l’apport de subventions publiques ou de fonds privés participant systématiquement par exemple, mais à des échelles variables, à l’équilibre financier de leurs activités.
  • [28]
    Ce plan institue, notamment, en 2005 un fonds géré par la Caisse des dépôts et consignations. Ce fonds est destiné, aux termes de l’article 80-III de la loi, à « garantir à des fins sociales des prêts à des personnes physiques ou morales et des prêts à des chômeurs ou titulaires de minima sociaux créant leur entreprise […] (et à) prendre en charge des dépenses d’accompagnement des bénéficiaires, liées à la mise en œuvre des projets financés par les prêts qu’il garantit ».
  • [29]
    La NEF a d’ailleurs récemment demandé l’agrément bancaire, via sa participation à un projet de création d’une banque éthique européenne.
  • [30]
    La pérennité de l’association repose en partie sur les relations financières avec les banques et les salariés sont surtout formés au commerce. On constate donc que ce type d’organisation repose sur une double revendication : celle de la compétence sociale et celle de la compétence bancaire, double compétence qui lui permet finalement de délimiter un nouvel espace dans le marché de l’argent, le marché de l’exclusion bancaire.
  • [31]
    « Le Crédit municipal de Paris aujourd’hui », www.creditmunicipal.fr.
  • [32]
    Pour une analyse plus fine de la place des ESC dans le champ bancaire, telle que la propose Hélène Ducourant, il serait nécessaire de considérer l’hétérogénéité des établissements en fonction de leurs histoires sociales, des lieux emblématiques de déploiement de leurs activités et des caractéristiques spécifiques de leurs salariés et de leurs clientèles. Les ESC sont ici considérés au regard des enjeux, des pratiques et des convictions qu’elles peuvent avoir en commun et qui s’expriment au travers des pratiques et des discours de leurs conseillers commerciaux.
Français

Résumé

L’article propose de revenir sur la construction sociale du marché bancaire des particuliers et de montrer en quoi, dans un contexte d’homogénéisation des services, des produits et des tarifications bancaires, la relation au client s’incarne, en fonction des établissements, dans des pratiques professionnelles hétérogènes et des conceptions différenciées du métier de « banquier ». L’analyse met l’accent sur le lien ténu entre l’histoire des institutions financières et les trajectoires sociales de leurs commerciaux.

Mots-clés

  • banque
  • relation bancaire
  • institutions
  • trajectoires sociales
  • marché

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  • Weber M. (1964), L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, Paris, Paris.
Mis en ligne sur Cairn.info le 02/05/2012
https://doi.org/10.3917/rfse.009.0023
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