1 – Introduction
1Introduite par l’accord national interprofessionnel (ANI) de janvier 2008 puis instituée le 25 juin 2008 par le vote de la loi portant modernisation du marché du travail, la rupture conventionnelle [2] (RC) constitue une nouvelle modalité de rupture du CDI inscrite dans le Code du travail. « L’employeur et le salarié peuvent convenir en commun des conditions de la rupture du contrat de travail qui les lie. La rupture conventionnelle, exclusive du licenciement ou de la démission, ne peut être imposée par l’une ou l’autre des parties » [Article L1237-11 du Code du travail]. Il s’agit donc d’une alternative à la démission et au licenciement. Contrairement au licenciement, elle n’a pas à être motivée. Il n’y a pas lieu, non plus, de préciser la partie à l’initiative de la rupture, cette dernière étant supposée commune. Pour le salarié, la RC donne alors droit à l’assurance chômage et au versement d’indemnités au moins équivalentes à celles d’un licenciement. Par ailleurs, elle est encadrée par une procédure formelle : possibilité d’être assisté par un tiers, délai de rétractation de quinze jours, et enfin homologation de la convention par la direction départementale du travail [3].
2Depuis la mise en application de la loi, la RC a pris une place croissante parmi les différentes modalités de rupture du CDI. Ainsi, fin 2010, le total de l’ensemble des RC homologuées depuis août 2008 se monte à près de 760 000. Pour la seule année 2010, les RC représentent 20 % de l’ensemble des ruptures de CDI, à comparer avec les 14,8 % de licenciements économiques, les 47,3 % de licenciements pour motif personnel et les 17,9 % de démissions? [4]. On observe ainsi un véritable rattrapage par la RC des licenciements économiques et des démissions (encadré 1). Néanmoins, toute interprétation de l’évolution constatée de ces diverses modalités de rupture est particulièrement délicate dans un contexte de crise comme celui qui accompagne la mise en place de la RC [Minni, 2011]. De plus, étant donné le caractère récent de la mise en place de ce dispositif, peu d’analyses empiriques sont disponibles aujourd’hui pour évaluer les raisons du « succès » de la RC.
3Quelques documents, émanant essentiellement de la Dares, fournissent cependant des informations sur les caractéristiques de son usage (encadré 1). Toutefois, là encore, il faudra attendre des études économétriques plus affinées et l’exploitation des enquêtes auprès des salariés récemment lancées par le ministère du Travail, entre autres, pour être à même d’interpréter la place prise par la RC dans l’ensemble des modalités de rupture du contrat de travail.
4Les débats qui ont précédé le vote de la loi à l’Assemblée nationale [rapport Dord (RD), 2008] et au Sénat [rapport Bernard-Reymond (RBR), 2008] assignent clairement deux grands objectifs à la RC. Tout d’abord, elle doit sécuriser juridiquement la rupture de CDI en introduisant un formalisme procédural bien défini? [5] qui doit produire alors, par construction, une baisse des contentieux : « La meilleure garantie contre le risque de judiciarisation est précisément le commun accord des parties, qui est reconnu par l’homologation. La conflictualité sera ainsi réduite à la source même de la procédure? [6] [RD, 2008, p. 29]. »
5La seconde finalité assignée à la RC est de remplacer les « faux licenciements » – i.e. des licenciements masquant des démissions ou des ruptures en réalité consensuelles ou négociées – et, ce faisant, démocratiser la transaction. La transaction, contrat par lequel les parties terminent une contestation née ou à naître [article 2044 du Code civil] permet en effet une négociation sur les conséquences de la rupture. Cependant, ce n’est pas une modalité de rupture car elle doit être postérieure au licenciement. La RC peut alors être perçue comme la transformation de ce dispositif de négociation en modalité de rupture pour permettre d’en généraliser et démocratiser l’accès? [7].
6L’article a alors pour but d’analyser a priori ces objectifs officiels afin d’en mettre au jour les enjeux implicites et les possibles conséquences? [8]. Tout d’abord, si la RC s’adresse officiellement à des ruptures négociées, elle est supposée incarner la rencontre d’intérêts bien compris et peut être étudiée à travers le prisme des arbitrages d’individus rationnels. Il apparaît alors que cette modalité de rupture, comme les autres, met en jeu des intérêts conflictuels entre employeur et salarié. Un intérêt commun à la rupture notamment – une séparation mutuellement désirée – n’induit pas nécessairement un intérêt commun à la RC comme modalité juridique de rupture. La RC suppose alors la conciliation de ces intérêts à travers une négociation bilatérale. C’est d’ailleurs en cela qu’elle a vocation officielle à se substituer à la transaction, principale modalité de négociation ou de résolution de litige existante (I).
7Souligner ces intérêts antagoniques et leur nécessaire conciliation soulève des enjeux importants, et notamment ceux de la valeur du consentement et de la capacité de négociation d’un salarié pris dans une relation de subordination. Les garanties procédurales qui encadrent la RC manifestent le souci de tenir compte du caractère subordonné de la relation d’emploi et de la fragilité du commun accord. Toutefois, leur capacité à éviter les éventuelles dérives, comme le vice de consentement ou le contournement frauduleux du droit du licenciement économique collectif, reste fragile (II).
8Enfin, se pose la question de la sécurisation juridique que la RC est censée produire. Il s’agit alors de questionner la nature et le sens de cette baisse du contentieux attendue et la capacité de la RC à réduire « par construction » la conflictualité pouvant présider à la rupture (III).
Encadré 1. Connaissance empirique de la rupture conventionnelle
Les analyses de la Dares reposent sur l’exploitation d’enquêtes et des déclarations sur les mouvements de main-d’œuvre EMMO-DMMO. En voici les principaux enseignements :
- le taux de RC dans l’ensemble des effectifs des établissements en 2009 est de 0,9 % pour un taux de licenciement économique de 1,2 % et un taux des autres licenciements de 2,3 %.
- entre le premier semestre 2009 et le second semestre 2010, la part des RC dans l’ensemble des sorties de CDI (licenciements, démission, RC) a fortement augmenté passant de 7,4 % à 11,3 %, alors que dans le même temps la part des licenciements (quel que soit le motif) diminuait et celle des démissions augmentait.
- la RC semble surreprésentée dans les établissements de moins de 50 salariés en 2010 – notamment dans les très petits établissements (1 à 9 salariés) qui concentrent 40 % des RC homologuées – ainsi que dans les secteurs du commerce en 2009 et de la construction en 2010.
- en 2009, les salariés de 58 ans et plus apparaissent surreprésentés dans les RC par rapport aux sorties pour licenciement autre qu’économique, même si, en 2010, cette surreprésentation ne s’observe plus que pour les établissements de plus de 50 salariés au premier semestre et de plus de 250 salariés au second semestre.
Évolution des motifs d’entrées à Pôle emploi après une rupture de CDI? [9] :
La Dares recense les RC parmi les motifs d’entrées à Pôle Emploi? [10]. Jusqu’à fin 2009 étaient indiqués le nombre d’entrées à Pôle Emploi après une RC et un taux d’inscription, calculé par rapport au nombre de demandes homologuées. Ainsi, au second semestre 2009, 75 % en moyenne des signataires de RC s’inscrivent ensuite à Pôle Emploi, avec un pic en décembre à près de 80 % (79,2 %). Sous l’hypothèse que ce taux moyen de 75 % au second semestre 2009 se maintient par la suite – l’information disparaissant des tableaux de la Dares à partir de janvier 2010 – le graphique ci-dessous rend compte de l’évolution des modalités de ruptures de CDI observée entre janvier 2008 et juin 2011 et fait apparaître la montée de la part des RC dans l’ensemble des ruptures et sa convergence avec les démissions et les licenciements économiques. Il est toutefois à interpréter avec précaution puisque le taux d’inscription à Pôle Emploi pourrait avoir varié à partir de janvier 2010. En outre, on ne peut déduire directement de ces évolutions l’existence de phénomènes de substitutions, notamment à cause de l’effet de la crise qui modifie les types de ruptures, en volume comme en part relative.
Entrées à Pôle Emploi après une rupture de CDI, 2008-2011

Entrées à Pôle Emploi après une rupture de CDI, 2008-2011
Champ : France métropolitaine2 – Du commun accord aux intérêts conflictuels : la RC analysée à l’aune des arbitrages individuels
9La RC offre un cadre formel pour les ruptures consensuelles ou négociées et les licenciements pour motifs personnels (LMP) « instrumentalisés »? [11]. « Pourquoi des formes négociées se sont-elles développées, même hors d’un cadre légal ? Elles peuvent parfois correspondre sans doute à des pressions abusives des employeurs mais d’autres motifs légitimes du recours à la rupture négociée existent. » [RD, 2008, p. 56] Il s’agit ici d’analyser ces « motifs légitimes » et d’identifier l’ensemble des ruptures mutuellement avantageuses auxquelles s’adresse officiellement la RC. C’est donc la question d’une éventuelle convergence d’intérêts à la rupture que soulève la RC. C’est pourquoi nous l’étudions à partir d’un modèle de l’intérêt bien compris.
10Certaines séparations incarnent parfaitement la RC, précisément parce qu’elles sont d’emblée a-conflictuelles, par exemple lorsque domine le désir de rupture « en bons termes »? [12] ou la volonté commune d’éviter les stigmates d’une séparation décidée unilatéralement? [13]. Mais en dehors de ces configurations, les ruptures de contrat de travail sont souvent intrinsèquement conflictuelles. Pour que les intérêts convergent vers la RC, il faut alors considérer que le consensus est porteur d’une rente égale au coût d’opportunité du conflit, ce qui soulève le problème épineux du partage de cette rente dans une négociation bilatérale. L’analyse économique, depuis la théorie d’Edgeworth [1881], souligne que le résultat d’un tel partage est indéterminé, fonction des capacités de négociation de chacun. Toutefois, le cadre plus contemporain de la théorie des jeux, adapté à ce type d’interactions conflictuelles, permet de dresser la liste des déterminants classiques – gains et croyances – des stratégies individuelles de coopération pouvant conduire à l’établissement d’une RC.
11Il s’agit ici d’explorer l’ensemble des éléments requis pour une possible conciliation de ces intérêts divergents via la RC et la mise en place de stratégies individuelles de coopération. Même quand le principe de la rupture recueille le consentement des deux parties, quand le désir de séparation est commun, celui du choix de la modalité juridique de rupture – plus précisément ici d’une RC plutôt que d’une démission (1.1) ou d’un licenciement pour motif personnel (1.2) ou économique (1.3) – relève souvent d’intérêts antagoniques.
2.1 – Rupture conventionnelle versus démission
12Tout salarié qui souhaite démissionner a un intérêt financier à transformer cette démission en RC, afin, d’une part, de percevoir les indemnités de rupture et, d’autre part, d’avoir accès à l’assurance chômage.
13L’employeur qui a intérêt au départ d’un salarié démissionnaire trouvera alors une modalité de rupture appropriée dans la RC, qu’il désire s’en séparer, qu’il souhaite une compression de personnel, ou encore qu’il craigne de garder un salarié démotivé. Mais, même favorable au départ du salarié, l’employeur a tout intérêt à attendre la démission de ce dernier plutôt que d’accepter une RC qui lui coûte précisément les indemnités. L’intérêt à la rupture du contrat de travail est commun, mais il n’y a pas nécessairement intérêt commun à la RC comme modalité juridique de rupture? [14]. Expliquer alors l’accord de l’employeur pour la transformation coûteuse d’une démission en RC suppose la conciliation possible de ces intérêts divergents. Le refus par l’employeur de la RC souhaitée par le salarié peut engendrer un conflit coûteux pour les deux parties, conflit dont la crainte peut inciter à la coopération. Par exemple, l’employeur peut accepter une RC coûteuse pour lui s’il redoute que le salarié, en cas de refus, renonce à démissionner ; en revanche, il n’a pas intérêt à accepter la RC d’un salarié dont il est certain par ailleurs de la démission. Ainsi, le choix de la RC dépend d’une part des croyances de chacun relatives aux choix de l’autre – notamment de la croyance de l’employeur en la démission du salarié en cas de refus – et, d’autre part, du coût de l’attente pour chacun – coût du maintien d’un salarié démotivé pour l’employeur, coût du renoncement à la démission ou à un autre emploi pour le salarié, etc.
2.2 – Rupture conventionnelle versus licenciement pour motif personnel
14L’intérêt de l’employeur à transformer en RC un licenciement pour motif personnel tient aux difficultés pour le salarié de contester ensuite une rupture à laquelle il aura donné son accord. En effet, la RC n’établit ni l’imputabilité, ni le motif de la rupture – principal motif de recours aux prud’hommes après ce type de licenciement (cf. 3.2) – et entérine, via l’homologation, l’accord des parties.
15C’est pour cette même raison que le salarié a, lui, généralement intérêt à refuser cette transformation. Il peut néanmoins accepter la RC s’il souhaite partir selon deux configurations. Soit son emploi ne lui convient plus (et on retombe sur le cas du 1.2), soit le salarié se trouve dans une situation de souffrance au travail. Dans ce dernier cas, la RC peut apparaître comme une possibilité de sortie de crise? [15]. L’opportunité d’une RC prive le salarié de la possibilité d’obtenir réparation des préjudices subis, mais lui donne accès aux allocations chômage? [16]. C’est, paradoxalement pour une séparation « en bons termes », dans cette situation de conflictualité exacerbée que la RC peut apparaître aux deux parties comme la solution la plus « sécurisante » pour mettre un terme à leur relation de travail.
16En dehors de ces deux configurations, le salarié n’a pas intérêt à accepter la RC. Il faut à nouveau raisonner en termes de coût d’opportunité associé au conflit ou de rente associée à la coopération. L’issue de ce conflit dépend des mêmes éléments que précédemment : tout d’abord, les croyances de chacun sur le comportement de l’autre – croyance de l’employeur sur la capacité du salarié à entreprendre un recours, croyance du salarié sur l’existence d’une cause réelle et sérieuse à un éventuel licenciement en cas de refus –, ensuite du coût du maintien en emploi et de celui du contentieux et finalement de la capacité du salarié à amener l’employeur à partager la rente associée pour ce dernier à une RC. La RC doit concilier des intérêts contradictoires en compensant la perte de droits du salarié par le versement d’indemnités.
17C’est sans doute dans cette perception que s’inscrivent les rapporteurs du projet de loi pour considérer que la RC a vocation à remplacer la transaction? [17]. Elle peut apparaître alors comme un contrat inscrivant les termes du partage de la rente. En effet, consécutive à une rupture du contrat de travail par l’une ou l’autre des parties, la transaction a pour objet de mettre fin, par des concessions réciproques, à toute contestation née ou à naître de cette rupture. Or la substitution RC-transaction n’est pas neutre (cf. tableau 1 ci-dessous). Tout d’abord, la transaction ne peut prendre effet qu’après le licenciement, quand la relation de subordination a pris fin. Le maintien du salarié en subordination au moment de l’établissement de la RC est donc problématique. La capacité de négociation de la partie faible du contrat est largement érodée par son rapport de dépendance.
18Ensuite, la transaction ne peut en aucun cas porter sur la rupture en soi ou sur son imputabilité mais uniquement sur ses conséquences? [18]. La RC, en portant désormais sur le principe même de la rupture, étend le champ de la négociation.
19Enfin, la transaction s’adresse à des parties en litige qui doivent pour clore ce dernier s’accorder des « concessions réciproques ». En cas de recours, le juge doit apprécier, sous peine de nullité, le caractère « non dérisoire » de ces concessions et les mettre en balance avec les droits « plancher » du salarié. Il porte donc un regard sur l’équité de la transaction. Toute transaction, qu’elle survienne pour clore un contentieux entamé ou pour prévenir un contentieux à venir, se fait toujours sous la menace d’un recours : « La transaction apparaît comme un arrangement contractuel qui s’opère (…) à l’ombre du procès, et dont les mécanismes de négociations ne peuvent se comprendre en dehors de ce référent judiciaire. » [Melot, 2005, p. 87]. Ce n’est plus le cas de la RC. L’exigence de concessions réciproques n’est pas maintenue et seul le minimum légal en termes d’indemnités est garanti au salarié. En posant d’emblée le commun accord et la séparation en bons termes, la RC ne permet pas de penser le renoncement du salarié à certains droits et donc leur nécessaire compensation. Elle laisse l’éventuelle négociation bilatérale s’établir dans un rapport de subordination sans poser aucune exigence sur la balance des intérêts des parties, et ce, même en cas de recours ultérieur au juge. En d’autres termes, en évinçant la figure du juge, elle ne pose aucune garantie sur le partage de la rente et dégrade sensiblement les capacités de négociation du salarié par rapport à la transaction.
L’objet et les conditions de la négociation : transaction vs RC

L’objet et les conditions de la négociation : transaction vs RC
2.3 – Rupture conventionnelle versus licenciement pour motif économique
20Envisageons finalement la substitution avec les licenciements économiques. Leur transformation en RC ajoute aux avantages précédents la possibilité de contourner certaines obligations faisant suite à ce type de licenciement. Ainsi la RC n’implique ni l’interdiction d’embauche sur un poste équivalent, ni la priorité de réembauche, ni aucune règle relative à l’ordre des départs, comme c’est le cas pour les licenciements économiques. Mais c’est surtout l’évitement des règles encadrant les licenciements collectifs et les plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) qui est en jeu. La transformation de plusieurs licenciements économiques en RC peut permettre même d’éviter un PSE en maintenant l’effectif licencié en deçà du seuil ouvrant obligation à PSE? [19]. Enfin, l’utilisation de la RC pour une cause économique pourrait dégager l’employeur de ses obligations en matière de reclassement. En effet, un employeur qui procède à des suppressions d’emplois au moyen d’un plan de départs volontaires sans licencier par ailleurs est dispensé de plan de reclassement (arrêt « Renault » du 26 octobre 2010). Les RC pourraient alors apparaître comme un moyen de pallier l’insuffisance de volontaires au départ sans pour autant recourir au licenciement.
21Néanmoins, si l’on s’en tient à la comparaison des montants financiers? [20], aucun salarié n’a intérêt à une telle substitution, d’autant que d’autres dispositifs d’accords négociés lui sont ouverts. Conformément au Code du travail, les conventions de reclassement personnalisé, les contrats de transitions professionnelles et les congés de reclassement dans le cadre d’un PSE sont autant de configurations possibles de telles ruptures négociées qui accordent au salarié davantage de droits? [21]. Par conséquent, pour qu’un salarié accepte la RC, il faut que l’employeur partage la rente que lui confère l’évitement des règles du licenciement économique. À titre illustratif, un employeur pourrait offrir une compensation plus élevée que celle qu’il offrirait dans le cadre d’un PSE, si ces RC lui permettent précisément de rester au-dessous du seuil imposant un PSE. Ainsi, la RC s’explique là encore par des arbitrages qui mobilisent les croyances de chacun sur le comportement de l’autre – croyance du salarié sur la réalité des difficultés économiques de l’employeur et sur la probabilité d’un licenciement en cas de refus, croyance de l’employeur en la capacité du salarié à entreprendre un recours.
22Mis à part les cas de rupture d’initiative commune, intrinsèquement a-conflictuelle, la RC fournit un cadre de conciliation des intérêts a priori divergents, via le partage de la rente induite par l’évitement du conflit. Or le marchandage bilatéral du partage des gains associés à un accord dépend du rapport de forces en vigueur et donc in fine des capacités de négociation respectives de chacun. Une mesure de ce pouvoir pourrait être estimée à partir du montant des indemnités versées au salarié dans le cadre de la RC. Sauf dans le cas où le salarié souhaite quitter l’entreprise, les indemnités devraient croître dans le même sens que ce pouvoir de négociation. La Dares a réalisé une étude statistique sur ces montants à partir des formulaires d’homologation de l’année 2009 [Minni, 2011]. Elle fait effectivement apparaître une grande hétérogénéité des montants attribués qui apparaissent élevés pour une petite fraction d’entre eux (voir encadré 2). Mais, pour la majorité des salariés, l’indemnité de RC n’est pas plus élevée que le minimum légal obligatoire. Se pose donc avec acuité la question de la valeur d’une telle négociation bilatérale dans une relation asymétrique de subordination entre employeur et salarié.
Encadré 2. L’indemnité de rupture conventionnelle : quel montant ?
La seule étude disponible pour évaluer les montants d’indemnité versés suite à une RC a été réalisée par la Dares [Minni, 2011] à partir des formulaires d’homologation de l’année 2009 saisis par leurs services (soit 72 % de l’ensemble des RC). On ne peut comparer ces montants à ceux requis selon la convention collective qui n’est pas mentionnée dans le formulaire. Trois constats peuvent néanmoins être mis en avant :
- tout d’abord, les niveaux d’indemnités des RC sont très hétérogènes : le premier décile est de moins de 280 euros, le dernier de plus de 18 000 euros. En termes de coefficient, le premier quartile est à 0,2 mois de salaire par année d’ancienneté quand le dernier décile est à 0,96.
- ensuite, la moitié des salariés reçoit un montant correspondant à 0,23 mois de salaire par année d’ancienneté, ce qui vraisemblablement ne doit pas être supérieur au minimum légal véritable puisque certaines conventions collectives offrent des conditions plus avantageuses.
- Enfin, mesuré en mois de salaires par année d’ancienneté, le ratio croît avec l’ancienneté, la taille de l’établissement et le salaire. On peut ainsi avancer, sous réserve de l’effet non mesuré des conventions collectives, l’hypothèse d’un meilleur pouvoir de négociation pour les hauts salaires et dans les grands établissements où la représentation syndicale est la plus forte.
3 – De l’accord formel du salarié : la question du consentement
23Le propre du contrat de travail est la subordination juridique du salarié qui « postule la soumission du salarié au pouvoir de direction de l’employeur » [Gaudu et Vatinet, 2001, p. 322]. Or, alors que la RC met employeur et salarié en mesure de s’accorder sur la rupture et ses conséquences, cette subordination altère nécessairement les capacités de négociation du salarié notamment, on l’a vu, par rapport à une transaction. Si les garanties procédurales qui encadrent la RC offrent des garde-fous contre le vice de consentement (3.1), elles semblent avant tout formelles et ne permettent pas de garantir l’authenticité du commun accord ni même d’éviter les usages frauduleux de la RC, notamment le contournement concerté du droit du licenciement économique (3.2).
3.1 – Garanties procédurales et vice de consentement
24L’inégalité de position entre l’employeur et le salarié justifie la mise en place de garanties procédurales visant à protéger le salarié. Les trois « garde-fous » proposés – assistance, délai de rétractation, homologation – relèvent pourtant davantage de formalités administratives que de véritables garanties.
25Le droit d’assistance par un tiers accordé au salarié doit ainsi rééquilibrer le rapport de forces lors des négociations sur l’accord de rupture. Pourtant, il est en réalité peu protecteur. D’une part, cette assistance reste facultative. De fait, seuls 9,4 % des salariés se sont fait assister lors d’un des entretiens en 2009 [Minni, 2011]. Une obligation d’assistance par un tiers aurait permis d’« [annihiler] le risque lié à l’état de subordination du salarié » [Fourcade 2007, p. 173]. D’autre part, l’employeur n’a aucune obligation d’informer le salarié de cette possibilité d’assistance, contrairement à la procédure de licenciement qui oblige l’employeur à envoyer au salarié une lettre de convocation à l’entretien préalable, précisant la possibilité d’assistance par un tiers.
26En outre, la facilité d’accès à l’assistance par un tiers dépend de la présence d’institutions représentatives du personnel susceptibles d’informer les salariés de cette possibilité. Or, la présence de délégués syndicaux est plus faible dans les petits établissements [Pignoni, 2007], là où précisément les RC sont surreprésentées : l’assistance du salarié est plus rare dans les établissements de moins de 10 salariés (6 %) ou dans ceux de 10 à 49 salariés (10 %), contre 17 % dans les établissements de plus de 250 salariés, alors que ces petits établissements accueillent 75 % des RC signées [Minni, 2011].
27Le second garde-fou, l’homologation par les unités territoriales (UT, qui remplacent les anciennes directions départementales du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle), est lui aussi sujet à critiques. Il poursuit deux objectifs officiels : garantir la légalité de la convention et l’absence de vice de consentement. Son efficacité dépend des moyens mis à disposition des UT pour exercer un contrôle? [23]. Or, sur les 18 UT que nous avons contactées à l’automne 2009? [24], aucune ne déclarait d’embauche sur cette mission mais plutôt un redéploiement du personnel. Et ce, alors que certaines directions recevaient à l’époque jusqu’à 1 000 demandes d’homologation par mois, et que s’intensifiait, du fait de la crise, leur charge de travail. Face à des moyens insuffisants, le danger est notamment que les UT, faute de temps, homologuent les RC tacitement, sans vérification, puisque l’absence de réponse sous quinze jours vaut acceptation. Cette inquiétude était d’ailleurs partagée par le ministre du Travail : « Il faudra observer quelle charge de travail l’examen des dossiers représente pour les directions départementales du travail. Il ne faudrait en effet pas que ce soit faute de moyens que l’administration réponde par le silence, qui vaut acceptation, d’autant qu’en se tournant vers l’État pour l’homologation, les partenaires sociaux lui ont adressé une marque de confiance? [25]. » [RD, 2008, p. 30]
28Outre cette question des moyens, la vérification du consentement du salarié lors de l’homologation soulève d’autres problèmes. D’une part, le formulaire d’homologation envoyé par les parties, seul document obligatoire pour la demande à l’UT, fournit en réalité assez peu d’informations – nom, ancienneté, établissement, montant des indemnités, date de signature, modalités d’assistance des parties. Comme, par définition, l’initiative de la rupture n’est pas indiquée, le contrôle du consentement du salarié est nécessairement compliqué? [26]. D’autre part, les UT n’ont pas d’instructions précises sur les démarches à effectuer pour s’assurer de l’authenticité du consentement des parties, et ce malgré trois directives successives envoyées par la Direction générale du travail (DGT). La première circulaire précise en particulier que le contrôle doit « porter sur les points qui permettent de vérifier le libre consentement des parties d’une part, et, d’autre part, sur les éléments fondant l’accord du salarié (par exemple, montant de l’indemnité spécifique de RC, respect du délai de rétractation, etc.) » [DGT, 2008, nous soulignons]. Or, si ces premiers « points » restent énigmatiques, les seconds « éléments » renvoient aux informations fournies par le formulaire. L’homologation consiste alors à vérifier qu’indemnités, délais de rétractation et conditions d’assistance sont conformes à la loi. Elle permet donc de vérifier le respect des deux premiers garde-fous sans constituer une troisième garantie de nature différente.
29Finalement, seul le délai de rétractation permettant au salarié de demander conseil à un tiers semble protecteur. Il est cependant limité par sa durée relativement courte (quinze jours) et par la possibilité d’antidater le document, tentation sans doute forte puisque le non-respect des délais est l’une des causes principales de non-homologation avec 30 % des cas de refus d’homologation [Minni, 2011].
3.2 – Garanties procédurales et fraudes à la loi
30Si les garde-fous ainsi proposés sont nettement insuffisants pour écarter les éventuels problèmes de consentement vicié, le véritable effet pervers éventuellement induit par la RC n’est pas tant le vice de consentement du salarié que le « libre » consentement à la fraude à la loi. En effet, un salarié peut consentir « librement » à renoncer à ses droits? [27] et troubler ainsi l’« ordre public »? [28]. Le contournement du droit du licenciement collectif peut s’appuyer aussi bien sur le « libre consentement » du salarié à la fraude que sur le vice de consentement d’un salarié menacé en cas de refus, autrement dit sur une fraude imposée que sur une fraude consentie.
31Bien sûr, la RC n’a pas vocation à se substituer aux licenciements économiques et elle « n’est pas applicable aux ruptures de contrats de travail résultant : 1° des accords collectifs de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (…) ; 2° des plans de sauvegarde de l’emploi (…) » [L1237-16 CT]. Cependant, face aux interprétations divergentes de ce dernier article [Fabre et Géa, 2010 ; Couturier, 2008], la DGT réaffirme dans une instruction exclusivement consacrée à « l’incidence d’un contexte économique difficile sur la RC » que cette dernière « ne doit pas conduire à contourner les règles du licenciement collectif pour motif économique » [DGT, 2010]. Pourtant, l’ambiguïté persiste puisque les difficultés économiques d’une entreprise ne sont pas exclusives de la RC : elle peut intervenir alors même que l’entreprise rencontre des difficultés économiques qui l’amènent à se séparer de certains de ses salariés. Par ailleurs, si la DGT précise qu’il faut être attentif à la fréquence des demandes d’homologation et à leur contexte économique, elle ne propose aucun seuil limite au nombre de RC signées comme c’est le cas pour les licenciements économiques collectifs. L’arrêt récent de la Cour de cassation de mars 2011? [29] pourrait borner l’effet de ces signatures de RC sur les possibilités de mise en place d’un PSE. Cet arrêt énonce que « lorsqu’elles ont une cause économique et s’inscrivent dans un processus de réduction des effectifs dont elles constituent la ou l’une des modalités, les ruptures conventionnelles doivent êtres prises en compte pour déterminer la procédure d’information et de consultation des représentants du personnel ainsi que les obligations de l’employeur en matière de plan de sauvegarde de l’emploi » (nous soulignons). Toutefois, comment distinguer les RC « économiques » de celles qui ne le sont pas, mais qui ont lieu parallèlement à des licenciements économiques collectifs ? Seule la vigilance des représentants du personnel pendant la procédure peut permettre de dénoncer ces éventuelles collusions frauduleuses. Ainsi, toute RC signée par une entreprise témoignant par ailleurs de difficultés économiques devrait donner lieu à une procédure d’enquête particulière par l’UT. En effet, le formulaire d’homologation ne comporte aucune demande d’information quant à l’existence d’un plan de licenciement dans l’entreprise concernée.
4 – De la sécurisation juridique attendue
32L’un des deux objectifs officiels de la RC est de produire, grâce au formalisme qui encadre le commun accord, une sécurisation juridique (4.1). « Sans exclure le recours postérieur au juge, la rupture conventionnelle (…) devrait permettre de le limiter, d’une part par construction puisqu’elle sera négociée, d’autre part grâce à la garantie apportée à travers une intervention administrative légère avec l’homologation. » [RD, 2008, p. 56] Il s’agit, pour finir, de questionner cette idée souvent évoquée, selon laquelle la RC produira « par construction » une baisse du contentieux et une moindre conflictualité (4.2). La réduction du contentieux peut être le signe d’un affaiblissement de la capacité des salariés à faire valoir leurs droits, à convoquer le juge pour éclairer les conflits d’intérêt inhérents à la relation salariale (4.3).
4.1 – De la sécurisation observée de la RC…
33Les recours post RC sont aujourd’hui extrêmement rares puisque moins de 0,01 % des RC donnent lieu à un recours aux prud’hommes. À notre connaissance, moins d’une trentaine de cas existent aujourd’hui, regroupant des situations hétérogènes? [30].
34Ces très rares contentieux post RC témoignent bien du fait que les garde-fous, censés protéger le salarié, fixent un cadre formel à l’accord du salarié et fournissent effectivement « par construction » la sécurisation juridique de la rupture du contrat qui était recherchée. Contester un accord préalablement donné et entouré de garanties procédurales semble compliqué. Toutefois, le fait que la RC soit une modalité de rupture ‘sécurisée’ en soi ne signifie pas qu’elle parvienne, comme attendu, à sécuriser les ruptures de CDI en général. Il faudrait que l’introduction de la RC ait aussi un effet sur les contentieux qui font suite aux autres modalités de rupture. Or, si l’objectif de la RC est bien de s’adresser à des ruptures consensuelles, d’un commun accord, il n’est pas cohérent d’attendre de son développement dans les usages une baisse du contentieux puisqu’elle s’adresse a priori à des ruptures qui n’étaient pas auparavant contestées. Pourtant, pour que le développement de la RC induise bien une baisse du contentieux en général, il faut qu’elle remplace des ruptures qui, à défaut, auraient donné lieu à la saisine des prud’hommes.
4.2 – … à la sécurisation de la rupture en général
35La sécurisation de la RC n’implique celle de la rupture de CDI en général que si elle parvient à réduire le contentieux post licenciement.
36C’est en effet de loin le plus courant puisqu’il représente plus de 98 % des contentieux prud’homaux [Munoz-Perez et Serverin, 2005]. Ces contentieux portent essentiellement sur des licenciements pour motif personnel avec 91,2 % des recours en 2007 [Serverin et Valentin, 2009]. Or la principale raison du recours après un LMP est le motif du licenciement avec 85,5 % des contentieux post LMP en 2007 [Serverin et Valentin, 2009]. On voit bien comment la RC pourrait en effet réduire ce type de contentieux : soit il n’y a pas d’accord sur le motif et comme celui-ci n’a plus à être formulé, le conflit n’est pas résolu mais son objet est éludé ; soit le conflit sous-jacent sur le motif est « résolu » par une compensation monétaire dont la contrepartie est la difficulté à contester cette rupture devant les prud’hommes. En effet, la RC inscrit formellement l’accord des parties là où le licenciement inscrit formellement l’imputabilité et le motif de la rupture, c’est-à-dire les moyens d’agir du salarié. La RC en soi ne contient aucun élément susceptible de pacifier la rupture, i.e. de réduire la conflictualité intrinsèque. La baisse, en nombre, du contentieux post-licenciement pourrait alors traduire davantage une réduction de l’espace du contentieux induite par l’absence d’imputabilité et surtout de motif à la rupture.
37Plus généralement, la réduction du contentieux post-licenciement, si elle a lieu, pourrait résider dans la possibilité pour les employeurs d’obtenir – via une compensation monétaire prenant la forme d’indemnités – le renoncement des salariés à faire valoir leurs droits – le choix de la RC rendant la rupture difficilement contestable, une fois l’accord du salarié entériné.
4.3 – La réduction du contentieux : un objectif discutable
38Le nombre de contentieux est déjà en baisse sur les quinze dernières années, en niveau comme en pourcentage des licenciements dénombrés par Pôle Emploi [Gomel et al. 2010]. On peut alors s’interroger sur la pertinence d’un tel objectif de réduction.
39L’excès du nombre de contentieux est pourtant un argument mobilisé pour critiquer le contrôle juridique des licenciements et plus généralement la protection de l’emploi. Le contrôle juridique est considéré, par certains économistes, comme chronophage, coûteux pour les employeurs comme pour l’ensemble de la société, soumis aux revirements incessants de la jurisprudence et donc particulièrement incertain [Blanchard et Tirole, 2003 ; Cahuc et Kramarz, 2004 ; COE, 2007].
40Toutefois, la baisse du contentieux pourrait au contraire alarmer. Elle peut traduire la réduction de la part des salariés capables de contester un licenciement, du fait de la hausse du recours aux emplois temporaires et de celle des salariés qui n’ont pas l’ancienneté suffisante pour accéder aux indemnités plancher du Code du travail? [31] [Serverin et al., 2008]. On peut aussi la mettre en parallèle avec la baisse des jours de grève [Bobbio et Naboulet, 2010] et la considérer comme un indice supplémentaire de l’affaiblissement de la capacité des salariés à faire valoir leurs droits en période de chômage de masse. Enfin, dans une perspective plus optimiste, cette baisse peut être le résultat des effets, sur les pratiques des entreprises, des arrêts rendus par les juges du fond et la Cour de Cassation qui, au fil de la jurisprudence, donnent sens à un Code du travail dont les termes restent à interpréter. C’est d’ailleurs ce que produisent les rares contentieux auxquels la RC a donné lieu. Certains ont contribué à clarifier l’interprétation de la loi et donc à encadrer les pratiques à venir : le consentement du salarié est considéré comme vicié si la RC a été signée en situation de harcèlement moral? [32] ou de litige entre l’employeur et le salarié? [33] ; les RC « économiques » établies de manière à contourner les règles encadrant les licenciements collectifs sont requalifiées? [34] ; ou encore sont interdites les RC comportant par avance une clause de renonciation à un droit dans la convention de rupture? [35].
41Le taux de contestation des licenciements s’établit ces dernières années autour de 2 % pour le licenciement pour motif économique et de 20 % pour les licenciements pour motif personnel [Serverin et Valentin, 2009]. Si ce taux de contestation est décrit comme trop élevé en matière de droit du travail, il est intéressant de constater que le taux de recours en justice des consommateurs est jugé, lui, nettement insuffisant? [36]. Il s’agit alors d’« encourager la participation active des citoyens au bon fonctionnement des marchés » parce que « l’accès à des mécanismes de recours pour les consommateurs lorsque leurs droits sont violés par des professionnels améliore la confiance dans les marchés et les performances de ces derniers » (Commission européenne, op. cit.). Or les résultats des actions des salariés qui saisissent les prud’hommes donnent à penser qu’eux aussi devraient être encouragés à contester les pratiques qui violent leurs droits. En effet, dans plus de 65 % des cas [Munoz-Perez et Serverin, 2005], les salariés sont gagnants et ce, alors que le jugement, après échec de la conciliation, est rendu par deux représentants des salariés et deux représentants des employeurs, à la majorité absolue de ces quatre conseillers prud’homaux. Dans la plupart des cas, il aura donc fallu qu’un représentant des employeurs soutienne la demande du salarié, signe de la légitimité du recours.
5 – Conclusion
42Les éléments empiriques manquent aujourd’hui pour savoir dans quelle proportion la RC se substitue à telle ou telle autre modalité de rupture, ou entraîne un surcroît de ruptures, i.e. pour connaître les multiples visages des plus de 600 000 RC signées depuis 2008 (fin 2011). Mais on peut s’interroger sur les effets de ce succès sur les droits des salariés. Tout d’abord, la négociation bilatérale d’une rupture entre employeur et salarié peut désormais s’établir sans que la partie faible du contrat ne soit suffisamment protégée, et notamment sans que la figure du juge ne garantisse la balance des intérêts. Ensuite, les éventuelles collusions frauduleuses cherchant à contourner les règles encadrant les licenciements économiques individuels et collectifs pourraient faire échec à ce droit du licenciement collectif qui doit aussi faciliter le retour en emploi des salariés concernés. Enfin, la réduction du contentieux peut traduire davantage une résorption de l’espace possible du contentieux via l’éviction du juge et du motif de la rupture, que celle de la conflictualité en soi ou d’un apaisement des relations de travail.
Notes
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[1]
Les auteures souhaitent remercier Corinne Perraudin et Nadine Thèvenot pour leur relecture attentive et constructive ainsi que les deux rapporteurs pour leurs remarques et leurs propositions.
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[2]
Lorsqu’il s’agit de l’acception juridique d’un terme, nous le signalons par l’usage de l’italique.
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[3]
Sauf pour les salariés protégés dont l’homologation doit être validée par l’inspection du travail.
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[4]
Source : Pôle Emploi. Calcul reposant sur l’hypothèse d’un taux d’inscription à Pôle Emploi après une rupture conventionnelle de 75 %, moyenne observée sur les six derniers mois de l’année 2009.
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[5]
Formalisme qui faisait notamment défaut à la principale rupture négociée déjà existante, la rupture amiable qui autorise les parties à mettre fin à leur convention par consentement mutuel. Outre le fait qu’elle n’ouvre pas droit pour le salarié aux allocations chômage et que son usage est limité par la jurisprudence, cette rupture amiable n’est encadrée par aucune procédure particulière [RD, 2008].
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[6]
L’argument est récurrent : « La [RC] produira par ailleurs de la sécurité juridique et financière pour les deux parties, par construction même, puisque leur accord sera formalisé, mais aussi du fait des garanties prévues, telles que l’intervention de l’administration du travail qui devra homologuer l’accord et l’accès de droit aux allocations de chômage. » [RD, 2008, p. 5-6].
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[7]
« On sait que cette dernière [la transaction] n’est pas encadrée ; on prend alors un avocat et c’est onéreux, donc réservé à un petit nombre de salariés : cadres et cadres supérieurs. (…) Il fallait mettre le droit en accord avec la pratique, c’est-à-dire les transactions. Désormais, ces dernières seront ouvertes à tous les salariés qui bénéficieront de garanties élargies. » [RD, 2008, p. 28]
-
[8]
Ces objectifs étaient d’ailleurs déjà avancés lors des débats sur l’Accord national interprofessionnel (ANI). Toutefois, nous nous limitons aux objectifs officiels du gouvernement. Pour une étude détaillée de la genèse de l’ANI et des débats qu’il a suscités, voir [Freyssinet, 2009].
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[9]
Notons que les entrées à Pôle Emploi après une démission sont nécessairement sous-évaluées puisque moins susceptibles d’ouvrir droit aux allocations chômage.
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[10]
Cf. Dares, tableau mensuel, www.travail-emploi-sante.gouv.fr, rubrique Statistiques, Emploi et Les ruptures conventionnelles.
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[11]
Le terme est emprunté au rapport du Conseil d’orientation de l’emploi [COE, 2007, p. 158].
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[12]
La RC « apportera de la souplesse aux employeurs mais aussi aux salariés qui, souvent, souhaitent pouvoir quitter ‘en bons termes’ leur employeur » [RD, 2008, p. 3].
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[13]
Le rapport évoque aussi des « licenciements de conjoints » ou de « salariés associés » [RD, 2008, p. 56].
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[14]
Sauf si l’employeur veut éviter que le salarié ne saisisse par la suite le conseil des prud’hommes pour faire requalifier sa démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse (cas de la prise d’acte, discuté ci-dessous).
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[15]
Cette question de la possibilité de concilier RC et harcèlement moral a été examinée lors d’un contentieux porté devant le conseil des prud’hommes, qui a lui-même donné lieu ensuite à un arrêt de la cour d’appel de Toulouse (voir III.3).
-
[16]
Le salarié en situation de souffrance au travail pourrait en lieu et place d’une RC opérer une prise d’acte. Il s’agit d’une démission motivée par une faute de l’employeur, modalité qui s’est construite au fil de la jurisprudence sur la dernière décennie (et qu’un groupe de parlementaires entend inscrire dans le Code du travail en généralisant son accès à l’employeur, cf. proposition de loi n° 3418 enregistré le 11/05/2011). Ainsi, le salarié ne renonce pas à ses droits de faire-valoir la responsabilité de l’employeur dans sa perte d’emploi, mais c’est au juge de qualifier la rupture ainsi provoquée. Soit les éléments apportés par le salarié sont suffisants pour que cette rupture soit qualifiée de licenciement, soit ils sont jugés insuffisants et la rupture sera qualifiée de démission avec les conséquences qui en découlent en termes d’indemnités, de dommages et intérêts et d’allocation-chômage. Tant que le juge n’a pas tranché, le salarié se trouve sans revenu.
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[17]
« Il fallait mettre le droit en accord avec la pratique, i.e. les transactions. Désormais, ces dernières seront ouvertes à tous les salariés, qui bénéficieront de garanties élargies. » [RD, p. 28]
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[18]
Depuis 1996, « la Cour de cassation s’oppose à la libre qualification de la rupture par les parties et prohibe toute transaction portant sur l’imputabilité de la rupture. Un départ négocié qualifié de transaction par les parties, parce qu’il vise à mettre fin à un différend est entaché de nullité » [Fourcade, 2007, p. 170]. Cette exigence de n’établir une transaction que post-licenciement, en raison du rapport de subordination dans lequel est toujours le salarié, conduit d’ailleurs certains employeurs à antidater la transaction et à recourir à des montages juridiques complexes [Melot, 2005, p. 87-88].
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[19]
Même si un arrêt récent de la Cour de cassation (9 mars 2011) limite en partie ces pratiques. Nous reviendrons sur le problème des fraudes à la loi (section 2).
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[20]
Les « coûts » psychologiques dominent sans doute ces considérations. Mais dans quel sens pèsent-ils ? D’un côté, accepter une RC, c’est se démarquer des démarches solidaires, lesquelles peuvent permettre d’atténuer les effets des plans de licenciement collectif. De l’autre, accepter une RC, c’est ne pas subir au jour le jour les étapes des négociations et des crises au sein des collectifs. Linhart [2002] fait par exemple apparaître ce balancement dans le cas des restructurations de l’entreprise automobile Chausson à Creil.
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[21]
Toutes s’inscrivent « dans un contexte de restructuration et constituent une alternative au licenciement économique formel : l’initiative de la rupture est bien du côté de l’employeur » [RD, 2008, p. 53]. Elles permettent en effet au salarié de bénéficier d’un accompagnement renforcé et d’actions de formation, ainsi que d’allocations chômage supérieures à celles qu’il aurait perçues en étant licencié.
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[22]
Par exemple, si le salaire de référence est de 1 500 euros, l’indemnité minimum légale est de 1 200 euros si le salarié a quatre ans d’ancienneté et de 4 000 euros s’il en a douze, sauf s’il bénéficie d’une convention collective plus avantageuse.
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[23]
Cette question a d’ailleurs été soulevée de manière récurrente lors des débats à l’Assemblée ou au Sénat.
-
[24]
Dans un but purement inductif, nous avons en effet réalisé une enquête auprès de 18 UT de 8 régions différentes par appels téléphoniques en novembre 2009, soit plus d’un an après la mise en place de la RC. Voici la liste des UT contactées : Région Bretagne (Finistère, Ille-et-Vilaine et Côtes-d’Armor), Champagne-Ardenne (Aube, Ardennes, Marne), Île-de-France (Seine-et-Marne, Seine-Saint-Denis), PACA (Vaucluse), Nord-Pas-de-Calais (Pas-de-Calais), Bourgogne (Côte-d’Or), Centre (Cher, Eure-et-Loir, Loir-et-Cher), Rhône-Alpes (Haute-Savoie, Rhône, Isère, Savoie).
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[25]
Le Conseil d’analyse stratégique avait déjà observé un tel manque de moyens et préconisait simplification des procédures et généralisation de l’homologation tacite [CAS, 2010, p. 1]. En réponse à ces propositions et « afin d’améliorer la gestion de ce dispositif », le ministre du Travail a récemment évoqué la possibilité de dématérialiser le traitement des demandes pour créer à terme un formulaire d’homologation à remplir en ligne (réponse publiée au JO du 31 mai 2011).
-
[26]
Conscient du problème, le rapporteur du Sénat avait d’ailleurs demandé s’il n’aurait pas été « judicieux d’indiquer à l’administration qui, de l’employeur ou du salarié, est à l’origine de la rupture » [RBR, 2008, p. 75].
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[27]
C’est le cas d’une salariée qui, après avoir été informée de son droit à réclamer le doublement de ses indemnités de rupture lors de l’audience au conseil de prud’hommes, a préféré y renoncer [voir CPH Valence, 14 octobre 2008 N°F08/00501 section industrie].
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[28]
E. Ray définit l’ordre public absolu comme suit : « Ni individuellement, ni collectivement, personne ne peut négocier une autre norme, ni dans un sens favorable au salarié (in melius) ni dans un sens défavorable (in pejus). Ainsi, la compétence de l’inspecteur du travail ou celle des conseils de prud’hommes ne peuvent faire l’objet d’aucun accord, d’aucune sorte, par qui que ce soit : l’ordre public le frapperait de nullité. » [Ray, 2010, p. 42]
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[29]
Cour de cassation du 9 mars 2011, pourvoi n° 10-11.580.
-
[30]
Certains ont trait à la question de la validité des RC signées dans un contexte de suppressions d’emplois ou parallèlement à un PSE (Cour de cassation du 9 mars 2011, pourvoi n° 10-11 580 ; conseil de prud’hommes de Nancy du 26 février 2010, n° RG 09/00951). D’autres concernent les conséquences d’un contexte conflictuel sur la validité de la RC (Cour d’appel de Rouen du 27 avril 2010, n° RG 09/04140 ; CPH de Rambouillet du 18 novembre 2010, RG n° 10/00042, section commerce ; CPH de Valence du 25 novembre 2010, n°F08/00501, section industrie), ou de la présence d’une situation de harcèlement moral (Cour d’appel de Toulouse du 3 juin 2011, n° RG 10/00338). Enfin, les contentieux peuvent porter sur le respect de la procédure de RC et sur celui des règles de protection des accidentés du travail dans le cadre d’une RC.
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[31]
Deux ans jusqu’à la loi de modernisation du marché du travail en 2008, un an depuis.
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[32]
Cour d’appel de Toulouse du 3 juin 2011, n° RG 10/00338.
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[33]
Cour d’appel de Riom du 18 janvier 2011, n° 09/02348.
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[34]
Arrêt de la Cour de cassation du 9 mars 2011, évoqué en II.2
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[35]
Cour d’appel de Chambéry du 24 mai 2011, n° 09/00406.
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[36]
http://ec.europa.eu/consumers/redress_cons/greenpaper_fr.pdf, p. 9 et paragraphe 49, livre vert sur les recours collectifs des consommateurs, 2008.