CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Pour le discours officiel, le crédit est comme la langue d’Ésope, la meilleure et la pire des choses. Nécessaire à la « croissance » (« le crédit maîtrisé, urgence économique »), le crédit peut être une calamité quand il devient accessible à des catégories de population qui ne possèdent pas la rationalité économique nécessaire à son usage « maîtrisé ». La censure ordinaire interdisant d’évoquer publiquement l’impéritie des populations pauvres, on parlera à leur propos de « manque d’informations » entraînant le « malendettement » ou, quand il faut bien parler de « surendettement » puisqu’une procédure y est consacrée, des conséquences des « accidents de la vie ».

2Une socio-économie du crédit à la consommation et de l’endettement des particuliers a d’abord pour fonction de mettre en perspective critique chacun des présupposés sur lesquels ces idées reçues reposent : celui d’un individu emprunteur responsable et informé (même s’il souffre parfois d’un déficit d’information), celui d’un lien social contractualiste entre un prêteur et un emprunteur, celui d’un État pédagogue et protecteur du consommateur. Avant d’examiner le contenu des articles de ce dossier, nous nous proposons de dire quelques mots des principaux thèmes de ce discours officiel sur le crédit. À la façon de Bourdieu et Boltanski, dans leur article célèbre sur l’idéologie dominante? [1], nous partirons, pour construire notre (mini-)« encyclopédie des idées reçues et des lieux communs » en matière de crédit à la consommation, des actes? [2] du colloque intitulé « Crédit, consommation, croissance et urgence sociale », organisé par le médiateur de la République à quelques semaines de la présentation au Parlement de la loi Lagarde en 2009? [3]. Ce colloque, qui a réuni hommes politiques, intellectuels-experts, et représentants de la société civile, est en effet un de ces lieux situés « à l’intersection du champ intellectuel et du champ du pouvoir, où le dirigeant éclairé rencontre l’intellectuel éclairant » [Bourdieu, Boltanski, 1976], où se donne le mieux à voir l’idéologie dominante sur un sujet donné.

1 – Des idées reçues en cours dans les lieux neutres : crédit à la consommation et endettement des particuliers

3Sur le plan de l’organisation matérielle, le colloque est un jeu réglé dans lequel tout est mis en œuvre pour manifester la symétrie des intervenants, supposée garante de l’objectivité de la rencontre et de l’instauration de débats réussis. Cinq catégories d’acteurs sont mobilisées pour exprimer les différents points de vue sur le crédit :

  • Les intellectuels-experts, économistes, sont présentés non pas tant par leur appartenance institutionnelle (professeur dans telle université) que par leur appartenance à un club : le Cercle des économistes. Cette association est l’équivalent mondain et médiatique du Conseil d’analyse économique, lequel a pour mission d’éclairer les choix du gouvernement en matière économique. Aujourd’hui, treize des trente membres du Cercle sont ou ont été membres du Conseil. Dans le colloque, trois membres du Cercle interviennent en table ronde, puis un quatrième est chargé de sa conclusion.
  • Les représentants des entreprises de ce secteur d’activité sont également présents : deux dirigeants d’établissements de crédit majeurs sans être les plus importants - Sofinco et Laser-Cofinoga. Ces derniers se distinguent l’un de l’autre sur deux points : par leur position sur le marché du crédit : le premier propose avant tout des prêts personnels alors que le second développe davantage le crédit revolving ; et par leur position à propos de l’un des principaux débats qui traversent le champ : la mise en place d’un fichier positif qui recenserait les dettes de tous les ménages français. Ils sont accompagnés par le dirigeant du syndicat professionnel du commerce? [4].
  • La troisième catégorie d’acteurs est constituée de membres du personnel politique : sénateur, ministres, secrétaire d’État, haut commissaire, député. Appartenant à la majorité présidentielle, ils ont en commun des prises de position sur ces thématiques antérieures au colloque.
  • L’hétérogénéité de la catégorie des représentants de consommateurs ou associatifs permet de multiplier les points de vue de ceux qui sont en contact avec les ménages pris en tant que surendettés, pauvres, consommateurs ou usagers. Quatre personnes sont présentes, issues du Secours catholique, de Crésus? [5], de l’UFC Que choisir et de l’Association française des usagers des banques.
  • Enfin, une dernière catégorie est constituée des (hauts) fonctionnaires chargés de ces affaires. Ils sont au nombre de quatre : le vice-gouverneur de la Banque de France, deux personnes de la CNIL (Commission nationale de l’informatique et les libertés) et le directeur de la Banque nationale belge. Leur rôle est principalement de décrire des dispositifs ou d’apporter des chiffres ou précisions.
Si ces acteurs expriment des points de vue et des positions qui ne concordent pas toujours - c’est en partie pour cela qu’ils ont été choisis - ils participent, par leur travail collectif, à la production de l’idéologie dominante sur l’endettement des ménages et le crédit à la consommation. Leur dissensus sur certains thèmes (le fichier positif, par exemple) se fait sur un large consensus. Tous s’entendent sur la pertinence des termes dans lesquels est formulé le programme du colloque, c’est-à-dire à la fois sur les mots utilisés et sur les façons de poser le débat. Toute la philosophie du travail collectif attendu sur le thème du crédit à la consommation et de l’endettement des particuliers est contenue dans les formules des gros titres du programme : « Il est urgent de concilier crédit et croissance et de maîtriser le crédit, grâce à des acteurs responsables? [6]. » Voyons ci-dessous comment furent déclinées ces formules durant le colloque.

1.1 – Ne pas condamner le crédit à la consommation, il est nécessaire à la croissance

4Deux raisons conduisent à ne pas suivre la pente naturelle qui incline à condamner moralement le crédit à la consommation : l’utilité sociale de ce dernier et la lutte pour la croissance économique. Comme l’énonce le secrétaire d’État Luc Châtel, « des biens ou des services (qui) seraient inaccessibles à un certain nombre de salariés si ces possibilités de crédit n’existaient pas ». Du coup, le crédit à la consommation est nécessaire à la croissance économique. « Il faut développer le crédit à la consommation en France pour deux raisons : la France est dans ce domaine plutôt en retard. Il faut bien qu’il y ait un peu de croissance » (Olivier Pastré, Cercle des économistes). En période de crise, particulièrement, le pays ne peut se priver de l’activité économique générée par l’achat à crédit.

1.2 – Distinguer le bon du mauvais crédit

5Si le crédit à la consommation ne doit pas être condamné unilatéralement, certains crédits à la consommation peuvent toutefois l’être. Il faut en effet distinguer le bon crédit du mauvais. Le mauvais crédit est celui qui mène au malendettement, ce néologisme qu’affectionne le médiateur de la République J.-P. Delevoye, en lieu et place du « surendettement », sans doute trop stigmatisant, et qui renvoie au caractère inadapté du/es crédit(s) souscrit(s) par un ménage. Sauf peut-être le crédit revolving (et encore), il n’y a pas de mauvais crédit en soi. Le mauvais crédit, c’est le crédit inadapté à la dépense à laquelle il est censé faire face. Cette inadaptation trouve sa source chez l’emprunteur et/ou chez le prêteur. Pour l’emprunteur, c’est l’absence d’une information budgétaire suffisante qui explique le plus souvent ses problèmes d’endettement. Il y faudrait un tutorat, un parrainage. « Aujourd’hui, beaucoup de personnes se retrouvent dans une situation de malendettement par méconnaissance, par mauvaise gestion de leur prêt. Avec un encadrement, un tutorat, un parrainage, on arrive à aider les gens à retrouver une situation financière équilibrée » (Jean-Paul Delevoye, médiateur de la République). Le représentant associatif Jean-Louis Khiel (Crésus), qui connaît le terrain, renchérit : « Quand on choisit un crédit renouvelable, ce n’est pas pour payer la toiture, comme on le voit sur le terrain actuellement : nous avons des personnes qui n’obtiennent pas de crédit bancaire à bonne hauteur, et pour terminer la maison, ils prennent un crédit renouvelable qui devient une monstruosité. Prendre un crédit de trésorerie pour payer quelque chose qui doit être amorti sur une période de dix ans, c’est une monstruosité économique. » On voit que, dans ce dernier cas, les prêteurs sont également incriminés. Mais que la responsabilité incombe au prêteur ou à l’emprunteur, l’idée toujours partagée est que « des prêts amortissables de petits montants seraient parfois ce qu’il y a de plus utile et de plus adapté pour gérer un budget » (Luc Châtel, secrétaire d’État).

1.3 – Le mauvais crédit en soi, le crédit revolving

6Le mauvais crédit, on l’a vu est celui qui est « inadapté ». Mais dans les faits, ce mauvais crédit, c’est le plus souvent le crédit revolving. Il pourrait être acceptable s’il était utilisé pour « gérer son budget », pour lisser dans le temps l’irrégularité des dépenses et des recettes, mais les usages qui en sont faits ne sont pas ceux-là. « Il y a aujourd’hui toute une population qui paye le contenu du caddy avec la carte revolving », selon Serge Maître (Association française des usagers des banques) et cela est jugé inacceptable. D’autant que ce crédit est cher et à taux variable. Par ailleurs, tous s’accordent sur le caractère problématique de sa publicité. Ainsi, le député Frédéric Lefèbvre dénonce sans ambages : « Aujourd’hui, la publicité faite sur le crédit revolving est une arnaque. Il faut le dire. »

1.4 – Vers des acteurs responsables : le fichier positif, le microcrédit

7Il est un thème aussi consensuel que la dénonciation du crédit revolving, il s’agit de l’appel à la responsabilisation de tous les acteurs. Luc Châtel (secrétaire d’État) affirme qu’il faut « faire du crédit à la consommation un crédit plus responsable. Certes, nous n’avons pas connu en France les dérives qui existent ailleurs. Je pense aux dérives du crédit immobilier, aux dérives des subprimes à l’origine de la crise financière, mais cela ne doit pas masquer un certain nombre de dérives qui existent dans le domaine du crédit à la consommation. » Cette responsabilisation concerne les prêteurs, mais aussi les emprunteurs : « Il faudrait éviter à ces personnes de faire de mauvais choix. Ils sont responsables, je parle de coresponsabilité, le prêteur et l’emprunteur ont chacun une responsabilité. » (Jean-Louis Khiel, Crésus) Un troisième acteur est aussi parfois appelé à être responsable : il s’agit de la puissance publique. « Venons-en aux responsabilités du législateur. Notre rôle c’est d’éviter qu’on abuse de la faiblesse des gens, notre rôle c’est de lutter contre le malendettement. » (Philippe Marini, sénateur)

8Deux outils sont évoqués pour inciter les acteurs à la responsabilisation, il s’agit du fichier positif et du microcrédit. Le premier, un dispositif de recension des dettes des ménages qui préviendrait des octrois de crédit aux ménages ayant trop de crédits. Si les avis sont partagés, tous les intervenants s’accordent néanmoins sur l’idée que « c’est un sujet sur lequel il faut réfléchir avec beaucoup de prudence » (Marie-Hélène Meunier, Sofinco). L’autre piste pour rendre les emprunteurs fragiles plus responsables consiste à leur octroyer des microcrédits et non des crédits à la consommation. « Ce qui me paraît primordial, c’est d’accompagner ceux qui demandent un microcrédit et qui ne comprennent pas complètement ce qu’est un crédit, à savoir qu’il faut rembourser dans des délais qui sont précisés par contrat. Pour un certain nombre d’emprunteurs, s’il n’y a pas accompagnement, le microcrédit est aussi risqué que le crédit classique. Pour développer le microcrédit aujourd’hui, il faut former les associations au microcrédit et à la finance » (Olivier Pastré, Cercle des économistes).

1.5 – Le surendettement causé par les accidents de la vie

9Bien qu’il soit politiquement préférable de parler de malendettement et non systématiquement de surendettement, on est bien obligé d’employer ce dernier terme pour caractériser les situations qui se traduisent par le dépôt du dossier dudit nom auprès de la Banque de France. Quelles sont alors les causes du surendettement ? Les accidents de la vie. « L’enquête triennale de la Banque de France sur le surendettement est parue en septembre dernier, elle montre que les accidents de la vie restent la principale cause de surendettement. Et si le surendettement est majoritairement subi, il est d’autant plus important qu’il ne stigmatise pas à vie les consommateurs. » La métaphore est filée par Christian de Boissieu (Cercle des économistes), lequel incrimine les « chocs » subis par les individus. La « fragilité d’un certain nombre de ménages [est dû au fait qu’ils sont] clairement surendettés compte tenu de l’évolution de leurs revenus, des chocs qu’ils subissent, etc. Dans la majorité des cas, ce ne sont pas les taux d’intérêt qui posent problème, ce sont surtout les chocs sur les revenus, la situation de l’emploi, etc. ». Les événements imprévisibles que sont les accidents, les chocs, qui prennent les individus au dépourvu les empêchent d’honorer leurs contrats de crédit.

2 – Sciences sociales, endettement des ménages et crédit à la consommation

10Les cinq articles présentés dans ce dossier permettent de mettre à distance plusieurs de ces idées reçues et des présupposés qui les sous-tendent, celui d’un individu emprunteur responsable et informé, celui d’un lien contractualiste, celui d’une puissance publique pédagogue et protectrice du consommateur, etc. Il propose également de tourner le regard vers d’autres dimensions du crédit et de l’endettement : la construction de l’offre ou encore les ressorts sociaux des outils techniques qui ont permis à cette activité de s’étendre.

11Trois articles rendent compte à leur manière de la marchandisation des services bancaires destinés aux particuliers en France. Le premier observe l’ensemble du marché, le second la place du crédit dans les pratiques et l’identité professionnelle des banquiers et le troisième la trajectoire d’un nouvel acteur du secteur.

12Que cache l’homogénéisation de l’offre proposée par les banques commerciales, les caisses d’épargne, les banques mutualistes et les autres acteurs du marché, désormais tous animés par la logique du plus grand profit ? C’est à cette question qu’entend répondre l’article de Pascale Moulévrier qui ouvre le dossier. Forte d’une dizaine d’années d’enquêtes de terrain dans le secteur bancaire, de centaines d’entretiens et d’observations, d’expérience de formation d’étudiants aux métiers de la banque-assurance, la sociologue distingue différents types de banques opérant en France. Elle décrit, pour chacun d’entre eux, les relations affinitaires entre les histoires des banques, leurs pratiques, les profils des agents bancaires et les attributs sociaux des clients. Bref, Pascale Moulévrier dévoile les homologies structurales entre l’offre et la demande qui se maintiennent derrière l’apparente similarité des offres commerciales bancaires.

13Une autre perspective est adoptée par Jeanne Lazarus dans l’article « Faire crédit : de la noble tâche à la corvée », issu de ses recherches de doctorat. Au xixe siècle, le crédit était l’activité noble du « banquier » qui usait de son savoir-faire pour juger les clients. Aujourd’hui, près de la moitié des rendez-vous entre commerciaux d’agences et clients ont trait au crédit, qu’il soit destiné à la consommation ou au financement de l’immobilier. Pourtant, ces montages de crédit n’en sont pas moins considérés comme des corvées par les banquiers soutenant le tournant commercial entamé par les banques dans les années 1980. L’auteure met en évidence les conditions normatives, interactionnelles et organisationnelles qui empêchent les salariés des banques de considérer la vente de crédit comme le cœur de leur activité et de leur identité. Au-delà, on peut considérer que le propos de l’auteure contribue à répondre à la question plus large : la Banque est-elle devenue un lieu de commerce comme un autre ?

14Le troisième article évoque la genèse de l’offre de crédit à la consommation chez un nouvel acteur du secteur, la Banque postale. Au moyen d’un travail sur archives, Nadège Vezinat retrace les relations entre les PTT et ses différentes autorités de tutelle (ministères des PTT et des Finances) de façon à expliquer pourquoi l’offre n’apparaît pas avant 2009. L’un des intérêts de l’article « “La Banque Postale réinvente le crédit” : genèse d’un service controversé (1971-2010) » est de ne pas imputer trop hâtivement l’autorisation de réaliser des opérations de crédit à l’introduction de la concurrence dans le secteur postal. Il permet aussi d’observer la pluralité des acteurs et des stratégies au sein de l’État.

15Les deux autres articles nous permettent de prendre de la distance par rapport à la situation française contemporaine. Le premier recense principalement les travaux étasuniens sur l’histoire et la sociologie du crédit à la consommation. Le second propose un saut non plus dans l’espace mais dans le temps, en décrivant les pratiques d’endettement chronique des sociétés d’Ancien Régime.

16Derrière un titre énigmatique « Quand le crédit à la consommation classe les gens et les choses. Une revue de la littérature et un programme de recherche », l’article de José Ossandón propose le premier état de l’art des travaux socio-historiques relatifs au crédit à la consommation aux États-Unis. Développement de la carte de crédit de grands magasins au début du xxe siècle, montée de la carte bancaire entre 1950 et le début des années 1970, puis titrisation croissante des créances qui a caractérisé les dernières décennies, ces différentes étapes sont présentées par l’auteur sous le prisme de leur participation au processus d’abstraction et de quantification de la gestion du risque que représentent les consommateurs endettés. Au-delà de cette revue de la littérature historicisée, l’article interroge les processus qui engendrent l’inclusion ou l’exclusion sociale, liées au crédit à la consommation. Ce dernier, outre-Atlantique, comme les notes scolaires en France, est devenu l’un des principaux examens auxquels les individus contemporains ont à faire face. Cependant, à la différence des notes scolaires, les classements associés au crédit sont pour l’essentiel réalisés par des agences privées et fondés sur des formules ou des logiciels qui sont tenus secrets.

17Enfin, l’approche historiographique de Laurence Fontaine permet de sortir de l’idée commune selon laquelle le surendettement est un phénomène récent. Dans son article « Pouvoir, relations sociales et crédit sous l’Ancien Régime », l’auteure décrit une économie politique aristocratique fondée sur les liens interpersonnels et sur une culture du don. La culture aristocratique imposait en effet de prêter à sa famille, à ses pairs et à ses dépendants et de rechigner à réclamer son dû en temps et en heure, elle imposait également d’honorer ses propres dettes. Ce faisant, dans les périodes de difficultés économiques, elle laissait s’installer un endettement généralisé qui se réduisait en déplaçant la dette vers d’autres marchés et en laissant jouer le temps. L’auteure montre finalement que l’homo creditus n’est pas la figure idéal-typique produite par la société de consommation, mais bien la figure majeure de la société aristocratique.

18La déconstruction des idées reçues relatives au crédit à la consommation et à l’endettement des ménages est un filon à peine exploré. Ainsi, face aux idées de surendettement causé par les accidents de la vie et de crédit trop facilement octroyé, on dispose de très peu de recherches sur les trajectoires qui mènent à l’endettement excessif ou sur l’histoire des dispositifs d’octroi des crédits (en dehors des États-Unis). De même, face à ceux qui défendent un crédit à la consommation au service de la croissance, les recherches comparant les deux modèles de solvabilisation du pouvoir d’achat des ménages (par le salaire ou par le recours à l’endettement), si elles ne sont pas rares, peinent à se faire entendre au-delà du cercle des initiés à l’hétérodoxie économique, bien moins mondain que celui des économistes cité plus haut. Ces pistes de recherche et d’autres encore restent à exploiter et à diffuser et constituent autant de défis à l’établissement d’une socio-économie du crédit à la consommation et de l’endettement des individus à laquelle ce numéro apporte sa contribution.

(Mini)dictionnaire des idées reçues en matière de crédit à la consommation et d’endettement

19Accident de la vie : L’enquête triennale de la Banque de France sur le surendettement est parue en septembre dernier, elle montre que les accidents de la vie restent la principale cause de surendettement.

20Luc Châtel, secrétaire d’État

21Comment concilier la nécessaire rentabilité des organismes prêteurs avec des capacités de remboursement qui sont très aléatoires par rapport aux accidents de la vie ?

22Jean-Paul Delevoye, médiateur de la République

23Je pense qu’en France, il y a 10 à 15 % de nos concitoyens qui sont eux aussi concernés par des difficultés de fin de mois et qui peuvent, sur le moindre accident de vie, basculer sur un recours au crédit à la consommation irresponsable, sans mesurer les conséquences de leur décision.

24Jean-Paul Delevoye, médiateur de la République

25Bon vs mauvais crédit

26() À cela s’ajoute la question du moteur de la consommation, et de la relance par le crédit. Le crédit est essentiel, mais y a-t-il un mauvais crédit ? Y a-t-il un bon crédit ? Je suis convaincu que le mauvais crédit chasse le bon crédit.

27Jean-Paul Delevoye, médiateur de la République

28Nous sommes convaincus que le crédit est un levier de développement.

29Alain Bernard, Secours catholique

30À mon sens, un crédit d’émancipation, c’est un crédit qui ne serait pas perçu comme un crédit d’aliénation.

31Philippe Lemoine, Laser-Cofinoga

32Il me semble que si on peut avancer sur l’ensemble de ces points, on aura mis en place des bonnes pratiques, on ne sera pas dans un processus de diabolisation du crédit populaire à un moment où la consommation en a besoin.

33Jérôme Bédier, Fédération du commerce

34J’ai toujours pensé que le crédit, c’était comme la parole des hommes, la meilleure ou la pire des choses.

35Luc Châtel, secrétaire d’État

36Le deuxième axe que nous mettons en avant et qui sera l’objet de ce projet de loi, c’est l’amélioration de l’accès au crédit amortissable. Il s’agit d’améliorer l’accès à des crédits adaptés pour le consommateur.

37Luc Châtel, secrétaire d’État

38Fichier positif : J’ai vu ce matin, dans Les Échos, le meilleur économiste de France, Jean-Paul Delevoye, déclarer : « Il y a un large consensus d’opposition contre le fichier positif. »

39Olivier Pastré, Cercle des économistes

40Troisième remarque sur les bonnes pratiques. Nous sommes très favorables à la notion de fichier positif. On tourne autour de ce pot depuis longtemps, on a un fichier négatif qui est compliqué et qui ne marche pas très bien. Jérôme Bédier (Fédération du commerce)

41Je partage tout ce qui vient d’être dit par Philippe Lemoine, à l’exception du fichier positif dont je ne vois pas comment nous en éviterions l’usage à des fins strictement marketing. Je pense que c’est un sujet sur lequel il faut réfléchir avec beaucoup de prudence. Marie-Hélène Meunier, Sofinco

42Il y a d’autres éléments qui entrent en jeu et un fichier positif devient une espèce de monstre si on veut vraiment y apporter l’ensemble des éléments à prendre en compte. Marie-Hélène Meunier, Sofinco

43Le fichier positif, en réalité, a sans doute permis, dans les pays où il a été appliqué, de développer plus de crédit. C’est ça son principe. Il permet à des organismes bancaires d’avoir plus de sécurité et de donner du crédit là où peut-être ils n’en auraient pas donné.

44Frédéric Lefèbvre, député

45Malendettement : L’expérience et l’information dont nous disposons le prouvent : sur les 300 témoignages par jour que nous recevons, il y en a 100 qui portent sur le crédit, le malendettement.

46Serge Maître, Association française des usagers des banques

47Je voudrais remercier surtout celles et ceux que, dès 2006, je n’ai cessé d’interpeller sur la notion du « malendettement » et non simplement du surendettement.

48Jean-Paul Delevoye, médiateur de la République

49(…) les associations comme CRÉSUS, Passerelle et d’autres, (qui) accompagnent les malendettés et qui posent la vraie problématique aujourd’hui de l’absence de culture de gestion budgétaire et du besoin d’accompagnement des personnes entraînées dans la spirale du malendettement.

50Jean-Paul Delevoye, médiateur de la République

51Microcrédit : Ils ont un problème de revenu, un problème d’insertion dans la société et dans aucun pays le crédit marchand ne fonctionne. Aucun. En France, comme en Europe, il y a à peu près 15 % de gens qui sont dans cette situation. Pour eux, le seul type de financement qui fonctionne c’est le microcrédit : combinaison des savoir-faire d’organismes de crédit et de ceux des associations (des acteurs qui acceptent de faire de l’accompagnement des personnes), pour créer une relation de confiance et maîtriser le niveau de risque.

52Philippe Lemoine, Laser-Cofinoga

53Ce qui me paraît primordial, c’est d’accompagner ceux qui demandent un microcrédit et qui ne comprennent pas complètement ce qu’est un crédit, à savoir qu’il faut rembourser dans des délais qui sont précisés par contrat. Pour un certain nombre d’emprunteurs, s’il n’y a pas accompagnement, le microcrédit est aussi risqué que le crédit classique. Pour développer le microcrédit aujourd’hui, il faut former les associations au microcrédit et à la finance.

54Olivier Pastré, Cercle des économistes

55En fin d’année 2008, il y avait en France un peu plus de 6 000 microcrédits personnels pour un encours de 13,5 millions d’euros. Comparés aux 55 % d’exclus, ces 6 000 microcrédits laissent une marge de progression certaine, pour parler par euphémisme.

56Alain Bernard, Secours catholique

57Responsable : Faire du crédit à la consommation un crédit plus responsable. Certes, nous n’avons pas connu en France les dérives qui existent ailleurs. Je pense aux dérives du crédit immobilier, aux dérives des subprimes à l’origine de la crise financière, mais cela ne doit pas masquer un certain nombre de dérives qui existent dans le domaine du crédit à la consommation.

58Luc Châtel, secrétaire d’État

59Comment équilibrer davantage la responsabilité entre le prêteur, l’emprunteur et le vendeur ? Je ne supporte plus le prêteur qui dit : « Mais moi, je n’étais pas au courant, la déclaration, ce n’est pas moi qui l’ai faite, je ne suis pas responsable », pas plus que l’emprunteur qui ne mesure pas les conséquences de son endettement, ni le vendeur qui ne se sent pas concerné et qui gagne quelquefois plus d’argent par le crédit placé que par le produit qu’il vend.

60Jean-Paul Delevoye, médiateur de la République

61Tant que tout le monde se réfugie, en matière de preuve du risque, derrière les seuls éléments qui sont les éléments déclaratifs, vous ne trouverez jamais personne, même un juge, pour dire « vous êtes responsable d’avoir prêté ». Or il est souhaitable, comme l’indique la directive européenne, d’aller vers un type de crédit où la responsabilité soit partagée entre le prêteur et l’emprunteur. Dans un système nouveau, les prêteurs doivent accepter cette responsabilité.

62Philippe Lemoine, Laser-Cofinoga

63En parallèle, il faudrait éviter à ces personnes de faire de mauvais choix. Ils sont responsables, je parle de co-responsabilité, le prêteur et l’emprunteur ont chacun une responsabilité.

64Jean-Louis Khiel, Crésus

65Revolving : Il y a aujourd’hui toute une population qui paye le contenu du caddy avec la carte revolving.

66Serge Maître, Association française des usagers des banques

67Aujourd’hui la publicité faite sur le crédit revolving est une arnaque. Il faut le dire.

68Frédéric Lefèbvre, député

69La vraie question aujourd’hui est de savoir pourquoi, dans certains cas, nous vendons du revolving alors que le crédit amortissable serait plus adapté. Nous sommes effectivement dans ce paradoxe qui consiste à vendre du revolving dans des situations où il n’est pas parfaitement adapté.

70Marie-Hélène Meunier, Sofinco

71Sur la publicité et l’information : si on parle de crédit responsable, l’information sur le produit doit être strictement responsable. Je ne suis pas venu avec mon kit de démonstration, mais vous les connaissez : vous achetez les magazines télé du week-end, vous découpez quatre pages, vous mettez ces quatre pages les unes à côté des autres et vous constatez qu’à part avoir en commun que c’est gratuit et que ça vous coûtera zéro euro, il n’y a aucun moyen de comparer véritablement ce qu’il en est. Il faut donc que l’information soit plus responsable, c’est-à-dire qu’elle soit plus transparente, et ça va peut-être vouloir dire qu’elle soit moins abondante.

72Martin Hirsch, haut commissaire

73L’accès au crédit revolving fragilise encore davantage une population en difficulté alors qu’un crédit amortissable leur donnerait une marge de manœuvre.

74Jean-Paul Delevoye, médiateur de la République

75Quand on choisit un crédit renouvelable, ce n’est pas pour payer la toiture comme on le voit sur le terrain actuellement : nous avons des personnes qui n’obtiennent pas de crédit bancaire à bonne hauteur, et pour terminer la maison, ils prennent un crédit renouvelable qui devient une monstruosité. Prendre un crédit de trésorerie pour payer quelque chose qui doit être amorti sur une période de dix ans, c’est une monstruosité économique.

76Jean-Louis Khiel, Crésus

77Ce qu’il conviendrait de faire, c’est organiser une sorte de transfert intelligent permettant de dégonfler la bulle de risque qui existe sur le crédit revolving.

78Philippe Lemoine, Laser-Cofinoga

79Surendettement : Le surendettement est effectivement un sujet très important, M. Hirsch. L’enquête triennale de la Banque de France sur le surendettement est parue en septembre dernier, elle montre que les accidents de la vie restent la principale cause de surendettement. Et si le surendettement est majoritairement subi, il est d’autant plus important qu’il ne stigmatise pas à vie les consommateurs.

80Luc Chatel, secrétaire d’État

81Le fichier positif n’empêchera pas le surendettement, mais il évitera la fuite en avant de ceux qui ont souvent un accident de la vie, 70 % à peu près des cas présentés aux commissions, et qui continuent à accéder sans contrôle à des crédits incontrôlés.

82Jean-Louis Kiehl, Crésus

83On est quand même confronté à un paradoxe incroyable, c’est le surendettement dont on a parlé toute la matinée, les 900 000 dossiers ou un peu plus passés en commission de surendettement, et le niveau faible en apparence de l’endettement

84Patrick Artus, Cercle des économistes

85Endettement : Bon endettement ou mauvais endettement, c’est le paradoxe français : nous avons un des taux d’épargne les plus élevés d’Europe et un des taux des ménages endettés les plus importants.

86Jean-Paul Delevoye, médiateur de la République

87Comment mettre en place le bon endettement, c’est-à-dire comment concilier le plaisir de consommer avec la capacité de remboursement ?

88Jean-Paul Delevoye, médiateur de la République

89Subprimes : Il y a sur ce point une différence importante entre la France et les États-Unis que je veux rappeler, à propos des subprimes américains.

90Christian de Boissieu, président délégué du Conseil d’analyse économique et Cercle des économistes

91Première direction : faire du crédit à la consommation un crédit plus responsable. Certes, nous n’avons pas connu en France les dérives qui existent ailleurs. Je pense aux dérives du crédit immobilier, aux dérives des subprimes à l’origine de la crise financière, mais cela ne doit pas masquer un certain nombre de dérives qui existent dans le domaine du crédit à la consommation.

92Luc Châtel, secrétaire d’État

93J’ai abordé, il y a quelques mois, la question des subprimes à laquelle Luc Châtel faisait allusion en disant que nous en avions été protégés. C’est vrai, entre autres parce qu’on a heureusement une culture de la réglementation.

94Frédéric Lefèbvre, député

Notes

  • [1]
    Bourdieu, P., Boltanski, L., « La production de l’idéologie dominante », dans Actes de la recherche en sciences sociales, nos 2-3, numéro spécial, p. 4-73.
  • [2]
    Les actes du colloque sont disponibles à l’adresse suivante : http://mdr.defenseurdesdroits.fr/fr-10-01-05.html.
  • [3]
    La loi Lagarde propose une réforme du crédit à la consommation, du microcrédit, de l’assurance-emprunteur et de la procédure de surendettement.
  • [4]
    L’instauration d’un fichier positif est l’objet d’un débat clivant la profession. Les établissements de crédit de taille modeste y voient une opportunité : ce fichier sera une source d’information sur des clients potentiels, qui pourra être exploitée à des fins marketing. Les établissements plus importants sont résolument contre. Détenant déjà d’importants fichiers de clients et jouant de leur notoriété pour en attirer de nouveaux, ils perçoivent cet outil comme une menace visant à remettre en cause les positions établies entre les concurrents.
  • [5]
    Crésus (Chambre régionale du surendettement social) est la principale association française de lutte contre le surendettement et d’éducation budgétaire.
  • [6]
    Cf. en annexe un dictionnaire des « idées reçues », construit à partir de citations extraites des actes de ce colloque.
Hélène Ducourant
Clersé, Université Lille 1
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Mis en ligne sur Cairn.info le 02/05/2012
https://doi.org/10.3917/rfse.009.0011
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