CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Comme elle l’avait défendu dans son éditorial fondateur [Convert, Jany-Catrice et Sobel, 2009] [1], la RFSE nourrit une triple ambition : être une revue académique ; valoriser des contributions qui promeuvent, par les objets, concepts et méthodes qu’elles explorent, le dialogue entre disciplines ; contribuer à nourrir les débats économiques contemporains. Un bilan après déjà quatre années de diffusion permet d’affirmer que ce pari est en passe d’être gagné.

1 – Une richesse de contenu

2Intéressons-nous d’abord au contenu, comme tout processus évaluatif devrait s’attacher à le faire : on ne peut que souligner la diversité et la richesse des articles que la RFSE a accueillis. Ont ainsi été publiés, dans une volonté de pluralisme, des contributions qui relèvent de l’hétérodoxie économique d’abord et de l’ensemble des écoles qui la traversent, théories keynésienne, marxiste, conventionnaliste, institutionnaliste et régulationniste. Au risque de l’arbitraire dans la sélection, on citera en guise d’exemples paradigmatiques, les articles de Franck Bessis (« Quelques convergences remarquables entre l’économie des conventions et la théorie de la régulation », 2008), de François Eymard-Duvernay (« Approches institutionnalistes de l’État social », 2008), de Marc Lavoie (« État social, employeur de dernier recours et théorie postkeynésienne », 2009), celui de Jean-Marie Harribey (« Éléments pour une économie politique de la soutenabilité fondée sur le recul de la marchandise », 2010) et celui de Fred Lee (« Être ou ne pas être hétérodoxe », 2011). Ont aussi été publiés de nombreux articles relevant de la sociologie économique qui rappelle, par ses propres pratiques, méthodes et résultats, que différentes voies peuvent être empruntées pour faire progresser notre connaissance et intelligibilité communes de l’économie, que ce soit à propos de la construction sociale des marchés et de la formation des prix qui constitue un pan dynamique de la recherche française de sociologie économique, ou de la sociologie des réseaux. Les articles de Viviana Zelizer (« L’économie du care », 2008), de Franck Cochoy (« Faut-il abandonner la politique aux marchés ? », 2008), d’Emmanuel Lazega (« Quatre siècles et demi de New (New) Law & Economics », 2009), d’Alexandra Bidet (« Dessiner le marché, démultiplier le calcul. Les rationalisations matérielle et formelle dans la téléphonie, 2010) ou encore d’Élise Penalva-Richez (« Construire une qualité pour le socialement responsable », 2009) en sont des illustrations. Née d’un projet politique et d’un dialogue entre économistes et sociologues, l’économie sociale et solidaire a été accueillie dans la RFSE. On citera ici, toujours de manière non exhaustive, la contribution de Jean-Louis Laville (« Services aux personnes et sociologie économique pluraliste », 2008) et celle d’Isabelle Guérin (« L’argent des femmes pauvres : entre survie quotidienne, obligations familiales et normes sociales », 2008). La RFSE a enfin publié des contributions qui, bien qu’elles ne relèvent d’aucune de ces « écoles » ou postures stricto sensu, explorent le système capitaliste contemporain par l’une de ses facettes, en mobilisant une diversité d’approches, ou en s’adossant à d’autres disciplines, à l’instar de l’article de science politique d’Isabelle Bruno sur « La déroute du benchmarking social » (2010), ou de celui de Dominique Méda sur les modèles sociaux et de care (2008).

2 – Des indicateurs quantitatifs au vert

3Ce pari est en passe d’être gagné ensuite, du fait de l’engouement que la RFSE a connu auprès des auteur(e)s, si l’on en juge par le nombre d’articles qui lui ont été soumis : plus de 240 contributions en quatre ans émanant de plus de trois cents auteurs et évalués par plus de quatre cents rapporteurs [2]. Grâce à ses exigences éditoriales, la RFSE est référencée EconLit, est soutenue par le CNRS, et fait partie des listes de revues des commissions du CNRS, donnant la qualité de « publiant » tant en section de sociologie qu’en section d’économie.

4Sur les 240 contributions proposées, dont une cinquantaine est en cours d’évaluation à l’heure de la rédaction de cet éditorial, 77 articles ont été publiés (y compris ceux de ce numéro). Pour les friands d’indicateurs de performance, la RFSE passe sans doute largement sous les toises fixées aux revues académiques [3] avec un taux brut de publication [4] de 31 %, et un taux net [5] de 38 %.

5Mais il ne suffit pas de passer sous la toise pour en sortir grandi. En encourageant le dialogue pluridisciplinaire, la RFSE adopte une posture risquée. Non pas risquée vis-à-vis des grands principes élaborés par les autorités de tutelle qui affirment favoriser le dialogue pluridisciplinaire, mais vis-à-vis des pratiques concrètes d’évaluation de ces institutions, souvent éloignées des principes qu’elles édictent. La RFSE a ainsi publié des articles coécrits par des auteurs issus de disciplines différentes et qui affinent leur dialogue dans la coproduction. C’est le cas de l’article dans le numéro séminal de 2008 de Didier Demazière, Marc Zune (sociologues) et François Horn (économiste) sur la socio-économie du numérique, de l’article de Thomas Dallery, Jordan Melmiès (économistes) et Fabien Éloire (sociologue) sur la formation des prix dans l’industrie de la restauration, ou encore de celui de Laurent Fraisse (sociologue), Vincent Lhuillier et Francesca Petrella (économistes) sur les services d’accueil de la petite enfance. Plus précisément, la RFSE a publié à ce jour 42 % d’auteurs économistes et 42 % d’auteurs sociologues, ce qui montre l’équilibre et de son projet et de son fonctionnement interne.

3 – Une activité éditoriale féconde

6Les éditos, rédigés par les membres du comité de rédaction, donnent le ton en matière de positionnement de la revue, qu’il s’agisse d’affirmer un positionnement théorique (comme c’est le cas pour le « projet éditorial » [Convert, Jany-Catrice et Sobel, 2008], pour ceux portant sur « économie et pluralisme » [Postel, Tinel et Sobel, 2010], ou sur « la théorie économique dominante, victime collatérale de la crise » [Horn, 2010]), de défendre une certaine conception des sciences économiques et sociales (« L’enseignement des SES et l’unité des sciences sociales » [Postel, 2009]), ou d’alerter sur un problème social ou économique encore peu ou mal éclairé : « égalités hommes-femmes » [Rousseau, 2008], « développement du prêt étudiant » [Ducourant et Rousseau, 2009], « vieillir ailleurs » [Baumann, 2011]. Les introductions des dossiers coordonnés par (au moins) un membre du comité de rédaction ont également été des occasions de production scientifique. Tous ces exemples montrent que ce dialogue peut être fertile dans son rapport aux objets, aux méthodes, aux concepts, et aux grands problèmes socio-économiques contemporains, tout en maintenant l’exigence intellectuelle. La force de son comité de rédaction réside aussi dans le constat que, dans le respect mutuel et l’intelligence collective, elle a pu accepter la prise de risque en sortant des sentiers battus. La RFSE a ainsi publié divers dossiers, sur le « care » (2008), sur « la pensée économique et le système capitaliste » (2009), sur « les politiques de quantification » (2010), ou encore sur « l’entrepreneur » (2011).

7Ce pari est en passe d’être gagné enfin parce que la RFSE est une revue vivante, n’hésitant pas à inventer de nouvelles rubriques, à l’instar de l’accueil du prix du jeune chercheur, en 2010, en partenariat avec le GDR « Économie & Sociologie », qui a permis de publier en 2010 un article d’Anne Jourdain, jeune sociologue du Curapp (Amiens), et, en 2011, d’Hadrien Saiag, jeune économiste de l’Irisso (Paris Dauphine). Elle a, dans cette même dynamique, ouvert une rubrique « débats et controverses », ou encore, inauguré avec la parution de ce numéro 8, une rubrique consacrée aux thèses soutenues et relevant de son champ.

8Les marges de progression sont évidemment toujours possibles et le comité de rédaction a pour projet d’œuvrer pour une ouverture internationale plus grande, et souhaite le faire sur deux plans. D’abord par l’augmentation de la part des articles émanant de chercheurs étrangers de tous les territoires ; ensuite, par un travail en réseau avec d’autres revues internationales adoptant des stratégies éditoriales similaires à la sienne.

9***

10Aujourd’hui largement installée dans le paysage éditorial, rompant ainsi avec l’idée qu’elle serait une revue jeune (voire trop jeune pour être évaluée), la Revue française de socio-économie, créative et ouverte, est une revue académique. Mais elle ambitionne aussi d’être une caisse de résonance des mouvements critiques qui traversent la société française et que nos clivages disciplinaires nous empêchent souvent, précisément, de prendre au sérieux. C’est en assumant de manière équilibrée ce double enjeu qu’elle aura, sans doute, gagné son plus grand pari.

Notes

  • [1]
    Toutes les références bibliographiques de cet édito sont disponibles dans la RFSE, et sur le site de Cairn http://www.cairn.info/revue-francaise-de-socio-economie.htm.
  • [2]
    Après avis de pertinence du comité de rédaction, l’article est soumis à l’expertise de deux rapporteurs qui évaluent la contribution soumise sous une forme anonyme.
  • [3]
    Par les autorités évaluatrices (pour l’essentiel ici, le CNRS et l’AERES).
  • [4]
    C’est-à-dire rapportant le nombre d’articles publiés sur l’ensemble des articles reçus.
  • [5]
    C’est-à-dire rapportant le nombre d’articles publiés sur le stock d’articles pour lesquels un avis définitif a été rendu. En outre, 29 % des auteurs publiés par la RFSE sont professeurs des universités ou directeurs de recherche.
Florence Jany-Catrice
Clersé et IUF, Université Lille 1
Mis en ligne sur Cairn.info le 29/11/2011
https://doi.org/10.3917/rfse.008.0005
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour La Découverte © La Découverte. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...