CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 – Introduction

1L’industrie française des jeux de hasard et d’argent est, jusqu’à l’arrivée d’une offre concurrente sur Internet, structurée en trois grands sous-secteurs bénéficiant chacun de droits exclusifs pour opérer : celui des paris mutuels sur les courses hippiques offerts par le seul Pari mutuel urbain (PMU), les jeux de table et de machines à sous, proposés dans les établissements de casinos, et les jeux de loterie puis de paris sur les événements sportifs [1] que seule la Française des Jeux (FDJ) – dont 72 % du capital est détenu par l’État – a l’autorisation de commercialiser. Cette industrie connaît une croissance massive à partir des années 1980, à la faveur d’autorisations plus régulières du ministère du Budget qui est chargé de la régulation de ce secteur, mais qui en tire aussi des bénéfices substantiels (5,3 milliards d’euros de recettes fiscales en 2006 [2]).

2Cependant, à partir du milieu des années 1990, le marché des jeux de hasard et de paris se transforme à la faveur de l’émergence progressive d’une offre via Internet : des sites de jeux tels Unibet, Bwin ou Betclic se multiplient sur la toile et font peser de nouvelles contraintes concurrentielles sur les opérateurs historiques, les incumbents, au sens où Fligstein [2001] l’entend : ce sont les firmes déjà installées et jouissant d’une position dominante sur le marché qu’elles souhaitent conserver. En l’espèce, il s’agit du PMU, de la Française des Jeux et des casinos en dur. Est notamment investi par ces nouveaux rivaux, les bookmakers de l’Internet, le segment des paris à cote fixe. Face à cette offre qui se développe considérablement et de façon illégale aux yeux du droit français [3], la Française des Jeux se lance en 2002 dans la production des paris à cote fixe sur Internet, jusqu’alors interdits en France : en effet, le PMU offre des paris mutuels, dont les cotes évoluent en fonction des mises des parieurs qui jouent donc les uns contre les autres jusqu’au départ de la course. Sur le pari à cote fixe au contraire, chaque parieur joue contre l’opérateur, qui fixe la cote en amont de l’événement [4].

3Habituée jusqu’alors à distribuer des jeux de pur hasard (jeux de tirage comme le Loto et jeux de grattage), la Française des Jeux doit donc apprendre, avec la gamme de paris à cote, à associer les ressorts du hasard – on ne peut prédire avec certitude l’issue d’un match – et des prédictions reposant sur des expertises sportives. En plus de cela, Internet introduit de l’instantanéité dans le processus. Une logique de cotation dynamique comparable à celle des marchés financiers s’installe alors progressivement chez l’opérateur avec ses outils et ses logiques et a dû, pour s’imposer, faire l’objet de différents apprentissages [Muniesa, 2000 ; Mackenzie et Millo, 2003]. C’est à l’aune de cet exemple de l’instauration du pari à cote en ligne que nous entendons ici donner un aperçu de la manière dont l’innovation (Internet) a transformé le marché des jeux, grâce à l’observation des changements opérés au sein du monopole de loteries, en amont de l’ouverture partielle du marché à la concurrence en juin 2010 [5]. Cette analyse permettra ainsi de mettre en valeur la spécificité de cette libéralisation, qui, outre le développement du secteur, a permis de réactiver d’anciens principes moraux de protection des consommateurs, propres à l’activité des jeux d’argent.

4Nous nous fonderons pour cela sur un travail de terrain réalisé à la Française des Jeux [6], dont l’étude présentée ici mobilise dix entretiens semi-directifs effectués avec les acteurs du pari à cote de l’opérateur (coteurs, responsables marketing, responsables de la maîtrise des risques…) entre juin 2007 et janvier 2010, et le recueil d’une documentation interne à l’entreprise [7], complétés par la lecture de la presse sur le sujet et la consultation des sites Internet concurrents.

2 – S’adapter à la nouvelle donne concurrentielle

5Les jeux d’argent proposés sur Internet s’inscrivent dans le mouvement plus général du développement du commerce en ligne à la fin des années 1990 [Rallet, 2001 ; Flichy, 2009]. Toutefois, ils semblent avoir mieux résisté que d’autres segments à l’explosion de la bulle Internet et, à ce titre, vont s’imposer comme un secteur porteur de la nouvelle économie. Les sociétés de jeux en ligne ont particulièrement profité des avantages offerts dans les paradis fiscaux qu’elles surinvestissent à partir de la seconde moitié des années 1990. Leur succès a progressivement mis en cause la position de leaders qu’occupaient jusqu’alors les grands monopoles français, en particulier la Française des Jeux, habilitée légalement à proposer des paris à cote dans son réseau physique et sur Internet à partir de 2002. Comment cette concurrence a-t-elle été appréhendée et quels changements a-t-elle suscités au sein du monopole de loterie ?

2.1 – Un monopole concurrencé sur le web

6Alors que la Française des Jeux nie en 1997 devoir exporter son offre sur Internet [8], elle s’y résout au tournant du siècle en mettant notamment en place à partir de 2002 son jeu de pari à cote Cote&Match. Mais au départ ses produits sont loin d’être compétitifs, en raison notamment des contraintes fiscales qui pèsent sur l’élaboration de son offre.

7Chaque année, les services marketing de la Française des Jeux font la synthèse de l’évolution des chiffres d’affaires sur leurs produits et du contexte économique dans lequel ils évoluent. Celle de 2007 consacrée à l’offre de pronostics sportifs, revient sur l’année 2006 et expose alors avec précision comment des bookmakers comme Bwin et Unibet font désormais figure non plus de challengers mais de concurrents dominants sur le marché. Dans une diapositive consacrée à l’évolution de l’environnement concurrentiel, le service réalise ce double constat :

8

« - Une “pseudo” concurrence, traditionnelle et légale sur les paris (hippiques) [9] en nette perte de vitesse.
- Une concurrence illégale en plein boom, devenue leader sur le marché français pour les paris sportifs et légitime pour le cœur de cible [10]. »

9Ces affirmations s’appuient alors sur des graphiques :

Figure 1

Répartition des parts de marché sur l’offre de paris à cote

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Répartition des parts de marché sur l’offre de paris à cote

Source : D’après un document interne du service des pronostics sportifs de la Française des Jeux, 2007.

10La part « C&M » (Cote&Match) représente ici les ventes de la gamme des paris à cote de la FDJ, distribuées à la fois dans le réseau physique et sur Internet (soit 249,5 millions d’euros de mises). Or, si l’on considère seulement le marché sur Internet de l’époque, la part de Cote&Match n’excédait pas 1 % du chiffre d’affaires global. Le département des pronostics en tirait l’une des conclusions suivantes : « Le marché et la concurrence : la suprématie des loteries fait désormais partie du passé ».

11Bien que le ratio des paris sportifs ait diminué dans la part globale de leurs revenus [11], les opérateurs en ligne illégaux aux yeux du droit français constituaient donc des concurrents toujours plus sérieux pour les opérateurs en monopole [12], nécessitant une réaction qui débuta par la prise en compte du marché concurrentiel comme nouvel environnement légitime de son activité.

2.2 – L’incarnation numérique du « marché » des paris à cote

12La construction d’une cote est complexe puisqu’elle vient agréger une multitude de critères dont quatre sont essentiels pour le « coteur », c’est-à-dire le professionnel chargé d’établir ces chiffres :

  • l’anticipation de l’issue d’une compétition (qui va gagner ?) mobilisant une expertise sportive ;
  • l’anticipation de la demande (que vont parier les clients ?) mobilisant des projections sur les comportements des parieurs ;
  • la logique de risque : des contraintes financières et fiscales encadrent le processus de cotation, à travers notamment le taux de retour au joueur (TRJ), qui désigne la part des mises revenant en moyenne aux joueurs. Sa fixation pour chaque jeu fait l’objet d’une négociation avec le ministère de tutelle de la Française des Jeux et est très importante en termes de captation de la clientèle : plus le TRJ est élevé, plus le système de cote avantage, en moyenne, le joueur, ce qui l’invite à parier [13] ;
  • la prise en compte de la concurrence (comment l’événement est-il coté chez les concurrents ?).
Outre les aspects portant sur l’évaluation des probabilités sportives, l’anticipation des comportements des joueurs et les contraintes de TRJ que nous ne développons pas ici [14], l’aspect concurrence, intitulé « analyse de l’offre des autres opérateurs » dans un document interne de 2008, semblait entrer en ligne de compte dans le processus de cotation. Cet indicateur correspond à ce que les coteurs désignaient au cours des entretiens comme « le marché », soit les cotes des concurrents disponibles sur internet. Ce n’est peut-être pas un hasard si ce critère est évoqué en dernier lieu dans ledit document car en 2008, la Française des Jeux disposait toujours d’un monopole sur les paris sportifs à cote et il semblait alors peu légitime de valoriser la concurrence illégale aux yeux du droit français comme un critère servant à l’élaboration de ses propres cotes. C’est désormais le premier aspect que les coteurs prennent en considération lorsqu’ils doivent pronostiquer des événements. Toutefois, cela n’a pas toujours été le cas et a fait l’objet d’un débat au sein de l’entreprise au début de l’activité des paris à cote.

13En effet, pour les coteurs de n’importe quel opérateur, « regarder le marché » est la première opération servant à établir une fourchette dans laquelle s’inséreront leurs propres cotes. Ce qu’ils entendent par « marché » a une existence bien concrète au sens où ce marché s’incarne dans des dispositifs de comparabilité des produits et de leurs caractéristiques, propres au développement du commerce sur Internet. En effet, de la même manière qu’il existe des sites permettant la comparaison des qualités et des prix de biens vendus en ligne, les cotes font elles aussi l’objet de comparaisons de ce type : des listings de chiffres disponibles (« le benchmark ») via quelques sites web permettent ainsi de regrouper sur un seul support les cotes sur chacun des événements sportifs qui sont proposées par les opérateurs de jeux et d’en tirer des statistiques.

14À ce titre, Betbrain.com est un site gratuit permettant à n’importe quel internaute d’accéder à la comparaison d’un certain nombre de bookmakers ayant coté un événement à choisir dans une liste. Dans cet exemple, il s’agit de pronostiquer qui sera le gagnant de la Coupe du monde de football 2010 alors qu’il ne reste qu’une demi-finale à jouer le soir même. Demeurent donc l’Allemagne, l’Espagne et les Pays-Bas en lice pour le titre. Afin de faciliter le repérage, les plus hautes cotes sont surlignées. Ainsi, pronostiquer l’Espagne gagnante sera relativement plus rentable en se rendant sur le site de Bwin (cote à 3,25). La moyenne réalisée sur les événements de tous ces opérateurs à ce moment-là permet aussi de repérer la tendance générale du « marché » : ici ce sont les Pays-Bas qui sont crédités de la cote la plus basse et sont donc, dans cet état du monde, désignés comme favoris.

Figure 2

Un exemple de comparateur de cotes

Figure 2

Un exemple de comparateur de cotes

15À plus d’un titre les bookmakers dessinent les contours d’un « marché de producteurs », tel que H. White l’entend [White, 1981]. La cote étant fixe – elle ne varie pas mécaniquement en fonction de la demande –, les offreurs de paris ne peuvent qu’anticiper les mises des parieurs ; en revanche, ils peuvent appréhender très précisément les comportements de leurs rivaux : ils s’observent donc continuellement entre eux via ces agrégateurs de cotes, se comparent et en déduisent la stratégie à adopter. C’est à ce dispositif en particulier que se réfère l’un des coteurs de la Française des Jeux interrogé en entretien quand il évoque « le marché ». Être « dans le marché » revient pour un opérateur à ne pas trop s’éloigner des cotes concurrentes. Par exemple, pour le match Espagne-Allemagne, si la concurrence propose une cote autour de 2,30 pour l’Allemagne gagnante alors que la Française des Jeux propose une cote à 2,10, il est probable que les joueurs en ligne, après observation des cotes proposées sur les autres sites, arbitreront leur choix aux dépens de l’opérateur historique. Un raisonnement analogue est réalisé pour les autres événements, ce qui, au final, donne lieu à un alignement des opérateurs les uns vis-à-vis des autres autour d’une moyenne. L’alignement est cependant partiel puisque les cotes intègrent des contraintes propres à chaque opérateur, notamment en termes de fiscalité, singularisant à la marge les rendements des paris proposés.

16Le site comparateur constitue donc une ressource pour tous les acteurs du marché : il sert à équiper les décisions des bookmakers en fonction des cotes observées chez les concurrents, mais sert aussi éventuellement aux parieurs expérimentés qui peuvent s’appuyer sur cet outil pour maximiser la rentabilité de leur pari en choisissant l’opérateur le plus rémunérateur. À cette aune, l’agrégation des cotes via Internet permet d’apporter, de façon inédite, une fluidité et une transparence accrues sur le marché des paris à cote.

2.3 – Le « marché » : un outil légitime d’aide à la décision ?

17Cette prise en compte du « marché » comme outil d’aide à la décision n’a pas toujours été une évidence pour les responsables de la Française des Jeux qui ont d’abord explicitement souhaité que les coteurs ne s’y réfèrent pas :

18

Coteur : Ils voulaient qu’on s’enferme pendant des jours juste entre nous, qu’on passe des heures à faire des cotes pour un match, même à s’engueuler entre coteurs alors que le boulot aurait pu être fait en 10 minutes en allant regarder le marché sur des sites spécialisés.
MT : Mais parce que ce marché était illégal ?
Coteur : Ah non pas du tout, c’est parce qu’ils le connaissaient pas et qu’ils pensaient que c’était pas bien de se baser là-dessus. Ils pouvaient pas avoir conscience que le marché aurait raison. C’est lui qui a raison, ils étaient pas dans la logique d’un marché financier en fait. (…) Ils étaient dans la logique d’un monopole comme si on fonctionnait tout seul sur notre territoire et qu’on n’était pas susceptible d’être comparé aux autres. Sauf qu’ils se sont vite rendu compte que c’était pas le cas, mais il a fallu quand même un an et demi pour qu’on commence à vraiment intégrer la notion de marché…
(Entretien avec un coteur, Française des Jeux, juin 2008)

19Les motifs expliquant la négation du marché à cette période sont peu précis ici, mais font référence à une méfiance alors généralisée vis-à-vis des concurrents de « l’Internet », qui mérite en elle-même d’être soulignée car elle atteste de la difficulté originelle du monopole à se penser dans un environnement concurrentiel. Cela nécessita une phase de conversion pour que l’opérateur historique se mue en concurrent, appréhende le marché comme nouvel espace d’une partie de ses activités et adopte les processus de cotation des concurrents. Cela eut lieu notamment à la faveur du lobbying réalisé en interne par le service des pronostics qui s’attache alors à présenter des preuves tangibles de l’existence de ce marché : l’opérateur ne pouvait plus fermer les yeux sur la réalité de l’environnement concurrentiel dans lequel se déployait son offre, assurément peu compétitive :

20

MT : Oui tu m’expliquais le tournant
Coteur : Le passage « pas marché » à « marché »… Un jour, moi je me suis pointé avec la liste de Betbrain[15] et dedans ils ont vu « fdjeux.com » : là, on pouvait pas me dire que notre offre n’était pas directement comparable à celle des autres puisqu’on était dans le même tableau avec les autres ! (…) Donc là ça sautait aux yeux de tout le monde qu’un parieur un tout petit peu expérimenté, bah… il va sur un site et il se rend compte quoi, des différences. (…) Et donc l’histoire, c’est que quand ils ont vu dans un même tableau « Française des Jeux : 1,6 – 2,9 – 3,6 » et que pendant ce temps-là tous les autres opérateurs ils étaient à 1,8 – 3,2 – 4, bah ils ont dit : « notre offre, elle est nulle », voilà juste en faisant un printscreen.

21La prise en compte de l’offre concurrente comme outil légitime d’aide à la cotation passa moins par l’observation d’une concurrence en ligne (le monopole l’avait déjà remarquée…) que par la prise de conscience que lui-même était observé et appréhendé comme un concurrent du marché. En conséquence, il devenait bien difficile de nier cet état de fait et, bien qu’officiellement en position de monopole, la direction de la Française des Jeux accepta de ses coteurs qu’ils intègrent l’offre concurrente dans leurs calculs. Cette innovation fit souffler un vent de changement sur la manière de concevoir l’offre de paris chez l’opérateur, désormais contraint de proposer des cotes en adéquation avec l’état du marché en ligne. Aussi, l’intégration du marché fut-elle aussi l’intégration d’une nouvelle logique, celle de la compétitivité, qui prit progressivement le pas sur celle uniquement dédiée à la maîtrise du risque et à ses méthodes d’évaluation [16]. L’évolution de l’offre vers le single bet (paris simples), c’est-à-dire vers des paris plus risqués mais plus compétitifs est l’un des fruits de cette conversion du monopole en concurrent, de même que l’obtention auprès du ministère du Budget de TRJ plus élevés. En définitive, si la concurrence est apparue d’abord comme une menace, il s’avère aussi qu’elle permit à la Française des Jeux de définir un nouveau rapport de forces avec son ministère de tutelle en vue de saisir de nouvelles opportunités de développement.

3 – Des schémas d’intermédiation en confrontation

22L’émergence d’une offre de biens ou de services en ligne pose la question des spécificités d’une activité économique dématérialisée et invite à interroger les formes de modèles économiques choisis ainsi que les stratégies de déploiement et de captation des clientèles qui ont été choisies pour le canal Internet. Mais quand elle vient s’ajouter à des modes de distribution en dur déjà existants, il devient légitime de se demander comment coexistent ces deux modes de distribution et de mesurer les effets éventuels qu’ils engendrent les uns sur les autres [17].

3.1 – Les temporalités conflictuelles du physique et du on-line

23La Française des Jeux et le PMU sont, au début des années 2000, autorisés à transférer une partie de leurs activités sur Internet : en plus de la distribution traditionnelle des jeux dans leur réseau physique, les opérateurs en monopole ont pu alors offrir des versions numériques des jeux créés d’abord pour le réseau en dur, supprimant le chaînon final de distribution des jeux, à savoir les buralistes, cafetiers et autres points presse. Ces innovations ne furent donc pas sans conséquences sur le modèle d’intermédiation existant. Sur le marché de la musique en ligne, J.-S. Beuscart soulignait en 2007 que le secteur eut d’abord de la peine à intégrer des innovations radicales comme le peer to peer « au profit de services présentant une économie plus proche de celle de l’industrie du disque » [Beuscart, 2007, p. 145]. En découla un schéma d’intermédiation relativement classique : « Des détaillants vendent des fichiers musicaux, et rémunèrent les acteurs de l’industrie musicale proportionnellement aux ventes », démontrant d’ailleurs que, d’une manière plus générale, les usages et contenus des nouveaux médias se fondent sur les modèles anciens avant de s’autonomiser. Cet « effet rétroviseur » est également observable dans le cas des paris en ligne opérés par la Française des Jeux à partir de 2002 et tient à des sentiers de dépendance cognitifs et techniques dont il faut mesurer l’importance pour comprendre les enjeux qu’une libéralisation pouvait signifier en termes d’adaptation des processes et des mentalités à l’intérieur de cette entreprise confrontée désormais à la concurrence.

24Le processus de cotation en ligne étant un processus dynamique proche d’une logique de marché financier, la commercialisation de ce jeu a engendré des difficultés importantes pour l’opérateur de loteries. De nombreuses contraintes ont rapidement émergé en raison de la mixité des réseaux de distribution (physique et virtuel). En effet, si les services de la Française des Jeux situés au sein de son siège social de Boulogne-Billancourt sont chargés de créer et développer l’offre de jeux de l’entreprise, leur distribution est historiquement réalisée au sein du vaste réseau de détaillants (plus de 38 000 points de vente en 2009) répartis sur le territoire métropolitain et d’outre-mer. Pour assurer la jonction entre ces deux grands pôles, a été créée la fonction de « courtier-mandataire » qui est assurée par des indépendants bénéficiant d’un contrat d’exclusivité avec la Française des Jeux, pour qui ils doivent assurer les missions d’approvisionnement des jeux (tickets à gratter, bulletins et résultats du Loto, listes des cotes pour les pronostics, etc.), de la publicité et des résultats dans le réseau physique. Le rythme des tournées de cette catégorie de professionnels jouant le rôle d’intermédiaire de marché – c’est-à-dire de leurs déplacements dans les points de vente – est limité au maximum pour minimiser les coûts et dépend notamment du calendrier des résultats du Loto ou d’EuroMillions à afficher. Jusqu’en octobre 2008, il y avait deux tirages du Loto par semaine : un le samedi et un le mercredi, induisant des passages en points de vente les lundis et jeudis. Or il s’avère que cette manière de procéder influait lourdement sur les rythmes de cotation des pronostiqueurs.

25En effet, à la création de Cote&Match, cette contrainte imposée par le réseau physique exigeait des coteurs qu’ils établissent leurs listes en prévision d’un affichage les jours de tournée, sans quoi il était très improbable que les courtiers reviennent afficher leurs listes à un autre moment dans la semaine [18]. Cependant, les matchs de championnats nationaux ont traditionnellement lieu le week-end et les événements européens (Ligue des Champions et Coupe de l’UEFA) en milieu de semaine (du mardi au jeudi). Or les événements sont interdépendants puisqu’ils engagent parfois les mêmes équipes. Le calendrier de cotation de la Française des Jeux, indexé sur les résultats de ses grands jeux de tirage, était donc segmenté en deux parties correspondant à deux « listes » présentant les événements et leurs cotes dans les points de vente et sur Internet : du lundi au mercredi étaient cotés les événements se tenant du jeudi au dimanche, et du jeudi au dimanche étaient cotés les événements se tenant à partir du lundi au mercredi de la semaine suivante. La contrainte était donc la suivante : les pronostiqueurs devaient avoir fini de coter leurs listes d’événements les dimanches et mercredis en fin d’après-midi, c’est-à-dire de manière totalement désynchronisée par rapport au calendrier footballistique et, partant, par rapport au rythme de cotation des bookmakers pure players. En raison de cette exigence temporelle liée au cadencement des listes indexées sur le rythme du réseau physique, les pronostiqueurs devaient donc régulièrement coter « en aveugle », c’est-à-dire sans bénéficier de tous les résultats sportifs et du benchmark complet des bookmakers en ligne (le « marché ») :

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Un coteur, quand tu viens de le faire monter coteur […] Quand il vient de s’y mettre et qu’on lui dit « voilà, t’as 60 paramètres sauf que le marché, tu l’as pas », il va peut-être tomber, il va peut-être tomber un peu… Hier [dimanche] c’était presque pire parce que tu préfères limite savoir, parce que, à l’expérience, tu sais : dimanche à telle heure, combien il y aura de book en compétition en fonction de la médiatisation, de la compet’ et tout ça donc tu préfères à la limite avoir certaines fois quelques compet’ où tu te dis « j’aurai que 10 book, j’en aurai pas plus de toutes façons qui vont tomber à cette heure-là », tu te prends pas trop la tête. Tandis que moi, hier, c’est une épreuve tellement médiatisée la Ligue des Champions que ça tombe, ça tombe, ça tombe. Les trucs de référence tombent à 15 h, à 16 h, à 17 h, tu vois les Bwin, Sportingbet et Unibet, les trois principaux concurrents dont je te parle : autant ils avaient déjà sorti leur cote quand je suis arrivé hier matin sur le pari classique, c’est-à-dire Lyon-Steaua autant ils les avaient pas sorties sur Lyon-Steaua +1, sur Lyon-Steaua mi-temps, sur le score exact de Lyon-Steaua, sur la mi-temps fin de match Lyon-Steaua et donc… et puis ils font varier déjà certaines cotes sur le pari normal, donc moi, être sur un truc pas mûr qui bouge tout le temps, toutes les deux secondes, t’as envie de… C’est assez stressant.
(Entretien avec un coteur, Française des Jeux, novembre 2008)

27Dans cet exemple, l’obligation de rendre la liste de paris pour 19 h en prévision d’un affichage le lundi matin, voire le soir même pour certains points de vente, rendait difficile et laborieuse la cotation des événements de ce match prévu le mercredi suivant. Généralisée, cette contrainte s’avérait d’autant plus importante que la modification des cotes en cas de risque était alors impossible en raison des difficultés techniques à informer tous les points de vente en temps réel. En cas de problème, la seule solution consistait alors à bloquer la prise de paris pour éviter de mettre le monopole en mauvaise posture [19].

28Pour le bookmaker pure player, le processus de tâtonnement propre à l’élaboration des cotes est en effet possible à réaliser en temps réel si une cote est jugée trop haute : il lui suffit de la modifier via son logiciel de cotation et en quelques secondes elle apparaît transformée sur l’interface utilisée par le client. Dans le cas de la Française des Jeux, une modification de cote représentait autrement plus de difficultés puisque les milliers de listes imprimées pour l’affichage en points de vente devaient être retirées avant que d’autres listes papier ne les remplacent. En conséquence, les problèmes de coordination et de support technique étaient considérables puisqu’il fallait compter sur la bonne volonté du courtier pour se déplacer afin de déposer la liste actualisée et sur celle du détaillant pour afficher la bonne liste, tout cela très rapidement car, dans ce laps de temps, des paris sur les mauvaises cotes continuaient d’être validés.

29La dépendance du pari à cote vis-à-vis du grand jeu historiquement pourvoyeur de chiffre d’affaires illustre assez bien les contraintes d’adaptation auxquelles le monopole a dû faire face pour s’insérer sur le marché sans risque. Dans un second temps du jeu, des solutions alternatives ont été trouvées pour empêcher la fermeture des paris et instaurer plus de fluidité dans le processus de changement de cote mais sans quitter tout à fait les cadres de référence du passé.

3.2 – Vers une fluidification des dispositifs de cotation

30Pour la Française des Jeux, même si les perspectives de croissance sont intéressantes sur les paris sportifs, l’ouverture constitue cependant un défi technique. En effet, s’aligner sur l’offre concurrente de paris en ligne signifie qu’il doit passer, via de nouveaux dispositifs techniques, en mode « cote variable » : tout en conservant le principe de la cote fixe, l’opérateur peut cependant la modifier en cas d’événement inattendu. Ce processus est tout à fait comparable à celui observé par F. Muniesa dans son étude sur la bourse de Paris quand il souligne les difficultés que le passage de la criée à la cotation électronique produit dans les années 1980 [Muniesa, 2005], à la différence près que l’informatisation du processus de cotation sur les événements sportifs est décentralisée : tout en prenant en compte les niveaux de cote de leurs rivaux, chaque bookmaker produit son équation et ajuste selon ses propres contraintes et objectifs les « prix » qu’il va afficher via son site. En ligne, tous les opérateurs ont l’habitude de réaliser ces modifications en temps réel. Cependant, la Française des Jeux doit gérer le problème des différents canaux sur lesquels elle opère : si elle modifie ses cotes en ligne, comment faire en sorte que toutes les listes papier affichées deux fois par semaine dans les points de vente, soient toutes automatiquement remplacées au moindre changement ? C’est techniquement difficile à mettre en œuvre. C’est pourquoi ses supports devaient évoluer pour s’adapter aux temporalités du on-line.

31En la matière, on pouvait s’étonner que, à l’instar des points de vente britanniques ou des hippodromes français, la Française des Jeux n’ait pas installé des écrans interactifs chez ses détaillants en vue de pouvoir actualiser en temps réel les cotes sur l’ensemble de son réseau. La pérennisation des bulletins papier présentant les cotes semblait relativement obsolète. Toutefois, elle s’explique par les coûts que l’investissement dans ce genre de dispositifs pouvait représenter : équiper 38 000 points de vente en terminaux permettant de synchroniser les réseaux internet et terrestres devait en retour engendrer des bénéfices substantiels pour être rentables. Or, d’une part les écrans dédiés au Rapido existaient déjà dans une partie des points de vente depuis 1999, le risque était donc de saturer l’espace en multipliant les écrans. Mais surtout, les pronostics ne représentent que très tardivement un relais de croissance pour la direction de la Française des Jeux : jusqu’en 2006 où la Coupe du monde et le relèvement des TRJ sur certains matchs produisent un saut dans les résultats (+ 70 % par rapport à 2005), le chiffre d’affaires est trop confidentiel pour envisager de tels coûts fixes. Cependant, la solution consistant à bloquer la prise de paris en cas de risque trop élevé handicape le monopole par rapport à ses concurrents en ligne qui n’ont qu’à modifier la cote en cas de risque. Des solutions alternatives sont donc pensées et mises en place courant 2008.

32La fluidification du processus de cotation s’est inscrite dans ce que la Française des Jeux a appelé la « Gestion dynamique des cotes ». Elle a été mise en place à l’automne 2008 et rendue possible par la suppression, dans un panel de points de vente jugés stratégiques [20], de l’intermédiation du courtier qui est remplacé par un dispositif technique : des imprimantes reliées directement au système d’information central de l’opérateur. De cette manière, le détaillant avait la charge d’imprimer directement la nouvelle liste et de l’afficher rapidement dans son point de vente, en cas d’évolution des cotes de l’opérateur de loterie :

33

Coteur : Un préalable, c’était qu’on ait équipé un certain nombre de points de vente identifiés comme un lot premium de points de vente, en gros ceux où on fait, sur 2 000 points de vente, en gros 70 % du CA, non j’exagère, mais pas tant que ça. (…) Donc on leur a donné des imprimantes… à ces points de vente. Et donc un des facteurs qui permettra de savoir si ça réussit ce nouveau cadencement, c’est de voir si les imprimantes, elles vont bien être livrées et est-ce que les points de vente vont être équipés quoi (…).
MT : D’accord. Ça veut dire que les gens pourront imprimer la liste
Coteur : Ça veut dire que le détaillant pourra imprimer la liste sans que le courtier soit obligé de [la] lui apporter. (…) Donc, voilà, tu ne dépends pas d’un intermédiaire mais en même temps tu dépends toujours du bon vouloir du détaillant pour éditer la liste. Mais, bon
(Entretien avec un coteur, Française des Jeux, novembre 2008)

34Afin de se rapprocher encore de la temporalité des bookmakers pure players, la Française des Jeux a choisi en parallèle de synchroniser davantage le temps de la cotation avec le calendrier sportif. Le « nouveau cadencement des listes » qui intervint à la même période changea la donne en créant deux nouvelles périodes de cotation : du mardi au jeudi et du vendredi au lundi. De manière plus logique, les pronostiqueurs pouvaient ainsi rendre leurs cotes le jeudi soir une fois les matchs européens terminés et le lundi soir, après les matchs de championnat. Ce changement ne s’explique pas cependant par l’arrivée des imprimantes mais par les transformations réalisées sur le Loto quelques semaines auparavant : bénéficiant désormais d’un troisième tirage hebdomadaire le lundi, le jeu réclamait qu’une liste de résultats soit apportée dans les points de vente le mardi matin. Le service des pronostics profita de l’occasion pour bénéficier de cette nouvelle tournée des courtiers le lundi pour assurer l’affichage de ses listes le mardi matin et non plus le dimanche soir ou le lundi matin. Quant à la liste éditée le vendredi, il demeurait incertain qu’elle soit fournie par les courtiers, d’où le support des imprimantes en renfort.

35Ces aspects montrent donc que l’opérateur s’est adapté au régime de concurrence on-line en se transformant très progressivement : le recours aux imprimantes ou la dépendance par rapport au calendrier du Loto prouvent que les héritages du passé conditionnent les routines du présent, freinant d’abord les possibilités de développement de l’offre de paris sur Internet. Toutefois, les changements opérés chez l’opérateur historique à la veille de la libéralisation marquent un tournant.

4 – « De la rivière à la haute mer » : se mettre au diapason du « marché »

36La sociologie, l’économie et surtout les sciences de gestion, se sont intéressées de près aux mutations rencontrées par des monopoles publics confrontés à la libéralisation de leurs activités : les cas des Télécoms [Maingenaud, 2002], de EDF [Mauchamp, 2002], de la SNCF [Guélaud, 2002] ou de la Poste [Oblet et Villechaise-Dupont, 2005 ; Damesin, 2002] ont ainsi fait l’objet de diverses études qui s’accordent sur le tournant radical qu’une libéralisation représente pour le fonctionnement même d’une entreprise habituée à exister sans concurrents : « Le passage du monopole au marché se traduit par des remises en cause fondamentales des formes de travail, de gestion des ressources humaines et des relations sociales. Et il peut provoquer un véritable trouble identitaire chez les personnels, qui ne savent plus ce qui fonde leurs activités ou leurs missions. » [Tixier, 2002, p. 6] Liée à l’État par son histoire et la structure de son capital (72 %), la Française des Jeux est aussi très marquée par les missions d’intérêt général et de canalisation de la demande que le droit lui attribue par son statut de monopole. La logique de concurrence introduit ainsi un langage et des routines centrés sur la compétitivité et le développement de l’offre. Mais l’entreprise promeut en parallèle des règles de protection des consommateurs qui la rapproche de ses missions originelles d’opérateur public.

4.1 – Nouvelle organisation, nouveau langage

37À la Française des Jeux, la phase de préparation de la libéralisation s’est traduite par la mise en place d’un vaste plan de réflexion appelé « Grand Large » dont un cabinet de conseil fut le grand architecte à partir de début 2008. La métaphore de la haute mer fut déclinée de multiples manières par la nomination à l’intérieur de l’entreprise de « skippers » responsables de « chantiers » se déclinant en plusieurs « vagues » et pour qui des « équipiers » furent également désignés pour accompagner les changements. Après avoir « fixé le cap » et mené à bien les 22 chantiers jugés déterminants pour l’avenir de la société, la Française des Jeux « accosta » début 2010 avec, notamment, la mise en place d’une réorganisation profonde de l’agencement de ses services. Une lettre d’information interne parut mensuellement à partir de novembre 2008 à l’adresse de l’ensemble des salariés pour faire le point sur l’avancement des différents projets et les transformations à attendre dans l’entreprise. C’est principalement sur cette documentation et des entretiens formels et informels recueillis pendant cette période cruciale que nous basons ici l’analyse.

38Bien que les changements aient été nombreux et « systémiques » au sens où ils touchèrent l’ensemble de l’entreprise, nous nous concentrons ici sur la réorganisation du service des pronostics sportifs dont les activités nous intéressent plus précisément dans cet article. Sur ce sujet, les débuts du projet « Grand Large » ont été consacrés d’abord à la définition de scénarios d’avenir et à l’évaluation de leur pertinence pour optimiser le développement des paris à cote dans un univers réglementaire plus favorable. Mais se posait la question plus générale de la séparation entre points de vente physiques et distribution en ligne. La nouvelle réglementation qui allait voir le jour n’aurait que le périmètre des jeux sur Internet à réguler, impliquant un traitement à deux vitesses pour l’opérateur. L’un des scénarios proposait d’entériner cette différence en séparant la Française des Jeux en deux entités : une maison mère gérant les jeux en dur comme habituellement et une filiale créée à l’occasion de la mise en concurrence pour s’occuper des jeux en ligne. Ce scénario de filialisation permettait de distinguer clairement les activités restées en monopole des activités mises en concurrence au cas où la nouvelle réglementation l’exigerait. Un autre scénario d’évolution envisageait une gradation de partenariats (de l’alliance technologique localisée à la fusion totale par rachat) avec d’autres opérateurs dans l’optique de développer les technologies et les savoir-faire propres aux activités en temps réel. Enfin, le scénario dit de la « business unit » permettait de créer un pôle plus robuste dédié aux pronostics sportifs comme l’appelait de ses vœux l’un des coteurs :

39

Un autre scénario c’est la création, dans l’entreprise, vraiment d’une business unit, vraiment dédiée aux jeux en ligne et en particulier aux pronostics sportifs ; ça c’est le schéma vers lequel je pousse depuis des années. Oui, c’est clair. En tout cas, quand je te parle de business unit, on va dire plutôt une « filière » jeux en ligne, pronostics sportifs.
(Entretien avec un coteur, Française des Jeux, juin 2008)

40Ce scénario a été finalement privilégié (et assorti de partenariats avec d’autres opérateurs pour développer le poker en ligne notamment) au terme d’une évolution qui, pour les pronostics sportifs, s’était déjà traduite en amont par la création d’une chaîne intégrée de salariés, dont les activités étaient dédiées à l’activité de pari à cote. Mais là encore, la rupture avec les héritages passés a été très progressive. En effet, jusqu’à l’annonce de la libéralisation du marché, la Française des Jeux était compartimentée en pôles distincts pour gérer l’organisation de ses jeux en suivant un modèle qui datait de la structuration de l’opérateur en entreprise moderne à la fin des années 1980. Pensés et développés au sein du département marketing, les jeux subissaient ensuite une phase de production (tirages en public, édition des tickets à gratter…), puis de validation des résultats, après diverses vérifications, qui était assurée par la direction de la « maîtrise des risques », dans laquelle se trouvait le service « tirages et promulgation ». L’arrivée du pari à cote ne remit pas en cause d’abord cette organisation : le service marketing avait accueilli un nouveau pôle « produits » dédié à la création de l’offre de pronostics ; l’équipe de coteurs qui a en charge la production du jeu, avait elle aussi été intégrée dans ce service. Mais la vérification des résultats en amont de leur validation définitive avait été laissée aux mains du service « tirages et promulgations », ce qui n’était pas sans poser problème, puisque la vérification des résultats sur les événements sportifs est plus complexe que ceux portant sur un tirage du Loto, en raison notamment du caractère international des compétitions. Au début du jeu Cote&Match, le service de promulgation des résultats manque donc de personnes connaisseuses du monde du sport et des sources officielles nécessaires au processus de vérification qui, en conséquence, était freiné. Là encore, la singularité du pari à cote n’avait pas été saisie en tant que telle mais rapprochée des jeux déjà existants. Avec le développement de l’offre de pronostics, l’aval du processus – la promulgation des résultats – fut renforcé par des recrutements et des formations en interne.

41Cette professionnalisation vint aussi entériner la singularité du pari à cote dans l’offre globale de l’opérateur et justifier, au moment où l’entreprise se préparait à la libéralisation, une intégration des services dédiés aux paris à cote dans un département commun. Ce dernier comprend alors quatre pôles décrits ainsi dans la présentation faite à l’ensemble de l’entreprise en juillet 2009 :

42

« Pour la partie Marketing, le nouveau “Département Sport” s’articule autour des pôles suivants :
  • “Studio de création” en charge des événements sportifs (du choix des événements à la gestion des résultats des paris) ;
  • “trader” en charge de la cotation, du suivi des déséquilibres financiers et à terme des paris en direct et,
  • “marketing sportif” en charge de l’animation de l’offre commerciale sur Internet et dans le réseau.
Et pour le contrôle et la surveillance des paris sportifs, un pôle du même nom est créé. Il est en charge du suivi du jeu (acteurs) et du respect des politiques de sélection, de cotation, réglementaire et de sécurité [21]. »

43C’est ainsi que les tâches des salariés chargés de fixer les cotes sur les événements sportifs – les « coteurs » – sont intégrées dans le nouveau « Pôle traders ». Au-delà de l’américanisation des termes, il faut noter ici au passage l’analogie désormais assumée qui est faite entre le métier de pronostiqueur et celui de trader dans une salle de marché [22]. Le « studio création » est par ailleurs le rassemblement en une même entité des segments auparavant situés en amont et en aval du processus de cotation proprement dit (l’ancien « pôle informations » et la partie du service « tirages et promulgation » dédiée à la vérification des résultats des événements sportifs). Le pôle marketing s’est lui aussi transformé : alors que le pari distribué en ligne était auparavant géré par le département multimédia de l’opérateur, il existe désormais une cellule dédiée à l’offre de pronostics en ligne et intégrée à ce département.

44L’intégration de tous ces services au sein de l’organigramme est aussi visible dans l’agencement des bureaux : segmenté auparavant en quatre ou cinq petits espaces, le département a désormais pris de l’ampleur dans l’occupation du plateau d’un des étages du siège de l’entreprise. Début 2010, un vaste open space et des bureaux attenants sont occupés par deux douzaines de salariés (neuf personnes au studio de création, huit traders, cinq au pôle marketing) qui donnent désormais une existence plus tangible à ce département dont les effectifs ne dépassaient pas une dizaine de personnes en 2008. Le doublement des effectifs s’explique notamment par le développement considérable de l’offre de paris à cote qui fut entièrement repensée à l’aube de l’ouverture du marché.

4.2 – Imposer sa marque de fabrique

45L’évolution réglementaire du marché français nécessita qu’un chantier à part entière soit consacré à la modernisation de l’offre de pronostics sportifs qui se déploie alors grâce à la création de nouvelles « marques » commerciales. Mais, plus symboliquement, l’opérateur entend aussi imposer une batterie de règles de modération, inspirées de sa politique de « Jeu responsable » développée fortement après 2006 et destinée à devenir sa marque de fabrique, dans un univers concurrentiel où les offres sont difficile à distinguer.

46Commercialement, l’ouverture légale du marché s’illustre d’abord par une volonté de rattraper le retard accumulé vis-à-vis des bookmakers on-line en augmentant massivement le nombre d’événements sur lesquels il est possible de parier, en créant de nouvelles formules de paris et en multipliant le nombre de sports, supports des pronostics (ajout du volley-ball, du hand-ball, du tennis et de la Formule 1). La direction de la Française des Jeux choisit cependant de continuer à différencier l’offre de paris réalisés au sein des points de vente et ceux distribués sur Internet, en partie pour des raisons techniques. Le caractère aléatoire des horaires des matchs de tennis ou des événements de Formule 1 rend par exemple impossible leur gestion dans le réseau en dur. De ce point de vue, la diversification des sports est encore limitée techniquement par les contraintes du réseau. Mais, plus globalement, la Française des Jeux souhaitait rassurer son réseau de détaillants, très inquiets de voir se développer une distribution concurrente en ligne, d’où la création d’une offre spécifiquement dédiée à la distribution terrestre. In fine, l’offre de pronostics de l’opérateur est désormais segmentée par canal de distribution, ce qui s’est traduit, dans la phase de préparation de l’ouverture, par la création de deux marques ombrelles séparées : « ParionsSport » regroupant les produits de paris vendus en point de vente et « ParionsWeb » regroupant des produits un peu différents et commercialisés uniquement via Internet. Quoi qu’il en soit, même si les formules de paris sont variables d’un réseau à l’autre, les niveaux de cote sont strictement équivalents quand il s’agit des mêmes pronostics proposés.

47Avec l’ouverture légale à la concurrence des paris à cote, la Française des Jeux profite donc de nouvelles marges de manœuvre pour accroître son offre de paris et le TRJ (85 % contre 75 % auparavant). Cet alignement sur la concurrence s’accompagne cependant d’une attention très forte donnée aux règles de protection des joueurs. Très bien détaillés dans la nouvelle réglementation, les principes d’encadrement de l’offre (choix des événements supports des paris, procédures anti-conflits d’intérêts, vérification de la probité des compétitions par l’autorité de régulation…) et de la demande (plafonnement des TRJ, des mises autorisées, auto-modération, etc.) s’inspirent à différents degrés des règles que l’opérateur de loterie s’était imposées avant même la libéralisation par le biais de sa politique « Jeu responsable ». Destinée à devenir sa « marque de fabrique », cette démarche devait permettre à la Française des Jeux d’asseoir une identité d’opérateur de confiance vis-à-vis de joueurs moins captifs puisque le droit leur permettait désormais de partir à la concurrence, et ainsi de maintenir sa position d’incumbent sur le marché [Fligstein, 2001]. Ces règles tendront peut-être à s’intensifier au moment où l’Association française de normalisation (AFNOR) publiera la nouvelle norme en matière de protection des joueurs, résultat d’un processus lancé par la Française des Jeux en 2009. Elle vise à augmenter les exigences réglementaires imposées aux opérateurs en ligne sur les sujets de l’addiction et de la prévention du jeu chez les mineurs. Nouvelle barrière à l’entrée pour les postulants à un agrément français, signal de qualité pour les insiders, toutes ces règles de modération sont aussi le symbole modernisé d’un secteur marqué par de fortes réticences morales que la libéralisation semble avoir plutôt remises au goût du jour que reléguées aux confins du marché.

5 – Conclusion

48Au terme de cette réflexion, nous pouvons établir un bilan et mettre en perspective cette ouverture du marché des paris à la concurrence par rapport à d’autres cas récents de libéralisation. En décrivant l’instauration du pari à cote à la Française des Jeux, nous avons cherché un point d’observation d’un phénomène plus large, celui de la transformation d’un marché dont la conversion d’un monopole en concurrent du Net met en lumière les différentes facettes du « passage au marché ». En profitant des conditions fiscales et réglementaires favorables, les sites de jeux en ligne installés dans des juridictions accueillantes (Malte et Gibraltar, par exemple) constituent au début des années 2000 une concurrence très menaçante pour les opérateurs historiques en place sur le marché. En effet, bien qu’illégaux, nous avons montré que ces nouveaux rivaux conquièrent progressivement des clientèles d’internautes hier réservées aux monopoles, déstabilisant leur perception du marché et leurs routines de fonctionnement. À la différence d’autres monopoles comme ceux des postes, des télécoms ou de l’électricité, la Française des Jeux a donc fait l’expérience de la concurrence bien avant que celle-ci ne soit légalisée, l’obligeant à « bricoler » des solutions pour assurer le maintien de son activité de bookmaker, avant de bénéficier, une fois la nouvelle loi votée, de conditions fiscales partagées avec la concurrence. Il lui faut d’abord changer de référentiels, tant du point de vue de ses horizons cognitifs (de nouveaux acteurs sont désormais entrés dans l’arène ; les frontières du marché sont repoussées), que des outils à mobiliser pour rentrer dans le jeu de la concurrence (il faut pouvoir identifier et mesurer le pouvoir de ces challengers et mettre en place de nouvelles logiques de risque) ou encore fluidifier la distribution des paris à cote pour assurer sa compétitivité. Ces changements sont opérés en même temps que se développe une nouvelle manière pour l’ancien monopole d’assurer ses missions d’intérêt général, à travers sa politique de « jeu responsable » [Trespeuch, 2011, p. 329-396] reprise dans la nouvelle réglementation. À ce titre, les règles de protection des consommateurs historiquement bien ancrées dans le secteur des jeux ne semblent pas tout à fait solubles dans la libéralisation puisque celles-ci se sont imposées comme un référentiel partagé par tous les opérateurs souhaitant œuvrer légalement sur le marché. En la matière, les craintes nourries traditionnellement à l’égard des désordres du jeu semblent encore, pour un temps, pouvoir dompter les forces les plus libérales du marché.

Repères chronologiques

4921 mai 1836 : Définition d’un régime d’interdiction générale des jeux de hasard par la loi portant prohibition des loteries.

502 juin 1891 : Loi autorisant le pari mutuel sur les courses hippiques sous conditions (mais interdisant toutes les autres formes de paris).

5115 juin 1907 : Loi réglementant le jeu dans les casinos des stations balnéaires, thermales ou climatiques.

5231 mai 1933 : L’article 136 de la loi de finances du 31 mai 1933 déroge à l’interdiction générale de 1836 en autorisant le Gouvernement à créer la Loterie nationale, c’est-à-dire aujourd’hui les jeux de loterie exploités par la Française des Jeux.

531987 : Loi du 5 mai 1987 : autorisation des machines à sous dans les casinos.

541997-1999 : Création des sites de jeux en ligne Unibet.com, PartyGaming.com, 888.com, Interwetten.com, Sportingbet.com, Betandwin.

552001 : Autorisation de la Française des Jeux et du PMU à opérer sur Internet.

562002-2003 : Autorisation et lancement du jeu Cote&Match à la Française des Jeux.

57Octobre 2006 : Lettre de mise en demeure émanant de Bruxelles posant des questions sur la compatibilité du droit français avec le principe fondamental de la libre prestation des services prévu à l’article 49 du Traité CE (début de la procédure d’infraction).

58Juin 2007 : Avis motivé envoyé par la Commission européenne à l’État français (suite de la procédure d’infraction).

5912 mai 2010 : Promulgation de la loi 2010-416 relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne, publiée au JO du 13 mai 2010.

Pari à cote et pari mutuel, deux mécaniques de jeux distinctes

60Tout pari est une action visant à prendre un risque sur un événement incertain. Comme en matière de spéculation boursière, la prise de risque engendre une prime potentielle. En matière de paris sportifs ou hippiques, la cote représente ce rapport au risque : plus elle se rapproche de 1, plus le concurrent est considéré comme susceptible de remporter l’épreuve. C’est-à-dire que si le joueur mise 10 euros sur une équipe ou un cheval dont la cote est à 1,10 il remporte 10 x 1,10 = 11 euros. S’il prend le risque de miser sur le challenger dont la cote est par exemple à 6, il sera rémunéré davantage s’il gagne, en compensation de sa prise de risque. De ce point de vue, tout pari repose sur ce mécanisme. La distinction a lieu sur la manière de recueillir les enjeux et de les redistribuer. Elle est fondamentale car elle définit deux modèles d’exploitation extrêmement différents, au fondement d’une grande dichotomie encore en vigueur à l’heure actuelle en France entre l’exploitation des paris à cote et celle des paris mutuels.

61Le pari mutuel (ou à cote variable)

62Exemples : tous les paris hippiques offerts par le PMU (Tiercé…) et ses concurrents sur Internet (Zeturf…) ; LotoFoot 7&15 de la Française des Jeux.

63L’organisateur est chargé de faire l’intermédiaire entre les joueurs qui jouent les uns contre les autres, d’où l’idée de « jeu de répartition ». Chacun mise sur son favori. La mise en commun des enjeux sur les différents participants fait bouger leur cote jusqu’à la fermeture du pari et le début de la course. Jusqu’au coup de starter, le turfiste ne peut donc pas connaître précisément le montant de ses gains. Une fois l’événement disputé, l’organisateur calcule en fonction du montant de mise de chacun ce qui lui revient et redistribue les gains après avoir ponctionné une partie pour se rémunérer lui-même.

64Le pari à cote (fixe)

65Exemples : ParionsSport et ParionsWeb (anciennement Cote&Match) de la Française des Jeux, la majorité des paris sur les événements sportifs proposés sur Internet.

66L’organisateur – appelé dans ce cas, comme dans la tradition britannique, « bookmaker » – est chargé, en amont de l’événement, de définir les chances des différents concurrents et de déterminer une cote en fonction de leurs probabilités estimées de remporter la partie. Le parieur joue ensuite contre l’organisateur et connaît avec exactitude le montant de ses gains en amont de la partie. Si le match est annulé (l’événement n’a pas lieu), il peut obtenir le remboursement de sa mise ; dans tous les autres cas, même si la cote est modifiée après la mise, il est rémunéré à hauteur du niveau de cote en vigueur quand il a joué. C’est cet aspect qui rend le mécanisme du pari à cote fixe particulièrement risqué pour l’opérateur, puisque dans l’éventualité où une majorité de joueurs mise sur le challenger et que celui-ci gagne, il doit pouvoir payer l’ensemble des gagnants, d’où l’idée du « jeu de contrepartie » obligeant l’opérateur de paris à réserver un fonds pour couvrir ses risques. Le modèle économique de ce jeu est donc très différent de celui du pari mutuel, fondé lui sur l’obligation de recevoir une masse suffisante d’enjeux pour offrir un système de cotes intéressant.

Notes

  • [1]
    La Française des Jeux sort un premier jeu de pari sportif en 1985, appelé Loto sportif, qui est fondé sur le principe de la répartition (sur le modèle du pari mutuel hippique). En 2002, elle est autorisée à développer une offre de paris à cote (Cote&Match), qui est fondée sur un principe de contrepartie (sur le modèle des bookmakers anglo-saxons). Cette distinction essentielle de mécanisme de jeu est détaillée en annexe de cet article.
  • [2]
    Le montant des mises tous jeux confondus représentait, en 2006, 56,25 milliards d’euros. La FDJ redistribuait en moyenne 59,7 % des enjeux aux joueurs, le PMU 72,8 % et les casinos 93 %.
  • [3]
    Ces opérateurs en ligne font cependant valoir le principe de libre prestation de services, inscrit dans le Traité de l’Union européenne pour mettre en cause les droits nationaux restrictifs. Cela a conduit la Commission européenne à demander au cours de procédures d’infraction certains aménagements juridiques pour libéraliser certaines activités en ligne. La loi française du 12 mai 2010 est en partie le résultat de cette évolution.
  • [4]
    Une plus large explication de ces deux mécaniques de jeu figure en annexe de l’article.
  • [5]
    Loi 2010-416 du 12 mai 2010 relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne. Cette loi a ouvert à la concurrence les paris à cote sur les événements sportifs, les paris mutuels et le poker mais seulement sur Internet.
  • [6]
    Cet article est tiré d’un chapitre de notre thèse [Trespeuch, 2011] réalisée dans le cadre d’une bourse CIFRE à la Française des Jeux. Nous remercions particulièrement les salariés de l’entreprise ayant participé à cette enquête pour leur confiance et leur disponibilité.
  • [7]
    Pour des raisons de confidentialité, les précisions sur les documents internes (auteurs et caractéristiques) ne sont pas données.
  • [8]
    « Cybercasinos : rien ne va plus. Attentisme et impuissance en France », Le Monde, 30 juin 1997.
  • [9]
    Il s’agit de l’offre du PMU.
  • [10]
    Document interne, service des pronostics sportifs, 2007.
  • [11]
    Les opérateurs en ligne sont majoritairement multi-jeux : ils proposent tout à la fois poker, machines à sous, paris sportifs, jeux de grattage, etc.
  • [12]
    La tendance à la diversification des produits s’accélère rapidement dans les années 2000, le poker, les machines à sous et autres loteries en ligne s’ajoutent à l’offre traditionnelle de paris. Cette politique de diversification modifie en profondeur les modèles d’affaires des opérateurs pure players dont le service de pronostics de la Française des Jeux notait la métamorphose en 2005-2006 : ceux qu’on appelait hier « bookmakers » n’en portaient que le nom, le poids des paris représentant désormais chez les sites les plus importants moins de la moitié de leur chiffre d’affaires. Selon les chiffres de la Française des Jeux, le poids des paris sportifs chez le plus gros site en la matière – Bwin – représentait 67,69 % de son chiffre d’affaires en 2005 contre 43,36 % en 2006 au profit du développement de son offre de poker (+ 26 points sur l’année qui s’était écoulée).
  • [13]
    Le joueur individuel a entièrement conscience du TRJ quand il parie puisque la cote l’exprime de manière transparente : par exemple, une cote à 1,7 proposée par un opérateur rémunère objectivement mieux qu’une cote à 1,6 qui serait proposée par un concurrent pour le même événement.
  • [14]
    Je renvoie à ma thèse pour l’histoire et l’analyse de cette équation [Trespeuch, 2011, p. 217-244].
  • [15]
    Site de comparateur de cotes.
  • [16]
    Jusqu’en 2002, les jeux de la Française des Jeux sont en quasi-totalité des jeux de hasard pur qui reposent sur des modèles de risques fondés sur les probabilités. L’arrivée de l’expertise modifia notamment cette perception du risque et la manière pour l’opérateur de s’en prémunir.
  • [17]
    Pour comparer l’impact d’Internet sur d’autres secteurs économiques, cf notamment Beuscart [2006] ; Bounie, Eeang et Waelbroeck [2010] ; Longhi [2004] ; Mabillot [2008].
  • [18]
    D’autant plus que le jeu Cote&Match générait peu de chiffre d’affaires à ses débuts : sa promotion n’était donc pas jugée prioritaire par les courtiers qui sont intéressés sur les ventes globales de la FDJ (ils sont actionnaires à hauteur de 3 % dans le capital de la société).
  • [19]
    Si, par exemple, un club décidait au dernier moment de faire jouer son équipe remplaçante, les probabilités sur l’issue du match pouvaient s’inverser et mettre en difficulté l’opérateur.
  • [20]
    Seuls les points de vente réalisant un fort chiffre d’affaires sur la gamme des paris à cote ont été équipés.
  • [21]
    Message d’information adressé à l’ensemble des salariés de l’entreprise, par courriel, juillet 2009.
  • [22]
    Qui en soi n’apparaît pas inadéquate tant ces deux métiers ont des points communs, notamment quand il s’agit pour les coteurs de modifier les cotes en direct (paris en temps réel ou livebetting) empruntant alors aux missions d’arbitrage classiques du trader en salle de marché [cf. Godechot, 2001, p. 79-86]. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si les bookmakers recrutent préférentiellement des individus à l’aise avec les probabilités, ayant une expérience des salles de marché.
Français

Résumé

L’article se propose d’analyser l’impact d’une innovation technologique sur la structure du marché français des jeux, jusqu’alors organisé en monopoles, à travers l’exemple des paris à cote. Au tournant des années 2000, la multiplication des bookmakers en ligne proposant des produits plus attractifs aux internautes français invite la Française des Jeux à réévaluer les frontières de son activité et à adapter son fonctionnement d’opérateur œuvrant traditionnellement sur un réseau physique pour s’aligner sur les temporalités et l’organisation propres aux paris sur Internet.

Mots-clés

  • internet
  • transformation des marchés
  • paris et jeux d’argent
  • innovation
  • monopole
  • concurrence

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Mis en ligne sur Cairn.info le 29/11/2011
https://doi.org/10.3917/rfse.008.0039
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